Biscuits de Noël et autres traditions

Douceurs allemandes, anglaises et françaises. La cuisine est sens dessus dessous.

(Attention : la lecture de cet article risque de vous ouvrir l’appétit.)

C’est vraiment compliqué de concevoir une nature morte…

Vous aussi vous êtes dans les préparatifs de Noël ? Avec une liste d’inconnus et d’incertitudes ?

Certaines traditions ont pris encore plus de valeur en cette année floue :  les desserts en pagaille et les décorations. Ces joies-là sont dans notre périmètre de maîtrise . On a déjà réussi la guirlande de l’Avent et les étoiles en papier découpé (le tuto de ma fille est sur Instagram, ce site ne peut hélas pas digérer sa taille). Acheté les figurines en chocolat de Saint-Nicolas pour donner aux copines au collège (encore entières le matin au départ).

(Maman quand est-ce qu’on va chercher le sapin ?)

Les préparatifs des douceurs ont commencé voilà plusieurs semaines. Je vous en ai déjà parlé, faute de variété à se mettre sous la dent. C’est qu’on se met un peu la pression : il nous en faut de trois sources. Alors on s’organise. On dévalise le rayon pâtisserie du supermarché du coin. Les achats anticipés de Lebkuchen à la boutique en face du théâtre de Mainz sont faits. Comme les commandes en Angleterre : crackers, Christmas pudding et son brandy butter, et barres chocolatées pour les stockings (chut c’est un secret). Nous avons reçu un colis d’Ardèche (merci papa pour les marrons glacés), un carton d’Allauch (nougats blanc et noir).

(Permettez-moi un petit aparté, si nous recevons bien nos paquets, nos envois à l’étranger ne semblent jamais atteindre leurs destinataires… il doit y avoir un problème de distribution au passage de la frontière, ou un intermédiaire très gourmand et peu scrupuleux… Vos paquets arrivent, vous ?)

Nous avons aussi pâtissé : le Christmas cake attend sous plusieurs couches de papier. Il sera glacé et décoré le 24 décembre. La mince meat macère en pots. Elle servira à fourrer d’un coeur fruité et épicé des mini-tourtes en pâte sablée.

Côté sablés allemands, les Plätzchen, longtemps nous sommes restés aux deux classiques Marmeladennester (petits ronds aux noisettes et à la confiture) et Vannillekipferl (mini croissants aux amandes et à la vanille). Mon amie d’enfance de Cologne nous avait fourni les recettes. Cette année, je me suis offert, à la librairie du quartier, un livre de pâtisserie de Noël. Ça doit être un signe d’intégration avancée : notre gamme culinaire s’étend ET lire en allemand sur notre temps libre ne nous fait plus peur. (Pour les mots compliqués, ma fille est plus rapide que Google translate et je n’ai pas besoin de trouver mes lunettes.)

Les Allemands préparent différentes variétés de ces sablés et les stockent séparément dans des boites. Ils les offrent mélangés dans de petits sachets. Samedi j’ai croisé au marché une mamie-amie de mon cours de terre. L’an dernier elle nous avait apporté une sélection de ses petits sablés de Noël. Ils étaient délicieux. Alors je lui ai demandé : Tu as fait tes biscuits ? Tout est prêt ! elle m’a répondu.

Motivée par son exemple, j’ai décidé de me mettre aux fourneaux. Les miens sont partis faire des courses vers Francfort (c’est loin Ikea, et là-bas le Décathlon est plus grand). J’ai profité du champ libre pour confectionner des Marmeladennester.

En attrapant un pot de groseilles dans le placard du haut (beaucoup trop plein si vous voulez mon avis), un pot de gelée de coing est tombé. PAF ! Il a éclaté en mille morceaux. Des échardes ont sauté jusque sur la plaque de gâteaux. La catastrophe de confiture, la catasture à moins que ce ne soit la confitrophe a ruiné mon boulot. J’ai tout jeté.

Le lendemain ma fille et moi avons pris notre revanche en forme de Zimtsterne : des étoiles à la cannelle. Bien meilleures que ma première tentative. A la sortie du four à 16 heures, ma fille en a compté 42. Le soir-même il n’en restait que deux… Comment font les Allemands pour garder des stocks jusqu’à Noël ? Je vais enquêter.

(Maman quand est-ce qu’on va chercher le sapin ?)

Vous voyez, mon ascendance provençale et ses treize desserts sont honorés (freestyle) ! On a aussi planté les lentilles le 4 décembre. Elles gonflent dans une coupelle sur la fenêtre de la cuisine.

On chante (et même juste parfois). On écoute les Christmas carols anglais, des chants espagnols qu’on aime bien (on reste ouverts), la seule chanson allemande qu’on connait Kling Glöckchen Kling (tiens ce serait bien qu’on en apprenne d’autres cette année, avec la nouvelle partition de flute de ma grande.)

A peine sorti la caisse de livres de de disques de Noël ma plus jeune a voulu chanter Noël n’est pas au magasin. Quelques jours avant qu’Anne Sylvestre ne s’envole pour toujours. Bon voyage Anne, nous on continue de chanter tes poèmes. (Heureusement que j’ai découvert ses textes pour adultes, sinon je serais à nouveau un peu orpheline.) On va tenter de te suivre et faire en sorte que Noël, sinon au magasin, ne soit pas trop sur Internet.

Les créations vont tous azimuts. On bricole, bidouille, rigole, peinturlure, tripatouille, et découpe. La maison est sens dessus dessous à moins que ce ne soit le contraire. Le pistolet à colle traine sur la moquette (hélas), ma grande fille refuse obstinément de mettre un tablier pour utiliser la peinture acrylique.

Un vrai bonheur, tant qu’il me reste quelques gouttes de tolérance pour le bazar.

Vous l’aurez compris, ma plus jeune nous tanne pour aller chercher un sapin de Noël (avec un jeu de mot top subtil, Tannenbaum veut dire sapin de Noël). Un stand s’est installé devant une église ultra moderne, là où au printemps pousse le kiosque de fraises et asperges. Charmant ce petit carré d’herbe sous les arbres avec des sapins de toutes les tailles. On se croirait dans un dessin animé Disney. L’enseigne éphémère propose des sapins à vendre et à louer. A louer, pourquoi pas ? On avait déjà tenté le sapin vivant ; il a même déménagé avec nous à Mainz. Hélas, la chaleur de l’été a eu raison de sa bonne volonté.

Des enfants en tenue de ski boueuse (forcément…) nous accueillent avec de longs tasseaux de bois gradués. D’un côté le prix à la vente, de l’autre, à la location (vertigineux, les deux). On se renseigne : pourquoi un sapin loué est plus cher ? Vous avez le pot (tout petit et en plastique). Et comment ça marche ? Vous rapportez votre sapin le 9 janvier. Pas de retour d’argent ? Non. Bon on va réfléchir.

(Maman c’est ce matin qu’on va chercher le sapin ?)

Pas besoin de beaucoup réfléchir : notre jardinerie favorite est moins chère et les sapins locaux. Le dimanche elle n’a le droit de vendre que des végétaux, mais c’est souvent bondé. Là le magasin était très calme. Peut-être parce que c’était la Saint-Nicolas ? Et aussi le deuxième dimanche de l’Avent ? Cette année leur village de Noël intérieur est réduit : pas de patinoire pour les enfants.

Nous avons jeté tous les quatre notre dévolu sur le même candidat : l’affaire fut réglée en quelques minutes. De retour à la maison, les deux cartons de décorations, sortis du cagibi fin novembre, calendriers de l’avent obligent, attendaient au milieu du salon. L’une des filles a mis des chansons de Noël pendant que les autres fouillaient dans nos trésors.

Magiques non, les boites de boules et guirlandes ? A chaque ornement déballé, on entend des “Oh tu te souviens, on l’avait acheté à ….” Un pudding en laine de Londres, un Ampelmann en feutrine de Berlin, un lutin de la jolie librairie de Mainz (et beaucoup de boules d’Ikea).

Chaque année, nous retrouvons des créations d’un autre temps que je refuse de sortir (hou la mauvaise mère) ou de jeter. Je cherche du soutien :

-Les filles vous ne voulez pas jeter ces bricoles abimées de vos premières années ?

-NOOOOOOOOON !

-Vraiment ? Le papier crépon est déchiré et délavé, le bougeoir en pâte à sel cassé….

-NOOOOOON !

-OK, OK.

C’est reparti pour un an dans le carton.

Pas de vraies bougies pour nous. Dans les magasins leurs boites ont remplacé les packs de quatre grosses bougies pour les couronnes de l’Avent. C’est charmant, mais on voudrait éviter de mettre le feu au quartier. Nous utilisons des guirlandes lumineuses, nombreuses comme jamais. Pour les éteindre et les allumer, à quatre pattes sous le sapin ou dans un twist peu recommandé pour les vieux dos entre les étagères, ça va nous occuper pour la journée !

Le salon est tout joli maintenant. Surtout qu’on en a profité pour ranger un peu. Pour nous récompenser, nous grignotons des mince pies importées. Chaque bouchée nous envoie des bouffées de nostalgie de la maison du grand-père à Londres.

Pourtant c’est chouette de rester chez nous pour les fêtes. Pas besoin d’essayer de faire rentrer une montagne de cadeaux dans trop peu de valises. De tout installer en cachette, au moment de partir, au pied du sapin en prévision du retour. D’attendre une correspondance dans les courants d’air d’une, de deux, de trois gares. Ou de coordonner les achats de victuailles à distance avec le reste de la famille.

Le menu on s’en est occupé directement : la dinde est commandée au marché (oui pour cinq, on aime bien les restes). Depuis, le boucher nous reconnait. Mercredi on réservera le vacherin chez le fromager.

C’est chouette mais un peu doux amer. Pas de marché de Noël, avec ses lumières, son Glühwein (vin chaud), son jus de pommes chaud et épicé pour les enfants (et moi), ses Bratwurst et les sourires amis. La ville est calme, comme en janvier. Pas de fêtes dans les écoles. Mon coiffeur, toujours pieds nus en décembre, m’a dit soulagé de ces annulations. Moi ça me manque un peu.

Birkenstock ne fait pas que des sandales

Alors pour me consoler j’écris à qui vous savez.

Cher père Noël, cette année on voudrait des jolis pyjamas. Des pantoufles aussi peut-être ? Elles s’usent vite en ce moment. Le gros orteil de ma fille va sortir bientôt.

Heureusement les traditions ont la vie dure.

Certains remplacent le marché de Noël par des soirées autour d’un feu de camp dans un jardin (les Allemands sont très férus de feux extérieurs en toute saison, ils ont des coupes métalliques sur pieds exprès).

Mon mari a reçu une grosse boite de la part de son travail. Une fête de Noël en kit : une bouteille de Glühwein, un petit Stollen, et un sachet de Plätzschen, les fameux petits sablés. Sous les papiers d’emballage, un carton de loto.

La fiesta sur Zoom promet d’être endiablée !

Un p’tit gâteau ?

(On a caché la balance.)

Femme au bord (opposé) de la crise de nerf

Lockdown ”light” en Rhénanie-Palatinat ? N’empêche, ça fait râler !

Aujourd’hui c’est le premier dimanche de l’Avent. Noël approche avec bonheur. Les festivités ont été anticipées depuis début novembre, pour accélérer le ”lockdown light”. On a l’impression d’en être au troisième calendrier de l’Avent. Mais ça y est décembre approche !

