Escapade au Pays basque, maisons et compte à rebours
Chers amis, me revoilà.
Même si mes publications ont dû s’espacer, je ne vous ai pas oubliés. Je vous ai même écrit, plusieurs articles, dans un de mes petits cahiers (le numéro 5 en papier kraft), sans aller jusqu’à les taper et les publier. Pourquoi ? Trop d’instants volés par les kilomètres en voiture, la covid, les renseignements à demander, les décisions à prendre.
Et, surtout, surtout, je devais me taire pour honorer une promesse de silence à ma grande fille.
– Maman tu ne dis rien à personne, hein. Tu ne le mets pas dans ton blog.
– OK. Non, non.
– Je tiens à prévenir mes amis de Lyon moi-même.
– D’accord, d’accord. Tu comptes le faire quand ?
– Bientôt, t’inquiète.
Bientôt.
Ce bientôt-là a eu une durée de vie de plusieurs semaines. Cette jeune fille-là aussi a regardé ses instants s’envoler. Kilomètres en voiture et covid, oui, mais surtout recherche de la carte postale idéale pour y écrire, la tête penchée sur un coin de table de jardin, avec un stylo bille bleu : devine quoi, on rentre.
ON RENTRE.
Si vous lisez cela ici, c’est que la Deutsche Post a bien fait son boulot : les cartes sont parties à 16 heures, arrivées peu de jours plus tard, et ont été lues par les yeux pétillants de jeunes filles qui ont dû faire des bonds avant d’attraper leur portable pour appeler leur amie outre-Rhin et hurler dans l’appareil un YEAH !!!!!!!!! immense.
— TU RENTRES ?????!!!!!!
Affranchie de mon engagement, je peux vous l’annoncer.
Notre nouveau pays sera l’ancien. Nous rentrons en France. Nous déménageons bientôt à Lyon.
Ce n’est pas un retour, mais un nouveau départ.
YEAH !!!!
(Aïe, je me suis cognée au plafond.)
Youp la boum !
Décision prise le plus vite possible pour lancer un compte à rebours impatient. Chaos. Rires. Doutes. Questions. Sourires. Questions. Larmes. Coups de fil en allemand, en français. Tableaux Excel.
Le logement est trouvé. On n’a pas voulu de nous pour une location et c’est tant mieux (je l’avais lu : au retour d’expatriation, se tourner vers l’achat. Les fiches de paie étrangères effraient les propriétaires). Les travaux à venir m’enchantent. C’est la première fois que je vais pouvoir jouer avec une maison et un jardin (déjà riche de grands arbres !).
Discussions avec ma meilleure moitié.
— Alors c’est sûr on y va ?
— On y va.
On y va.
— On s’engage pour l’achat ?
Clic.
Vive les formalités dématérialisées. Le compromis a été signé dans la salle à manger relativement fraîche d’une chambre d’hôtes du Pays basque, une ancienne ferme. Mon mari et moi nous sommes évadés – merci à un camp de jeunes sous les pins en bordure d’océan pour qui vous savez. Mes souvenirs du Pays basque à la même période (début août) étaient verts et détrempés. Assommée de pluie têtue j’avais décampé au bout de quatre jours pour réclamer la grâce d’un ciel provençal.
Cette année – comme tout ce qui vit – pendant ma halte basque, dans ce pays incroyable où les bananiers côtoient les châtaigniers, je rêvais d’eau. Pour mouiller la terre, ressusciter les végétaux et surtout céder, contrainte, à l’impératif du repos dans une maison aux recoins pleins de charme, bercée par le crépitement de la pluie.
Cela n’a pas été.
Les semaines précédentes (comme celles à venir), se ressemblaient par leur effervescence. Après la cure de lecture au lit et en transat (yes, la covid), je trépignais d’envie d’attaquer celle d’Ossau Iraty fermier et de crapahuter. Nous l’avons fait, par 39 °C à 1400 mètres d’altitude. Les Pyrénées jaunis, avec leurs chevaux pottok ensauvagés et les vaches et brebis en estive évoquent la Mongolie.
Pendant une randonnée, le long d’une allée forestière qui surplombait un ruisseau, au détour d’un virage, nous avons eu la surprise d’être frôlés par un silence emplumé de trois mètres d’envergure.
