A quoi tient la liberté parfois ? A des gouttes de pluie, au ciel par la fenêtre, à la tente plantée dans le jardin.
Chouette il pleut !
Les larmes du ciel s’accordent mieux avec la réclusion. Et comme la météo ne l’avait pas prévu, c’est un double cadeau des nuages : ce zeste de spontanéité aiguise la mélodie de la pluie sur ma fenêtre.
Les enfants sont ravies. Elles ont planté la tente hier soir dans le jardin. Elles ont bien hésité un peu, par peur d’avoir peur dans le noir toutes seules. Et puis la motivation de la plus jeune a eu raison de leur timidité de dernière minute. Ca faisait deux semaines qu’elle surveillait le thermomètre : quand les vacances seraient-elles propices à une aventure nature, à deux mètres du salon ?
Ce matin, elles sont sorties émerveillées de leur cocon de tissu. Ont pris un petit déjeuner d’aventurières (équipées Décath). Sont allées à la rivière-cuisine chercher de l’eau.
Et là l’eau arrive à elles. Il pleut ! Mazette ! L’abri d’une tente prend tout son sens enveloppées dans le clapotis des gouttes sur la toile. Pourvu que ça continue ce soir ! Pour échapper au confinement réel, rien de tel que de se confiner plus petit dans une vie inventée et choisie. L’imagination comme évasion.
Comme le ciel. Le sommeil. Les films et les bouquins. Le vertige d’une fleur de cerisier contemplée longuement. La blague qui nous secoue le ventre et fait monter les larmes. Celles qu’on n’ose pas lâcher dans la vie de tous les jours. Parce que malgré tout, ces heures cloîtrées restent notre vie courante. Et la vie ‘normale’ ben ‘normalement’ on fait avec. On sait s’en accommoder. A peu près. En tout cas, on sait faire comme si. Peut-être trop.
Donc les larmes, si on les cherche, seront tapies dans la malle du fond, dans le grenier poussiéreux. Prière de les laisser sortir. Elles s’ennuient, elles aussi, enfermées dans le carcan de plomb de la bienséance. Derrière le rempart des prétextes, qui visent à préserver l’entourage, elles s’accumulent. Et leurs flots enflent sous le poids de cette normalité.
La tempête extérieure n’a pas d’égale pour apaiser les vies intérieures tumultueuses. Si ça rugit dehors, je peux m’affranchir de cette charge, la colère et le doute sont pris en charge par les éléments.
On n’en est pas à l’orage. D’ailleurs ici à Mainz il n’y a presque jamais d’orages. Ils sont déviés par le coude du Rhin, le modeste relief du Taunus (600 mètres sur la pointe des pieds). Ou quelque chose que des géographes vous expliqueraient mieux que moi. Toujours est-il que je guette toujours l’arrivée des lourds nuages noirs avec gourmandise… et suis régulièrement déçue. Allez tiens, un coup de tonnerre pour te faire plaisir. Et si tu guettes bien, l’éclat furtif d’un éclair. Trois petits coups et puis s’en vont.
La météo radieuse depuis le début du confinement éclaire nos barreaux de ses faisceaux de lumière . Les saisons suivent leur cours, le merle chante sur la maison d’en face. Les perce-neige ont défleuri, le lilas pavane. La terre continue de tourner même si les vies des humains sont figées dans leur élan. Un deux trois soleil !
La pluie redouble en intensité. Ses touches métalliques font chanter la table ronde sur la terrasse. L’odeur fraîche de la terre mouillée se glisse par la porte entr’ouverte. Hum. Ma poitrine se soulève. Mon ventre inspire plus grand. La liberté vient à moi par ce son et ces odeurs, par cet interstice.
Il a fallu un temps d’adaptation à cette immobilité. Et maintenant, vaguement apaisés, nous redécouvrons les choses acquises et pourtant fondamentales. Les personnes jusque-là invisibles dont le rôle est essentiel à la (sur)vie de tous. La nature juste sous nos pieds, où ceux de notre immeuble. Les amis postent des photos de leur ciel, des branches par leur fenêtre. C’est nouveau, avant c’était plutôt les photos de vacances, d’un ailleurs parfait. Le quotidien était chifonné, presque méprisé. Il fallait que les vacances soient les plus réussies, les plus différentes possibles.
Nouvelle étape dans l’adaptation à l’enfermement, voici le temps de l’émerveillement. La terre se guérit un peu, et nous avec.
Mon frère qui habite au-dessus d’un petit port de la Méditerranée (oui on n’est vraiment pas égaux dans le confinement, pas plus qu’ailleurs, nous on voit un parking) nous a envoyé des clichés échappés d’un livre d’images. La mer vue du balcon. Dans la lumière irréelle d’un crépuscule d’or laiteux , des bosses à la surface de la mer : des dos de dauphins ? une baleine ? Et ces rorquals vus aux larges des calanques de Marseille ? Je n’en suis toujours pas revenue. Et pourtant je languis d’y retourner, frôler la garrigue et plonger dans le bleu marine entre les rochers blancs.
L’apaisement de l’agitation permet à l’essentiel de se fait jour. Et quand le fouillis maniaque confine à l’universalité, le coup de frein doit être à la même échelle pour retrouver ses repères.
Et nous les enfants gâtés, il nous faut d’abord faire un tour au piquet pour réfléchir. Allez hop, vas-y, je compte jusqu’à trois. Et tu seras privée de sortie.
Je me revois il y a deux mois – autant dire, deux années-lumière.
« Non la Côte d’Azur, non j’ai pas trop envie d’y aller. Tu comprends en cette saison, y’a RIEN à faire sur la Côte d’Azur. RIEN. » A ma décharge, lorsque nous y avions passé les vacances de Pâques il y a deux ans, une pluie de mousson pendant sept jours nous avait enfermés… et je rêvais de vacances sportives natures, avec des randos dans des paysages ouverts sans béton.
Hmmmm…
On se comportait chacun à notre échelle comme Trump : on prend ce qu’il nous faut, tant pis si ça détruit (même un peu), tant pis si ça méprise (même un peu). Egos toute !
J’ai réfléchi. Pardon. Je n’aurai pas dû dire cela. Ni le penser. Pour les prochains jours de vacances, je serai ravie de juste pouvoir marcher une heure le long du ruisseau derrière les écoles des filles. S’il vous plaît.
Et je ferai des photos de mon ciel et des branches.
D’ailleurs je vais y aller tout de suite, pour profiter de la pluie. Il n’y aura personne et ce sera presque sauvage. Un moment de fraicheur, d’intimité et de liberté. Grâce à quelques gouttes d’eau.
Les mêmes que celles qui m’avaient volé mes vacances à la mer. En tout cas c’est ce que j’avais cru sur le moment. Alors que quand j’y repense, c’est le regard espiègle de Chagall que je retrouve. Et le paysage sublime de l’aquarelle détrempée de la Méditerranée mouillée.
Cette pause était un cadeau. Je ne l’avais pas compris sur le moment.