Chais pas vous mais j’en ai marrrrrrrre de cet enfermement. Pourtant il est bien moins sévère qu’en France, où il vient d’être assoupli. Ici, il continue à l’identique ou presque. Le nombre de convives autorisés autour d’une table vient encore d’être abaissé. Mais on peut sortir à volonté. C’est quand même mieux que la quarantaine absolue à notre retour de France au début du mois.

Après deux semaines à la maison, j’ai craqué. J’ai craqué une heure avant de pouvoir sortir. J’ai hurlé que y’en avait ras le bol ! Vous m’avez peut-être entendue depuis votre cellule ?

Après le compte à rebours pour enfin sortir, j’ai lâché à 17 heures mon mari coincé par un coup de fil professionnel. Je ne pouvais attendre une minute de plus. Avec une grande inspiration, j’ai fait un rapide tour du quartier (pas grand changement, plus de feuilles par terre que dans les branches, et que la dernière fois que j’étais passée). J’ai enfourché mon vélo pour aller, dans le crépuscule, chez le maraicher acheter de la mâche, une salade pain de sucre palpitante et des épinards croquants, cueillis le jour-même le long du petit ruisseau du Gonsbach. Y’en avait marre des feuilles molles de la salade de supermarché. On se rabat sur ce qu’on peut contrôler. Sur la vie qu’on peut attraper.

Le nouveau confinement partiel a à peine quelques semaines : il semble déjà interminable. On est libre de nos mouvements, mais les destinations de loisirs sont éteintes. Musées, restaus, cafés, cinés, piscines et salles de sport sont fermés. Il reste les chemins mouillés, les arbres en tenue d’automne, les vignes arlequin sur les pentes et le courant du Rhin, sans limite de distance (au moins tant qu’on reste dans le même Land). Les copains ont été confisqués, posés sur une étagère trop haute. On se retrouvera un jour, quand…. Quand… je ne sais pas. J’allais écrire une échéance, je n’en ai pas.  Un par un ça va encore, c’est déjà ça. Tant que les écoles restent ouvertes… tant qu’on est en bonne santé, tant qu’on sait les siens en sécurité….

Non.

Ça ne suffit pas. Toutes ces privations quotidiennes, les inconsistances et incohérences, ces renonciations minuscules, et frustrations à répétition ça vous grignote la patience. Surtout sans avoir d’échéance. La récidive a la peau dure : elle nous a subtilisé le futur. Tu le vois, tu le vois, tu ne le vois plus (oui, avec Santa and co, on a reparlé d’Alain Chabat : mais si, c’est le même qui joue César dans Astérix et Cléopâtre). Nous tournons en rond autour de notre pieu. Mais on est grands, on a appris la leçon, on n’ira pas se jeter dans la gueule du loup. Même si notre longe nous étrangle.

Parfois on préfèrerait s’évader pour sentir le parfum des herbes sauvages et libres. Tant pis pour les crocs acérés au petit matin. Mais la loi et le Bureau de l’Ordre (Ordnungsamt) sont là pour nous protéger de nous-mêmes.

Voilà de quoi apprécier secrètement le désordre de notre côté de la porte d’entrée. (On ne dit pas porte de sortie pour une maison, ça n’a jamais été plus vrai). Pour l’instant tant qu’on n’invite personne on peut à peu près faire ce qu’on veut chez soi.

Le voisin l’a bien compris, hélas. Il exerce une profession liée aux fêtes. Donc en ce moment il trompe son ennui à coup de scie à métaux et de perceuse. Il refait sa terrasse grande comme un napperon en dentelle (on le sait on a la même) depuis deux mois. Deux mois. Avec la radio en fond. Heureusement dans une langue inconnue. Maintenant il s’attaque aussi à son intérieur et à nos nerfs. Et si on lui passait une petite commande histoire de le distraire ?

Côté bricolage, je ne me suis pas réinscrite à la VHS (Volkshochschule, équivalent de nos MJC) pour la série de cours de terre avant Noël. J’ai écrit à ma prof : désolée je serai absente pour cause de quarantaine, viel Spass (amusez-vous bien). Alors pour utiliser mes doigts ailleurs que sur ce clavier et créer en 3D, j’ai commandé de la laine. Pour au moins dix projets. J’en ai acheté chez deux fournisseurs différents (complémentaires). Depuis que j’ai commencé le premier pull, j’ai planqué les stocks pour éviter aux cartons pleins de me narguer.

Les brins de laine noire et duveteuse comme des fleurs de coton étaient invisibles sur des aiguilles bleu marine. Je piquais à l’aveugle en râlant. Mon tricot circulaire ne marchait pas comme je voulais : les mailles refusaient de remonter sur les aiguilles, le rond de se refermer. Maintenant j’ai fait au moins dix rangs, ça a l’air de marcher. Le projet prend (une) forme. Mais les aiguilles recommandées dans le patron (bien plus grosses que celles indiquées sur ma pelote) créent une succession de jours. J’ai l’impression de tricoter un filet. Ça fait beaucoup de tracas pour m’habiller avec des trous. Une tenue pour sortir les poubelles puisque c’est la grande aventure du moment ? Ou alors peut-être vais-je en rester là, et transformer ce début noir et poilu en sautoir new-age ? Je retournerai alors à mes bonnets…

En même temps, créer une chaine de jours… c’est plus qu’adapté… Pardon pour le jeu de mot pourri, je n’ai pas pu m’empêcher. Au moins je ne vous verrai pas, comme font mes enfants, lever les yeux au ciel.

Tiens, le ciel où est-il ? Le brouillard est tombé. Il fait blanc. Les maisons de la rue se distinguent comme à travers une eau laiteuse. Un enfermement de plus. Hop, vous avez pris un peu plus : privation de vue. Eh non ! sur mon bureau, j’ai des cartes postales de nos amis allemands photographes et éditeurs en Ardèche : un potager d’automne lumineux, le trou du Pont du Diable (idéal pour se baigner en eau fraiche et verte, et sauter de haut pour ceux qui ont le courage), en dessous des orgues basaltiques de Thueyts (puisque je suis ici, veuillez m’excuser un instant, j’adresse un salut amical à ma maîtresse de cours élémentaire). Sur le sable au fond de l’eau un amoureux amphibie a écrit avec des cailloux un message à sa douce. Du soleil, des rivières et du ciel ardéchois j’en ai tout plein. Et toc. ( A vous de ne pas voir la langue tirée au brouillard allemand).

Pourtant il est bien intentionné ce brouillard avec son froid humide. Il encourage à rester chez soi, à éviter les covideries.

De toutes façons les sorties me semblent toujours conditionnelles. Les deux semaines de privation de liberté m’ont marquée au-delà de la date limite. Mon bras a toujours une hésitation au moment de saisir mon sac et ma veste. Ai-je le droit ? Pas besoin de bracelet électronique, le conditionnement a fait son œuvre. L’autre jour en sortant faire un tour de pâté hygiénique (le tour, pas le pâté), j’étais toute surprise et émerveillée de pouvoir marcher dehors, vers une destination de mon choix (plutôt vers la droite ou vers la gauche le tour de 5 minutes ?), comme si j’étais libre.

Dans la limite des conditions imposées.

Même les plantes font partie du dispositif de sécurité. Quand un livreur a sonné, faute de trouver les clefs rapidement pour lui ouvrir, j’ai voulu sortir par la porte fenêtre adjacente. Je n’ai pas pu. Des plantes grasses épineuses gardaient le bas. Les vrilles de la vigne entortillées aux montants du store m’ont retenue plus haut. Les lianes échappées de chez le voisin nous emmaillotent. Ce week-end, dans son grand ménage de confinement, il a taillé sa vigne. Pas de vent et pourtant d’un coup les arbustes de l’entrée se sont secoués. Une à une les guirlandes dorées se sont affaissées. Elles me manquent.

J’ai détortillé une à une les vrilles encore accrochées. Qui d’elles ou de moi libérait l’autre ?

Prenez soin de vous avant de craaaaaquer ! ;o)

PS : Je m’étais plantée : il fallait tricoter en double. J’ai recommencé le pull, et depuis je l’ai fini. Trop large, trop court, il est top à la mode pour ma jeune fille :o). La prochaine fois je ferai un échantillon…

PPS : J’écoute Queen : I want to break free ….

Carnaval Zoom

Le 11.11 à 11 heures 11 a été lancée la campagne de Fastnacht (Carnaval) 2020-2021. En toute petite pompe.

Pouet, pouet, zim boum boum.

Carnaval commence en Rhénanie le 11 novembre. La cérémonie très officielle est organisée chaque année sur la place Schiller, dans le centre ancien de Mainz. Une journée de foule et de défoule, repère pour les Mayençais, de l’entrée dans la période des fêtes. A ma question : « Mais que se passe-t-il place Schiller le 11/11 ? » un ami franco-allemand m’avait répondu : « Tu verras. Tu y vas, et tu t’laisses aller. »

Nous y étions descendus en famille il y a deux ans curieux de découvrir cette tradition. Les enfants étaient déguisés comme nos guides du jour, une amie allemande et sa fille. Nous avions rejoint le centre-ville dans un bus bondé car la circulation des trams était modifiée. Des milliers de citoyens de tous âges se massaient autour du Fastnachtbrunnen (la fontaine de carnaval), devant l’hôtel particulier, l’Osteiner Hof. Sur le balcon central se tenaient les maîtres de cérémonie derrière un micro. A l’heure précise, toutes les voix ont compté à l’unisson. 5 ! 4 ! 3 ! 2 ! 1 ! Puis une forêt de mains droites a fait trois saluts scandés par les HELAU ! HELAU ! HELAU ! Après la proclamation de la charte de carnaval dans un silence impatient, les bombes à confettis et les cris joyeux ont éclaté. Les serpentins se sont envolés, les bouteilles de bière entrechoquées.

Etant peu adeptes des foules, déguisées ou pas, nous ne nous sommes pas laissé aller. Après la cérémonie, nous avons joué des coudes pour atteindre une pâtisserie et ses beignets. La deuxième année nous avons fait l’impasse.

Ce matin, curieuse et masquée, je suis descendue en ville pour pouvoir vous raconter comment se passe le Elfter Elfter (11/11) en période de confinement partiel. Je ne risquais pas grand-chose : tout regroupement est interdit. Je peux faire ma maline et être plus mayençaise que les copines.

Le ciel blanc diffusait une lumière blafarde de jour de neige, sans le froid associé. En début de matinée, j’ai pu trouver dans un tram calme une place assise avec l’Abstand (la distanciation sociale, ici de 1.5 à 2 m) de rigueur. Dans les rues, les premières décorations de noël ne compensaient pas les terrasses de café fermées et les vitrines éteintes des restaurants. Signe d’une journée particulière : plusieurs passants portaient une écharpe couleurs de Fastnacht (rouge, blanc, bleu, jaune), ou une grosse médaille sur une ficelle bariolée. Parfois leur masque portait les mêmes rayures. Dans une rue du centre piéton commerçant, une queue ordonnée et espacée s’allongeait devant un bâtiment quelconque que je n’avais encore par remarqué. C’était le siège du Mainzer Carneval Club 1838 e.V. .

Le théâtre ce matin. Vorhang zu und alle Fragen offen : le rideau est fermé, les questions restent ouvertes.