Sursaut, en levant la tête pour suivre l’oiseau majestueux du regard. Voici un aperçu au ralenti des idées qui ont fusé dans ma cervelle : Oh un héron ! Mais non c’est trop gros pour être un héron. UN AIGLE ? UN AIGLE ! Un aigle de si près ? Whaou !!!!
— Un vautour.
Mon mari est zoologue de formation. (Et imperturbable.)
Le rapace s’est posé sur la piste de terre. Sur la pointe des pieds, nous avons rebroussé chemin pour l’admirer et faire un signe muet aux randonneurs qui montaient. Attention, admirez ! (Et oui, tenez votre chien). Cou nu, plumes aux pattes, bec crochu. Je pense à la fin du dessin animé du Livre de la jungle où quatre vautours à l’accent de Liverpool rappellent les Beatles. (Oui, c’est ma seule référence concernant les vautours).
—Hey Flaps, what are we gonna do?
—I dunno. What d’ya wanna do?
La promenade s’est conclue à 650 mètres d’altitude, au pied de falaises, dans une gueule de pierre à l’haleine gelée : une grotte remplie d’un petit lac souterrain, la source de la Bidouze. Cette rivière courte au nom rigolo (bidule, bidouille, Cornebidouille la sorcière…) se jette à 80 km de là dans l’Adour. La sécheresse interdit toute baignade, même dans les larges méandres en aval. L’eau stagne presque et les algues échevelées en ôtent toute envie.
Bien sûr, mon mari et moi sommes entrés au fond de la grotte en quête de frissons au propre comme au figuré. Au fond du gouffre, dans l’obscurité, l’eau mystérieuse chante et la voûte lui répond. Je ferme les yeux pour mieux écouter. D’où vient-elle cette rivière ?
Allez viens, on enjambe les arbres tombés pour voir plus haut. Oui, même celui sur lequel un panneau, désormais à l’envers, précise : chemin sans issue. Au pied des mêmes falaises, quelques mètres plus haut, une deuxième grotte, plus basse, autre flaque froide, autre lit presque asséché.
J’exulte.
J’existe.
Il ne m’en faut pas plus. L’aventure avec ma moitié. Le fou rire de l’eau, même sans cascade. Les gloussements cuivrés des cloches au cou des vaches. Ma blague vaseuse (mais involontaire) à propos de je ne sais quoi : « Y’a un truc qui cloche ». Des variétés de fougères encore inconnues. Le parfum du peuplier et la douceur des troncs de hêtres sous ma paume. Un pied de papyrus. Pa-py-rus, oui comme en Égypte, sur le chemin du vautour. Les racines à enjamber pour ne pas trébucher. L’ombre dansante dans l’herbe. Les papillons qui virevoltent comme ivres di soleil vertical, chaque espèce au-dessus de sa variété de fleurs.
Le luxe de pouvoir se taire. Parce que là, personne ne va me dire :
— Maman, j’ai une question.
Et je n’aurais pas besoin d’essayer de répondre, vite, vite le plus vite possible, avant que la prochaine arrive… Au quotidien je traverse les heures sur le qui-vive. À la fois dehors (avec la crainte de me faire engueuler parce que j’aurais fait un truc de travers selon un local intégriste de La Règle) et dedans, en famille.
Exemple de conversation familiale :
— Question 1
— Ré…
— Question 2
– …pon…
– Question 3
– … NON MAIS TU LA VEUX TA RÉPONSE OU PAS ?
– Pardon je croyais que tu avais fini de parler.
(Mes enfants, sachez si vous me lisez, que je vous adore… Mais, vous le savez aussi, puisque je vous le répète tous les jours : la pause entre deux mots c’est pour RES-PI-RER).
Pour avoir une chance d’en placer une, j’ai tendance à parler aussi vite que possible, à faire au plus bref et avec un vocabulaire simple (ma plus jeune a passé deux fois plus de temps à l’école allemande qu’à la française).
Vite. Bref. Simple. Respirer. Vite. Bref. Simple. Reprendre ce qui a été dit et traduire les mots inconnus. Respirer. Vite. Bref. Simple.
Répéter. Les étapes. Les phrases noyées dans le brouhaha. Oubliées.
Je vis en apnée.
Vous voyez pourquoi je ressuscite le soir, quand je peux m’évader, me planquer – sous rien du tout en ce moment – et débrancher les alertes dans ma tête avant qu’elles ne sonnent. Toutes. En même temps.
Vous voyez aussi pourquoi j’écris…
Retour au Pays basque (oui on n’a pas trouvé plus loin en France).
