Energies gaspillées (non renouvelables)

Comment se préserver des agressions extérieures quand elles s’infiltrent tous les jours via nos écrans ? Pour les hypersensibles ça relève de la survie.

Ferme le robinet quand tu te brosses les dents ! Arrête le radiateur quand tu ouvres la fenêtre ! Eteins la lumière quand tu sors !

Préserver l’eau et l’électricité, économiser l’argent qui les paient. La leçon est connue. On reste vigilant. Pourtant une certaine énergie devient de plus en plus difficile à préserver : celle qui nous sert de bouclier contre la boue répandue dans les médias au sens large. Morts aux cons… Vaste programme (mon père). Et tant pis pour la solitude (mon prof de philo de prépa).

Certains ont un pouvoir de nuisance plus élevé que d’autres.

Mon fils m’a tracé une courbe sur un petit calepin : la montagne de l’imbécillité (sic – on a beau avoir fait hypokhâgne et khâgne, on a toujours besoin de mettre deux L aux imbéciles, peut-être pour qu’ils soient plus légers à supporter – et là je peux utiliser le ‘sic’ comme il faut, c’est lui qui m’a corrigée). En abscisse : la connaissance, en ordonnée : la confiance. La courbe dessine la bosse d’un dromadaire avant de remonter en pente douce, après la vallée de l’humilité. Le nom savant c’est l’effet Dunning-Kruger. Rappelez-vous Michel Audiard : ‘’Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnait’’.

Ne suivez pas mon regard. Les cons pullulent hélas. Trop près de nous parfois : on est toujours le con d’un autre. M’enfin…

Quand je vois l’énergie qu’il faut dépenser, et l’argent gaspillé tout ça parce qu’un jour un politicien ambitieux et peu scrupuleux des conséquences (pardon pour les pléonasmes) a proposé la baguette magique du Brexit pour résoudre tous les problèmes. L’énergie pour rétablir (un peu) les faits quand la personne à la tête du pays le plus puissant du monde passe son temps à mentir. Celle pour colmater les brèches dictatoriales dans la démocratie. Quel gaspillage de tous les efforts de construction des générations précédentes comme s’ils étaient acquis. Gaspillage de temps, d’argent, de notre patience. Quelle insulte au bon sens de leurs électeurs !

Mainz, dans une ruelle

J’essaie de me préserver au maximum des réseaux sociaux.

J’ai une image très négative de Twitter où je n’ai aucune envie de tremper les neurones. Facebook m’a rebutée quand j’ai créé une page pour mon atelier de peinture sur céramique voilà quelques années. Bilan, je ne suis présente que sur Instagram et encore du bout des doigts. Son côté créatif, esthétique et gai me plait… dans le respect des doses prescrites. L’uniformité lisse est insidieuse. La toxicité s’insinue dans les atteintes à la confiance en soi. Une goute par ci, une goutte par là. L’acide de la perfection des autres ronge la peau.

La vitrine des apparences sur écran est encore pire que dans la vraie vie. Là où on se comparait malgré soi à un ami, un collègue, un voisin, on peut se mesurer à la terre entière. Une terre sans aspérités et homogène, jeune et en bonne santé. Peuplée de petits chats et de jolies filles (peu habillées). Je cherche à apprendre : dans les dix trucs pour améliorer sa présence Instagram il est conseillé de poster des photos de son chien. Vraiment ?

(Non ça ne me suffira pas à céder aux supplications de mes filles).

Soucieuse de préserver mon cerveau hypersensible de conséquences démultipliées, je filtre énormément. Mais l’autre jour tentée par un site créatif, je me suis laissé happer par des photos dignes de magazine, des réalisations à mon goût… Ma raison a beau eu me chuchoter de me méfier des apparences, j’ai posé mon téléphone avec amertume.

Vilaine jalouse.

Ça n’est pas très agréable comme sensation vous imaginez. Ni de se regarder devenir comme cela.

Le Rhin à Budenheim, samedi

Je filtre mais même sur la page de l’actrice anglaise, Miranda Hart, mon gourou en authenticité j’ai été choquée. Pas par elle, non, car c’est la seule personne dont j’ai connaissance qui accepte de se montrer ”pour de vrai” le cheveu gras ou mal habillée. Elle le fait ostensiblement sur sa page pour contrebalancer les mensonges par omission de la planète. Elle partage des sensations qui semblent sincères. Même s’ils viennent pour son humour, ses fans restent pour sa vulnérabilité assumée. Elle les touche au cœur.

Donc là, sous un de ses posts, j’ai lu une de ses réponses (bienveillante, ouverte) à quelqu’un. Intriguée, j’ai lu le commentaire (pof glissade dans le piège insidieux des réseaux sociaux : toujours plus, et même vers des destinations que l’on souhaite éviter). Et là je suis choquée : une Américaine avait écrit dans une forme raisonnable des arguments qui l’étaient moins. En substance : J’en ai marre d’être considérée comme une méchante parce que je vote républicain.

Non.

A un autre moment de l’Histoire oui mais aujourd’hui, non.

Trop facile.

Quand un charlatan monstrueux a eu quatre ans pour montrer son pouvoir de nuisance, on ne peut pas se cacher derrière la couleur de son bulletin de vote. 70 millions de gens ont pourtant voté pour lui. Mon mari dans une démarche scientifique cherche à savoir pourquoi : il réfléchit. Mon analyse politique est plus expéditive. Ce sont des gens irresponsables qui ne réfléchissent pas plus loin que le bout de leur fusil pistolet (un fusil c’est encore trop long). Des gens qui osent tout. La proportion donne le vertige.

Le Rhin, en face, un autre samedi.

Là ma raison revient à la charge : tu veux t’améliorer sur Instagram ? Tu veux être likée par une majorité molle ? Celle que tu fuis au quotidien parce que tu ne t’y sens pas bien ? Tout ça pour le petit boost d’endorphine ? Et en refusant de tricher ? Ressaisis-toi. Miranda peut se le permettre grâce à sa côte d’amour gagnée par son talent d’humoriste. Toi si tu y vas franco tu vas juste faire peur.

Non mais tu comprends, je lui réponds (ça discute beaucoup dans ma tête, pffff), j’essaie juste d’apprendre les codes de mon époque. Pour ne pas être trop has been avec mes filles (mon fils, lui préfère les bouquins aux écrans qu’il ne fréquente pas). Rentrer dans une case ? Encore ? T’en as pas marre d’essayer ? Ça ne marche jamais et tu t’en sors avec des cicatrices.

OK, OK.

J’essaie de rester authentique dans mes écrits et mes publications. Tant pis si ça ne rentre pas dans les photos carrées d’Instagram. Ni dans les algorithmes de Google.

Mais le mal sournois s’insinue à mon insu. Chaque jour je reçois plusieurs commentaires à mes articles. Ecrits en anglais, ils semblent venir de sources aux graphies exotiques. Des mails qui parlent de toute la boue (plus ou moins légale) vendue ailleurs et pointent grâce à des liens vers ces sites. Tous les jours je consacre de longues minutes à trier et jeter. Je gaspille du temps et de l’énergie.

Je reçois aussi des inscriptions de gens inconnus aux noms aux consonances anglophones (curieux à la longue sur un site en français) et aux adresses mail sans jamais aucun rapport avec le nom. Au début j’étais contente de cette progression. Depuis juin, plus rien de louche. Ah, WordPress a dû faire une mise à jour. J’ai testé une adresse mail dans Google : Norton a clignoté comme un arbre de Noël : site dangereux.

Je me suis renseignée. J’ai appris (ce que vous savez déjà sûrement) que les commentaires malintentionnés étaient fréquents sur un blog et qu’il existait des filtres à activer (et à payer). Je l’ai fait. J’ai aussi supprimé tous ces faux abonnés. Un poids délétère s’est envolé de ma poitrine.

Gardons notre élan pour créer plutôt que pour se préserver des assauts malveillants du monde entier qui entrent sans frapper. Au moins avec les pubs dans la boite aux lettres ça reste bon enfant et local. On s’en tient aux pizzerias du quartier. Un petit carré de papier collant nous protège : Keine Werbung bitte, danke (pas de pub svp, merci).

Dans une vie grillagée de contraintes coronesques, c’est agréable de se sentir libre d’écrire tout cela. La pensée et la parole comme derniers espaces de liberté.

L’autre matin dans un élan de courage du début de semaine, et aussi pour m’occuper pendant que je grignotais mes tartines (pain archi-complet et pate d’amandes), j’ai voulu regarder les titres des journaux. J’ai tapé lemonde. Les merveilleux algorithmes de mon moteur de recherche m’ont proposé des tas de recettes de boissons au citron (lemonade). J’ai pu atterrir avec un sourire acidulé sur la une du Monde. Je n’ai lu qu’un article, dilution du sourire. Emmanuel Macron regrettait, dans son hommage à Samuel Paty, la timidité des condoléances de pays étrangers censés partager nos valeurs de liberté d’expression. J’avoue (comme dirait ma fille 500 fois par jour) que j’ai été surprise par les articles que j’ai lus dans la presse britannique sur le sujet. Timorés au point d’être ambigus. La séparation de l’Eglise et de l’Etat reste un concept exotique et progressiste même pour nos voisins démocratiques.

Novembre en ciel

Et pourtant…. A l’échelle de notre quartier, l’Allemagne, a rendu hommage à Samuel Paty.

Oui l’Allemagne, où il faut déclarer sa religion à la mairie lorsqu’on arrive (pour se voir attribuer les impôts associés). Au Gymnasium de nos filles, à la rentrée des vacances d’automne, un message du directeur au micro général a demandé à toutes les classes, du CM2 à la terminale de faire une minute de silence. 1100 minutes d’adolescents et 120 minutes de professeurs. Ça m’a beaucoup touchée. Les filles aussi bien sûr. Elles n’étaient pas au courant. D’habitude nous essayons de traduire les événements importants en langage édulcoré. Mais là nous n’avions pas encore pu. Déjà que notre benjamine ne veut pas rentrer en France par peur des attentats…

Source en cabane

Je ne devrais pas recevoir de commentaires désobligeants de la part de ceux qui redoutent la liberté d’expression. Mes articles sont classés « rouge » par mon logiciel : « ne peuvent pas être compris par des enfants de 11 ans ».

Permettez-moi de conclure sur une citation du Marquis de Sade que j’aime beaucoup : « Tous les hommes sont fous, et qui n’en veut point voir doit rester dans sa chambre et casser son miroir. »

Ça tombe bien, dans ma chambre y’en a pas de miroir.