Après avoir flâné dans des rues oubliées depuis plusieurs semaines, je me suis dirigée vers la Schillerplatz. En face du théâtre fermé, j’ai acheté du pain d’épices de qualité (Lebkuchen). C’est un magasin temporaire qui vend des glaces en été. (Oui merci, de ce côté-là nous sommes équipés, pour notre consommation locale et les envois familiaux, si les petites mains ne trouvent pas la cachette). Après avoir remonté une Ludwigstrasse vide, derrière un arlequin aux cheveux gris, je suis arrivée juste avant 11h11.

Osteiner Hof derrière le Fastnachtbrunnen (fontaine de carnaval) qui cache le balcon.

Devant l’Osteiner Hof, blanc et rouge brique, comme beaucoup de bâtiments anciens de Mainz (y compris l’Institut Français à proximité), des petits groupes de deux ou trois personnes attendaient, dispersés. Les consignes de sécurité, distances et masques, étaient respectés. Des curieux comme moi ou des carnavaleux fanatiques qui, bravant l’interdiction, allaient exploser bientôt ?

C’était un attroupement décousu et sans liesse. Les portables se tenaient prêts à filmer. Un couple assorti en déguisements traditionnels verts posait avec leur bébé devant la fontaine (sans eau) pour un journaliste. Deux copines grenouilles marchaient côte à côte. Une dame sous un parapluie rouge bordé de ballons haranguait ses voisins. Des copains assis sur les bancs entre les troncs écaillés des marronniers buvaient des bières dans des gobelets en plastique.

Soudain ce fut l’heure.

Une voix d’homme au micro a rappelé qu’aujourd’hui il n’y aurait pas de cérémonie. Merci de la regarder en ligne.

Les badauds, qui n’attendaient que ce signal, ont scandé HELAU ! HELAU ! HELAU ! en agitant la main. Devant moi une bombe à confetti minuscule a éclaté. Derrière, une autre. Deux groupes se sont interpelés et ont trinqué à distance.

Voilà. C’était calme et bon enfant. La voiture de police garée devant n’a pas eu à intervenir.

Je suis repartie pour l’autre bout de la place, attendre mon tram. Des feuilles de marronniers tombaient derrière la statue de Schiller vert-de-gris. Les flâneurs passaient leur chemin. A la fenêtre d’un appartement, un visage dans l’ombre regardait la place en contre bas, derrière des jardinières décorées en rouge-blanc-bleu-jaune. A l’étage du dessus, une jeune fille accrochait au rebord de sa fenêtre ouverte le bout de serpentins aux couleurs fanées. Elle se penchait pour les laisser couler le long de la façade.

Ça fait un peu pétard mouillé cet attroupement doux-amer. Beaucoup de Mayençais (comme les habitants de toutes les villes de carnaval de Rhénanie) doivent être déçus de ne pouvoir faire la fête aujourd’hui. Mais si j’en crois les blagues qui circulent sur Whatsapp ils ont l’air de le prendre avec humour.

Sur le site de la radio et télé locale SWR, j’ai vu les photos prises par le journaliste : le couple en vert, la dame sous son parapluie… des photos que j’avais envie de prendre mais que je n’ai pas osé faire. D’après lui 100 à 150 personnes étaient présentes. J’aurais dit moins, mais je n’ai pas l’habitude des dénombrements de foule. Sur cette place clairsemée, il était intéressant de le voir à l’œuvre. Ce n’est pas si souvent que c’est possible. Le besoin de faire reportage sur l’absence dénote la taille du manque.

(En passant sur le site de SWR j’ai été happée par une recette de gratin de pommes de terre au Lyoner. Ce n’est pas un habitant de Lyon découpé en tranches fines, mais une grosse saucisse. Il y en a chez le boucher du marché, mais on n’a pas encore gouté).

Statue de Schiller sur la place du même nom, au fond : l’Osteiner Hof

Maintenant que les festivités sont officiellement ouvertes en Rhénanie, les préparatifs vont s’intensifier. Bricolage des calendriers de l’Avent (avec 24 petits cadeaux pour chacun des enfants, les veinards) et des Adventkranz, la couronne de l’Avent en branchages ornée de quatre bougies (une pour chacun des dimanches de l’Avent). Les enfants n’ont pas pu défiler en chantant dans la nuit avec leurs lanternes pour la saint-Martin (aussi le 11/11). Mais il reste encore des plaisirs que le corona ne confisquera pas !

Influencée par mon environnement (et motivée par mes expériences passées frustrantes) je m’améliore côté anticipation. Les quatre bougies rouges sont dans un placard (yes !). La semaine prochaine au marché j’achèterai la couronne de verdure (un jour il faudra qu’on apprenne à la faire vraiment). Nous la décorerons avec les enfants. Côté calendrier de l’Avent, on se contente de (beaucoup trop de) chocolats et de fudge. Les petits cadeaux chez nous sont, à l’anglaise, dans les stockings, au matin de Noël (si on a été sage, sinon on trouve des morceaux de charbon). L’heure est au Christmas Cake, ce gâteau épicé riche en fruits secs qui cuit trois heures. Rappelez-moi d’acheter des raisins de Corinthe.

Hier au collège, les élèves ont pu commander pour 1 € une petite figurine de Nikolaus en chocolat. Elle sera livrée le 6 décembre de sa part à l’ami de son choix, dans sa classe, une classe voisine, ou même un autre Gymnasium de Mainz. Ma plus jeune avait pris son portemonnaie. La queue était si longue qu’elle a dû renoncer pour aller en cours.

L’actualité de Mainz comprend deux autres nouvelles : l’annulation prévisible mais regrettée du marché de noël, et le communiqué du laboratoire Biontech sur ses avancées sur le vaccin contre le corona. Il sera conditionné dans des flacons de verre fabriqué par Schott, une autre entreprise de Mainz. Notre ligne de tramway passe devant le siège (en verre) et les longues cheminées (en brique) d’une de leurs usines.

Quel plaisir d’écrire cela ! Les bonnes nouvelles ne courent pas les rues désertées. Je ressens presque une pointe de fierté chauvine et involontaire (car notre présence sur les lieux de ces progrès humains tient du hasard). Comme si Mainz m’avait adoptée.

Fastnachtbrunnen, avec de l’eau, en été

Pour fêter ça je vais accrocher des petites guirlandes lumineuses autour de la fenêtre de mon bureau. En ces temps gris, on peut tricher un peu non et rallonger la période de Noël ? ‘’D’habitude’’ – mais ce mot a perdu son sens – on attend le 1er décembre pour sortir les films, les livres et les disques de Noël. Aujourd’hui ma benjamine était patraque et du fond de son canapé elle m’a demandé de sortir Santa and co. Allez oui ! Même sans fêter le Elfter Elfter sur Zoom, on a tous besoin de lumières scintillantes !

Nouvel article sur femmexpat.com

Le coronavirus vu d’Allemagne : « chaque culture réagit différemment et il faut s’adapter »

Alles wird gut ! Tout ira bien !
Bannière faite par les élèves sur les grilles d’une école de Mainz

Pour lire l’article c’est par là :

https://www.femmexpat.com/rendez-vous-des-expats-confines/temoignages-dexpats-confines/le-coronavirus-vu-dallemagne-chaque-culture-reagit-differemment-et-il-faut-sadapter/

A tout bientôt ! Bis bald !

Lundi des Roses

Rosenmontag est le point d’orgue de la période de carnaval dans la vallée du Rhin. Cette année c’était le lundi 24 février 2020.

Ça y est c’est le lundi des roses, l’apothéose de Fastnacht (carnaval) ! Jour du Rosenmontagszug, la grande parade à Mainz, comme à Köln et Düsseldorf. Entre la ville nouvelle (Neustadt) et la vieille ville (Altstadt), 138 chars, groupes folkloriques et musiciens vont défiler sur plus de 7 kilomètres.

Un raz de marée jaune-bleu-blanc-rouge a envahi la ville. La foule déguisée (500 000 spectateurs) vibre au son des fanfares, des cris de ralliement. Helau ! Helau ! Helau !

C’est notre deuxième fois. On affiche l’assurance des Meenzer natifs (Mayençais en dialecte local). Objectif : être en ville dans les starting blocks avec les chars pour voir le lancement du cortège à 11 heures 11.

Avant de partir, maquillage et déguisement : ma grande est en Hermione Granger (avec des taches de rousseur qui hésitent entre l’acné juvénile et la varicelle de théâtre), ma benjamine en Cléopâtre (oui, comme l’an dernier, mais sans perruque, elle gratte) et mon grand, qui nous a fait le plaisir d’arriver pour ses vacances, est maquillé par ses sœurs. On dirait qu’il s’est endormi le visage sur un tableau de Mondrian encore frais.  Et moi, j’accompagne tout ce monde, déguisée en maman du lundi.

On s’équipe d’un sac en tissu chacun (hé, hé, cette année, on sait !), et hop direction le tram (attends, on va prendre un parapluie). A l’arrêt, encore peu de monde, c’est le début de la journée, et les festivités sérieuses ont démarré jeudi dernier. La poubelle déborde et témoigne des activités nocturnes, même dans notre quartier endormi. Le gros des troupes de fêtards n’est peut-être pas encore éveillé.

Le tram tient de la roulotte de cirque. Trois clowns emperruqués de plastique rouge frisé discutent avec une coccinelle. Des soldats de pacotille, en costume traditionnel des gardes de carnaval bleu-rouge-jaune-et-blanc (rouge et blanc pour le blason de Mainz) font des selfies. Ils écoutent une chanson stridente que mes filles connaissent. Autour de leur cou les colliers-médailles également traditionnels – rappellent à la fois la bricole souvenir des boutiques de gare et le hochet. Un safari kenyan de girafes en grenouillère tient salon. L’ambiance frétille déjà.

Nous quittons le tram au même arrêt que les gens déguisés en route pour rejoindre leur troupe. Les flots humains nous canalisent sous les platanes. Nous traversons une équipe de Cléopâtre sur le retour (tu crois que ce sont des perruques ? ouah elles sont trop belles !), des gardes avec leur collants blancs, poignets de dentelles, tricornes colorés.

Pour rejoindre notre poste d’observation, au tout tout début du cortège, nous longeons en coulisses, les chars et groupes folkloriques costumés qui attendent leur départ. Tout ça se prépare par équipe en riant, la bière à la main. Le centre-ville est condamné à la circulation. C’est qu’il faut le loger tout ce monde ! Tiens regarde là c’est le canard qui va clôturer le cortège, le numéro 138, die Zugente, un jouet de bord de baignoire dopé aux engrais chimiques, et coiffé du tricorne de Fastnacht.

Les rangs des spectateurs sont encore suffisamment clairsemés.  Nous nous glissons entre une petite fille armée de confetti et un bébé-lion en poussette. C’est un coin familial protégé des débauches sauvages du centre-ville. Les premiers chars sont en place. Mes filles comme les enfants alentour tendent le cou vers la route en serrant dans les mains leur sac vide.

3, 2, 1 PAF ! Le canon-lance-confetti-et-serpentins a envoyé sa charge de papier arc en ciel sur la foule ! Il est 11 heures 11 : c’est parti ! Les chars entament leur longue caravane, navires urbains tirés par les tracteurs des agriculteurs de la région. Les équipages déguisés, armés de bouquets de mimosa (oh comme j’aimerais plonger mon nez dans leurs flocons duveteux) saluent et crient des Helau ! en réponse à la foule. Comme les autres spectateurs nous nous prenons au jeu : c’est à qui saluera le plus fort et attirera l’œil d’un des lanceurs de bonbons.