La rando est finie. Dans le ruisseau, nos pieds fraichissent un long moment. Ça sent le figuier au-dessus de nos têtes. De gros têtards nagent sur nos orteils et de petits poissons viennent grignoter nos peaux mortes. Oh comme en Ardèche !
Reprendre la voiture pour rentrer à la chambre d’hôtes.
– C’est quoi la route ?
– Je ne sais plus. Attends je vais mettre le GPS. Le village c’est quoi ?
– Hum, Ra… non Re…
– Et la chambre d’hôtes, son nom ?
– Hum… ça commence par un O et y’a des A, un X un H…
Vive le basque (euskara) ! Une langue extraordinaire que tous les locaux parlent (partout des écoles bilingues) difficile à lire, impossible pour moi à retenir. Les panneaux bilingues sont savoureux. C’est une langue gaie à laquelle je ne pourrais pas participer. Une curiosité de linguiste. Elle n’a aucun lien avec ses voisines. Elle me fait penser à de l’islandais. Il parait qu’elle a en commun avec l’allemand de se décliner, d’avoir le verbe à la fin et d’agréger les mots pour en construire de nouveaux. Si je vivais sur place, je devrais me promener comme les écoliers en sortie scolaire, avec mon adresse écrite sur une étiquette autour du cou. Je ne saurais jamais où j’habite.
Un peu comme aujourd’hui : bientôt, je serai SDF.
Je me souviens quelques semaines après notre installation à Mainz, en revenant du centre-ville, j’avais décidé de passer par les rues de derrière. On m’avait montré un chemin piéton entre les arbres. Mais la distance entre l’arrêt de tram et ce raccourci me semblait plus longue que dans mon souvenir. Je marchais hésitante. Dans un camion de livraison garé, un homme jeune, à la peau marron comme disaient mes filles petites, m’a interpelée.
— Vous cherchez une adresse ? Je peux vous aider ?
— Euh… Merci c’est gentil. Oui, je cherche mais vous ne pouvez pas m’aider… Je cherche ma maison.
Aïe. Aïe. Aïe… Rattrape le coup Estelle…
— Oui, ça fait peu de temps que j’habite ici et d’habitude je rentre par l’autre côté.
Ouf. Ouf ?
Déjà plus vraiment chez moi dans la maison de Mainz, pas encore chez moi dans celle de Lyon… Avec une période tampon d’une poignée de semaines dans les mètres carrés temporaires et impersonnels de deux studios dans un appart-hôtel, équipés d’une chienne craintive qui aboie au moindre bruit et d’une gerbille clandestine.
Entrée dans un no woman’s land pour une durée indéterminée.
Je ne garde pas de bons souvenirs des deux premières semaines de notre arrivée à Mainz, dans une maison Airbnb en attendant de pouvoir s’installer dans la nôtre. J’appréhende celles qui frappent à la porte. Il nous faudra créer de nouveaux repères, la vie lyonnaise ne nous a pas attendus. Déjà je galère tant et plus pour reconstruire un réseau médical. Les places sont chères et on m’a plusieurs fois raccroché au nez. (Mais qu’est-ce qu’ils attendent au ministère de la Santé pour augmenter le numerus clausus ?)
Au petit déjeuner à la chambre d’hôtes, nous avons bien sûr bavardé avec les autres touristes. J’ai dérapé vers mon accent ardéchois en entendant le chantant du Sud-Ouest. (Oui, repassez-moi le gâteau basque, merci).
— D’où on vient ? Hum, c’est compliqué. D’Allemagne, mais on est français et on déménage dans moins de trois semaines. Oui, on rentre en France.
— Eh bien, vous, vous ne sentez pas le renfermé !
(J’espère bien que non).
Ils doivent nous trouver cinglés, en vacances à 1500 km de chez nous, à quelques jours d’un grand chamboulement. Pourtant ces quelques jours de pause, en pointillés entre les formalités, sont indispensables. Nous savons trop bien ce qui nous attend.
(J’évite d’y penser, sinon je cours me planquer au fond du lit, les yeux fermés et les mains sur les oreilles. Je ne suis là pour personne. Même pas pour moi.)
