Chacun cherche son chien

Sauf moi. Pour adoucir l’adolescence confinée, nous adoptons le chien que nos filles réclament. Je n’en ai jamais eu envie.

Là, c’est MA place… enfin, c’était… (pratique pour poser ma tasse de thé ;o))

9h06, jeudi matin.

La maison n’a jamais été aussi bien rangée. Les sacs de vieux vêtements à donner qui trônent depuis trois semaines dans notre salle à manger sont enfin sur le départ. La boite sur laquelle des cristaux ont été mis à pousser – que voulez-vous, on encourage les expériences de chimie – a disparu de l’entrée. Les canapés sont à nouveau accessibles à des postérieurs : magazines et BD sont empilés sous une table basse.

Nous avons une inspection sanitaire / sociale / conditions de vie dans deux heures.

Une dame que nous ne connaissons que depuis lundi va venir ausculter notre logement et notre famille. Nous avons déjà répondu aux 58 questions du formulaire (ma fille a compté) sur notre lieu de vie et nos habitudes.

Elle va vérifier si nous pouvons accueillir un chien errant.

Et oui.

Nous y voilà.

Depuis trois ans la pression a monté (nous vivons désormais dans une maison, l’argument appartement ne tient plus). Nos filles nous ont fait plusieurs présentations dans les règles avec affiches documentées, slides (très professionnels), composition de chansons, de poèmes, de vidéos d’un quart d’heure au montage plein d’humour.

Les conditions de (sur)vie austères dues au corona (pas d’école en présentiel depuis mi-décembre – trois mois !!! -, autant dire, pas de copains, pas de projets, pas de sport, pas d’évasion) commencent à prélever un lourd tribut sur le moral. Notre ado file du mauvais coton. Sympa, elle nous donne son mode d’emploi : “I need a dog can’t you C ?” Nous avons cédé.

Elle a lu plusieurs livres, dont celui écrit par la dame qui an dressé le doggy Obama, et fait depuis des années des recherches assidues sur internet. Elle sait tout et initie sa sœur.

Au début elles nous ont demandé un chiot. Après réflexion (leurs parents sont décidément bien lents à la décision), elles ont préféré adopter un chien. Lorsque nous avons dit oui, ça faisait longtemps qu’elles savaient quelles plateformes de sauvetage d’animaux consulter. Identification des cibles potentielles en fonction de la taille, du caractère, du lieu de résidence actuel. Nous avons envoyé des mails, répondu à des questionnaires interminables et inquisiteurs.

Sans succès. La pandémie a suscité un engouement pour les toutous, même en Allemagne où on est libre de sortir sans prétexte (même sans destination ouverte). Peu de candidats à l’adoption. A chaque mail, les espoirs des enfants s’envolent puis s’écrasent à la réponse.

Pourtant, la semaine dernière, une dame nous a rappelé.

Elle habite à côté de Bamberg, à 250 kilomètres de Mainz (je vous entends penser : « Ah, ah ! » eh oui). Deux familles ont rendez-vous pour voir Cinderella, une chienne qu’elle a en garde depuis son sauvetage dans les Carpates voilà trois semaines. Elle nous promet de nous téléphoner si ça ne convient pas. Et miracle, elle a appelé – sans laisser de message. Nous la recontactons intrigués deux heures plus tard.

Elle nous propose de venir rencontrer cette chienne encore sauvage il y a un mois. Elle travaille pour un Tierverein, une association de sauvetage des chiens, en lien avec la Roumanie. Les animaux errants sont envoyés en Allemagne pour leur trouver une famille. Les recherches de nos filles montrent un trafic actif depuis l’étranger (Europe de l’Est, Portugal…). A Mainz nous avons même repéré sur un portail l’affiche d’une association qui sauve les chiens de Santorin, en pleine mer Egée. Une vraie niche… (hi hi).

Donc la dame nous a appelé au sujet de l’adoption de Cinderella. Elle veut aller vite pour que la chienne ne s’attache pas trop à elle. Elle nous explique les critères nécessaires de la famille d’adoption, nous pose des questions. Nos réponses semblent lui convenir, elle nous fixe un rendez-vous dès le lendemain. Ça tombe bien c’est Rosenmontag, qui reste férié malgré l’annulation du défilé de carnaval. Encore mieux, notre grand garçon est là et s’est pris au jeu canin de ses sœurs. Elles le consultent sur leurs trouvailles poilues.

OK on vient. On accourt. La famille trépigne, je ne sais plus quoi penser. Je me sens déjà pétrie de contraintes par le quotidien, privée de sorties et d’évasion (et encore plus en ce moment). Je n’ai jamais, au grand jamais eu envie d’avoir un chien. Je n’ai jamais regardé les chiens. Je me sens mal à l’aise en leur présence. Je les trouve sales, malodorants. Le seul chien que je fréquente c’est la posture de yoga (chien tête en bas).

Quand nous marchons dans la rue ma grande fille commente tous les chiens que nous croisons. J’écoute distraitement et lui signale les arbres et les plantes. Que ne ferait-on pas pour remonter le moral de ses enfants ?

C’est où Bamberg ? (Vous vous savez déjà, voir l’article Bamberg express)

Plein Est, en remontant le Main, la rivière qui traverse Francfort, et se jette dans le Rhin au niveau de Mainz. Je consulte à tout hasard le guide Lonely planet. Incroyable, ça fait partie des quinze destinations allemandes incontournables (avec Heidelberg, Berlin, la vallée du Rhin romantique…) ! Moi qui rêve de découverte et ronge mes quatre murs. Ah on va peut-être être copines Cinderella et moi…

Départ tôt, avec casse-croute et thermos de thé. Tout le monde s’entasse dans la voiture (pourvu qu’elle démarre ! le froid et l’absence de longs trajets éprouvent la batterie) et c’est parti. Mon grand garçon se tasse dans un coin et écoute un podcast. Il tricote une écharpe. Nous écoutons nos CD de Cabin Pressure, l’excellente sitcom radiophonique de la BBC (Radio 4), écrite par John Finnemore et dans laquelle joue un Benedict Cumberbatch d’avant Sherlock. Nous connaissons tous les épisodes par cœur mais continuons de rire et de nous régaler.

Au-delà de Francfort, on n’y est jamais allés : c’est le Far East.

Chez nous la neige a fondu, laissant des traces humides et blondes de sable du Sahara. (Ah, le Sahara … !) Mais au fil des kilomètres nous la retrouvons. La température baisse de plus en plus. L’autoroute traverse des champs et des forêts. Des panneaux monochromes nous indiquent la proximité de châteaux et nous signalent que Lohr-am-Main a inspiré Blanche-Neige (les lieux et personnages du conte des frères Grimm se retrouvent dans l’histoire et la géographie du coin, même le miroir qui ‘’parle’’). Décidément un voyage sous le signe des contes de fée.

Les filles nous donnent des conseils de comportement pour faire bonne impression. Nous sommes tous intrigués et tendus pour cet entretien de recrutement collectif. Et si on restait nous-mêmes, on n’a rien à cacher ?Enfin, vous non, moi faut que je fasse semblant. Une vieille habitude pour faire plaisir aux autres, dont je cherche à me séparer car elle m’a menée au burn out. C’est d’ailleurs tout le sujet du livre que j’écris en ce moment. Il va donc me falloir encore prendre sur moi, même chez moi ? J’ai des envies de me trouver un petit appart. La surpopulation entassée depuis un an n’aide pas.

Nous arrivons à l’heure prévue dans un quartier résidentiel de Bamberg où la route est nappée de glace et de neige. Silhouette d’un chien sur une plaque : nous sommes chez la responsable de l’association. Chacun met son masque. On sonne. La porte s’ouvre immédiatement. Une dame sans doute retraitée d’une autre vie professionnelle nous accueille. Masque, lunettes et cheveux blonds et courts, elle nous montre où accrocher nos vestes et laisser nos chaussures puis nous prie d’entrer dans sa cuisine. La chienne est là, allongée par terre.

Distribution de boissons et de consignes : s’assoir autour de la table et ignorer Cinderella. Elle n’a pas l’habitude de voir autant de monde d’un coup. Nous nous exécutons. De la musique d’échappe d’une radio. La dame nous parle de la chienne, de son sauvetage dans les Carpates, de son arrivée dans son foyer voilà trois semaines. De tout ce qu’elle lui a appris depuis : accepter un harnais, se promener en laisse. On sent la compétence et la passion, l’attachement aussi à ce petit animal presque sauvage qu’elle a commencé à apprivoiser.

Les autres famille candidates ne lui conviennent pas. Elle nous explique pourquoi (appartement) et nous demande les raisons de notre démarche, si cette chienne semble correspondre à notre souhait. C’est le moment de mettre en avant nos points forts. Nos enfants répondent. Leur motivation parle d’elle-même.

Cinderella, noire avec des extrémités blanches ne dit rien. Au bout d’un petit moment, un enfant a le droit de s’en approcher et de lui parler. Ce sont eux qui ont le meilleur contact parait-il. Ça tombe bien.

Pour faire connaissance, la dame nous propose une promenade. Elle monte enfiler des habits de neige, et nous laisse seuls dans sa cuisine avec le chien. La confiance des Allemands m’impressionne toujours.

Avant de sortir, elle nous montre comment utiliser deux laisses, dont une sécurisée autour de sa taille à elle. La chienne, craintive semble traumatisée par ses contacts précédents avec les humains. A la moindre panique elle s’enfuirait. La chaussée est glissante, nous obliquons sur un chemin enneigé qui longe un ruisseau. Sous les arbres, les dentelles transparentes de glace ourlent l’eau qui court. L’air coupe.

Nous sommes sur le chemin des chiens et de leurs maitres, la promenade bi quotidienne du quartier. Les distributeurs de sacs l’attestent. Pourtant personne ce jour-là. Il est midi. Sans doute trop tard ou trop tôt. La dame tient les laisses et discute avec ma grande fille. Au bout de quelques minutes, elle lui propose de s’en charger. Transfert de harnais et de cordes. Cinderella a un mouvement de recul. Les mains et la voix de la dame la rassurent. Elle accepte. Elle n’a pas aboyé.

Nous marchons le long des champs, à travers la neige. Mon fils aperçoit un lapin, je n’en vois que les crottes. La chienne n’a pas bronché. Pas non plus quand nous croisons un jeune berger allemand qui voudrait jouer avec elle. Ma vessie va exploser, mais je ne suis pas sûre que m’éloigner dans un bosquet de pruneliers quelques minutes nous fasse gagner des points.

Mes filles posent des tas de questions, écoutent les explications. Cinderella (Cendrillon) est le nom qui lui a été attribué sur un marché aux puces caritatif. Les passants sont invités à payer 15 euros pour soutenir l’association, en échange de quoi ils peuvent baptiser un chien. Ah, OK. Un enfant sans doute donc.

Nous revoilà devant la maison. Nous ne sommes restés dehors qu’une demi-heure mais nous sommes congelés. La dame nous propose de nous séparer là.

-Vous êtes une famille qui me semble bien adaptée à Cinderella. Calme, c’est ce qu’il faut. Les enfants sont très engagés et motivés.

Calme, oui, plusieurs fois par jour même, surtout quand on insiste. Motivés, on ne peut pas faire plus je crois. Comme m’avait écrit ma cousine en voyant les photos des expositions canines des enfants : « Avec une telle motivation, vous êtes foutus. »

On est foutu.

Cinderella a été on ne peut plus agréable, même si elle avait l’air transie de peur la pauvre au début. Les compétences de la dame inspirent une grande confiance. Attentionnée, elle ne veut pas ‘’caser un chien’’, mais la confier à une famille aimante pour toujours. Elle aimerait recevoir des photos de temps en temps. Et préfèrerait qu’on ne déménage pas trop vite en France ou ailleurs pour ne pas encore traumatiser la chienne.

La suite de la procédure d’adoption est très cadrée. Elle viendra nous voir avec Cinderella pour inspecter notre maison. Elle nous appellera (« Il faudra répondre au téléphone cette fois ! ») Pour cela nous devons remplir le fameux questionnaire en ligne avec questions sur le logement, la taille du jardin et la hauteur de la clôture. Avons-nous déjà eu des animaux, des problèmes avec eux etc… La sincérité des Allemands est inimaginable vu de notre côté de la confiance. Mon mari et mes filles consacrent presque une heure au formulaire.

