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Rentrée scolaire, visions du monde et vélos trop électriques.

À madame C.

C’est la rentrée ! Enfin !

J’adore l’odeur des cahiers neufs et des crayons frais. Ceux qui me lisent le savent depuis longtemps. Oui, Mainzalors.com a quatre ans maintenant. Merci d’avoir embarqué avec moi dans cette aventure. Merci pour votre fidélité.

Je vous offre un panneau indicateur vierge, pour aller où votre cœur vous porte. Prenez comme moi ce matin, un carnet (presque) neuf, une page bien propre, bien blanche, avec des lignes parallèles pour éviter de s’égarer dans sa propre écriture. Attrapez votre stylo préféré, pour moi un Bic bleu, fermez les yeux, inspirez profondément et épinglez sur la page à l’encre fidèle, ce qui coule du cœur aux doigts. Accueillez la spontanéité. Ouvrez les yeux. Alors, où partez-vous ? Vers un ailleurs géographique ou une destination intérieure ?

Pas si simple pourtant.

Où irais-je si j’avais le choix ? À Lille avec mon amie d’adolescence allemande (yes, escapade organisée depuis hier soir) ? Avec mon mari à Paris (oh oui, calé à l’instant)… Ces réservations urgentes de projets encore flous hier matin signent un besoin d’évasion. Trois mois de vacances pour les enfants, ce sont pour la mère autant de mois de soumission aux désirs d’autrui.

Bientôt, je m’offrirai la retraite dont je rêve depuis longtemps, dans l’épaisseur de silences vieux comme les siècles d’une abbaye. Seule, avec des arbres et des montagnes à ma fenêtre, mon cahier et mon stylo, un cahier de dessin que je n’ouvrirai sans doute pas. Sauf en cas d’urgence, si mes pensées m’envahissent trop. Il n’est pas simple de se retrouver ailleurs pour écrire. Parfois, l’angoisse monte et il me faut sortir. Une retraite pour rentrer en moi-même à un bureau ou en balade. Une parenthèse rythmée par le hululement de la chouette et le vent dans les feuilles pour fuir les moteurs, les outils électroniques, les impératifs du quotidien, la bêtise du monde.

Approchez. Je voudrais vous remercier pour vos gentils messages à l’occasion de la publication de mon dernier article. Ils m’ont touchée.

Cette publication, peut-être symbole d’un deuil qui s’accepte, transformation d’une épreuve en un partage pour aider quelqu’une, m’a blessée en profondeur comme la joie d’un accouchement. Il m’a fallu une semaine pour m’en remettre. Sept jours de convalescence, le cœur au bord des lèvres, les yeux incontinents, la vibration intense à la moindre émotion, mot gentil, griffure, rayon de soleil sur un épilobe, amour à dire.

Reconnaissance infinie.

Gratitude d’être en vie dans un monde où l’on peut guérir de l’horreur et la seconde d’après, désespoir absolu lorsque la bêtise et la méchanceté de mes congénères me cognent. Encore une fois. Consolation d’un coup de beauté. Cycle éternel de mes heures. Intensifié – si c’était possible – par les émotions puissantes réveillées par ce texte.

Merci donc pour vos attentions.

Elles me rappellent que chacun vient à la lecture avec son âme, son cœur, son vécu. Comme dans chaque expérience en fait.

Chaque rencontre écrite ou vivante est une auberge espagnole. J’écris sur l’intime, émotions et sentiments, j’essaie d’épouser au plus près mon ressenti, les âmes résonnent diversement.

J’entremêle souvent plusieurs sujets dans un texte et j’ai été surprise au début de découvrir comment des anecdotes retenaient l’attention de certains et restaient oubliées par d’autres, focalisés sur une idée différente. Chacun voit le monde avec ses lunettes.

Les faits bruts n’existent pas. Les univers se superposent. Chacun habite le sien, comme chaque espèce animale ou végétale. Les couleurs, les sons, les lumières diffèrent selon les sens disponibles pour les capter. Les humains au patrimoine neurologique que l’on suppose commun vibrent à différentes longueurs d’onde. Ils se ressemblent aussi peu qu’une chauve-souris et un lichen, un poisson et une marguerite. Mais leurs aspects extérieurs cousins trompent. Pas étonnant que les échanges déroutent.

Chaque monde est plus ou moins accessible, lisible.

La tête levée pour contempler les étoiles, j’ai mal au cou. Le ciel d’une nuit d’été, inconnu, majestueux, m’intimide. Arbres et plantes sont de vieux amis, même si j’oublie certains noms, et je les guette dans chaque coin végétal. Comment un analphabète de la flore  vit-il une balade dans la campagne ? Comme je contemple le ciel d’été. Comme un enfant de trois ans feuillette un livre. Quelle magie est retenue dans les signes célestes qui m’échappent ? J’ai besoin d’un guide.

Pour les émotions c’est pareil. Souk de sens, chaos de ressentis. J’ai navigué dans la vie emportée sur le grand huit de mes émotions, sans savoir les repérer et encore moins les repérer. Sans les avoir jamais apprivoisées. Voilà une compétence qu’il serait utile d’apprendre à l’école.

Les sucs d’Ardèche

Ah l’école !

Hier c’était la rentrée de ma grande (pour deux heures) pendant que ma benjamine se remettait de la sienne à la maison (deux heures la veille). Il ne faudrait pas brusquer ces pauvres gosses, eux qui se sont plaints de ne pas croiser d’amis pendant trois mois. Oui, trois mois. En seconde, ben, c’était déjà ainsi de mon temps. En cinquième, même sans l’aval officiel de l’emploi du temps, cela a pourtant été le cas.

Les vacances sont finies. Enfin.

Quand on me demande comment elles se sont passées, j’ai un temps d’hésitation. Oui, nous sommes partis. Mais des vacances ? Non. Du repos ? Non. Aucun. Le repos c’est quand je peux vivre au rythme de mes envies. En présence de mes enfants, je n’y arrive pas. Même depuis qu’ils sont grands. Pressée par l’expression impérative de leurs exigences (contradictoires souvent), je perds le fil de mes désirs. Comment se ressourcer dans ce brouhaha ?

Dimanche soir, j’ai entendu depuis la cuisine (à trois pas de la table à manger) ma fille qui remerciait son Daddy. « C’est gentil d’avoir fait les courses et la cuisine aujourd’hui, ça a bien aidé maman. » Maman qui a passé la journée sur son ordinateur à travailler sur une mission. Il a de la chance ce Daddy, vous ne trouvez pas ? On apprécie ses efforts. Quand pendant les « pauses » à l’écart du bureau, maman a fait tourner et étendu, cinq machines de linge, quand maman assure l’intendance 80 % du temps, c’est perçu comme normal. La soumission féminine se transmet-elle à mon insu et contre mon gré ?

C’est la rentrée et aujourd’hui l’enterrement de ma maîtresse chérie, celle qui a illuminé mes deux ans de cours élémentaire. J’ai reçu le texto endeuillé dans le métro. J’ai glissé mes lunettes de soleil depuis le sommet de ma tête devant mon regard mouillé.

Elle ne verra pas la grille de son ancienne école, mon ancienne école, restée close lundi. Des élus ont décidé de la fermer définitivement. Je repense à la chanson de Gauvain Sers, Les oubliés, tellement vraie. Le parfum des feuilles de platanes ne consolera plus aucun enfant aux genoux écorchés à la récré.

Pendant ce temps, les écoliers s’entassent dans des classes surchargées. Pendant ce temps, le métier d’enseignant ne fait plus rêver grand monde, les jeunes adultes ne savent plus ni écrire ni compter. (C’est véridique, dans une autre vie, j’ai accueilli des stagiaires en bac+5 qui émaillaient leurs textes de majuscules perçues comme décoratives, d’orthographes approximatives et qui confiaient à Excel un calcul qu’ils auraient pu faire sur leurs doigts.)

Bande de décideurs idiots. Ceux qui affirment aussi que si les élèves n’y arrivent pas, c’est que c’est trop difficile. Le moindre gamin de CM1 en Allemagne en sait plus que bien des collégiens français. Mes filles l’ont constaté et nous aussi. Qui serait encore capable de réussir le certificat d’études ? L’exigence n’est pas un gros mot. L’effort non plus.

Ah l’effort… Une valeur passée de mode, emportée avec le gluten.

Avant la motorisation et l’automatisation de chaque geste, pour retrouver solitude et paix, il suffisait de marcher. Un peu plus loin, un peu plus longtemps. Prendre le sentier le moins emprunté (The road less travelled by chère au poète Robert Frost) ou un plus couru mais à un moment insolite. Contre-temps. Contre-lieu. La recette de la sérénité était simple.

C’est désormais impossible.

Certains barreaux invitent le pas de côté

L’idiot, qui souffre d’une allergie à l’effort, se propulse dans les moindres recoins à coup de rien du tout sur des deux-roues motorisés. Avant, dans les chemins pentus, il fallait se méfier des VTT en descente. Aujourd’hui, aucun terrain n’est sûr. La bêtise nous arrive dessus en trombe et sans bruit. Et viole le droit d’autrui au calme.

Début août, lors d’une balade dominicale dans les Monts du Lyonnais, ma fille, Gaïa notre chienne, mon mari et moi suivions un chemin plat sur le parcours d’un aqueduc romain. J’ai appris à cette occasion qu’avant d’être des ponts impressionnants pour traverser une vallée, les aqueducs sont des canaux couverts. Par endroits, les briques romaines affleuraient. Équipée d’un petit panier de châtaignier, mon ado cueillait les premières mûres noires. Après une heure de marche, nous nous sommes assis sur un tronc couché à l’ombre pour pique-niquer.

L’aqueduc sous nos pieds

C’est formidable non, on est dimanche, il fait beau, et il n’y a personne !

Incroyable.

Ça n’a pas duré. Des voix se sont approchées. Un groupe s’est arrêté juste à côté de nous. Ils discutaient, blaguaient. Trois se sont assis à deux mètres de notre déjeuner. L’un a proposé à ses comparses : « Je vais vous faire écouter ACDC ». Et il l’a fait. Ils ne nous ont pas dit bonjour. Je les ai comptés, ils étaient trente.

Crispation de tous mes muscles. J’ai senti ma fille tiquer, prête à fuir. Sidérés par tant d’égoïsme, nous n’avons pas bougé tout de suite. Nous nous attendions à une prise de conscience soudaine : oh, pardon, bon appétit, on vous laisse tranquilles. Au bout de dix très longues minutes, ils ont poursuivi le chemin. Avant de reprendre notre promenade, nous avons pris soin de mettre du temps entre eux et nous.

Quelques centaines de mètres plus loin, dans un virage, deux vélos nous sont arrivés dessus en disant « pardon » sur un ton excédé. Deux vélos électriques, qui arrivent donc à une vitesse inattendue et sans bruit. Il nous a fallu quelques secondes pour nous écarter, moi à droite, mon mari à gauche. Ma fille a dû attraper Gaïa alors sans laisse.

Le couple, la petite quarantaine, en tenue lycra, soufflait, luttait. Accrochés à leur guidon, ils résistaient, ne voulaient pas mettre pied à terre. Comme des cyclistes professionnels dans les derniers lacets du col de l’Izoard. Comme si leur qualification pour le Tour de France en dépendait. Oui c’était un virage avec des cailloux. Mais ne l’oublions pas, sur un sentier plat dont le début se situait à cinq kilomètres.

Vautours du Mézenc

On est loin de la performance sportive. Pourtant ils s’obstinent tous les deux, soufflent, râlent. N’avancent pas assez vite à leur goût. Leur honneur en prend un coup, mais au moins ils ont des coupables à blâmer : nous. Le monsieur s’agace : « Mais enfin, on a dit pardon ! » Je ne peux m’empêcher de lui répondre : « Le sentier est à tout le monde ». Je pense très fort : gros con. Je ne le dis pas. Soyez fiers de moi.

La dame marmonne, toute concentrée sur guidon et pédales. Elle doit être bigrement importante cette sortie du dimanche. Sa monture vacille. Elle se laisse basculer dans l’herbe plutôt que de mettre pied à terre. Elle renfourche son vélo en toute hâte, tête baissée. En proférant des remontrances. Leur obstination violente et impolie me fait peur. Sans cesser de pédaler, au ralenti, il crache des reproches. Je ne les ai pas retenus. Mais ils me blessent. Je craque et je lance : « tout ça pour faire du vélo électrique en plus ! »

Ils sont déjà un peu loin. Je crains soudain que le type à l’orgueil blessé rebrousse chemin pour me mettre un coup de poing. L’égo ne supporte pas qu’un regard non ébloui par les paillettes du lycra mette à jour sa médiocrité.

Le gars ne revient pas, mais il met le coup de poing :

– Viens pédaler co**** sse !

Le bruit de leurs pneus sur la terre caillouteuse continue de s’éloigner.

L’affaire a duré une poignée de secondes. Mon mari est tendu. « Viens, il me dit, viens ce sont des cons, c’est rien ». Je lui désigne mon visage en larmes : « c’est rien ça tu crois ? » Je ne me suis jamais fait insulter de ma vie. Je suis en état de choc.

Le col de l’Izoard ;o)

Nous retournons sur nos pas, le long du chemin que je m’efforçais de trouver charmant à l’aller (c’est une région que, pour une raison inexpliquée, je n’aime pas). Reniflements, pleurs. Inspirations profondes. Je tâche de laisser passer l’émotion, le (deuxième) viol de la tranquillité champêtre de mon dimanche. Des châtaigniers se courbent au-dessus de nous dans un parfum de genêt. Ils échouent à me protéger.

Un mal au ventre s’éveille. Je marche la main sur l’estomac. Il s’intensifie. Au bout d’un quart d’heure, je le verbalise. « J’ai envie de vomir ». Soudain sans crier gare, sans que j’aie le temps de glisser dans un buisson, mon ventre se contracte et tout ressort. Le saucisson et le melon, le pain à l’épeautre du marché et le fromage de chèvre, le carré de chocolat, la mûre et l’humiliation d’avoir été violentée.

