Confinement oblige : nous allons passer notre premier Noël en Allemagne.
Bientôt Noël, un Noël bizarre un peu comme si on était dans un autre pays, avec des habitudes différentes. Mais sans partir de chez soi. Un voyage en intérieur. Une nouvelle expatriation immobile.
Nous allons passer en famille notre premier Noël en Allemagne. Pour moi, ce sera le deuxième.
Approchez, je vais vous raconter ma première fois.
C’était en décembre 1988. (Oui il y a bien longtemps.) Ma grande amie allemande (voir article L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne) m’avait invitée à passer les fêtes dans sa famille. Nous avions tout juste 16 ans. J’étais super excitée. J’avais demandé au prof de maths de bien vouloir décaler ma date de rendu des devoirs pour être plus disponible. (Il avait refusé). J’avais téléphoné à Susanne pour organiser mon voyage. A l’époque, sur l’appareil gris à cadran du séjour, un coup de fil à l’étranger était un événement coûteux.
Le premier samedi matin des vacances je suis donc montée d’abord dans un car puis dans un TGV pour Paris. Retenant mon souffle de campagnarde à la ville, j’ai changé de gare et attendu plus de deux heures en Gare du Nord le train pour Cologne. Le long trajet à travers les plaines du nord de la France, de Belgique et d’Allemagne était à la fois monotone et dépaysant. En cours de route, les douaniers sont passés contrôler les voyageurs.
Le train est arrivé de nuit dans les lumières du centre de Cologne, au pied des flèches de la cathédrale. Par un caprice d’architecte curieux, la gare moderne est blottie entre un monument gothique inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco et le Rhin.
Cette arrivée à Cologne me rappelait des souvenirs mitigés. Mais cette fois allait être différente : j’avais vraiment envie de venir ! Sous les néons de la haute verrière, j’ai aperçu par la vitre Susanne, sa maman et son petit frère qui m’attendaient sur le quai. Elle tenait à la main une rose.
J’ai tout de suite adoré sa maman que je rencontrais pour la première fois. Elle m’a prise dans ses bras comme sa fille. J’ai découvert leur appartement confortable, dans un quartier calme et vert, la vie d’une famille sans papa, et les machines à laver reléguées entre copines à la cave. A côté du lit de Susanne, un matelas avait été installé pour moi. Elle m’a montré sa nouvelle chaine stéréo et ses disques (noirs). Une photo de son père. Sur sa porte, était collée une grande photo d’elle au bord de la mer en Yougoslavie.
J’ai goûté les Plätzchen (sablés de Noël) pour la première fois (et à plusieurs reprises). Nous avons fait ensemble le sapin de Noël le 24 décembre au matin.
C’était une expérience nouvelle pour moi. D’abord parce que dans ma famille, pour ne pas tuer d’arbre, on ne faisait pas de sapin. (On décorait des branches de genet coincées entre quatre bûches.) Ensuite parce que Noël entrait dans la maison dès dès novembre pour tricher un peu sur le temps long et noir. La crèche de terre cuite prenait ses quartiers sur la longue hotte de la cuisine, décorée de mousse et de branches de thym, oliviers miniatures.
Pas de crèche chez Susanne. Ni d’escargots ou de treize desserts. Le 24 décembre au soir nous avons mangé une raclette (avec tranches d’ananas festif). Eh oui, c’est le plat national allemand pour Noël ! J’ai aussi appris que le 26 décembre est férié (comme en Angleterre : Boxing Day).
Le petit frère de Susanne a reçu un jeu de Risk (Risiko). Nous y avons beaucoup joué en croquant des noix. Ça m’a permis d’apprendre le vocabulaire de l’invasion de pays. On ne sait jamais. Sa maman nous a emmenés passer une journée à Amsterdam. Lors d’un tour en bateau sur les canaux, elle nous a indiqué la maison d’Anne Franck, et une maison très étroite, la plus petite de la ville. Au café Esprit, multicolore, j’ai fait comme ma copine et gouté mon premier capuccino. Je n’avais jamais avalé de café. A chaque gorgée, je me sentais devenir adulte.
Les nouvelles expériences se sont enchainées. Pour le réveillon du 31 décembre, nous sommes allées à la fête de son club d’aviron, au bord du Rhin. J’ai bu mon premier Sekt (le vin pétillant) et appris comment dire ‘’cul sec’’ en allemand (auf ex ! ). Après je me souviens surtout des escaliers qui bougent, des feux d’artifices qui éclatent partout dans le ciel de Cologne au-dessus du Rhin, de la pelouse froide et humide, de Susanne assise à côté de moi, et des gens qui nous regardent d’en haut : « On va les ramener. »
Heureusement le trajet à pied n’était pas long. Nous nous sommes effondrées sans mot dire sur nos lits. La maman de Susanne ne s’attendait pas à nous voir arriver escortées.