Tout rouge

Dimanche, début d’après-midi, une heure bizarre. C’est encore le temps du repos, de la détente. Le moment de profiter du clapotis du soleil dans les plis des arbres. Bientôt, plus tôt, viendra le soir, et avec lui l’empressement de terminer ce qui doit l’être avant de rattaquer la semaine. On retrouvera des réflexes, vider la quatrième machine du jour, ranger les mètres cubes de linge, préparer les cartables, éplucher les légumes pour la soupe. Pour l’instant tout est encore possible, même si l’envie dérive.

Cette heure en trop m’encombre. Mon corps hésite, entre besoin de repos postprandial et élan actif, bousculé par la contradiction entre son besoin physiologique et la lumière de la fenêtre. Aujourd’hui elle devance l’horloge. Une journée entre deux, comme quand on arrive en Angleterre.

Demain ce sera la rentrée scolaire en Rheinland-Pfalz. Mainz est passé en zone rouge pour le corona voilà deux semaines. Pour l’instant (touchons tout le bois disponible, les troncs de la forêt entière), les écoles sont ouvertes. Nouvelle injonction : l’obligation de porter un masque en permanence, même en cours. Les activités sportives des après-midis, qui regroupent des enfants de plusieurs classes semblent compromises. Pour des raisons de traçabilité, l’administration choisira sans doute de préserver les séparations entre classes. Tant pis pour la natation et la danse acrobatique, et les après-midis studieuses des parents.

Avec la reprise en vue, les mails officiels se bousculent. Des messages longs et bavards. La réunion parents-professeurs est maintenue mais en ligne. Au club de gym les groupes seront divisés : 5 enfants maximum dans le gymnase. Les leçons de chacun seront raccourcies. Les défilés de la Saint-Martin (à la tombée du jour, avec des lanternes) prévus début novembre sont annulés à Mainz. Le corona s’immisce un peu plus dans le quotidien.

Il a eu raison de notre regroupement familial pour les congés : le ‘’cas contact’’ est assigné à résidence. Mon fils a dû se faire tester deux fois en trois jours : une première fois pour préparer sa venue en Allemagne. Une deuxième fois sept jours après la rencontre d’un ami tombé malade. Annulation des billets de train. Décalage aux calendes allemandes de sa fête d’anniversaire. Ça donne envie de râler. De se fâcher tout rouge.

Avec mon mari nous nous sommes évadés dans une forêt. Entre sapins et épicéas, bouleaux et chênes. Entre quatre murs de pierres rouges, plusieurs fois centenaires, dans une chambre appelée ‘’la chambre du président’’ en souvenir du passage de François Mitterrand. Une cure de silence, de mousses, de tourbillons de feuilles craquantes comme la croute du gratin dauphinois. De parfum d’humus noir. Balades à la recherche de champignons tombés de livres d’images. Je guette les formes, les couleurs et les textures les plus inédites. Partout le parapluie de cuir rouge des amanites, violent et cocasse. Je cherche des lutins dans leur ombre. Les traces dans le lichen vert pomme au flanc du rocher sont-elles des empreintes d’elfe ?

Nous nous sommes adaptés à l’Allemagne : nos réflexes sont germains. Nous portons le masque partout, ne touchons personne. Pendant les vacances nous avons aperçu (de loin) des gens qui se font la bise. Comme si de rien n’était. Qui pensent que tout ça n’est qu’une mauvaise blague pour enquiquiner les gens.

Sur la place d’un village, le marchand de miel, un homme brun et jeune, avec quelques taches de rousseur nous laisse entrevoir son ventre. Il soulève son T-shirt et son pull pour mieux les glisser dans son pantalon. « Non mais vous vous rendez-compte ; ils ont annulé les marchés de noël, les foires. Qu’est-ce qu’on va faire nous ? Heureusement on vend un peu sur internet. Mais quand même ! Tout ça juste pour éviter que les hôpitaux soient saturés. Franchement… c’est pas un peu exagéré ? On ferait pas mieux de laisser mourir quelques personnes pour préserver l’économie hein ? » Il a fini de se brailler et remonte la fermeture Eclair de son blouson. Il ne porte pas de masque.

Les clients du marché en portent eux, mais s’agglutinent comme ils l’ont toujours fait. Comme des aimants de signes opposés. Nous fuyons : leurs frôlements me gênent, je n’ai plus l’habitude. Sur les marchés allemands c’est le contraire : les gens s’évitent comme des aimants de même signe. Gare à qui passe à moins d’1,5 mètre….

A une visite de contrôle récente, le pédiatre nous avait demandé pourquoi à notre avis les infections progressaient plus vite en France qu’en Allemagne. « C’est à cause des embrassades, non ? » « Oui sans doute », ma fille et moi avions répondu. Mais nous nous étions senties obligées d’ajouter, par solidarité ou chauvinisme : « Pourtant les Français qu’on a vus cet été ne faisaient pas la bise du tout, et ils portaient des masques ». Ces pratiques préventives ne semblent pas généralisées.

Ici à Mainz les gens et les caddies sont à nouveau sur les rangs. Une caissière a refusé à une amie un deuxième paquet de papier toilette. La psychose du printemps avait commencé plus tôt de ce côté du Rhin. Lecteurs de France, préparez-vous à ronchonner dans les supermarchés !

Au fond de la forêt, nous avons vécu une expérience nouvelle : une invasion de coccinelles. C’est un peu comme une attaque à main armée de la part d’un petit bonhomme de 4 ans, coiffé d’un heaume de carton, une épée en caoutchouc au poing. C’est charmant et ça fait sourire. Des centaines, des milliers de coccinelles sur la façade le la maison se chauffaient sur le crépi, tourbillonnaient au soleil. Des dizaines crapahutaient au plafond, sur les murs de la chambre du président, enfin, la nôtre. Le soir de notre arrivée, mon mari les a faites sortir une à une, équipé d’un verre et d’un dépliant de papier. Les troupes en armure de carnaval se montrant têtues, nous avons cédé, vaincus par le nombre. Les vrombissements minuscules nous ont bercé.

Nous avons récupéré nos filles à leur colo d’équitation dans les environs de Mainz. Ravies, épuisées et sales. Levées chaque jour en fanfare à 7 heures pour la corvée de crottin ou de paille, elles se sont lavées une fois en une semaine. Entre les temps à cheval, elles se sont frottées à des moutons, des poules, des chiens ou des lapins. Toute la ménagerie que nous leur refusons à la maison. En défaisant sa valise, ma plus jeune a retrouvé une chaussette évadée du sac de linge sale. Elle colle son nez dessus.

-Mmmm maman, sens, ça sent trop bon !

-Vraiment ? (mine sceptique et légèrement dégoutée)

-Oui ça sent le cheval ! On va pas la laver celle-là en souvenir.

-Si, si.

Les vacances s’achèvent donc. Des vacances sous le signe des petits points. Les blancs sur fond rouge des amanites tue-mouche. Les noirs-sur-rouge, jaune, orange, ou rouges-sur-noir des coccinelles en jubilé. Les pointillés désordonnés des insectes ronds sur le mur.

Tiens, ça me donne une idée de couture pour un nouveau masque. Si j’annonce la couleur (toxique) sur le museau, l’accès au rayon pâtes me sera-t-il prioritaire ?

Médaille de bronze de natation (en tissu)

Cette nuit un bruit soudain, intense et obstiné a traversé les couches de mon inconscience. Qu’est-ce que c’est ? Ah, c’est juste la pluie.

La pluie ?

De mémoire d’arbre, la dernière pluie remonte à avant la chute prématurée des feuilles craquantes. La génération actuelle de fleurs ne l’a jamais connue.

Hier matin, quand je suis passée à vélo près du grand terrain de jeu du quartier, un jardinier municipal armé d’une bruyante débroussailleuse, attaquait une herbe rare et sèche, pourtant recroquevillée au ras du sol. Ça sentait la roquette. Les touffes foncées aux fleurs-papillons jaune citron semblent être les seules plantes heureuses de la météo estivale prolongée. Elles, et une espèce de trèfle que je ne connais pas, mais dont les petites fleurs jaunes aussi dégagent un parfum très agréable quand on passe à côté.

Le temps change, enfin. 

J’adore l’automne, sa fraîcheur humide sur fond parfois bleu, sa lumière chaude entre les troncs mouillés et les feuilles multicolores. Les marrons et les châtaignes, la gelée de coings et la soupe de potimarron. La pluie rassurante.

C’est dommage en un sens : la piscine extérieure va fermer. (Le journal local précise que la dernière journée sera réservée à la baignade des chiens.)  J’adore nager dehors en septembre, quand la température de l’eau est confortable, équivalente ou presque à celle de l’air. Les bassins sont vides. Une amie nageuse (elle va à la piscine presque tous les jours) m’a fait remarquer le seuil psychologique local des 30°. Au-delà, le parking, les pelouses, les lignes de nage sont saturés. En deçà, même de quelques degrés, presque personne. Il m’est arrivé, sans grelotter, d’avoir la piscine à moi. Les Allemands sont frileux.

Toujours très couverts, ils craignent particulièrement la pluie. Dès qu’il tombe trois gouttes, les enfants sortent en bottes en caoutchouc et surpantalons étanches. Même au mois d’août. Les parents enfilent leurs vestes en goretex. Dès que les matinées fraichissent, les vestes et les écharpes apparaissent (c’est l’époque des chaussettes dans les sandales). Avec leur short au mois de septembre, mes filles passent pour des originales (même avec les températures récentes). Leurs copines s’inquiètent : ”Mais t’as pas froid comme ça ?”

Peut-être leurs origines anglaises ? En plein hiver, il est fréquent de voir outre-Manche des genoux à l’air, des blousons ouverts sur des T-shirts, des bras nus dans les restaus. Je me souviens être allée manger à Londres fin décembre avec une amie vêtue d’un polo à manches courtes, et pour sortir, d’une veste type tailleur, et d’une écharpe. J’étais emballée d’une veste épaisse, d’une écharpe et d’un bonnet, avec tout ce qu’il faut d’épaisseurs là-dessous. Et j’avais presque froid. Ces dernières années les climats océanique de l’Angleterre (‘’doux et humide’’) et continental de l’Allemagne (‘’très froid l’hiver, très chaud l’été’’) semblent s’être superposés.

Avec la pluie qui arrive pour s’installer si j’en crois les prévisions, comment allons-nous négocier les trajets pour le collège à vélo ? ou plus précisément comment vais-je négocier avec mes filles pour qu’elles n’arrivent pas trempées en cours ?

Echanges de ce matin :

-Si tu mettais un Kway dans ton cartable ?

-Non c’est bon j’ai un parapluie dans mon sac.