Là où je n’irai plus

Le T-shirt tâché, les jambes flageolantes, l’humeur en berne, je décide que je n’irai plus jamais dans ce coin de nature. J’éviterai soigneusement les parcours mixtes vélos et randonneurs. Je monterai le plus haut possible dans des lacets serrés, là où les moteurs ne vont pas encore. J’irai sous la pluie. Dans le froid. Le méchant craint les intempéries comme l’effort, planqué derrière un écran. Il se croit important parce qu’il est sur une monture qui avance pour lui. Il est moderne comme le chai latte.

Il n’a pas appris la frustration, l’échec, la persévérance. À la moindre difficulté, il sort une machine. Son téléphone lui sert à écrire, calculer et penser. Comme il n’existe pas de machine – encore – pour remplacer le cœur, l’idiot est amputé de son humanité. Il garde, hélas, un immense pouvoir de nuisance. Quand il sera grand, il fermera des écoles.

Je suis heureuse que celle qui sera pour toujours ma maîtresse ne voie pas ça.

Madame, j’ai toujours comme vous, sur le sommet du crâne, un creux, souvenir d’une piqûre de tique, et au majeur la boule où appuie mon stylo Bic.

Je voudrais vous l’écrire à la craie blanche sur un tableau noir : merci maîtresse.

P.-S. Pour me réconcilier avec l’humanité (de certains), j’ai regardé hier pendant ma pause le début de Dead Poets’ society. La scène où le professeur Keating / Robin Williams encourage Todd, élève timide, à exprimer devant la classe les trésors qu’il ignore avoir en lui m’émeut toujours autant.

P.-P.-S. Vous vous demandez ce qui est inscrit au fronton de bois ? C’est l’hymne ardéchois. Et oui, parfaitement.

L’Ardecho ! L’Ardecho ! Merveillous païs
S’as pas vis l’Ardecho
N’as jamaï rein vis.

(Chut, ne le dites à personne, là bas il existe encore des coins déserts).

Echanges

Voter pour rire, préparer le lycée et échanger ses gamins (ou ses parents).

A voté.


Oui oui.

J’ai voté en ligne pour le test grandeur nature du premier tour des élections législatives organisé par le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Le consulat avait proposé. J’ai sauté sur l’occasion. Pourtant, le jour des élections, je pressens l’envie de glisser un papier dans une enveloppe, à l’Institut français de Mainz. Le petit frisson du devoir civique réalisé n’aura pas la même saveur depuis mon bureau. Néanmoins, c’est drôlement pratique.

Sur la liste électorale pour du beurre, une douzaine de candidats tous plus poétiques les uns que les autres : le parti des abeilles en grève, des coccinelles, des herbes aromatiques au balcon… J’ai choisi une femme, avec des co-équipiers-arbres dont un châtaigner.

Devoir accompli pour rire (et rêver).

Bonjour les amis, me revoilà.

Ça fait longtemps que je n’ai pas écrit. Je m’assois tous les jours à mon bureau pour travailler à un projet d’écriture. Mais dans une phase de relecture / correction, je n’écris pas vraiment. Pour vous ici, souvent j’hésite. Ai-je quelque chose de neuf à partager ?

Râler encore contre les covid-contraintes ? Bof. Contre la voisine qui nous a engueulés pendant une bonne minute parce que notre chienne Gaïa, tenue en laisse, avait osé s’approcher d’elle (sans la toucher, sans aboyer, sans la surprendre) ? Elle nous a demandé si on emmenait notre chien à la Hundeschule (à l’école des chiens)… Mon mari lui a souhaité bonne année. Et moi j’ai eu l’envie furieuse de lui conseiller d’aller à l’école des humains. Pour apprendre l’humanité.

Non. Sans intérêt.

Au fond, Mainz

Mes actualités brûlent trop pour être partagées à grande échelle. Secrets. Suspense. Comme tout le monde j’ai des soucis, et j’essaie qu’ils ne me bouffent pas. Puis j’ai mal au dos. J’ai appelé le kiné ce matin. Elle m’a demandé mon numéro de téléphone.

-C’est un numéro de portable français…

-Nein. On ne peut pas appeler la France.

-Sur whatsapp ça marche très bien. Mais tenez le numéro allemand de mon mari.

Elle note. Puis me propose :

-Vous êtes disponible aujourd’hui ?

-Oui

-Ça m’avait agacée le coup de la France.

Ah bon. D’une part je ne m’en étais pas rendu compte. Les échanges cash sont normaux ici. Et d’autre part, je n’avais imaginé, depuis le temps que je le donne ce numéro étranger, que ça pouvait énerver. (Oui la flemme de tout mettre à jour, et la volonté symbolique de me rattacher à mon pays).

Vous l’aurez remarqué, l’objet de mes articles ici est d’essayer sous prétexte d’anecdotes quotidiennes de m’approcher au plus près de mes émotions, en espérant toucher les vôtres. Alors c’est frustrant cette auto-censure. Mais pour les sujets qui irradient autour de moi, pas le choix.

Alors parlons échanges.

Austausch (échanges scolaires) et non Umtausch comme j’ai dit une fois par erreur à des amis (échange définitif comme quand on rapporte un objet cassé au magasin). Et non ce n’était pas un lapsus ;o)

Oma Else Café

Ma grande fille est en troisième, année charnière. En seconde les élèves peuvent partir six mois ou un an suivre une scolarité à l’étranger. Aller simple dans une famille qui fait profession d’accueillir des jeunes du monde entier. Aucun étudiant à recevoir en retour. Plusieurs organismes le proposent, le lycée l’encourage. Les filles d’une amie sont ainsi parties au Canada et aux USA. Alors je demande à la mienne :

-Ça te dirait pas ?

-Si je pars je vais oublier tout mon allemand.

Ah oui c’est vrai. Pour nous ‘’l’échange’’ c’est tous les jours. Dommage dans un sens. Car en plus de la langue, l’apprentissage de l’autonomie, d’une autre façon de vivre, sans ses parents sur le dos serait chouette.

Un peu d’air dans nos voiles assouplirait les échanges.

Ado 10-Maman 0. A tous les coups on perd !

Si je suis occupée quand elle arrive, je me fais engueuler :

-Tu ne t’intéresses pas à moi !

Si je cherche à l’aider aussi…

-Tu as envoyé tes candidatures ?

-C’est MON stage, MON problème.

OK. OK.

Equilibre délicat.

Am Ballplatz

Une connaissance de Mainz m’a demandé de l’aider à trouver une famille française pour un échange (un vrai) de deux semaines. Les amis parisiens contactés, tout de suite séduits ont contacté leur collège. Non. Impossible. Le Covid et tutti quanti vous n’y pensez pas !

Quel dommage… Entre rigidité de l’Education Nationale et films doublés, comment les petits Français pourraient-ils briller en langues étrangères ?

Autre actualité scolaire : la préparation de la seconde. Les classes, identiques depuis cinq ans, éclatent en fin de collège. L’emploi du temps du lycée est très personnalisé. Presque du sur-mesure. Chaque collégien choisit parmi une trentaine de combinaisons : 3 cours principaux, Leistungskurse, 9 cours fondamentaux Grundkurse, une éventuelle option (philo ou italien). Les profs leur donnent des recommandations pour leur matière (vert, jaune ou rouge). Parmi les choix réputés les plus durs… sport et arts (théâtre, arts plastiques ou musique). Le nombre d’heures hebdomadaires est le plus élevé… en sport. Eh oui.

La semaine dernière, j’ai assisté avec ma fille à une soirée d’information en ligne sur l’environnement numérique du collège. Différentes présentations étaient données en parallèle. Spontanément, je me serais inscrite à une seule (par devoir… les maths) et j’y serais restée, regrettant de ne pas voir le reste.

J’ai laissé mon ado piloter.

J’ai découvert comment elle faisait en classe.

Elle a ouvert toutes les sessions qui l’intéressaient : théâtre, français Abibac (double bac français/allemand), italien, histoire en anglais… puis elle a zappé de l’une à l’autre. Fais voir qui c’est qu’est connecté là ? Ah bon ?

Surprise totale pour moi : presque personne dans la présentation maths où nous n’avons fait que passer par curiosité. Pourtant ils sont un certains nombre à choisir la matière, ma fille entre autres. Mais ils n’avaient rien à apprendre sur le sujet.

Un problème se pose pour ma miss : si elle fait Abibac elle renonce à son anglais – car les forts en anglais le prendront en cours principal (ce qu’elle ne peut pas faire puisqu’elle a français), reste le cours fondamental où elle va s’ennuyer. Ni une ni deux, elle a envoyé la question à la prof qui organise les emplois du temps (un joyeux casse-tête) : pourrais-je avoir un quatrième cours principal ? Réponse : si ça colle niveau horaires pourquoi pas…

Comme j’aurais aimé dérailler du ‘’maths à tous prix’’… Choisir le sport ou l’art comme matières principales avant le bac, sans avoir l’impression de commettre une erreur ni de me fermer des portes. Ma plus jeune révise pour les interros de sport comme pour les autres matières. Cet aprem piscine :  elle veut améliorer sa rapidité à la brasse. La pédagogie allemande fait envie.

Malgré tous ces choix, notre famille manque de projets. Nous trépignons. On s’était dit qu’on resterait deux-trois ans en Allemagne. Notre quatrième année n’ouvre aucune perspective de changement. Quel départ serait compatible avec la scolarité des enfants ? Avant le lycée ? Pendant ? Rester cet été est-ce s’engager pour trois ans d’un bloc ? En ai-je envie ?

J’ai vraiment besoin de poser mes valises. Pourtant hier je proposais à mon mari de partir en famille un trimestre à l’étranger quelque part… Pour échanger notre quotidien pour un ailleurs. Aventurière casanière. La routine pour se rassurer et s’apaiser, l’évasion pour échapper à l’ennui…. Une ligne de vie que je suis les bras écartés en balancier. Là encore.

Acheter une maison à Mainz ? Oserais-je ? Pas sûre du tout…. Ça aurait quelque chose de définitif (même si c’est faux). Mais j’en ai ras-le bol de ne pas pouvoir effectuer les travaux pour mettre mon chez moi à mon gout. De râler contre notre frigo minuscule.

L’Allemagne est le pays de l’Union Européenne qui compte le plus de locataires (53%). La part d’Allemands propriétaires de leur logement varie fortement entre Berlin (17,4%) et la Saare (64.7%). La Rhénanie avec 58% se situe dans la fourchette haute, mais le marché reste peu mobile et l’immobilier cher : implantation à Mainz de sièges d’entreprises (ZDF, Schott, … et maintenant Biontech qui grossit), proximité de Francfort (ce que le Brexit ne va pas améliorer sans doute, en entrainant le rapatriement en Hessen d’activités londoniennes).

Le Brexit parlons-en… Payer un bras pour envoyer des cadeaux de noël en Angleterre et un autre pour aller chercher les nôtres à la poste, parce que bon, les frais de douane ma brave dame… Ça tourne en rond cette histoire. Régler des taxes pour financer les agents qui lisent les étiquettes (et doivent bien se marrer. On a reçu dans un carton ’’céramique et papier’’ : comprendre tasses et livres).

Janvier s’étire. Les photos d’hiver regardées en été m’interrogent… Comment survivre au ciel blanc, à l’air glacial, aux arbres nus ? Plongée dedans, je guette les chatons sur les branches (noisetiers déjà équipés), la violette égarée, le perce neige hâtif (dans ma jardinière) … Même aux jours les plus froids, la nature s’épanouit. Les jasmins d’hiver, toutes étoiles jaunes dehors éclairent les rues. Le printemps se prépare en hiver. Rien ne s’arrête. Alors je m’en sors.

(Note à moi-même : tout de même, commander du mimosa au fleuriste du marché.)

Pour les longues soirées, les guirlandes au jardin (fairy lights en anglais, les lumières de fée, c’est pas charmant ?) font des semaines sup, et nous regardons des films. Décider en famille d’un programme relève de l’impossible. J’ai renoncé aux discussions interminables pour lire dans mon lit. Avec la sortie de Spiderman, les filles ont eu un coup de cœur. Commun. Tom Holland passe ses samedis soirs en notre compagnie.

Histoire de dédramatiser la question ado, vendredi j’ai glissé la Boum. Au siècle dernier, les deux films avaient eu un franc succès en Allemagne. Toutes mes copines de Cologne connaissaient Sophie Marceau. Ma benjamine a passé son tour (y’a de l’action ? des blagues ? Euh non). Mon ado a bien aimé, ‘’mais plus personne ne parle comme ça aujourd’hui…’’ A ce point ?

Mes filles adoptent, sans pourtant les fréquenter, le parler des jeunes français. Stylé revient dans leurs phrases aussi souvent que classe, puis canon à d’autres époques. Le super classe c’est quand c’est grave stylé.

Eh oui, moi aussi j’apprends.

Et j’imagine. Si je montais un système d’échanges pour les parents ? Une école de la parentalité avec stages dans une autre famille / culture, pour apprendre ailleurs comment me comporter chez moi ?

Vous en penseriez quoi les filles ?

(Pourvu qu’elles ne répondent pas qu’elles voudraient bien un Umtausch plutôt qu’un Austausch).

Sources statistiques : de.statista.com

Hors les murs

Petit tour de rentrée scolaire, troc de confiotes, refus de Figolu, et suggestion de placard.

(Mais si vous allez comprendre.)

Bonjour à vous,

Ne bougez pas j’arrive. Je donne un dernier coup d’éponge à la cuisine. (Vous aussi vous avez toujours un coup d’éponge à donner à la cuisine ?) Déjà la cinquième semaine depuis la rentrée, bientôt les vacances d’automne. Nous allons pour un temps changer d’évier.