Le lendemain, nous étions toutes les deux invitées chez une amie américaine de ma famille. Mariée à un Allemand, elle vivait désormais à Cologne. Lorsque la maman de Susanne nous a conduit chez eux, j’ai emporté un sac en plastique. Dans l’entrée, nos hôtes nous attendaient en souriant. “Bonjour !” ils nous ont dit. Je me suis assise par terre dans le couloir et j’ai vomi dans mon sac.
Ils nous ont installées dans un lit de fortune. En fin d’après-midi, après une soupe, nous avons retrouvé une forme suffisante pour sortir comme prévu. A Bochum, une ville voisine, nous avons assisté les yeux grands ouverts, et la bouche aussi, à Starlight express, une comédie musicale en patins à roulettes. Je me souviens des lumières dans la nuit. De la musique forte, des costumes métalliques. C’était extra !
Quelques jours plus tard, il a fallu rentrer en France. (Dans le train du retour j’ai fait mes devoirs de maths.)
Hier Susanne et moi nous sommes téléphoné (par Skype cette fois). Nous avons évoqué notre Noël commun (brièvement, nos enfants étaient là ;o) ). Cette année, nous ne mangerons pas ensemble elle sera avec sa famille, dans la limite du nombre de convives et de foyer (je pose 2 et je retiens 8). Nous serons tous les cinq (yeah ! mon grand garçon a pu venir). Ensuite peut-être qu’avec masques, distances, grand air et tutti quanti, on se retrouvera pour se balader au bord du Rhin et se rappeler le bon goût de l’amitié en direct.
Le hard lockdown a été mis en place mercredi dernier. Les enfants ont gagné trois jours de vacances et voir du monde va être encore plus dur.
Ces derniers temps, la vie s’était translatée sur les trottoirs. J’ai attendu mon tour chez le coiffeur dans un abri extérieur, avec canapé coussins, thé et café à disposition. Presque une tente bédouine. (Presque un intérieur). Des panneaux indicateurs sont apparus devant un immeuble pour donner les sens des queues. Flèche à droite : pharmacie ; flèche à gauche : cabinets médicaux. (Oui pour aller chez le docteur on attend dehors d’être appelé à l’interphone.)
Chacun fait ses calculs pour savoir comment et dans quelles conditions se retrouver pour les fêtes (si la grand-mère vient, faut qu’on mette un ado dans le placard : lequel ?).
Pour le réveillon, notre escapade en Forêt noire est tombée à l’eau du confinement. Angela a interdit les feux d’artifice. Donc ma deuxième Saint-Sylvestre le long du Rhin sera silencieuse. Et propre. Pas de dépouilles de pétards dans les rues du lendemain. Ni dans notre jardin, même en notre absence.
Comme personne ne part dans le quartier, les enfants auront des copains avec qui jouer au foot ou au basket.
Ces vacances à la maison seront l’occasion ou jamais de sortir les jeux de (petite) société. Les enfants ont installé Risk sur le tapis du salon. Ils me rappelleront les règles. Nous allons voyager sur un plateau de jeu. Rêver de nos prochaines excursions. Nous imaginer envahir toute l’Europe. Un peu comme cela risque de se passer quand tout le monde aura été vacciné.
Tu n’avais jamais raconté “ta première gorgée de vin”,tu m’as bien amusée.Be good this time!
Joyeux Noël à vous en Allemagne.Plein de bises.Dany
Hi hi ! Merci beaucoup. J’espère que tu as pu passer un Noël entourée Dany ! gros bisous
Je m’égare sur ce post avec un mois de retard 😉
Toi aussi tu sèmes le blé ou les lentilles de la Sainte Barbe ? Bientôt 20 ans que nous franchi la Loire (le grand Nord pour nos familles !) et que je ne vois plus cette jolie tradition, plutôt provençale chez aucun de nos voisins. Amusant de la revoir dans une maison allemande
coucou,
oui c’est la tradition familiale du côté de ma maman qui était provençale (chez nous c’est les lentilles). Je l’ai fait toute ma vie, même dans le déjà grand nord de Lyon ;o) et je l’ai emmené avec moi en Allemagne.
Des amis d’ici m’ont parlé des Barbarazweigen : des branches de fruitiers coupées le 4 décembre mises dans un vase en attendant leurs fleurs pour Noël. Bises.