Je m’interroge : comment se passent les adoptions d’enfant ? Ma fille blague : « Tu crois que quelqu’un va venir inspecter nos placards avant qu’on puisse acheter des pâtes ? »

Si ça va toujours, elle nous amènera la chienne pour de bon. “C’est mieux pour elle vous comprenez.” Cette dame nous propose de faire deux allers-retours en deux jours, cinq heures de route à chaque fois, refuse de manger avec nous (‘’mes deux chiens m’attendent chez moi’’) pour le bien être d’une petite chienne des Carpates.

Là, donc, nous les attendons. La maison est bien rangée (par les enfants). Nous sommes au garde à vous. Je suis sur le qui-vive. J’ai peur. Peur de ce changement de vie avec un animal, des contraintes qui vont s’empiler sur celles qu’on accumule depuis un an. Et qui déjà me grignotent par tous les bouts.

Si tout se passe bien on se reverra samedi. Et à nouveau dans quelques temps. L’association prévoit un contrôle post-adoption.

La première visite s’est bien déroulée. La barrière de notre jardin minuscule est assez haute et étanche. Le samedi elles sont revenues toutes les deux. La dame nous a donné une niche intérieure (pour la nuit), la couverture de Cinderella, plein de nourriture, un harnais à peine mangé et réparé, un corde à laisser accrochée à son collier en permanence pour la tenir au cas où. “Je ne fais pas ça pour tous les chiens que j’acclimate. Mais vous comprenez, sie ist mir ans Herz gewachsen ! ” (littéralement : elle m’a poussé sur le cœur ; je me suis prise d’affection pour elle).

Nous suivons ses conseils et partons tous ensemble faire une promenade, Cinderella attachée à notre fille.

-Je vais marcher derrière et je m’éclipserai discrètement. Comme avec les petits enfants. Et là je pourrai laisser couler mes larmes, nous annonce-t-elle.

Nous partons pour le tour du quartier, où les chiens tiennent en laisse leur maitre pour leur sortie hygiénique. C’est un crève-cœur cette petite balade. Mes joues se mouillent. La tristesse de la dame et celle à venir de la chienne me bouleversent.

Retour à la maison pour de bon. Avec comme instruction de ne pas faire de sortie pendant trois jours pour qu’elle s’habitue à son nouveau foyer. De toute façon pas le choix, elle a bouffé son harnais et nous devons en commander un autre.

Rester au calme ça nous va. Nous sommes épuisés. Les dix jours de cette recherche nous ont pompés émotionnellement. Une adoption c’est un gros engagement. Pas besoin de courir les magasins. Nous nous sommes déjà équipés à la grande surface pour animaux, de l’autre côté du Rhin, à Wiesbaden. La liste était prête depuis longtemps. Les yeux de nos filles brillaient, au dessus des cernes bleutés laissés par leur petite nuit pour cause d’anticipation joyeuse. Cette errance perplexe dans des rayons jusqu’alors inconnus m’a rappelé les achats de fin de grossesse.

En arrivant sur le parking, ma plus jeune fille s’était exclamée : ”Nous sommes dans le rêve dans ma sœur !” Toutes les deux rêvent d’un toutou, mais l’une beaucoup plus que l’autre. Disons que la plus jeune est contente mais s’en passerait sans problème. La grande ne pouvait plus respirer sans.

Nous voilà donc dans le rêve de mon ado. Nous lui avons offert une ligne de vie pour traverser les bouleversements hormonaux.

Moi mon rêve ce serait plutôt de bouffer mon harnais. Et je viens de me mettre une deuxième laisse. Ma fille m’a demandé : “tu ne fais pas ça juste pour moi maman hein ?”

Euh, si ma fille, si. J’ai toujours été très claire. Mais je vais tenter de l’apprivoiser moi aussi, ce petit animal traumatisé. J’ai proposé un nouveau nom, plus court : Gaïa.

Bienvenue donc à toi Gaïa, notre chien thérapeutique. Merci pour les sourires de mes enfants.

Anticiper les odeurs

Saint Jean Cap Ferrat, février 2006

Janvier. Un mois long, gris et froid, au plafond bas.  Les gouttes coulent le long des vitres, à l’extérieur. Et à l’intérieur, comme dans un Tupperware.

Les maisons allemandes sont tellement isolées que la condensation ruisselle, comme en France sur les fenêtres anciennes à simple vitrage. C’est un fait avéré. Lors de notre emménagement, nous avions reçu un dossier de consignes. Il y était précisé la nécessité d’aérer plusieurs fois par jour le logement pour éviter les moisissures. Ça ne suffit pas. Je passe chaque matin un chiffon au bas de chaque vitre. Malgré ce zèle, des points noirs douteux apparaissent.

Pour éclairer l’intérieur, j’achète des fleurs. Vous l’aurez compris, je suis une fervente pratiquante du printemps en toutes saisons. Depuis la nouvelle année, deux fois par semaine au marché je rends visite à la roulotte du fleuriste. Je choisis un bouquet de tulipes, un autre. Des petits pots de primevères de toutes les couleurs, des bulbes forcés : des jonquilles minuscules, des muscaris violets, des bébés perce-neige.

Les bouquets placés dans des bocaux anciens éclairent les pièces communes de la maison et mon bureau. La table où nous mangeons accueille un jardin miniature. Sur les bords des fenêtres des chambres des filles, des primevères violettes et roses, des lances de crocus en bourgeon ont la mission de leur tenir compagnie pendant les cours en ligne.

J’aime que les toutes premières de la saison soit jaunes. La nature se couvre à son réveil d’un clapotis de petits soleils. En les attendant, les fleurs fraîches m’aident à traverser janvier.

Une de mes préférées brille par son absence.

Je n’en ai vu à Mainz que chez le boucher qui décore sa vitrine aux couleurs de carnaval (jaune, bleu, blanc, rouge) avec des branches sèches de mimosa. Et aussi sur un char du Rosenmontagszug à carnaval. Je ne sais pas où ils les trouvent.

Le parfum poudré du mimosa de janvier me manque cruellement. Depuis que nous vivons en Allemagne j’en suis sevrée. Ça fait maintenant trois hivers que je n’ai pu nicher mon nez dans ses pompons. J’aime ses chatouilles et son odeur.

C’est un de mes plus vieux souvenirs. J’avais à peine deux ans et je courais dans le parking de notre résidence, sous les plumes géantes d’un grand mimosa tout jaune.

Quand nous avons déménagé dans notre maison de pierres anciennes, une magnanerie antique, le jardin était en friche. Mais il était possible, sans enjamber de portail d’aller respirer le mimosa des voisins. En rentrant de l’école, je guettais les premières éclosions de ses petits boules vertes et allais fourrer mon nez dans les tous premiers plumeaux jaunes. Plusieurs fois, pour mieux le sentir j’ai manqué me coincer une boule dans le nez.

Ensuite ma mère en a planté un grand à l’entrée, et d’autres tout en bas du pré. De variétés différentes, ils ne fleurissaient pas en même temps. Celui du haut créait des touffes comme des plumes d’autruches. Ceux du bas, plus sauvages sans doute, des petits pompons discrets qui saupoudraient son feuillage bleuté comme du sucre sur une brioche. J’en étais autant gourmande des deux.

Pendant mes études, ma mère m’a un dimanche donné un gâteau pour mon retour à Lyon. Elle l’avait décoré d’un brin de mimosa du jardin et emballé de papier aluminium. Cette semaine-là j’ai mangé du gâteau chocolat-mimosa.

En terrasse à Lyon en 2018

Celui du haut a gelé hélas, un hiver trop froid. Comme celui des voisins. Ceux du bas ont résisté. J’ai prélevé un jour un rejet de 20 centimètres peut-être pour ma terrasse lyonnaise. Il a tenu le coup mais sans motivation. Plusieurs années il est resté fidèle à son Ardèche, et a refusé de pousser (un peu comme moi). Peut-être qu’il a fini par accepter son nouvel environnement de béton, peut-être qu’il a été stimulé par le plant voisin acheté en jardinerie.  Il a poussé d’un coup et m’a permis chez moi à Lyon de plonger mon nez dans les pompons poudrés. En fermant les yeux. Comme la toute petite fille qui courait sous la haie en essayant d’attraper les branches.

Les parfums sont très importants pour moi. Toutes les odeurs. Quand j’entends qu’un tel a eu le Covid-19 il y a 4 mois et n’a toujours pas retrouvé l’odorat, je redouble de précautions… Je recherche le parfum des fleurs, mais pas de toutes. Les effluves capiteux des lis ou des jacinthes me rendent leur voisinage pénible. A peine leurs fleurs éclosent-elles que je bannis le pot ou le vase, dans un coin où je peux les admirer sans les sentir.

Les parfums en bouteille ceux qu’on achète cher dans des bouteilles-bijoux me sont devenus insupportables.

En vieillissant, les travers s’accroissent, on devient sa propre caricature comme disait ma mère. Je ne peux plus en porter, ni m’asseoir à côté de quelqu’un qui en porte. Même un sillage dans un couloir ou un ascenseur me donne des hauts le cœur. La trace odorante d’une bise sur ma joue peut me gêner plusieurs heures.

Les odeurs nauséabondes bien sûr me révulsent.

Pour m’en protéger je les anticipe. Je prédis les zones où des nuages invisibles risquent de m’agresser l’odorat. Un renfoncement dans une ruelle, un camion poubelle… Je me mets en apnée, le temps de dépasser la source de l’émanation présumée. Au supermarché (en France, pas ici) une personne aux cheveux gras et aux vêtements tristes de saleté me signale d’éviter les rayons qu’elle a visité. Tant pis pour le fromage ou les biscuits ce coup-ci.

Mais bien sûr certaines odeurs me mettent le cœur en joie, comme la terre mouillée de pluie, l’herbe fraichement coupée, les épluchures de légumes dans un papier journal (d’un coup je me retrouve dans la cuisine de ma grand-mère à Avignon).

‘’L’odeur de l’Angleterre’’ me propulse d’un coup dans mon corps de 9 ans, en uniforme violet et gris, quand j’étais en pension à côté de Londres. Je dis l’odeur, mais en fait il y en a plusieurs : celle des bonbons en gélatine, les winegums, au cassis. L’air humide et rêche des rues (comme un mélange de fumée, de métro, de brouillard). Celle des intérieurs, un panaché de produits de ménage et de toilette fleuris mais délicats, à la rose ancienne. Là aussi je ferme les yeux pour mieux voyager. Dans le temps.

Trip down memory lane en 2005 à ma pension de 1982

Je recherche toutes les fleurs parfumées mais pas entêtantes : le lilas, le seringat, le chèvrefeuille, le jasmin. Le romarin et le thym sauvages, les cistes, les aiguilles des pins chauffées au soleil. Le perce pierre qui pousse entre les rochers du bord de mer, quand on brise une tige…

La liste serait trop longue.

Je renifle tout c’est une habitude. Ma mère m’appelait le chien de chasse. Ma grand-mère en riait quand, avant de gouter un plat je collais mon nez dessus. « Regarde-la, celle-là… »

Mes produits de toilette sont sans parfum, sauf ceux que j’ai testé et accepté. Les produits de ménage passent un test olfactif sévère.

Donc, le mimosa me manque beaucoup.

Il n’est pas possible d’enregistrer les parfums, mais si vous en croisez, s’il vous plait, plongez votre visage dans ses pompons. Humez ses confettis de soies monochromes.

Et dites-moi.

Post scriptum

La rédaction de cet article m’a décidé à demander au fleuriste du marché s’il pouvait en trouver. Il a un fort accent régional, et derrière le masque je n’entends pas tous les mots. Mais j’ai compris que même si tout était sens-dessus dessous au niveau des approvisionnements en fleurs, il allait s’en occuper. Il ne m’a pas demandé mon nom. Ni aucun engagement. Mais je savais que je pouvais compter sur lui. Les Allemands sont en général très fiables.

