En Avril, reste dans ta coquille

Vacances de Pâques à la maison, comme à Noël, comme l’an dernier.

Ce n’est pas une surprise.

Chaque jour qui passait nous le confirmait. On allait encore être assignés à résidence aux vacances de Pâques. Privés de France et de dépaysement. La vaccination n’avance pas : les plus de 70 ans commencent à peine. Les communiqués du Minsitère de la Santé allemand misent tout sur les tests rapides, en précisant que seuls les résultats positifs sont sûrs, quand on a déjà des symptômes. Pour les négatifs, prière de prendre les précautions habituelles.

Pourtant, on a voulu y croire.

Nous avons réservé une colonie de cheval pour les filles. Elles se sont tellement régalées aux vacances d’automne, elles voulaient y retourner. Nous étions ravis de nous échapper en amoureux (bon presque, avec la chienne) dans une location sur la mer du Nord.

Les deux projets ont été impossibles. Bien sûr.

A Noël nous avions déjà réservé (puis annulé) un gîte en Forêt noire. Au cas où.

On a l’impression de faire un effort et de jouer le jeu du sacrifice à la pandémie : les vacances en Allemagne c’est pas notre premier choix. Mais sans frontière entre notre résidence et notre destination de congés peut-être pourrons-nous partir ? Oublions pour l’exercice que l’Allemagne est un pays fédéral et que les règles peuvent changer d’un Land à l’autre.

Un calcul naïf. Un mélange de déni, d’espoir, et d’ennui.

Si, si. Faisons comme si. Comme si tout était possible dans deux, trois mois. Réservons des vacances.  On y gagne une semaine d’évasion condensée en quelques minutes de clics.

Là regarde, ce sera bien ! Imagine les promenades dans les dunes de plages blanches ! Tu sens le sable qui glisse sous tes pieds nus et le vent dans tes cheveux ? Découvrir enfin la Wattenmeer, ces étendues immenses découvertes à marée basse comme dans la baie du Mont Saint-Michel ! Le gîte est dans une maison ancienne, sur un petit port où s’amarrent les bateaux de pêche à la crevette. Le phare rayé rouge et jaune se rejoint à pied dans les landes. On pourra peut-être prendre un ferry pour visiter le chapelet d’iles au large des côtes néerlandaises et allemandes. Ah, sentir la respiration de la mer. Voir l’horizon de près !

« On, pronom imbécile, mis pour celui qui l’emploie. » comme disait ma tante, institutrice en Provence. 

On a joué.

J’ai, tu as, il/elle a perdu.

On recommence.

Et les vacances de Pentecôte ? (Les vacances d’été commenceront mi-juillet : on a perdu les congés de février mais gagné cette coupure fin mai).

Nos corps vaccinés pourront s’échapper vers une grande braderie de destinations. Evadez-vous, y’en aura pas pour tout le monde ! Pour éviter les bouchons et la foule il faudra… rester en Allemagne, mais loin de la côte et des reliefs. A la maison quoi.

Non.

Pourtant, patientons avant de retomber dans le cycle fou de l’analyse de probabilités corrigées des données de vaccination et des destinations possibles sous conditions, suivi de la lecture du guide touristique un fluo à la main, puis du clic de réservation avec le petit mail de précaution (et si….).

Compte à rebours désenchanté. Déni jusqu’à la dernière minute. Colère.

Encore.

Là on a envie de dire des méchancetés à qui veut les entendre (et même à ceux qui ne le souhaitent pas), de faire payer à son entourage la monotonie des jours. De lui faire bouffer ce chien qui aboie de plus en plus. De vider un seau d’eau sur la tête des voisins qui passent leurs nuits de week-ends à boire de la vodka sur leur terrasse – c’est-à-dire sous nos fenêtres.

Quand on a vécu dans le grand nord de la Russie, le froid n’a pas de prise : ils font ça en toutes saisons. Un peu gênés et apeurés d’aller leur dire qu’ils nous emm… (c’est le monde à l’envers), nous avons sonné à leur porte. Monsieur a répondu avec le sourire : “Dites-nous sur le moment quand ça vous embête ! On ne veut pas que vous accumuliez de la rancoeur !” Bien sûr. Trop tard. Il n’y a rien de plus réceptif qu’un cerveau alcoolisé. Ils abdiquent toute responsabilité et nous transfèrent le rôle de cadrer leur comportement irrespectueux. Comme des gosses. Où sont les ”vrais” Allemands du quartier ? Ceux qui rappellent à leur prochain l’impératif de respecter les règles sociales et téléphonent à la police à 22h15 ? Dont le regard muet vous met au garde à vous ? Ceux qui installent des portes aux cagibis des poubelles pour que les immigrés franco-anglais du coin de la rue (nous) ne viennent plus y poser un petit sac de compost bien fermé. Ah ceux-là, quand on en a besoin….

Résignation.

Allez, il fait beau, on va pique-niquer. Les balades stimulent. On fait semblant de prendre l’air et on ramasse quelques miettes de dépaysement. Les alouettes égaient des champs monotones. Ça sent le miel et le chou. Des éoliennes dépassent au creux d’une forêt (c’est écolo mais qu’est-ce que c’est moche : ça ruine le côté sauvage de la campagne. Ici elles prolifèrent, peut-être pour se racheter une conscience d’abuser de l’électricité au charbon de la Ruhr ?)

Quelques poches d’épicéas verts résistent au milieu des squelettes de leurs confrères. Les sécheresses des derniers étés ont prélevé leur dû. Il faut enjamber des troncs à terre. Sous les conifères les flancs des collines ressemblent à des mikados géants. Les forestiers coupent, entassent, replantent des espèces résistantes à la nouvelle chaleur. Ça ne me surprend pas : j’ai toujours associé l’épicéa à l’altitude. Ici ils poussent (poussaient) en plaine. Quand j’en vois mon corps réprime un frisson inutile.

Puisque c’est la saison, plantons ! J’abreuve d’engrais les fleurs installées dans notre pauvre terre de remblais. Je sème et je repique. Inspirée par une amie dont les semis prospèrent je m’applique. D’habitude c’est free style. Incapable de résister, chaque année j’achète plein de sachets de graines. Je les éparpille dans tous les trous de terre libre. Puis je les oublie et j’espère… Un germe vert me comble jusqu’à ce qu’il s’étiole faute de soins précis. Seules les capucines et quelques cosmos pardonnent l’improvisation.

Cette année j’ai semé à l’intérieur des zinnias et des pois de senteur (ensemble par erreur), des soucis, de la bourrache aux étoiles bleues au gout de concombre, et des mufliers. Ils poussent à des vitesses très différentes. Les soucis s’étirent, les mufliers plantés quelques semaines plus tôt restent minuscules. J’ai éclairci patiemment. Ma pépinière de petits pots se tend vers la lumière. Comme dans les caves de champagne, je tourne mes protégés un peu chaque jour. Hier, encouragée par la chaleur, j’ai semé dehors, directement dans de gros pots, les capucines et les cosmos et une prairie fleurie. J’ai bien arrosé.

Bien sûr Gaïa aime fourrer son nez dans les pots. Que trouve-t-elle à y manger ? Elle rentre le museau plein de terre. Mes plantations semblent ravagées par de minuscules sangliers. Va falloir progresser en éducation canine si je veux donner une chance à mes fleurs.

L’info est tombée. La France aussi retourne à ses quatre murs. Ah on ne s’en lasse pas hein ?

Mon mari a repeint ceux du rez-de chaussée dont la propreté laissait à désirer. Moi j’ai passé l’aspirateur sur les murs (les araignées se sentent bien chez nous). La verticale ne m’arrête plus. Je suis toute folle : on a reçu les pièces détachées pour nos appareils électroménagers défectueux (aspirateur et lave-vaisselle) qui nous agaçaient à chaque utilisation. Le bonheur simple comme un coup de sonnette. Comme un morceau de plastique dans un emballage en carton.

Aujourd’hui vendredi saint, est férié. Les rayons oeufs des magasins du coin sont dévalisés. Au matin de Pâques les enfants allemands cherchent de vrais œufs colorés dans l’herbe. En prime bien sûr ils ont des chocolats et des petits cadeaux. Nous on est restés fidèles aux chocolats. C’est toxique pour les chiens. Où allons-nous les cacher ?

Dans l’actualité qui piétine, quelques changements rendent un bout de sourire. Les asperges locales ont fait leur apparition au marché. Encore chères, on attendra. L’ail des ours aussi (Bärlauch). Les cabanes de bois éphémères déguisées en fraises ont poussé sur les parkings. Même fermées, elles sont autant de promesses de renouveau gustatif. L’étalage de notre maraîcher compte beaucoup trop d’espèces de choux et de pommes de terre.

Nous avons fait notre première Grüne Sosse (sauce verte) du printemps. Cette spécialité de Francfort est cuisinée avec une quinzaine d’herbes fraîches (estragon, pimprenelle, bourrache, persil, ciboulette, oseille, cerfeuil…) hachées avec des œufs durs écrasés, une vinaigrette et un peu de crème liquide et de yaourt. Elle accompagne les pommes de terre ou la viande. C’est bon et ça fait faire un peu la grimace. Ça sent l’herbe fraîche coupée et le vinaigre. A la première cuillère, je me surprends à dire « Ça sent l’Allemagne ! ». Une touche de chou rouge mariné, de choucroute… Les Allemands aimeraient-ils bien l’acide ? Pourtant les cornichons (en français sur le bocal) que nous avons enfin finis hier étaient plus sucrés que piquants.

Le soleil s’est caché aujourd’hui, je vais devoir rentrer mon étendage. La météo annonce un plongeon vers des températures négatives et la neige. Fini l’été express.

Et maintenant on fait quoi ? On regarde pousser les graines ?

Allez, on réserve les vacances de Pentecôte. Il sera toujours temps de les annuler en fonction des informations-vaccinations-décisions. Alors les enfants on va où ?

Pour l’instant on ne sait pas encore. On encaisse la déception.

J’en reste là.

Je reste là.

Burg Eltz

Excursion près de la vallée de la Moselle, pour découvrir un château fort qui appartient à la même famille depuis 800 ans.

Pour m’évader de mes quatre murs, je me planque le soir au fond du lit avec une tablette (si possible celle qui marche). J’ai branché une rallonge à demeure pour la recharger. Mes colocs se chargent eux de la vider.

Je zappe entre Arte et la BBC (grâce à notre VPN nous pouvons faire croire au système que nous sommes en terre britannique sans risquer de choper de variantes exotiques).

Sur la BBC je ris devant les séries que j’adore même si je les connais par cœur. Je voyage dans le temps avec les films hollywoodiens des années 30, 40, 50… J’ai un faible pour Cary Grant.

Sur Arte je m’évade par l’Histoire. La violence humaine y est plus digeste édulcorée par plusieurs siècles. La vie des générations précédentes éclaire la nôtre. Ah, oui, c’est pas nouveau alors ce qui nous arrive. Dans le cocon d’une couette, la campagne égyptienne de Napoléon prend une allure de croisière sur le Nil. Depuis que je croise ses traces en Rhénanie, je tâche de combler mes lacunes sur cet empereur. Il est toujours passé au travers de mes programmes d’histoire. D’autres documentaires m’ont passionné : les recherches archéologiques en lien avec les textes de la Bible, le Versailles secret de Marie-Antoinette et celui, en deux parties, sur les châteaux forts.

Tourné entre France et Allemagne, il présente l’avantage de filmer des coins que nous connaissons au moins de vue (châteaux des gorges du Rhin). D’autres donnent envie de les découvrir de plus près, comme l’une des rares forteresses jamais détruite par la guerre : Burg Eltz.

Erigé au début du XIIème siècle sur un piton rocheux bordé sur trois côtés par un gros ruisseau, affluent de la Moselle, ce château niché dans une vallée boisée ne se laisse approcher qu’à pied.

Cédé dès ses débuts aux trois fils de famille, il a fait l’objet d’ajouts et d’aménagements pour héberger chacune des lignées. Le mélange de styles successifs, les tourelles et encorbellements, lui prêtent une allure de château de conte de fée. Le documentaire montre l’intérieur du bâtiment et l’interview du comte de Eltz, un des descendants du seigneur initial. Un monsieur très chic, en costume trois pièces, présente son château médiéval. L’anachronie est délicieuse. Peut-être à côté de sa berline noire parque-t-il un destrier ?

Même sur écran, la promenade dans le château est passionnante. Tout a une explication : la taille des fenêtres liée au coût du verre, l’emplacement des toilettes (en encorbellement pour des raisons de gravité), les peintures au mur comme distraction pour les longs mois d’hiver quand la vie à l’extérieur est limitée. Ces temps-ci bien sûr, le château ne se visite pas. Tant pis. Et si on allait le voir ? C’est à peine à une heure de route chez nous. Nous pourrions découvrir la vallée de la Moselle.

