Sous-vêtements assortis

Pour aller chez le toubib et le kiné, c’est mieux non ? Non.

Ne pas laisser de bazar

Ça faisait une semaine que je programmais ma tenue de sous-vêtements pour ce vendredi matin, pour être sûre de pourvoir, avec les cycles de lavage, trouver dans le tiroir en haut à gauche une culotte et un soutif assortis. J’avais décidé de faire quelque chose contre ce mal au dos chronique, handicapant du mouvement et de l’humeur (demandez à mon entourage). J’avais rendez-vous chez un médecin ostéopathe recommandé par une amie.

J’y suis allée terrorisée, comme pour tout ce qui concerne la santé. Avec l’impression de tromper mon généraliste, qui a refusé de me prescrire des séances de kiné. Chéri tu peux m’accompagner stp ? Comme là c’est sûr il va m’envoyer au cimetière, je serai trop perturbée pour me consacrer au trajet. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de partir en pleine nuit, quand les rues sont vides. En essayant de déranger le moins possible les conducteurs pressés c’est sûr je vais me paumer. Avec à la clef, une rechute du lumbago et 170 de tension.

Ma meilleure moitié est compréhensive. Merci à lui.

Dans ce cabinet inconnu, j’ai montré patte blanche et me suis posée là où on m’a dit : sur la chaise en haut de l’escalier. J’ai pris mon air le plus détaché possible, genre je sais ce que je fais ici. De temps en temps, je redresse mon dos, cale mes reins contre le dossier. Non mais là c’est bon dans cette position (peu naturelle) j’ai plus mal. Et puis à ma dernière consultation en France on m’avait donné des exercices. Je les fais régulièrement (à peu près, enfin, parfois). Je fais du yoga tous les jours ou presque avec ma meilleure amie Adriene. Je nage dans le grand bain, 1 km en brasse et crawl. Le dos m’est impossible sinon je fonce dans les lignes ou les nageurs. On se souviendra que je crains la réprimande. Le papillon m’a coincé le haut du dos, quand j’ai réessayé en Forêt Noire. Ce n’est pas le moment de faire des folies de mon corps. Donc oui ça va. Je viens consulter mais tout va bien.

Le médecin, souriant et sympathique jeune homme (euh, il a fini ses études quand même ? Ah oui j’aperçois quelques rides) brun, en jean et baskets m’a appelée. La salle, aérée, était vide à part une table de kiné, une armoire en bois, et un fauteuil en bois d’inspiration asiatique. Dans un coin en face, sur une petite table, un ordi. Devant, sur un tabouret à roulettes, le docteur. Je m’en suis approchée et lui ai tendu le questionnaire en attendant les consignes.

C’est toujours ça qui manque dans les nouvelles situations : les consignes.

Que faire de mon corps ? Le poser où ? Dans quelle position ? Quel degré de nudité ?

Il faudrait un metteur en scène ou un chorégraphe.

Je m’en suis rendue compte en repensant à l’épisode sauna textilfrei (à oilp). Ce n’est pas de se dénuder en public avant le goûter qui pose problème, c’est de le faire à bon escient. Ne pas se retrouver en tenue d’Eve au milieu de maillots et de peignoirs. Ou inversement. Textilfrei. A partir de cette limite, tout quitter. Oui mais où et comment ? La transition est délicate.

Lors d’une première fois, mal à l’aise, on essaie de copier sans en avoir l’air, en se méfiant de ses impulsions. A plusieurs reprises, au café avec une amie, par réflexe , j’ai proposé de payer la note de nos deux thés (comme on a l’habitude en France, un coup l’une, un coup l’autre). La copine allemande était perplexe : tu veux que je te rembourse ? La deuxième fois, on peut expliquer, et faire passer sa bizarrerie pour un trait culturel.

Donc revenons à notre vendredi matin. Je m’attendais à me déshabiller et à montrer, bonne élève que j’avais mis des sous-vêtements, sans trous, (je ne vais quand même pas ajouter propres), assortis et que je m’étais bien épilée.

-Quittez vos bottes et allongez-vous sur le ventre.

-Les bottes c’est tout ?

– Oui. Défaites juste votre ceinture.

Soit.

Il appuie à différents points de mon sud-ouest.