Samedi, en passant devant sa roulotte j’ai vu sur l’étagère du fond un bouquet de mimosa solitaire. Tout frais, tout beau. J’ai su que c’était pour moi. J’en ai eu les larmes aux yeux, des fleurs et du geste.

Quand il m’a vue il m’a tout de suite donné le bouquet.

Mimose aus der Heimat (du mimosa du pays)

-Oh merci ! Ça fait trois ans que je n’ai pas eu de bouquet !

Au-dessus du masque il semble surpris : “y’en a chaque année au carnaval, sur les chars !”

Oui, mais on ne le voit que de loin. Moi ce que j’aime c’est le respirer, et plonger la tête dedans ! J’en ai bien profité !

Flagrants débuts

Voici un article écrit en réponse à l’appel à textes d’une revue. J’avais trop envie de le partager avec vous, ma fidèle équipe.

Je le dédie à toi, mon amie que j’ai connue au foyer.

(Je vous laisse deviner le sujet imposé.)

Aller Anfang ist schwer, doch ohne ihn kein Ende wär‘. Tous les débuts sont difficiles, mais sans début pas de fin.

À chaque soubresaut de la vie, ce proverbe allemand me le rappelle : la difficulté est passagère. Je l’ai découpé dans un magazine en VO. Etudiante toute neuve, je viens alors d’entrer en classe préparatoire à Lyon. Je comprends peu à peu à quel point il va me falloir travailler pour répondre aux exigences des concours. Collé sur le miroir au-dessus du lavabo, ce coin de papier me fournit en espoir à chaque brossage de dents. Demain sera plus facile.

Le changement de vie lié au début des études m’enivre. Certes c’est dur, mais on me dit que ça en vaut la peine. Il s’agit pour tenir le coup de se rassurer (merci proverbe). Et de se motiver. Ce sera la mission d’une autre citation, publicitaire et en anglais cette fois, aimantée au-dessus du bureau. I want. I can. Je veux, je peux.

Je ne demande qu’à croire mes bouts de papier.

Cette année je cohabite avec Marie, le regard turquoise sous des boucles mobiles. Nous partageons une chambre au deuxième et dernier étage d’un foyer tenu par des religieuses. Nous avons toutes deux quitté notre campagne méridionale pour le bruit gris d’une métropole, au nord du quarante-cinquième parallèle. J’ai troqué mon nid avec vue sur des falaises dorées pour notre dortoir de poche.

Quarante jeunes filles logent dans cette maison bourgeoise. Dociles, nous suivons avec bonhommie les nombreuses règles. Manger à heure fixe, ne pas sortir le soir :  faire autrement ne nous viendrait pas à l’esprit. On n’a pas le temps. L’évasion se limite à descendre en cachette l’escalier interdit en face de notre porte. Et à chanter à tue-tête ‘’La bonne du curé’’ d’Annie Cordy en dansant sur nos lits. On s’amuse d’un rien quand on sort peu la tête des bouquins.

Marie et moi découvrons ensemble les exigences de la classe préparatoire, la vie en étages et en collectivité, loin de nos familles et de leurs grandes maisons nichées dans la verdure. Jeunes et jolies, bien dans nos corps toniques, nous avons la vie devant nous, la tête bourrée de savoir tout frais. Nos convictions, à peine recyclées de celles de nos parents, se complètent. À nous deux, la vie ! Nous, on sait.

Avec le changement d’heure de fin octobre, une ardoise blanche couverte d’une écriture ronde au feutre rouge est apparue en bas des escaliers de bois : fermer les volets à 17 heures au plus tard.

À 17 heures, Marie et moi ne sommes pas encore rentrées de nos examens oraux. Nous profitons des quelques minutes de trajet comme d’une bouffée de liberté. Nous humons l’air du soir et cherchons, entre les émanations de pots d’échappement, le parfum de cours d’école des feuilles de platanes. Nous courons dessus exprès pour les entendre craquer. Elle comme moi aimons le grand air. Nous avons tellement besoin de l’extérieur que, dès notre arrivée au foyer, nous avons ôté les voilages de notre fenêtre. Pourquoi cacher les branches rondes d’un tilleul ancien et, au-delà de la rue étroite, la blancheur passée d’un immeuble ?

Le sort de l’ardoise est scellé d’un haussement d’épaules. Ça doit être pour le chauffage. Encore un truc des sœurs pour faire des économies. Déjà qu’elles nous font manger des patates à tous les repas. Les radines, elles exagèrent !

Alors bien sûr, nous ne fermons pas les volets à la tombée du soir.

Marie s’en charge à minuit quand elle se couche. Une fois en pyjama, elle ouvre la fenêtre dans une langue d’air frais.  Les battants de métal en accordéon claquent dans la nuit. Elle s’endort sous sa couette Snoopy, cousue par sa mère. J’étudie encore pendant deux heures dans le halo silencieux de ma lampe de bureau. C’est moi qui ouvrirai les volets juste avant sept heures. Je tâche d’être la première aux douches.

Un soir de fin novembre, vers minuit, je suis penchée sur un cours de philo. Ma petite lampe blanche est déjà allumée pour contredire l’ombre du plafonnier. J’entends des froissements de tissus dans mon dos. Comme tous les soirs, Marie se prépare pour la nuit en silence. Je ne la vois pas.

Tout d’un coup, un hurlement jaillit derrière moi. Je sursaute.

GROS DEGUEULASSE !

Alertée par son cri, je me lève d’un coup. Ma chaise repoussée violemment claque. Le parquet résonne.

Marie en culotte, tente d’une main de dissimuler sa poitrine nue, et de l’autre dresse le poing dans un geste menaçant.  

Vite, un pull pour se cacher. « Là… y’a quelqu’un !»

Guidée par son regard et son index accusateur, j’ouvre la fenêtre et me penche dans le silence d’encre. La façade d’en face est sombre, à peine éclaboussée par la lumière des réverbères. J’ai juste le temps d’apercevoir à une fenêtre, dans l’interstice étroit entre le mur et un rideau à peine entrouvert, calé sur le rebord, un regard coupable d’homme mûr.

Nous hésitons entre choc et rire. Les voilages punis dans l’armoire retrouvent illico leur fonction. Désormais nos volets seront clos chaque soir dès notre arrivée.

Gonflées de l’envie de vivre, confiantes en notre interprétation des gestes du quotidien, nous avons offert à des yeux pervers l’effeuillage d’une jeune fille encore mineure. Une poitrine neuve dans le cadre lumineux de la seule fenêtre éclairée de toute la façade.

L’ardoise des religieuses, caution de quarante vertus et de leur établissement, avait voulu nous protéger. Aveuglées par l’arrogance de la jeunesse, persuadées que les sœurs, pfff, ça ne connaît rien à la vie, nous avons dédaigné le conseil. Dans le claquement métallique des volets, notre apprentissage, échappé des murs du lycée nous a rattrapées. Ce soir-là nous avons senti le coup de balai dans les copeaux de notre innocence. Nous avions commis une erreur de débutantes.

Bien sûr ce n’était pas la première. Ni la dernière.

Pourtant quand on avance dans la vie, les débuts se font plus rares. Les premières fois deviennent précieuses, même si elles restent difficiles.

À l’occasion d’un déménagement récent, j’ai à nouveau cherché du soutien dans le proverbe de ma jeunesse. Tous les débuts sont difficiles… Pas besoin de le coller sur un nouveau miroir, je le connais par cœur. Il est d’autant plus approprié qu’il s’agit d’une installation familiale en Allemagne, dans une maison sans volets.

L’expatriation offre un nouveau départ dans chaque geste. Se repérer dans une culture différente, comprendre les habitudes. Les erreurs de débutantes sont légion et on s’en rend vite compte : les Allemands aiment rappeler leur prochain à l’ordre. On ne marche pas sur la piste cyclable. Mais le principal intérêt de ce franchissement de frontière reste le coup d’éponge sur l’ardoise du passé. Personne ne me connaît, je peux être qui je veux. Bien sûr je serai cataloguée comme ‘’la Française’’, dans un bouquet de clichés. Je préfère ne pas trop les découvrir, pour mieux m’en affranchir.

Loin de nos repères et de nos amis, les premiers mois à l’étranger sont difficiles. Mais ils offrent chaque jour une aventure. Ils nous rendent le droit de nous tromper. Et surtout, ils nous permettent d’apprendre.

Si c’était ça le charme des débuts ?

Merci à mon mari et à mon fiston pour leur relecture attentive.

Attendre

Lockdown enhardi, école à la maison (encore !). Le rêve de voyages et d’actes subversifs est-il encore autorisé ?

Hou, hou y’a quelqu’un ? (sculpture temporaire sur le Staatstheater de Mainz)

C’est reparti pour un tour.

Ou plutôt ça continue dans un ruban de Möbius insupportable. Les chiffres du corona ne sont pas bons, malgré l’assiduité des Allemands à suivre les règles. C’est à n’y rien comprendre. Que les chiffres dérivent en France, on se dit, bon c’est un trait culturel de ne pas toujours se sentir concerné par les interdictions. Pour des sujets moins graves, cette souplesse tolérée est plutôt agréable. Mais ici… Personne sans masque, les distances sont respectées, tous les lieux de sortie sont fermés… Pourquoi ?

Le lockdown a haussé d’un ton. La mâchoire du monstre-virus se referme un peu plus autour de nos libertés. Dans les villes où les chiffres sont vraiment alarmants, pas le droit de s’éloigner de plus de 15 km de son domicile. Heureusement à Mainz ce n’est pas encore le cas. Oui je sais, ça reste 15 fois plus que les limitations en France.

Pour l’instant nous échappons au couvre-feu. Entre vous et moi, ça ne nous contraindrait pas beaucoup au quotidien, à part pour une sortie tardive de poubelles ou des courses de dernière minute au supermarché (oui tout est fermé le dimanche, mais le soir il reste ouvert jusqu’à 22 heures). Pourtant j’espère que ça restera le cas. La violence de l’interdiction dépasse la limitation d’action réelle.

C’est donc reparti pour un tour. On en reprend pour un mois de cours à la maison. Au moins. Youpi !

Physalis, l’amour en cage…

Heureusement c’est mieux organisé qu’en mars, les filles sont plus autonomes. Si chaque élève coupe sa caméra, le réseau évite la saturation. Les portes des chambres filtrent les conversations. Si la maison tremble, si on entend des coups de sifflet, c’est qu’il y en a une en cours de sport.

Ça leur fait de grosses journées collées sur un écran. Pour ma plus jeune, l’organisation annoncée dès mi-décembre était la suivante. Chaque cours (durée de 45 minutes) est divisé en trois parties : explications du prof, exercices hors ligne, puis corrections et questions en direct. Les cours de Lernzeit, (5 heures par semaine), études encadrées pour les devoirs, sont aussi poursuivis en ligne.

La rigueur et la concentration exigées seront-elles possibles ? Quel est le degré d’investissement des parents attendu ?

Ma plus jeune vient de m’appeler paniquée. Il lui reste quelques minutes pour faire l’exercice d’éthique. Je la sens toute stressée. ‘’Ça veut dire quoi rumeur ? ‘’ Ma présence la rassure. Comme la réponse de sa prof à son message inquiet : ‘’Je ne pourrai pas tout faire dans le temps imparti, est-ce grave ?’’. Nein a répondu sa prof. Finalement elle a tout fait, dans les temps, et juste. Et moi j’ai la réponse à la question ci-dessus sur le degré d’engagement des parents.

Je redoute de me faire happer par la pédagogie familiale. Je tâche de me fondre dans le décor et de faire comme si je n’étais pas là… Je pilote tout de même le rattrapage des cours où elle était absente la semaine dernière. Je souhaite garder mon cerveau et ma patience pour mon usage personnel, mais je cède mes outils.  La tablette, ne veut plus se connecter : mon ordinateur est réquisitionné. Mon téléphone aussi, tiens, elle en a besoin pour consulter ‘’l’environnement de travail partagé’’ pendant les videos. Me voilà déconnectée.