Et comment se sentir plus en liberté qu’à l’extérieur d’un château fort ?

Alors dimanche j’ai embarqué tout le monde (oui même la chienne) pour une excursion touristique.

La Vallée de la Moselle se dévoile par le haut. En virages serrés (soupir nostalgique, ah les Alpes) la route rejoint le niveau de la rivière. Un château fort en ruine à droite, un peu partout des bouts de vignobles accrochés à des pentes sévères. Le tout dans un camaïeu de brun. Le printemps n’est pas encore arrivé. Dans les plis d’ombre, les feuillages sont givrés.

La voilà donc cette vallée touristique, à la réputation internationale (pour le vin, et même pour le vélo on a des copains qui sont venus d’Angleterre pour y pédaler). Ce sont les gorges du Rhin en version intime et plus policée. Une rivière des villes, croisée avec un canal : elle sinue sagement entre deux routes et une voie ferrée. Peu d’arbres sur ses rives, pas de rapides. Des flancs de colline presque symétriques. C’est joli oui, mais à l’allemande : bien rangé, austère, avec beaucoup trop d’angles droits. Rien à voir avec les rivières ébouriffées de mon Ardèche ou même la large Dordogne.

Les longues pelouses vides et plates des rives aux panneaux marqués ‘’camping’’ nous narguent (on nous la fait plus, on sait que ce sont des parkings à camping-cars). Comme les enseignes de cafés et de restaurants fermés. Une boulangerie ouverte précise que le pèlerin de Saint-Jacques peut y faire tamponner sa credencial. Les nombreux hôtels et chambres d’hôtes fermés nous rappellent qu’en saison ça doit grouiller.

Nous traversons un petit village de vignerons, où les vignes hautes et verticales sur des pentes aigues faussent les perspectives. Au pas de course (il fait très froid) nous suivons les ruelles et un escalier-chemin de croix jusqu’à une église antique enchâssée dans la colline, sous le château fort en ruines. La peinture blanche des murs rappelle la chaux méditerranéenne. Les tombes noires très anciennes sont superbes. C’est à peu près le seul coin intéressant dans ce village pourtant signalé par le guide.

Pourquoi quelques habitants choisissent-ils de peindre leur maison de couleurs vives : jaune, bleu ciel, mauve, rouge ? Et pourquoi est-ce autorisé ? Certaines façades obligent à détourner les yeux pour éviter la nausée.

Quelques kilomètres plus bas, enfin, vers le Sud mais plus haut sur le cours de la Moselle (vous suivez ? je ne m’y fais pas à ces cours d’eau qui coulent vers le Nord), nous trouvons le panneau du chemin pour le Burg Eltz.

Comme pour toutes nos balades, il est presque midi quand nous partons et certains estomacs crient famine (tous). Le château est à 5 kilomètres. Après quelques virages le long d’une route qui serpente le long du ruisseau d’Eltz, un sentier s’enfonce dans les arbres. Pas avant d’avoir permis à nos filles de repérer le panneau du restau qui propose des frites à emporter. Au retour peut-être ?

Aucun bourgeon sur les arbres. Seuls quelques perce-neige nous saluent de leurs clochettes. L’hiver est toujours là. Pique-nique assis sur un tronc d’arbre au bord du ruisseau. Les filles ont préparé un festin. Personne ne trempe ses pieds l’eau en glissant sur les galets. Le chemin s’élève un peu et pour suivre par en haut le cours du ruisseau.

Quel bonheur de ne pas être chez soi ! Et de croiser des gens comme si de rien n’était. A notre grande surprise (après tout le château est fermé) il y a foule et personne ne porte de masque. Ma grande fille retient sa respiration à chaque croisement.

Après le dernier virage, le rideau est levé. La silhouette à la fois imposante et féérique du Burg Eltz nous domine à contre-jour du haut de son piton. Allez courage on y est presque. Zigzags entre les groupes, les couples qui se prennent en photo, attente pour traverser la passerelle. Après quelques lacets et des escaliers le sentier débouche sur la voie pavée d’accès au château, un pont fixe en pierre.

Il est vraiment superbe ce château moyenâgeux. Etroit de profil, large de face, les tourelles et flammes aux armes de la famille nous propulsent dans les livres pour enfants. N’étaient ces groupes de tricheurs accoudés au muret (une foule en tenue de ville, arrivée par un parking situé à 1500 mètres de l’autre côté de notre sentier d’arrivée) on s’attendrait à voir sortir un chevalier en armure. Je reconnais l’encorbellement de la chapelle, dont le documentaire a montré l’intérieur. En regardant mieux, on distingue un dragon.

La cour intérieure accueille un snack fermé.

La route qui s’élève en face du château, monte vers une tour en ruines. J’apprendrai plus tard, que c’est le vestige d’un château-donjon de siège : les seigneurs d’Eltz ont tenu le coup 2 ans. (2 ans de confinement, vous imaginez ? bon là y’avait de la place : j’ai compté 8 étages.)

Dans un creux de rocher en plein soleil il fait bon, je peux prendre des photos. Ma fille n’a de cesse de répéter qu’elle aimerait “trop y vivre dans ce château ! Non mais t’imagine, il doit y avoir une pière pour tout !” Un p’tit coup d’eau et on repart retrouver la tranquillité relative de notre sentier. Non pas de frites. On a des sachets de réglisses anglais dans la voiture, à peine périmés.

J’ai essayé d’expliquer à mes filles des bribes du documentaire : le château appartient toujours à la même famille depuis 800 ans. Je ne crois pas qu’elles aient écouté. Grâce à Gaïa la chienne elles ont marché très vite. C’est déjà ça. Nous sommes ravis d’avoir découvert ce coin du monde. D’avoir glissé un pied hors de nos oubliettes.

Quel documentaire nous inspirera la prochaine excursion ? Je vous entends me souffler, espiègles : l’Egypte de Napoléon. Ha, ha. A défaut, je rêve de voir les flaques de jonquilles sauvages dans le sud du massif de l’Eifel, (à l’ouest de Burg Eltz) mais c’est encore trop tôt.

En attendant, pour m’évader je retourne me planquer sous ma couette. Je ne veux pas connaître la décision politique qui sera prise aujourd’hui au sujet des vacances. Les chiffres du corona ne sont pas bons. Pourtant franchement, dans un gite on ne croiserait personne et au moins on serait AILLEURS. Et si on échangeait de maison avec des copains ? On découvrirait un nouveau chemin pour le supermarché et on s’occuperait des heures à essayer de faire fonctionner leur machine à laver.

Ou alors chiche ? On tente la lessive en rivière : je le propose au comte d’Eltz !

PS : avez-vous trouvé le dragon ?

Vivre et le certifier

Me revoilà aux prises avec l’administration, de part et d’autre du Rhin

Le long du Rhin, le nombre de kilomètres depuis le lac de Constance. A Mainz : 500.

C’est la saison, une saison décalée par le corona. D’habitude c’est avant la fin de l’année. Cette fois ce sera avec les giboulées. L’administration française me demande de lui prouver que je suis toujours vivante.

La première fois après notre expatriation j’ai été très surprise. Mais les services de la mairie de Mainz et moi, on s’en est bien sortis. La deuxième fois, l’an dernier, le système avait été refondu, centralisé pour ”simplifier” et surtout pour le pire. La plateforme anonyme ne mettait pas à ma disposition le document qu’un mail m’intimait l’ordre de faire signer au plus tôt (voir article : Bon sens (de l’humour))

Cette année, je me tenais prête, ticket de tram et carte d’identité dans la poche, pour aller demander à un employé inconnu de jurer, cracher, tamponner que c’était bien moi, là en face, derrière le masque. Pour ne pas rater l’échéance, je consultais régulièrement mon profil sur le site. RAS. Jusque-là tout va bien.

Puis un jour j’ai reçu le fameux mail me demandant de télécharger le formulaire. Il a été actualisé. Le document français avec, dans une police plus petite, des traductions multilingues (anglais, allemand, espagnol, portugais) s’est adapté au pays de résidence. Le mien ne porte des traductions qu’en allemand. C’est presque dommage de ne pas se sentir reliée aux autres Français de l’étranger par quelques mots.

Le document précise le 30/03 comme date limite de renvoi. Le site, qui héberge ledit-document, impose le 30/04. Tiennent-ils (ces ”ils” lâchement anonymes) compte de la pandémie qui affecte les pays différemment ? Dépêchons-nous on ne sait jamais.

Comment faire en plein confinement ? Si tous les magasins sont fermés, qu’en est-il des services administratifs ? Un p’tit tour sur le site de la ville de Mainz. J’écris un mail. Une dame me répond obligeamment : envoyez-moi une copie de votre carte d’identité et 6 euros et je vous fais le certificat de vie. Je m’exécute et lui envoie le formulaire français à remplir.

Dispositif efficace. Quelques jours plus tard, je reçois par mail et par la poste le document établi sur du papier à en-tête de la ville de Mainz, en allemand. Ravie de me libérer d’une formalité à si bon compte (lire : depuis mon bureau) et surprise que des services allemands soient aussi conciliants (après tout personne ne m’a vue en chair et en os). J’envoie le document aux services français, avec un petit doute : et s’ils (toujours eux) ne l’acceptaient pas ? Car même s’il a très peu de texte et surtout des chiffres (en gros, mon pédigrée), s’il est officiel et remplit la fonction, les en-têtes sont en allemand et surtout ce n’est pas le document demandé. On n’est pas à l’abri d’une crise de littéralité. Je clique tout de même. Dans le tableau qui récapitule les actions dans mon dossier, une ligne apparait : certificat transmis le 25 février, format papier. Papier ?

Ce qui devait arriver arriva.

J’ai reçu voilà quelques jours un mail sévère des services français : dépêchez vous d’envoyer votre certificat de vie sinon, sinon….menaces des gros yeux anonymes. En gros, vous disparaissez de notre système et il vous faudra montrer 12000 papiers et votre collection de pattes blanches depuis quatre générations pour pouvoir rétablir l’erreur due à votre ”négligence”. Pendant une heure, mon cœur a battu assez vite, je ne suis pas encore immunisée contre la connerie même sans visage. A mon âge, quand même…

Je réécris à la gentille dame, je lui demande s’il vous plait, Bitte, de recommencer en remplissant mon formulaire. Je veux bien repayer 6 euros ou 60, l’appeler avec ZOOM en gros plan et lui montrer ma carte d’identité, mon album photo de naissance, faire cracher toute ma famille et mon nouveau chien, n’importe quoi pour faire taire le Minotaure végan, assoiffé de paperasses virtuelles.

Elle voudrait bien mais elle ne peut pas.

Pourquoi ? L’histoire ne le dit pas.

Il me faut aller dans un bureau le faire établir en ma présence. OK du moment que c’est ouvert, c’est une excellente nouvelle. Je l’appelle pour vérifier qu’on s’est bien comprises. Je prends rendez-vous en ligne dans l’antenne de quartier qu’elle m’a conseillée.

Ce matin, je me prépare en avance. Avec toutes les contraintes coronesques, il ne s’agit pas de rater mon créneau de 10 minutes. Je vérifie douze fois que j’ai bien tout le nécessaire (le formulaire, le mail avec le numéro de convocation, la carte d’identité, celui déjà reçu – on ne sait jamais -, ma patience et mon plus beau sourire). Je mets tout cela dans un sac étanche, dans ma sacoche. Il pleut un peu. J’enfourche mon vélo.

En descendant, je longe le collège. Mon ado y est pour la matinée, trop heureuse de cette bulle de normalité. Les fenêtres sont ouvertes. Ça aère sec. Ils doivent se cailler nos jeunes. C’est un coup à attraper la crève.

C’est bien cette pluie pour mes plantations d’hier. Le petit vallon du Gonsbach est boueux, je sinue pour éviter les grandes flaques. Je tâche de bien rester à droite dans les virages, surtout dans celui sans visibilité. Les remontrances reçues il y a deux ans pour coup de guidon malencontreux sont encore vives. Comme quoi, à tout âge on apprend.

Quand le passage à niveau s’ouvre, j’emprunte le chemin qui longe les grands peupliers. Dans les roseaux gris, peut-être aurais-je la chance de revoir le martin-pêcheur ? C’est incroyable comme, habillé de couleurs éclatantes, il arrive à se camoufler dans un camaïeu brun. La semaine dernière avec mon amie simultanée, nous l’avons observé longtemps, sans oser bouger. A l’extrémité d’une branche on le distinguait à peine.

Dans la côte aigüe, je pousse mon vélo (j’ai un peu honte quand un monsieur me double en pédalant ; à ma décharge, je le pousse aussi à la descente tellement c’est raide). Derrière un grillage une poule blanche et noire se dandine. Sous un noyer, des scilles éclairent de bleu la terre battue. Quelques primevères sauvages jaunes pâles et pourpres émaillent le dessous d’une haie encore nue. Cette petite maison basse sur une pente de campagne au ras du vallon et de ses fourrés me fait bien envie.

