Vacances en France, retrouvailles et soirée électorale
La Côte d’Azur tient ses promesses.
Les parfums nous mènent par le bout du nez. Soumise je cède, de l’eucalyptus au jasmin rose, de l’oranger en fleurs au pittorsporum, du romarin au thym de la garrigue à cette plante collante et camphrée qui me rappelle les étés au bord de la mer de mon enfance. La glycine me suit partout.
Les aiguilles de pin crissent sous les pas et embaument la montée vers le fort. Le maquis de cistes et d’euphorbes rappelle celui de la Corse, là-bas au fond, où la mer et le ciel se répondent dans des harmonies de bleu ou de plomb, où l’horizon apparait ou s’efface sous les coups de pinceau de la lumière.
Assise sur la terrasse, je porte deux paires de lunettes l’une sur l’autre de vue et de soleil. C’est l’heure grise. Un merle chante. Un outil de chantier martèle. Le vent fait claquer les stores, emmêle les cheveux et emporte les voix.
Une mouette chasse un rapace qui s’approche de son nid, un pic vert piaille et sort d’un buisson en flèche. Une buse attrape entre ses serres une grosse sauterelle qui venait d’atterrir, vrombissante, dans les boutons d’or. Hier soir quand j’ai fermé les volets, un gecko m’a frôlée en tombant. Mes filles tressent des couronnes de pâquerettes.
Dans cet air doux et parfumé, entre des villas de la Belle époque au charme suranné, je pardonne leur raideur aux palmiers et aux oiseaux de paradis. Pas aux immeubles. Mais bien sûr chacun veut sa part de vue paradisiaque.
Comment résister à la baignade quand le soleil chauffe les galets ? Le premier contact avec la mer fait rentrer le ventre et hausser les épaules. Comment sortir d’une eau transparente même fraîche ?
Nous faisons une cure de beauté et de nature sauvage dans ce territoire densément construit. Une cure de France. Chez Picard, mes filles prennent des selfies avec leur pizza préférée.
Mon mari travaille dans le bureau. J’écris face à un paysage à couper le souffle, la mer calme aujourd’hui lèche le cap Ferrat. Le phare se tait jusqu’à la nuit où il nous guidera vers la terrasse pour écouter les grenouilles de la maison du dessous, les étoiles et la lune. Avez-vous remarqué comme la nuit, les parfums de fleurs se renforcent ?
Quelle joie d’entendre l’accent méridional chantant. Celui qui me fait retrouver le mien. Celui qui entendu à Paris me fait monter les larmes aux yeux. Mais dans ce territoire prisé des étrangers, ça parle anglais, américain et italien. A Beaulieu, on entend du russe. Sur les panneaux, tout est traduit en cyrillique, sauf l’affiche de soutien à l’Ukraine sur la vitrine du petit casino. L’Ukraine, vraiment peu présente à Nice par rapport à Mainz. Nous n’avons dû la croiser que dans la librairie où j’allais faire des stocks.
C’était après ma séance de coiffeur, avant les courses chez Monoprix. Vous connaissez ma sainte trinité des vacances à la maison : bouquins / coupe / shopping.
J’ai confié ma tête à un artisan avec vue sur mer, et me suis laissé convaincre de faire un balayage.
-Mais j’ai pas le temps, toute ma famille m’attend…
Ils ont patiemment attendu. Moi aussi. J’ai mijoté sous une cape, des papillotes de plastique, un casque chauffant et mon masque.
-Vous gardez le masque, vous.
-Oui je suis formatée à l’allemande. Ça fait qu’une semaine qu’on a le droit de l’enlever, et personne ne le fait.
(Entre cet épisode et aujourd’hui, j’ai abandonné le masque, en bonne Française).
Epreuve du miroir à main :
-Ça vous plait ?
-Oui oui.
Pour une fois c’est vrai.
Voilà le moment que je redoute : payer devant la haie d’honneur des employés du salon autour du comptoir. Epreuve du pourboire. Avec moi les gars, désolée c’est mort. En France je ne sais pas faire. Glisser un billet ou une pièce dans une poche ou une main, je trouve cela humiliant pour la personne qui reçoit. En Allemagne je sais faire : on annonce le montant qu’on veut payer, même par carte. Il n’y a pas de geste dérobé.