Mercredi, tout premier cours de guitare pour ma plus jeune et son Daddy. En ligne et sans guitare. Ben oui, on a besoin des conseils du prof avant d’investir. Ça promet.

La même quelques semaines plus tard

Surtout ne pas penser.

Ne pas se projeter.

Ça tombe bien, c’est ce que je fais le mieux (smiley avec clin d’œil grimaçant).

On sait faire, on a de l’expérience, on peut même la mettre sur son CV. Soft skills : capable de rester enfermée avec sa famille pendant une durée indéterminée sans les étrangler…. Avant de l’affirmer, j’attendrai la fin des hostilités, pour être vraiment sûre.

J’ai de la chance mes projets professionnels se passent ici même, à ce bureau. Pour la vie par contre, j’aimerais mieux que ça se passe aussi ailleurs. Alors pour accepter les prolongations de lockdown et garder le moral, on se dit, faisons des projets. Préparons nos prochains voyages.

Le voyage ? J’ai oublié. Les excursions dépaysantes datent de l’ère pré-enfants. Les vacances à l’étranger d’avant-ce-que-vous-savez. Les week-ends spontanés (ou pas d’ailleurs) en montagne ou à la mer, d’avant l’expatriation.

Alors je ressors mon Larousse. Enfin, façon de parler. J’ouvre la page web et je fouille au milieu des pubs.

Voyage, du latin viaticum, provisions de route. Ah on s’en approche : les provisions on a. La route, au-delà du marché, pas vraiment.

Action de se rendre dans un lieu relativement lointain ou étranger. Euh non, ça on a perdu l’habitude. Envolé ! Confisqué ! Ah moins que ‘’relativement’’ soit pris au pied de ses douze lettres.

Je propose un échange familial constructif pour garder le cap, disons, trouver un cap.

-Alors les enfants, vous voulez partir où ?

Une réponse fuse, instantanée.

-En Polynésie française !

Ma plus jeune a déjà fait ses plans.

-Ah bon ? pourquoi ?

-J’ai vu un reportage sur Arte junior avec la classe. Ça m’a fait trop envie.

-OK. Mais sinon, plus près ? (moins cher ?)

-Le Canada.

-Ah oui ? pourquoi pas. On irait voir les copains. Moi j’aimerais retourner en Italie et en Grèce. Mettre le cap vers le Sud pour changer un peu des contrées anglo et saxonnes.

Déplacement, allées et venues, en particulier pour transporter quelque chose.

Au moment où j’écris ces mots, j’entends ma meilleure moitié ranger les provisions qu’il vient d’acheter au supermarché. Oui les allées et venues pour transporter des choses : on est au taquet. On voyage un max.

Action de se rendre ou d’être transporté en un autre lieu ; trajet. Ah oui là aussi, côté changement de lieu ça marche (littéralement) autour du quartier, dans une spirale sans fin. Des boucles de pas boueux enchâssées comme des poupées russes. Et surtout, merci les bouquins et la téloche. L’imagination.

-OK, minette je pars avec toi en voyage. Viens, on va se regarder un documentaire. (BBC, Perfect Planet avec l’inénarrable David Attenborough).

Tiens, c’est un coup de bol qu’on ne soit pas partis en Angleterre. Avec le changement pour le pire qu’ils ont vécu, on serait tombés dans les limbes des « triers », des quarantaines politiques, des conséquences du Brexit… Le voyage vers une île peut-être un piège redoutable. Pas de fuite possible. Evasion doublement confisquée.

Exploration, découverte, description de quelque chose qu’on suit comme un parcours. Euh ça compte la glissade passive et manipulée dans les feeds d’Instagram pour voir si les autres sont plus coincés que moi ? Non. Je pencherais plutôt vers les phrases fabriquées ici, la découverte des mots qui sortent des doigts pour m’éclairer le cœur et peut-être le vôtre. L’observation curieuse des pâquerettes qui fleurissent en hiver, des graines qui germent dans mes pots. Tombées des fleurs cet automne, elles se hâtent de déplier leurs feuilles crispées. J’ai envie de leur dire. NON ! Trop tôt ! Restez chez vous ! (c’est contagieux cette manie) Vous allez griller.

Faute de voyager on envoie ses meilleurs vœux, des Lebkuchen (oui merci les paquets sont arrivés après de nombreuses semaines de transport). Désormais coincés à la maison, j’ai voulu faire une commande en ligne sur le site des pains d’épice que l’on m’a recommandé. Pour l’adresse d’expédition de mon panier virtuel tout se passait bien jusqu’au choix du pays. Le menu déroulant propose la liste de toutes les nations du monde, sauf la France. J’ai tenté French Guiana. Mais les frais et délais de livraison m’ont semblé conformes à une expédition outre-Atlantique. Ce n’était pas une erreur, en tous cas pas là. Frustrée de ne pouvoir mener à bien ma commande, mais pleine de bonne volonté pour signaler à ce fournisseur l’erreur de leur site web, je leur ai envoyé un message sur Instagram. ‘’J’ai voulu expédier une commande en France, mais je ne l’ai pas trouvée dans le menu déroulant’’. J’ai reçu la réponse une semaine plus tard : ‘’Alors c’est qu’on ne livre pas en France.’’

Vraiment ?

D’abord je me suis dit qu’ils se foutaient de moi. J’avais envie de demander à l’anonyme qui pilote le compte derrière un (pas très) smartphone s’il avait entendu parler de service clients. Voire même de remerciements car après tout je leur signale un bug. Heurtée par une réaction surprenante et raide, je me vexe toutefois moins qu’avant. Je sais que ça n’a rien de personnel. C’est un trait culturel de bonne foi.

M’enfin, tout de même.

Mon mari à qui je raconte cet épisode me répond : « Ah oui, les Allemands ont souvent des réactions comme cela au travail. »

Alors on se gratte la tête et on se demande : pourquoi ? Pour éviter de réfléchir ? Pour ne pas reconnaître la possibilité d’une erreur. Pour ne pas se remettre en question ?

On n’a pas trouvé la réponse bien sûr. Je demanderai à une amie.

Mais grâce à cette réponse lapidaire, je me suis lancée dans l’exploration de nouvelles possibilités pour offrir des douceurs allemandes. Un voyage virtuel vers des mains amies, blottie en pensée entre des boites de carton parfumées aux épices. Entre proches éloignés, nous organisons des retrouvailles par cartons interposés. Le fret est reparti en Angleterre on a reçu un colis géant : un deuxième Noël ! Thanks belle-sœur !

Et pour faire semblant de vivre ma vie, je vais, en bonne Française, poser un acte subversif. Hé, hé !

Dès qu’il ne gèlera plus j’irai déterrer un plan de pâquerettes sur les terrains collectifs. J’aimerais en planter dans notre carré d’herbes et les inviter à essaimer. Or il est impossible de les acheter ces demoiselles sauvages en collerette. On ne trouve en pépinière que leurs cousines pomponnées.

Alors j’ai fait mes repérages près d’une aire de jeux, et, avec mon couteau de cuisine, mon masque et mon sac en plastique, je vais tenter d’éviter la Hobby Polizei (‘’la police des hobbies’’ comme dit une amie , ces férus d’ordre aux dépens de la joie des autres).

Les pâquerettes et moi on a un rencard nocturne.

Tant qu’il n’y a pas de couvre-feu.

Femme au bord (opposé) de la crise de nerf

Lockdown ”light” en Rhénanie-Palatinat ? N’empêche, ça fait râler !

Aujourd’hui c’est le premier dimanche de l’Avent. Noël approche avec bonheur. Les festivités ont été anticipées depuis début novembre, pour accélérer le ”lockdown light”. On a l’impression d’en être au troisième calendrier de l’Avent. Mais ça y est décembre approche !

Chais pas vous mais j’en ai marrrrrrrre de cet enfermement. Pourtant il est bien moins sévère qu’en France, où il vient d’être assoupli. Ici, il continue à l’identique ou presque. Le nombre de convives autorisés autour d’une table vient encore d’être abaissé. Mais on peut sortir à volonté. C’est quand même mieux que la quarantaine absolue à notre retour de France au début du mois.

Après deux semaines à la maison, j’ai craqué. J’ai craqué une heure avant de pouvoir sortir. J’ai hurlé que y’en avait ras le bol ! Vous m’avez peut-être entendue depuis votre cellule ?

Après le compte à rebours pour enfin sortir, j’ai lâché à 17 heures mon mari coincé par un coup de fil professionnel. Je ne pouvais attendre une minute de plus. Avec une grande inspiration, j’ai fait un rapide tour du quartier (pas grand changement, plus de feuilles par terre que dans les branches, et que la dernière fois que j’étais passée). J’ai enfourché mon vélo pour aller, dans le crépuscule, chez le maraicher acheter de la mâche, une salade pain de sucre palpitante et des épinards croquants, cueillis le jour-même le long du petit ruisseau du Gonsbach. Y’en avait marre des feuilles molles de la salade de supermarché. On se rabat sur ce qu’on peut contrôler. Sur la vie qu’on peut attraper.

Le nouveau confinement partiel a à peine quelques semaines : il semble déjà interminable. On est libre de nos mouvements, mais les destinations de loisirs sont éteintes. Musées, restaus, cafés, cinés, piscines et salles de sport sont fermés. Il reste les chemins mouillés, les arbres en tenue d’automne, les vignes arlequin sur les pentes et le courant du Rhin, sans limite de distance (au moins tant qu’on reste dans le même Land). Les copains ont été confisqués, posés sur une étagère trop haute. On se retrouvera un jour, quand…. Quand… je ne sais pas. J’allais écrire une échéance, je n’en ai pas.  Un par un ça va encore, c’est déjà ça. Tant que les écoles restent ouvertes… tant qu’on est en bonne santé, tant qu’on sait les siens en sécurité….

Non.

Ça ne suffit pas. Toutes ces privations quotidiennes, les inconsistances et incohérences, ces renonciations minuscules, et frustrations à répétition ça vous grignote la patience. Surtout sans avoir d’échéance. La récidive a la peau dure : elle nous a subtilisé le futur. Tu le vois, tu le vois, tu ne le vois plus (oui, avec Santa and co, on a reparlé d’Alain Chabat : mais si, c’est le même qui joue César dans Astérix et Cléopâtre). Nous tournons en rond autour de notre pieu. Mais on est grands, on a appris la leçon, on n’ira pas se jeter dans la gueule du loup. Même si notre longe nous étrangle.

Parfois on préfèrerait s’évader pour sentir le parfum des herbes sauvages et libres. Tant pis pour les crocs acérés au petit matin. Mais la loi et le Bureau de l’Ordre (Ordnungsamt) sont là pour nous protéger de nous-mêmes.

Voilà de quoi apprécier secrètement le désordre de notre côté de la porte d’entrée. (On ne dit pas porte de sortie pour une maison, ça n’a jamais été plus vrai). Pour l’instant tant qu’on n’invite personne on peut à peu près faire ce qu’on veut chez soi.

Le voisin l’a bien compris, hélas. Il exerce une profession liée aux fêtes. Donc en ce moment il trompe son ennui à coup de scie à métaux et de perceuse. Il refait sa terrasse grande comme un napperon en dentelle (on le sait on a la même) depuis deux mois. Deux mois. Avec la radio en fond. Heureusement dans une langue inconnue. Maintenant il s’attaque aussi à son intérieur et à nos nerfs. Et si on lui passait une petite commande histoire de le distraire ?

Côté bricolage, je ne me suis pas réinscrite à la VHS (Volkshochschule, équivalent de nos MJC) pour la série de cours de terre avant Noël. J’ai écrit à ma prof : désolée je serai absente pour cause de quarantaine, viel Spass (amusez-vous bien). Alors pour utiliser mes doigts ailleurs que sur ce clavier et créer en 3D, j’ai commandé de la laine. Pour au moins dix projets. J’en ai acheté chez deux fournisseurs différents (complémentaires). Depuis que j’ai commencé le premier pull, j’ai planqué les stocks pour éviter aux cartons pleins de me narguer.