C’est le chemin pour aller chez mon amie. La dernière fois que je suis passée, des travaux de terrassement avaient à peine commencé. Aujourd’hui trois gros immeubles ont poussé, ils en sont presque aux finitions. Si longtemps déjà ?

Je pédale le long de la route, talonnée par un bus. Je sais dans les grandes lignes où je dois me rendre, mais l’axe principal offre plus de repères que la piste cyclable dans le bout de forêt.

Virage à gauche. J’attache mon vélo à un réverbère. C’est là. Juste à côté de l’école primaire où nous étions venus il y a trois ans, mon mari et moi, rencontrer la directrice pour préparer notre futur déménagement. Accueillante et encourageante elle avait répondu à nos questions. Celle d’une autre école avait refusé tout net notre demande d’entretien, puisque nous ne savions pas encore de quel établissement notre logement allait dépendre.

La porte de l’antenne de la mairie est fermée. Un gardien à moustache et carrure d’ancien rugbyman vient m’ouvrir. La jeune femme derrière moi entre aussi. Nous nous asseyons dans le couloir d’attente, à trois mètres l’une de l’autre. L’employée appelle. On se fait des politesses. On est toutes les deux en avance. J’entre et je m’assois. En entendant mon nom, l’employée me renvoie dans mon couloir. Je suis trop en avance.

Me voilà sur la chaise face à elle. C’est une grande pièce, typique d’un accueil d’administration, avec deux bureaux, dont un seul est occupé, des armoires à dossiers mystérieux. Par la fenêtre, on voit la cour de l’école. Sur la table à ma droite, a été installée une petite nature morte de Pâques en figurines de lapins sur serviette en papier très verte. A gauche sur une commode, des rameaux en bourgeons, bien droits et attachés, tous de longueur identique, se dressent au garde à vous dans un verre. Quelques œufs miniatures décorés sont suspendus aux branches. Le tout est posé sur un carreau de gazon en plastique très vert. Une radio diffuse une musique de fond. Derrière un panneau de plexiglas, le regard de mon interlocutrice m’interroge.

C’est une femme de mon âge (jeune donc, hi hi) aux cheveux courts et noirs, au maquillage sombre. Elle est bien en chair et les manches retroussées de son pull dévoilent les tatouages de ses avant-bras. Je l’ai entendu discuter avec la cliente (peut-on dire cliente ?) précédente, elle m’a semblé être une amie de sa mère. Elle a l’air sympa.

Ça tombe bien. Il faut que je me la mette dans la poche. Je lui formule ma demande. Elle me redemande mon nom et me cherche dans son système. En Allemagne, chaque personne est répertoriée. Elle doit, à quelques jours de son emménagement, se déclarer auprès des services administratifs de son domicile (pour l’Anmeldung, inscription). Même si on déménage à trois numéros dans la même rue.

Elle ne me trouve pas. Cherchez donc au nom de mon mari. Ouf elle nous a. C’est une subtilité que les Allemands ne comprennent pas d’emblée : avoir un nom de naissance et un nom d’usage (de mariage). Ici les femmes choisissent et n’en n’ont qu’un. Ils soupçonnent une magouille. J’ai dû expliquer plusieurs fois que non.

Elle me demande de signer devant elle pour lui prouver que je suis vivante. Soit. Je pensais que ma seule présence suffisait. Pour témoigner de ma bonne volonté, j’ôte mon masque une seconde pour qu’elle me voie à visage découvert. Je suis ses mouvements pleine d’espoir. L’imprimante s’enclenche. NON ! Elle m’a refait celui que j’ai déjà et a été refusé. Pourtant je lui ai bien mis mon formulaire entre les mains.

Surtout rester polie.

Je lui précise mon besoin. Elle hausse les yeux au ciel quand je lui explique que les services français m’ont déjà refusé un certificat allemand. Oui je sais, je pense comme vous. Mais s’il vous plait… Elle le remplit et me le glisse sous le plexiglas. Encombrée de lunettes, téléphone portable (pour le mail de convocation), blouson, sacs, j’ai envie de filer au plus vite. Pourtant il est essentiel de bien relire, ce que j’essaie de faire sans tout faire tomber, ni passer pour l’emmerdeuse de service… Prenons un air détaché. Comment lui demander de remplir les deux lignes qu’elle a oubliées ?

Voilà. Un, deux, trois tampons. Ça m’a l’air complet. J’espère qu’on verra sa signature sour le cachet.

La radio diffuse un air que je reconnais. Qu’est-ce que ça peut être ? Ah oui. Joe le taxi. Joe le taxi ?

Je glisse le précieux formulaire, dans une, deux pochettes, dans un sac puis une sacoche. Vite rentrer avant la prochaine giboulée. Le scanner, le charger sous mon profil des services administratifs, cliquer. Zut. Trop lourd. On recommence. Et si je faisais une photo ? Non trop risqué : si le formulaire le propose comme mode de transfert, le site web le refuse.

Fichier léger. Clic. C’est parti. Le tableau me dit que c’est bien parti, par internet. Tiens, il y a du progrès. Oh et en haut de la page, une icône propose un conseiller à disposition. C’est nouveau me dis-je. L’an dernier ce site était un monstre sans tête, un gouffre sans issue. Pas d’adresse E-mail, de numéro de téléphone. Par curiosité, je clique : Erreur 404, la page n’existe pas. Ah, je suis rassurée. Les classiques ont la vie dure. Moi qui ai cru un instant que l’administration s’était inspirée de l’efficacité des services marchands.

Le compte à rebours a commencé. Les paris sont ouverts. Dans combien de temps vais-je recevoir le mail aux sourcils plissés qui me dira que quelque chose cloche ?

Une giboulée éclabousse ma fenêtre, derrière une plante de cardamome qui sent la cannelle. Je frissonne. Quelle chance d’être rentrée à temps ! Reprenons l’écriture là où je l’avais laissée avant de partir. Je ferme l’onglet de l’administration, et me retrouve sur celui du dictionnaire Larousse.

Ma dernière recherche : des synonymes pour ”se cacher”.

Tiny talk

L’école reprend en pointillés, mais le lockdown est prolongé jusqu’à la fin du mois.

On nous a repeint en couleur les barreaux de nos oubliettes.

Aujourd’hui 8 mars l’école reprend, à mi-temps, en alternance, pour une de nos filles. Pour la plus grande ce sera la semaine prochaine. La cantine reste fermée.

Les têtes pensantes élues ( ? ) souhaitent que tous les enfants retrouvent le chemin de l’école avant les vacances de Pâques fin mars. Après trois mois derrière un écran, laisser passer dix jours de congés, c’est courir le risque de devoir sortir le coupe-coupe. A moins que la reprise ne soit précipitée par les élections régionales du 14 mars ?

Il était temps.

Trois mois d’école à la maison (dont des vacances de Noël à domicile), avec l’impossibilité de se déplacer (hôtels et gites fermés, interdiction de voir plus d’une personne hors foyer à la fois) ça fait vraiment très long. Surtout quand ça s’ajoute à un an des contraintes que vous connaissez.

Cette année nous n’avons pas eu de vacances de février. Les dates de vacances changent chaque année, avec un roulement entre Länder. Le nombre de jours de congés annuels reste le même. Donc entre Noël et de Pâques nous aurons vécu trois mois sans pause, dans un quotidien qui bégaie, où l’on sort peu de sa chambre. Ça fait disque (d’antan) rayé. Supplice de la goutte d’eau. Un jour de Zoom après l’autre. Ploc, ploc, ploc….

Mais la vraie décision prise la semaine dernière est de prolonger le lockdown jusqu’à la fin du mois. Les coups de pinceaux électoraux pour nous faire patienter portent sur la possibilité de se retrouver à deux foyers, l’ouverture sous conditions des coiffeurs, libraires et magasins de bricolage. Les restaurants, gites, et hôtels demeurent clos, l’ailleurs reste un mirage flottant sur une route sans issue. Les milieux autorisés continuent d’interdire.

Nous n’avons pas de couvre-feu. Ni de limitation au kilomètre. Mais quand tout est interdit, le repli s’opère par défaut. Et là c’est vraiment long….

Le collège nous a transmis d’autres décisions du ministère régional de l’éducation (Ministerium für Bildung Rheinland-Pfalz) : les évaluations du deuxième semestre seront adaptées. Les élèves ne feront qu’un seul Klassenarbeit (devoir surveillé), au lieu de deux. Il sera organisé quelques temps après la reprise. Son poids dans le barème sera diminué par rapport aux notes de participation orale (toujours très importantes), et des interrogations écrites ‘’light’’.

Que le ministère régional de l’éducation mette à ce point son nez dans le planning des profs est une surprise. J’avais déjà découvert que chaque Land définit son propre programme scolaire, ses examens, édite ses manuels. Selon son lieu de passage l’Abitur (baccalauréat) n’est pas perçu de la même façon. Il parait que le niveau scolaire de Hessen (en face du Rheinland-Pfalz, sur l’autre rive du Rhin) est plus faible qu’ici.

Donc aujourd’hui quelques heures d’école. Un tout petit changement auquel accrocher notre fil d’espoir.

Tant mieux parce que côté vaccinations ça traine les pieds. Nous ne connaissons que quatre personnes vaccinées ou sur le point de l’être : deux mamies de plus de 80 ans et deux personnels prioritaires. (Un comble, non, dans la ville de découverte du premier vaccin ? c’est le syndrome du cordonnier). Il parait qu’à compter d’avril, les médecins pourront vacciner dans leur cabinet. Avec quoi ? Vu depuis notre tout petit bout de lorgnette, la France avance plus vite, mais l’UE reste loin derrière le Royaume Uni. Nos connaissances prioritaires y sont vaccinées depuis plus d’un mois. Un effet secondaire positif du Brexit ?

Le seul ? La semaine dernière je suis allée poster un paquet à ma belle-sœur pour son anniversaire. Je lui en avais envoyé un pour Noël. Pour gagner du temps, mon formulaire d’expédition était prêt. J’en ai une pile à la maison. La jeune femme l’a refusé et m’a remis une étiquette différente à remplir : le Royaume Uni est ‘’passé à l’international’’. Les îles britanniques ont levé l’ancre. Il faut maintenant s’acquitter des formalités de douane et déclarer la marchandise et sa valeur (Marzipan en anglais ? c’est pareil – pâte d’amande). L’expédition coute deux fois plus cher. Je suis repartie avec quelques formulaires vierges pour la prochaine fois. Le gain de temps sera encore plus considérable.

La poste, une sortie prisée juste derrière le marché, pour faire le plein de miettes d’échanges humains.

Ça craque un peu aux coutures. Surtout pour mon ado et moi. Alors on lâche. Dans un moment de fou rire nerveux, pour contrer les larmes toutes prêtes et les hurlements d’impuissance, ma grande fille et moi, calées sur le canapé, avons joué avec Instagram.

Je ne suis pas à l’aise avec les réseaux sociaux, comme je ne suis pas à l’aise avec les codes des rencontres sociales formelles. Pour moi le small talk c’est parler pour ne rien dire, et ça ne m’intéresse pas. Quand c’est la seule possibilité d’échanger, je me replie sur mon silence, et j’essaie de foutre le camp dès que possible, ou si, par chance, je croise quelqu’un avec qui ça colle, j’échange vraiment. J’aime les discussions profondes, intimes, les vraies questions, et les réponses authentiques. Je me connecte aux autres complètement ou pas du tout.

Même dans les situations formelles où la superficialité est de mise, les corps crient ce que les bouches taisent. L’ombre de cernes violets un peu appuyée, une main qui cherche à cacher qu’elle tremble, une mèche rebelle, une odeur qui trahit … tous ces signes bavards me sautent à la gorge, même et surtout ceux que leurs auteurs veulent dissimuler. Ça fait beaucoup trop d’informations, donc même cachée derrière un verre plein, je préfère m’éclipser au plus vite. Mais au moins, sous le verni social transparait la vérité. J’ai pu glisser un œil derrière les masques du bal.

Dans un réseau social, les masques sont bien accrochés. ”L’authenticité” travaillée. Rien n’est vrai. L’hypocrisie a noyé les apparences qui n’ont jamais été aussi trompeuses.

Le Grosse Sand (les grands sables)

J’ai eu une longue discussion avec mon fils étudiant en philosophie à ce sujet. Nous marchions sur le Grosse Sand, cette steppe protégée, avec des plantes de l’ère glaciaire et une zone d’entrainement de l’armée américaine ( ! ). La neige brillait au soleil dans un air coupant. C’était superbe. A chaque pas je me félicitais de pouvoir me souvenir, lors de ma prochaine balade, de cette échappée jolie avec mon fiston.