Un parapluie ? à vélo ? Moi j’ai un poncho de rando si besoin. Mais à mon âge le look passe bien après le besoin.

Heureusement les jours de sport elles ont de quoi se changer intégralement. Les gymnases ne sont accessibles qu’avec des baskets réservées à cet effet : propres et à semelles blanches. Les profs de sport insistent sur des vêtements lavés régulièrement et qui ne restent pas à croupir dans un casier. Tous les gamins se trimbalent un sac de sport complet avec vêtements et chaussures. D’ailleurs le kit de l’écolier (tous âges confondus) comprend outre le cartable et la trousse, la gourde, la petite boite pour le snack (Brotdose) et le sac de sport, type besace. Les sorties d’école ressemblent à des départs en trek.

Les gymnases sont multi disciplines : le sol reste libre. Pour faire de la gym, le matériel doit d’abord être installé. Il est rangé à l’issue de la leçon. Tous les agrès sont sur roulettes et le praticable enroulé. La première fois, j’ai été surprise de voir ces mini-gymnastes procéder à la manutention de grandes poutres ou des barres asymétriques. A plusieurs ça roule.

Le sport semble recevoir ici le respect qu’il mérite. C’est une discipline prise au sérieux. Les notes comptent, l’avis des profs est écouté, autant que ceux des autres matières. Peut-être parce que les enseignants ont tous deux spécialités (sport et maths, français et biologie ou autres).

La natation fait partie intégrante du programme. Les petits Allemands passent des diplômes, un peu comme les étoiles au ski. Le ‘’flocon’’ c’est le Seepferdchen (l’hippocampe) : l’enfant sait traverser la piscine sans se noyer. Ensuite viennent trois niveaux (bronze, argent et or) en fonction des compétences : durée de nage, distance minimale, nombre de nages, plongeons de plus ou moins haut. Dans le collège de mes filles, la natation est au programme de 6ème (l’an prochain).  Son professeur de français et de sport insiste pour qu’elle passe dès à présent le niveau requis (bronze) au cas où la piscine ferme à nouveau. Les autres enfants ont dû obtenir le certificat au primaire.

Dimanche nous sommes donc allées toutes les deux s’entraîner. Je veux voir son plongeon, elle l’a révisé avec son frère cet été. En partant elle a relu les 10 règles qu’elle doit connaitre par cœur. Allez plonge ! pas mal. Suffisant il me semble. Allez on le passe ce diplôme, comme ça ce sera fait ? Non. Si. Attends, je vais réviser les règles, elles sont affichées sur le mur.

Nous nous approchons de la maitre nageuse (doit-on dire maitresse nageuse ?), Schwimmmeister (non les 3 M ne sont pas dus à une touche coincée), une jeune femme en T-shirt et short rouge (les couleurs du club de Mainz 01) aux cheveux blonds ondulés aux épaules. Elle va chercher son chronomètre. Elle boite un peu, peut-être s’est-elle fait mal ?

Top c’est parti. Ma fille plonge et attaque ses longueurs de brasse. Il lui faut en faire au moins six et deux autres en dos. Elle slalome entre les gens, la maître nageuse longe le bassin et jette un œil de temps en temps sur la petite fille au bonnet bleu clair (le mien). Elle lui lance ensuite un anneau à aller chercher avec puis sans lunettes. Une bombe depuis le plongeoir. Les règles à réciter. C’est bon. Ouf ! c’est fait ! Ma fille est contente et soulagée. Moi aussi.

(pas le droit de faire
des photos à la piscine)

A Lyon mon fils a dû attendre le collège pour nager avec sa classe, faute de créneaux disponibles.  Pourtant, les piscines étaient réservées en journée aux écoles. Ici les deux bassins d’hiver (la piscine intérieure classique, et l’olympique extérieure, couverte d’une curieuse bulle gonflée) permettent à tout le monde de nager : les écoles, les clubs, le grand public (si l’on accepte la proximité de cours d’aquagym bruyants le matin). A l’entrée de la piscine, de grands containers en grillage sont remplis de matériel, pull-buoys, frites, ou mannequins. Chacun porte l’étiquette de l’établissement propriétaire.

Ça me fait vraiment du bien de nager et bouger dans l’eau, même juste pour regarder mon apprentie-nageuse. Je croise les doigts (Ich drücke die Daumen, je serre les pouces comme on dit ici) que la piscine ne soit pas condamnée à nouveau pour cause de corona. Surtout que si c’est le cas, les écoles aussi sans doute fermeront. Le prof de sport-français le craint. Avec sa classe, il a testé le dispositif vidéo vendredi.

Heureusement, côté diplôme aquatique ce sera fait. Enfin j’espère : sur le certificat la mètre-nageuse s’est trompée de colonne. Elle a attribué à ma fille le niveau argent. L’écusson en tissu, lui, est bien bronze.

L’écusson-médaille indispensable pour la 6ème

Taille-crayons, jardins et nouveaux-venus

Une première semaine d’école entre fournitures scolaires, retrouvailles et rencontres.

Terre blanche chamottée émaillée

Des cahiers et des livres éparpillés sur le tapis du salon, celui qui sert d’habitude de praticable pour les acrobaties. Des rouleaux de Scotch (pardon, Tesa film), un arc en ciel de protège-cahiers. La nouvelle boite de peinture, avec son gobelet emballé… Les filles viennent de recevoir leurs listes de fournitures (pourquoi ne pas les envoyer plus tôt ?). Nous avons suivi les conseils de la voisine pour éviter les grandes surfaces lointaines et bondées et soutenir le commerce local. Nous sommes allées au tabac-papeterie du coin.

La voisine a dû partager son truc avec beaucoup de copains. Nous avons fait la queue, à l’extérieur sur le trottoir, à 1,5 mètre des autres clients (ou à peu près. En France c’est 1 mètre, en Allemagne, c’est 1.5 – 2 mètres). La vendeuse prend les demandes à la porte, une par une. Comme elle n’a que des protège-livres individuels, nous lui avons remis nos kilos de manuels pour qu’elle puisse choisir le format adéquat.

Depuis la première rentrée de mon aîné, je dois avoir acheté 2510 taille-crayons, 40.543 effaceurs et le double de cartouches d’encre. Une ribambelle de trousses…. Des françaises, des allemandes (trousses-plumiers où chaque stylo est glissé dans un élastique) – parce que bon, faut ranger ses crayons comme les copains. (Tu comprends maman, la mienne elle est cassée / perdue / mangée…) Et une galaxie de gommes de toutes les couleurs. Pourtant quand on en a besoin, on n’en trouve jamais. Hop dans un trou de l’espace-temps avec les chaussettes orphelines !

Notre benjamine a fait son entrée au collège. Fière et sérieuse sur le vélo encore un peu haut hérité de sa sœur. Son cartable (oui ici aussi les cartables sont beaucoup trop chargés) la déséquilibre presque. Elle semble avoir déjà des copines et des repères. La reprise se fait en douceur. Les journées complètes commenceront la semaine prochaine. Dans ce collège, la semaine de rentrée, se fait sans cantine (‘’pour des raisons d’organisation’’ : ah ?), ni cours l’après-midi.

C’est une étape pour notre famille, puisque c’est la dernière fois qu’un de nos enfants entre dans un nouvel établissement – en théorie, parce que si nous rentrons en France l’an prochain, cette même demoiselle aura droit à une deuxième entrée au collège, en 6ème cette fois.

La réunion de rentrée pour les parents a eu lieu hier. Dans la cantine et non dans la salle de classe des enfants, pour cause de distanciation sociale. Disciplinés, avons avons porté un masque pour entrer et nous sommes assis en quinconce. Personne ou presque ne se connaît encore.

Nous avons ouvert tout grand nos oreilles. La classe verte d’intégration pour les 5. Klasse est annulée pour cause de corona. Elle sera remplacée par des journées de randonnée. C’est déjà ça ! Le masque est obligatoire pour tous les déplacements, mais pas une fois assis au bureau (ni en cours de sport, où la distanciation n’est pas non plus exigée…). Une grande chance par rapport à nos amis de Cologne en Nordrhein-Westfalen : pour eux depuis la rentrée le masque est obligatoire à l’école TOUTE la journée.

L’ordre du jour prévoyait les élections des parents délégués. Puis des représentants auprès du conseil de parents. On a d’abord voté à main levée pour choisir de voter à main levée. C’est un truc très sérieux ces élections. Déjà en arrivant la première année, ça m’avait surpris. Deux candidates sortantes pour deux postes. Nous avions quand même suivi à la lettre les formalités officielles. A chaque annonce de résultat, les parents ‘’applaudissent’’ en tapant sur la table (des phalanges, comme pour frapper à une porte).

Lors d’un tour de table (disons d’un saute-mouton de table en table), chaque parent s’est présenté à tour de rôle (je n’ai pas jugé utile de donner mon âge, et ai renoncé à mentionner ma pointure de chaussures). Les enfants sont ensemble pour au moins quatre ans donc leurs parents aussi. Après cette séance de près de 3 heures dans une cantine trop chaude, je suis soulagée que la réunion de ma grande soit la semaine prochaine.

Surprise le premier soir : nos filles nous ont annoncé qu’une famille française est arrivée dans le quartier. Leurs enfants sont dans leurs classes.

Ils ont de la chance de vous avoir les nouveaux arrivants, vous allez pouvoir les aiguiller !

Oui oui, mais moi aussi j’ai de la chance ! ça fait trop du bien de pouvoir parler français !

Ah c’est sûr oui.

-Tu te rends compte ça fait juste qu’une semaine qu’ils sont arrivés en Allemagne !

Oui, oui, je me rends bien compte…

Chouette des nouveaux copains pour papoter et se comprendre facilement, des voisins avec des références communes.  Avec qui échanger nos trouvailles.

Alors tout d’abord, leur indiquer le marché de Gonsenheim, les mercredis et samedis matin, redéployé depuis mars le long du petit parc. Avec son fromager, son boulanger, ses trois primeurs, son poissonnier (le seul à des kilomètres à la ronde) et son boucher. Son fleuriste sympa qui vend les tomates de son jardin et des bouquets de fleurs du quartier. Ses reines-marguerites violettes, les tournesols et les sédums en bouton me tiennent compagnie.

Chez Frau Schmidt : les fleurs à couper

Après le marché, prendre le temps d’un café dans l’adorable boutique de créations du Sonntagskind, https://de-de.facebook.com/Sonntagskind.Cafe

Ensuite leur proposer de choisir quelques légumes frétillants, un sécateur et un seau d’eau pour se cueillir des fleurs chez Frau Schmidt et son mari. Ils doivent avoir 165 ans à eux deux et cultivent toujours une exploitation maraîchère fleurie.