-Vous avez mal là ?

-Non.

-Et là ?

-Non.

Il continue son exploration des douleurs dorsales.

-Vous faites quoi dans la vie ?

Ich bin Schrifstellerin (Je suis écrivaine )

(Alors là ça n’a l’air de rien, mais depuis trois ans que j’écris tous les jours, j’ose enfin l’avouer, dans l’intimité confidentielle d’un cabinet médical, dans une langue où le mot reste neutre (littéralement : productrice d’écrits), même si l’Académie Goncourt ne m’a pas adoubée. Donc méga victoire pour bibi qui cherche sa voie depuis bientôt… trente-trois ans.)

-C’est super ! Qu’est-ce qu’il y a comme gens intéressants !

Rire qui se veut modeste, derrière mon masque je rougis à peine (après tout il n’a rien lu de moi). Il enchaine :

-On n’a pas le temps de parler, sinon je vais être encore plus en retard. Mais je ne résiste pas. Vous écrivez quoi ?

-Un blog sur l’intégration d’une famille franco-anglaise chez les Teutons. Et un bouquin aussi. Vous parlez français ?

-Non pas du tout. Je ne suis pas doué pour les langues.

Tant pis, tant que vous vous y connaissez en vertèbres, muscles, et patientes angoissées.

-Et là ?

-Non.

Remontez un peu sur la table…

AIE AIE AIE … *#@*ZqX*!!§***… ce mouvement-là faut pas…

-Retournez-vous sur le dos.

Combien de temps vous me laissez ?

Il tâte mes cervicales.

-Ça va. Vous pouvez vous relever.

Avant midi ?

Je renfile mes bottes, en faisant attention avec la perfide flexion avant.

-On peut vous aider avec de la kiné ou de l’ostéopathie mais il faudrait apprendre à vous relaxer, parce qu’au moindre stress ou à la moindre émotion forte ça va revenir.

Il a bien compris le bougre.

-J’y travaille promis.

C’est pour ça qu’Adriene c’est ma meilleure pote, elle s’entend bien avec mes émotions fortes. Lisa aussi avec ses cours de yoga contre l’anxiété.

-Tenez une ordonnance pour six séances de kiné, c’est remboursé. Si ça ne marche pas on essaiera l’ostéopathie.

-Merci docteur.

10 minutes.

Il ne m’a pas envoyée au cimetière.

Mon mari a trouvé dans la boulangerie du quartier, de délicieux beignets de carnaval moelleux comme des nuages, où les petits grains de sucre collaient aux lèvres et aux joues juste assez pour avoir envie de les lécher. Et de se frotter le bout du nez avec le dos de la main. Tiens en fait y’a un arrêt de tram juste là. J’ai un peu honte de ne pas avoir vérifié avant.

Monsieur mon corps vous pouvez vous détendre.

Rompez.

Les six rendez-vous chez le kiné sont pris pour les semaines suivantes. La secrétaire m’a demandé d’arriver avec deux serviettes, une grande et une petite. Pas de consignes côté sous-vêtements, mais j’arbore la parure assortie – bleu roi, Monop, natürlich (j’ai pas encore basculé chez Tchibo pour les sous-vêtements, mais ça ne saurait tarder, je suis mûre. J’en suis à ceux de mes filles et aux chaussettes).

La kiné, une grande femme jeune et sportive, aux longs cheveux blonds, jean gris moulant et baskets Nike me propose d’entrer dans une salle équipée de matériel de sport. Elle vient d’aérer, je me dis que je vais me cailler. J’enlève mes baskets.

-Je me déshabille ?

-Non, non, ouvrez juste la ceinture je vais d’abord faire un bilan. Allongez-vous sur le ventre. Vous avez mal là ?

Non. Non. Non. J’ai mal tout le temps sauf quand elle appuie. C’est bon signe paraît-il.

Consultation : 20 minutes.

La dernière a eu lieu hier. Toutes consultations très intéressantes. J’ai appris à mobiliser mes abdos. Depuis le temps que je ne les avais pas vus, j’avais oublié où ils étaient (le premier qui me répond sous ton nez, je le mords). Avec ma pote Adriene, j’ai réussi à faire des abdos en mobilisant tout le reste du corps sauf eux. Ce qui fait que j’aime pas faire des abdos (qui aime ?), après j’ai mal au cou. Puis à la tête.