Je lui expliquais ma tentative de donner une vie à mon blog sur Instagram. J’essaie de rester en phase avec mon époque, même si elle court plus vite que moi. Mais dans le cadre que je me suis fixé : ne pas me dévoyer.

Il m’expliquait Instagram avec des mots savants. Il connait très bien pour avoir regardé des gens l’utiliser à côté de lui (peut-être les trajets en train entre Lyon et Mayence lui permettent-ils d’étudier des cas concrets de psycho-sociologie).  Je suppose qu’ils ont aussi analysé les réseaux sociaux en cours.

Je partageais ma déception et mon ennui. Je n’ai rien à vendre, je souhaite juste partager. Or trop souvent s’invite sur mon écran du bavardage pour ne rien dire, du small talk, hypocrite et vendeur. Oui m’a-t-il expliqué. Instagram ce n’est pas un réseau social, c’est un média. Un média bien particulier, qui ne parle que de ce qu’on veut entendre : une chambre d’écho.

Encore plus que dans la vie en 3D, le discours superficiel se cache derrière une apparence léchée et des mots convenus. Ce n’est même plus du small talk c’est du tiny talk. Pour comprendre ce qui se trame, il faut lire entre les lignes, en creux, dans ce qui est tu. Bien sûr, c’est très difficile et la motivation manque. Je veux bien faire l’exercice avec une amie pas vue depuis longtemps, mais avec des étrangers ? Je m’en contrefous. Le tiny talk très peu pour moi.

Combien de temps vais-je garder le compte de Mainzalors ? Les statistiques me montrent que le transfert vers mon blog sont inexistantes. Et pour cause…. J’écris et les clients de réseaux sociaux survolent des photos.

Avec ma fille donc on a joué avec cela. J’ai créé un post avec une photo de crottin de cheval en gros plan. J’étais ravie de cette acquisition pour mes rosiers : je l’avais récupéré le jour même dans une écurie. C’était mon bonheur de la semaine (eh oui). Donc j’ai écrit un texte avec en synthèse ce que je vous ai mis au début de l’article : les raisons de notre ras-le bol, qui sont aussi des informations sur la gestion allemande de la pandémie, sur l’état d’esprit des troupes. J’en ai conclu que nous n’avions ‘’qu’un mot à dire ou plutôt deux : caca boudin !’’ (avec un clin d’œil appuyé pour la petite demoiselle d’une amie). J’ai conclu avec des hashtags à moitié sérieux : #lockdownblues, #cacaboudin ….

Je m’attendais à avoir des commentaires sur l’humour du message ou le désespoir qui criait entre les mots. Et encore, pour éviter les jeux de mots super foireux (comme quoi malgré toute ma volonté d’authenticité à tout crin (hi hi) je tombe dans le piège des apparences) je m’étais retenu d’écrire : vous voyez la photo ? c’est comme ça que je me sens. Et je ne parle pas d’odeur, non.

Une Française qui vit en Allemagne m’a laissé en commentaire qu’elle aussi en avait assez des interdictions. Une amie un encouragement. C’est à peu près tout.

C’est sûr la photo est pourrie, j’ai cliqué vite fait en me marrant avec ma fille. Allez viens on va mettre un coup de pied dans le jeu de quilles.

En fait de coup de pied, c’était juste un battement d’ailes de papillon. Aucune quille n’est tombée. Personne n’a voulu arrêter de jouer et de faire semblant.

Une photo sans choc, ni poids des mots.

Pour l’instant je vais tâcher de ne pas mettre de masque. Je partirai plutôt.

Mais où ?

Bamberg express

Aller-retour rapide à Bamberg, une ville classée par l’Unesco du nord de la Bavière.

Nous nous rendons en famille à un rendez-vous à Bamberg. Je ne peux pas encore vous dire pourquoi, le censeur familial me muselle. Rassurez-vous je lui ai demandé de ne pas trop prolonger le suspens.

Nous en profitons pour visiter le centre-ville, classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

Le brouillard a semble-t-il empêché les Alliés de bombarder le coin à la fin de la deuxième guerre mondiale. Tant mieux.

Le ciel est gris et bas, une couche fine de neige recouvre toutes les surfaces. De longues stalactites de glace s’accrochent aux gouttières. La vieille ville est construite sur les bords du canal entre le Main et le Danube (lui-même, le beau et bleu). J’ai lu rapidement les pages qui lui sont consacrées dans nos guides, le Routard et le Lonely Planet. C’est vite fait, comme tout est fermé, les rubriques musées, où manger ? et où boire un verre ? sont inutiles. Dans la voiture j’ai partagé à voix haute les points essentiels. Personne n’a interrompu son activité pour écouter, mais j’ai rempli ma mission éducative. Au moins l’intention.

Bamberg est présentée comme l’une des plus belles villes de Bavière. Je relève la tête perplexe : de Bavière ? ça monte si haut la Bavière ? Oui, apparemment. Dans la région administrative de Franconie, à l’ouest de Bayreuth, au nord de Nuremberg. Elle est construite sur sept collines (comme Rome) et dominée par la cathédrale Saint-Pierre et Saint-Georges à quatre flèches. Les quartiers anciens longent les eaux du canal brodées de glace de leurs maisons à colombages de toutes les couleurs. Une (toute) petite Venise dit-on.

Même en temps normal ce serait la saison creuse. Mais là nous sommes dans une saison abyssale. Nous nous garons facilement devant un hôtel, au pied de la montée pour la cathédrale. Quel dommage de ne pouvoir passer la nuit dans un de ces établissements romantiques ! Vite nous cassons la croute, ou plutôt croquons notre salade de riz-maïs-thon dans la voiture, toutes fenêtres fermées. L’air est glacial. Le voilà le vrai climat continental allemand.  La boulangerie d’en face nous tente. L’un d’entre nous ira chercher des Käsestangen (genre de feuilletés au fromage), des beignets (oui, c’est carnaval après tout) et du pain complet aux graines. Avant toute balade, trouver des toilettes.

Les rues piétonnes sont vides et maussades. Les vitrines fermées et les passants rares et masqués confèrent à notre balade un goût de dimanche soir. Mon fils qui, après Baccarach à Noël, en est à sa deuxième visite express de vieille ville allemande classée s’exclame : « Décidément ici aussi on se croirait dans un décor de théâtre ! » Les façades des maisons chuchotent des contes de fées. Les moulures rococos donnent le sourire. Whaou t’as vu ça ?

Il fait un froid polaire. Mon fils a décidé de ne plus s’arrêter et marche en longues enjambées pour garder le contact avec ses orteils.  Sortir les doigts des gants et des poches pour prendre des photos relève de la gageure. Mais je suis très très motivée. C’est la première sortie depuis si longtemps.

Grâce à la description du guide, je reconnais l’ancienne mairie, sur un ilot, entre deux ponts de pierre. Un côté de façade aux fresques imposantes et colorées, un autre en colombages, la partie plus ancienne, révélée par la destruction du pont à la fin de la seconde guerre mondiale (les fresques peintes sont tombées). Entre les deux, le balcon de tous les discours, rococo comme je n’en avais jamais vu.

Un examen des peintures murales révèle des trompe l’œil. Au bord inférieur, la jambe sculptée d’un angelot peint ‘’sort du cadre’’, dans tout son volume potelé.

Sous le porche, une plaque rend hommage à un des fils de la ville le comte Stauffenberg, auteur de l’attentat raté contre Hitler de juillet 1944. ”Le comte Claus von Stauffenberg, officier, symbole de la résistance allemande pour son action du 20 juillet 1944”. Ce qu’elle ne mentionne pas est plus révélateur que ce qu’elle déclare.

Nous prenons quelques photos devant la statue de Sainte-Cunégonde, sur le pont au-dessus du canal, et devant la façade baroque bleu ciel de la demeure à l’angle. Chacune des fenêtres des trois étages est encadrée d’enjolivures blanches ciselées. Des bateaux Mouche à l’arrêt le long de quais déserts laissent deviner l’activité de la belle saison. Quel privilège d’avoir la ville pour nous seuls !

Une vitrine éteinte de librairie met en avant le recueil des contes de E.T.A. Hoffman, à l’origine de l’opéra fantastique d’Offenbach. Il a vécu quelques années à Bamberg.

Décidément, nous marchons de conte en comte, à pas comptés (oui, je sais, désolée).

Trop froid, vite, un petit tour vers la cathédrale tout en haut. La marche ne nous réchauffe pas. Pas le temps de s’attarder. J’ai cours de yoga à 18 heures en ligne, avec ma prof américaine et vraiment personne ne veut rester dehors. Un salon de thé aurait été merveilleux. Un petit Apfelstrudel, hein ?

Les toits enneigés s’entrechoquent au-dessus de colombages plusieurs fois centenaires et des façades baroques. Les branches noires des aulnes le long du canal frissonnent. La neige et la glace ajoutent leur touche de mystère. Nous avons sauté à pied joints dans une illustration de livre d’images d’antan. Comme Mary Poppins.

Retour dans la voiture. Pour sortir de la vieille ville, nous nous égarons un peu dans les rues piétonnes. Un vieux monsieur en manteau long et noir, coiffé d’un bonnet tout aussi sombre sur une tignasse grise ébouriffée serre contre lui un bouquet de livres. Il nous fait signe de sa main libre. De l’autre il s’approche de nous. Mon mari baisse la vitre.

-Vous allez-où ?

-En direction de Francfort.

-Au virage à droite puis à gauche, suivre….. remonter…

Il nous a tout dit, bien mieux que le GPS. Et vachement plus sympa. Merci monsieur. Décidément, comme à Baccarach, nous croisons dans les ruelles désertes de villes-musées des vieux monsieurs attentionnés.

Nous rejoignons l’autoroute pour quelques heures. Des tourbillons de flocons dansent dans les phares qui éclairent à peine un épais brouillard. Nous quitterons la tempête féérique peu avant Francfort. Les courbes des collines, les traits de râteau de vignobles, des chaumes blonds de maïs sur la neige composent des tableaux mobiles et apaisants. Je me demande si j’arriverai à m’en souvenir pour les dessiner.

Sur un CD, des épisodes de la série radiophonique Cabin pressure nous distraient.

Mon fils somnole en écoutant un podcast. De temps en temps, une des filles pose des questions sur les suites de notre rendez-vous.

Avant que le quotidien confiné ne nous rattrape, je rêve de retourner à Bamberg, d’entrer dans la cathédrale et les musées, les restaus et les cafés. Au printemps ce serait bien, pour faire un petit tour en bateau sur le canal, passer une écluse. Le guide mentionne aussi un marché aux fleurs. Ou en décembre puisque la ville est spécialisée dans les crèches et en expose partout.

Les trajets, la visite dans un air coupant, la tension émotionnelle depuis quelques jours nous a épuisés mon mari et moi. J’arrive à temps pour mon cours de yoga qui tombe à pic.

A suivre…

(Bientôt, promis)

Des tests et des bulletins

Premier test allemand du Corona pour notre famille et distribution des bulletins au collège rouvert juste pour l’occasion.

(Me revoilà avec un article écrit il y a quelque jours, avant que mon ordi ne soit réquisitionné pour cause de home schooling).

Ce matin je me suis fait toute belle. J’ai mis une robe. C’est rare cet hiver. D’abord parce qu’une seule me va encore… et parce que pour faire la queue masquée et à bonne distance dans la pluie glaciale au marché, il vaut mieux un bon jean épais et des chaussures de rando à l’épreuve de la boue.

Mais là je sors. J’ai un rencart. Enfin, pour ma fille. Elle est patraque depuis plusieurs jours. Et même si l’abonnement tout neuf à Disney + lui égaie ses journées, nous avons quand même envie de savoir de quoi il retourne.

Quand j’ai appelé le cabinet du pédiatre, je suis arrivée avec la solution clef en main. Voilà les symptômes (rien de spectaculaire), ça me fait penser à telle maladie. Je n’ai pas dû convaincre la secrétaire/ infirmière au bout du fil. Elle ne savait pas quoi faire de moi. D’habitude, avec des symptômes plus marqués, elle me donne un rendez-vous dans la demi-journée. Indécise elle a interrogé le médecin et m’a répondu avec la question pour tous les champions et les autres :

-Elle en est où des contacts ?

– Elle est toujours à la maison.

-Mais elle a vu du monde ?

J’interpelle ma fille sur son canapé.

-Oui j’ai joué avec une copine la semaine dernière (à l’extérieur, la petite et toute sa famille vont bien, nous aussi merci, pourvu que ça dure).
J’ai senti à l’autre bout du fil la dame se détendre. Elle est rassurée, elle a un os à ronger, un argument pour m’envoyer paître avec mes questions et mes réponses.

