Grandes vacances : notre tour de France ~ 1

Etapes en bord de Saône, en Corrèze puis dans les Landes.

(L’absence de wifi m’a donné une excuse pour ne pas publier l’article écrit en début de vacances. Le voilà.)

Assise sur un fauteuil bas de camping, sous un tamaris, les pieds dans la mousse sèche, j’ai posé mon ordinateur portable sur mes genoux nus. Dans le jardin voisin un pigeon des bois roucoule. Des écailles de pommes de pin tombent, grignotée par un écureuil. C’est malheureux le reflet de mon visage dans l’écran, parce que pour écrire, je porte des lunettes. Que je n’ai jamais dans la salle de bains. Regard fatigué, traits marqués, coiffure en bataille, aux reflets blonds roux artificiels. Fait pas bon vieillir, je vous le dis (ni enfiler des lieux communs).

A ma dernière séance chez le coiffeur (à Strasbourg donc), j’ai écouté la dame près de moi, demander un maquillage, « qui fasse naturel ». Le coiffeur orchestrait une vingtaine de flacons et palettes disposés sur la tablette. Puis il s’est approché de moi pour me demander quel balayage je souhaitais : « quelque chose qui dissimule les cheveux gris sans attirer l’attention. Qui fasse naturel.” Le naturel m’a couté deux heures et 100 euros.

Mon ado aussi a eu droit ce même samedi à une séance de soins capillaires. Moins une coupe qu’un boost de confiance en soi. L’année scolaire passée pour l’essentiel en confinement avait prélevé son dû en sourires.

Nous nous sommes échappés pour leur courir après. Nous voilà en France, dans le sud des Landes, sous un ciel capricieux déjà basque. Tant mieux il ne fait pas trop chaud, tant pis, la maison reste humide.

Nous ne sommes que quatre, sans compter la chienne. Mon fils devait nous retrouver sur un parking au nord de Lyon, avant de bifurquer vers l’Auvergne. Pour notre première étape au nord de Mâcon, l’hôtel a tout du motel avec ses chambres de plain pied en enfilade sur le parking. Pratique. Agréable aussi : les fenêtres de la chambre s’ouvrent sur quelques mètres de pelouse, puis, au-delà d’une barrière les pieds dans l’eau, la Saône, large et indolente, affranchie de son lit. Elle lèche presque le bâtiment. Le soleil bas l’éclaire de blond, les peupliers clapotent dans le vent du nord. Il fait frais mais beau. Un temps agréable pour la route, même au bord de la piscine où nous faisons quelques brasses.  

Oui la Saône déborde, comme la Moselle et ses affluents, mais en moins dramatique. Une dame qui marche dans le pré me dit s’arrêter là depuis 25 ans sur la route de la Provence. Elle s’intéresse à notre trajet. L’Allemagne ? Ah, c’est terrible ces inondations. Oui terrible. Plusieurs amis de France nous ont écrit des messages : vous avez les pieds dans l’eau ? Non heureusement. Mais à Mainz aussi le Rhin est monté. En aval de la ville une zone inondable absorbe les crues saisonnières du printemps ou de l’automne. Mais en plein été, les camping-cars ont dû déménager, le camping a fermé.

Le diner au restau était décevant. Assiette tarabiscotée à l’ancienne, service très lent. La vue sur les champs paisibles compense à peine. Ma fille s’exclame : “Oh je suis trop contente de retrouver mon frère demain !” Oui, touchons du bois. Si une chose nous a été rappelée depuis 18 mois c’est que l’avenir nous échappe. De retour à la chambre, un message de mon fils nous attend. “Il y a un souci. L’amie avec qui je suis n’a plus de goût.”

Tests du dimanche, à l’aéroport. L’infirmier les renvoie en leur disant : l’assurance maladie va vous appeler. Positifs. Ils sont vaccinés depuis un mois. Aucun symptômes, sauf cette perte de gout pour l’une. Changement de programme. Confinement en Ardèche dans la maison vide. Y’a pire, au moins ils ont un grand jardin, un piano et un âne. Et des torrents sauvages où se baigner sans croiser personne.

Noaihac, église

Et nous alors ? Nous, on accuse le coup de retrouvailles familiales ajournées. Cap sur la Corrèze, aux confins du Lot et de la Dordogne. Un petit hôtel de charme nous attend pour renouer avec la campagne française. A Noailhac, village de pierres blondes et rousses, des maisons superbes sont calées sur la pente autour d’une église construite sur les ruines d’un château. Un pan de mur en est encore visible. Tout autour, des forêts et un bocage vert des pluies du début d’été.