Leur chuchoter d’aller au jardin d’Odile (http://www.landragin.de/) un paradis secret, dissimulé de la rue par la rangée de maisons. Un jardin en longueur, avec des coins et des recoins, des serres anciennes, des antiques bassins, des alcôves de verdure. Quelques sculptures éparpillées. Une amie m’y a emmenée au printemps. On se dirigeait presque au parfum des rosiers et des jasmins, des pittosporums… extraordinaire ! A chaque passage entre les arbres et les grappes de roses, le fond du jardin se dérobait, ouvert sur un coin repos avec un banc, un potager, une pelouse couronnée de marguerites sauvages. Odile est une française installée ici depuis toutes les années qu’il a fallu pour créer cet univers, planter, tailler, couper. Elle vend des plantes et loue son jardin pour une fête ou un concert à la belle étoile. Bien guetter l’inscription manuscrite sur son portail pour repérer l’entrée. Vaut les tours et les détours.

Leur conseiller les promenades le long du Gonsbach, ce tout petit ruisseau chantant. Le chemin entre les saules et les aulnes est bien marqué. Il longe de charmants jardins ‘’ouvriers’’, des Schrebergärten (jardins de Schreber), comme on dit ici, du nom du médecin qui les a mis en place au 19ème siècle. Résister à l’envie de fourrer des poignées de terre noire fertile dans ses poches. Fermer un peu les yeux pour humer les rangées de fenouil et de coriandre du maraîcher. Laisser trainer son nez du côté des roses hissées sur les barrières de bois.

Arpenter les steppes du Mainzer Sand, (le grand sable de Mainz) qui fleurissent après la pluie. Chercher le troupeau d’ânes qui y broute en ce moment. Tâcher d’oublier le ronronnement entêté de l’autoroute qui coupe la forêt en plein milieu.

Ah et chez le boulanger, pour le petit déjeuner du week end, acheter des Brötchen bien sûr, ces petits pains ronds variés et des Quarktasche, des viennoiseries au fromage blanc.

Voilà pour les découvertes urgentes. Pour le reste, la ville, l’administratif, on aura le temps d’en reparler.

Hein, qu’est-ce que tu dis mon chéri ? L’échéance de la déclaration d’impôts approche ? Mais on ne vient pas juste d’en faire une de déclaration d’impôts ?

Oui mais c’était la française.

Je vous laisse, va falloir s’y coller.

Ça on ne leur dira pas hein, le casse-tête d’être à cheval sur deux systèmes administratifs.

Deux ans déjà en expatriation

~ Mainzalors.com a un an : 100.000 mots, 200 pages ! ~

Happy birthday dearest blog !

Les cours reprennent, je retrouve du temps pour écrire au calme. Et me retourne sur les deux ans écoulés.

Je savoure.

A peine 10 heures et déjà moite, je m’assois à mon bureau. Il est calé dans un coin vitré, au dernier étage et donc sous le toit. Tant pis. La porte fenêtre est ouverte sur la terrasse de poche, dont le béton rayonne encore de la chaleur d’hier. Tant que les rayons du soleil ne passent pas par-dessus le toit, directement sur moi, je la laisserai ouverte pour faire semblant de prendre l’air. Cet air qui refuse de bouger, ce plomb de Sahara estival. Il fait un temps de plaines de sable, silencieuses à rendre sourd, éblouissantes.

Je savoure.

L’éblouissement viendra tout à l’heure et malgré mon envie je ne pourrai rester assise ici. Quelques oiseaux chantent dehors. La guêpe fidèle (est-ce la même que celle de l’an dernier ?) grignote les tiges des canisses de la terrasse. Des coups de marteau résonnent.

J’accueille ce moment avec toute l’attention que je peux lui donner. Pour la première fois depuis 5 mois (5 mois ! presque une demi-année !), mes deux filles sont à l’école ensemble pour la matinée. Et si mon cher et tendre qui bosse dans une chambre en dessous veut bien jouer le jeu, je dispose de quelques heures SEULE. Le bonheur !

Quand on a besoin comme moi de temps de solitude, de silence et de pénombre pour recharger ses batteries, les conditions de vie qui se sont abattues sur le monde ont eu un effet dévastateur. Comme un nuage de criquets elles ont tout grignoté.

Alors je savoure ce temps offert.

C’était une rentrée pour de faux ce matin. Un échauffement, pour se rappeler comment écrire en allemand avant le retour à l’école lundi prochain. Nous avons sauté sur l’opportunité proposée par la ville de Mainz en compensation des cours annulés au printemps pour cause de corona. Une rentrée pour rire mais ma grande faisait la gueule.

Elle s’inquiète de se retrouver dans un groupe où elle ne connait personne (sa grande amie a participé la semaine dernière), où elle devra peut-être s’exprimer à l’oral et expliquer son cas particulier. Je lui ai fait remarquer qu’elle avait passé un long moment au téléphone hier avec cette amie à papoter en allemand. La langue n’est plus un obstacle. Mais les souvenirs de la période d’adaptation restent vivaces. Ça et puis la peur d’être mélangée à des ados qui viennent d’autres types de collèges (Realschule, Gesamtschule…)… l’inconnu inquiète.

Mais moi je jubile !

Ce matin j’ai accompagné ma benjamine à ses cours, dans l’école voisine de la sienne (elles se touchent). Elle a voulu y aller à pied, pour bien qu’on comprenne que son vélo est trop petit (c’est bon, le message est passé !). J’ai mis mes pas dans nos traces d’il y a deux ans. Quand nous étions paumées, sous la canicule de début août, noyées sous les feuilles grillées, les formulaires administratifs, les fournitures scolaires inconnues. Avec en plus, la pression temporelle de faire, quelques jours avant la rentrée, ce que les autres familles avaient réglé en juin.

Et là on est dans les clous (sourire tout fier).

Le nouveau cartable est choisi. Grâce aux conseils de ma voisine adorable, nous avons acheté la Rolls Royce allemande des cours de Gymnasium mais à un prix correct. C’est pas comme si y’avait beaucoup de choix dans les boutiques locales. Nous avons découvert que l’achat du cartable pour la 5. Klasse (CM2, début du collège) est une affaire très sérieuse. Le rayon est situé à l’entrée de la maroquinerie. Une vendeuse a d’emblée fait essayer à ma collégienne deux modèles lestés. Charge à elle de choisir le plus confortable. Allez hop un p’tit tout du magasin, avec le masque, le cartable lourd, en suivant les scotchs, les parois de plexiglas. Ensuite elle a pu choisir les couleurs qui lui plaisaient – dans le rayon en promo steuplait hein ?

A la caisse, la vendeuse nous a fait une démonstration pour adapter la hauteur des bretelles à la croissance de ma fille. C’est sûr elle pourrait le garder jusqu’à l’université ce sac vu sa robustesse. Mais ses goûts vont changer. Je parie que lors du retour en France il faudra la convaincre de le garder. La mode du collège ne sera pas la même qu’ici. Petite chance de se fondre dans le groupe si elle rejoint une école internationale avec des enfants allemands…

Quand les profs nous l’aurons donnée, nous irons confier la liste de fournitures à la buraliste du coin – elle a un rayon papeterie et se charge parait-il de tout préparer. Oh voisine, si je t’avais connue en arrivant comme ma vie aurait été simplifiée ! Il y a deux ans, les gens à qui j’avais demandé conseil m’avaient tous orientés vers un grand magasin en ville près de la cathédrale. Pratique quand ça prend une heure d’y descendre dans la touffeur de l’été et la foule, et qu’on doit y aller à plusieurs reprises !

On m’avait dit la première année à l’étranger, tu trouves tes repères. (J’ajouterai qu’il faut aussi perdre les anciens réflexes, ce qui est loin d’être évident). La deuxième année est plus confortable puisque les étapes déjà vécues se répètent. La troisième année devient vraiment agréable, tu profites de tout cet investissement. Je veux bien le croire. Car c’est seulement après deux ans finis (et l’arrivée de ma deuxième fille dans le collège de sa sœur) que je ressens le bénéfice de nos tâtonnements. Bientôt nous serons en mesure de donner des conseils, même à des locaux.

La cathédrale de Mainz – der Mainzer Dom


J’ai rajouté ‘’déjà’’ au titre : Deux ans, déjà.

Pourtant ces deux ans nous les avons senti passer, comme en témoignent tous ces mots que je sème, cailloux du Petit Poucet, pour trouver mon chemin jusqu’à vous (et moi). Dès notre arrivée, les idées, remarques, réflexions, coups de gueule ont fusé comme des feux d’artifice. Je les ai stockés pétillants dans ma mémoire vivante. Après les mois d’adaptation, quand j’ai pu m’asseoir et me retourner,  j’ai commencé à écrire.

Ce blog a un an. Joyeux anniversaire à toi ! 100.000 mots. 200 pages. Tellement d’émotions et d’échanges ici et là-bas. De nouvelles activités. Des liens d’avant se sont raffermis, d’autres ont fondus. De nouveaux se sont créés pour l’instant, ou pour le futur. On verra.

La guêpe grignote. Un bébé en promenade pleure. Les nuages attrapent les rayons de soleil et me laissent un peu de répit à mon bureau. Tant mieux, je vais pouvoir rester plus longtemps à travailler.

A vous je veux bien le dire, mais chut c’est un secret : j’ai commencé à écrire un livre, un essai. Ça fait longtemps que les idées et le projet me trottent dans la cervelle. Je suis très intimidée.

Je me suis fixé comme objectif de poser mon postérieur sur cette chaise tous les jours. Ensuite, comme dans les lignes de ce blog, j’avancerai un mot après l’autre.

Le soleil vient d’arriver sur mon clavier. Je referme la porte.

Il est temps de souffler les bougies de Mainzalors.com !

“L’art c’est beau, mais c’est beaucoup de travail” Karl Valentin

La reprise (coulisses)

Retour de vacances en France, la rentrée au Gymnasium s’annonce, le travail a repris. Journées de transition.

Houhou !

Grands signes de la main.

Oh ça faisait longtemps que nous ne nous étions vus. C’est chouette de te croiser là.

Attends, je reviens, je vais juste rincer la terre de mes mains dans mon arrosoir.

Alors ces vacances ? ça se passe bien ? Contents de vous retrouver – ou de vous séparer après ces mois de vies superposées ? De quitter les quatre murs qui nous ont tous engoncés ?