-Ah si c’est comme ça il faut qu’elle fasse le test du corona.

– Vraiment ? elle n’a vu personne de malade.

Pour la petite histoire locale, lorsque j’ai consulté voilà quelques semaines, le médecin m’a demandé si j’avais eu un contact avec un malade du corona. Pas avec n’importe qui.

-Ah, oui. Il faut que vous appeliez le labo X dans la ville voisine. Ils vous donneront un numéro de passage. Ensuite vous me rappelez pour l’ordonnance.

La ville voisine ? Mainz compte plus de 200.000 habitants.

Je suis convaincue que ma fille n’a pas le corona. Je lui ai même glissé ma suspicion de diagnostic. Ça m’agace au plus haut point de ne pas être écoutée, et d’être reléguée dans les protocoles automatiques. Un étudiant en médecine avait un jour raconté à ma mère le conseil d’un professeur : « si une mère de trois enfants vous dit que son fils a la varicelle, c’est qu’il a la varicelle. » Elle me l’avait répété avec une petite lumière de fierté dans l’œil.

Bon, malgré ce que me soufflent mon intuition et mon orgueil, je ne suis pas médecin. J’accepte volontiers de me tromper. Mais moins de voir s’élever un mur arbitraire entre ma fille et une consultation.

Nous décidons d’attendre un peu, au cas où les choses se résolvent seules. De toute façon, ma piste de diagnostic de requiert rien d’autre que du repos. Après le week-end, l’intégrale de Toy Story, plusieurs Ratatouille et Finding Dory elle est toujours dans le même état raplapla de ‘pomme cuite” comme disait mon oncle.

J’ai donc suivi la procédure.

J’aurais bien voulu gruger, repasser mon premier appel en omettant sciemment de mentionner la rencontre avec la pauvre et innocente copine. Mais j’avais donné mon nom. Et je crains qu’avec mon accent français et mes insistances, elle ne m’ait repérée.

Donc, on a rendez-vous au labo. Comme je sors pour voir du monde, j’ai mis une robe.

Je suis soulagée d’enfin pouvoir m’occuper d’elle, même si je sais la prodécure inutile dans le fond.

Ma fille s’inquiète de ce qu’on va lui fourrer dans le nez. Sa sœur lui dit que ce sera bien moins gros que son doigt.

C’est normal qu’elle ait peur : elle ne sait pas ce qui va se passer. C’est un test mais elle n’a pas besoin de réviser. (ha, ha). Respire avec le ventre ma chérie, et regarde bien tout pour m’aider à me souvenir lorsque je l’écrirai dans un article.

Elle a raté quelques jours de cours à distance, et sa remise de bulletin vendredi matin. En présentiel.

C’est une grosse affaire ici les bulletins. Comme une mini cérémonie de remise de diplômes deux fois par an en janvier et en juin. Chaque élève est appelé tour à tour par le/la professeur. Il/ Elle lui remet son bulletin pendant que la classe applaudit (ma fille me dit avoir ‘’le trac de sa vie’’). Toutes les classes de tous les niveaux les reçoivent au cours de la même semaine en janvier.

C’est une étape tellement importante que le corona a été prié de se mettre en retrait.

Depuis la rentrée des vacances de Noël, les écoles sont fermées. Elles ne reprendront, peut-être, que début mars et dans des conditions à préciser. Les données d’infections coronesques restent dans le rouge. Pourtant le ministère régional de l’éducation a décidé que la remise des bulletins en direct était fondamentale. Les parents d’élèves s’en sont émus. Pourquoi ? La réponse du collège est arrivée par mail : décision politique, pour envoyer aux enfants et à leur famille un signe d’espoir et de normalité.

Les élections régionales ont lieu mi-mars. Du bulletin de notes au bulletin de vote. Si peu de lettres d’écart. N’y voyons aucun lien de cause à effet.

Ma grande est donc allée à l’école 45 minutes, recevoir son bulletin (et apercevoir ses copains derrière leurs masques pour la premiere fois depuis mi-décembre) dans la cantine. La petite n’a pas pu.

Retour de visite au labo. Nous avons testé le test corona.

Procédure, processus : ça roule. Ce matin à 8 heures j’ai appelé le labo, qui m’a attribué tout de suite un numéro et une heure de passage.

Nous avons pris la voiture pour la quinzaine de kilomètres entre les vergers noirs et mouillés de Rheinessen. Les nuages frôlent les maisons, il bruine. On devine le lit du Rhin au-delà des prés et de vénérables peupliers. Arrivés dans la zone d’activité aux toits plats, tout est très bien fléché. Par ici les tests. (Les vaccins ce sera de l’autre côté.) Immense parking. Quelques préfabriqués de chantier. Tout se passe dehors. Une dame en blouse verte nous accueille. Un guichet pour se voir attribuer une cartonnette, un autre pour le test. 6 ou 7 personnes disséminées sont en cours de prise en charge.  Ma fille gigote de trouille pour l’intégrité des tréfonds de son nez. Mais au guichet 2, une jeune femme à deux paires de gants, un masque, plus une visière, lui demande d’ouvrir la bouche. En quelques secondes c’est réglé. Elle lui tend une toupie (dans un emballage plastique).

Résultats dans 24 heures au plus.

Dans la voiture de retour, je comprends d’un coup le dispositif dans la ville voisine. C’est un gros labo, mais surtout il est dans une zone industrielle avec plein de place pour gérer des flux en extérieur. En Allemagne, les laboratoires ne sont pas accessibles au public. Les prélèvements sont faits chez le médecin, par les infirmières du cabinet. Les résultats passent aussi par leur intermédiaire.

Vous le sauriez déjà si j’avais osé publier un de mes tout premiers articles. Mais il n’a pas passé l’auto-censure : trop violent. La découverte du milieu médical a été un très gros choc pour moi. Maintenant je m’y suis fait. Je sais comment dire ordonnance quand il ne s’agit pas d’un médicament mais d’un examen complémentaire (Überweisung, au lieu de Rezept). Je sais que les dames qui travaillent au cabinet sont des infirmières et pas des secrétaires médicales. Elles font les prises de sang, les électrocardiogrammes (oui, ici ça se fait presque comme on prend la tension). Si on a de la chance on tombe sur une dame qui sourit.

Je ne vous laisse pas plus longtemps dans ce suspense insoutenable. Non ce n’était pas le corona.

On a fini par voir le médecin. Sans doute un virus ou une allergie.

De peur que ma fille ne se fasse laver le cerveau par les multinationales américaines, je lui demande de regarder des C’est pas sorcier. Un peu de culture, un peu de France… Comme thèmes, elle a choisi le chocolat et les bonbons. Qu’elle avait déjà vus.

Quelques jours plus tard (aujourd’hui), je reprends mon clavier. Entre temps, ma fille a repris pied, et mon ordinateur pour ses cours. Hier et aujourd’hui pour le carnaval (théorique et virtuel), c’est férié. Alors j’en profite pour vous retrouver.

En fait c’était rien de spécial cette fatigue. La mère de trois enfants s’était complètement plantée dans son diagnostic. Si au moins la prochaine fois, ça pouvait m’éviter de faire des projections catastrophiques. C’est pourtant pas sorcier d’en rester aux faits plutôt que de tresser des ‘’Et si’’ et des ‘’pourquoi’’.

Le bulletin de l’école est arrivé par la poste. On a rattrapé les cours en retard et même le frençais (sic). Notre étudiant est venu nous retrouver pour ses vacances (après son test Corona, une habitude maintenant pour lui).

A défaut de défilé du Rosenmontag, nous avons fêté Fastnacht (carnaval) avec des masques FFP2 et à coups de beignets. Une copine m’a indiqué une cabane de kermesse égarée dans un coin résidentiel qui en vend des tout chauds (aucun rapport avec les robes rétrécies).

Helau, helau, helau !

Attendre

Lockdown enhardi, école à la maison (encore !). Le rêve de voyages et d’actes subversifs est-il encore autorisé ?

Hou, hou y’a quelqu’un ? (sculpture temporaire sur le Staatstheater de Mainz)

C’est reparti pour un tour.

Ou plutôt ça continue dans un ruban de Möbius insupportable. Les chiffres du corona ne sont pas bons, malgré l’assiduité des Allemands à suivre les règles. C’est à n’y rien comprendre. Que les chiffres dérivent en France, on se dit, bon c’est un trait culturel de ne pas toujours se sentir concerné par les interdictions. Pour des sujets moins graves, cette souplesse tolérée est plutôt agréable. Mais ici… Personne sans masque, les distances sont respectées, tous les lieux de sortie sont fermés… Pourquoi ?

Le lockdown a haussé d’un ton. La mâchoire du monstre-virus se referme un peu plus autour de nos libertés. Dans les villes où les chiffres sont vraiment alarmants, pas le droit de s’éloigner de plus de 15 km de son domicile. Heureusement à Mainz ce n’est pas encore le cas. Oui je sais, ça reste 15 fois plus que les limitations en France.

Pour l’instant nous échappons au couvre-feu. Entre vous et moi, ça ne nous contraindrait pas beaucoup au quotidien, à part pour une sortie tardive de poubelles ou des courses de dernière minute au supermarché (oui tout est fermé le dimanche, mais le soir il reste ouvert jusqu’à 22 heures). Pourtant j’espère que ça restera le cas. La violence de l’interdiction dépasse la limitation d’action réelle.

C’est donc reparti pour un tour. On en reprend pour un mois de cours à la maison. Au moins. Youpi !

Physalis, l’amour en cage…

Heureusement c’est mieux organisé qu’en mars, les filles sont plus autonomes. Si chaque élève coupe sa caméra, le réseau évite la saturation. Les portes des chambres filtrent les conversations. Si la maison tremble, si on entend des coups de sifflet, c’est qu’il y en a une en cours de sport.

Ça leur fait de grosses journées collées sur un écran. Pour ma plus jeune, l’organisation annoncée dès mi-décembre était la suivante. Chaque cours (durée de 45 minutes) est divisé en trois parties : explications du prof, exercices hors ligne, puis corrections et questions en direct. Les cours de Lernzeit, (5 heures par semaine), études encadrées pour les devoirs, sont aussi poursuivis en ligne.

La rigueur et la concentration exigées seront-elles possibles ? Quel est le degré d’investissement des parents attendu ?

Ma plus jeune vient de m’appeler paniquée. Il lui reste quelques minutes pour faire l’exercice d’éthique. Je la sens toute stressée. ‘’Ça veut dire quoi rumeur ? ‘’ Ma présence la rassure. Comme la réponse de sa prof à son message inquiet : ‘’Je ne pourrai pas tout faire dans le temps imparti, est-ce grave ?’’. Nein a répondu sa prof. Finalement elle a tout fait, dans les temps, et juste. Et moi j’ai la réponse à la question ci-dessus sur le degré d’engagement des parents.

Je redoute de me faire happer par la pédagogie familiale. Je tâche de me fondre dans le décor et de faire comme si je n’étais pas là… Je pilote tout de même le rattrapage des cours où elle était absente la semaine dernière. Je souhaite garder mon cerveau et ma patience pour mon usage personnel, mais je cède mes outils.  La tablette, ne veut plus se connecter : mon ordinateur est réquisitionné. Mon téléphone aussi, tiens, elle en a besoin pour consulter ‘’l’environnement de travail partagé’’ pendant les videos. Me voilà déconnectée.

Mercredi, tout premier cours de guitare pour ma plus jeune et son Daddy. En ligne et sans guitare. Ben oui, on a besoin des conseils du prof avant d’investir. Ça promet.

La même quelques semaines plus tard

Surtout ne pas penser.

Ne pas se projeter.

Ça tombe bien, c’est ce que je fais le mieux (smiley avec clin d’œil grimaçant).

On sait faire, on a de l’expérience, on peut même la mettre sur son CV. Soft skills : capable de rester enfermée avec sa famille pendant une durée indéterminée sans les étrangler…. Avant de l’affirmer, j’attendrai la fin des hostilités, pour être vraiment sûre.

J’ai de la chance mes projets professionnels se passent ici même, à ce bureau. Pour la vie par contre, j’aimerais mieux que ça se passe aussi ailleurs. Alors pour accepter les prolongations de lockdown et garder le moral, on se dit, faisons des projets. Préparons nos prochains voyages.

Le voyage ? J’ai oublié. Les excursions dépaysantes datent de l’ère pré-enfants. Les vacances à l’étranger d’avant-ce-que-vous-savez. Les week-ends spontanés (ou pas d’ailleurs) en montagne ou à la mer, d’avant l’expatriation.

Alors je ressors mon Larousse. Enfin, façon de parler. J’ouvre la page web et je fouille au milieu des pubs.

Voyage, du latin viaticum, provisions de route. Ah on s’en approche : les provisions on a. La route, au-delà du marché, pas vraiment.