Les brins de laine noire et duveteuse comme des fleurs de coton étaient invisibles sur des aiguilles bleu marine. Je piquais à l’aveugle en râlant. Mon tricot circulaire ne marchait pas comme je voulais : les mailles refusaient de remonter sur les aiguilles, le rond de se refermer. Maintenant j’ai fait au moins dix rangs, ça a l’air de marcher. Le projet prend (une) forme. Mais les aiguilles recommandées dans le patron (bien plus grosses que celles indiquées sur ma pelote) créent une succession de jours. J’ai l’impression de tricoter un filet. Ça fait beaucoup de tracas pour m’habiller avec des trous. Une tenue pour sortir les poubelles puisque c’est la grande aventure du moment ? Ou alors peut-être vais-je en rester là, et transformer ce début noir et poilu en sautoir new-age ? Je retournerai alors à mes bonnets…

En même temps, créer une chaine de jours… c’est plus qu’adapté… Pardon pour le jeu de mot pourri, je n’ai pas pu m’empêcher. Au moins je ne vous verrai pas, comme font mes enfants, lever les yeux au ciel.

Tiens, le ciel où est-il ? Le brouillard est tombé. Il fait blanc. Les maisons de la rue se distinguent comme à travers une eau laiteuse. Un enfermement de plus. Hop, vous avez pris un peu plus : privation de vue. Eh non ! sur mon bureau, j’ai des cartes postales de nos amis allemands photographes et éditeurs en Ardèche : un potager d’automne lumineux, le trou du Pont du Diable (idéal pour se baigner en eau fraiche et verte, et sauter de haut pour ceux qui ont le courage), en dessous des orgues basaltiques de Thueyts (puisque je suis ici, veuillez m’excuser un instant, j’adresse un salut amical à ma maîtresse de cours élémentaire). Sur le sable au fond de l’eau un amoureux amphibie a écrit avec des cailloux un message à sa douce. Du soleil, des rivières et du ciel ardéchois j’en ai tout plein. Et toc. ( A vous de ne pas voir la langue tirée au brouillard allemand).

Pourtant il est bien intentionné ce brouillard avec son froid humide. Il encourage à rester chez soi, à éviter les covideries.

De toutes façons les sorties me semblent toujours conditionnelles. Les deux semaines de privation de liberté m’ont marquée au-delà de la date limite. Mon bras a toujours une hésitation au moment de saisir mon sac et ma veste. Ai-je le droit ? Pas besoin de bracelet électronique, le conditionnement a fait son œuvre. L’autre jour en sortant faire un tour de pâté hygiénique (le tour, pas le pâté), j’étais toute surprise et émerveillée de pouvoir marcher dehors, vers une destination de mon choix (plutôt vers la droite ou vers la gauche le tour de 5 minutes ?), comme si j’étais libre.

Dans la limite des conditions imposées.

Même les plantes font partie du dispositif de sécurité. Quand un livreur a sonné, faute de trouver les clefs rapidement pour lui ouvrir, j’ai voulu sortir par la porte fenêtre adjacente. Je n’ai pas pu. Des plantes grasses épineuses gardaient le bas. Les vrilles de la vigne entortillées aux montants du store m’ont retenue plus haut. Les lianes échappées de chez le voisin nous emmaillotent. Ce week-end, dans son grand ménage de confinement, il a taillé sa vigne. Pas de vent et pourtant d’un coup les arbustes de l’entrée se sont secoués. Une à une les guirlandes dorées se sont affaissées. Elles me manquent.

J’ai détortillé une à une les vrilles encore accrochées. Qui d’elles ou de moi libérait l’autre ?

Prenez soin de vous avant de craaaaaquer ! ;o)

PS : Je m’étais plantée : il fallait tricoter en double. J’ai recommencé le pull, et depuis je l’ai fini. Trop large, trop court, il est top à la mode pour ma jeune fille :o). La prochaine fois je ferai un échantillon…

PPS : J’écoute Queen : I want to break free ….

Energies gaspillées (non renouvelables)

Comment se préserver des agressions extérieures quand elles s’infiltrent tous les jours via nos écrans ? Pour les hypersensibles ça relève de la survie.

Ferme le robinet quand tu te brosses les dents ! Arrête le radiateur quand tu ouvres la fenêtre ! Eteins la lumière quand tu sors !

Préserver l’eau et l’électricité, économiser l’argent qui les paient. La leçon est connue. On reste vigilant. Pourtant une certaine énergie devient de plus en plus difficile à préserver : celle qui nous sert de bouclier contre la boue répandue dans les médias au sens large. Morts aux cons… Vaste programme (mon père). Et tant pis pour la solitude (mon prof de philo de prépa).

Certains ont un pouvoir de nuisance plus élevé que d’autres.

Mon fils m’a tracé une courbe sur un petit calepin : la montagne de l’imbécillité (sic – on a beau avoir fait hypokhâgne et khâgne, on a toujours besoin de mettre deux L aux imbéciles, peut-être pour qu’ils soient plus légers à supporter – et là je peux utiliser le ‘sic’ comme il faut, c’est lui qui m’a corrigée). En abscisse : la connaissance, en ordonnée : la confiance. La courbe dessine la bosse d’un dromadaire avant de remonter en pente douce, après la vallée de l’humilité. Le nom savant c’est l’effet Dunning-Kruger. Rappelez-vous Michel Audiard : ‘’Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait’’.

Ne suivez pas mon regard. Les cons pullulent hélas. Trop près de nous parfois : on est toujours le con d’un autre. M’enfin…

Quand je vois l’énergie qu’il faut dépenser, et l’argent gaspillé tout ça parce qu’un jour un politicien ambitieux et peu scrupuleux des conséquences (pardon pour les pléonasmes) a proposé la baguette magique du Brexit pour résoudre tous les problèmes. L’énergie pour rétablir (un peu) les faits quand la personne à la tête du pays le plus puissant du monde passe son temps à mentir. Celle pour colmater les brèches dictatoriales dans la démocratie. Quel gaspillage de tous les efforts de construction des générations précédentes comme s’ils étaient acquis. Gaspillage de temps, d’argent, de notre patience. Quelle insulte au bon sens de leurs électeurs !

Mainz, dans une ruelle

J’essaie de me préserver au maximum des réseaux sociaux.

J’ai une image très négative de Twitter où je n’ai aucune envie de tremper les neurones. Facebook m’a rebutée quand j’ai créé une page pour mon atelier de peinture sur céramique voilà quelques années. Bilan, je ne suis présente que sur Instagram et encore du bout des doigts. Son côté créatif, esthétique et gai me plait… dans le respect des doses prescrites. L’uniformité lisse est insidieuse. La toxicité s’insinue dans les atteintes à la confiance en soi. Une goute par ci, une goutte par là. L’acide de la perfection des autres ronge la peau.

La vitrine des apparences sur écran est encore pire que dans la vraie vie. Là où on se comparait malgré soi à un ami, un collègue, un voisin, on peut se mesurer à la terre entière. Une terre sans aspérités et homogène, jeune et en bonne santé. Peuplée de petits chats et de jolies filles (peu habillées). Je cherche à apprendre : dans les dix trucs pour améliorer sa présence Instagram il est conseillé de poster des photos de son chien. Vraiment ?

(Non ça ne me suffira pas à céder aux supplications de mes filles).

Soucieuse de préserver mon cerveau hypersensible de conséquences démultipliées, je filtre énormément. Mais l’autre jour tentée par un site créatif, je me suis laissé happer par des photos dignes de magazine, des réalisations à mon goût… Ma raison a beau eu me chuchoter de me méfier des apparences, j’ai posé mon téléphone avec amertume.

Vilaine jalouse.

Ça n’est pas très agréable comme sensation vous imaginez. Ni de se regarder devenir comme cela.

Le Rhin à Budenheim, samedi

Je filtre mais même sur la page de l’actrice anglaise, Miranda Hart, mon gourou en authenticité j’ai été choquée. Pas par elle, non, car c’est la seule personne dont j’ai connaissance qui accepte de se montrer ”pour de vrai” le cheveu gras ou mal habillée. Elle le fait ostensiblement sur sa page pour contrebalancer les mensonges par omission de la planète. Elle partage des sensations qui semblent sincères. Même s’ils viennent pour son humour, ses fans restent pour sa vulnérabilité assumée. Elle les touche au cœur.

Donc là, sous un de ses posts, j’ai lu une de ses réponses (bienveillante, ouverte) à quelqu’un. Intriguée, j’ai lu le commentaire (pof glissade dans le piège insidieux des réseaux sociaux : toujours plus, et même vers des destinations que l’on souhaite éviter). Et là je suis choquée : une Américaine avait écrit dans une forme raisonnable des arguments qui l’étaient moins. En substance : J’en ai marre d’être considérée comme une méchante parce que je vote républicain.

Non.

A un autre moment de l’Histoire oui mais aujourd’hui, non.

Trop facile.

Quand un charlatan monstrueux a eu quatre ans pour montrer son pouvoir de nuisance, on ne peut pas se cacher derrière la couleur de son bulletin de vote. 70 millions de gens ont pourtant voté pour lui. Mon mari dans une démarche scientifique cherche à savoir pourquoi : il réfléchit. Mon analyse politique est plus expéditive. Ce sont des gens irresponsables qui ne réfléchissent pas plus loin que le bout de leur fusil pistolet (un fusil c’est encore trop long). Des gens qui osent tout. La proportion donne le vertige.

Le Rhin, en face, un autre samedi.

Là ma raison revient à la charge : tu veux t’améliorer sur Instagram ? Tu veux être likée par une majorité molle ? Celle que tu fuis au quotidien parce que tu ne t’y sens pas bien ? Tout ça pour le petit boost d’endorphine ? Et en refusant de tricher ? Ressaisis-toi. Miranda peut se le permettre grâce à sa côte d’amour gagnée par son talent d’humoriste. Toi si tu y vas franco tu vas juste faire peur.

Non mais tu comprends, je lui réponds (ça discute beaucoup dans ma tête, pffff), j’essaie juste d’apprendre les codes de mon époque. Pour ne pas être trop has been avec mes filles (mon fils, lui préfère les bouquins aux écrans qu’il ne fréquente pas). Rentrer dans une case ? Encore ? T’en as pas marre d’essayer ? Ça ne marche jamais et tu t’en sors avec des cicatrices.

OK, OK.

J’essaie de rester authentique dans mes écrits et mes publications. Tant pis si ça ne rentre pas dans les photos carrées d’Instagram. Ni dans les algorithmes de Google.

Mais le mal sournois s’insinue à mon insu. Chaque jour je reçois plusieurs commentaires à mes articles. Ecrits en anglais, ils semblent venir de sources aux graphies exotiques. Des mails qui parlent de toute la boue (plus ou moins légale) vendue ailleurs et pointent grâce à des liens vers ces sites. Tous les jours je consacre de longues minutes à trier et jeter. Je gaspille du temps et de l’énergie.

Je reçois aussi des inscriptions de gens inconnus aux noms aux consonances anglophones (curieux à la longue sur un site en français) et aux adresses mail sans jamais aucun rapport avec le nom. Au début j’étais contente de cette progression. Depuis juin, plus rien de louche. Ah, WordPress a dû faire une mise à jour. J’ai testé une adresse mail dans Google : Norton a clignoté comme un arbre de Noël : site dangereux.

Je me suis renseignée. J’ai appris (ce que vous savez déjà sûrement) que les commentaires malintentionnés étaient fréquents sur un blog et qu’il existait des filtres à activer (et à payer). Je l’ai fait. J’ai aussi supprimé tous ces faux abonnés. Un poids délétère s’est envolé de ma poitrine.

Gardons notre élan pour créer plutôt que pour se préserver des assauts malveillants du monde entier qui entrent sans frapper. Au moins avec les pubs dans la boite aux lettres ça reste bon enfant et local. On s’en tient aux pizzerias du quartier. Un petit carré de papier collant nous protège : Keine Werbung bitte, danke (pas de pub svp, merci).

Dans une vie grillagée de contraintes coronesques, c’est agréable de se sentir libre d’écrire tout cela. La pensée et la parole comme derniers espaces de liberté.