Oui, oui nous ça s’est très bien passé merci. Nous venons juste de rentrer. De France oui. Une cure d’arbres et de reliefs, de paysages variés. Beaucoup de kilomètres, oui. Et le plaisir du parler-facile. Du laisser aller au fil de l’eau de journées tissées par les marées et les méandres de rivières, les bouillons blancs ou noirs des torrents (avant / après la pluie), les orages de montagne.

Nous avons retrouvé un jardin croustillant, comme au sortir du four, alors que la canicule frappe au thermomètre. Je pensais devoir traverser une jungle et sortir la tondeuse (manuelle, pour nos quelques mètres carrés), et bien non. Juillet a été très chaud et sec à Mainz.

J’avais planté comme une forcenée au printemps, dans un élan d’activité sur place, pour fleurir notre coin de planète, celui que par la force des choses, nous ne pouvions guère quitter. Je me doutais bien que tout ne résisterait pas à l’été. Les cosmos chocolat ont cramé comme beaucoup de leurs copains de massif tout plat. Donc je déterre, je ratisse les feuilles sèches, je taille ce qui pourrait être sauvé. J’arrose. Le lilas qui pendouillait, le cerisier qui jaunit, le gazon… Dans les pots abrités au nord d’un mur c’est la jungle. Le papyrus prend des allures arborescentes, l’arbuste que je ne connais que de vue, enfle et gonfle ses boutons en fines grappes coniques. L’environnement, hein, les conditions de vie… C’est important, faut faire attention où on plante, où on s’enracine. Si on veut que ça prenne…

A défaut de prendre racine, moi j’ai pris une résolution, tu sais : ne pas lutter contre la nature (une terre de remblai, sèche et récalcitrante, encore plusieurs semaines de grosses chaleurs), ni contre ma nature. Je vais planter tout de même, mais peu et dans du terreau de qualité. Je les placerai dans des coins qui se sont révélés propices à la vie végétale malgré le délaissement. Je chouchouterai ces quelques pots, comme le plant de kiwi que m’a confié une amie-artiste-voisine avant de partir en Suède pour un an (snif, elle va me manquer ; je lui enverrai des photos de ses 4 kiwis à maturité). Faire avec les conditions, accepter de ne pas toujours réussir, ne pas toujours accepter, se laisser porter par le courant…

Le courant du moment, c’est la fin des vacances qui chahute avec le flot du quotidien. C’est la reprise. Celle de la couturière qui raccommode des vies actives par-dessus la parenthèse des congés, le quotidien allemand de part et d’autre de congés en France. Nous entamons la 5ème semaine sur les 6 que comptent les vacances d’été allemandes. La semaine prochaine les filles rattaqueront en douceur avec des cours de maths et d’allemand proposés en matinée – sur la base du volontariat – par la ville de Mainz. Une forme de compensation des semaines d’abstinence scolaire confinées. Le ministère de l’éducation de Rhénanie-Palatinat s’en félicite sur des panneaux publicitaires 4x3m.

Et moi aussi. Quelle initiative opportune ! Les enfants vont pouvoir reprendre le rythme tranquillement, et libérer les lieux ensemble CINQ MATINEES D’AFFILEE ! Ce n’est pas arrivé depuis début mars…. Si j’enferme mon mari sur ses téléconfs, je m’octroie quelques heures de paix et de silence ! Inespéré après avoir eu l’impression d’être de garde 24/7 pendant 4 mois.

Lors de notre dernière étape, à la montagne en Haute-Savoie (au bout du monde littéralement), mon regard a été attiré sur la porte d’un buraliste-bibliothèque-bureau de poste-salle d’expositions par la une de Marianne : « Confinement + vacances : Libérez-moi de mes gosses ! ». On les aime plus que tout hein, nos enfants, mais on prie tous les dieux (et ministres) de l’éducation que les cours reprennent normalement mi-août. Matins ET après-midis avec les AG siouplait.

Les AG, ces clubs organisés par les collèges, proposent des activités variées aux élèves. En CM2 (5. Klasse), ma benjamine en aura deux par semaine, en 4ème (8. Klasse) ma grande, une seule. Elles ont émis leurs vœux en juin choisis dans un catalogue de plusieurs dizaines de possibilités (couture, danse acrobatique, arts plastiques, basket…) et attendent les affectations. Si elles ont toutes les deux danse, elles pourront faire partie du même spectacle (avec une centaine de jeunes, une chorégraphie travaillée, des acrobaties impressionnantes : grand écart porté, pyramides de minettes…). La prof est extra, la représentation de l’an dernier formidable ! On verra.

En attendant, la logistique de la rentrée se précise. La reprise donc, mais pas celle de la musicienne, qui rejoue le même passage à l’identique.

Lors de notre arrivée ici voilà deux ans, nous avions dû plonger tête la première dans le grand bain de paperasses alors incompréhensibles pour une rentrée le 6 aout. Cette année, on souffle : la rentrée scolaire de notre Land est plus tardive (elle est décalée d’une semaine chaque année, pour alterner les périodes entre les Länder). Ensuite pour commander les livres maintenant ON SAIT : pas de commande en ligne au petit bonheur grinçant avec récupération à perpette en ville. Non. Je suis allée hier avec plaisir à la librairie pour enfants du quartier, j’ai tendu ma liste à la libraire. J’irai chercher le paquet demain. Et voilà. Un truc de rayé sur la liste (sauf le bouquin de physique, pour lui faudra retourner).

Côté administratif c’est pareil : on a compris le pourquoi du comment, les comptes en ligne (pour les divers prestataires : casiers, cantine, livres loués par la ville) sont déjà ouverts avec nos références bancaires. Ça devrait être plus rapide. Le badge de cantine est arrivé, celui que nous avions attendu si longtemps il y a deux ans (et qui avait condamné notre fille aux sandwiches plusieurs semaines).

Il restera à acheter un cartable pour ma plus jeune. Elle a été ravie de donner l’ancien en fin d’année scolaire (et d’école primaire) pour une opération caritative à destination d’une école du Malawi. Elle avait rempli le cartable de fournitures, et écrit une lettre pour l’enfant qui recevra son sac à dos. Et hop une bonne action (et le droit d’avoir un cartable neuf pour le collège, hein ?).

Nous descendrons donc en ville acheter le cartable. Nous y retournerons pour les fournitures quand les profs auront donné leurs listes. Rien trouvé de plus simple (les supermarchés du coin n’ont pas de papeterie scolaire, et je préfère acheter local). Mais au moins cette année, on sait où aller, à quel article correspond chaque mot et où manger une glace en sortant.

Si tu veux tu pourras nous y retrouver.

C’était sympa de te croiser. Prends soin de toi et de ton été.

Ah et tu sais, j’ai trouvé des groseilles ce matin au marché. Cet après-midi, ce sera confitures. Je t’en ferai passer un pot.

PS : Tu sens ? Y’a une odeur bizarre dans la cuisine. Ma grande fille fait cuire au four des branches de bois. Elle les désinfecte avant de fabriquer des jeux pour sa gerbille et les nouvelles qu’elle va adopter. Elle est en affaires par mail avec une famille dans les environs de Mainz. Ils lui ont demandé une photo de la cage. Ils ne vont pas être déçus, avec le palace qu’elle a fabriqué.

Apprivoiser

L’année scolaire se termine avec son précipité de rituels.

-Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?
-C’est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens ».
Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry.

Ce matin au petit jour je suis descendue dans le séjour. Ma cadette déjeunait déjà d’un muesli. La dernière dormait encore (les horaires de l’école-à-la-maison se décalent chaque jour). J’ai pris une tasse de café et suis sortie marcher pied nus dans l’herbe fraîche. Pour m’éveiller avec le jardin et les arbres, sentir le vent se lever avec le soleil.

Mon mari faisait du sport en écoutant un podcast. L’interview d’une dame américaine dont je n’ai aucune idée de l’identité. Je l’ai juste entendue en passant dire qu’elle relisait chaque année le Petit Prince et que chaque fois elle y découvrait de nouveaux trésors, et des réponses aux étapes qu’elle traversait à ce moment-là de sa vie.

Le Petit Prince, je viens de le racheter, en édition de poche et en français, dans la librairie du quartier. C’est une librairie jeunesse avec une sélection de livres pour adultes très intéressante http://nimmerland-mainz.com/. J’adore y aller, chercher des idées de lecture, des cadeaux. Le commerce du livre allemand est très bien organisé. N’importe quelle librairie peut vous commander le titre recherché pour le lendemain matin. Comme les médicaments dans les pharmacies. Mais ça en arrivant à Mainz voilà deux ans, je ne le savais pas encore.

Pour préparer notre première rentrée scolaire allemande, il s’agissait en quelques jours d’acheter les fournitures, réaliser différentes inscriptions, et commander les manuels. Ici en Rheinland-Pfalz, les livres scolaires doivent être achetés. Certains le sont neufs, mais d’autres peuvent être commandés à la ville de Mainz pour le tiers du prix. Ils seront utilisés trois ans de suite par des enfants différents : le manuel scolaire en copro. Une fois acquittée la commande en ligne auprès de la ville, je me demandais donc où acheter les livres complémentaires.

Me basant sur mon expérience française, j’ai commandé les titres demandés sur le site de la plus grosse librairie de Mainz – celle où j’étais déjà passée une fois, la seule dont je me souvenais vaguement du nom. Nous sommes allés les chercher quelques jours plus tard, en râlant de devoir descendre en ville dans la canicule. La vendeuse n’avait pas dû avoir envie de venir non plus :

-Je ne trouve pas votre commande.

-Essayez peut-être cet autre nom…

Nein, toujours rien.

J’ai commandé sur internet…

Ach so sur internet ! Fallait le dire.

Regard réprobateur par-dessus les lunettes.

Euh je pensais l’avoir (mal ?) dit.

Nous avons reçu nos livres au prix de gros efforts et en s’étonnant du manque de connexion des boutiques allemandes. En fait nous n’avions pas encore appris le mode d’emploi de l’achat de livres. Cette année je sais.

Hier j’ai commandé auprès de la ville une partie des manuels scolaires. En août, j’apporterai les listes complémentaires à ma librairie de quartier. Les charmantes libraires me les commanderont avec le sourire. Et j’irai le chercher le lendemain. Voilà. (Pour ce genre d’achats il ne me semble pas que l’on doive trop anticiper. La semaine dernière, chez le coiffeur, une dame a appelé pour prendre rendez vous pour fin août…. Fin août ? Deux mois d’avance ? Sérieusement ? comme dirait ma fille).

Donc le Petit Prince….

Je l’ai racheté pour pouvoir le lire à mes filles puisque notre édition familiale est – je l’espère – chez leur grand frère à Lyon. A certains moments de la vie le lire, le relire, est une priorité. Il me semble aujourd’hui que c’est le cas. Je les envie d’avoir à le découvrir.