Action de se rendre dans un lieu relativement lointain ou étranger. Euh non, ça on a perdu l’habitude. Envolé ! Confisqué ! Ah moins que ‘’relativement’’ soit pris au pied de ses douze lettres.

Je propose un échange familial constructif pour garder le cap, disons, trouver un cap.

-Alors les enfants, vous voulez partir où ?

Une réponse fuse, instantanée.

-En Polynésie française !

Ma plus jeune a déjà fait ses plans.

-Ah bon ? pourquoi ?

-J’ai vu un reportage sur Arte junior avec la classe. Ça m’a fait trop envie.

-OK. Mais sinon, plus près ? (moins cher ?)

-Le Canada.

-Ah oui ? pourquoi pas. On irait voir les copains. Moi j’aimerais retourner en Italie et en Grèce. Mettre le cap vers le Sud pour changer un peu des contrées anglo et saxonnes.

Déplacement, allées et venues, en particulier pour transporter quelque chose.

Au moment où j’écris ces mots, j’entends ma meilleure moitié ranger les provisions qu’il vient d’acheter au supermarché. Oui les allées et venues pour transporter des choses : on est au taquet. On voyage un max.

Action de se rendre ou d’être transporté en un autre lieu ; trajet. Ah oui là aussi, côté changement de lieu ça marche (littéralement) autour du quartier, dans une spirale sans fin. Des boucles de pas boueux enchâssées comme des poupées russes. Et surtout, merci les bouquins et la téloche. L’imagination.

-OK, minette je pars avec toi en voyage. Viens, on va se regarder un documentaire. (BBC, Perfect Planet avec l’inénarrable David Attenborough).

Tiens, c’est un coup de bol qu’on ne soit pas partis en Angleterre. Avec le changement pour le pire qu’ils ont vécu, on serait tombés dans les limbes des « triers », des quarantaines politiques, des conséquences du Brexit… Le voyage vers une île peut-être un piège redoutable. Pas de fuite possible. Evasion doublement confisquée.

Exploration, découverte, description de quelque chose qu’on suit comme un parcours. Euh ça compte la glissade passive et manipulée dans les feeds d’Instagram pour voir si les autres sont plus coincés que moi ? Non. Je pencherais plutôt vers les phrases fabriquées ici, la découverte des mots qui sortent des doigts pour m’éclairer le cœur et peut-être le vôtre. L’observation curieuse des pâquerettes qui fleurissent en hiver, des graines qui germent dans mes pots. Tombées des fleurs cet automne, elles se hâtent de déplier leurs feuilles crispées. J’ai envie de leur dire. NON ! Trop tôt ! Restez chez vous ! (c’est contagieux cette manie) Vous allez griller.

Faute de voyager on envoie ses meilleurs vœux, des Lebkuchen (oui merci les paquets sont arrivés après de nombreuses semaines de transport). Désormais coincés à la maison, j’ai voulu faire une commande en ligne sur le site des pains d’épice que l’on m’a recommandé. Pour l’adresse d’expédition de mon panier virtuel tout se passait bien jusqu’au choix du pays. Le menu déroulant propose la liste de toutes les nations du monde, sauf la France. J’ai tenté French Guiana. Mais les frais et délais de livraison m’ont semblé conformes à une expédition outre-Atlantique. Ce n’était pas une erreur, en tous cas pas là. Frustrée de ne pouvoir mener à bien ma commande, mais pleine de bonne volonté pour signaler à ce fournisseur l’erreur de leur site web, je leur ai envoyé un message sur Instagram. ‘’J’ai voulu expédier une commande en France, mais je ne l’ai pas trouvée dans le menu déroulant’’. J’ai reçu la réponse une semaine plus tard : ‘’Alors c’est qu’on ne livre pas en France.’’

Vraiment ?

D’abord je me suis dit qu’ils se foutaient de moi. J’avais envie de demander à l’anonyme qui pilote le compte derrière un (pas très) smartphone s’il avait entendu parler de service clients. Voire même de remerciements car après tout je leur signale un bug. Heurtée par une réaction surprenante et raide, je me vexe toutefois moins qu’avant. Je sais que ça n’a rien de personnel. C’est un trait culturel de bonne foi.

M’enfin, tout de même.

Mon mari à qui je raconte cet épisode me répond : « Ah oui, les Allemands ont souvent des réactions comme cela au travail. »

Alors on se gratte la tête et on se demande : pourquoi ? Pour éviter de réfléchir ? Pour ne pas reconnaître la possibilité d’une erreur. Pour ne pas se remettre en question ?

On n’a pas trouvé la réponse bien sûr. Je demanderai à une amie.

Mais grâce à cette réponse lapidaire, je me suis lancée dans l’exploration de nouvelles possibilités pour offrir des douceurs allemandes. Un voyage virtuel vers des mains amies, blottie en pensée entre des boites de carton parfumées aux épices. Entre proches éloignés, nous organisons des retrouvailles par cartons interposés. Le fret est reparti en Angleterre on a reçu un colis géant : un deuxième Noël ! Thanks belle-sœur !

Et pour faire semblant de vivre ma vie, je vais, en bonne Française, poser un acte subversif. Hé, hé !

Dès qu’il ne gèlera plus j’irai déterrer un plan de pâquerettes sur les terrains collectifs. J’aimerais en planter dans notre carré d’herbes et les inviter à essaimer. Or il est impossible de les acheter ces demoiselles sauvages en collerette. On ne trouve en pépinière que leurs cousines pomponnées.

Alors j’ai fait mes repérages près d’une aire de jeux, et, avec mon couteau de cuisine, mon masque et mon sac en plastique, je vais tenter d’éviter la Hobby Polizei (‘’la police des hobbies’’ comme dit une amie , ces férus d’ordre aux dépens de la joie des autres).

Les pâquerettes et moi on a un rencard nocturne.

Tant qu’il n’y a pas de couvre-feu.

Excursion à Baccarach

Des vacances de Noël en famille et une promenade dans la Vallée du Rhin romantique, émaillées de surprises joyeuses.

Baccarach, au bord du Rhin

Chers amis, je suis ravie de vous retrouver.

Il semblerait que j’aie pris des vacances d’écriture. Je n’en étais pas sûre lors de ma dernière publication alors je ne vous ai pas prévenus. J’ai laissé faire l’envie. Mon clavier a été délaissé pour des activités familialo-gourmandes. Les mots et les idées se sont entreposés dans un coin de mon cœur. Les vacances sont finies pour mon mari et moi. Le collège reprend mercredi, avec des cours à distance. Je suis heureuse de retrouver mon temps de composition personnel, curieuse d’aller fouiller dans mon cagibi secret et de le partager avec vous. Voyons voir ce que l’on va trouver.

Vous êtes bien installés ? bien reposés ?

Oui moi aussi. Merci. Nous avons eu la chance d’accueillir longuement mon grand garçon et sa copine. Une compensation joyeuse à l’assignation à résidence.

Le sac à déchets végétaux dans le jardin se remplit de couronnes sèches et de bouquets fanés. Les sachets de papillotes importés par nos étudiants sont entamés mais pas finis (chouette ! pourquoi ne mettent-ils plus de pétards dans les papillotes ? encore un sacrifice de sourires sur l’autel de la rentabilité ?). Le sapin de Noël nous accompagnera encore cette semaine. L’enlèvement collectif des arbres est prévu samedi. Nous retarderons le plus possible son exil au bout de la rue pour profiter de la joie qu’il nous offre. Ses lumières sont les premières allumées le matin et les dernières éteintes le soir. Merci sapin !

Deux semaines confinées sur notre noyau familial, sans voir personne ou presque, à part les vendeurs du marché. Des surprises sympas en forme de clin d’œil amicaux nous ont réjouis !

Le jour de l’anniversaire de ma grande fille (13 ans déjà), notre déjeuner dominical est interrompu par un coup de sonnette. La porte à peine ouverte, des voix entonnent : « Happy birthday to youououou … ! » C’est une amie à elle avec sa sœur, sa maman, et son chien, qui viennent lui apporter un petit cadeau. Il est posé devant la porte. Elles chantent à quelques mètres de là, dans la rue. La distanciation sociale (Abstand !) est respectée, la gentillesse préservée. Partez vite sinon on vous fait un gros câlin !

Un matin dans la boite aux lettres, nous avons trouvé une carte de vœux dessinée par les enfants d’une amie à moi. Zut je l’ai ratée quand elle est passée. Mais quel plaisir de faire partie des destinataires !

Le dimanche de l’anniversaire de mon autre fille (10 ans ! eh oui notre moi de décembre est intense), une copine-voisine lui a apporté une carte et un dessin faits maison avec un grand sourire. Elle a à peine passé la porte. Pas besoin, nos coeurs étaient gonflés pour la journée et au-delà !

Le jour de Noël, la sonnette a retenti en tout début d’après-midi. J’ai ouvert la porte sur notre famille en plein Christmas pudding avec couronnes de crackers sur la tête. Une autre amie à moi et son mari rentraient de promenade (ils avaient fêté noël entre eux le 24, comme beaucoup de notre entourage), un sachet de Lebkuchen (pains d’épices) maison à la main. Délicieux, oui merci. J’espère avoir sa recette. Avant de partir elle me demande : « Les couronnes, c’est une tradition française ou une création spontanée ?»

Au marché dans la queue qui serpente à intervalles réguliers, une autre amie me fait signe. « Tu me manques ! elle me dit. J’ai peur que le lockdown brise les liens, fais-moi signe pour une promenade le long du ruisseau du Gonsbach. » Elle le connait par cœur ce chemin. Moi aussi. Tous les voisins également. C’est un des terrains de jeu de Mainz pour jambes en mal de mouvement. Moi aussi j’ai peur que l’isolement forcé dénoue des liens que nous tissons avec patience et assiduité depuis deux ans et demi.

J’ai l’impression de jouer à un deux trois soleil. Vite, bouger, se déplacer, rencontrer des amis quand on a le droit, se fondre dans l’immobilité dès qu’on nous regarde.

Le soir de la Saint-Sylvestre, nous avons fait des jeux et nous sommes couchés bien avant le changement d’année. A minuit, les pétards et les feux d’artifice ont éclaté. Tiens, il me semblait que c’était interdit. De grosses voix graves chantent sur le parking. Brrrr…Hou la la, ma benjamine va avoir peur sans doute… On frappe à la porte de notre chambre. Deux demoiselles se faufilent entre nos draps. L’occasion d’un câlin collectif à écouter pétarader le voisinage. Je demande à ma grande fille :

-Tu ne dormais pas ?”

-Non je lisais. je voulais attendre minuit. A minuit j’ai fait une minute de silence pour les gens malades du Covid, une minute de silence pour les gens morts du Covid. Et puis je me suis récité mes résolutions à haute voix. Après ma soeur est arrivée.

Un moment entre deux années, précieux. Bonne année les choupettes chéries.

Au milieu des vacances, nous avons fait une excursion avec des amis (Tu crois qu’on a le droit ? disons que oui, on restera à distance). Une évasion en voiture, bien au-delà de la place du marché ou du Gonsbach, dans une région touristique. Ce dimanche il fait gris et très froid. La pluie tombe en italique, le vent souffle en rafales. Un ciel bas s’accroche aux branches noires de troncs mouillés. Nous marchons dans la boue, pique-niquons debout sous le toit d’une Hütte (ces abris construits sur les chemins de randonnée) avec des restes d’agapes froids. Nous sommes humides et grelottants. C’est le paradis.

Notre abri bien réel : la Hutte Théorique

Nous nous étions donné rendez-vous avec nos amis de Cologne (ma Susanne d’enfance et sa famille), en aval des gorges du Rhin romantique à Spay. Juste avant Koblenz et le confluent du Rhin et de la Moselle. Cette balade de deux heures nous a permis d’échanger des cadeaux et des nouvelles de vive voix, de monter sur le plateau avec des points de vue monochrome entre nuages effilochés sur les boucles du Rhin. Le rêve !

Loreley (oui il faisait gris)

La route entre Mainz et Spay suit le fleuve, dans le sens du courant. A intervalles réguliers des chiffres géants sont inscrits le long de la rive : le nombre de kilomètres depuis la source en Suisse (500 à Mainz). Au niveau de Bingen, le Rhin entre dans sa partie romantique, des gorges creusées entre rive gauche, les reliefs du massif de l’Eifel et rive droite, ceux du Taunus. Des villages de contes de fée s’égrènent de chaque côté. Les vignobles dégringolent tête première vers le bas (comment font-ils pour vendanger ?). Des châteaux forts en grès rouge, plus ou moins retapés, gardent les flancs des gorges. Le temps des prélèvements de taxes est révolu. Au niveau de Sankt-Goarshausen (un nom comme une formule magique), le lit contraint par des falaises se resserre, le fond de l’eau descend à moins 25 mètres, et le courant forcit. C’est le passage le plus étroit et le plus profond du parcours navigable, au pied du rocher de la Loreley. Pour les mariniers, le lieu de tous les dangers.