Sortons dans la rue où l’éponge tentatrice ne nous suivra pas.

Après une première semaine de matinées (sans cantine), les cours ont repris à temps plein (AVEC cantine OUF !). La boite mail s’emplit de messages du collège : prière de consulter l’application. Clic, ouvrir le courrier, le lire en plissant les yeux (police 2 interligne 0.5), cocher la case Lu et refermer. En prenant soin de préciser à sa fille : « il est écrit dans le courrier qu’il faut l’imprimer pour cocher la case Lu avec un stylo. Je viens de le faire dans l’application. Je me contenterai d’une seule croix (virtuelle) par sujet. » On place ses rébellions où on peut (croisons les doigts que ça suffise). Pour les plus prolixes des auteurs de messages officiels j’aimerais avoir un tamis pour ne garder que les deux-trois infos importantes. Ils y pensent pas à ceux qui ont fait allemand première langue sans l’option littérature post-moderne (et qui n’ont ni loupe ni que ça à faire).

Autre formulaire : « Merci de verser les euros du voyage à Berlin sur le compte personnel du professeur responsable. RIB ci-dessous.» Voilà, c’est fait. C’est bizarre tout de même. Là-aussi serrons les pouces, comme on dit ici, que ça marche. Dans la paperasse signée, il est précisé toutes les conditions pour lesquelles il faudra aller chercher son enfant : indiscipline, test corona positif de lui-même ou d’un copain de chambre. Et si les profs accompagnateurs sont positifs ?

Plumbago

En 9. Klasse (troisième) ma grande va partir trois jours avec sa classe pour des Reflexionstage (jours de réflexion). Une parenthèse loin de la vie quotidienne, de la famille et des cours pour se poser des questions individuelles et collectives sur les choix de vie. Malin, non ? C’est organisé par le diocèse, avec autorisation d’absence du collège. Comme quoi la collaboration école publique – services religieux peut être profitable à tous. J’aurais tant aimé bénéficier de ce temps offert. Pas sûr que j’en aurais bénéficié alors, prise que j’étais dans la roue de hamster des interros et des notes.

Aujourd’hui les ados réfléchissent plus. Trop.  

Mon mari et moi inculquons à nos enfants que pour être en bonne santé il faut manger de tout. Surtout quand on est en pleine croissance. Que pour être poli quand on va quelque part on s’adapte à ce qui est proposé. Pitié les filles, épargnez moi l’actualisation des toquades alimentaires des copains.

Les réseaux si peu sociaux leur inculquent les citations sucrées en calligraphie et les modes alimentaires. A chaque repas nous avons l’actualité : « Machine est végétarienne maintenant ». Puis quelques semaines plus tard, « elle n’est plus végétarienne, sa mère le lui interdit elle était fatiguée ». A nouveau quelques semaines plus tard : Machine (la même) elle est vegan. Vraiment ?

L’une d’elle, vegan depuis une semaine, a refusé de goûter un Figolu.

La malnutrition auto-imposée comme style de vie ça me fait peur. Mais non maman, elle prend des vitamines. Ah bon tu me rassures. Elle a fait vœu de renoncer à son intelligence aussi ? Elle prend tous les matins des shoot de Youtube à la place (ou de Tiktok ; je suis dépassée).

A l’aide.

Les Figolus. Franchement.

La confiture passe encore. La semaine dernière, ma fille a mentionné qu’un copain avait ramassé cinq kilos de cynorrhodons (Hagebütten ou gratte-culs). J’ai suggéré le troc. Elle est partie avec des bocaux de confiture d’abricots. Nous gouterons l’églantine et le miel du copain. On a aussi un joli pot de miel d’une copine en deux phases : dur et clair au fond, brun et liquide au-dessus. Peut-être que les abeilles ont butiné nos fleurs. Beaucoup d’Allemands sont aussi apiculteurs. Les maisons affichent une plaque : Eigene Imkerei (apiculture personnelle).

Le lendemain de la date officielle de la rentrée, c’était l’Einschulung. La toute première rentrée. Devant l’école primaire en milieu de matinée, les petits CP étaient bien sages entre papa et maman tous bien habillés (une seule classe : les horaires sont échelonnés pour cause de corona). Les parents restent avec leur enfant toute la matinée. (Un prof de mes filles a été absent pour cela). Les écoliers serraient contre leur cœur une Schultüte, cornet-surprise rempli de friandises, carnets et crayons, et de jouets. (Les parents dépensent 70 à 80 euros pour ce symbole.) L’autre jour à la librairie une dame commandait un livre pour son petit-fils « à l’occasion de son Einschulung ».

Parfois des messes à l’église sont organisées pour les enfants (de l’école publique) et leurs familles à cette occasion. C’est joli de prendre le temps de cette étape. Je me sens un peu gênée quand j’explique que mes gamins étaient à l’école avec cantoche et tout le toutim avant trois ans. Ici c’est limite de la maltraitance.

En pensant à cet article, j’ai hésité à demander à une famille de les prendre en photo (de dos) tout rutilants, avec la Schultüte aussi grande que le gamin. Puis je me suis dit que je risquais de les effrayer. « Tu vois Max, cette dame si tu la croises, tu pars en courant ». Ils rentrent seuls très tôt les gosses. L’école leur fait passer un permis piéton avec coaching de la police svp. On les voit parfois s’entrainer à traverser la route un par un.

Fusain

En matière de comparaison critique entre cultures, je me suis professionnalisée. J’ai reçu un mail cet été de la part du magazine Deutsch Perfekt (qui s’adresse aux étrangers germanisants avec articles de différentes difficultés et lexiques). Ils avaient consulté leur base de données : que conseillez-vous aux Allemands ? (enfin, c’était pas demandé comme ça mais plutôt : qu’est-ce qui vous irrite dans votre pays d’adoption ?)

Bien sûr, je ne manquais pas d’idées ;o)

Au petit déj, penchée sur mon yaourt ardéchois, j’avais tapé en quatrième vitesse (sur le téléphone et sans mes lunettes) une dizaine de suggestions : équiper les maisons de placards, prendre le temps des consultations médicales, moderniser le réseau internet, renoncer à la paperasse, me foutre la paix quand je marche dans la rue même si mon vélo couine, arrêter la police des hobbies (ces particuliers qui se mêlent de vous engueuler pour un ja ou un nein) et tutti quanti.

J’avais eu la surprise de recevoir une réponse : “Merci Estelle, envoie-nous ta photo !”

Ma photo ! Whaou ! (Euh, laquelle ?)

Top top top. Ma minute de gloire. (Depuis le temps que je rêve d’être publiée, bon enfin, un texte que j’aurais écrit pas une réflexion à deux balles.)

L’article vient de paraître. Ils ont rassemblé une cinquantaine d’idées pertinentes (y compris rallonger les consultations médicales, moderniser internet, renoncer à la paperasse). Ils ont gardé de ma contribution la proposition inoubliable : mettre des placards batis dans les maisons (en shuntant la remarque : les Allemands sont-ils tous actionnaires chez Ikea ?) Mon amie d’enfance m’avait dit, quand je m’étais étonnée de leur absence « non y’en a pas en Allemagne. On a toujours trouvé ça super chez vous. »

En même temps ce magazine, y’a pas un Allemand qui le lit. Et pour cause.

A charge de revanche sans doute. Que conseilleraient les étrangers aux Frenchies ?

(Roulement de tambour…)

Je voudrais vous quitter sur une nouvelle insolite. Lors d’une promenade, une amie m’a parlé de son tout nouveau permis de conduire un âne (Eselführerschein). Oui, oui. Son professeur lui a remis un document officiel, plastifié et tout, avec le détail des compétences acquises parmi lesquelles : la tolérance à la frustration. (Je crois que je vais m’inscrire.) C’est un complément à sa formation pour animer des ateliers en forêt – sur son temps libre. (C’est une grande passion la forêt pour les Germains).

Pourtant je me demande, certaines choses ne devraient-elles rester poétiques et libres ? Peut-être l’effet de mon moral dans les chaussettes (bienvenue automne, au moins, j’en porte des chaussettes).

Souvent, j’ai envie de jeter l’éponge.

La vraie (planquez-vous), et la métaphorique.

14 juillet in Mainz

18°, école, pas de feu d’artifices. Et pourtant une histoire de libertés.

Je reste libre (distanciation au restau)

Aujourd’hui, les classes de mes filles ont organisé leur sortie de fin d’année. L’une est partie faire de l’accrobranche (Kletterwald), tant mieux ! La menace de pluie a fait renoncer la classe de l’autre (qui en saute de joie) au mini-golf, pour se rabattre sur des jeux en salle et des pizzas. Dans ces classes à français renforcé, l’encadrement semble avoir oublié la fête nationale française. Mes filles se chargeront de le rappeler. Vendredi, remise des bulletins en main très propre et en grande pompe. Prière de vider les casiers. Les cours s’arrêtent ensuite pour les six semaines réglementaires.

Ah ces fins d’année scolaire ! Pourtant covid oblige, pas de spectacle, de concert, ou de barbecue géant. C’est dommage, c’est tant mieux. J’adore rencontrer des nouvelles têtes sympas, mais le bavardage social m’épuise. Ma cervelle survoltée refuse de dormir et saute sur le lit comme un gosse sur un trampoline. Il me faut deux jours pour m’en remettre.

La classe de ma plus jeune a eu le droit d’organiser un pique-nique. Dans le parc, autour de nous, quatre autre pique-niques de quatre autres classes, autour d’une Wasserspielplatz. Dans cette fontaine géante peu profonde avec jeux d’eaux les enfants s’aspergent. Une super idée plutôt que de gronder les propriétaires de pieds trempés dans les bassins décoratifs.

Nous nous sommes installés sous un châtaignier dont les chatons défleuris sont autant de clins d’oeil de mon Ardèche. Une maman cherchait où étaler les victuailles apportées par les familles. J’ai proposé mon plaid. Le déplier sous des regards étrangers m’a motivé à braver les instructions de l’étiquette et à le laver. Pour mieux présenter mes carrés aux dattes, j’avais acheté le matin même de belles boites en plastique turquoise. Les familles allemandes mettent la barre très haut concernant la présentation de leurs gâteaux. Mes emballages sont plutôt poétiques disons. Je tâche d’apprendre.

Oui les fins d’années scolaires sont tumultueuses. S’ajoute à la clôture de l’année et aux préparatifs de voyage, l’organisation d’un parcours de santé en terre francophone. Le rappel des vaccins bien sûr. Mais pas que. Comment faire quand on vit dans un no man’s land trilingue pour faire un bilan d’orthophonie ? Dans quelle langue ? Faudra-t-il en faire plusieurs ?

J’ai appelé un cabinet du sud-ouest. L’accent chantant de la jeune femme m’a fait fondre. Nous avons eu de la chance de pouvoir prendre un rendez-vous en période estivale, à court terme, et dans un coin où d’autres expatriés font les mêmes démarches.

Il est temps de partir.

Les aboiements de Gaïa tapent sur les nerfs des voisins donc on la garde à l’intérieur. Où elle tape sur les nôtres. Elle se donne du mal : elle pose des crottes un peu partout, à toute heure du jour et de la nuit, ce qui n’était pas le cas à son arrivée. Mes filles et mari savent que je n’aime pas les chiens et que j’ai accepté l’adoption pour raison thérapeutiques. Je n’ai encore dû ramasser aucune offrande. Merci à eux.

Nous voilà donc avec une chienne qui ne joue pas, perd ses compétences de propreté et aboie de plus en plus. J’ai posé la question aux miens : franchement quel est l’avantage de Gaïa ? Je n’ai pas eu de réponse. On m’a dit que c’était important d’aider un chien des rues. Jusqu’à quel point ?

Mon besoin de calme et d’un chez-moi apaisant est piétiné. Mes soirées se calfeutrent sous un casque anti-bruit. Je n’ose plus lire dans le salon – c’est trop le bazar, le sol impossible à garder propre. Déjà avant le chien je me planquais. C’est pire. Je les ai prévenus : faute de solution de cohabitation plus équilibrée, un jour explosif l’alternative risque d’être simple : l’animal ou la maman.

Nous allons faire le tour de Gaule, avec étapes chipirons à la plancha, tarte aux blettes, crème de marrons en tube. Plongeons remuants sous les rouleaux de l’Atlantique (c’est où le ciel déjà ?), baignades depuis les rochers de Méditerranée qui martyrisent les pieds et massages dans les torrents de l’Ardèche. On va bouffer du kilomètre, avec Gaia dans la voiture (yeux au ciel gris). Y’a tellement de monde qu’on a pas vu depuis trop longtemps ! Dans la piscine vide, j’enchaîne les longueurs et m’échauffe les bras pour les embrassades. Sous les gouttes, l’eau prisonnière redevient sauvage.

Au fait, dans quel format seront autorisées les retrouvailles ?

Une amie m’a prévenue de nouvelles annonces sanitaires (j’évite toujours les infos). Quoi ? Le gouvernement doit forcer le personnel soignant à se faire vacciner ? Mais ce n’est pas déjà fait ? Si c’était le contraire y’aurait une levée de bouclier pour dénoncer la mise en danger des personnes.

Il est nécessaire de prendre des mesures pour encourager les Français à se faire vacciner ? Le bon sens a besoin d’un coup de pouce… Le risque ? Quel risque ? Celui d’un accident de voiture est bien plus élevé. Celui d’une maladie grave tellement plus fort.

Les mesures incitatives (vaccin ou test pour accéder à une salle de plus de 50 personnes), sans doute insupportables pour certains esprits français, sont en place depuis des mois en Allemagne, sans jauge minimum. Vous le savez, ça m’a fait râler tant et plus, faute de pouvoir me faire immuniser. Pourquoi les médias relaient-ils si peu les choix étrangers pour rappeler aux Français leur chance d’accéder au vaccin sans combat ? De vivre dans une société qui privilégie la liberté – si tout le monde joue le jeu et que les égoïstes ne comptent pas sur l’immunité des autres.