L’autre matin dans un élan de courage du début de semaine, et aussi pour m’occuper pendant que je grignotais mes tartines (pain archi-complet et pate d’amandes), j’ai voulu regarder les titres des journaux. J’ai tapé lemonde. Les merveilleux algorithmes de mon moteur de recherche m’ont proposé des tas de recettes de boissons au citron (lemonade). J’ai pu atterrir avec un sourire acidulé sur la une du Monde. Je n’ai lu qu’un article, dilution du sourire. Emmanuel Macron regrettait, dans son hommage à Samuel Paty, la timidité des condoléances de pays étrangers censés partager nos valeurs de liberté d’expression. J’avoue (comme dirait ma fille 500 fois par jour) que j’ai été surprise par les articles que j’ai lus dans la presse britannique sur le sujet. Timorés au point d’être ambigus. La séparation de l’Eglise et de l’Etat reste un concept exotique et progressiste même pour nos voisins démocratiques.

Novembre en ciel

Et pourtant…. A l’échelle de notre quartier, l’Allemagne, a rendu hommage à Samuel Paty.

Oui l’Allemagne, où il faut déclarer sa religion à la mairie lorsqu’on arrive (pour se voir attribuer les impôts associés). Au Gymnasium de nos filles, à la rentrée des vacances d’automne, un message du directeur au micro général a demandé à toutes les classes, du CM2 à la terminale de faire une minute de silence. 1100 minutes d’adolescents et 120 minutes de professeurs. Ça m’a beaucoup touchée. Les filles aussi bien sûr. Elles n’étaient pas au courant. D’habitude nous essayons de traduire les événements importants en langage édulcoré. Mais là nous n’avions pas encore pu. Déjà que notre benjamine ne veut pas rentrer en France par peur des attentats…

Source en cabane

Je ne devrais pas recevoir de commentaires désobligeants de la part de ceux qui redoutent la liberté d’expression. Mes articles sont classés « rouge » par mon logiciel : « ne peuvent pas être compris par des enfants de 11 ans ».

Permettez-moi de conclure sur une citation du Marquis de Sade que j’aime beaucoup : « Tous les hommes sont fous, et qui n’en veut point voir doit rester dans sa chambre et casser son miroir. »

Ça tombe bien, dans ma chambre y’en a pas de miroir.

Chambres avec vue

Enfin, plus ou moins… Quelques jours de vacances dans la forêt vosgienne = deux semaines de quarantaine. Serions-nous partis si on l’avait su ?

ACTE UN ~ En Lorraine – Jeudi

Une chambre d’hôte dans la forêt vosgienne, dans un corps de ferme en pierres rouges du XVIIIème siècle. Des coccinelles se promènent égaillées au plafond et sur les murs. Par la fenêtre, les douvent d’un étang ni vert ni noir retiennent les sapins qui dégringolent de la colline. Entre les troncs, on aperçoit le mur lie-de-vin d’une maison borgne. Le soleil se couche. Quelques rayons éclaboussent le mur du fond de la chambre. Il fait bon. Une femme est assise sur le lit.  Vêtue d’un jean et d’un pull de laine bleue marine, elle tient entre des mains trop proches un ouvrage de tricot beige hérissé de courtes aiguilles de bois (oui encore, un béret ce coup-ci). Un homme en jean et gros pull bordeaux au col zippé se tient debout appuyé contre le mur. Il tient une tablette. Son regard est grave.

Lui :       Mince (alors) ! depuis qu’on est partis, le nord-est de la France est passé en zone dangereuse pour l’Allemagne.

Elle :      Zut ! qu’est-ce qu’il faut faire alors ?

-Attends je cherche.

Il consulte un site web. Un autre. Une troisième. Tous officiels. En allemand, avec leur traduction en anglais. En français.

-C’est pas clair. Il semblerait qu’on doive se mettre en quarantaine.

-Zut ! Et le test ?

-Le test ça n’a pas l’air obligatoire quand on est en quarantaine. En tout cas pour le Land de Rheinland-Pfalz. L’ambassade de France dit qu’il faut les deux.

-Les deux ? Mais on est perdus dans la forêt. On n’a vu personne ou presque. Bon, certes ceux qu’on a vus se tapaient la bise comme au bon vieux temps-de-l’an-dernier, et se serraient dans les bras à pleine bouche. Et les masques n’ont pas l’air d’être à la mode. Mais on en est resté loin… Et si on la fait pas, la quarantaine ?

– 25.000 euros d’amende.

– Par personne ?… Ça fait cher la balade.

– Yep ! on va la faire donc. Rester chez nous.

– C’est pas un peu excessif ? 1000 euros d’amende ça aurait suffi pour dissuader de trainer dans les restaus non ?

Au passage de la frontière, entre la zone commerciale de Forbach et la forêt palatine, la route est dégagée. Pas de véhicule de police, ni de distribution de formulaires de déclaration. Pourtant nous nous sentons comme des bandits de grand chemin. Des trafiquants de sardines au piment et de chasselas de Moissac, de romans français.

ACTE DEUX ~ A la maison – Mainz – Dimanche

Elle :      C’est bien joli la quarantaine, mais comment on va manger ?

Lui :       On a rapporté pas mal de nourriture de France, non ? Les ravioles, les tielles, la soupe de poisson, le cresson, les kilos de fromage, les Figolu et les madeleines, le chocolat à cuire, les châtaignes…

-Et les savons surgras et le dentifrice qui pique. Au moins si on n’a rien à manger, on sera propres ! Hi, hi. Ils disent quoi sur les sites web : on a le droit d’aller faire les courses ?

– C’est pas très clair. Il semble qu’il faille demander de l’aide aux voisins ou aux pompiers.

– Ah ouais je me vois bien … “Allo, les pompiers on voudrait quatre wiener Schnitzel mit Pommes“… On va faire une commande en ligne.

Les seuls camions de livraison de denrées alimentaires que nous ayons croisés dans le quartier sont ceux d’une chaine de produits surgelés – et encore rarement. Nous n’avons pas de congélateur.

– Regarde sur le site de Rewe. Il me semble qu’ils font des livraisons.

Des supermarchés Rewe y’en a plein autour de chez nous.

-Ah oui. Je prépare une commande… De la viande, des légumes, des fruits… C’est bon. Maintenant la livraison …. Arrrgh il n’y a aucun créneau disponible pendant deux semaines. Ensuite les dates s’arrêtent.

-Non ! Incroyable ! si on est coincés ici à Noël on a intérêt à anticiper nos commandes dès maintenant, sinon, les Allemands vont nous court-circuiter la dinde… Regarde Edeka, ou Real

J’ai vu des gens sortir du supermarché avec des décorations de Noël en branches de sapin début octobre.

-Non, eux ne font pas de livraison du tout

-HEIN ?

En France nos denrées sèches nous étaient livrées tous les mois au 6ème étage avec le sourire.

-Alors comment on fait ? Je propose de garder la carte ”voisins” pour le jour où on sera tous malades et coincés à l’intérieur. On envoie les filles ? Elles adorent ça, faire les courses. Elles sont restées en Allemagne, elles ne sont pas en quarantaine…

Notre seuil va bientôt se transformer en jungle

-Pas vraiment cohérent, tu ne trouves pas ?

-Non.

Elle ajoute en chuchotant :

-Mais on va pas s’appesantir là-dessus si on veut manger autre chose que des boites pendant deux semaines.

ACTE TROIS ~ A la maison, encoreLundi après-midi

Il raccroche sur une conversation professionnelle et sort de sa chambre-bureau pour une tasse de thé noir fumé. Les mains autour de son mug, elle hume la vapeur brûlante.

-Je viens d’échanger avec un collègue français. Il parait qu’il faut qu’on se déclare aux Autorités.

-Mince… pour qu’ils puissent venir nous mettre une amende si on n’est pas chez nous ?

-Il semblerait.

-Tu crois que la quarantaine commence à la date de déclaration ou à celle du retour dans le pays ?

Heureusement qu’on rentre de vacances en forêt. Parce que là, attaquer l’hibernation violemment, après une telle prise de tête pfffffff…. Ça ferait presque râler. Nous voilà punis, privés de sortie. Les feuilles dorées des peupliers par la fenêtre de notre chambre nous narguent. Elles vont tomber sans nous. Grrrr… moi qui adore le mois d’octobre et les promenades au grand air.

Le Ministère de la Santé allemande fait des communiqués sur Instagram pour encourager à prendre soin de son équilibre nerveux… On n’est pas aidés par les instructions absconses et contradictoires. Comment être équilibré quand on est privé de liberté et de nature ? Argumentez, vous avez 4 heures.

Une promenade seule dans la forêt franchement, quel risque ? Heureusement qu’on a fait des stocks de bouquins.

Recroquevillés sur notre quotidien franco-anglais, nous n’avons aucun contact avec l’extérieur. On pourrait être n’importe où, si on n’entendait pas des mots allemands dans les bouches des filles avec un pic aux alentours de 17 heures. Pour les devoirs.

ACTE QUATRE ~ A la maison, toujours – Mardi après-midi

Les filles viennent de rentrer du collège. Debout dans la cuisine elles grignotent leur madeleine en se versant un jus d’orange. Assise à table, je lis un cahier de ma plus jeune. Mais les devoirs ce sera pour plus tard.

-Les filles vous voudrez bien aller faire les courses s’il vous plait ? Sinon on ne va rien manger…

-Oh oui, fais des pâtes !

-Sérieusement, vous pouvez y aller ?

-Oui, oui. En vélo ?

On frappe à la porte. Sans doute un colis pour nous ou le voisin.

« SURPRISE ! » Il lève les bras au ciel, son sac sur le dos. Il ne porte pas de manteau.

Il nous faut un quart de seconde pour accepter ce que voient nos yeux. Oh c’est mon grand garçon / mon grand frère ! Il nous a fait la surprise ! Une fois son test négatif réalisé, il a réorganisé ses vacances pour passer quelques jours avec nous. CHOUETTE ! Merci !

Génial !

-Alors toi aussi tu es en quarantaine avec nous donc ?

-Oui. Mes deux tests négatifs ont plus de 72 heures.

(Pas beaucoup plus et il est resté planqué en attendant les résultats).

-Tu t’es déclaré aux Autorités ?

-Oui dans le train ils ont fait une annonce. Je l’ai fait en ligne.

-Allez les filles en piste pour les courses, voici la liste, les sous (ouf, heureusement que j’avais fait un retrait avant de partir). Non pas de bonbons pour Halloween. On en a rapporté de France.

Pas de trucs lourds non plus. Le lait, le jus, le papier et l’encre pour l’imprimante on l’achètera sur Amazon, hélas.

EPILOGUE ~ A la maison… si, si. Mercredi

La courbe du corona perce la stratosphère. Angela Merkel ferme les restaus et les piscines, et autres lieux de détente et de plaisir, à compter de début novembre pour un mois. Le soir, entassés sur le canapé, nous écoutons religieusement le discours d’Emmanuel Macron (tablette + VPN). La question porte moins sur le confinement que sur les modalités et la durée.

-Tu veux pas rester un peu plus longtemps mon grand ? Si les choses sont comme au printemps, au moins ici tu pourras sortir à plus d’un kilomètre et pour plus d’une heure.

Enfin, pas tout de suite. Dans deux semaines seulement.

Il n’a pas voulu. Mais au moins on a pu fêter son anniversaire en famille, autour d’un gratin dauphinois, de confit de canard et d’une tarte au citron. Pour ne pas l’abimer on a planté les bougies sur un citron. La déclaration en ligne ne prévoyait pas de date de départ. Pourvu qu’en cas de contrôle, les Autorités comprennent la nécessité de repasser la frontière dans l’autre sens avant la fin d’une quarantaine.

Pour ma récréation demain, je sortirai les poubelles.

Tout rouge

Dimanche, début d’après-midi, une heure bizarre. C’est encore le temps du repos, de la détente. Le moment de profiter du clapotis du soleil dans les plis des arbres. Bientôt, plus tôt, viendra le soir, et avec lui l’empressement de terminer ce qui doit l’être avant de rattaquer la semaine. On retrouvera des réflexes, vider la quatrième machine du jour, ranger les mètres cubes de linge, préparer les cartables, éplucher les légumes pour la soupe. Pour l’instant tout est encore possible, même si l’envie dérive.