À Cambo-les Bains, nous visitons la maison d’Edmond Rostand, la villa Arnaga. Une ferme basque géante, superbe, entourée d’un jardin anglais propice au recueillement et d’un jardin d’apparat à la française. Un poème de pierre et de verdure comme l’annonce le dépliant. (Je fais le calcul : dix fois plus grande que notre futur chez nous, garage compris.) Après l’avoir découverte dans Invitation au voyage sur Arte (j’adore cette série au format bref : un lieu, un artiste), je suis ravie de la visiter. Dire que c’est son médecin parisien qui a envoyé le poète à Cambo-les-Bains en 1900 pour y soigner une maladie pulmonaire. Oui, ce médecin était maire de la commune basque (drôle d’époque ?!).
Je prends des photos et des idées pour notre futur chez nous. On ne sait jamais… Peut-être une harmonie de couleurs, une ligne peuvent-elles être reproduites, adaptées à un pavillon de banlieue un siècle plus tard ? Je m’indigne devant la légende d’un tableau : mais non, ce ne sont pas des roses… ce sont des pivoines. Et dans la salle de jeux des deux garçons où les murs sont illustrés des débuts de chansons enfantines. Mais non, ce n’est pas le pont d’Avignon ça !
Thé brûlant à la terrasse brûlante d’un restaurant panoramique à un col, avec vue sur Saint-Jean-Pied-de-Port. La jeune femme de l’accueil note notre réservation pour remonter y diner et commente :
— Oh c’est super de venir le soir ! C’est encore plus beau quand la nuit tombe et que les villages s’éclairent. Il fait moins chaud, la lumière est plus douce…
— Tant mieux. Vous avez une très jolie coupe de cheveux
(Vous le savez, c’est mon obsession depuis que je n’ai plus accès à un coiffeur de style français). Échange sympathique, souriant, sincère. Comme à la boulangerie du village ou à la cabane d’alpage. Mon mari et moi sommes scotchés.
— Qu’est-ce qu’ils sont sympas les gens par ici !
— Oh oui je me sens trop bien. T’es sûr qu’on peut pas déménager dans le Sud-Ouest ?
Je ne connaissais du caractère basque que les tags indépendantistes de Bayonne. Là nous sommes sous le charme. Politesse et gentillesse. Ouverture.
Lorsque, de retour à Mainz, une famille amie passera nous dire au revoir, et nous racontera son séjour en Bretagne, ils nous diront : « Comme les gens sont sympas dans les commerces ! Ici, les gens, au boulot, ils font la gueule. »
Accolades. Bisous. Larmes écrasées. Passez nous voir quand vous descendrez à Palavas.
(Tous les gens de Mainz connaissent Lyon, ou disons, le tunnel de Fourvière et le musée des Confluences).
Rondeur des jours.
Oui, le contraste est immense. Je ne suis pas fâchée de quitter une culture à angles droits où je me cogne partout. Une langue que j’aime beaucoup, mais plutôt en pointillés. Quand je dois m’exprimer au quotidien, le fond des choses me glisse entre les mots et me laisse frustrée.
Pourvu que nous continuions longtemps d’apprécier la douceur des échanges en France ! (Enfin, tant qu’on ne cherche pas un médecin généraliste.)
L’heure est au dédoublement administratif et au tri. L’embarcation tangue, mais nous tenons le cap et les échéances. Dans notre nouveau nid, une longue période de poussières et travaux nous attend. Mais nous aurons les pieds sur terre. Et ce sera la nôtre. Tant pis si en ce moment nous ne la touchons pas.
Aujourd’hui Mainzalors.com a trois ans !
Merci à vous mes lecteurs fidèles.
Bon nouveau départ à Lyon alors! Les déménagements, emménagement sont toujours difficiles humainement et logistiquement. Plein de courage à vous!
7 ans pile poil pour nous en Allemagne et pareil sans être expatriés mais immigrés avec 5 enfants 100% en école allemande. Je ne sais pas si on reviendra en France un jour autrement que pour les vacances. L’avenir nous le dira.
Merci beaucoup Juliette, oui c’est dur d’arracher nos nouvelles racines pour les planter ailleurs, même en terre connue.
(C’est drôle, je pensais que ton mari était allemand.) Non, on ne sait pas, et puis une occasion se présente… Bisous.
Houla non! Mon mari parle à peine l’allemand… le plus dur c’est pour lui finalement.
Ah bon ! :o) Bises
Bonne continuation dans cette nouvelle tranche de vie!
J´aimais lire vos impressions sur l´Allemagne … le blogva-t-il changer de nom?
Merci beaucoup Laurence !
(Pour l’instant je ne change rien, on verra à l’usage.)