Dans Private Eye, le journal satirique anglais auquel mon mari est abonné, un dessin humoristique présentait un Français refusant de faire « entrer des virus et des bactéries dans son corps », avant de se resservir de roquefort.

Comme partout, les conditions de nos vacances seront encadrées par les mesures politiques. Pour nous débarquant d’outre-Rhin, l’environnement français sera une libération. Si nous avons bien notre vaccination comme prévu (touchons du bois, serrons les pouces comme on dit ici) ma fille et moi pourront aller au restau en août mais pas mon mari qui n’aura sa deuxième dose qu’au retour en Allemagne.

Pardon. Pardon. En m’asseyant à mon bureau, je n’avais pas prévu de m’étendre sur le sujet. J’essaie d’éviter cette thématique qui me rappelle combien l’humanité a la mémoire courte et les ondes sont encombrées par les imbéciles. C’était quoi déjà le taux de mortalité avant l’invention des vaccins ?

Sur une façade de Mainz, près du Rhin

Grâce au télétravail délocalisé, nous pourrons prolonger notre séjour en France. Quitte à foutre le camp… Une chambre-bureau avec vue sur mer, ça changera du parking des voisins. Ils pourront souffler en l’absence de notre aboyeuse et nous sans leur perceuse. Notre grande restée avec des copines rentrera seule pour la première fois en TGV direct Lyon-Francfort. Question à deux euros : une mineure a-t-elle besoin d’une autorisation de sortie du territoire pour rentrer chez elle ? Je viens de vérifier, la réponse est non. Pourvu que l’éventuel douanier / contrôleur soit au courant.

La logistique est en place. Les valises familiales à peine commencées. (C’est pas faute d’en parler – cf article La valse des hésitations). Pour l’âme hypersensible de qui vous savez, ces road-trips sont épuisants. Afin d’amortir la bosse-petit pois des changements répétés, des étapes-matelas sont organisées dans des chambres d’hôtes de charme. Histoire de faire le plein de calme et de beauté. Les casse-croûtes seront solides et ponctuels (mon humeur plonge avec ma glycémie, gare à mes covoitureurs). J’ai réservé des moments de solitude sous les pins pour recharger mes batteries.

Enfin, ça c’est la théorie.

Mes filles m’encouragent à prendre des vacances d’écriture. J’ai besoin là aussi d’une pause régénérante. Mon roman bénéficiera d’un regard lavé. Les idées continueront de germer, mais il attendra un peu. Le blog peut-être moins. Si le stylo me démange, vous serez les premiers informés.

Ça se dit, joyeux 14 juillet ?

Drei Mädchen Brunnen, Ballplatz – Mainzer Altstadt / Fontaine aux trois jeunes filles, sculpture en Bronze de Josef Magnus.

Conquérir le monde

Révisions de géométrie, préparatifs de colo, et jardinage bruyant. (Et non, toujours pas de vaccin à l’horizon.)

Je suis trop heureuse maman, je vais faire ma valise !

La nouvelle vient de tomber : la colonie de cheval de mes filles pour les vacances de Pentecôte aura lieu. L’école est en demi-groupes, avec distanciation sociale maximum. La cohabitation de plusieurs minettes non lavées dans un dortoir est autorisée. Tant mieux. Côté parents, nous n’avons pas le droit de rejoindre le gite sur la mer du Nord réservé pour Pâques et déjà décalé. C’est un autre Land où le touriste extra-Land est interdit. La colo est en Rheinland-Pfalz comme Mainz. Ouf !

-Tu te rends compte on va partir. Ça fait si longtemps qu’on n’est pas partis ! Depuis octobre !

-Oui je me rends bien compte.

Assises toutes les deux à mon bureau, je lui explique les exercices de géométrie. Le devoir surveillé du semestre est programmé à la rentrée. Un seul au lieu de deux et des interros rapides. Faudrait pas le rater. C’est la championne de l’expédition rapide des devoirs pour pouvoir passer à autre chose. (Oui on peut aussi dire bâcler). Avec l’école à la maison, sans examen, on peut pas dire qu’elle ait beaucoup appris de leçons. Je ne l’ai pas harcelée avec. Je tâche de me protéger. Faut tenir sur la distance.

-Regarde. Un losange ça a quatre côtés égaux. En France on aurait mis un petit trait sur chacun des côté pour le visualiser. Si ça peut t’aider à te souvenir.

Ici ça n’existe pas, les petits traits.

-Et le carré, a les angles droits, y compris les diagonales. En France on aurait marqué les angles avec un trait carré.

(De rien, vous avez toujours rêvé de rappels de géométrie, je m’en doutais).

Ici non. A l’école primaire, c’était un arrondi avec un point dessous. Au collège y’a plus le point. Par contre tous les angles sont marqués par un trait arrondi avec une flèche au bout. Une flèche ? oui une flèche. Dans le sens inverse des aiguilles d’une montre svp. Je n’en vois pas l’intérêt. S’il y a des matheux parmi vous je veux bien une explication. Qui a dit que les maths étaient une discipline universelle ?

Elle gigote sur son tabouret. Se lève et danse dans tous les sens en fredonnant. Se rassoit.

-On va quand chez DM ? Pour la colo il me faut des Schnelltests (tests individuels pour le corona), du désinfectant, du shampooing en petite bouteille, tu sais dans le rayon avion.

-Oui je sais. En même temps en octobre vous vous êtes lavées une seule fois en une semaine. Oh oh je te parle. Le carré ? Répète.

-On va quand chez DM ?

-Qu’est-ce que je t’ai demandé ?

– De répéter. On va quand chez DM ?

Ça me semble super dur le programme de géométrie pour la 5. Klasse (CM2). Petit coup d’œil sur internet. Ah, ça a l’air d’être au programme en France aussi. J’ai dû tout oublier. Je lui explique en allemand parce que les mots français ne lui disent rien et ne lui serviront pas pour les interros.  Moi au passage j’apprends le vocabulaire. Ça me permet de réviser aussi le français. Voilà trente ans que je n’ai rien vu d’isocèle.

Sa trousse de toilette est prête. Elle déborde. Je parie qu’elle n’en sortira que la brosse à dents. Lever aux aurores pour pelleter le crottin, sortir les chevaux au pré, monter toute la journée, ranger le matériel et les animaux, s’amuser avec les chiens, sauter dans le foin de la grange, saluer les moutons et les lapins. Non, pas le temps de se laver.

Sceau de Salomon

C’est rigolo l’hygiène. Ici, j’en avais déjà parlé dans l’article sur les odeurs, les Allemands croisés dans la rue ne sentent pas le sale. A de très rares exceptions près, ils ont le cheveu propre. Lors de la visite médicale obligatoire pour les jeunes ados, (J1) j’ai abordé le sujet avec le pédiatre. Depuis que ma grande fille fréquente l’adolescence, elle a oublié les concepts inculqués depuis sa naissance : douche tous les jours. Sur un site anglais, j’ai lu :’’L’ado peut négliger son hygiène. Ça vous énervera à double titre : il squatte des heures la salle de bains et n’en sort pas plus propre’’.

Le pédiatre m’a répondu :

-C’est une question personnelle. Certains se lavent une fois par semaine. D’autres deux….

-Ah ?

Sans la regarder, je m’essaie à la télépathie avec ma fille : “Surtout n’écoute pas, on va rester sur notre règle familiale.”

Le rendez-vous J1 présente l’avantage de consulter le jeune par écrit. Deux questionnaires sont donnés en amont de la rencontre. Un au parent, un à l’ado. Dans la salle d’attente, la mienne était réfractaire à se dévoiler, même avec des croix dans des cases. Puis elle a cédé. Je me suis forcée aussi à aller au bout de mes inquiétudes par écrit. Ça nous a permis d’aborder les vrais sujets avec le pédiatre.

J’ai toujours l’impression que les médecins allemands sont pressés. Puisqu’ils ne font pas les tâches de routine comme peser, mesurer, prendre la tension, on les voit peu. Là, personne n’a vérifié sa vue ni son ouïe. Mais nous avons pu poser nos questions. A la sortie, toutes les deux nous nous sommes assises sur un banc dans le parc pour prolonger la conversation. Elle avait besoin de se remettre. Moi aussi de la voir émue. Je me suis revue en elle. En grandissant, les consultations médicales deviennent difficiles. S’approcher de soi n’est pas aisé.

Côté vaccin ça piétine dans la boue collante. En France mon fils de vingt ans est vacciné, un filleul de 21 ans aussi. Mes copines commencent à l’être. Ici le site officiel de notre Land est toujours très fier de nous rappeler (au 21 mai), les nouveautés du 23 avril. Tout le monde est prioritaire sauf les gens non-salariés de moins de 60 ans. Suivez mon regard. J’ai envie de faire l’aller-retour à Strasbourg pour de la contrebande d’épaule nue. Ça se rapproche un peu cependant. Mon mari a renvoyé un formulaire. L’objectif est d’avoir piqué tout le monde pour l’automne.

Si loin la liberté ? La campagne régionale pour motiver les gens à se faire vacciner va bon train. Na klar lasse ich mich impfen ! (bien sûr que je me fais vacciner) disent sur des affiches un médecin par-ci, une infirmière par-là, un sportif de Mainz. Certes, mais si on trépigne pour se faire vacciner que fait-on ? Une amie m’a aiguillée sur un site web Sofort-impfen.de pour trouver les créneaux disponibles dans sa ville. Bien sûr je me suis inscrite en liste d’attente. C’est une startup. Une initiative de jeunes dégourdis. Le système officiel ne le prévoit pas. Ou alors je ne l’ai pas trouvé. Le centre de vaccination dans un gymnase du quartier me nargue tous les jours. Si vous voyez quelqu’une faire un caprice devant, c’est moi.

Pour partir pour les vacances même sans s’évader, on a réservé pour quelques jours un appartement en Moselle allemande. C’est ce qu’on a trouvé de plus dépaysant dans notre Land. Autant dire qu’on ne va pas être seuls. Ce sera le week-end de Fronleichnam (Fête-Dieu ou Corpus Cristi), un jeudi férié comme l’Ascension. Ici on n’a pas le 8 mai ni le 11 novembre, mais on gagne le 3 octobre et ce fameux jour de mai. Promis je vous raconterai. La pente des vignobles permettra de réviser les angles. J’ai lu que le plus pentu d’Europe sinon du monde est là-bas (65°).

Je suis assise à mon bureau fenêtre fermée. Il fait toujours très frais. Et ça me convient bien. Je supporte de moins en moins la chaleur. J’ai besoin de froid pour rester présente à mon corps et ne pas partir en courant dans l’anticipation anxieuse à la suite de ma cervelle hyperactive. Cela dit j’aimerais pouvoir entendre le vent et la petite famille de cinq mésanges qui vient manger nos boules de graines. Les gros ados se perchent sur le rosier et chantent. Les parents fluets font la navette entre graines et bec grand ouvert de leur progéniture, à 20 cm. Curieux et passionnant.

Je ne peux pas ouvrir la fenêtre car des jardiniers de la ville s’activent en bas avec des outils bruyants.  L’un rase les gravillons avec une débroussailleuse pour couper de rares herbes de 10 centimètres de haut. Mon fils, chez nous pour quelques jours après ses partiels (youpi), me dit : mais il va faire un trou ! L’autre déplace les poussières avec un souffleur à feuilles. Y a-t-il objet plus absurde ? Faire du bruit, polluer et abimer le dos alors qu’un bon vieux râteau permettrait de faire du sport au grand air. Tout bénéf pour la santé publique. Aie un troisième vient de sortir le taille-haie pour étêter les arbustes déjà au carré. Quel dommage pour les roses jaunes. Je vais devoir vous laisser un moment pour aller me mettre la tête sous vingt oreillers.

Après les vacances on nous promet deux semaines d‘école en demi-groupes, puis un retour aux classes entières jusqu’à mi-juillet. Les courriers foisonnants envoyés par la direction du collège (les leurs et ceux du ministère de l’éducation du Land) entrent par tous les canaux pour nous expliquer les conditions. Sur Instagram une photo du club des élèves du collège nous informe en quatre points brefs (date1, date 2, tests, masques). Gardons espoir.

Ma plus jeune a le sourire. Pause de maths et sa valise est presque prête. Avec une copine du quartier elles ont trouvé un talus pour faire de la luge sur carton dans la boue et construire une cabane d’épines. Elle a préparé des gants de jardinage pour elles deux, enfilé un pantalon de rando déjà troué et une parka déjà sale. C’est la championne toutes catégories de l’organisation. Elle vient attraper une banane dans la cuisine. En l’épluchant elle me donne rendez-vous à 16h30 pour faire des maths, puis ajoute :

-Bon, c’est l’heure d’aller conquérir le monde.

A bon entendeur.

Retour d’école. Gaïa est sous la table.
Les priorités sont claires.

Frein d’urgence (périmée)

Ecoles refermées, mal-être enfantin, piano et graines de soucis

Dans le lilas, toujours chercher la fleur à cinq pétales

Mercredi dernier une loi a été votée pour permettre la gestion de la pandémie au niveau national. Une baguette magique pour renoncer au fédéralisme en cas de force majeure du genre pandémie âgée de 13 mois. Notbremsegesetz (loi frein d’urgence). Un peu rassie l’urgence tout de même. Cela vise à homogénéiser les approches dans les Länder. Désormais l’Allemand du Nord est bridé à la même laisse que celui du Sud. Le seuil de taux d’incidence (nombre de nouveaux cas d’infection pour 100.000 habitants) pour l’ouverture des écoles et autres commerces non essentiels a été abaissé à 165 (on n’est pas près de revoir les bancs du collège) et un couvre-feu a été instauré. A 22 heures. Avec une dérogation jusqu’à minuit si on est seul et/ou qu’on fait du sport. (Oui je sais. A quoi bon ? Je vous vois d’ici amis de France sauter sur votre chaise.) Deux tests par semaine obligatoires pour assister aux cours en présentiel. Là aussi ça va pas beaucoup nous gêner. Depuis mi-décembre mes filles sont allées deux jours et demi à l’école.