Au sommet de la falaise, cette belle nymphe de la mythologie teutonne coiffait ses longs cheveux blonds. Comme les sirènes d’Ulysse, elle détournait le regard des marins et causait des naufrages. Mon professeur d’allemand au collège nous a raconté cette légende, les ballades et chansons écrites sur ce thème. Le Rhin romantique affiché sur un mur de la classe semblait alors très exotique.

Aux beaux jours, la circulation sur le fleuve entre navettes, bateaux-hôtels de croisières et péniches de fret est dense. En ce dimanche de fin décembre gris et froid en plein lockdown c’est vide et mort.

Comme mon grand garçon n’a guère eu l’occasion de faire du tourisme en Allemagne, nous avons souhaité lui donner un aperçu du coin, en s’arrêtant dans un charmant village. Quelques mois après notre arrivée nous y avions retrouvé nos amis pour un pique-nique dans l’herbe au soleil. Comme lors de ce premier passage, nous nous sommes garés entre la voie ferrée et le Rhin, tout près des remparts, pour une visite exprès de Baccarach.

C’est un village médiéval préservé, aux maisons à colombages, où les vignes s’invitent dans les jardins. En saison, et en temps normal, les terrasses des cafés et des restaurants débordent sur les ruelles, comme les magasins de caves viticoles. Les touristes à cornet de glace (nous, l’autre fois) marchent le nez en l’air et le portable prêt à photographier. Là, personne, aucun bruit. Les vitrines sont éteintes, les restaurants et les hôtels fermés. Mon fils s’exclame : « On se croirait à Disneyland un jour de fermeture ! »

Les illustrations des livres de contes (peut-être grâce aux frères Grimm) doivent beaucoup aux paysages allemands (les forêts mystérieuses, les maisons à colombages). Les dessins animés aussi. Les enfants ne sont pas perdus dans la campagne germaine.

Un rapide tour donc, sans déranger personne dans des rues piétonnes ou presque. Il ne pleut pas encore, mais nous sommes pressés : notre lieu de rendez-vous est encore à plusieurs kilomètres. Le chemin des ânes qui s’échappe entre deux maisons nous conduit à une tour de guet dans les vignes. Stop, nous n’irons pas plus haut. Nous sommes attendus. Mes doigts gèlent sur l’appareil photo (j’essaie de résister à la paresse des clichés sur téléphone). Le point de vue sur les toits, le château sur la colline reconverti en auberge de jeunesse (où mon amie Susanne était allée avec sa classe à l’école primaire), et sur la Wernerkappelle est superbe. D’ailleurs il est en couverture de mon guide Lonely Planet sur toute l’Allemagne.

Baccarach, à droite la ruine restaurée de la Wernerkappelle

La Wernerkappelle (chapelle Werner) n’a ni toit ni vitraux. Elle dresse son squelette gothique à mi-pente au-dessus du village, au-dessous du château. Un mystère aérien en dentelle de pierre. Une proue de navire fantôme.

Vite dépêchez-vous on redescend ! On ne veut pas faire nos Français et arriver en retard. Cet arrêt était prévu dans notre temps de trajet. Mais, tout de même.

Mon mari et une de mes filles partent d’un côté pour acheter dans une ruelle du jus de pommes qu’ils ont repéré (à disposition devant une maison, avec une tirelire pour le payer). Avec mes autres enfants, je suis la rue piétonne principale : je souhaite revoir une vieille porte en bois qui m’avait beaucoup plue.

Là, en face, deux hommes parlent. Un vieux monsieur masqué de papier blanc, appuyé sur un déambulateur, un peu voûté sous un manteau et une casquette noirs. A son côté, un homme barbu, la petite cinquantaine dans un corps confortable, lui aussi dans un pardessus sombre. Dans ce village fantôme, c’est assez remarquable.

J’entends :

-De là, on voit bien la chapelle.

Cette interpellation me surprend. Je jette un rapide regard autour de nous. Personne d’autre dans la rue. Ce doit être pour moi et mon appareil photo en bandoulière. C’est le vieux monsieur. Je m’arrête et me tourne vers lui.

-Ah oui ?

Je m’approche, tout en restant à la distance prescrite, et je suis son regard vers le haut.

-Ah oui c’est vrai !

De ce petit coin de rue, contre une vitrine éteinte, la chapelle Werner dresse ses murs ouvragés au-dessus de la maison d’en face. Le ciel blanc coule à travers les fenêtres vides.

-Superbe ! Merci !

Je prends une photo. Celle-là :

Wernerkappelle

Le plus jeune des deux m’explique.

-Mon père était architecte, il a restauré la chapelle.

Il n’en fallait pas plus pour éveiller ma curiosité.

-Whaou ! Quand ça ?

-Dans les années 90. Les fenêtres font douze mètres. Vous vous rendez compte !

Je produis les bruits d’exclamation adéquats.

-Elle date de quand ?

-1200 environ. Elle a été construite en même temps que les cathédrales de Cologne et de Strasbourg. Les architectes de l’époque s’inspiraient les uns des autres.

Le vieux monsieur a l’air fatigué, mais une lumière dans les yeux.

-Je ne peux pas monter à cause de mon cœur, mais de là on la voit très bien.

-Vous habitez ici ?

-Non à Koblenz.

Je traduis rapidement pour mon grand garçon qui ne parle pas allemand. Le fils du monsieur m’explique dans un très bon français que lui-même habite “vers la Mer du Nord, dans un coin froid et pluvieux”. Ils sont venus exprès de Koblenz tous les deux pour ces quelques minutes à contempler la chapelle depuis le bas. Leur voiture est garée à quelques mètres.

Je suis éblouie par une telle passion. Quelle chance d’avoir exercé une profession dont le sillage trente ans plus tard, irradie encore ! Donne du sens à un coeur fatigué.

J’ai encore des tas de questions à poser (pourquoi, lors de la restauration, avoir renoncé au toit et aux vitraux ?). Mais nous devons y aller. C’était très sympa de parler avec vous, merci !

Nous serons en retard de quelques minutes au rendez-vous. Nous avons fait nos Français. Pardon copains. Mais, écoutez, c’est pour une bonne raison. J’ai parlé avec un vieux monsieur. L’architecte de la Wernerkappelle

Cet échange m’a enrichie d’une lumière que le ciel et les circonstances nous refusent.

Je vous souhaite pour 2021 un feu d’artifice de surprises lumineuses.

Ah, un peu de soleil ;o)

Noël à l’allemande

Confinement oblige : nous allons passer notre premier Noël en Allemagne.

Bientôt Noël, un Noël bizarre un peu comme si on était dans un autre pays, avec des habitudes différentes. Mais sans partir de chez soi. Un voyage en intérieur. Une nouvelle expatriation immobile.

Nous allons passer en famille notre premier Noël en Allemagne. Pour moi, ce sera le deuxième.

Approchez, je vais vous raconter ma première fois.

C’était en décembre 1988. (Oui il y a bien longtemps.) Ma grande amie allemande (voir article L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne) m’avait invitée à passer les fêtes dans sa famille. Nous avions tout juste 16 ans. J’étais super excitée. J’avais demandé au prof de maths de bien vouloir décaler ma date de rendu des devoirs pour être plus disponible. (Il avait refusé). J’avais téléphoné à Susanne pour organiser mon voyage. A l’époque, sur l’appareil gris à cadran du séjour, un coup de fil à l’étranger était un événement coûteux.

Le premier samedi matin des vacances je suis donc montée d’abord dans un car puis dans un TGV pour Paris. Retenant mon souffle de campagnarde à la ville, j’ai changé de gare et attendu plus de deux heures en Gare du Nord le train pour Cologne. Le long trajet à travers les plaines du nord de la France, de Belgique et d’Allemagne était à la fois monotone et dépaysant. En cours de route, les douaniers sont passés contrôler les voyageurs.

Elle et moi devant la cathédrale de Cologne, au marché de Noël en 2018

Le train est arrivé de nuit dans les lumières du centre de Cologne, au pied des flèches de la cathédrale. Par un caprice d’architecte curieux, la gare moderne est blottie entre un monument gothique inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco et le Rhin.

Cette arrivée à Cologne me rappelait des souvenirs mitigés. Mais cette fois allait être différente : j’avais vraiment envie de venir ! Sous les néons de la haute verrière, j’ai aperçu par la vitre Susanne, sa maman et son petit frère qui m’attendaient sur le quai. Elle tenait à la main une rose.

J’ai tout de suite adoré sa maman que je rencontrais pour la première fois. Elle m’a prise dans ses bras comme sa fille. J’ai découvert leur appartement confortable, dans un quartier calme et vert, la vie d’une famille sans papa, et les machines à laver reléguées entre copines à la cave.  A côté du lit de Susanne, un matelas avait été installé pour moi. Elle m’a montré sa nouvelle chaine stéréo et ses disques (noirs). Une photo de son père. Sur sa porte, était collée une grande photo d’elle au bord de la mer en Yougoslavie.

J’ai goûté les Plätzchen (sablés de Noël) pour la première fois (et à plusieurs reprises). Nous avons fait ensemble le sapin de Noël le 24 décembre au matin.

C’était une expérience nouvelle pour moi. D’abord parce que dans ma famille, pour ne pas tuer d’arbre, on ne faisait pas de sapin. (On décorait des branches de genet coincées entre quatre bûches.) Ensuite parce que Noël entrait dans la maison dès dès novembre pour tricher un peu sur le temps long et noir. La crèche de terre cuite prenait ses quartiers sur la longue hotte de la cuisine, décorée de mousse et de branches de thym, oliviers miniatures.

Pas de crèche chez Susanne. Ni d’escargots ou de treize desserts. Le 24 décembre au soir nous avons mangé une raclette (avec tranches d’ananas festif). Eh oui, c’est le plat national allemand pour Noël ! J’ai aussi appris que le 26 décembre est férié (comme en Angleterre : Boxing Day).

Le petit frère de Susanne a reçu un jeu de Risk (Risiko). Nous y avons beaucoup joué en croquant des noix. Ça m’a permis d’apprendre le vocabulaire de l’invasion de pays. On ne sait jamais.  Sa maman nous a emmenés passer une journée à Amsterdam. Lors d’un tour en bateau sur les canaux, elle nous a indiqué la maison d’Anne Franck, et une maison très étroite, la plus petite de la ville. Au café Esprit, multicolore, j’ai fait comme ma copine et gouté mon premier capuccino. Je n’avais jamais avalé de café. A chaque gorgée, je me sentais devenir adulte.

Les nouvelles expériences se sont enchainées. Pour le réveillon du 31 décembre, nous sommes allées à la fête de son club d’aviron, au bord du Rhin. J’ai bu mon premier Sekt (le vin pétillant) et appris comment dire ‘’cul sec’’ en allemand (auf ex ! ). Après je me souviens surtout des escaliers qui bougent, des feux d’artifices qui éclatent partout dans le ciel de Cologne au-dessus du Rhin, de la pelouse froide et humide, de Susanne assise à côté de moi, et des gens qui nous regardent d’en haut : « On va les ramener. »

Heureusement le trajet à pied n’était pas long. Nous nous sommes effondrées sans mot dire sur nos lits. La maman de Susanne ne s’attendait pas à nous voir arriver escortées.

Le lendemain, nous étions toutes les deux invitées chez une amie américaine de ma famille. Mariée à un Allemand, elle vivait désormais à Cologne. Lorsque la maman de Susanne nous a conduit chez eux, j’ai emporté un sac en plastique. Dans l’entrée, nos hôtes nous attendaient en souriant. “Bonjour !” ils nous ont dit. Je me suis assise par terre dans le couloir et j’ai vomi dans mon sac.

Ils nous ont installées dans un lit de fortune. En fin d’après-midi, après une soupe, nous avons retrouvé une forme suffisante pour sortir comme prévu. A Bochum, une ville voisine, nous avons assisté les yeux grands ouverts, et la bouche aussi, à Starlight express, une comédie musicale en patins à roulettes. Je me souviens des lumières dans la nuit. De la musique forte, des costumes métalliques. C’était extra !

Quelques jours plus tard, il a fallu rentrer en France. (Dans le train du retour j’ai fait mes devoirs de maths.)

Hier Susanne et moi nous sommes téléphoné (par Skype cette fois). Nous avons évoqué notre Noël commun (brièvement, nos enfants étaient là ;o) ). Cette année, nous ne mangerons pas ensemble elle sera avec sa famille, dans la limite du nombre de convives et de foyer (je pose 2 et je retiens 8). Nous serons tous les cinq (yeah ! mon grand garçon a pu venir).  Ensuite peut-être qu’avec masques, distances, grand air et tutti quanti, on se retrouvera pour se balader au bord du Rhin et se rappeler le bon goût de l’amitié en direct.