Le livre de poche est posé sur le canapé. Un marque page en dépasse. Il n’avance pas trop.

Quand son humeur y consent, je lis quelques chapitres à ma benjamine. Elle apprécie en situation mais a du mal à s’y mettre. Elle préfère nettement lire des petits romans rigolos. C’est un peu le brocoli de la lecture : excellent pour la santé, mais apprécié plutôt par les enfants devenus grands. Je le lui ai expliqué, avec le renard : pour aimer quelque chose, quelqu’un, il faut le/la connaître, lui consacrer du temps. Renoncer à une découverte juste parce que c’est nouveau, c’est passer à côté de grands plaisirs, et perdre une occasion de grandir. Donc allez encore un chapitre ?

En lisant avec elle, je me rends compte à quel point son vocabulaire français, basé sur nos seuls échanges quotidiens, est limité. C’est ça aussi de grandir avec trois langues. La richesse de l’ouverture de la pensée et de l’expression se fait (au moins au début – croisons les doigts) aux dépens de la variété du vocabulaire.

Ma grande fille a adoré la dédicace de Saint-Exupéry que je lui ai lue à haute voix (vous savez : toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants mais bien peu s’en souviennent). Elle a aussi pour mission de lire le livre cet été. Collectivement, au soleil, nous allons apprivoiser le petit Prince.

Comme nous nous sommes laissé apprivoiser par notre environnement. Cela nous semble plus évident ces derniers temps.

Peu à peu, accepter d’apprendre le nom des fleurs en allemand. Se réjouir de passer un week end dans la forêt même si on y mange et parle teuton. S’abonner à des comptes Instagram (très peu et sélectionnés) en allemand. Bon nous n’avons pas encore envie de passer nos vacances ici tout de même ! (clin d’œil appuyé). Nous avons toujours tous les quatre besoin d’une pause, car même après deux ans le quotidien demande des efforts.

Heureusement les frontières viennent de rouvrir ! Nous quitterons pour les vacances le confort et la propreté allemands pour le charme et le bazar français. Ça nous fera du bien (c’est ce que l’on imagine aujourd’hui…on verra sur place). Nous retrouverons mon étudiant de fils, que nous n’avons pas vu depuis Fastnacht (carnaval), et qui vient de commencer ses concours (décalés de plus de deux mois, et privés d’oraux).

Avant les congés, deux étapes importantes auront lieu : la remise des bulletins, et le départ définitif de l’école primaire.

Les écoles nous envoient de nombreux mails. Chaque message nous explique un truc qui est repris en détails dans une pièce jointe. Je sais donc précisément quand seront remis les bulletins à chaque classe de chaque niveau… Un seul mail me suffirait (avec pièce jointe pour le coup : ledit bulletin). Mais ici c’est toute une affaire : une cérémonie officielle. Dans la classe, dirigée par la maitresse, et en présence de l’ensemble des enfants (pourtant séparés en deux groupes depuis le déconfinement). Chaque écolier est appelé au tableau pour recevoir son bulletin, et applaudi par tous.

Une page se tourne (cf. Billet d’humeur : La dernière fois, 23 février 2020) : la fin de l’école primaire pour le dernier de mes enfants. Ma plus jeune entre en 5ème classe (CM2) donc au Gymnasium (collège). Après quatre ans passés ensemble, les écoliers vont quitter leur maîtresse, se répartir dans les différents collèges de la ville. Fiesta corona-compatible, cadeaux. Offrande symbolique du cartable de l’école primaire à une école du Malawi. Un peu de tristesse et de nostalgie mêlées au soulagement d’en avoir fini avec les trajets scolaires.

Pourvu que le collège lui convienne. Elle a déjà changé régulièrement d’école et s’en est bien sorti. Elle semble savoir s’acclimater, créer des liens et se faire une place. Mais s’adapter n’est pas s’épanouir. On oublie parfois à quel point l’environnement compte pour cela, la nourriture (au sens large) pour se développer. Et que survivre n’est pas vivre.

Nous avons beaucoup jardiné récemment. Une anémone du Japon et un jeune arbuste (dont j’ai oublié le nom) végétaient côté soleil. Leur gros pot importé de Lyon a été mis côté ombre. Et nous leur avons donné de l’engrais (oui parfois on oublie de nourrir nos plantes). Elles prospèrent comme jamais.  L’arbuste s’est enfin décidé à pousser et lance de nouvelles branches feuillues vers le ciel. L’anémone du Japon emporte dans son élan naïf les branches de ses voisins, l’azalée et le papyrus.

J’observe aussi mes capucines poivrées que j’ai semé dans tous les petits trous. J’adore la rondeur sympathique de leurs feuilles. Certaines enflent, généreuses, toutes en feuilles et en fleurs orangées. Une autre dans le coin d’un petit pot sec dresse une unique fleur rabougrie au-dessus de feuilles miniatures. Un pense-bête, comme un post-it sur le frigo : pense à te nourrir, et à privilégier les environnements favorables !

J’écris dehors, à l’ombre de l’après-midi, à l’heure de l’été.

La Saint-Jean est passée. Mais, circonstances 2020 obligent, la grande fête annuelle n’a pas eu lieu à Mainz (elle est proposée de façon virtuelle https://www.mainzer-johannisnacht.de/). Celle qui célèbre le solstice d’été et le fils de la ville, Johannes Gutenberg, père de l’imprimerie.

Gutenberg masqué
Mainz garde ses distances sociales

En ce moment l’environnement conjoncturel râpe. Ras le bol de la paperasse administrative en allemand, du lave-linge qui fuit toujours mais par un autre trou (serait-il temps de passer à la qualité made in Germany ?), des déclarations d’impôts dans deux pays, de deux façons différentes (à l’aide).

J’ai besoin d’une pause et de rire. Je vais aller voir des amies et respirer les tilleuls verts de la promenade. On est trop sérieux quand on a 47 ans.

Reprises

Les écoles reprennent en pointillés, la piscine rouvre avec conditions. Période floue où les repères sont à reconstruire sur la seule base de notre intuition.

Le théâtre de Mainz – avec une sculpture éphémère (printemps 2018)

8h15 il y a une semaine, je reçois un mail de la maîtresse.

Tiens, c’est curieux. La classe est censée avoir commencé depuis 25 minutes, or elle n’écrit pas aux parents sur le temps de cours. Faute d’objet d’indiqué, je soupçonne être la seule destinataire de ce message. Ma fille aurait-elle oublié quelque chose d’essentiel ? Serait-elle malade ? Non ils auraient téléphoné. Aurais-je fait un truc de travers ?

« Chère madame, à compter d’aujourd’hui la classe commence à 9 heures, en raison de la reprise d’un autre niveau. Vous avez dû mal lire les informations envoyées la semaine dernière. Votre fille a été prise en charge par la garderie d’urgence. »

Mainz alors !

C’est peu de dire que j’ai mal lu les infos. Je reçois des mails tous les deux jours de la part des deux écoles de mes filles. De loooooongs mails avec des pièces jointes tout aussi loooongues. Et tous les sujets sont traités avec la même exhaustivité bavarde (les changements d’horaires comme un erratum sur l’impact santé du gel hydroalcoolique fournit par le Land). Le tout en police 10, en allemand administratif (youpi !) sur des pages et des pages… Alors oui, je survole les infos pour éviter de me cogner la tête contre les murs. Je rêve d’informations synthétiques et d’une hiérarchisation des thèmes (un truc simple du type : pour info / important).

L’école a repris en pointillé depuis bientôt un mois pour ma plus jeune. Elle s’y rend deux matinées par semaine. Pour limiter au maximum les croisements d’enfants, leurs horaires sont décalés. Les trois premières semaines elle commençait à 7h50. Désormais, avec le retour des 3. Klasse (CE2) c’est 9 heures. J’ai raté ce changement important. J’en connais une qui va être furieuse. Elle aurait pu dormir une heure de plus.

Je m’excuse platement auprès de la maîtresse, en mettant ma bévue sur le compte d’une lecture rapide, d’un texte trop allemand pour ma bonne compréhension. Elle ne m’en veut pas, ouf ! Je tâcherai de faire mieux, c’est promis.

Ce matin j’ai reçu un mail du collège. La classe de ma grande va reprendre en demi-groupes, les matins, en alternant les semaines entre les groupes. Du coup ma fille n’ira que deux semaines avant les vacances scolaires. (Tiens pas de nouvelles du sondage qui avait été fait pour un éventuel raccourcissement des vacances d’été). Et là non plus je n’ai pas envie de lire le message jusqu’au bout. Quels escaliers les enfants vont devoir utiliser pour monter, pour descendre ? Quels bâtiments sont autorisés et pour quoi faire ? Je n’ai pas envie de savoir mais pourvu que je ne rate rien d’essentiel !

Heureusement ma fille a reçu les mêmes informations. Je compte sur elle et sur les scotches collés partout dans les couloirs pour qu’elle se dépatouille. Je tâcherai de lui mettre à disposition un masque propre le matin (car les masques c’est comme les chaussettes, ça a tendance à disparaitre dans un trou noir). Je crains de devoir recommander de l’élastique. Autre reprise : la couture.

Pendant encore deux semaines, ma fille continuera les cours à la maison. Au total ça fera trois mois. Trois mois sans voir les profs ni les copains. Juste séparément et brièvement quelques amies (et leur chien !) pour une balade depuis que c’est à nouveau autorisé. A son âge, sans copine pendant si longtemps….  Pas drôle, non.

Avec l’école à domicile, on a perdu l’habitude des devoirs et des interros. Hier soir à 20h25, ma plus jeune qui a passé un week end de trois jours très détendu à construire une cabane dans le salon et à y faire sa petite vie à coup de popcorn, de limonades maison, de BD et d’un film de Bollywood (!), me rappelle qu’elle a une interro de maths le lendemain.

-QUOI ?????

-Mais je te l’avais dit ! Je t’avais dit que j’avais un Arbeit en Deutsch et en Mathe.

Oui c’est vrai, mais moi j’ai oublié, et franchement avec le suivi quotidien du travail à la maison, je suis soulagée quand ça s’arrête un peu. Donc je n’ai pas creusé le sujet. Et puis cette minette-là elle trompe son monde : elle est tellement organisée et fiable qu’on compte sur elle… sans doute un peu trop. Le Deutsch c’est fait – les révisions et l’interro – avec des exercices sur les déclinaisons (accusatif et datif…help ! comment expliquer ces concepts si abstraits ?). Mais les maths j’avais oublié (hop, dans le trou noir avec les chaussettes et les masques).