Mes informations sont sûres, c’est une copine italienne qui me l’a dit. Elle est passée à la maison avec sa fille qui apportait la liste des devoirs à la mienne, malade. Elles sont restées dehors à distance réglementaire. Nous avons échangé quelques mots pour le plaisir. Ça me fait drôle de parler allemand avec une Italienne. En même temps, nous ne connaissons pas la langue maternelle de l’autre. En leur disant au revoir, j’ai senti les larmes me monter aux yeux. Ça fait si longtemps que des visages amis n’ont pas sonné à la porte. En temps normal déjà c’est rare : les Allemands ne sont pas des champions de la spontanéité… Seule la voisine passe à l’improviste.

Marre de ce triste cirque. Depuis la rentrée virtuelle de janvier une de mes filles souffre régulièrement de périodes de maux de tête qui la clouent au lit. Notre petite fille gaie et sportive s’éteint d’un coup comme le barbecue dans le courant d’air. Couvre-feu à domicile. Le dimanche soir. Elle se rallume le vendredi midi. On a fait le siège chez le pédiatre. Aucun signe clinique. On a verbalisé mes angoisses. Dès la deuxième fois j’ai envoyé mon mari, avec la liste des questions en allemand. Je veux que nous soyons pris au sérieux, qu’ils discutent entre hommes posés. Quand mes enfants sont malades mon inquiétude crie par tous mes pores. Elle parle très bien l’allemand. Je veux que ma fille soit prise au sérieux et pas glissée en levant les yeux aux ciel dans la catégorie ‘’enfant bien portante, mère hystérique et française.’’

Donc pour la médecine, tout va bien. Sauf que ma fille souvent a mal. La Valse du Grand Bazar prélève sa dîme. Un jour à l’école. Ah non, changement de règle, tout le monde rentre. Scénario, 2 puis 3, retour au 2 (ne suivez pas, ça ne sert à rien, je ne sais pas ce que j’écris). La direction du collège transmet les courriers du ministère de l’éducation de Rheinland-Pfalz, et y va de ses looooooongues explications. Je clique deux fois par jour dans l’application du collège. Oui j’ai lu le message-fleuve pour nous dire d’ouvrir le courrier–rivière pour nous dire qu’y a pas école. Ça on savait. Les modalités on s’en fout, on comprend rien et ça change avec les courants d’air.

Je n’ai pas de girouette.

C’est tellement compliqué qu’une prof principale a eu l’excellente idée de nous envoyer ce week-end un mail complémentaire à ceux de l’établissement. « Les deux informations à retenir sont : pas d’école, et si oui, deux tests par semaine obligatoires ». Voilà. Deux lignes. Merci à elle.

A court terme, pas d’espoir de changement de rythme pour ma fille. D’abord lui expliquer le concept de l’inconscient : son corps exprime le ras le bol qu’elle ne verbalise pas. « Ça pourrait être ça mais tu ne le saurais pas. T’en penses quoi ? »

Ensuite la libérer de ses obligations familiales … certes mais comment ? En instaurant un tour de rôle dans la tente deux places dans le jardin de poche ? Fait encore trop froid la nuit. De toutes façons, j’y tiens pas. J’ai transplanté des pâquerettes sauvages dans la pelouse. Gänseblümchen. Les petite fleurs des oies. C’est pas charmant ? Je les chouchoute à coups de petites caresses et arrosage quotidien. Et de réorientation des grattages canins intempestifs.

Comment, sans pouvoir la renvoyer à l’école, restaurer la santé d’une demoiselle qui souffre sans le savoir d’être coincée entre ses parents et sa sœur bouillonnante (elle aussi en souffrance d’isolement), et de ne pas savoir quand elle pourra voir son frère coincé dans le no man’s land des voyages internationaux mais intra européens en temps de partiels masqués ? De ne pas pouvoir exercer son métier de petite fille : aller à l’école à vélo, jouer dans l’herbe avec ses copines, courir à fond avec la chienne (toujours attachée à deux laisses), manger en cachette des bonbons dans le placard (mais pourquoi est-ce que je garde les stocks inutilisés aux anniversaires d’hiver ?), laisser trainer ses habits sales sur la moquette ( ça, ça marche toujours), refuser de lire avec maman, négocier de regarder quelque chose le vendredi soir, poser trois dizaines de questions en moins d’une minute et n’écouter aucune réponse. Concocter des gâteaux imaginaires délicieux.

Mes filles sont comme leur mère : hypersensibles. Les griffes de la vie les égratignent plus vite et plus profond. Leur mal-être aigü alerte sur un malaise général. Les Anglais ont une expression douce-amère : canaris in the mine. Les canaris-alarmes des mines : quand ils meurent dans leur cage, il est temps pour les mineurs de sortir, l’oxygène est tari. Avis aux plans-plans de vaccination… y’a urgence pour les gosses. Vraie.

Ne dirait-on pas les méchantes pensées chantantes d’Alice au pays des merveilles ?

Vous serez ravis de l’apprendre, ça vous fera une belle jambe pour les shorts du printemps : ça y est je connais le nom des fleurs en allemand. Enfin, celles à qui j’ai été présentée et que je fréquente. J’ai pas fait exprès. A force de fouiller dans les pépinières et d’en réclamer au fleuriste, ma mémoire a cédé.

C’est intéressant je trouve de comparer les noms des plantes dans différentes langues. Ça montre des approches différentes en botanique.
Souci, Ringblume, parce que la graine rappelle l’anneau (ring). Wolfsmilch, l’euphorbe (lait de loup, cassez une tige vous verrez), aux couleurs et aux formes envoutantes, que je n’ose pas planter dans mon jardin en raison de sa toxicité. Le giroflée en anglais se dit Wallflower – fleur des murs. En allemand j’ai déjà oublié, je vais chercher. Mes semis de graines ardéchoises poussent bien dehors. Par contre, ceux de zinnias et de soucis commencent à s’étioler à l’intérieur. J’ai hâte de les planter au jardin, après les saints de glace, la lune rousse et avoir déblayé un coin de terre.

Dans deux semaines, ma grande fille jouera en concert dans une église. Elle travaille à la flûte une Humoresque de Dvorak, je l’accompagne au piano. Nous avons présenté jeudi notre travail sur Skype à sa prof. Les élèves joueront les uns pour les autres, sans autres spectateurs. Ce sera filmé. Le petit défi du moment : sortir bien habillée, en ayant dans les doigts le morceau, jouer sans répétition sur un instrument inconnu. Dans une église la sonorité est très différente d’une pièce aux volumes classiques, même grande. Un piano à queue (Flügel : aile, c’est joli non ?) aussi a un son spécial. Ouvert, les spectateurs entendent mieux la musique que le pianiste. En toutes circonstances, j’ai la trouille de jouer en public. Les regards me tétanisent. Depuis quelques années je me force, et je me débrouille pas mal, tendue et bouillante comme un arc en fusion. Je me planquerai derrière la flûte. Ne le dites pas à ma fille.

A la rubrique actualités familiales, je me suis enfin inscrite au registre des Français hors de France. Tout se fait en ligne. Bien sûr il y a eu un petit aller-retour administratif pour cause de justificatif qui ne cochait pas toutes les cases. J’ai attendu longtemps, d’abord par manque de motivation puis pour absence de photo d’identité. Pas de photomaton à Mainz. Chez le photographe le cliché coûte les yeux de la tête qu’il a immortalisée. Récemment, j’ai découvert que l’on pouvait se faire tirer le portrait chez DM, la droguerie / parapharmacie / épicerie bio sèche (graal des petites jeunes filles en vadrouille et de leurs mamans confinées) entre le rayon pâtes et les mouchoirs en papier. On ôte le masque un quart de seconde. Voilà c’est fait. J’ai une carte virtuelle qui me dit que son titulaire est placé sous la protection du consulat de France. Dans un sens bizarre c’est rassurant. Je pourrai voter aux présidentielles au consulat de Francfort. Mon fils m’a dit “Ah c’est vous qu’on attendra le soir des élections à 20 heures !” Oui. Enfin. Surtout les Français de plus loin. En matière de décalage horaire, même dans ces temps perturbés, de part et d’autre du Rhin nous jouons à l’unisson.

Changements minuscules.

L’Angleterre déconfine, la France va retrouver sa liberté de mouvement. Ici, le tunnel est toujours bouché. Nous n’avons pas de limitation aux 10 kilomètres. Comme nous n’avons nulle part où coucher ailleurs que chez nous, et que les paysages certes jolis restent monotones même à bonne distance de Mainz, nous renonçons à dépasser la demi-heure de voiture. Le frein on se le met tout seul. J’ai annulé un projet de rendez-vous amical à trois par respect de ce que j’ai compris des nouvelles règles d’urgence. Je me germanise dangereusement. Pourvu que je n’en vienne pas à reprendre des inconnus sur leur comportement.

Ma grande fille hier a été confrontée à une remarque abrupte d’un propriétaire de chien selon elle aberrante (Gaïa n’aurait pas le droit d’aller renifler les fesses de son chien couché). Elle est rentrée chamboulée. C’est la première fois qu’elle vit en direct la propension de certains à éduquer leur prochain à leur corps défendant (et ce même quand ils sont eux-mêmes dans leur tort). Elle me le raconte, en terminant avec un « mais enfin, de quoi il se mêle ? » (avec un vocabulaire plus fleuri, où il est à nouveau question de postérieur, inspiré directement de celui de sa mère puisque c’est le seul français qu’elle entend au quotidien).

-Quand c’est comme ça ma fille, inutile de chercher à discuter. Tu fais un sourire et tu t’en vas vite.

-Ouais mais j’avais mon masque.

-Peu importe. En y réfléchissant mieux, les gens agressifs ne méritent pas ton sourire. Pars en disant quelques mots en français. Tu l’entendras râler sur les Franzosen. Et tu sauveras ton humeur.

Ça c’est notre technique de frein d’urgence pour glisser entre les mailles du filet de la Hobby Polizei (la police des loisirs, comme dit une amie) et se placer sous la protection virtuelle d’une prétendue maladresse franchouillarde.

Je vais devoir vous laisser. Une poignée de sable m’attend. Au risque d’en prendre plein les yeux, je vais la lancer en l’air pour connaître le sens du vent.

Je vous le souhaite favorable.

Le Rhin par ici, c’est l’évasion. Les campings s’installent pour l’été. Ce sont des résidences secondaires temporaires (la zone est inondée l’hiver). La photo est un peu sombre, je n’ai pas osé trainer. Notez les transats bien placés.

Là où coulent les idées

Du rêve, de l’écriture, des tests rapides pour le corona à l’école, de la pression de la mère parfaite. Pot (pas trop) pourri (j’espère).

J’ai rêvé de vous.

Je me tenais dans une eau en pente, un bout de rivière sans rives, penché. Au-dessus de moi une branche de pommier. Je la regarde en me demandant : que vais-je pouvoir écrire cette semaine ? Je n’ai rien posté pour mes amis de plume ces derniers jours. Quel sujet aborder quand on tourne en carré entre ses murs ? Je ne vais quand même pas rabâcher que ben ma fois, on frôle l’ennui hein. Même ça on s’en lasse. A le lire. A l’écrire.

Puis un petit oiseau bleu arrive par le haut, une fleur blanche au bec. Un petit oiseau de dessin animé, joyeux. Il la pose sur la branche et s’envole. Quelques secondes plus tard le revoilà, avec une petite pomme rouge. Il la place sur une brindille. Oh, je dis, il a rapporté la pomme qui avait disparue ! Mon moi-en-rêve se frappe le front : « C’est ça qu’il faut que j’écrive ! »

Au réveil j’ai attrapé la scène avant qu’elle ne s’envole et l’ai posée sur le premier papier trouvé (un mini bloc turquoise Clairefontaine à spirale et petits carreaux, je n’avais pas pu résister à son nom, Pupitre) : « Blog – rêve- je ne sais pas quoi écrire – petit oiseau qui rapporte 1 pomme, 1 rose. Ecrire, pr penser, pr penser quoi écrire. »

Je passe plusieurs heures par jour à écrire. Quand je m’assois le texte coule tout seul. C’est loin du bureau que les idées jaillissent. N’importe quand. Tout le temps. Elles germent dans le ferment des écrits de la veille. Les meilleures idées, les plus lisses et claires m’inondent au réveil, dans cette petite fenêtre où la conscience prend contact avec elle-même. Là coulent les idées. Les yeux toujours fermés. Avant d’entendre le moindre son, de sentir la moindre odeur. Avant toute distraction du monde réel. Il faut les attraper d’un coup de filet à papillon pour les épingler avec des mots rapides sur un bout de papier.

Plus tard je les écris. Les mots tissent en phrases l’ombre du papillon avant de le laisser repartir. Je découvre ce que je pense. Quand je sais ce que je pense, je peux écrire. A nouveau, avec d’autres mots ou bien les mêmes. Vous me suivez ? Le brouillon me sert de sujet.

Ce matin j’ai repris ce rêve de mémoire. Il avait bien voulu rester en moi. Et quand j’ai repris mes notes, copiées intégralement ci-dessus, j’ai remarqué la différence : une rose, une fleur blanche. Ma mémoire avait associé la fleur et l’arbre et en avait fait une fleur de pommier. Peut-être parce que ces fleurs-là je les guette dans la nature. Les vergers de pommiers commencent à éclore. Dans leur version nue et grise de l’hiver, ils évoquent les vignobles de Champagne. Tout le monde au garde à vous. Rentabilité maximale. Les arbres sont plantés très près, taillés courts et vers le bas. Ce ne sont plus des espaliers mais des échelles étroites et trapues.