Le hard lockdown a été mis en place mercredi dernier. Les enfants ont gagné trois jours de vacances et voir du monde va être encore plus dur.

Ces derniers temps, la vie s’était translatée sur les trottoirs. J’ai attendu mon tour chez le coiffeur dans un abri extérieur, avec canapé coussins, thé et café à disposition. Presque une tente bédouine. (Presque un intérieur). Des panneaux indicateurs sont apparus devant un immeuble pour donner les sens des queues. Flèche à droite : pharmacie ; flèche à gauche : cabinets médicaux. (Oui pour aller chez le docteur on attend dehors d’être appelé à l’interphone.)

Chacun fait ses calculs pour savoir comment et dans quelles conditions se retrouver pour les fêtes (si la grand-mère vient, faut qu’on mette un ado dans le placard : lequel ?).

Pour le réveillon, notre escapade en Forêt noire est tombée à l’eau du confinement. Angela a interdit les feux d’artifice. Donc ma deuxième Saint-Sylvestre le long du Rhin sera silencieuse.  Et propre. Pas de dépouilles de pétards dans les rues du lendemain. Ni dans notre jardin, même en notre absence.

Comme personne ne part dans le quartier, les enfants auront des copains avec qui jouer au foot ou au basket.

Ces vacances à la maison seront l’occasion ou jamais de sortir les jeux de (petite) société. Les enfants ont installé Risk sur le tapis du salon. Ils me rappelleront les règles. Nous allons voyager sur un plateau de jeu. Rêver de nos prochaines excursions. Nous imaginer envahir toute l’Europe. Un peu comme cela risque de se passer quand tout le monde aura été vacciné.

Je vous souhaite un très joyeux Noël !

Biscuits de Noël et autres traditions

Douceurs allemandes, anglaises et françaises. La cuisine est sens dessus dessous.

(Attention : la lecture de cet article risque de vous ouvrir l’appétit.)

C’est vraiment compliqué de concevoir une nature morte…

Vous aussi vous êtes dans les préparatifs de Noël ? Avec une liste d’inconnus et d’incertitudes ?

Certaines traditions ont pris encore plus de valeur en cette année floue :  les desserts en pagaille et les décorations. Ces joies-là sont dans notre périmètre de maîtrise . On a déjà réussi la guirlande de l’Avent et les étoiles en papier découpé (le tuto de ma fille est sur Instagram, ce site ne peut hélas pas digérer sa taille). Acheté les figurines en chocolat de Saint-Nicolas pour donner aux copines au collège (encore entières le matin au départ).

(Maman quand est-ce qu’on va chercher le sapin ?)

Les préparatifs des douceurs ont commencé voilà plusieurs semaines. Je vous en ai déjà parlé, faute de variété à se mettre sous la dent. C’est qu’on se met un peu la pression : il nous en faut de trois sources. Alors on s’organise. On dévalise le rayon pâtisserie du supermarché du coin. Les achats anticipés de Lebkuchen à la boutique en face du théâtre de Mainz sont faits. Comme les commandes en Angleterre : crackers, Christmas pudding et son brandy butter, et barres chocolatées pour les stockings (chut c’est un secret). Nous avons reçu un colis d’Ardèche (merci papa pour les marrons glacés), un carton d’Allauch (nougats blanc et noir).

(Permettez-moi un petit aparté, si nous recevons bien nos paquets, nos envois à l’étranger ne semblent jamais atteindre leurs destinataires… il doit y avoir un problème de distribution au passage de la frontière, ou un intermédiaire très gourmand et peu scrupuleux… Vos paquets arrivent, vous ?)

Nous avons aussi pâtissé : le Christmas cake attend sous plusieurs couches de papier. Il sera glacé et décoré le 24 décembre. La mince meat macère en pots. Elle servira à fourrer d’un coeur fruité et épicé des mini-tourtes en pâte sablée.

Côté sablés allemands, les Plätzchen, longtemps nous sommes restés aux deux classiques Marmeladennester (petits ronds aux noisettes et à la confiture) et Vannillekipferl (mini croissants aux amandes et à la vanille). Mon amie d’enfance de Cologne nous avait fourni les recettes. Cette année, je me suis offert, à la librairie du quartier, un livre de pâtisserie de Noël. Ça doit être un signe d’intégration avancée : notre gamme culinaire s’étend ET lire en allemand sur notre temps libre ne nous fait plus peur. (Pour les mots compliqués, ma fille est plus rapide que Google translate et je n’ai pas besoin de trouver mes lunettes.)

Les Allemands préparent différentes variétés de ces sablés et les stockent séparément dans des boites. Ils les offrent mélangés dans de petits sachets. Samedi j’ai croisé au marché une mamie-amie de mon cours de terre. L’an dernier elle nous avait apporté une sélection de ses petits sablés de Noël. Ils étaient délicieux. Alors je lui ai demandé : Tu as fait tes biscuits ? Tout est prêt ! elle m’a répondu.

Motivée par son exemple, j’ai décidé de me mettre aux fourneaux. Les miens sont partis faire des courses vers Francfort (c’est loin Ikea, et là-bas le Décathlon est plus grand). J’ai profité du champ libre pour confectionner des Marmeladennester.

En attrapant un pot de groseilles dans le placard du haut (beaucoup trop plein si vous voulez mon avis), un pot de gelée de coing est tombé. PAF ! Il a éclaté en mille morceaux. Des échardes ont sauté jusque sur la plaque de gâteaux. La catastrophe de confiture, la catasture à moins que ce ne soit la confitrophe a ruiné mon boulot. J’ai tout jeté.

Le lendemain ma fille et moi avons pris notre revanche en forme de Zimtsterne : des étoiles à la cannelle. Bien meilleures que ma première tentative. A la sortie du four à 16 heures, ma fille en a compté 42. Le soir-même il n’en restait que deux… Comment font les Allemands pour garder des stocks jusqu’à Noël ? Je vais enquêter.

(Maman quand est-ce qu’on va chercher le sapin ?)

Vous voyez, mon ascendance provençale et ses treize desserts sont honorés (freestyle) ! On a aussi planté les lentilles le 4 décembre. Elles gonflent dans une coupelle sur la fenêtre de la cuisine.

On chante (et même juste parfois). On écoute les Christmas carols anglais, des chants espagnols qu’on aime bien (on reste ouverts), la seule chanson allemande qu’on connait Kling Glöckchen Kling (tiens ce serait bien qu’on en apprenne d’autres cette année, avec la nouvelle partition de flute de ma grande.)

A peine sorti la caisse de livres de de disques de Noël ma plus jeune a voulu chanter Noël n’est pas au magasin. Quelques jours avant qu’Anne Sylvestre ne s’envole pour toujours. Bon voyage Anne, nous on continue de chanter tes poèmes. (Heureusement que j’ai découvert ses textes pour adultes, sinon je serais à nouveau un peu orpheline.) On va tenter de te suivre et faire en sorte que Noël, sinon au magasin, ne soit pas trop sur Internet.

Les créations vont tous azimuts. On bricole, bidouille, rigole, peinturlure, tripatouille, et découpe. La maison est sens dessus dessous à moins que ce ne soit le contraire. Le pistolet à colle traine sur la moquette (hélas), ma grande fille refuse obstinément de mettre un tablier pour utiliser la peinture acrylique.

Un vrai bonheur, tant qu’il me reste quelques gouttes de tolérance pour le bazar.

Vous l’aurez compris, ma plus jeune nous tanne pour aller chercher un sapin de Noël (avec un jeu de mot top subtil, Tannenbaum veut dire sapin de Noël). Un stand s’est installé devant une église ultra moderne, là où au printemps pousse le kiosque de fraises et asperges. Charmant ce petit carré d’herbe sous les arbres avec des sapins de toutes les tailles. On se croirait dans un dessin animé Disney. L’enseigne éphémère propose des sapins à vendre et à louer. A louer, pourquoi pas ? On avait déjà tenté le sapin vivant ; il a même déménagé avec nous à Mainz. Hélas, la chaleur de l’été a eu raison de sa bonne volonté.

Des enfants en tenue de ski boueuse (forcément…) nous accueillent avec de longs tasseaux de bois gradués. D’un côté le prix à la vente, de l’autre, à la location (vertigineux, les deux). On se renseigne : pourquoi un sapin loué est plus cher ? Vous avez le pot (tout petit et en plastique). Et comment ça marche ? Vous rapportez votre sapin le 9 janvier. Pas de retour d’argent ? Non. Bon on va réfléchir.

(Maman c’est ce matin qu’on va chercher le sapin ?)

Pas besoin de beaucoup réfléchir : notre jardinerie favorite est moins chère et les sapins locaux. Le dimanche elle n’a le droit de vendre que des végétaux, mais c’est souvent bondé. Là le magasin était très calme. Peut-être parce que c’était la Saint-Nicolas ? Et aussi le deuxième dimanche de l’Avent ? Cette année leur village de Noël intérieur est réduit : pas de patinoire pour les enfants.

Nous avons jeté tous les quatre notre dévolu sur le même candidat : l’affaire fut réglée en quelques minutes. De retour à la maison, les deux cartons de décorations, sortis du cagibi fin novembre, calendriers de l’avent obligent, attendaient au milieu du salon. L’une des filles a mis des chansons de Noël pendant que les autres fouillaient dans nos trésors.

Magiques non, les boites de boules et guirlandes ? A chaque ornement déballé, on entend des “Oh tu te souviens, on l’avait acheté à ….” Un pudding en laine de Londres, un Ampelmann en feutrine de Berlin, un lutin de la jolie librairie de Mainz (et beaucoup de boules d’Ikea).

Chaque année, nous retrouvons des créations d’un autre temps que je refuse de sortir (hou la mauvaise mère) ou de jeter. Je cherche du soutien :

-Les filles vous ne voulez pas jeter ces bricoles abimées de vos premières années ?

-NOOOOOOOOON !

-Vraiment ? Le papier crépon est déchiré et délavé, le bougeoir en pâte à sel cassé….

-NOOOOOON !

-OK, OK.

C’est reparti pour un an dans le carton.

Pas de vraies bougies pour nous. Dans les magasins leurs boites ont remplacé les packs de quatre grosses bougies pour les couronnes de l’Avent. C’est charmant, mais on voudrait éviter de mettre le feu au quartier. Nous utilisons des guirlandes lumineuses, nombreuses comme jamais. Pour les éteindre et les allumer, à quatre pattes sous le sapin ou dans un twist peu recommandé pour les vieux dos entre les étagères, ça va nous occuper pour la journée !

Le salon est tout joli maintenant. Surtout qu’on en a profité pour ranger un peu. Pour nous récompenser, nous grignotons des mince pies importées. Chaque bouchée nous envoie des bouffées de nostalgie de la maison du grand-père à Londres.

Pourtant c’est chouette de rester chez nous pour les fêtes. Pas besoin d’essayer de faire rentrer une montagne de cadeaux dans trop peu de valises. De tout installer en cachette, au moment de partir, au pied du sapin en prévision du retour. D’attendre une correspondance dans les courants d’air d’une, de deux, de trois gares. Ou de coordonner les achats de victuailles à distance avec le reste de la famille.

Le menu on s’en est occupé directement : la dinde est commandée au marché (oui pour cinq, on aime bien les restes). Depuis, le boucher nous reconnait. Mercredi on réservera le vacherin chez le fromager.

C’est chouette mais un peu doux amer. Pas de marché de Noël, avec ses lumières, son Glühwein (vin chaud), son jus de pommes chaud et épicé pour les enfants (et moi), ses Bratwurst et les sourires amis. La ville est calme, comme en janvier. Pas de fêtes dans les écoles. Mon coiffeur, toujours pieds nus en décembre, m’a dit soulagé de ces annulations. Moi ça me manque un peu.

Birkenstock ne fait pas que des sandales

Alors pour me consoler j’écris à qui vous savez.

Cher père Noël, cette année on voudrait des jolis pyjamas. Des pantoufles aussi peut-être ? Elles s’usent vite en ce moment. Le gros orteil de ma fille va sortir bientôt.

Heureusement les traditions ont la vie dure.

Certains remplacent le marché de Noël par des soirées autour d’un feu de camp dans un jardin (les Allemands sont très férus de feux extérieurs en toute saison, ils ont des coupes métalliques sur pieds exprès).

Mon mari a reçu une grosse boite de la part de son travail. Une fête de Noël en kit : une bouteille de Glühwein, un petit Stollen, et un sachet de Plätzschen, les fameux petits sablés. Sous les papiers d’emballage, un carton de loto.

La fiesta sur Zoom promet d’être endiablée !

Un p’tit gâteau ?

(On a caché la balance.)