Allez zou. Reprenons là où je vous ai quittés la dernière fois.
Nous sommes bien arrivés à Nice, dans la nuit, secoués par les rafales et avons changé de saison en une heure et demie.
A l’aéroport, ma fille ado s’est fait contrôler sa valise.
-Mettez-vous de côté. Vous êtes étudiante ? Ouvrez votre valise. La police arrive.
(Avec un uniforme et en allemand ça fait peur, même quand on est adulte).
Je surveille à distance, mon mari la rejoint tandis que deux types avec gilet pare-balles, pistolet et toute la quincaillerie à la ceinture jettent un œil aux bricoles d’une ado. Au scan, ils avaient repéré un objet volumineux suspicieux.
Un livre.
Je vous avais prévenus : les Mayençaises qui lisent sont dangereuses.
Premier tour des élections présidentielles. Soirée électorale.
Nous avons voté par procuration à l’Institut Français de Mainz (merci copine !). A vingt heures, nous attendons avec appréhension les résultats dans cette leçon de citoyenneté pour nos filles. Leurs commentaires ouverts sont intéressants : elles ne connaissent de la politique que la théorie apprise à l’école et discutée en famille lors des dernières élections allemandes. Nous n’avions pas le droit de voter pour le chancelier, mais pour les européennes et les municipales oui. C’était une expérience très intéressante de faire des croix (combien ? où ?) sur un drap de lit dans une ambiance plus décontractée que dans un bureau de vote français.
Les candidats se succèdent à l’écran. Un ami anglais se lève et quitte la pièce :
-C’est pas intéressant.
A chaque nouveau visage, ma plus jeune demande :
-Et lui / elle c’est une bonne personne ?
Oui, si c’est un parti modéré. Non si c’est un populiste extrémiste. Lui / elle c’est un (e) journaliste.
Ma plus grande a étudié les programmes reçus à Mainz, nous lui avons appris à décoder le vocabulaire séducteur et fallacieux.
Quand celle que nous nommerons la blondasse arrive à l’écran, je n’arrive pas à écouter. J’ai envie de vomir. Ma fille dit :
-C’est la seule qui sourit.
Et pour cause.
En avril 2002, le premier tour des élections avait eu lieu pendant que j’étais en vacances en Corse. Je n’avais pas fait de procuration. Jeune et idiote, je ne me sentais pas concernée. Ce serait sans doute comme toujours un duel entre la droite (modérée) et la gauche (modérée). J’ai écouté les résultats à l’autoradio de la Toyota, sur une petite route. Je n’ai plus jamais raté d’élection.
La présence de l’extrême droite au deuxième tour se normalise. Quelle horreur. Les gens n’ont-ils aucune mémoire ?
Je ne veux rien savoir de son programme, je ne regarderai pas le débat qui n’en a que le nom. En consultant d’autres infos j’ai vu qu’elle voulait gouverner par référendum. Ben voyons. Court-circuiter les institutions, agir anticonstitutionnellement (yes, je l’ai placé). Augmenter encore le pouvoir présidentiel. Glisser vers un régime autocratique.
C’est sûr on n’en a pas d’exemple de référendum catastrophique autour de nous. Le Royaume-Uni ne se mord pas du tout les doigts depuis le Brexit. Et les dictateurs on ne sait pas non plus comment, insidieusement, ils arrivent au pouvoir. On ne l’a jamais vu.
Hier sur France Inter j’ai entendu que plusieurs états américains reviennent sur le droit à l’avortement. Cette glissade collective de ‘’l’Ouest’’ vers le chaos donne l’impression de caprice d’enfants gâtés. Quoi tout n’est pas parfait ? La baguette magique n’existe pas ? Alors cassons tout. Quand on frôle une civilisation équilibrée, quand il semble que les Hommes ont enfin compris qu’attaquer son voisin ne sert à rien, y’en a qui s’ennuient.
Ils tirent dans le tas.
Putain.
Votez Macron. Même si vous ne pouvez pas le voir.
S’abstenir c’est faire le lit de l’extrême droite.
Votez pour la démocratie.
