Les oies partent le dimanche en fin d’après-midi, dans une cacophonie de cour d’école. Leur chahut les annonce bien avant que le V ample n’apparaisse, pour un court instant, dans un carré de ciel givré. D’où vient ce charivari qui nous tombe dessus en pluie ? Nous levons le menton, après avoir éliminé les provenances terrestres possibles. Leur bavardage animé se poursuit longtemps sur le solfège de leurs grandes ailes.
Pourquoi mettent-elles le cap sur l’ouest ? Quel sextant les envoie sur quels azimuts ? Peut-être qu’à vol d’oiseau, le cap sur le soleil couchant leur garantit une arrivée plus rapide sur leur riviera africaine. Surtout si elles évitent les bouchons.
Ce matin j’ai croisé une fleur de violette. Je pédalais vite pour me réchauffer, pour avoir l’impression d’aller quelque part. Elle a traversé mon champ de vision, et mes yeux incrédules ont dû se retourner pour confirmer cet éblouissement minuscule. Timide et blottie contre le pied humide de la barrière en bois le long de l’étroit chemin, elle m’a souri. J’ai senti mon souffle ralentir et les muscles de mes bras se relâcher. L’hiver commencera bientôt, sous les arbres nus, dans l’humus noir et dense des feuilles désormais méconnaissables. J’aime découvrir ces touches de couleur dans le jeu de piste des jours décroissants, signes froissés éclaireurs du printemps. La coupe de crépon jaune acide de la primevère égarée en plein décembre, qui hésite à ouvrir les yeux, éblouie par la neige.
Ces jours-ci je redoute le départ du soleil, dans le sillage bruissant des oies grises, vers d’autres latitudes. L’empreinte du dernier hiver est encore fraîche, ce premier hiver passé en Allemagne sous le ciel lourd de l’isolement.
Le salut amical de la petite violette matinale, à l’heure des boutons joufflus des roses de Noël, m’a tendu la main depuis le mois de mars. Viens, tu verras, entre temps sur le chemin tu croiseras les boutons frissonnants des roses tardives, les perce-neige, les grappes ascendantes des bleus muscaris. Et les éclaboussures étoilées des Winterlinge, que tu ne connaissais pas, cadeau d’accueil en forme de voie lactée dans les sous-bois de ta nouvelle terre rhénane.