Les chars, les grosses têtes, les majorettes, les clubs de carnaval, de musique, de sport – Mainz 05 le club de foot, les clubs d’aviron – se succèdent… Ils avancent de quelques pas puis s’arrêtent dans un ballet au ralenti sur une musique de fanfare. Certains bébés en poussette décorée accompagnent leur parents dans le défilé. Des montagnes de munitions en sucre sont rangées sur les chars. Chaque équipe de cortège à pied traine une petite cariole avec de quoi se déshydrater en route. Plusieurs des musiciens ont un gobelet en plastique au bout d’une sangle suspendue à leur cou ou accroché à leur costume. Sait-on jamais quand l’occasion d’une bière peut se présenter ? Des verres pleins moussent en équilibre sur le bord des chars et menacent de chavirer.

Certains chars ont des thèmes politiques. L’an dernier la reine d’Angleterre quittait d’un bond son île pour demander l’asile à l’Europe continentale. Cette année, elle trône, derrière son Premier Ministre qui, tel un gamin en voyage scolaire en bus, lui montre élégamment son postérieur dénudé tout en souriant au Brexit. Hong Kong se fait dévorer par le dragon chinois. Donald Trump siège en empereur Néron devant la Maison Blanche en flammes, la lyre-portable à la main dans un bouquet de tweets.

Nous apercevons le bras articulé de la caméra de la télévision qui va filmer le défilé par le haut pour une retransmission urbi et orbi. Certains habitants déguisés à leur fenêtre profitent également d’une vue plongeante sur le cortège. Tiens regarde, le vampire du 3ème étage là-bas. Il a accroché le manche d’un parapluie à une corde et il le fait descendre à l’envers pour récolter du butin lancé par les chars.

Des gouttes tombent d’un ciel gris. Tous les couvre-chef s’emballent de charlottes en plastique transparent. Les troupes paradent sous cellophane. Ne cherchez pas les sacs aux caisses des magasins. Dans un exode concerté ils se sont tous retrouvé ici, à la fête. Méduses médusées par la foule multicolore. Même certaines clarinettes ont droit à leur protection. Des groupes ont anticipé les gouttes et défilent avec des parapluies aux couleurs de Fastnacht : rouge, jaune, bleu et blanc.

C’est d’ailleurs légitime. La météo grisouille, une bruine froide tombe et mouille. Ma fille – celle qui refuse de mettre sa capuche – s’exclame en regardant les majorettes aux jambes presque nues : « Elle doivent avoir très froid ! ». Nous allons rester jusqu’à ce que nos doigts et nos orteils ne puissent plus trop bouger, mais eux, sur la chaussée, en ont pour de longues heures de piétinement souriant sous la pluie.

Dans un grand élan populaire les habitants de Mainz se laissent aller à fêter Fastnacht. Les spectateurs sont presque tous déguisés (à part moi semble-t-il). Derrière nous deux grappes de raisin (en ballons) discutent appuyés contre le mur. Un monsieur couvert de tickets de caisse (?), un prêtre, des animaux en grenouillère à perte de vue (gros succès la combinaison intégrale, et on le comprend : déguisement express, intégral et chaud). Un agent du FBI marche à côté de deux agents de police (sont-ils vrais ?). Un petit garçon ingénieux a passé une sangle de son sac en tissu autour du cou, pour le remplir comme une poche de kangourou.

Cela m’a surpris l’an dernier : les costumes sont majoritairement made in China. Je m’attendais à une proportion plus importante de déguisements-maison. J’essaie vraiment d’éviter de l’écrire, car je ne veux pas passer pour la rabat-confetti de service, ni m’attirer les foudres des dieux du carnaval, mais qu’est-ce que c’est moche tout ça ! Autant l’enthousiasme partagé est sympa, l’élan collectif boute-en-train attachant (dans son aspect bon enfant, pas dans la version alcoolisée de la médaille) autant l’aspect visuel des défilés laisse penser que la mise en scène a été confiée à un marionnettiste facétieux qui aurait gardé les yeux fermés et bouché ses oreilles.

La pluie se confirme. Mes équipements s’émancipent : mes doigts mouillés et gelés perdent leur dextérité et mon téléphone humide ne prend pas les photos que je souhaite. Allez les enfants on va rentrer !

Non non, regarde, là-bas le char-bateau de Braüse arrive ! La Braüse c’est une poudre blanche acide (inoffensive) dont les gamins raffolent. Conçue comme une limonade en kit, elle est désormais consommée telle quelle, soit en poudre dans de petits sachets aux décors rétros (avec un petit marin à béret à pompon), soit sous forme de bonbons. Les marins du char lancent du butin (Helau !) et des centaines de mains grandes et petites s’agitent en l’air puis vont fouiller les caniveaux mouillés pour récolter ce qui leur a échappé. Aïe ma fille a pris un bonbon-projectile au coin de l’œil.

Après un tiers du cortège, le bout de mon nez a perdu en degrés et en sensibilité. Les enfants aussi ont froid, malgré notre parapluie à fleurs, et le manteau qu’ils ont accepté de mettre sur le déguisement (toujours un dilemme ça : être déguisé et avoir froid ou avoir chaud mais cacher son costume). Les filles renâclent à partir. « Mais maman, regarde, mon sac est presque vide ! »

Nous reprenons le tram en grelottant. Très peu de monde, et seules quelques rares personnes sont déguisées. Le flot général est dans l’autre sens. Des confettis dans les cheveux, je tente en vain de réchauffer mes mains. A l’arrêt où nous descendons, une foule en costume se presse pour descendre en ville. « Regarde maman, le groupe d’animaux, ils sont de mon école ! Eh, discrètement s’il te plaît !»

Rapide passage au supermarché pour un achat de dernière minute. Le visage-Rubik’s cube de mon fils attire l’œil et l’index d’une petite fille. Elle lui dit quelque chose qu’il ne comprend pas. Une employée empile des sachets de raviolis dans un frigo en discutant avec un client. Non, elle n’est pas allée au défilé et n’a pas prévu d’y aller ni plus tard ni demain. C’est pas trop son truc. Elle préfère travailler aujourd’hui. Vu le temps en plus….

Dans ce quartier tranquille, aucun signe de la cavalcade multicolore qui a pris d’assaut la ville. Des indices discrets laissent deviner que quelque chose se trame ailleurs. Les rayons du magasin sont inhabituellement vides à cette heure. Et une caissière-grenouille en grenouillère nous attend à la sortie.

Oui, aujourd’hui est bien le Rosenmontag.

Helau !

Le Rosenmontag est l’apogée de la période de Carnaval. Les étymologies diffèrent. Le dictionnaire Duden propose deux origines au nom de ce jour qui précède Mardi gras et où ont lieu les principaux défilés. La première fait allusion à un verbe de dialecte rhénan : rasen (chahuter, se déchaîner, déborder, se comporter de façon sauvage), déformé par la prononciation en rosen. Rien à voir avec les fleurs. La deuxième interprétation en revanche a un lien direct avec les roses. Depuis le 11ème siècle le dimanche de Laetere (quatre semaines après carnaval) le pape présentait à une personne importante une rose dorée consacrée. Les premiers défilés furent organisés à Köln dans en 1823 (ou 24 selon les sources) par un comité nommé Société des Roses. Par extension, le nom a été attribué à la parade principale de carnaval. Ces défilés organisés furent ensuite répliqués à Düsseldorf puis Mainz.

La tradition populaire a étendu la métaphore des jardins aux autres jours de la semaine de faste : Nelkensamstag (le samedi des œillets) Tulpensonntag (le dimanche des tulipes), Veilchendienstag (mardi des violettes ou mardi gras). Tout un bouquet en quelques jours !

Carnaval ou la 5ème saison

Mainz organise l’un des plus célèbres carnavals rhénans

A vos marques, prêts…. Déguisez-vous, maquillez-vous, riez, sautez, chantez, dansez ! En bleu, blanc, rouge et jaune ou ce que vous voulez. Lâchez (presque) tout !

Dès début janvier le carnaval frappe à la porte de Mainz dans une harmonie de couleurs primaires. Les serpentins impatients chassent les guirlandes de noël des rues et des magasins, et même des fenêtres de certaines maisons. Les beignets ronds (Berliner) conquièrent les boulangeries. Déjà en automne, en vertu de la (trop) grande anticipation des Allemands, le maquillage de fête et les bombes à paillettes s’étaient immiscés dans les rayons entre les Lebkuchen (pains d’épices) et les bougies. Confettis, visages et personnages de clowns de rigueur. Le carnaval est une fête de la débauche prise très au sérieux.

Il s’organise pendant de longs mois. Toute l’année pour les plus fanatiques du sujet, les membres des clubs de carnaval. J’en ai compté plus de 20 à Mainz. Pour le reste de la population, Fastnacht est lancé en grande pompe le 11 novembre à 11 heures 11 (vous vous souvenez ? voir article : Décalage horaire). Il fait une trêve pour les fêtes et reprend dès le 1er janvier pour s’achever le mercredi des Cendres (26 février cette année). Car à Mainz, un des fiefs de la fête, le carnaval s’appelle Fastnacht (de Fast : le jeûne, le Carême, et Nacht : la nuit). Ne PAS confondre avec Karneval, ça n’a RIEN à VOIR. Karneval c’est à Köln (Cologne), où le cri de ralliement n’y est pas Helau ! mais Alaaf !. Düsseldorf aussi est prise de folie en février. Chaque ville a ses chants spécifiques que tout le monde entonne. Le carnaval des villes rhénanes est une institution.

Comme ils le disent eux-mêmes, les Mayençais ont les confettis dans le sang. Dans les rues on peut croiser des sculptures de carnaval : le tricorne traditionnel sur un réverbère, un ours déguisé, un arlequin qui danse. L’imposante fontaine des fous, habillée de dizaines de petits personnages déguisés, préside sur la Schillerplatz à l’endroit même où est déclarée ouverte la période de Fastnacht, la cinquième saison.

Fastnachtsbrunnen, la fontaine des fous sur la Schillerplatz

Dès janvier, les Sitzungen commencent. Ce sont des spectacles extrêmement colorés organisés par les clubs de carnaval. Ils tiennent du cabaret et du café-théâtre où politique et rivalités de clochers ont la part belle, avec un fort ancrage local et souvent en dialecte. Un maître de cérémonie, des majorettes en goguette et une fanfare se chargent de l’ambiance. Le Moulin rouge rencontre la Fête de la bière dans un cirque. En patois rhénan. Autant dire que c’est difficile pour un étranger d’apprécier l’ambiance de ces soirées (surtout si on ne boit pas d’alcool). Et les places s’arrachent dès leur mise en vente, le 11.11.

Les clubs de carnaval décorent les chars, organisent les défilés. Pour financer la fête ils organisent des événements toute l’année, donnent des cours, tiennent une buvette à l’une ou l’autre fête, des fraises ou du vin. Leurs membres paradent souvent en costumes authentiques (pas des déguisements) faits main qui peuvent aller chercher des sommes folles. Des parodies d’uniformes militaires des temps napoléoniens. Dès septembre, ils organisent les sélections pour les Sitzungen.