Je me suis plantée dans mon article précédent, j’ai dit que je n’avais jamais vu de dictatrice. Y’en a une qui se prépare pour notre usage exclusif.
Le bruit de bottes glacent tout le monde, pas juste l’étranger, celui qui ‘’dérange’’. Même l’électeur qui se croyait l’élu, du bon côté de la barrière. A Marineland tout le monde dansera avec des ballons sur le nez. Dans des cages.
Savez-vous que la ville de Mainz se frotte les mains ? Avec les taxes versées par BioNTech, elle a touché la poule aux œufs d’or. Dans la presse les articles fleurissent : comment utiliser cette manne ? Le laboratoire a été fondé par des chercheurs turcs. Des immigrés.
Aujourd’hui le monde entier les remercie.
J’ai un faible pour Emmanuel Macron : il ressemble à mon petit frère. L’autre jour quelqu’un lui a demandé un selfie. A la fête de famille le week-end dernier un invité m’a dit :
-Il ressemble à Macron ton frère, j’étais encore avec lui la semaine dernière, c’est frappant.
J’ai aussi un a priori positif pour un homme qui épouse une femme plus âgée, qui ne profite pas du tremplin du pouvoir pour se barrer, casqué ou non, dans les bras d’une actrice. Un homme raisonnable et fiable donc, qui ne demande pas de croire au père Noël et se bat pour l’Europe unie.
Depuis que je regarde la politique française avec un œil infiltré sur la politique anglaise et un regard extérieur et comparatif, je vous le dis : avant de casser l’imparfait, jeter un regard par-dessus la frontière. Sous les pieds méprisants du cirque de BOJO, l’herbe pourtant bien arrosée est nettement moins verte. C’est quand on la perd qu’on se rend compte de la chance qu’on avait.
Nous sommes venus jusqu’ici pour des fêtes de famille. Avec des cousines égarées depuis des années, trop d’années, nous nous sommes tombées dans les bras, en pleurs. En rires.
-Regarde-nous comme des godiches ! On a le mascara qui dégouline.
Tant pis. Je m’en fous. C’est bon de tenir ceux qu’on aime dans les bras, on aurait presque oublié, fichue pandémie. Dans l’assemblée endimanchée, quelle importance les yeux de panda quand on a des étoiles dans le cœur ?
Quitter le bord de mer pour une journée volée avec un autre bout de famille pour un pique-nique dans la garrigue. Entre les pins, ne pas chercher les traces de son enfance. Ne pas se dire que les générations ont glissé et que les parents aujourd’hui c’est nous, que ma cousine a bientôt l’âge de ma mère à son départ. Bien regarder les présents pour ne pas penser aux absents. Casser quelques tiges de thym en fleur pour la tisane de nos enrhumées. En partant, laisser des petits bouts de cœur avec chacun.
Sur la piste de cailloux blancs, conduire lentement, faire un écart dans le bas-côté pour ne pas déranger une partie de boules.
Oublier le compte à rebours vers le nord.
PS : Puisque nous sommes à Villefranche-sur-mer, je ne résiste pas à vous parler d’un de mes films fétiches dans lequel une scène y est située : An affair to remember de Leo Carey (Elle et Lui), avec Cary Grant of course. Fait orginal, c’’est un remake de 1957, par le même réalisateur, Leo Carey, de Love Affair (1939).
C’est un des deux films qui ont inspiré Sleepless in Seattle (Nuits blanches à Seattle). L’autre, The courtship of Eddie’s father (Il faut marier papa) n’est pas mentionné, coquine de Norah Ephron.
(Je n’ai pas trouvé de lien gratuit sur internet qui ne soit pas en .ru.)
PPS : Je n’aime pas faire de politique ici, mais certains sujets trop graves emportent mes doigts.
Tant de plaisir à te lire ma cousine! Je suis tellement d’accord avec toi! Mille bises
Merci ma cousine ! Gros bisous.
Merci Estelle. Et oui, un coup de gueule de temps en temps ça fait du bien et comme dirait une de mes amis allemands avec son français approximatif : “c’est très nécessaire”. Et bien sûr que j’irai voter dimanche ! Bises
Hihi, très nécessaire oui j’adore ! merci Véro et gros bisous à tous.