L’hotelier nous donne un plan photocopié de la région et nous indique les coins à visiter. Il ajoute : dans l’école là-haut, son index indique le mur du fond, le grand-père de Chirac était instituteur. Ah bon ? Oui c’est dans l’église du village que ses parents se sont mariés. D’ailleurs, vous verrez, y’a une photo de Jacques tout gamin entre ses parents.

La chaleur est écrasante. J’allais écrire : enfin. Nous trainons nos filles dans les ruelles désertes du village sans commerce, Gaïa au bout de la grosse laisse rouge. Ma plus jeune râle et demande : ils sont où les gens ? Je cherche sur la façade d’une maison les pierres remarquables : celle du porche utilisée pour aiguiser les couteaux, en dessous de celle dans laquelle un trou a été percé pour accrocher les chevaux, les blocs en demi cercle au pied du coin extérieur pour protéger le mur des roues de charrettes. Un panneau accroché au balcon précise : A vendre. Tu te rends compte ! à vendre. Viens on s’installe là ! c’est trop beau. Quelques pas pour jeter un œil derrière. Ah non, pas de jardin. Zut. Je chercherai sur internet et trouverai à quelques kilomètres du village la ferme à retaper de mes rêves… Et j’imagine à haute voix. Mon mari allongé à côté de moi ne répond pas, il lit. Il a l’habitude de mes projets immobiliers virtuels, dans des coins éloignés de tout lycée et des emplois.

Allongée je feuillette le guide touristique des plus beaux villages de France (avec en couverture la photo de Balazuc en Ardèche – je sais, merci). J’y lis qu’un des bourgs recommandés est Curemonte sur un promontoire coiffé de deux châteaux mitoyens et que la fille de Colette, Colette de Jouvenel, a possédés pendant une petite dizaine d’années. Elle y a vécu pendant la guerre où elle s’est illustrée dans la Résistance. L’écrivain est venu s’y replier pendant l’Occupation.  Moi qui adore sa prose et sa vie, je suis émue de me trouver sur ses traces. Il va falloir aller voir.

Marcher dans les rues de pierres claires le nez en l’air derrière l’appareil photo, acheter une tresse d’ail chez un producteur qui en a habillé la toiture intérieure de sa grange. Déjeuner d’un plat du jour dans un bistrot bien français, entre une famille de locaux, une autre de touristes, et des ouvriers d’un chantier. Mmm vous sentez les filles comme c’est bon la France ! bon en même temps le ragout de porc aux pates on aurait pu manger le même en Allemagne. Pas la flognarde aux abricots par contre (clafoutis caramélisé sur le dessus). En face, l’entrée des châteaux jumeaux, sous les appartements habités par Colette de Jouvenel, dans la rue qui porte son nom. Ça alors, des Corréziens, j’en connais deux, peut-être trois. Et je me cogne à eux, dans la même journée.

Je me renseignerai un peu plus sur Bel-Gazou, la fille de l’écrivain, journaliste, résistante. Je lirai un extrait d’interview où à la question “Comment vivre dans l’ombre d’une mère aussi célèbre ?” elle répond : “Il faut toute une vie pour s’en remettre.” J’en ressens comme un pincement au cœur.

Autre village remarquable : Collonges la rouge. En pierres colorées donc, magnifiques maisons, manoirs, église, halles… On nous avait dit que c’était le Disneyland local. Pas tant que ça. Tôt le matin, le charme opère. Le soir aussi, quand nous revenons diner dans un relais du chemin de Saint-Jacques, face à des hortensias insolents de rose, et à une treille fournie de raisins verts.

Le lendemain, nous crapahutons jusqu’au château au sommet de Turenne, tout petit bourg, en pierres gris pâle avec une vue à couper le souffle. Nous sommes sur une faille géologique qui sépare des veines très différentes (j’y connais pas grand-chose en géologie, mais les effets dans l’architecture sont superbes). Les teintes des villages voisins varient.

La Corrèze, c’est la première fois que je m’y arrête. A chaque passage sur l’autoroute qui coupe la France à la taille, j’ai eu envie de m’enfoncer dans ses forêts. Depuis que j’y ai dormi, j’ai envie d’y revenir. La partie sud est beaucoup plus méridionale que je ne pensais. Les voix chantent. Les fermes cultivent noix et châtaignes. Les ruisseaux apportent l’eau qui m’est indispensable et disparait sur les causses du Lot. Les vallons sont vierges des souvenirs qui me rendent l’Ardèche douce-amère.