Cette heure en trop m’encombre. Mon corps hésite, entre besoin de repos postprandial et élan actif, bousculé par la contradiction entre son besoin physiologique et la lumière de la fenêtre. Aujourd’hui elle devance l’horloge. Une journée entre deux, comme quand on arrive en Angleterre.

Demain ce sera la rentrée scolaire en Rheinland-Pfalz. Mainz est passé en zone rouge pour le corona voilà deux semaines. Pour l’instant (touchons tout le bois disponible, les troncs de la forêt entière), les écoles sont ouvertes. Nouvelle injonction : l’obligation de porter un masque en permanence, même en cours. Les activités sportives des après-midis, qui regroupent des enfants de plusieurs classes semblent compromises. Pour des raisons de traçabilité, l’administration choisira sans doute de préserver les séparations entre classes. Tant pis pour la natation et la danse acrobatique, et les après-midis studieuses des parents.

Avec la reprise en vue, les mails officiels se bousculent. Des messages longs et bavards. La réunion parents-professeurs est maintenue mais en ligne. Au club de gym les groupes seront divisés : 5 enfants maximum dans le gymnase. Les leçons de chacun seront raccourcies. Les défilés de la Saint-Martin (à la tombée du jour, avec des lanternes) prévus début novembre sont annulés à Mainz. Le corona s’immisce un peu plus dans le quotidien.

Il a eu raison de notre regroupement familial pour les congés : le ‘’cas contact’’ est assigné à résidence. Mon fils a dû se faire tester deux fois en trois jours : une première fois pour préparer sa venue en Allemagne. Une deuxième fois sept jours après la rencontre d’un ami tombé malade. Annulation des billets de train. Décalage aux calendes allemandes de sa fête d’anniversaire. Ça donne envie de râler. De se fâcher tout rouge.

Avec mon mari nous nous sommes évadés dans une forêt. Entre sapins et épicéas, bouleaux et chênes. Entre quatre murs de pierres rouges, plusieurs fois centenaires, dans une chambre appelée ‘’la chambre du président’’ en souvenir du passage de François Mitterrand. Une cure de silence, de mousses, de tourbillons de feuilles craquantes comme la croute du gratin dauphinois. De parfum d’humus noir. Balades à la recherche de champignons tombés de livres d’images. Je guette les formes, les couleurs et les textures les plus inédites. Partout le parapluie de cuir rouge des amanites, violent et cocasse. Je cherche des lutins dans leur ombre. Les traces dans le lichen vert pomme au flanc du rocher sont-elles des empreintes d’elfe ?

Nous nous sommes adaptés à l’Allemagne : nos réflexes sont germains. Nous portons le masque partout, ne touchons personne. Pendant les vacances nous avons aperçu (de loin) des gens qui se font la bise. Comme si de rien n’était. Qui pensent que tout ça n’est qu’une mauvaise blague pour enquiquiner les gens.

Sur la place d’un village, le marchand de miel, un homme brun et jeune, avec quelques taches de rousseur nous laisse entrevoir son ventre. Il soulève son T-shirt et son pull pour mieux les glisser dans son pantalon. « Non mais vous vous rendez-compte ; ils ont annulé les marchés de noël, les foires. Qu’est-ce qu’on va faire nous ? Heureusement on vend un peu sur internet. Mais quand même ! Tout ça juste pour éviter que les hôpitaux soient saturés. Franchement… c’est pas un peu exagéré ? On ferait pas mieux de laisser mourir quelques personnes pour préserver l’économie hein ? » Il a fini de se brailler et remonte la fermeture Eclair de son blouson. Il ne porte pas de masque.

Les clients du marché en portent eux, mais s’agglutinent comme ils l’ont toujours fait. Comme des aimants de signes opposés. Nous fuyons : leurs frôlements me gênent, je n’ai plus l’habitude. Sur les marchés allemands c’est le contraire : les gens s’évitent comme des aimants de même signe. Gare à qui passe à moins d’1,5 mètre….

A une visite de contrôle récente, le pédiatre nous avait demandé pourquoi à notre avis les infections progressaient plus vite en France qu’en Allemagne. « C’est à cause des embrassades, non ? » « Oui sans doute », ma fille et moi avions répondu. Mais nous nous étions senties obligées d’ajouter, par solidarité ou chauvinisme : « Pourtant les Français qu’on a vus cet été ne faisaient pas la bise du tout, et ils portaient des masques ». Ces pratiques préventives ne semblent pas généralisées.

Ici à Mainz les gens et les caddies sont à nouveau sur les rangs. Une caissière a refusé à une amie un deuxième paquet de papier toilette. La psychose du printemps avait commencé plus tôt de ce côté du Rhin. Lecteurs de France, préparez-vous à ronchonner dans les supermarchés !

Au fond de la forêt, nous avons vécu une expérience nouvelle : une invasion de coccinelles. C’est un peu comme une attaque à main armée de la part d’un petit bonhomme de 4 ans, coiffé d’un heaume de carton, une épée en caoutchouc au poing. C’est charmant et ça fait sourire. Des centaines, des milliers de coccinelles sur la façade le la maison se chauffaient sur le crépi, tourbillonnaient au soleil. Des dizaines crapahutaient au plafond, sur les murs de la chambre du président, enfin, la nôtre. Le soir de notre arrivée, mon mari les a faites sortir une à une, équipé d’un verre et d’un dépliant de papier. Les troupes en armure de carnaval se montrant têtues, nous avons cédé, vaincus par le nombre. Les vrombissements minuscules nous ont bercé.

Nous avons récupéré nos filles à leur colo d’équitation dans les environs de Mainz. Ravies, épuisées et sales. Levées chaque jour en fanfare à 7 heures pour la corvée de crottin ou de paille, elles se sont lavées une fois en une semaine. Entre les temps à cheval, elles se sont frottées à des moutons, des poules, des chiens ou des lapins. Toute la ménagerie que nous leur refusons à la maison. En défaisant sa valise, ma plus jeune a retrouvé une chaussette évadée du sac de linge sale. Elle colle son nez dessus.

-Mmmm maman, sens, ça sent trop bon !

-Vraiment ? (mine sceptique et légèrement dégoutée)

-Oui ça sent le cheval ! On va pas la laver celle-là en souvenir.

-Si, si.

Les vacances s’achèvent donc. Des vacances sous le signe des petits points. Les blancs sur fond rouge des amanites tue-mouche. Les noirs-sur-rouge, jaune, orange, ou rouges-sur-noir des coccinelles en jubilé. Les pointillés désordonnés des insectes ronds sur le mur.

Tiens, ça me donne une idée de couture pour un nouveau masque. Si j’annonce la couleur (toxique) sur le museau, l’accès au rayon pâtes me sera-t-il prioritaire ?

Antivirus, Saumagen, et autres spécialités locales

Chers amis, me revoilà.

Tous les jours, j’écris, j’écris… des textes que je ne publie pas. Des chapitres pour mon projet de bouquin (disons, les premiers brouillons d’un texte très long). Des articles pour ce blog que je ne me sens pas encore prête à partager. Un bout de journal pour me libérer d’émotions en travers, et mieux comprendre ce qu’elles ont à me dire, avant de (tenter de) les relâcher.

Pourtant les idées jaillissent sans arrêt. Quand je tricote un 150ème bonnet pour m’assurer d’être capable de comprendre un patron, sans arriver à sauter dans le précipice et me lancer dans un pull. Quand je passe au moulin à légumes la chair orange des coings, le nez juste au-dessus pour profiter de leur parfum. Quand dans la salle de bains je ramasse une serviette par terre en râlant. Quand je me réveille au milieu de la nuit. Ou la tête en bas, entre deux phrases de ma prof-de-yoga-sur-écran.

C’est un gros avantage, le cerveau qui continue en arrière plan de travailler sur les projets. Du coup quand je m’assois à mon bureau, les mots coulent, sans temps mort. Mais ça a un côté ”Norton” : esprit toujours actif en fond, pas de repos, mémoire vive monopolisée pour des trucs que je ne lui ai pas vraiment demandés alors que j’aurais bien besoin de me souvenir moi dans quelle poche j’ai rangé la liste des courses. Et maintenant.

J’ai pas trouvé la liste ce matin. Enfin, pas au supermarché. En rentrant elle est apparue dans la poche arrière droite de mon jean, fouillée pourtant à trois reprises, garée au rayon légumes. Je ne crois pas avoir oublié d’ingrédient essentiel pour la soupe butternut – noix de coco – coriandre de ce soir. Mon amie d’enfance allemande (vous vous souvenez : L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne) et son mari viennent manger. Nous sommes super excités par leur venue ! Depuis combien de mois n’avons-nous pas reçu d’invités ?

Elle m’a appelée hier soir pour nous laisser le choix de la décision : to invite or not to invite, that is the corona-question. Les cas augmentent en Allemagne aussi. Il parait que Mainz est en zone rouge maintenant. Mon mari me l’a annoncé hier.

Vous ai-je dit que je ne consulte presque plus les informations depuis le mois de juin ? Dans un souci de prévention pour mon équilibre nerveux et mental. Donc j’apprends par lecteur interposé les événements importants du style (porte de la chambre-bureau qui s’ouvre) « Estelle, Trump a le corona ! ». Moi, (qui lève la tête sur un grand sourire) « Hi, hi ! ». Ma fille de 9 ans : « Eh, on ne va quand même pas souhaiter la mort des gens c’est pas bien ». Moi : « Non, non ». Hi, hi. Non.

Alors zone rouge chez nous. Je ne sais pas à quoi ça correspond et ne cherche pas trop à me renseigner pour éviter le découragement. Nous continuons de prendre les mêmes précautions… Mais l’anniversaire auquel était invitée ma plus jeune dans deux semaines a été annulé. Le magasin d’une créatrice de notre quartier ferme aujourd’hui jusqu’à la fin du mois et nouvel ordre. Un mail du collège nous a proposé de commander les livres scolaires en version numérique. Une classe a demandé aux élèves de vider leur casier avant les vacances pour avoir tout à disposition à la maison. Au cas où.

Au cas où.

Rouge donc.

Difficile de convertir la signification pour l’étranger : les couleurs du système d’alerte sanitaire différent selon les pays. Nous avons l’autre jour discuté à table des projets de Noël. Avec des bouts de famille en France et en Angleterre et vivant en Allemagne, on cumule les contraintes sanitaires de trois pays et du passage de frontières. (Finalement les grèves de l’an dernier étaient de la gnognotte). Londres ne semble pas une option probable. Ma belle-sœur qui vit près de Brighton a tenté de nous expliquer le code d’alerte anglais : il change régulièrement. Nous n’avons pas compris. Elle-même semble dépassée par ces limites mouvantes. Une chose reste vraie : elle en a ras le bol d’être empêchée de rencontrer des amis. Les Anglais réfléchissent à un nouveau confinement. Leur exemple nous encourage à profiter. Faisons le plein d’amitié tant qu’on a le droit. Mais bien sûr, j’ai répondu à mon amie, venez. On ne s’embrassera pas, non, on aèrera toutes les 20 minutes, mais venez ! Par amitié, VENEZ !

Les vacances d’automne ont commencé depuis vendredi. Nous avons décoré la fenêtre de coloquintes tarabiscotées, offertes par des amis et achetées au marché. La boule d’un chrysanthème vieux rose éclaire notre seuil comme une fleur géante. Des moules à tarte remplis de pâte de coing toute fraîche sèchent sur les surfaces planes disponibles. Les pots de gelée s’attardent sur le plan de travail avant de rejoindre le placard. Pour profiter de leur couleur ambrée. La semaine dernière j’ai même vu des colchiques dans les prés. Elles flÔrissent, flÔrissent, (comme chantait mon fils en maternelle, la bouche ronde comme le Ô). Dans le champ voisin un tourbillon d’oies grises chahutait en criant, préambule à leur départ prochain pour l’Afrique.