Ecrire sur un oiseau et une fleur, ça me permet de ne pas parler de l’actualité.

Du fanatisme avec lequel les Allemands se jettent sur les tests rapides sur le corona. Le ministère de la Santé fait de la pub. Bien sûr, il est toujours précisé que les erreurs de résultats sont de proportion très élevée. N’empêche. Maintenant on les trouve dans les supermarchés. 5 ou 6 euros pour ne pas se rassurer. Si le même enthousiasme était mis sur les vaccins (13% au 11 avril en Rheinland-Pfalz, la tranche des 60 ans commence à peine)…

J’ai demandé à des amis français pharmaciens si c’était la ruée sur ces tests en France aussi. La réponse a été lapidaire : non, nous on sait que ça ne marche pas. Ici, certains ne parlent que de ça. Tout le temps. De leur dernier test, de celui à venir. Le prélèvement comme activité quasi-quotidienne entre douche et brossage de dents. Avec à la clef, le petit pic d’adrénaline. Netflix n’a qu’à bien se tenir.

Les filles ont repris l’école mercredi dernier, jour de rentrée des vacances de Pâques, en demi-groupe. Il est prévu une semaine sur place avec le prof, l’autre à la maison avec des devoirs (sans video). Les élèves feront deux tests auto-administrés de corona par semaine en classe. On a reçu des mails, des alertes d’appli, des courriers du collège, des formulaires du Land.  « Ah super, a dit ma plus jeune, on va quitter les masques en classe ?! C’est malin. » Oui et si ton test est positif, on te posera dans une autre salle jusqu’à ce que tes parents piteux viennent te chercher.

C’est facultatif. Freiwillig. J’ai commencé par m’énerver. Non mais ils nous emm… avec ces tests qui ne servent qu’à brasser l’incertitude. Ces gosses, ils feraient mieux de profiter d’être en classe pour s’amuser avec leurs copains, pardon, apprendre. Pauvres profs ce qu’on leur demande encore…  Donc, non mes filles ne feront pas ces tests. Mon mari, plus posé, n’était pas chaud non plus. Puis finalement, pour des raisons différentes on a cédé. Moi à la pression supposée du groupe. Faisons comme tout le monde : c’est fatigant de tenir une position différente. Lui, scientifique, après lectures de données officielles qui précisent que plus la maladie est répandue, plus les tests sont justes (forcément : les coïncidences viennent au secours des statistiques). Bon si ça peut éviter quelques malades.

On a rempli le formulaire (avec ton numéro de téléphone hein, un numéro français, ça va dépasser des cases). Les filles l’ont rendu à leur prof principal. Les tests n’étaient pas encore livrés. Peut-être le deuxième groupe pourra-t-il le faire cette semaine ? Peu de chance pour les nôtres de revoir le collège de sitôt. Avant-hier mon amie de Cologne m’a écrit : lundi l’école à la maison recommence en Nordrhein-Westfalen. Une autre de Baden-Württemberg aussi. Trois petits jours et puis s’en va… Help !

Plus tard dans la journée alors que je farfouillais dans mon téléphone, le titre d’un article du Monde m’a interpelée : l’Académie de médecine alerte sur les tests dans le nez. Les prélèvements ne sont pas sans risques et doivent être administrés par des professionnels. Une prof de ma fille avait fait une blague : si le bout de votre bâtonnet est vert c’est que vous êtes allés trop loin, dans le cerveau. Quand je pense qu’on répète à nos enfants depuis leur naissance de ne rien se mettre dans le nez (ma plus jeune n’a toujours pas compris).

Intéressant d’être à la croisée de trois pays…. On pourrait croire que la médecine, discipline scientifique, de pays voisins, riches, et aux échanges libres (enfin, jusqu’à il y a peu) soit uniforme. Bien sûr la gestion de la pandémie relève aussi (trop ?) de la politique. Il n’empêche… L’interprétation de données d’études médicales semble relever autant de la culture locale que de la science. Vérité en deçà du Rhin, erreur au-delà…

Celle des règles diffère dans tous les domaines. Les photos envoyées par certains membres de ma famille française (suivez mon regard) sur leurs vacances, pardon, confinement, le confirment. “Mais si, je suis bien à 10km, enfin presque, disons, pas trop loin de chez moi. Là. Et là. Et ici. Non mais ça va je suis chez des gens vaccinés.”

Mouais.

Un autre article arrivé via une newsletter dans ma boite aux lettres m’a interpelée : le burn out de la mère expatriée. Ah enfin ! Depuis le temps que je suis abonnée à ce site sur la vie à l’étranger, c’est la première fois que je vois abordées ces difficultés spécifiques (et il a fallu attendre une pandémie qui met à plat tout le monde partout). C’était d’ailleurs la raison d’être de mon blog : partager les étonnements, les micmacs culturels et les difficultés. Casser les clichés. L’expatriation n’est pas que cocktails sur une plage paradisiaque (pas de risque en Allemagne je sais – bon en même temps la vie d’expat en Thaïlande je ne connais pas). La mère que je suis a beaucoup craqué au début entre paperasses administratives interminables en allemand et découverte du système scolaire, accompagnement pédagogique d’enfants qui ne parlent pas un mot de la langue d’enseignement. Je recraque à nouveau régulièrement sous la pression covidesque (et l’apparition simultanée de l’adolescence entre nos murs). Mais à la lecture de cet article je me suis félicitée. Ah y’a un truc auquel j’échappe : la pression de la mère parfaite.

Ce syndrome me touchait à Lyon mais pas ici. Il semblerait que les mamans expatriées le vivent et le fasse vivre à leurs consœurs de façon XXL. Ce sont souvent des mamans très diplômées, qui lorsqu’elles suivent leur mari à l’étranger (oui c’est encore souvent dans ce sens que ça se passe), privées de leur engagement professionnel, s’investissent encore plus sur leurs enfants. Elles se croisent à la faveur d’une école internationale ou d’un lycée français : la comparaison joue à fond, avec des repères nationaux. Prière de multiplier les activités des chérubins avec le sourire et tutti quanti…

Ici de ce côté-là c’est cool pour moi. Je n’ai croisé des mamans expatriées qu’une fois en trois ans, via le travail de mon mari, parce qu’elles avaient eu la gentillesse de m’associer à leur visite guidée de Francfort. Notre famille est plutôt immigrée : plongée tête la première dans la germanitude. Dans notre école de quartier, les parents que je croise (enfin, croisais) sont allemands. Or les Allemands redoutent de mettre trop de pression à leurs enfants.

Combien de fois ai-je entendu : « Oh là là, ça leur fait de grosses journées, jusqu’à 16 heures ! » (sachant que chaque jour, une heure d’étude encadrée par un professeur permet d’avancer les devoirs et qu’une ou deux après-midis par semaine sont consacrées aux AG, clubs d’activités, en France extra-scolaires et payantes, de grande qualité).

Les parents ne sont allés à l’école, eux, que jusqu’à 13 ou 14 heures. Une réforme a introduit les GTS (Ganztagsschulen : école à la journée complète, oui elles ont leur sigle) en raccourcissant la durée de scolarité d’un an (Abitur, bac, à 18 ans plutôt que 19). Notre Land, Rheinland-Pfalz a été le premier à créer des GTS dans son programme pédagogique en 2001. Aujourd’hui encore de nombreux collèges ont gardé la scolarité les matins seulement. On les appelle les G9 (Gymnasium -collège + lycée- en 9 ans, les autres sont les G8 : Gymnasium en 8 ans, comme en France).

Alors 16 heures…. Quand on sait que les repas du soir se prennent entre 17 et 18 heures… 16 heures, c’est le crépuscule. (Je me suis très bien adaptée à cela : je tire ma famille vers des diners de plus en plus tôt pour me libérer de mes obligations familiales et aller me planquer dans ma chambre. J’ai de plus en plus envie de grouper le diner avec le déjeuner).

Côté pression éducative entre parents ça reste soft (pour quelqu’un d’étranger en tous cas). Les petits Allemands ont des activités de musique et de sport, mais d’une part ils sont autonomes très tôt pour leurs déplacements (vélo, tram) et d’autre part ils ont du temps pour le faire.

Quand j’entends « Ah là là 16 heures ! » Je réponds, ben pour nous c’est cool. A Lyon elles allaient à l’école internationale et se tapaient une heure de trajet en métro le matin, puis le soir dans les bouchons avec le bus scolaire. Elles arrivaient à 18 heures au mieux à la maison, survoltées et épuisées (mais au fait des dernières musiques à la mode écoutées par le chauffeur du bus). Je leur faisais le décompte des gestes minutés dans l’ascenseur. Devoirs, douche, repas, éventuellement cours de flute ou de piano, travail de l’instrument. Le mercredi on courait à droite et à gauche dans le bruit et la cohue pour la danse ou la piscine. Je ne vous fais pas un dessin, vous connaissez. Leur mère tâchait de ne pas péter les plombs. Parfois même elle y arrivait.

Pour mes interlocuteurs ici, ça doit friser la maltraitance. Ils sont fous ces Gaulois.

Ici, j’ai tout lâché de ce côté-là. Le défi pour mes filles d’apprendre une langue, une nouvelle scolarité, et de se faire des amis était plus que suffisant. Ma jauge énergétique clignotait déjà dangereusement dans le rouge cramoisi. On n’allait pas en rajouter.

(Euh, en fait si, je me suis rajouté un défi impossible qui nous a gâché un temps la vie à ma benjamine et moi : tenter à coup de leçons décousues de conjugaison et de grammaire d’éviter qu’elle oublie son français. Quand on arrive à l’étranger en fin de CE1, l’orthographe est loin d’être acquis. Elle a consolidé sa lecture (ouf) mais pour l’écrit, j’ai lâché, de guerre lasse. On compte sur les cours de français du collège. Il fallait déjà qu’elle apprenne au plus vite à lire et à écrire dans une autre langue. Sans oublier non plus son anglais. Et que je retrouve une vie presque équilibrée.)

Vous voyez, ça fume un peu. Et c’était sans compter avec une pandémie.

Mainzer Sand

Histoire de prendre l’air, hier nous nous sommes promenées elle et moi avec la chienne Gaïa sur le Mainzer Sand (cette steppe de sable). On a vu un petit lapin, et évité de bouffer une joggeuse et un grand type habillé de sombre. Ma fille a des réflexes pour retenir l’élan de Gaïa. Je reste spectatrice, inquiète qu’il se passe un truc et que je doive intervenir. Elle me racontait sa joie de retrouver ses copines en classe. « On a fait du bruit en étude, le prof nous a grondées. Mais on avait trop envie de rire. » Elle met des mots d’allemand et d’anglais de partout. Moi aussi par flemme de traduire par une périphrase ce qu’une autre langue transmet avec un seul mot. Parfois, je lui donne la version française. Pas toujours, c’est fastidieux. Tant pis.

Les 26 lettres de l’alphabet ont des usages et des prononciations bien différentes de part et d’autre des frontières. Pourquoi en serait-il autrement des tests du corona ?

Tiny talk

L’école reprend en pointillés, mais le lockdown est prolongé jusqu’à la fin du mois.

On nous a repeint en couleur les barreaux de nos oubliettes.

Aujourd’hui 8 mars l’école reprend, à mi-temps, en alternance, pour une de nos filles. Pour la plus grande ce sera la semaine prochaine. La cantine reste fermée.

Les têtes pensantes élues ( ? ) souhaitent que tous les enfants retrouvent le chemin de l’école avant les vacances de Pâques fin mars. Après trois mois derrière un écran, laisser passer dix jours de congés, c’est courir le risque de devoir sortir le coupe-coupe. A moins que la reprise ne soit précipitée par les élections régionales du 14 mars ?

Il était temps.

Trois mois d’école à la maison (dont des vacances de Noël à domicile), avec l’impossibilité de se déplacer (hôtels et gites fermés, interdiction de voir plus d’une personne hors foyer à la fois) ça fait vraiment très long. Surtout quand ça s’ajoute à un an des contraintes que vous connaissez.

Cette année nous n’avons pas eu de vacances de février. Les dates de vacances changent chaque année, avec un roulement entre Länder. Le nombre de jours de congés annuels reste le même. Donc entre Noël et de Pâques nous aurons vécu trois mois sans pause, dans un quotidien qui bégaie, où l’on sort peu de sa chambre. Ça fait disque (d’antan) rayé. Supplice de la goutte d’eau. Un jour de Zoom après l’autre. Ploc, ploc, ploc….

Mais la vraie décision prise la semaine dernière est de prolonger le lockdown jusqu’à la fin du mois. Les coups de pinceaux électoraux pour nous faire patienter portent sur la possibilité de se retrouver à deux foyers, l’ouverture sous conditions des coiffeurs, libraires et magasins de bricolage. Les restaurants, gites, et hôtels demeurent clos, l’ailleurs reste un mirage flottant sur une route sans issue. Les milieux autorisés continuent d’interdire.

Nous n’avons pas de couvre-feu. Ni de limitation au kilomètre. Mais quand tout est interdit, le repli s’opère par défaut. Et là c’est vraiment long….

Le collège nous a transmis d’autres décisions du ministère régional de l’éducation (Ministerium für Bildung Rheinland-Pfalz) : les évaluations du deuxième semestre seront adaptées. Les élèves ne feront qu’un seul Klassenarbeit (devoir surveillé), au lieu de deux. Il sera organisé quelques temps après la reprise. Son poids dans le barème sera diminué par rapport aux notes de participation orale (toujours très importantes), et des interrogations écrites ‘’light’’.

Que le ministère régional de l’éducation mette à ce point son nez dans le planning des profs est une surprise. J’avais déjà découvert que chaque Land définit son propre programme scolaire, ses examens, édite ses manuels. Selon son lieu de passage l’Abitur (baccalauréat) n’est pas perçu de la même façon. Il parait que le niveau scolaire de Hessen (en face du Rheinland-Pfalz, sur l’autre rive du Rhin) est plus faible qu’ici.