Cap sur l’ouest toujours. Détour par Libourne, pour voir. C’est une option pour le retour en France. Le coin semble compliqué pour nos besoins. Les vignobles plats au garde-à-vous me font penser à la Champagne sous le soleil. Pas vraiment de quoi se perdre pour le plaisir. Sandwich ordinaire dans une boulangerie de village endormi. Embouteillages autour de Bordeaux comme toujours. Comment pourrait-il en être autrement ?

Virage plein Sud, l’autoroute rectiligne tranche la forêt de pins des Landes, parallèle à la côte atlantique que l’on espère sans voir. Oh, des bruyères en fleurs ! C’est moi qui conduis. Je suis épuisée, mais j’ai envie de faire l’arrivée. Je dois bien me concentrer pour ne pas trop guetter les fleurettes sur les bas-côtés.

Enfin, la sortie attendue. Hossegor, Capbreton. Dans quelques kilomètres terminus au ras des rouleaux de l’océan. Demain, le vaccin.

Le ciel blanc est brumeux, comme souvent, le matin. Mon mari et moi nous levons comme d’habitude, tôt. Le rythme des vacances ne nous a pas encore bercé. J’ai rendez-vous à 8h30 au stade de Capbreton pour ma deuxième dose. La queue pour entrer dans le gymnase ne me concerne pas : c’est pour la première injection. Tant mieux. Un monsieur âgé sympathique me fait signe d’entrer, le masque sous le nez. J’ai envie de lui dire : Eh, monsieur, le masque c’est comme le slip hein, on met tout dedans !

Je ne dis rien bien sûr, je vais au bureau où un autre monsieur âgé, débutant en formulaire administratifs, sans doute un bénévole, demande à une jeune femme comment inscrire les noms de jeune fille et d’épouse. Oui oui, mettez les deux s’il vous plait ! car si les papiers français portent les deux, les Allemands n’en ont qu’un. Et souvent les gens sont perturbés quand j’utilise l’un ou l’autre (je m’emmêle les pinceaux, je ne voulais utiliser que mon nom de jeune fille, mais il est différent de celui de mes enfants, et la sécu en a décidé autrement… bref en France pas de souci mais en Allemagne, ça coince).

Donc, vaccin 2 dans une salle de Jaï alaï (type de pelote basque) avec l’accent chantant du sud-ouest, après le 1 à Strasbourg. L’infirmière me remet mon certificat : “Voilà vous êtes libre !” Devant mon grand sourire, elle ajoute : “On dirait qu’on remet le permis de conduire”. Si elle savait comme j’en ai rêvé en Allemagne de ce sésame où ma convocation a trainé et où depuis des mois le moindre événement en intérieur (y compris le restau) ne sont accessibles qu’en cochant l’une des trois cases : immunisé / test négatif / vacciné.

Je n’ai rien senti. Ici personne pour me dire de partir au bout des 15 minutes de repos. L’après-midi, j’honore un rendez-vous pour ma fille. D’après son étude auprès de son échantillon de copains, mon fils m’avait dit : les effets secondaires arrivent environ 9 heures après l’injection. Le soir tout va toujours bien.

Au milieu de la nuit, réveil. Peut-être à cause des jeunes qui chantent dans la rue, ou des bruits de motos qui accélèrent. Mais mon corps se rappelle à moi. Courbatures. Fièvre. Bon, c’est normal. Nausées. Zut il faut que je me lève. Coton dans la tête et dans les jambes. Avant d’avoir pu parcourir les 10 pas (j’ai compté après) pour les toilettes, je m’assois par terre. Ca tourne. Impossible de me rendormir. Au matin, l’état est le même. Position couchée obligatoire. Crotte. C’est pas ce que mon fils m’avait dit : état grippal la nuit, mais tu dors. Le matin t’es fatiguée mais ça va mieux.

Je trouve l’énergie d’accompagner ma fille à un autre rendez-vous de suivi français (vive les vacances) puis je m’effondre sur un matelas sous les pins. Faim ? non. Aïe, la tête, aïe les courbatures.

Il y a quelques mois j’avais fait ma maligne : “j’ai lu dans The Economist que les effets secondaires des vaccins contre le corona étaient selon les études cliniques presque équivalents pour le placebo que pour le produit actif.” Ouais c’est ça.  Si effet secondaire c’est mal à l’épaule, ça va. Si c’est je ne tiens plus debout, c’est plus embêtant. Mon psychisme hyperactif et anxieux provoque souvent la somatisation. Mais là, c’était différent.
Le site allemand de vaccination permet de signaler les effets secondaires. Peut-être est-ce possible de le faire aussi en France, ou auprès des labos. Si la réaction de mon corps au vaccin est proportionnelle à ce qu’aurait été celle à la maladie, je n’ose pas imaginer mon état, surtout que là je n’ai pas eu de gêne respiratoire.