-Je me sens très très prête ! c’est bon !

Soit.

Je me fends du petit couplet pour rappeler à son bon souvenir les vertus des révisions, même quand on se sent très très prête. Surtout quand on a la fâcheuse tendance d’aller très très vite en interro et de ne pas se relire. Ce serait dommage de se planter sur les divisions ! Avec le temps qu’on a passé elle et moi à comprendre comment les faire en allemand. (Oui là aussi ce n’est pas tout à fait pareil qu’en France ; ça m’a moyennement gêné car ma technique de l’école primaire est oubliée depuis belle lurette).

-Alors si tu es très très prête il faut que tu aies au moins un 2 hein ?

– Oui, oui

(Les notes vont du 1 au 6, 1 étant la meilleure, avec les nuances +/- pour chacune.)

Elle est partie à l’école, on verra bien ce qu’elle nous en dira au déjeuner.

Ce matin on a rempli en 4ème vitesse le document qu’elle devait préparer pour aujourd’hui et qu’elle et sa mère avaient – aussi – oublié (oups). Des repères sur sa naissance (son poids, sa taille, des souvenirs). Heureusement, nous avions bien imprimé la photo du bébé qu’elle était.

En ce moment, en Sachunterricht (de mon temps, on disait, en Eveil), ils travaillent sur l’éducation sexuelle. Au début ça m’a surpris que ce soit traité dès le CM1. Mais avec le recul, je trouve drôlement pertinent de parler de la puberté à un moment où les enfants ne sont pas encore directement concernés. Ils ne sont pas encore ‘’bêtes’’ et gênés par le sujet. Ils comprendront mieux ce qui se passe dans leur corps si on le leur explique avant les feux d’artifice hormonaux. Depuis ma benjamine m’explique en secret les réactions de sa grande sœur et ses émotions imprévisibles.

TRAU DICH ! OSE !

En matière de cours drôlement malins dispensés à l’école primaire nous avons découvert les cours d’auto-défense. Ils sont proposés chaque année par notre école primaire, hors du temps scolaire mais dans le gymnase de l’établissement. On avait raté celui de l’an dernier, concentrés (et débordés) que nous étions sur les tâches obligatoires. Juste avant le hold-up du corona, ma fille y a passé la majeure partie d’un samedi, en tenue de sport avec son casse-croute et sa gourde (les enfants allemands ne vont nulle part sans leur gourde et leur Brotdose – littéralement, la boite à pain par extension, la boite à sandwich, une petite boite en plastique avec couvercle).

Je l’ai récupérée ravie, avec les flyers sur le mode de comportement en cas de harcèlement et une planche de bois de 2 cm d’épaisseur coupée en deux. Par la seule main d’une petite fille de 9 ans.

Elle a bien compris le principe de l’auto-défense et de la protection individuelle. D’ailleurs mes deux filles filtrent aujourd’hui les sorties par rapport à leur risque potentiel. Elles ont hurlé quand je suis allée à mon cours de terre en bus et tram.

Ce matin je consultais les conditions d’accès à la piscine qui vient de rouvrir ; l’une m’a prévenu qu’elle n’irait pas et l’autre m’a intimé l’ordre de ne pas rapporter le virus à la maison.

C’est assez décourageant la piscine : il faut remplir un formulaire que l’on aura pris soin d’imprimer (donc, là patience, l’imprimante n’a plus d’encre) et indiquer le créneau que l’on souhaite (matin ou après-midi). Comment sait-on quel créneau nous est attribué et pour quand ? Mystère. En revanche la limite en nombre de nageurs est claire : 1500 personnes par demi-journée. 1500. Certes les créneaux ont 6 /7 heures…. Mais 1500 ?! Peut-on encore parler de limitation à ce niveau-là ?

Que penser ? Et surtout que faire ?

Ce n’est pas parce que les activités sont désormais autorisées qu’il est malin de s’y précipiter. En même temps c’est pratique, le dépistage du corona se fait dans le gymnase à côté de la piscine (là où l’an dernier on avait assisté au magnifique spectacle accrobatique de danse du collège. Autres temps…)

Nous nageons dans le flou scientifique et politique.

Les repères d’avant ont disparu et ceux de la retraite forcée aussi. Je trouve cette période presque plus dure que le confinement. Tout y était interdit : pénible à vivre mais clair.

Aujourd’hui les nouveaux repères sont au four sur une recette maison, avec intuition intime et contradictions toutes fraîches.

Nager ou ne pas nager ? Verdict après mijotage.

L’Ampelmann de Mainz (qui a l’air de me donner le feu vert pour y aller)

L’étiquette de la toux

Reprise des classes en pointillés pour l’une de nos filles, pas pour l’autre. On tâtonne derrière nos masques colorés.

C’est décidé, demain notre benjamine retournera à l’école. Les 4. Klasse (CM1, et dernière année d’école primaire) sont avec les dernières années de lycée les seuls écoliers à reprendre le chemin de la classe.

On s’est bien pris la tête, on a beaucoup réfléchi. On a d’abord refusé.

Pourquoi rouvrir les classes alors que le risque lié au virus n’a pas changé ? Que le télétravail est toujours obligatoire (pour encore plusieurs mois) pour mon mari ? Et surtout cela ferait-il prendre plus de risques aux membres de la famille ?

A table, lors d’une discussion, elle nous a fait remarquer, que sans école, elle n’allait pas parler allemand pendant encore trois mois.  La grande en est ravie (“Ouf, c’est moins fatigant !”), mais la plus jeune non. Et tous ses copains allaient reprendre. Ah, la pression sociale muette…

Pour débuter au collège en août, autant mettre toutes les chances de son côté. Car si on lui refusait le retour physique en classe en mai, quel changement nous permettrait-il de l’envoyer au collège mi-août ? Y’aura pas de vaccin d’ici là…. Un peu floues ces décisions, comme les informations qui les alimentent.

Certes c’est mieux à tous les niveaux pour les enfants d’aller à l’école (et salutaire pour l’équilibre nerveux des parents et les relations familiales). Néanmoins, nous peinons à comprendre la logique de la réouverture des 4ème classes. Elles n’ont pas d’examen. Les établissements primaires proposent déjà des garderies d’urgence aux parents qui en ont besoin. Et les éléments de risque qui ont amené à la fermeture des écoles sont toujours présents.

Les conditions de reprise sont draconiennes.

Les classes (d’une vingtaine d’enfants) sont divisées en deux. Chaque moitié aura cours deux matinées par semaine. Le reste se fera toujours à la maison. Les différents groupes présents simultanément à l’école commenceront et termineront la classe de façon décalée. Les salles comme les cours de récré seront éparpillées dans l’établissement (heureusement y’a de la place et oui, plusieurs cours de récré).

Nous, les parents et notre fille, venons de signer un règlement intérieur de quatre pages . Il prévoit les nouvelles règles d’hygiène, l’utilisation de masques aux récrés (non les désinfecter au micro-ondes ou dans le four n’est pas une bonne idée), l’interdiction de se toucher et des jeux de balle, l’injonction d’aller seul aux toilettes (est-ce possible ça quand on est une petite fille ?), rappelle ‘’l’étiquette de la toux et de l’éternuement’’, précise que la circulation dans les couloirs se fera comme dans la rue, sur le côté droit. Suivre les scotchs par terre. Qui aurait cru que leur permis vélo obtenu cet hiver allait servir aux gamins à pied dans les couloirs ?

Toutes ces interdictions et injonctions faites à des enfants de 9-10 ans peuvent prêter au scepticisme amusé. Rappelons-nous qu’ils vont se retrouver après deux mois de séparation et de retraite forcée ! Et pourtant… Après avoir accompagné la classe de ma fille à plusieurs reprises pour des sorties scolaires, je crois assez au succès de ces conditions militaires.

Au printemps dernier, je suis allée avec eux à une visite de la ZDF (Zweite Deutsche Fernsehen), la deuxième chaine de télé nationale allemande dont le siège est à Mainz.

C’était une excursion à l’autre bout de la ville, en transports en commun avec une visite active des studios de production. Les enfants avaient préparé une émission de débats sur le thème des abeilles, avec script et attribution des interventions. Divisés en deux groupes, ils avaient tourné deux fois pour que chacun puisse jouer deux rôles : animateur, invité-interviewé, cameraman/woman, ingénieur du son, maquilleur/se etc… Au moins une douzaine d’employés de la ZDF s’étaient occupés de cette classe d’une vingtaine d’élèves. Pour leur expliquer le déroulement de l’enregistrement d’une émission, et leur montrer les studios. Puis pour les accompagner dans leurs réalisations et clore la matinée.

C’était fort intéressant. Mais ce qui m’a le plus impressionné c’était le comportement de ces enfants lâchés dans le tramway et dans un univers professionnel.

Celle de mes filles que j’accompagnais est mon troisième enfant. J’ai déjà participé à un grand nombre de sorties scolaires dans des écoles diverses et pour des âges variés. En France certes, mais dans des écoles internationales avec des gamins de toutes les nationalités. Mais ça je ne l’avais jamais vu.

Ces enfants (de 8-9 ans) avaient déjà intégré les règles de comportement en groupe à l’extérieur de l’école. Ils obéissaient à la première injonction. Déjà dans la rue, ils avançaient deux par deux jusqu’aux croisements. Tout en papotant, ils attendaient l’instruction pour traverser. Dans le tramway, ils sortaient leur snack et leur gourde quand la maîtresse leur disait de se sustenter. Rangeaient tout quand elle le leur demandait. Rien n’était resté sur les sièges.

Le plus épatant c’est ce petit détour de 30 mètres au départ. Ils ont choisi de suivre le trottoir pour rejoindre un arrêt de tram, au lieu de traverser une bande de gazon d’à peine deux mètres. Même adulte, ça me démangeait fort de couper. Si je l’avais fait, je pense que je me serais fait reprendre par un môme. Ça m’a impressionnée oui, mais aussi un peu effrayée. Une partie de moi avait une furieuse envie de leur montrer le raccourci : « Oh oh ! A votre âge les enfants, c’est par là ! » L’autre partie, maman accompagnatrice, se félicitait…

C’est curieux cette association dans des personnalités en construction d’un comportement discipliné soumis et d’une grande confiance dans les échanges avec les adultes. Avec les employés de la ZDF, les écoliers étaient à l’aise. Je l’avais déjà remarqué à mon égard en arrivant : les enfants allemands s’adressent aux adultes d’égal à égal. Ils ont des choses à dire, et ont l’habitude qu’on les écoute. Là dans une salle de réunion pleine, ils ont levé le doigt, posé des questions. Pour conclure, la maîtresse leur a proposé de donner aux techniciens de ZDF ce qu’elle appelle une ‘’douche chaude’’ (eine warme Dusche). Chacun s’est levé sans timidité encombrante pour aller remercier la personne qui les avait le plus aidé.