Donc aujourd’hui quelques heures d’école. Un tout petit changement auquel accrocher notre fil d’espoir.

Tant mieux parce que côté vaccinations ça traine les pieds. Nous ne connaissons que quatre personnes vaccinées ou sur le point de l’être : deux mamies de plus de 80 ans et deux personnels prioritaires. (Un comble, non, dans la ville de découverte du premier vaccin ? c’est le syndrome du cordonnier). Il parait qu’à compter d’avril, les médecins pourront vacciner dans leur cabinet. Avec quoi ? Vu depuis notre tout petit bout de lorgnette, la France avance plus vite, mais l’UE reste loin derrière le Royaume Uni. Nos connaissances prioritaires y sont vaccinées depuis plus d’un mois. Un effet secondaire positif du Brexit ?

Le seul ? La semaine dernière je suis allée poster un paquet à ma belle-sœur pour son anniversaire. Je lui en avais envoyé un pour Noël. Pour gagner du temps, mon formulaire d’expédition était prêt. J’en ai une pile à la maison. La jeune femme l’a refusé et m’a remis une étiquette différente à remplir : le Royaume Uni est ‘’passé à l’international’’. Les îles britanniques ont levé l’ancre. Il faut maintenant s’acquitter des formalités de douane et déclarer la marchandise et sa valeur (Marzipan en anglais ? c’est pareil – pâte d’amande). L’expédition coute deux fois plus cher. Je suis repartie avec quelques formulaires vierges pour la prochaine fois. Le gain de temps sera encore plus considérable.

La poste, une sortie prisée juste derrière le marché, pour faire le plein de miettes d’échanges humains.

Ça craque un peu aux coutures. Surtout pour mon ado et moi. Alors on lâche. Dans un moment de fou rire nerveux, pour contrer les larmes toutes prêtes et les hurlements d’impuissance, ma grande fille et moi, calées sur le canapé, avons joué avec Instagram.

Je ne suis pas à l’aise avec les réseaux sociaux, comme je ne suis pas à l’aise avec les codes des rencontres sociales formelles. Pour moi le small talk c’est parler pour ne rien dire, et ça ne m’intéresse pas. Quand c’est la seule possibilité d’échanger, je me replie sur mon silence, et j’essaie de foutre le camp dès que possible, ou si, par chance, je croise quelqu’un avec qui ça colle, j’échange vraiment. J’aime les discussions profondes, intimes, les vraies questions, et les réponses authentiques. Je me connecte aux autres complètement ou pas du tout.

Même dans les situations formelles où la superficialité est de mise, les corps crient ce que les bouches taisent. L’ombre de cernes violets un peu appuyée, une main qui cherche à cacher qu’elle tremble, une mèche rebelle, une odeur qui trahit … tous ces signes bavards me sautent à la gorge, même et surtout ceux que leurs auteurs veulent dissimuler. Ça fait beaucoup trop d’informations, donc même cachée derrière un verre plein, je préfère m’éclipser au plus vite. Mais au moins, sous le verni social transparait la vérité. J’ai pu glisser un œil derrière les masques du bal.

Dans un réseau social, les masques sont bien accrochés. ”L’authenticité” travaillée. Rien n’est vrai. L’hypocrisie a noyé les apparences qui n’ont jamais été aussi trompeuses.

Le Grosse Sand (les grands sables)

J’ai eu une longue discussion avec mon fils étudiant en philosophie à ce sujet. Nous marchions sur le Grosse Sand, cette steppe protégée, avec des plantes de l’ère glaciaire et une zone d’entrainement de l’armée américaine ( ! ). La neige brillait au soleil dans un air coupant. C’était superbe. A chaque pas je me félicitais de pouvoir me souvenir, lors de ma prochaine balade, de cette échappée jolie avec mon fiston.

Je lui expliquais ma tentative de donner une vie à mon blog sur Instagram. J’essaie de rester en phase avec mon époque, même si elle court plus vite que moi. Mais dans le cadre que je me suis fixé : ne pas me dévoyer.

Il m’expliquait Instagram avec des mots savants. Il connait très bien pour avoir regardé des gens l’utiliser à côté de lui (peut-être les trajets en train entre Lyon et Mayence lui permettent-ils d’étudier des cas concrets de psycho-sociologie).  Je suppose qu’ils ont aussi analysé les réseaux sociaux en cours.

Je partageais ma déception et mon ennui. Je n’ai rien à vendre, je souhaite juste partager. Or trop souvent s’invite sur mon écran du bavardage pour ne rien dire, du small talk, hypocrite et vendeur. Oui m’a-t-il expliqué. Instagram ce n’est pas un réseau social, c’est un média. Un média bien particulier, qui ne parle que de ce qu’on veut entendre : une chambre d’écho.

Encore plus que dans la vie en 3D, le discours superficiel se cache derrière une apparence léchée et des mots convenus. Ce n’est même plus du small talk c’est du tiny talk. Pour comprendre ce qui se trame, il faut lire entre les lignes, en creux, dans ce qui est tu. Bien sûr, c’est très difficile et la motivation manque. Je veux bien faire l’exercice avec une amie pas vue depuis longtemps, mais avec des étrangers ? Je m’en contrefous. Le tiny talk très peu pour moi.

Combien de temps vais-je garder le compte de Mainzalors ? Les statistiques me montrent que le transfert vers mon blog sont inexistantes. Et pour cause…. J’écris et les clients de réseaux sociaux survolent des photos.

Avec ma fille donc on a joué avec cela. J’ai créé un post avec une photo de crottin de cheval en gros plan. J’étais ravie de cette acquisition pour mes rosiers : je l’avais récupéré le jour même dans une écurie. C’était mon bonheur de la semaine (eh oui). Donc j’ai écrit un texte avec en synthèse ce que je vous ai mis au début de l’article : les raisons de notre ras-le bol, qui sont aussi des informations sur la gestion allemande de la pandémie, sur l’état d’esprit des troupes. J’en ai conclu que nous n’avions ‘’qu’un mot à dire ou plutôt deux : caca boudin !’’ (avec un clin d’œil appuyé pour la petite demoiselle d’une amie). J’ai conclu avec des hashtags à moitié sérieux : #lockdownblues, #cacaboudin ….

Je m’attendais à avoir des commentaires sur l’humour du message ou le désespoir qui criait entre les mots. Et encore, pour éviter les jeux de mots super foireux (comme quoi malgré toute ma volonté d’authenticité à tout crin (hi hi) je tombe dans le piège des apparences) je m’étais retenu d’écrire : vous voyez la photo ? c’est comme ça que je me sens. Et je ne parle pas d’odeur, non.

Une Française qui vit en Allemagne m’a laissé en commentaire qu’elle aussi en avait assez des interdictions. Une amie un encouragement. C’est à peu près tout.

C’est sûr la photo est pourrie, j’ai cliqué vite fait en me marrant avec ma fille. Allez viens on va mettre un coup de pied dans le jeu de quilles.

En fait de coup de pied, c’était juste un battement d’ailes de papillon. Aucune quille n’est tombée. Personne n’a voulu arrêter de jouer et de faire semblant.

Une photo sans choc, ni poids des mots.

Pour l’instant je vais tâcher de ne pas mettre de masque. Je partirai plutôt.

Mais où ?

Des tests et des bulletins

Premier test allemand du Corona pour notre famille et distribution des bulletins au collège rouvert juste pour l’occasion.

(Me revoilà avec un article écrit il y a quelque jours, avant que mon ordi ne soit réquisitionné pour cause de home schooling).

Ce matin je me suis fait toute belle. J’ai mis une robe. C’est rare cet hiver. D’abord parce qu’une seule me va encore… et parce que pour faire la queue masquée et à bonne distance dans la pluie glaciale au marché, il vaut mieux un bon jean épais et des chaussures de rando à l’épreuve de la boue.

Mais là je sors. J’ai un rencart. Enfin, pour ma fille. Elle est patraque depuis plusieurs jours. Et même si l’abonnement tout neuf à Disney + lui égaie ses journées, nous avons quand même envie de savoir de quoi il retourne.

Quand j’ai appelé le cabinet du pédiatre, je suis arrivée avec la solution clef en main. Voilà les symptômes (rien de spectaculaire), ça me fait penser à telle maladie. Je n’ai pas dû convaincre la secrétaire/ infirmière au bout du fil. Elle ne savait pas quoi faire de moi. D’habitude, avec des symptômes plus marqués, elle me donne un rendez-vous dans la demi-journée. Indécise elle a interrogé le médecin et m’a répondu avec la question pour tous les champions et les autres :

-Elle en est où des contacts ?

– Elle est toujours à la maison.

-Mais elle a vu du monde ?

J’interpelle ma fille sur son canapé.

-Oui j’ai joué avec une copine la semaine dernière (à l’extérieur, la petite et toute sa famille vont bien, nous aussi merci, pourvu que ça dure).
J’ai senti à l’autre bout du fil la dame se détendre. Elle est rassurée, elle a un os à ronger, un argument pour m’envoyer paître avec mes questions et mes réponses.

-Ah si c’est comme ça il faut qu’elle fasse le test du corona.

– Vraiment ? elle n’a vu personne de malade.

Pour la petite histoire locale, lorsque j’ai consulté voilà quelques semaines, le médecin m’a demandé si j’avais eu un contact avec un malade du corona. Pas avec n’importe qui.

-Ah, oui. Il faut que vous appeliez le labo X dans la ville voisine. Ils vous donneront un numéro de passage. Ensuite vous me rappelez pour l’ordonnance.

La ville voisine ? Mainz compte plus de 200.000 habitants.

Je suis convaincue que ma fille n’a pas le corona. Je lui ai même glissé ma suspicion de diagnostic. Ça m’agace au plus haut point de ne pas être écoutée, et d’être reléguée dans les protocoles automatiques. Un étudiant en médecine avait un jour raconté à ma mère le conseil d’un professeur : « si une mère de trois enfants vous dit que son fils a la varicelle, c’est qu’il a la varicelle. » Elle me l’avait répété avec une petite lumière de fierté dans l’œil.

Bon, malgré ce que me soufflent mon intuition et mon orgueil, je ne suis pas médecin. J’accepte volontiers de me tromper. Mais moins de voir s’élever un mur arbitraire entre ma fille et une consultation.

Nous décidons d’attendre un peu, au cas où les choses se résolvent seules. De toute façon, ma piste de diagnostic de requiert rien d’autre que du repos. Après le week-end, l’intégrale de Toy Story, plusieurs Ratatouille et Finding Dory elle est toujours dans le même état raplapla de ‘pomme cuite” comme disait mon oncle.

J’ai donc suivi la procédure.

J’aurais bien voulu gruger, repasser mon premier appel en omettant sciemment de mentionner la rencontre avec la pauvre et innocente copine. Mais j’avais donné mon nom. Et je crains qu’avec mon accent français et mes insistances, elle ne m’ait repérée.

Donc, on a rendez-vous au labo. Comme je sors pour voir du monde, j’ai mis une robe.

Je suis soulagée d’enfin pouvoir m’occuper d’elle, même si je sais la prodécure inutile dans le fond.

Ma fille s’inquiète de ce qu’on va lui fourrer dans le nez. Sa sœur lui dit que ce sera bien moins gros que son doigt.

C’est normal qu’elle ait peur : elle ne sait pas ce qui va se passer. C’est un test mais elle n’a pas besoin de réviser. (ha, ha). Respire avec le ventre ma chérie, et regarde bien tout pour m’aider à me souvenir lorsque je l’écrirai dans un article.

Elle a raté quelques jours de cours à distance, et sa remise de bulletin vendredi matin. En présentiel.

C’est une grosse affaire ici les bulletins. Comme une mini cérémonie de remise de diplômes deux fois par an en janvier et en juin. Chaque élève est appelé tour à tour par le/la professeur. Il/ Elle lui remet son bulletin pendant que la classe applaudit (ma fille me dit avoir ‘’le trac de sa vie’’). Toutes les classes de tous les niveaux les reçoivent au cours de la même semaine en janvier.

C’est une étape tellement importante que le corona a été prié de se mettre en retrait.

Depuis la rentrée des vacances de Noël, les écoles sont fermées. Elles ne reprendront, peut-être, que début mars et dans des conditions à préciser. Les données d’infections coronesques restent dans le rouge. Pourtant le ministère régional de l’éducation a décidé que la remise des bulletins en direct était fondamentale. Les parents d’élèves s’en sont émus. Pourquoi ? La réponse du collège est arrivée par mail : décision politique, pour envoyer aux enfants et à leur famille un signe d’espoir et de normalité.

Les élections régionales ont lieu mi-mars. Du bulletin de notes au bulletin de vote. Si peu de lettres d’écart. N’y voyons aucun lien de cause à effet.

Ma grande est donc allée à l’école 45 minutes, recevoir son bulletin (et apercevoir ses copains derrière leurs masques pour la premiere fois depuis mi-décembre) dans la cantine. La petite n’a pas pu.

Retour de visite au labo. Nous avons testé le test corona.

Procédure, processus : ça roule. Ce matin à 8 heures j’ai appelé le labo, qui m’a attribué tout de suite un numéro et une heure de passage.

Nous avons pris la voiture pour la quinzaine de kilomètres entre les vergers noirs et mouillés de Rheinessen. Les nuages frôlent les maisons, il bruine. On devine le lit du Rhin au-delà des prés et de vénérables peupliers. Arrivés dans la zone d’activité aux toits plats, tout est très bien fléché. Par ici les tests. (Les vaccins ce sera de l’autre côté.) Immense parking. Quelques préfabriqués de chantier. Tout se passe dehors. Une dame en blouse verte nous accueille. Un guichet pour se voir attribuer une cartonnette, un autre pour le test. 6 ou 7 personnes disséminées sont en cours de prise en charge.  Ma fille gigote de trouille pour l’intégrité des tréfonds de son nez. Mais au guichet 2, une jeune femme à deux paires de gants, un masque, plus une visière, lui demande d’ouvrir la bouche. En quelques secondes c’est réglé. Elle lui tend une toupie (dans un emballage plastique).