C’est donc fait. Enfin. J’ai scanné le code barre dans l’appli française. Puisque c’est le passeport européen ça doit aussi se télécharger dans l’appli allemande. Non ? Non. Une autre. Non ? Toujours pas. Sans compter que sur le certificat n’apparait qu’un seul de mes deux noms… Ça promet de joyeuses explications. Mais si c’est moi. Mais si je suis vaccinée. Immunisée ? Ah, ça dépend. L’immunité administrative à défaut de médicale varie selon les pays. En Allemagne, 14 jours, en France 7 jours. D’ici là mettons un masque. J’ai pas envie de vivre la version longue du machin. Et ça servira aussi à se planquer.

Il m’aurait bien servi l’autre soir lorsque nous sommes partis en promenade avec Gaïa. La place piétonne au niveau de la plage centrale de Hossegor est noire de monde. Les terrasses des restaus sont pleines. Ça grouille partout en France, on dirait que personne n’a entendu parler de la covid. Des familles et des groupes de jeunes descendent vers la plage et son coucher de soleil, portable à la main pour le selfie de rigueur. En plein milieu, Gaïa fait mine de s’arrêter, ma fille la tire pour la forcer à avancer dans la foule où nous tentons de maintenir les distances. Soudain elle s’écrie : “elle a fait une crotte !”

En la matière elle en a fait plusieurs, entrainée par la laisse, elle a posé cinq ou six petits boulets noirs.

Ma fille demande à son père :

-Passe moi un sac !

Il se frappe le front. Ah j’ai oublié !

QUOI ?

Il remonte en courant pour la maison. En attendant le sachet, nous voilà responsables d’une constellation de mini-mines malodorantes posées sur le parcours de touristes innocents captivés par le coucher de soleil. Pour leur éviter un retour précipité sur terre au propre (enfin…) comme au figuré, je rebrousse chemin et me plante au milieu de notre jeu de dames biologique, histoire, par ma seule présence, d’écarter les flux de gens de possibles glissades visqueuses. Pour renforcer la palissade humaine, je demande aux filles de faire de même. La grande panique en chuchotant. « Je ne peux pas, j’ai trop honte ». Toujours en chuchotant, je lui intime l’ordre de rester. Nous avons bien conscience d’être sur une scène de théâtre sans fond, au milieu de terrasses bondées. Elle s’échappe sur la plage.

La petite tient le chien qui comme toujours veut fuir ses méfaits. Je râle. Elle part avec Gaïa chercher sa sœur pour la prévenir de la colère de leur mère. Me voilà donc plantée, entre des crottes à peine visibles, en plein milieu du passage sans savoir quoi faire de moi ni de mes mains, sans masque donc pour me cacher.

J’imagine ceux qui m’ont repérée depuis leur table de restau, et qui doivent observer mon manège en rigolant. J’entends parler allemand. A l’aide pourvu qu’ils n’aient rien vu. On s’est déjà fait engueuler à Mainz, dans la demi seconde qu’il a fallu pour confier le chien à quelqu’un d’autre avant de pouvoir effacer la trace de notre passage. « Si nous n’avions pas été là vous ne l’auriez pas ramassée. »

Si la preuve, madame et monsieur, vous n’étiez pas là, l’autre soir sur la place centrale d’Hossegor, et pourtant quand le sac est arrivé par livraison exprès, nous les avons ramassées, toutes les cinq. Sans demander notre reste. On a filé se fondre dans l’anonymat de la plage.

Tant de problématiques à ras de terre dont je me serais bien passée.

Les rendez-vous sont faits, les vaccins aussi. Dans quelques jours, mon fils pourra nous rejoindre. Les vacances pourraient bien commencer.

A suivre.

6 thoughts on “Grandes vacances : notre tour de France ~ 1

    1. Oui, oui oui ça fait beaucoup de bien de faire une cure de France. (Sans chien ça aurait été plus simple oui, même si elle n’a rien dit durant les longs trajets ce qui était inespéré). Nous revoilà en Allemagne. Bisous

  1. Beaucoup de km pour nous aussi. Nous sommes encore en vadrouille. Pas d’amis cette année, priorité à la famille, elle est grande. Les larmes aussi ont coulent aussi bien en se retrouvant enfin que sur le départ. Car on n’a plus aucune certitude sur la revoyure. Joie et tristesse mêlées. Pas envie de repartir pour de bon. Je voudrais que le temps s’arrête encore un peu.

    1. Merci pour ton témoignage. Oui arrêter le temps parfois… Profitez bien de vos retrouvailles, ce sera toujours ça de pris!

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