Ces séances investissent tous les lieux d’une certaine capacité. Les grandes salles bien sûr : Palais des Princes Electeurs ou Rheingoldhalle (salle des spectacles) sur les quais du Rhin, mais aussi gymnases, réfectoires. Partout, plusieurs fois par jour. Un peu, à une autre échelle, comme le festival au mois de juillet envahit Avignon.

La cantine du collège a accueilli une soirée. La halle des sports de ma plus jeune est transformée en salle de spectacle depuis début janvier, avec scène, coulisses et décorations sur tous les murs. Les minettes en justaucorps ou legging font de la poutre sous un filet suspendu plein de ballons bleus, blancs, rouges et jaunes. Des organisateurs affairés entrent et sortent du gymnase pendant le cours pour s’assurer que l’ensemble fonctionne. Ils ont un air important et pénétré. Tout est prêt avec plusieurs semaines d’avance. Bien sûr une ou deux séances de gym vont sauter. On ne rigole pas avec les Sitzungen.

Les enfants sont (heureusement) très associés à la fête. Mainz organise le Jugendmaskenzug (défilé des enfants) auxquels participent les écoles et clubs de jeunes. Le plus grand du genre en Europe si on en croit l’office de tourisme. Départ à 14h11 (natürlich) le samedi 8 février dans la vieille ville. Pour ceux qui n’ont pas oublié de rendre leur formulaire au collège et se sont inscrits à temps (suivez mon regard – en même temps c’était avant Noël, et ma fille avait alors d’autres priorités entre autres culinaires ; voir article Gâteaux à gogo).  Donc notre grande aurait pu participer à des séances bricolage pour fabriquer son costume et défiler avec son collège. Notre benjamine peut encore choisir. A son dernier cours de gym, on lui a remis un petit formulaire pour préparer le défilé du coin. Venir avec des ciseaux et du scotch double-face pour créer le plus beaux des déguisements.

Le corso de Mombach (auquel se joint la gym) défile le Mardi Gras. Il clôt les festivités. Car chaque quartier de Mainz a son corso, un jour bien particulier. Gonsenheim ouvre le bal le samedi, suivent Finthen et Bretzenheim le dimanche. Le Lundi des roses (Rosenmontag), la parade des centaines de chars, grosses têtes et groupes folkloriques, point d’orgue de Fastnacht, défile pendant des heures (des heures !) dans le centre-ville de Mainz. Les participants, les Narren (les fous) s’interpellent à coup de Helau ! Helau ! Helau ! et se précipitent pour attraper les bonbons envoyés.

Seul Mardi gras est officiellement férié, mais carnaval commence le jeudi précédent avec le Weiberfastnacht, carnaval des femmes où elles ont le droit de couper les cravates des messieurs … A vos ciseaux mesdames ! La période intensive de déguisements et festivités déborde sur presque deux semaines. Fastnacht, la plus grosse fête dans la vallée du Rhin, est, comme Noël, fêté un peu partout : à l’école, dans tous les clubs de sport, de musique.

Nos amis mayençais ont ressorti leurs caisses de déguisements et perruques de toutes les couleurs, de toutes les tailles (et de tous les goûts) accumulés au fil des années. L’an dernier, nous n’avions rien à la taille des filles. Après réflexion concertée et sondage des copines, elles avaient jeté leur dévolu sur l’Egypte.

J’étais allée, novice, arpenter les allées du principal magasin de carnaval du centre de Mainz. TARATATA, TSOIN-TSOIN, TRIIIIIIT, ZIM BOUMBOUM, POUEEEETTT ! A peine entrée, les couleurs criardes et la musique de foire tapageuse m’avaient tétanisée. Comment trouver Cléopâtre parmi les centaines de déguisements présentés serré-serré sur ce qui semble des kilomètres de tringles sur deux niveaux et sur deux étages ?

Intimidée et un peu dégoutée par la caresse froide et froissée du plastique des emballages et les tissus en vrai synthétique qui me hérissent les cheveux, j’avais plongé les bras entre des tenues de pompiers, d’extra-terrestres et de lions…. Les flonflons m’arrachaient les oreilles. J’aurais eu besoin de passer en noir en blanc et en mode silencieux. Ne fallait pas que ça dure trop longtemps cette spéléologie dissonante, sous peine de repartir avec la migraine…

Cette année mes filles n’ont pas encore choisi leur déguisement phare. Ça ne saurait tarder : j’ai découvert par hasard sur la tablette des recherches d’idées secrètes. Je sens que bientôt je repartirai en croisade au temple de Mardi Gras.

A suivre très bientôt…

Un p’tit avant-goût de Fastnacht à la maison ? Il suffit de cliquer sur l’image des confettis (Konfettitaste) sur cette page . Pas besoin de sortir le balai. HELAU! (hé-la-ou !)

Triangle des Bermudes

Les étourneaux se déplacent en groupe, font et défont des formes bruyantes et éphémères. Comment font-ils pour voler toujours ensemble dans cette chorégraphie aérienne spontanée ? Quel danseur orchestre ce ballet sur quelle musique ? Un mouton longe paisiblement la barrière de son pré. Les autres vont-ils suivre ? Les poules et les canards s’ébrouent dans la boue de leur enclos. On vient d’ouvrir la porte de leur cabane. Cette nuit encore, le renard aura fait chou blanc. Les chiots de la ferme filent ventre à herbe dans le champ immense. Un matin comme tant d’autres dans la campagne anglaise. Je ne vais pas tarder à enfiler mes nouvelles bottes pour aller respirer l’an neuf.

Nous sommes dans le Somerset, sur la côte ouest de l’Angleterre, en face du sud du pays de Galles. Nous avons fini par réussir à franchir la Manche pour Noël. Epuisés par notre mois de Décembre et nos recherches vaines pour nous déplacer via Paris dans un contexte de grèves, nous avions d’abord renoncé à partir (voir article : Gâteaux à gogo). Nous avons même trouvé un train pour que notre grand garçon étudiant à Lyon nous rejoigne en Allemagne. Pendant qu’il roulait vers le nord, nous avons pu acheter des places pour Londres, en passant par Bruxelles.  C’est ainsi que nous sommes repartis tous les cinq le lendemain de son arrivée. Heureusement qu’il est étudiant, tolérant, habitué aux voyages et sait comment dormir et s’occuper dans un train (merci à lui !).

Nous passons chaque année Noël à Londres dans ma belle-famille et profitons du déplacement pour rester quelques jours de plus dans des coins que nous ne connaissons pas. Petite cure de vieilles pierres et de cream teas (thé accompagné de scones tartinés dans un ordre à choisir de confiture de fraise et d’une crème fondante et jaune comme du beurre, la très épaisse clotted cream). Marches dans la campagne.

Première étape cette année : acheter des bottes à toute la famille. Sans ça il ne faut pas imaginer sortir loin. L’humidité détrempe tout. Les écorces des haies du bocage et les planches des palissades prennent une teinte verte. La campagne est quadrillée de chemins (public footpath), qui longent les cours d’eau, traversent les pâturages (prière de tenir votre chien en laisse – ça tombe bien, on n’en a pas malgré la pression familiale). Partout les barrières sont équipées de marches en bois (les stiles) pour permettre aux randonneurs de les franchir sans ouvrir (ni oublier de fermer) un portail. Bien se tenir en mettant le pied sur la planche moussue sous peine de plongeon dans la boue.

Chouette les magasins sont ouverts le dimanche ! Après 18 mois en Allemagne, c’est un petit miracle ! On a tous pu trouver des Wellington boots (bottes en caoutchouc) à notre taille et barboter dans la boue collante. Menu plaisir dont je m’étais déshabituée en grandissant : traverser les flaques par le milieu, sentir son élan retenu par l’argile gluante. Voir disparaître ses pieds. Si je ne craignais pas de grelotter, j’irais volontiers pieds nus dans le chemin du bas, enfoncer mes orteils dans le velours de la boue noire.

L’Angleterre est une île humide. Mais la région où nous nous trouvons l’est encore plus – si possible. Les Somerset levels sont situés en dessous du niveau de la mer. C’est une zone de marécages, défrichée et drainée il y a plusieurs siècles par les moines de l’abbaye de Glastonbury. Les champs sont caressés par quantité d’eau : drains, petits canaux et ruisseaux. Ils miroitent par endroits, souvenir des récentes pluies. Les nuages se reposent dans l’herbe. Pâturages gras de moutons, exploitations de tourbe pour les jardineries. Réserves naturelles élues par de nombreuses espèces d’oiseaux et paradis des marcheurs à appareil photo à zoom immense et camouflé. L’ascension de la colline de Glastonbury (le Glastonbury Tor) visible de très loin, nous confirme que de haut en bas, la vue est également très vaste, à 360°. On comprend le rôle symbolique qui lui a été attribué pendant des siècles par les druides et autres personnalités spirituelles de l’histoire du coin. La ville garde une coloration ésotérique (est-ce le mot juste ?) très intense avec force boutiques de cristaux et d’articles de magie.

Nous profitons avec bonheur de cette parenthèse bucolique anglaise. Les fêtes de Noël se savourent presque autant (plus ?) a posteriori, dans le sillage du tourbillon. Comme en Allemagne, Noël dure trois jours : Christmas Eve (le 24 décembre), Christmas Day (le 25) et Boxing Day (le 26). Les deux derniers sont fériés. Cela laisse du temps pour vider les stockings, offrir, recevoir et ouvrir les cadeaux.

Cette année encore, pour Christmas Eve sous sommes allés voir une pantomime, tradition anglaise, aussi incontournable que le Nativity play (scènes de théâtre où des enfants jouent la Nativité, dans les écoles et les églises). La pantomime, c’est un conte parodié musical à grosses blagues, pour tous les âges et tous les goûts (même les plus mauvais). En général, au moins un personnage de femme est joué ostensiblement par un homme (dans un costume criard et vulgaire) et un rôle est tenu par une célébrité du monde du théâtre. ‘’Salut ! Je suis Muddles ! … cette année’’ : tous les acteurs jouent au deuxième degré, de façon tongue in cheek comme disent les Anglais (avec ironie, littéralement : la langue dans la joue).

Le spectacle est autant dans la salle que sur la scène. Les familles en pulls de noël et bois de rennes en tissu répondent aux acteurs selon des codes bien connus : ‘’He’s behind you !’’, ‘’Oh, yes he is !’’, ‘’Oh, no he isn’t !’’, ‘’Bououh ! ‘’ (dès que le méchant entre en scène), ‘’Ouououh’’ (dès que les amoureux s’embrassent) et autres exclamations collectives. Cette année dans notre théâtre habituel c’était Blanche Neige. Miroir, mon beau miroir…

En rentrant du théâtre, le thé nous attendait. Et le Christmas cake, celui fait par mon mari, et apporté d’Allemagne, (vous vous souvenez ? voir article Pot-pourri de Noël) et les mince pies (petites tartes aux fruits secs et aux épices, cousines en chausson de pâte du Christmas pudding). La soirée s’enfonce fort tard dans la nuit, dans les froissements des emballages de dernière minute et les chuchotements encombrés sur la pointe des pieds jusqu’au sapin.