C’est donc l’automne, chez nous dans les arbres et sur le calendrier. Pourtant dans les magasins c’est déjà noël : Lebkuchen (pains d’épices), et Stollen (gâteau à la pâte d’amandes) sont en rayon depuis début septembre. Peu après les paquets de quatre bougies pour les couronnes de Noël (une pour chaque dimanche de l’Avent), et les boites cadeaux de chocolats les ont rejoints (l’anticipation commerciale me semble pire que mes souvenirs de la France). Ce matin j’ai été accueillie chez DM (la droguerie, para-pharmacie-denrées bio sèches que nous adorons pour tous les petits trésors) par un stand de maquillages pour Fastnacht (carnaval). C’est vrai qu’il commence le 11.11 à 11 heures 11. Mais cette année, pas de rassemblement en centre-ville sur la Schillerplatz pour la lecture en grande pompe des 11 articles de la charte de carnaval. La cérémonie privée sera rediffusée à la télévision, sur la chaîne locale SWR, et sur internet. Maquillages en chambre.

Cet automne on ne m’y prendra pas comme l’an dernier : j’achèterai les Lebkuchen avant Décembre – je n’en avais plus trouvé qu’à la gare de Francfort, sur le trajet pour Londres. Alors question : à quel moment est-ce raisonnable d’acheter les gourmandises de Noël, sachant 1/ que nos placards de cuisine sont pleins 2/ que nous n’arrivons pas à nous débarrasser d’une invasion silencieuse de mites alimentaires ?

Ce sera après les vacances. Si on arrive à partir. Je prie tous les dieux masqués et les divinités désinfectées de maîtriser l’expansion de ce virus. Imaginez : avec mon mari nous avons réservé une semaine dans la forêt dans le nord de la France, A L’HOTEL, TOUT SEULS ! Si le Grand-Est reste exempt des mesures de quarantaine en Allemagne, si la colonie de cheval de nos filles, organisée à une petite heure de Mainz n’est pas annulée…

Si, si, si…

Sinon va falloir improviser. (Allo, là-haut, esprit-Norton, c’est le moment de faire le beau, t’aurais pas une idée ?). Inventer des stratégies pour se croire en vacances chez soi. Dénicher un gite à la dernière minute en Allemagne ? On ne serait pas difficile sur la destination. Sortir de chez nous, casser la routine, changer d’air et de nourriture telle est notre seule ambition. Ce doit être un signe d’adaptation : accepter de ne pas faire de projets, être heureux de découvrir le paysage juste de l’autre côté du virage, le visage aimé sur un écran. Bon mais faudrait pas trop que ça dure… c’est frustrant. Savez-vous qu’une des équipes qui travaille sur le vaccin contre le COVID 19 est à Mainz ? C’est sûr c’est mon coiffeur qui me l’a dit, il a un copain qui est chercheur chez Biontech. Pour accélérer le processus, ils travaillent en 3X8 depuis le début des hostilités.

Grâce à eux et leurs confrères du monde entier, peut-être bientôt pourront nous à nouveau inviter des amis, et même les prendre dans les bras. Ce serait formidable : quand nos invités sont partis hier soir, avec mon mari nous étions radieux.

-Ah ça fait du bien de voir du monde !

-Tu te rends compte j’avais complètement oublié de mettre une bouteille au frais. On a perdu la main…

Mais la soupe était bonne, et le Sekt qu’ils ont apporté aussi. A midi, nous allons découvrir le Saumagen (littéralement : ventre de cochon) qu’ils nous ont offert. Une boule grosse comme un melon, genre caillette géante, qui se découpe en tranche pour être grillée à la poêle. C’est une spécialité du Palatinat dont Helmut Kohl était grand amateur. Il a initié notre Chirac national. Qui a dû lui rendre la politesse à coup de tête de veau sauce gribiche.

Donc même si on ne part pas, nous allons avoir de la variété dans l’assiette. Et ce sera encore meilleur, parce que c’est offert par des amis.

(Eh, couché Norton, pas d’analyse pendant la dégustation steuplait !)

Si vous croisez la balsamine, ne pas résister à appuyer doucement sur les gousses gonflées…

Médaille de bronze de natation (en tissu)

Cette nuit un bruit soudain, intense et obstiné a traversé les couches de mon inconscience. Qu’est-ce que c’est ? Ah, c’est juste la pluie.

La pluie ?

De mémoire d’arbre, la dernière pluie remonte à avant la chute prématurée des feuilles craquantes. La génération actuelle de fleurs ne l’a jamais connue.

Hier matin, quand je suis passée à vélo près du grand terrain de jeu du quartier, un jardinier municipal armé d’une bruyante débroussailleuse, attaquait une herbe rare et sèche, pourtant recroquevillée au ras du sol. Ça sentait la roquette. Les touffes foncées aux fleurs-papillons jaune citron semblent être les seules plantes heureuses de la météo estivale prolongée. Elles, et une espèce de trèfle que je ne connais pas, mais dont les petites fleurs jaunes aussi dégagent un parfum très agréable quand on passe à côté.

Le temps change, enfin. 

J’adore l’automne, sa fraîcheur humide sur fond parfois bleu, sa lumière chaude entre les troncs mouillés et les feuilles multicolores. Les marrons et les châtaignes, la gelée de coings et la soupe de potimarron. La pluie rassurante.

C’est dommage en un sens : la piscine extérieure va fermer. (Le journal local précise que la dernière journée sera réservée à la baignade des chiens.)  J’adore nager dehors en septembre, quand la température de l’eau est confortable, équivalente ou presque à celle de l’air. Les bassins sont vides. Une amie nageuse (elle va à la piscine presque tous les jours) m’a fait remarquer le seuil psychologique local des 30°. Au-delà, le parking, les pelouses, les lignes de nage sont saturés. En deçà, même de quelques degrés, presque personne. Il m’est arrivé, sans grelotter, d’avoir la piscine à moi. Les Allemands sont frileux.

Toujours très couverts, ils craignent particulièrement la pluie. Dès qu’il tombe trois gouttes, les enfants sortent en bottes en caoutchouc et surpantalons étanches. Même au mois d’août. Les parents enfilent leurs vestes en goretex. Dès que les matinées fraichissent, les vestes et les écharpes apparaissent (c’est l’époque des chaussettes dans les sandales). Avec leur short au mois de septembre, mes filles passent pour des originales (même avec les températures récentes). Leurs copines s’inquiètent : ”Mais t’as pas froid comme ça ?”

Peut-être leurs origines anglaises ? En plein hiver, il est fréquent de voir outre-Manche des genoux à l’air, des blousons ouverts sur des T-shirts, des bras nus dans les restaus. Je me souviens être allée manger à Londres fin décembre avec une amie vêtue d’un polo à manches courtes, et pour sortir, d’une veste type tailleur, et d’une écharpe. J’étais emballée d’une veste épaisse, d’une écharpe et d’un bonnet, avec tout ce qu’il faut d’épaisseurs là-dessous. Et j’avais presque froid. Ces dernières années les climats océanique de l’Angleterre (‘’doux et humide’’) et continental de l’Allemagne (‘’très froid l’hiver, très chaud l’été’’) semblent s’être superposés.

Avec la pluie qui arrive pour s’installer si j’en crois les prévisions, comment allons-nous négocier les trajets pour le collège à vélo ? ou plus précisément comment vais-je négocier avec mes filles pour qu’elles n’arrivent pas trempées en cours ?

Echanges de ce matin :

-Si tu mettais un Kway dans ton cartable ?

-Non c’est bon j’ai un parapluie dans mon sac.

Un parapluie ? à vélo ? Moi j’ai un poncho de rando si besoin. Mais à mon âge le look passe bien après le besoin.

Heureusement les jours de sport elles ont de quoi se changer intégralement. Les gymnases ne sont accessibles qu’avec des baskets réservées à cet effet : propres et à semelles blanches. Les profs de sport insistent sur des vêtements lavés régulièrement et qui ne restent pas à croupir dans un casier. Tous les gamins se trimbalent un sac de sport complet avec vêtements et chaussures. D’ailleurs le kit de l’écolier (tous âges confondus) comprend outre le cartable et la trousse, la gourde, la petite boite pour le snack (Brotdose) et le sac de sport, type besace. Les sorties d’école ressemblent à des départs en trek.

Les gymnases sont multi disciplines : le sol reste libre. Pour faire de la gym, le matériel doit d’abord être installé. Il est rangé à l’issue de la leçon. Tous les agrès sont sur roulettes et le praticable enroulé. La première fois, j’ai été surprise de voir ces mini-gymnastes procéder à la manutention de grandes poutres ou des barres asymétriques. A plusieurs ça roule.

Le sport semble recevoir ici le respect qu’il mérite. C’est une discipline prise au sérieux. Les notes comptent, l’avis des profs est écouté, autant que ceux des autres matières. Peut-être parce que les enseignants ont tous deux spécialités (sport et maths, français et biologie ou autres).

La natation fait partie intégrante du programme. Les petits Allemands passent des diplômes, un peu comme les étoiles au ski. Le ‘’flocon’’ c’est le Seepferdchen (l’hippocampe) : l’enfant sait traverser la piscine sans se noyer. Ensuite viennent trois niveaux (bronze, argent et or) en fonction des compétences : durée de nage, distance minimale, nombre de nages, plongeons de plus ou moins haut. Dans le collège de mes filles, la natation est au programme de 6ème (l’an prochain).  Son professeur de français et de sport insiste pour qu’elle passe dès à présent le niveau requis (bronze) au cas où la piscine ferme à nouveau. Les autres enfants ont dû obtenir le certificat au primaire.

Dimanche nous sommes donc allées toutes les deux s’entraîner. Je veux voir son plongeon, elle l’a révisé avec son frère cet été. En partant elle a relu les 10 règles qu’elle doit connaitre par cœur. Allez plonge ! pas mal. Suffisant il me semble. Allez on le passe ce diplôme, comme ça ce sera fait ? Non. Si. Attends, je vais réviser les règles, elles sont affichées sur le mur.

Nous nous approchons de la maitre nageuse (doit-on dire maitresse nageuse ?), Schwimmmeister (non les 3 M ne sont pas dus à une touche coincée), une jeune femme en T-shirt et short rouge (les couleurs du club de Mainz 01) aux cheveux blonds ondulés aux épaules. Elle va chercher son chronomètre. Elle boite un peu, peut-être s’est-elle fait mal ?

Top c’est parti. Ma fille plonge et attaque ses longueurs de brasse. Il lui faut en faire au moins six et deux autres en dos. Elle slalome entre les gens, la maître nageuse longe le bassin et jette un œil de temps en temps sur la petite fille au bonnet bleu clair (le mien). Elle lui lance ensuite un anneau à aller chercher avec puis sans lunettes. Une bombe depuis le plongeoir. Les règles à réciter. C’est bon. Ouf ! c’est fait ! Ma fille est contente et soulagée. Moi aussi.

(pas le droit de faire
des photos à la piscine)

A Lyon mon fils a dû attendre le collège pour nager avec sa classe, faute de créneaux disponibles.  Pourtant, les piscines étaient réservées en journée aux écoles. Ici les deux bassins d’hiver (la piscine intérieure classique, et l’olympique extérieure, couverte d’une curieuse bulle gonflée) permettent à tout le monde de nager : les écoles, les clubs, le grand public (si l’on accepte la proximité de cours d’aquagym bruyants le matin). A l’entrée de la piscine, de grands containers en grillage sont remplis de matériel, pull-buoys, frites, ou mannequins. Chacun porte l’étiquette de l’établissement propriétaire.

Ça me fait vraiment du bien de nager et bouger dans l’eau, même juste pour regarder mon apprentie-nageuse. Je croise les doigts (Ich drücke die Daumen, je serre les pouces comme on dit ici) que la piscine ne soit pas condamnée à nouveau pour cause de corona. Surtout que si c’est le cas, les écoles aussi sans doute fermeront. Le prof de sport-français le craint. Avec sa classe, il a testé le dispositif vidéo vendredi.

Heureusement, côté diplôme aquatique ce sera fait. Enfin j’espère : sur le certificat la mètre-nageuse s’est trompée de colonne. Elle a attribué à ma fille le niveau argent. L’écusson en tissu, lui, est bien bronze.

L’écusson-médaille indispensable pour la 6ème