Nager dans le sable

Quand on est privé de piscine, la marche peut-elle remplacer la natation pour se ressourcer ?

DE L’EAU ! DONNEZ-MOI DE L’EAU !

J’en suis sevrée depuis presque trois mois. Et je n’en peux plus.

Ma piscine est fermée. Toutes les piscines sont fermées. Or c’est là que je fais du sport, que je me détends. Que je me ressource… Tiens ce n’est pas un hasard ce mot-là. De l’eau pour remonter à sa source, pour se rassembler, se rasséréner.

L’élément fondamental, me fait défaut. Je me ressource aussi dans la terre humide du jardin, dans l’argile de l’atelier retrouvé depuis une semaine (en tout petit comité).  Mais dans les deux cas il me faut aussi de l’eau. Un tuyau, un arrosoir, un vaporisateur.

C’est pas terrible une piscine couverte, on est bien d’accord. C’est humide, ça sent le chlore (au mieux), parfois les pieds pas lavés et le moisi. Tout y est détrempé, délavé et ramolli. Comme les pâtes de la semaine dernière dans un Tupperware oublié.  Mais quand on a besoin d’eau en hiver, et que la douche ne suffit plus, on s’en accommode. Parce qu’on se sent sourire malgré soi après avoir nagé. Même après un slalom entre mamies et papys au ralenti.

L’autre jour je n’en pouvais plus. De cette survie qui se traine comme un disque noir à la mauvaise vitesse (moins de 30 ans ? vous ne pouvez pas comprendre). De cette cohabitation permanente forcée, avec ma famille que j’adore certes, mais où je n’ai jamais de pause vraie, de moment seule à seule, avec moi-même et surtout avec personne.  J’en ai vraiment besoin pour recharger mes batteries. Être à nouveau disponible pour les autres, pour des activités et des échanges. Sinon je deviens grognon – planquez-vous – je referme ma coquille et je sors mes piquants, et surtout, je souffre.

Tout me hérisse : la porte qui claque (encore), la voix de stentor du voisin qui téléphone depuis son jardin, les gosses en trottinette dehors, les chantonnements pourtant chuchotés de ma grande, la lumière du matin dans le salon, du midi partout, du soir dans la salle à manger, les 50 allers-retours à la salle de bains de mes filles à l’heure où je voudrais qu’elles soient dans leurs pénates, pour me laisser de l’espace dans les miennes.

Je voulais vous parler d’eau et me voilà à écrire sur l’espace.

Peut-être que c’est ça mon besoin aquatique en fait : un besoin d’espace visible, sensible, palpable.

Et là j’en suis complètement privée.

D’autant qu’il n’a pas plu depuis au moins trois générations (de moustiques). La météo nous promet un orage dans dix jours. Mais je sais ce que ça veut dire un orage à Mainz. On ne me la fait plus. Ça veut dire trois gouttes de pluie, un p’tit coup de vent, et au loin sur le (bas) relief du Taunus, un éclair ou deux. L’arnaque !

Cet autre jour donc, j’avais besoin de me défouler. Courir pour des raisons de lombalgies mal à propos, ça ne m’est pas indiqué. Taper sur quelqu’un ça ne se fait pas. En d’autres temps j’aurais sauté sur mon vélo avec mon sac de natation sous le bras et je me serais précipitée à la piscine. Du coup ce matin-là, furieuse, j’ai enfourché mes baskets et mon chapeau, et suis partie marcher sur le Grosse Sand (les grands sables).

Je me suis défoulée en grandes enjambées sur la terre tassée et le sable meuble. J’ai fermé les yeux pour avoir l’impression de marcher sur la plage, pour sentir le vent sur mes bras, mes jambes et mon visage. J’ai levé les bras très haut pour faire semblant de nager le crawl. J’ai inspiré les pins. J’ai marché pieds nus – comme j’avais vu d’autres le faire ici – pour sentir le sable couler entre mes orteils.

Au fur à mesure de mes pas, j’ai laissé tomber derrière moi, comme les cailloux du Petit Poucet, des écailles de colère. J’ai pu lever les yeux vers le ciel immense. Sur cette étendue plane, il prend sa vraie dimension. De gros nuages blancs joufflus chahutaient dans le bleu. On ne peut guère faire moins humide que cette steppe aride. Pourtant de l’eau il y en avait plein, partout là-haut. Il suffit de regarder vers le ciel quand les piscines sont fermées.