Le soleil brillait ce matin de Noël-là (en fin de matinée hein, les jours sont courts là-bas, comme en Allemagne). Notre trajet dans le carillon des cloches vers la vieille église (anglicane) du quartier était doux. J’adore m’y rendre pour le carol service (célébration de Noël, où les chants sont les Christmas carols). Dans ma vie quotidienne, je fréquente peu les églises et seulement quand elles sont vides. A la recherche de paillettes de sérénité et de paix. Mais là je prends un réel plaisir à y retrouver du monde.

Tous le quartier s’y rassemble, c’est une activité sociale courante pour Noël, comme d’aller boire un verre chez les voisins ou des amis. Et les paroles des prêtres (vicars) qui officient (hommes et/ou femmes) sont ancrés dans la réalité humaine. Ils donnent l’impression d’une ouverture à la vraie vie (et pas de sa négation culpabilisante) pour nous aider à nous en extraire un petit moment par le haut.

Le prêtre dans son sermon a demandé aux gens présents : « Qui parmi vous porte un habit reçu ce matin ? Et qui a déjà mangé un cadeau de noël (allusion aux pièces en chocolat glissées dans les stockings) ? » Au moment de mettre le petit Jésus dans la crèche, il a aspergé les santons d’eau bénite et en a envoyé sur les personnes à proximité en disant avec un sourire : « Il en reste, on ne va pas la gaspiller ! J’espère que je n’ai pas abimé vos beaux habits de fête ». Tout le monde a ri. Et moi aussi. Entre mes larmes et derrière mon mouchoir. Cette cérémonie me touche beaucoup par sa simplicité et son accessibilité. Avant de se quitter, tout le monde entonne ‘’Hark the herald angels sing….’’

Une parenthèse de paix donc, mais aussi de petite remarque intérieure (réflexe allemand ? rappelez vous l’article Retour vers le passé) : ‘’Whaou ils sont vraiment modernes les Anglais !’’ A l’entrée de l’église un appareil high tech pour faire des dons en ligne avec une carte bleue, quête du 21ème siècle. (On a vu la même dans les musées gratuits, qui fonctionnent avec des donations).

Pour le déjeuner de Noël, nous nous sommes régalés – comme la plupart des familles – de dinde avec ses trimmings (ses accompagnements) : les pigs in blankets (ou ‘’cochons en couverture’’, de petites saucisses entourées de lard), la bread sauce (sauce blanche type béchamel épaisse au pain), la cranberry sauce, les pommes de terre, carottes et panais rôtis. Et les choux de Bruxelles, très bons avec des châtaignes et des lardons, que peu de monde aime et que pourtant toutes les tables accueillent. Y’a qu’à les voir bradés dès le 27 décembre !

Le dessert a été pris après le fromage pour honorer les Français présents, mes enfants et moi – sinon c’est avant. Nous avons flambé de bleu le Christmas pudding et tiré sur les crackers. Chacun tient d’une main sa grosse papillote en carton à pétard et de l’autre, en croisant les bras, attrape celle du voisin. PAF ! Tout le monde tire en même temps. S’en échappent, une petite couronne en papier coloré à porter pour le reste de la journée, une devinette (en général des jeux de mots sur le thème de Noël et des bonhommes de neige), une bricole inutile (casse-tête, mini crayon…).

Ensuite dans l’après-midi, nous nous sommes recueillis – comme de nombreux sujets britanniques – devant sa majesté la télévision où la Reine prononce chaque Christmas Day un discours d’une dizaine de minutes, bilan de l’année écoulée, et vœux pour celle à venir. Les paris vont bon train (enfin, ceux qui roulent – oups) sur la couleur de sa robe (bleu roi, comme il se doit).

Une belle fête de noël à l’anglaise donc, avec retrouvailles et apéro dehors au soleil (si, si !). On se sentait de retour at home. Pourtant lorsque je me suis exclamée quelques jours plus tard en route vers le Somerset : ‘’Bah elles sont crado les voitures ici !’’, je me suis dit que vraiment je commençais à avoir des réflexes germaniques. D’abord parce que depuis toutes ces années que je fréquente intimement l’Angleterre, cela ne m’avait pas marqué, et ensuite parce qu’en règle générale, les voitures, comme tout ce qui produit du bruit et des mauvaises odeurs, ne m’intéressent pas au-delà de leur utilité comme mode de transport.

Dans nos conversations avec nos amis anglais, j’ai constaté que pour mes filles et moi, les mots germains s’étaient mis pour la première fois à chahuter et bousculer leurs cousins anglais. Sans doute avons-nous dû faire des progrès en allemand et peut-être atteint un nouveau stade dans notre (dés-) intégration. Lorsque j’ai fait un aller-retour à Lyon en novembre (oui, désolée je n’ai pas pu voir tout le monde !), j’ai pu constater de nombreux changements depuis notre départ. « Tiens la presqu’ile s’essaie à limiter les voitures !? » « Ah ce restau que j’aimais bien a fermé ! »

Pas vraiment d’ici et plus vraiment de là-bas, avec toujours un fort attachement à l’Angleterre. Nous habitons désormais culturellement un no man’s land triangulaire ou plutôt, une contrée-rien-qu’à-nous. Un triangle des Bermudes entre la France (du Sud), l’Angleterre (du Sud) et l’Allemagne (du milieu).

Venez-nous y voir, si vous passez par là. Vous verrez c’est sympa !

Photo : le Glastonbury Tor

Deux mille vingt

Allez, quelques pas encore. J’aperçois le bout du chemin. Nous allons arriver au croisement.

Chère année 2019, nous allons bientôt nous séparer. Tu n’as pas toujours été tendre avec moi, je t’en ai même voulu de toutes mes forces. J’ai voulu te manger comme on mange aux dames, en sautant par-dessus, sans s’arrêter. Te doubler par l’intérieur du virage. Sans regarder en arrière, vers ces premiers mois en Allemagne qui m’ont grignotée de l’intérieur, poussée au bord du précipice, au bord de moi-même. Mon corps épuisé par ce remue-ménage (au sens propre) n’avait plus la force de se reposer. Et mon esprit ne savait plus vers quelle hypothétique fuite se tourner. Rentrer ? Partir dans un autre pays ? Rester ? Tout en étant consciente qu’il n’y a que le temps pour apprivoiser ce nouvel ailleurs, que l’on finit par s’habituer, et que l’impatience n’y fera rien.

Le temps prend longtemps. Il faut en perdre pour mieux se trouver et s’acclimater. Il a pris la majeure partie de tes jours, année 2019. Le temps de faire le tour d’un cycle, de répéter ces gestes nouveaux pour commencer à les transformer en habitudes. Abracadabra… Tes derniers mois ont été formidables de douceur et de partage avec nos nouveaux amis. Une belle récompense après tous ces tâtonnements sociaux que de saluer quelqu’un que l’on croise au marché, ou de devoir choisir entre plusieurs invitations chez des gens que l’on apprécie.

Continue ta route, lâche-moi la main je te rends ta liberté. Je tâche de te pardonner. Et de me pardonner à moi aussi, ces incertitudes et cette rébellion intime bien involontaire. Retenons les rencontres et les découvertes, les apprentissages et les fous rires familiaux. Nous avons fait nôtres les réflexes sociaux-culturels majeurs dans notre nouveau pays. Les filles sont trilingues même si bien sûr l’écrit allemand reste perfectible. L’école a cessé d’être un défi quotidien. Elles ont plein de copines. Nous savons qui éviter et qui inviter. Conquis par la façon allemande de se saluer (entre gens proches), nous donnons l’accolade sélective. C’est tellement plus sincère et sympa que le toucher de joues pour la bise incontournable.

Bienvenue année 2020. Je te serre donc dans les bras. Toi l’année qui donne envie de jouer avec les chiffres. Deux zéro deux zéro. Deux deux et deux zéros. Quatre au total. Zéro si on les soustrait. Equation de la nouvelle décennie. Un équilibre dans la rondeur, dans la répétition et la parité.

Tu te souviens quand on calculait l’âge qu’on aurait en l’an 2000 ? Aperçue dans la science-fiction lointaine du début de l’âge adulte, cette étape de l’existence dans l’arbitraire du temps qui passe s’est fondue dans les souvenirs. Quand elle était petite fille, ma mère calculait déjà en sautant à la corde avec ses copines quel âge elles auraient en l’an 2000. Ça aurait pu être 56 ans.

Tu te rappelles l’âge qu’on avait en l’an 2000 ? Je ne me souviens plus tout à fait de mon âge, mais tellement de la naissance de mon fils – qui aura 20 ans en l’an 2020. Et de celle de sa maman. Déjà une année toute en rondeur, celle de mon ventre.

Mes filles sont nées en 2007 et 2010. Pourquoi ne dit-on pas, en ce début de siècle comme en celui du dernier, ‘’mes filles sont nées en 7 et en 10’’ ?  Il y a 100 ans, les années n’étaient repérées que par des dizaines et des unités. Ma grand-mère maternelle est née en neuf. Mon grand-père paternel en vingt et un. ‘’On est partis comme en quatorze’’. Cette façon de mentionner les dates s’est envolée avec les chapeaux des messieurs et les corsets des dames.

Nous allons donc changer d’année. La belle affaire. Ce symbolisme arbitraire n’est lié qu’au décompte choisi par l’Occident pour répartir la vie humaine sur les saisons cosmiques. Effort vain de maîtriser les gouttes du temps qui coulent entre les pages du calendrier. Voilà déjà plusieurs jours que la lumière quotidienne grandit. Le 31 décembre ne représente rien de spécial pour moi.

Je ne suis pas de celles ou de ceux qui prennent des résolutions au 1er janvier. Quel intérêt à ce symbolisme à part celui avoué de commencer un 1.1, et plus hypocrite, de retarder une décision que l’on sait importante mais qui nous coûte trop ? Si une action est importante pourquoi attendre ? Le premier pas vers la nouvelle habitude ne gagnerait-il pas à être fait dès aujourd’hui ? ‘’Demain’’, le ‘’1er janvier’’ débordent d’intentions, auxquelles on ne croit pas vraiment, et dont on espère tout bas qu’un miracle nous libèrera avant le moment venu pour nous de les accomplir.

La rentrée scolaire m’a toujours transmis l’énergie du renouveau pour un changement d’habitude. Son symbolisme s’ancre dans un pragmatisme bien réel. Je veux apprendre à chanter ? Tant mieux c’est le moment des inscriptions dans l’école de musique du quartier. Pour concrétiser cette envie, il ne me coûtera que le premier pas vers la classe de chant le jour des portes ouvertes. Cet impératif de date s’écroule d’ailleurs en Allemagne où – sous réserve de places disponibles – les inscriptions sont possibles toute l’année. Ma benjamine a rejoint un cours de gym fin novembre. Un cours d’essai, quelques papiers, pas de certificat médical. Ouf ! Il ne nous reste qu’à penser aux chaussons le jeudi.

Si je veux aujourd’hui m’autoriser enfin à exister, et cesser d’attendre que d’autres m’octroient cette hypothétique permission, pourquoi ne pas essayer de changer mes réflexes dès maintenant ? Défaire une par une les couches empilées pour me fondre dans la masse et faire ce que les autres attendent de moi. Petit à petit soulever les étiquettes collées par des regards pas toujours bienveillants pour retrouver le noyau de ma personnalité. Il ne demande qu’à pousser dès qu’il retrouvera la lumière du jour.