Donc, abdos pour de vrai, tous les jours.

Autre info qui peut servir, grâce à mon cher et tendre qui me l’a offert, j’ai lu un livre écrit par un Norvégien sur les étirements. Ma position de nuit est idéale pour me donner des maux dans le bas du dos (ça, trois bébés costauds, et la vieillerie). J’ai changé mes habitudes de sommeil. Je revis.

Chers amis français, appréciez à sa juste valeur un système médical où chaque minute n’est pas (encore) comptée (au plus court). Mes récits d’outre-Rhin ont inspiré un ami médecin : il a évoqué l’idée de facturer une visite à domicile quand il ira chercher un patient en salle d’attente.

Merci au système allemand, certes expéditif et à deux vitesses (selon l’assurance détenue), qui m’a bien aidée.

Un jour peut-être j’oserai publier un des tous premiers articles écrits sur le violent choc culturel avec le milieu médical local. Quand on est paralysée juste parce qu’on passe devant un hôpital, vous imaginez la rencontre avec des infirmières qui donnent des ordres. Et sourient. Parfois.

Je vous souhaite des abdos résistants et un dos compréhensif.

Les consignes de la salle d’attente du pédiatre (de Janosch)

PS : Vous connaissez les albums pour enfant de Janosch ?

10 thoughts on “Sous-vêtements assortis

  1. Alors je n´ai pas tout compris. Peut-être que je vis depuis trop longtemps en Allemagne et n´ai plus de souvenirs de consultations en France?
    Tu trouves que les consultations durent trop peu de temps en Allemagne?

    Et je ne me suis jamais mise en sous-vêtement chez l´osthéopathe.

    1. Merci pour ton retour Laurence.
      Oui c’est ça… ;o)
      En Allemagne les consultations par comparaison sont expéditives et strictement minutées.
      En France j’ai toujours été en sous-vêtements chez le kiné ou l’osthéo, (ce qui semble logique pour ausculter un squelette et des muscles).

  2. Ouf, j´avais bien compris!

    Cà dépend peut-être des médecins, je n´ai jamais ressenti un quelconque chronométrage chez les médecins que j´ai fréquentés en Allemagne depuis plus de quinze ans. J´ai bien sûr, surtout au début, été étonnée par le peu de médicaments prescrits mais au final Cá me va.

  3. Coucou chère Estelle, je te suis avec toujours autant de plaisir! Quant aux médecins allemands je signe et res-signe! Depuis que je vis en Allemagne (plus de 25 ans déjà!) c’est toujours le sujet que je déteste le plus pour les mêmes raisons que toi et j’ai habité dans plusieurs villes allemandes… Mes amies francaises ici font souvent malheureusement la même experience: 3 minutes en main chrono, peu d’empathie mais super bien équipés en appareil ces médecins! Heureusement qu’il y a beaucoup d’autres choses qui font qu’on y vit bien! Continue de nous faire partager tes expériences!

    1. Merci beaucoup Laure pour ton retour et tes encouragements ! Sur ce sujet il faut donc se faire une raison, semble-t-il… A très bientôt. Bises à tous.

  4. Merci Estelle pour ce partage. Le médical au Québec, reste aussi pour moi un sujet d’interrogations… je crois que je n’ai pas encore tout compris. Pour ce qui est de la kiné (on parle ici de kinésiologie, de ce que je comprends c’est de la kinésithérapie +) et de l’ostéopathie, ici aussi on se déshabille peu… est-ce une particularité française 🤔
    L’un des « secrets » pour le dos, en plus des abdos que j’adore aussi 🙄, c’est le mouvement… ne pas laisser l’arthrose s’installer. L’ostéopathie m’a beaucoup aidé, je vais bien mieux et l’opération dont on me parlait il y a 4ans est loin derrière moi aujourd’hui… j’espère qu’elle ne me rattrapera pas 😁

    1. Merci Flo pour ton retour. Suis ravie que ton dos te laisse en paix.
      Mon ostéopathe lyonnais, vu en passant la semaine dernière, m’a bien soulagée – et a été stupéfait de ce que je lui ai raconté d’outre-Rhin.
      Bisous à tous

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