Chapeau maîtresse !

Au retour je lui ai fait part de ma surprise respectueuse. Elle m’a dit que je voyais le résultat de trois ans de travail avec sa classe.

Bien entendu, ce groupe-là n’est pas représentatif des enfants allemands en environnement scolaire. Mais de façon générale ici la discipline est acquise très tôt : personne, dès le plus jeune âge, ne fait ce qui est interdit. Rappelons-le (je n’en suis toujours pas revenue) : les portes de l’école restent ouvertes (grand ouvertes) pendant les récrés, même à l’école primaire, même quand la cour n’est séparée de la route que par une grille (peut-être pas partout, mais dans notre quartier en tous cas).

Les excursions avec la classe de ma fille me permettent donc d’avoir confiance dans l’organisation post-confinement de l’enseignement. La distanciation sociale devrait être observée même dans la cour de récré. En tous cas au début….

Les signes d’ouverture apparaissent par-ci par-là. Depuis ce week end, les aires de jeux sont à nouveau autorisées. Pour combien de temps ? Ces gosses sur des toboggans, derrières des rubalises déchirées ont quelque chose de doux-amer. On ne peut pas sauter au plafond de soulagement : là non plus les causes des fermetures n’ont pas disparu. Mais les consignes sont intégrées. Quand nous sommes passées devant des barres hier, ma benjamine qui adore tourner dans tous les sens et en a été privée pendant deux mois, a préféré renoncer : une petite fille était déjà à l’œuvre.

Donc un semblant de rythme extérieur nous est rendu avec ce retour partiel à l’école. Nous les parents allons garder notre mission éducative approximative trois jours par semaine pour la plus jeune. Notre grande ne remettra sans doute pas les pieds au collège avant la rentrée d’août. Les cours en vidéo conférence s’organisent. Nous aiderons pour les connexions et amadouer l’imprimante. Et lirons les nombreux et longs (trop longs, pourquoi si longs ?) messages envoyés par les directeurs d’école, les enseignants, le ministère de l’éducation du Land.

Nous mettrons et laverons les masques gais cousus-maison, puisque même s’ils ne servent à rien, ils peuvent sauver des vies. Et regarderons bien malgré nous de travers par-dessus le tissu, les museaux dénudés, soupçonnés aujourd’hui parce que différents.

Vous avez demandé l’ouverture d’esprit ?

NEIN !

Un mot prononcé comme on mord, avec toute la force de la mâchoire, des dents acérées qui se resserrent sur une proie démunie et surprise : moi.

Un nein péremptoire qui ne tient pas compte de l’attente et de l’espoir de son interlocutrice et d’une petite fille de 9 ans. Un non sans empathie, sans compréhension, sans accompagnement, sans politesse. 

J’ai pris une claque de bon matin par téléphone interposé. Ça m’apprendra à appeler l’Allemagne quand je suis en vacances en France.

Je voulais juste savoir si ma fille était acceptée au collège à la suite de son entretien. Les courriers devaient être reçus avant les congés. Ma poupée, malade cette semaine-là, avait guetté chaque jour le bruit métallique de la boite aux lettres en vain. Nous sommes partis tôt le samedi, avant le passage du facteur. Pour rejoindre sur la route les cohortes de vacanciers d’Europe du nord, nous avons renoncé à attendre le milieu de matinée. Quelle certitude pouvions-nous avoir que le courrier serait livré ce matin-là plutôt que la semaine suivante ?

Car les copains l’ont reçu le courrier ce samedi. Ils nous ont envoyé des petits messages : c’est bon pour Martin ! C’est OK pour Emma ! Ils sont pris au collège. Et chez vous ? Ah zut, chez nous on ne sait pas. La lettre dort sans doute dans notre boite aux lettres en Allemagne. Nous sommes dans l’Ain quelque part, coincés entre des voitures anglaises. Dans cet exode post-Brexit, il ne doit pas rester un seul habitant outre-Manche. Nous sommes en route pour les Alpes british.

Le GPS nous a fait quitter les bouchons de véhicules néerlandais et allemands à la frontière suisse pour découvrir les forêts du Jura, franchir les cols du Bugey. Dans cette transhumance de vacanciers guidés par un GPS déboussolé, je pense que nous sommes même passés par l’Auvergne et la Bretagne. Et il me semble avoir aperçu un carré bleu de Méditerranée.

Le modèle de diversion du trafic utilisé dans le GPS ne devait pas tenir compte à midi des prévisions de trafic pour l’après-midi. Il nous a fait renoncer à la Suisse à ses sommets chocolatés, ses tunnels et sa vignette, et a rallongé notre trajet de nombreux kilomètres sous prétexte d’éviter de stationner à midi dans un bouchon.

On veut bien lui faire confiance au GPS, on se dit qu’il doit avoir des paillettes d’intelligence artificielle. Ben en fait non. Il ne sait pas ce que sait n’importe quel habitant de la région Rhône-Alpes ou automobiliste féru de sports d’hiver même pas très (bison) futé. Non il ne fait pas bon s’engager sur l’autoroute Lyon-Genève un samedi après-midi de février quand deux zones françaises et toute l’Europe du Nord ont décidé d’aller vérifier par eux-mêmes que la neige ben y’en a pas trop cette année dans les Alpes.

Donc on se retrouve sur de charmantes routes bucoliques à virer dans un sens puis dans l’autre, à la tête d’une caravane tout aussi égarée sur ces chemins de traverse. Le soleil brille. On se dit que la France vraiment c’est beau, que bientôt on va arriver dans un cul de sac, dans la cour d’une ferme, où toute la joyeuse caravane devra faire demi-tour dans deux mètres carrés. Un test grandeur nature de politesse et de savoir-vivre international. Non, il a juste fallu traverser au pas une course à pied dans un village, sous les yeux inquiets des bénévoles en gilets orange qui balisaient le circuit pour les sportifs.

Quittons les troupeaux pressés et revenons à nos moutons noirs.

Le coup de fil impatient du lundi matin, pour savoir, si oui ou non notre fille est prise dans le collège qu’elle convoite – et nous avec elle.

NEIN ! La dame n’a pas le droit de donner l’information à l’oral.

Un petit Email peut-être (ça ne se voit pas là, mais j’ai enguirlandé ma question de fleurs) ? Non elle n’a pas le droit à l’Email non plus. La procédure ne le prévoit pas. Nous n’avions qu’à rester chez nous (à regarder notre boite aux lettres pendant toutes les vacances) ou bien confier notre clef de boite aux lettres à un voisin.

J’hésite à suggérer un pigeon voyageur. Je ne sais pas le dire dans la langue de Goethe (et d’Angela). C’est que l’Allemand tient à son papier, d’où le courrier d’information dans-une-enveloppe-par-la-poste plutôt qu’un Email. Franchement de nos jours, ça fait un peu has been. Et cette manie d’imprimer, est-ce cohérent avec les marches du vendredi pour s’inquiéter de la destruction de la planète ?

Et surtout l’Allemand psychote sur la protection des données. Bien sûr c’est un sujet à prendre au sérieux. Mais n’est-ce pas là exagérer un tant soit peu ? Est-ce un secret d’Etat si un enfant est pris dans un collège ou non ? Il y aura bien un matin où tout le monde (et sa femme, comme disent les Anglais) le verra se diriger dans l’une ou l’autre direction. De mon temps, les résultats du bac étaient affichés devant le lycée. Aujourd’hui ils sont sur internet – sans mot de passe. Ceux des concours aux grandes écoles étaient sur, heu, Minitel. En accès libre. Les résultats des admissions à la Cité scolaire internationale de Lyon sont affichés dans la rue sur les grilles.

Quel est le risque si je ne suis pas la personne que je prétends être au téléphone ? Et surtout quel est le péril à se montrer un peu empathique et à joindre le courrier à un E-mail (puisqu’elle a déjà mon adresse dans le dossier, et qu’on reste dans de l’écrit avec un destinataire précis) ?

Ce sujet dépasse celui de l’impatience légitime. Car le fait de ne pas avoir l’information dès maintenant porte à conséquences.

Si notre fille est acceptée, il semblerait que nous n’ayons rien à confirmer. Mais comment en être sûrs avant de l’avoir lu ce fichu courrier ?  Si elle ne l’est pas, nous allons devoir l’inscrire dans un autre établissement. Et je suppose que les autres collèges fonctionnent sur la base du premier arrivé, premier servi…. Donc, faute d’avoir eu un minimum de compréhension téléphonique (ou d’avoir renoncé à nos vacances mais franchement, n’est-ce pas ridicule en ces temps digitaux ?), nous allons devoir procéder par sécurité à une inscription dans un autre collège. Youpi !

Je n’ai qu’un mot à dire : Dankeschön ! Merci pour la compréhension, pour la collaboration constructive entre êtres humains.

C’est vraiment quelque chose que je ne regretterai pas quand nous quitterons l’Allemagne. Cette incapacité de la majorité à déroger à la règle pour utiliser son intelligence et son bon sens (j’allais ajouter sous le coup de la colère, encore faudrait-il en avoir. Mais comment en être sûr du coup ?).

Suivre aveuglément une procédure dans un contexte ouvert signe la paresse de l’intelligence, l’abdication du libre-arbitre, le flétrissement de l’imagination et le renoncement à exister.

NEIN ! Les négociations sont rompues avant même d’avoir pu commencer. Tout est dit. Veuillez passer votre chemin. Trouver votre voie seule dans les arcanes abscons d’une administration étrangère. Ravaler votre colère, votre frustration, les larmes toutes prêtes. Digérer la claque. Au fait, bonne journée.

Ça révolte hein, cette nécessité de toujours s’adapter, quand on a l’impression de faire trop souvent la totalité du chemin de la compréhension mutuelle. Surtout quand on a une personnalité incompatible avec les murs de béton et qui aborde les échanges humains avec le sourire, de la bonne volonté, des guirlandes de fleurs et l’espoir d’une rencontre.

NEIN !

Tentons ce soir le yoga et la méditation parce que le ski sur des pistes de neige de printemps au milieu de la foule, justement, ça ne défoule pas assez. Car aujourd’hui, comme ma grande fille l’autre jour, triste et frustrée de ne pas toujours se sentir à sa place dans le fameux collège, j’ai envie de crier : « J’en ai marre des Allemands, et de leurs œillères ! »

Vive le jardinage !