Donc exit la tentative de résolutions au premier janvier. C’est comme la soirée de la Saint-Sylvestre. Je n’ai jamais compris cet impératif de ‘’faire la fête’’ à une date précise, sans autre prétexte que l’arbitraire d’un décompte sur le papier. Aucun événement historique à commémorer. Pas d’anniversaire particulier. Le froid bloquera pour encore quelques semaines humides l’éclosion des premiers bourgeons.

Faute d’y trouver mon compte, j’ai arrêté depuis plusieurs années de céder à la pression collective de me coucher tard après une soirée grégaire et bruyante. Je suis d’un caractère introverti et mon idée d’une bonne soirée est plutôt de me protéger du bruit et d’éviter de compromettre par un coucher aux aurores ma journée du lendemain.  Je préfère désormais accueillir le recueillement de la nuit et profiter des quelques heures de lumière que les nuages voudront bien me laisser le 1er janvier. Passer une bonne soirée entre amis ? Avec plaisir, mais quand l’envie et l’humeur m’en prennent. Et jusqu’à l’heure que je veux.

Mais les mois gris et sombres peuvent sembler bien longs. Les Allemands s’offrent un peu de lumière et de chaleur dans la nuit avec la tradition du Feuerzangenbowle (mot imprononçable composé de trois mots : feu, pince, punch aux fruits). En travers d’une marmite de Glühwein aux agrumes (vin genre sangria), maintenue au chaud sur une flamme, est posée une sorte de longue cuillère plate en métal. Elle accueille un pain de sucre (on se demandait à quoi servaient ces cônes à l’ancienne aperçus au rayon pâtisserie). Arrosé régulièrement de rhum et flambé, il fond dans le vin parfumé. Ça prend du temps, celui de discuter avec ses voisins, et de regarder filer les nuages devant la lune. Nous avons découvert cette tradition de la fin d’année chez des amis, dans le halo d’un feu de camp. Feuerzangenbowle il paraît que c’est aussi le titre d’un film des années 40, du genre classique que tout le monde connaît. Nous tâcherons de le regarder pour éclairer une longue soirée de janvier.

En définitive, se souhaiter une bonne année, n’est-ce pas, jolie tradition collective, se donner de l’élan pour traverser l’hiver, tricher avec la nature en inaugurant le renouveau dès le 1.1 ? Guten Rutsch ! comme disent les Allemands pour se souhaiter un bon changement d’année (littéralement : bonne glissade) .

Alors puisse le rideau de la nouvelle année se lever sur la douceur d’un pâle soleil derrière la silhouette mordorée des arbres nus. Que 2020 soit moins prévisible et convenue que son apparence sur le papier, mais fantaisiste comme son 29 février et rassurante comme son équilibre visuel. Pour qu’on puisse se dire a posteriori : ‘’N’aurait pas pu mieux faire, 2020 a donné tout ce qu’elle a pu’’.

Je vous souhaite 366 journées vingt sur vingt.

Gâteaux à gogo

C’est quoi Noël ?

A quelques jours du 24 décembre je me pose la question. Oui c’est quoi Noël ? Et surtout, sans parler de cadeaux, qu’est-ce que je veux, moi, pour Noël ?

Chaque année le mois de décembre me rabote l’énergie. Quand on a la chance de ne pas être seul, beaucoup trop d’activités s’enchaînent dans un compte à rebours tendu.

Voilà quelques temps, la classe de ma benjamine avait organisé son barbecue dans la forêt (vous vous souvenez la cabane dans la nuit ?). La fête de la classe de la cadette, a pris cette semaine la forme d’un barbecue avec buffet apporté par les parents dans la cantine du collège. En présence de la classe des correspondants français. Rendez-vous à 17h (‘’C’est quoi ça c’est le goûter ?’’) Grand sapin décoré, étoiles illuminées aux fenêtres, plants de Weihnachtsstern (‘’étoiles de noël’’, les poinsettia rouges et verts) sur les tables.

A peine eu le temps de grignoter un p’tit bout en saluant quelques parents (j’avais apporté des saucisses déjà-trop-cuites), qu’il a fallu filer. Direction le concert de l’Avent de l’école de musique de ma grande fille. Vite on pédale dans la nuit. Allez, une dernière bouchée et on entre. On quitte ses chaussures puisque l’audition se tient dans une maison privée. Ma fille et moi nous hâtons au piano pour une dernière répétition (mince pas le temps de me laver les mains). Les flûtistes en chaussettes se succèdent devant leurs familles (tout autant en chaussettes). Les jeunes musiciennes (tiens que des filles !?) donnent une impression de maîtrise ; elles doivent avoir l’habitude de jouer en public et ensemble. Pour ma grande à la flûte et moi au piano c’est notre première audition allemande et notre interprétation (merci pour votre compréhension Monsieur Tchaïkovsky) trahit parfois notre émotion.

Pour chacune des fêtes bien sûr, nous avons fait des gâteaux (pas de noix, attention aux allergies et merci maman de les faire présentables, comme ceux des petits Allemands). Les deux dernières semaines se sont enrichies de la fête de la gym, du restau de l’atelier de poterie, de l’anniversaire d’une amie… Des rendez-vous sympathiques et joyeux sous le signe des Plätzchen, du Glühwein et du punch chaud pour les enfants et tous ceux qui veulent (miam, les jus de fruits épicés et chauds). Côté biscuits nous nous sommes consacrés aux Vanillekipferln (petits sablés en forme de croissant aux amandes et à la vanille). Nos amis courageux produisent des centaines de petits biscuits de tas de variétés différentes et les offrent dans de jolis petits sacs.

Et dans cet espace-temps saturé, les préparatifs des fêtes cherchent des interstices où s’immiscer. Acheter les cadeaux pour tout un chacun (si possible en cachette, si possible attentionnés), les emballer nuitamment, penser à l’organisation de la réception, aux détails de voyages internationaux… Envelopper un par un les dizaines de petits riens des stockings de noël…

Incorporez à cette salade russe d’activités en tous genres, la couche épaisse et sucrée de deux anniversaires d’enfant. Nos deux filles sont nées dans la deuxième quinzaine de décembre, à une semaine d’écart. S’ajoutent donc là aussi des cadeaux (différents de ceux de Noël, merci de faire preuve d’imagination), là aussi des gâteaux, là aussi des décorations et des menus précis… et bien entendu, des attentes élevées qu’un parent ne veut pas décevoir.

Pour éviter l’implosion familiale générale, la fête avec les copines de notre cadette est décalée au mois de janvier. L’autre anniversaire sera célébré le premier jour des vacances (un gâteau peut-être si on veut planter des bougies ? Une fête à organiser dans les détails pour une petite fille très précise ?).

Pour les parents impresarios-pâtissiers les gâteaux d’anniversaire en Allemagne sont un défi terrible. Y’a qu’à voir le buffet sucré des fêtes d’écoles. Les productions familiales n’ont rien d’amateur. Les gâteaux impeccables et appétissants sont transportés dans des boites en plastique catégorie équipement professionnel. D’ailleurs la première année nous ne savions pas et avions apporté (dans des boites IKEA dépareillées) des bouchées de rocky road (mélange fondant-croquant de chamallow, noix, chocolat et autres sucreries…). C’est délicieux mais ça ne ressemble à rien (ou vaguement à des roses des sables ou autres bien nommées ‘crottes de rennes’). On s’est aperçu que les mamans du buffet les donnaient gratuitement. Et on a retrouvé nos cucumber sandwiches du buffet salé (ben on voulait faire original) à peine entamés, isolés sur leur assiette.

La semaine dernière ma grande a passé la soirée avec son correspondant à faire des cupcakes pour sa classe. Comme nous n’avions pas assez de petits moules pour deux classes (et oui les Allemands et les Français en visite), ils ont placé la pâte dans des coupelles de papier. Faute de résistance latérale, en gonflant les gâteaux se sont étalés. Son père et moi avons décoré et emballé (toujours dans nos boites dépareillées et trop petites) les cupcakes trop plats. Ma fille hésite à les emporter. ‘’Ils sont ratés ! Si tu voyais ce que font les autres… Leurs gâteaux sont parfaits !’’. Elle demande à sa sœur : ‘’Tu oserais, toi, les emporter à l’école ici ?’’ Et la coquine qui répond : ‘’Non, mais moi j’aurais pas fait des cupcakes aussi moches’’. J’insiste ‘’Mais ils sont délicieux, au moins on voit qu’ils sont maison. Dis-leur qu’ils représentent la carte de l’Europe, qu’il ne manque que l’Italie car on l’a mangée’’…

Elle finit par céder et part avec. En rentrant du collège elle me tend le sac : ‘’Tiens maman’’. Il est toujours aussi lourd. Les boites n’ont pas été ouvertes. Elle n’a pas osé montrer ses gâteaux.

Hier soir nous avons donc fait des brownies (attention maman, tu te souviens, pas de noix !). Pour les DEUX anniversaires et les DEUX classes de mes filles (entre temps les Français ont trouvé un TGV pour rentrer). La double censure écolière a validé leur aspect.

Ma grande a rapporté de l’école un moule tout vide (ouf, et d’une !). La plus jeune ? Elle me rend les boites PLEINES. Elle n’a pas osé les sortir (rapport au programme du matin, parait-il peu compatible avec un soufflage de bougies … sauf qu’ils ont regardé Harry Potter…). Et… elle nous réclame un deuxième tour à la rentrée (mercredi steuplait).

Retour sur les préparatifs de Noël.

Nous devons donc partir dans quelques jours en Angleterre en train via Paris, où mon grand fils nous rejoindra sur le quai de l’Eurostar. Enfin, nous devions y partir car en raison des grèves en France nos trains sont annulés.

Nous voilà donc le dernier jour d’école avec, dans une hotte beaucoup trop lourde, toutes les espérances des lumières de Noël et des vacances de nos enfants et tout remis en cause.

Ce changement brutal de dernière minute, dans un contexte de tourbillon d’activités et de fatigue, m’oblige à me poser cette question : c’est quoi Noël ?

Retrouver un bout de famille, être ensemble pendant quelques heures ou quelques jours, suspendre le quotidien pour se lancer dans une course encore plus folle avec des échéances tendues et des objectifs trop élevés, faire le point sur les actualités de chacun, parler avec ceux qu’on ne voit pas souvent, sourire avec certains, et s’efforcer de le faire avec d’autres. Essayer de composer avec trop d’attentes et nier les frustrations. Profiter des bons moments. Finalement quand on a un certain caractère, et surtout si on a des enfants, Noël c’est s’occuper des autres et s’oublier soi. Et ça c’est dangereux. Je l’ai appris à mes dépens.

Du coup je ne sais pas quoi décider : qu’allons-nous faire pour les fêtes ? Rester chez nous en Allemagne ? Sommes-nous suffisamment installés en Rhénanie pour y fêter Noël ? En même temps cela contribuerait sans doute à confirmer notre intégration. Et nous avons plein d’amis sympas qui restent dans le coin qui seraient ravis de nous voir.

Mais sommes-nous prêts à renoncer à nos racines et à nos habitudes pour cette fête symbolique ? Nous avons un furieux besoin de repos certes, mais aussi d’évasion. De repos psychologique où nous ne sommes pas en permanence en phase d’adaptation et où nous pouvons nous exprimer facilement.

Alors partir ? Mais comment ? Et de quel côté de la Manche ?