Ouais.

Presque.

N’empêche.

En rentrant mon monde avait compris (sac de pique-nique à l’appui) mon besoin viscéral et urgent de sortir de la ville et de se promener le long d’une rivière. Pour s’approcher d’un courant moins intimidant que celui du Rhin. D’une eau mobile que l’on peut sentir, traverser, écouter, renifler. Tant pis si l’on ne peut pas s’y baigner vraiment (c’est quoi cette mousse trop dense à la sortie du rapide ?). C’est déjà chouette de quitter ses chaussures et ses chaussettes, et de se tremper les pieds, de s’asseoir sur des galets (bon, pas trop longtemps à mon âge…). Presque comme en Ardèche… Si seulement…

Un virage à l’ombre, au bord du soleil, a accueilli notre pique-nique. L’éclair bleu d’un martin-pêcheur nous a ébloui, remontant le courant au ras de l’eau. Nous avons croisé des libellules de toutes les couleurs, un pic vert et un pic moins vert (épeiche ?), des grenouilles toutes petites mais très sonores. Hé on dirait que je ne suis pas la seule à rechercher l’eau !

La Lahn

Dès que je le peux je m’approche d’une eau vivante et libre : un torrent, une rivière, la mer, l’océan, ou sinon un lac. Un lac ça peut faire l’affaire, même sans vague ni écume, sans courant ou sans échappée. Surtout si on peut le frôler, pagayer, s’y baigner.

Visiter un pays d’eau par les chemins liquides c’est magique. Je me souviens de mes stages de kayaks dans les torrents glacés des Hautes-Alpes, et de mon regard curieux et émerveillé sur les montagnes que je longeais. L’été dernier nous avons fait une excursion en canoé sur une rivière du coin, la Lahn. Fort sympa aussi, surtout le passage d’une écluse. Mais quand on a grandi en Ardèche, qu’on a descendu les gorges des dizaines de fois, au milieu de touristes de toutes les couleurs (surtout rouge écrevisse), et même (surtout) dans le calme du hors-saison, ces rivières plates et sans falaises laissent sur notre soif.

Par défaut, en ville, un hammam c’est bien aussi. C’est même formidable un hammam en hiver . Pour retrouver son corps dans la chaleur moite, pour papoter avec son amie en sentant glisser le savon noir sur sa peau. Qui l’eut cru, qu’en Allemagne, pays d’immigration turque, je n’ai pas encore trouvé de hammam ?

Ce matin j’ai fait ma petite promenade le long du ruisseau avec mon amie simultanée. Une balade fraîche, même en pleine canicule. (J’y consacrerai un article à ce vallon caché, pour vous le présenter avec le respect qu’il mérite.)

Pour cet été je rêve de mer méditerranée dorée, d’océan gris et de rivières ardéchoises d’un vert noir là où elles sont profondes – sauf l’Ibie, une rivière farceuse, intermittente, en partie souterraine (par endroit des galets et des rochers blancs et secs, et à d’autres une eau turquoise). Je pense à la piscine de mon oncle (qui nous avait accueilli juste avant notre émigration outre-Rhin), couleur rivière, au ras de la garrigue cévenole écrasée de soleil et au gout de sel.

Dis, tu crois qu’on pourra y aller ?

PS : Je viens de lire que la piscine du quartier va rouvrir bientôt. C’est autorisé depuis hier, mais comme ils l’ont appris l’avant-veille, il leur faut le temps d’adapter les mesures d’hygiène. Autrement dit, celui de coller des affiches et des scotchs de partout.

PPS : La question reste entière. Après tous ces mois sédentaires, vais-je encore rentrer dans mon maillot de bain ?

PPPS : Hier soir les voisins se sont attelés à gonfler et installer un jacuzzi dans leur micro-jardin…. Ça promet des splashes et des bulles… nous allons baver d’envie. Et riposter avec notre tourniquet-qui-ne-tourne-pas et beaucoup arroser le gazon, pour se rafraichir à domicile, sans masques ni scotches.

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