Résultats dans 24 heures au plus.

Dans la voiture de retour, je comprends d’un coup le dispositif dans la ville voisine. C’est un gros labo, mais surtout il est dans une zone industrielle avec plein de place pour gérer des flux en extérieur. En Allemagne, les laboratoires ne sont pas accessibles au public. Les prélèvements sont faits chez le médecin, par les infirmières du cabinet. Les résultats passent aussi par leur intermédiaire.

Vous le sauriez déjà si j’avais osé publier un de mes tout premiers articles. Mais il n’a pas passé l’auto-censure : trop violent. La découverte du milieu médical a été un très gros choc pour moi. Maintenant je m’y suis fait. Je sais comment dire ordonnance quand il ne s’agit pas d’un médicament mais d’un examen complémentaire (Überweisung, au lieu de Rezept). Je sais que les dames qui travaillent au cabinet sont des infirmières et pas des secrétaires médicales. Elles font les prises de sang, les électrocardiogrammes (oui, ici ça se fait presque comme on prend la tension). Si on a de la chance on tombe sur une dame qui sourit.

Je ne vous laisse pas plus longtemps dans ce suspense insoutenable. Non ce n’était pas le corona.

On a fini par voir le médecin. Sans doute un virus ou une allergie.

De peur que ma fille ne se fasse laver le cerveau par les multinationales américaines, je lui demande de regarder des C’est pas sorcier. Un peu de culture, un peu de France… Comme thèmes, elle a choisi le chocolat et les bonbons. Qu’elle avait déjà vus.

Quelques jours plus tard (aujourd’hui), je reprends mon clavier. Entre temps, ma fille a repris pied, et mon ordinateur pour ses cours. Hier et aujourd’hui pour le carnaval (théorique et virtuel), c’est férié. Alors j’en profite pour vous retrouver.

En fait c’était rien de spécial cette fatigue. La mère de trois enfants s’était complètement plantée dans son diagnostic. Si au moins la prochaine fois, ça pouvait m’éviter de faire des projections catastrophiques. C’est pourtant pas sorcier d’en rester aux faits plutôt que de tresser des ‘’Et si’’ et des ‘’pourquoi’’.

Le bulletin de l’école est arrivé par la poste. On a rattrapé les cours en retard et même le frençais (sic). Notre étudiant est venu nous retrouver pour ses vacances (après son test Corona, une habitude maintenant pour lui).

A défaut de défilé du Rosenmontag, nous avons fêté Fastnacht (carnaval) avec des masques FFP2 et à coups de beignets. Une copine m’a indiqué une cabane de kermesse égarée dans un coin résidentiel qui en vend des tout chauds (aucun rapport avec les robes rétrécies).

Helau, helau, helau !

Attendre

Lockdown enhardi, école à la maison (encore !). Le rêve de voyages et d’actes subversifs est-il encore autorisé ?

Hou, hou y’a quelqu’un ? (sculpture temporaire sur le Staatstheater de Mainz)

C’est reparti pour un tour.

Ou plutôt ça continue dans un ruban de Möbius insupportable. Les chiffres du corona ne sont pas bons, malgré l’assiduité des Allemands à suivre les règles. C’est à n’y rien comprendre. Que les chiffres dérivent en France, on se dit, bon c’est un trait culturel de ne pas toujours se sentir concerné par les interdictions. Pour des sujets moins graves, cette souplesse tolérée est plutôt agréable. Mais ici… Personne sans masque, les distances sont respectées, tous les lieux de sortie sont fermés… Pourquoi ?

Le lockdown a haussé d’un ton. La mâchoire du monstre-virus se referme un peu plus autour de nos libertés. Dans les villes où les chiffres sont vraiment alarmants, pas le droit de s’éloigner de plus de 15 km de son domicile. Heureusement à Mainz ce n’est pas encore le cas. Oui je sais, ça reste 15 fois plus que les limitations en France.

Pour l’instant nous échappons au couvre-feu. Entre vous et moi, ça ne nous contraindrait pas beaucoup au quotidien, à part pour une sortie tardive de poubelles ou des courses de dernière minute au supermarché (oui tout est fermé le dimanche, mais le soir il reste ouvert jusqu’à 22 heures). Pourtant j’espère que ça restera le cas. La violence de l’interdiction dépasse la limitation d’action réelle.

C’est donc reparti pour un tour. On en reprend pour un mois de cours à la maison. Au moins. Youpi !

Physalis, l’amour en cage…

Heureusement c’est mieux organisé qu’en mars, les filles sont plus autonomes. Si chaque élève coupe sa caméra, le réseau évite la saturation. Les portes des chambres filtrent les conversations. Si la maison tremble, si on entend des coups de sifflet, c’est qu’il y en a une en cours de sport.

Ça leur fait de grosses journées collées sur un écran. Pour ma plus jeune, l’organisation annoncée dès mi-décembre était la suivante. Chaque cours (durée de 45 minutes) est divisé en trois parties : explications du prof, exercices hors ligne, puis corrections et questions en direct. Les cours de Lernzeit, (5 heures par semaine), études encadrées pour les devoirs, sont aussi poursuivis en ligne.

La rigueur et la concentration exigées seront-elles possibles ? Quel est le degré d’investissement des parents attendu ?

Ma plus jeune vient de m’appeler paniquée. Il lui reste quelques minutes pour faire l’exercice d’éthique. Je la sens toute stressée. ‘’Ça veut dire quoi rumeur ? ‘’ Ma présence la rassure. Comme la réponse de sa prof à son message inquiet : ‘’Je ne pourrai pas tout faire dans le temps imparti, est-ce grave ?’’. Nein a répondu sa prof. Finalement elle a tout fait, dans les temps, et juste. Et moi j’ai la réponse à la question ci-dessus sur le degré d’engagement des parents.

Je redoute de me faire happer par la pédagogie familiale. Je tâche de me fondre dans le décor et de faire comme si je n’étais pas là… Je pilote tout de même le rattrapage des cours où elle était absente la semaine dernière. Je souhaite garder mon cerveau et ma patience pour mon usage personnel, mais je cède mes outils.  La tablette, ne veut plus se connecter : mon ordinateur est réquisitionné. Mon téléphone aussi, tiens, elle en a besoin pour consulter ‘’l’environnement de travail partagé’’ pendant les videos. Me voilà déconnectée.

Mercredi, tout premier cours de guitare pour ma plus jeune et son Daddy. En ligne et sans guitare. Ben oui, on a besoin des conseils du prof avant d’investir. Ça promet.

La même quelques semaines plus tard

Surtout ne pas penser.

Ne pas se projeter.

Ça tombe bien, c’est ce que je fais le mieux (smiley avec clin d’œil grimaçant).

On sait faire, on a de l’expérience, on peut même la mettre sur son CV. Soft skills : capable de rester enfermée avec sa famille pendant une durée indéterminée sans les étrangler…. Avant de l’affirmer, j’attendrai la fin des hostilités, pour être vraiment sûre.

J’ai de la chance mes projets professionnels se passent ici même, à ce bureau. Pour la vie par contre, j’aimerais mieux que ça se passe aussi ailleurs. Alors pour accepter les prolongations de lockdown et garder le moral, on se dit, faisons des projets. Préparons nos prochains voyages.

Le voyage ? J’ai oublié. Les excursions dépaysantes datent de l’ère pré-enfants. Les vacances à l’étranger d’avant-ce-que-vous-savez. Les week-ends spontanés (ou pas d’ailleurs) en montagne ou à la mer, d’avant l’expatriation.

Alors je ressors mon Larousse. Enfin, façon de parler. J’ouvre la page web et je fouille au milieu des pubs.

Voyage, du latin viaticum, provisions de route. Ah on s’en approche : les provisions on a. La route, au-delà du marché, pas vraiment.

Action de se rendre dans un lieu relativement lointain ou étranger. Euh non, ça on a perdu l’habitude. Envolé ! Confisqué ! Ah moins que ‘’relativement’’ soit pris au pied de ses douze lettres.

Je propose un échange familial constructif pour garder le cap, disons, trouver un cap.

-Alors les enfants, vous voulez partir où ?

Une réponse fuse, instantanée.

-En Polynésie française !

Ma plus jeune a déjà fait ses plans.

-Ah bon ? pourquoi ?

-J’ai vu un reportage sur Arte junior avec la classe. Ça m’a fait trop envie.

-OK. Mais sinon, plus près ? (moins cher ?)

-Le Canada.

-Ah oui ? pourquoi pas. On irait voir les copains. Moi j’aimerais retourner en Italie et en Grèce. Mettre le cap vers le Sud pour changer un peu des contrées anglo et saxonnes.

Déplacement, allées et venues, en particulier pour transporter quelque chose.

Au moment où j’écris ces mots, j’entends ma meilleure moitié ranger les provisions qu’il vient d’acheter au supermarché. Oui les allées et venues pour transporter des choses : on est au taquet. On voyage un max.

Action de se rendre ou d’être transporté en un autre lieu ; trajet. Ah oui là aussi, côté changement de lieu ça marche (littéralement) autour du quartier, dans une spirale sans fin. Des boucles de pas boueux enchâssées comme des poupées russes. Et surtout, merci les bouquins et la téloche. L’imagination.

-OK, minette je pars avec toi en voyage. Viens, on va se regarder un documentaire. (BBC, Perfect Planet avec l’inénarrable David Attenborough).

Tiens, c’est un coup de bol qu’on ne soit pas partis en Angleterre. Avec le changement pour le pire qu’ils ont vécu, on serait tombés dans les limbes des « triers », des quarantaines politiques, des conséquences du Brexit… Le voyage vers une île peut-être un piège redoutable. Pas de fuite possible. Evasion doublement confisquée.

Exploration, découverte, description de quelque chose qu’on suit comme un parcours. Euh ça compte la glissade passive et manipulée dans les feeds d’Instagram pour voir si les autres sont plus coincés que moi ? Non. Je pencherais plutôt vers les phrases fabriquées ici, la découverte des mots qui sortent des doigts pour m’éclairer le cœur et peut-être le vôtre. L’observation curieuse des pâquerettes qui fleurissent en hiver, des graines qui germent dans mes pots. Tombées des fleurs cet automne, elles se hâtent de déplier leurs feuilles crispées. J’ai envie de leur dire. NON ! Trop tôt ! Restez chez vous ! (c’est contagieux cette manie) Vous allez griller.

Faute de voyager on envoie ses meilleurs vœux, des Lebkuchen (oui merci les paquets sont arrivés après de nombreuses semaines de transport). Désormais coincés à la maison, j’ai voulu faire une commande en ligne sur le site des pains d’épice que l’on m’a recommandé. Pour l’adresse d’expédition de mon panier virtuel tout se passait bien jusqu’au choix du pays. Le menu déroulant propose la liste de toutes les nations du monde, sauf la France. J’ai tenté French Guiana. Mais les frais et délais de livraison m’ont semblé conformes à une expédition outre-Atlantique. Ce n’était pas une erreur, en tous cas pas là. Frustrée de ne pouvoir mener à bien ma commande, mais pleine de bonne volonté pour signaler à ce fournisseur l’erreur de leur site web, je leur ai envoyé un message sur Instagram. ‘’J’ai voulu expédier une commande en France, mais je ne l’ai pas trouvée dans le menu déroulant’’. J’ai reçu la réponse une semaine plus tard : ‘’Alors c’est qu’on ne livre pas en France.’’

Vraiment ?

D’abord je me suis dit qu’ils se foutaient de moi. J’avais envie de demander à l’anonyme qui pilote le compte derrière un (pas très) smartphone s’il avait entendu parler de service clients. Voire même de remerciements car après tout je leur signale un bug. Heurtée par une réaction surprenante et raide, je me vexe toutefois moins qu’avant. Je sais que ça n’a rien de personnel. C’est un trait culturel de bonne foi.

M’enfin, tout de même.

Mon mari à qui je raconte cet épisode me répond : « Ah oui, les Allemands ont souvent des réactions comme cela au travail. »

Alors on se gratte la tête et on se demande : pourquoi ? Pour éviter de réfléchir ? Pour ne pas reconnaître la possibilité d’une erreur. Pour ne pas se remettre en question ?

On n’a pas trouvé la réponse bien sûr. Je demanderai à une amie.

Mais grâce à cette réponse lapidaire, je me suis lancée dans l’exploration de nouvelles possibilités pour offrir des douceurs allemandes. Un voyage virtuel vers des mains amies, blottie en pensée entre des boites de carton parfumées aux épices. Entre proches éloignés, nous organisons des retrouvailles par cartons interposés. Le fret est reparti en Angleterre on a reçu un colis géant : un deuxième Noël ! Thanks belle-sœur !

Et pour faire semblant de vivre ma vie, je vais, en bonne Française, poser un acte subversif. Hé, hé !

Dès qu’il ne gèlera plus j’irai déterrer un plan de pâquerettes sur les terrains collectifs. J’aimerais en planter dans notre carré d’herbes et les inviter à essaimer. Or il est impossible de les acheter ces demoiselles sauvages en collerette. On ne trouve en pépinière que leurs cousines pomponnées.

Alors j’ai fait mes repérages près d’une aire de jeux, et, avec mon couteau de cuisine, mon masque et mon sac en plastique, je vais tenter d’éviter la Hobby Polizei (‘’la police des hobbies’’ comme dit une amie , ces férus d’ordre aux dépens de la joie des autres).

Les pâquerettes et moi on a un rencard nocturne.

Tant qu’il n’y a pas de couvre-feu.