D’un côté une maison-coquille où l’absence d’une maman qui n’a jamais été grand-mère crie trop fort. De l’autre une maison où l’absence d’une maman qui a été si peu grand-mère accroche à chacun de nos pas, comme celle d’une sœur qui fut si peu tante. Et où les valeurs tellement différentes des miennes (et ça n’a rien à voir avec la nationalité) me contraignent à l’apnée, pour essayer de m’adapter sans me perdre complètement.

Et surtout, quand et comment vais-je retrouver mon grand garçon ?

Je n’ai pas la réponse, mais dans l’immédiat, je sais ce qu’il me reste à faire. Enfourcher mon vélo et aller acheter du beurre et du chocolat à croquer. Un ravitaillement s’impose pour les pâtisseries de demain.

Un gâteau après l’autre.

Der Advent, l’Avent

Ich wünsche euch einen schönen 1. Advent ! (Je vous souhaite un joyeux premier dimanche de l’Avent !)

Les fêtes en Allemagne sont importantes, et l’avent (der Advent), le mois précédant Noël, est le temps où le charme lumineux du pays fait oublier les jours courts et la grisaille. Cette période est vraiment singulière en Allemagne. Différente de la fête de Noël à proprement parler. Toutes les maisons se parent dès fin novembre, et allument le premier dimanche de l’Avent, une bougie de la couronne du même nom. Chacun des quatre dimanches, les gens se souhaitent ainsi de passer une bonne journée, dans la magie d’une flamme vivante pour compenser les nuits de plus en plus longues.

Ces quatre semaines se passent dans les odeurs de branchages de sapin (Nordmann et Nobilis de ce que j’ai vu) et les parfums d’épices du Glühwein (vin chaud) et des petits biscuits de Noël. Tout se teinte d’une nuance ‘’avent’’, même les magasins rivalisent de ‘’promotions de l’Avent’’.

Le sapin de Noël n’arrivera dans les foyers que bien plus tard, le 24 décembre souvent. Adolescente, au siècle dernier, j’avais eu le privilège de passer les vacances d’hiver chez mon amie allemande à Cologne. La veille de Noël juste avant de se régaler de raclette (oui c’est un repas classique ici le 24 décembre), nous avions décoré le sapin.

Calées sur nos traditions familiales, les filles ont réclamé avec ‘’de grands yeux brillants’’ (c’est leur technique de négociation) de choisir notre sapin de Noël dès le premier décembre. « Allez, maman, daddy, on y va ! Sinon on n’aura pas le temps avant… avant la Saint-Glinglin ! » (Tiens comment dit-on Saint-Glinglin en allemand ?). Pleins d’enthousiasme, et presque convaincus pendant quelques minutes d’être des parents formidables, nous sommes allés à la jardinerie où nous avons nos habitudes, certains aux rayons plantes, d’autres plutôt à l’animalerie… Michael Bublé s’époumone dans la voiture : « It’s beginning to look a lot like Christmas … »

« Whaou ! Tous ces sapins ! Et y’a personne ! On aura plein de choix ! » Nous nous précipitons sur le parking reconverti en forêt de conifères de toutes les tailles. Y’a même des sapins danois. Non, on va rester dans le local hein, pas besoin d’un arbre qui a fait du tourisme dans un camion. J’aime bien le sombre, tout décoiffé, là. Les filles préfèrent l’autre là-bas, bien régulier. Après un conseil familial ardu, nous tombons d’accord sur un troisième (Nordmann, 2 mètres, la flèche un peu tordue en haut pour faire plaisir à maman). Chouette ! nous allons pouvoir le décorer dès cet après-midi ! Nous commandons au monsieur du parking celui qui va faire partie de notre vie pendant un mois. Et nous entrons dans le magasin pour lui acheter un pied pour l’installer.

Sauf que ….  La loi allemande n’autorise le dimanche pour les jardineries que la vente de végétaux (en tous cas en Rheinland-Pfalz). Rien d‘autre. (Déjà bien contents que cette partie-là soit tolérée, en règle générale ici le dimanche c’est franchement tristoune et très fermé). Le magasin est immense, magnifique, tout décoré. Un marché de Noël est même éparpillé dans les rayons : cabane du Père Noël, chalets-snacks pour le vin chaud et les Bratwurst (saucisses), patinoire intérieure, et même deux pistes de curling. Nous sentons notre impatience de Noël frétiller…. A vide. Curieuse impression que de se promener entre des rayons balisés par un cordon (rouge et blanc certes), de contempler un décor de fête aussi calme et froid que le Sahara la nuit en plein hiver (et j’ai le souvenir d’une nuit dehors en décembre par -7°C au sud de l’Algérie). Les pains d’épices nous narguent. Nous avons trouvé près des caisses le support pour le pied du sapin. Nous l’avons regardé, touché et… laissé sur place. Il nous faudra revenir. Et sans doute penser aux gants pour le patin à glace.

Notre beau sapin, roi du jardin, est donc entreposé dehors sur la terrasse en attendant de pouvoir tenir debout. Mais tout n’était pas perdu pour autant côté préparatifs. Mercredi c’était le 4 décembre, la Sainte-Barbara. En Provence, la Sainte-Barbe c’est le jour où on met les lentilles à germer. Une coupelle, du coton, des lentilles, un peu d’eau tous les jours. Les pousses timides se déplient et s’allongent. Entourée d’un ruban rouge, la prairie de poupée décorera la crèche ou la table de Noël. Si elles poussent dru et dense, c’est un bon présage pour les récoltes de l’année suivante. Notre stock de lentilles du Puy était à sec, nous guettons donc le frémissement vert dans les graines brunes et bio allemandes.

J’ai évoqué cette coutume avec des amis allemands qui m’ont raconté une ancienne tradition similaire dans les régions catholiques d’Allemagne. A la Sainte-Barbara (Barbaratag), le 4 décembre donc, les familles coupaient des branches de cerisier et mettaient le bouquet de Barbarazweige (les rameaux de Barbara) dans l’eau à l’intérieur. En fonction des régions c’étaient des branches de prunier, de pommier, de noisetier, de sureau ou même de forsythia. Des fleurs épanouies pour Noël apportaient grâce à la table de Noël et chance à la famille hôte. J’ai recherché ce lien entre la sainte et la renaissance végétale. Selon la légende, Barbara avait été enfermée dans une tour par son père, un empereur païen d’Asie mineure, pour la protéger (!), et se consolait en versant un peu d’eau sur une branche sèche de cerisier qu’elle avait trouvée. Juste avant son martyr sont écloses les premières fleurs.

Retour à notre premier weekend de l’Avent. Faute de pouvoir décorer le sapin, nous avons fait un tour au marché de Noël de notre quartier. Installés pendant deux jours, les stands des clubs et des associations proposent des Plätzchen (biscuits de noël, faits maison), du Glühwein ou du punch chaud pour les enfants. De quoi financer leurs projets dans une ambiance festive. Là une classe du collège de ma grande, qui veut diminuer le coût de son voyage au ski. Plus loin, la cabane de l’école de ma plus jeune, où parents et enfants se relaient à la vente de leurs productions. (Comme partout, ce sont souvent les mêmes qui font, vendent puis achètent les gâteaux pour le sou des écoles). Les stands offrent de l’artisanat vraiment local. Une crèche propose sur le sien une activité Stockbrot (ou pain sur bâton). Comme son nom l’indique, il s’agit de tenir au-dessus des braises, un long bâton sur lequel a été enroulée de la pâte à pain. Ça croustille, ça rougeoie, ça pétille. Et surtout il y fait chaud à côté des mines éblouies des gamins. L’ambiance est familiale et bon-enfant. On croise des têtes et des voix connues. Il fait nuit. Il fait froid. Tout le monde est dehors.

Aujourd’hui 6 décembre c’est la Saint-Nicolas, saint patron des petits chocolats. Ma plus jeune fille vient de brosser ses chaussures pour qu’il puisse y déposer des friandises. Quand je lui dis que côté sucreries avec quatre calendriers de l’avent et son anniversaire à venir, on va peut-être rester sobre, elle m’explique sur un ton péremptoire : ‘’On est en Allemagne, on n’est plus en France !’’. Soit donc. Saint-Nicolas est prié de passer (avec des noix et des clémentines s’il vous plait).

Au collège, cette semaine, un système de petites attentions personnalisées a été mis en place. Les élèves pouvaient payer au cours de la semaine quelques euros pour qu’un Saint-Nicolas en chocolat soit remis à un destinataire de leur choix du même collège ou d’un établissement partenaire. Avec un petit mot. Ma fille est rentrée tout à l’heure avec le cadeau d’une amie et un grand sourire.

Et maintenant il est 16 heures passées. Il fait très froid. La pluie tombe dans les halos des réverbères qui viennent de s’allumer. La roue arrière de mon vélo est crevée depuis ce matin. Nous avons rendez-vous dans une demi-heure avec la classe de ma plus jeune (4. Klasse, des CM1) dans la forêt voisine, à la Grillhütte (une cabane municipale qui abrite un barbecue et que l’on peut louer). Aucune idée de là où elle se trouve. Jusqu’à voilà deux heures je croyais encore que la hutte en question était celle où nous étions allés cet été, dans un parc. A l’aide ! J’écris un message au groupe des parents. Je reçois un lien internet, et un message d’un autre papa qui me dit que le jour où il l’a cherchée, il ne l’a jamais trouvée… Ça promet…

’Allez minette c’est parti ! on s’équipe et on y va !’’.
Grosses bottes, chaussettes chaudes, pulls et vestes empilés, bonnets, lampes électriques, saucisses crues, salade de fruits (notre contribution au buffet), vaisselle en plastique pour 3…. Je regrette de quitter un intérieur douillet pour une hypothétique cabane humide et froide dans la nuit d’une forêt mouillée. « On ne restera pas trop longtemps, hein ? ». Pourtant en septembre, à la réunion des parents d’élèves, l’idée du barbecue de Noël m’avait emballée.

Nous trouvons la cabane, dans un coin plus reculé que nous ne pensions. Plusieurs familles bien emmitouflées sortent des voitures. Vite, à 16h30 tapantes nos enfants vont chanter des chansons de Noël ! A travers les fenêtres de plastique de la hutte, des lumignons et des guirlandes de lumière nous guident. C’est charmant. Des mamans attentionnées ont décoré les murs et les tables en bois qui entourent le grand barbecue central. Le feu crépite déjà.  Les thermos de Glühwein sont disposés d’un côté, ceux de punch chaud pour les enfants d’un autre. (Toujours très bien équipés côté matériel de pique-nique les Allemands, ils ont même des boites en plastique spéciales-gâteaux avec des poignées). Et c’est parti pour des grillades dans la nuit, toutes saucisses alignées sur un mètre carré de grille suspendue au-dessus des braises et sur l’air de Feliz Navidad ! Ca sent la fumée et parfois les yeux piquent ! Extra !

Demain, nous retournerons sans doute au grand marché de Noël de Mainz, au pied de la cathédrale. Dépaysant (pour nous) et gai, surtout de nuit dans ses mille lumières. De quoi oublier les jours bien plus courts qu’à Lyon à la même période. En ce moment l’école commence et finit presque dans le noir.

En Allemagne, l’effeuillage du calendrier de l’Avent nous emmène de lumière en plaisir. Que nous réserve le calendrier de l’après ?