Des réunions d’équipe, au bureau ou ailleurs, et de l’alpinisme sur papier.
Ah au fait, ma chérie, le 25 septembre j’ai une réunion d’équipe au bureau.
Mon mari face à l’évier lave des courgettes sous le filet d’eau du robinet. Il ôte leur duvet rêche avec les doigts. Une planche à découper à la main, je m’apprête à écraser quelques gousses d’ail (rose, français, import direct du Sud-Ouest par nos soins). Nous préparons le dîner.
J’éclate de rire, un bon vrai fou rire, qui vient du ventre et ne s’arrête plus.
Il se retourne pour me regarder, penche un peu la tête. Son sourcil gauche se relève en point d’interrogation.
–C’est drôle ?
–Oui c’est à mourir de rire !
-…
–Ça ne te frappe pas ? Avant, tu me prévenais plusieurs semaines à l’avance de tes voyages. Une semaine à Barcelone, deux semaines à Atlanta ou à Shangaï. Pour me préparer à l’idée de gérer seule la famille pendant une longue période. Et là, tu pars au bureau quelques heures, à 10 kilomètres de la maison, dans trois semaines, et tu me préviens déjà.
Il sourit, une courgette dans la main gauche, le grand couteau au manche de bois dans l’autre.
–C’est pour se voir en direct, pour la première fois depuis six mois.
–Ça va te faire tout drôle dis-moi de quitter ton bureau-chambre après tout ce temps !
Je ne peux plus m’arrêter de rire. Ah comme ça fait du bien !
Une de nos filles descend quatre à quatre les escaliers.
–Tout va bien ?
–Oui, oui !
Hi hi !
–Qu’est-ce qui se passe ?
–Rien.
–Attends quelques jours, tu verras, ce sera dans un article de maman.
C’est drôle comme on peut rester coincés dans une ornière de sérieux pendant plusieurs jours quand on est adulte. Pourtant j’essaie souvent de trouver le petit détail comique dans la journée, de placer une blague ou un jeu de mot vaseux, des paroles de chansons qui collent avec ce que quelqu’un vient de dire. Histoire de se rappeler que la vie est une pièce de théâtre et que si nous n’en maîtrisons pas grand-chose, on peut quand même tâcher de voir le scénario dans lequel nous sommes lâchés avec des lunettes-à-rire (les jours de bonne humeur au moins).
J’ai beaucoup fait rire mes enfants – à mes dépens – cet été. J’agrémentais mes récits de courses au marché chez le poissonnier d’un petit air musical. Vous verriez tous ces coquillages et crustacés ! Quel bonheur ces étalages marins quand on vit au pays des Bratwurst ! Ils ne connaissent toujours pas la chanson de Bardot. Mais si j’aborde le sujet je suis quitte pour entendre à nouveau le refrain, à trois voix, sur une tonalité de fausset.
Donc réunion d’équipe dans trois semaines. Qu’à cela ne tienne. Préparons-nous.
Moi aujourd’hui je suis seule au pied de mon Everest, l’essai sur lequel je travaille. Je cherche à étalonner ma boussole. Lui proposer un Nord, qui colle avec mes ébauches de cartes. Tracer des azimuts. J’ai jeté sur le papier des idées, des scènes, une matière première que je pourrai froisser, trier, jeter. Aujourd’hui je ressens le besoin de retravailler en amont de ces premiers mots, pour trouver un sens qui fasse sens pour les lecteurs. Alors je tourne le dos à la paroi. Rebroussons chemin le long des petits cailloux déjà semés. Reprenons en sens inverse. Dans quelle direction dois-je me tourner ? Où se cache le bout du fil de la pelote, celui qui vous entrainerait dans une histoire et m’aiderait à sortir de mon labyrinthe ?
C’est un peu solitaire et frustrant comme recherche. Une réunion d’équipe c’est une bonne idée. Et si moi aussi j’en faisais une ?
Je prendrais le train, et je ferais un tour de France et d’Angleterre pour voir les personnes qui m’inspirent. Je prendrais l’avion pour la côte Est des Etats-Unis. Mes mentors vivent loin. Ils me nourrissent de leurs textes et leurs sourires, leurs coups de gueule et l’aveu de leurs coups de blues. Leurs tronches mal lunées ou lumineuses. Leur authenticité et leur sincérité.
Pour l’instant je me contente de réunions de papier, de mots écrits, d’échanges sur écran. J’empile des bouquins, des témoignages et modes d’emplois, des conseils et des exemples. Je suis des cours en ligne avec des journalistes ou des écrivains anglais et américains. Ce n’est pas un fait exprès cet environnement anglo-saxon. J’ai suivi les conseils de mon mari et mon intuition. Je me sens bien auprès de ces personnalités qui partagent leur parcours, leur apprentissage, leurs doutes et leur talent.
Donc imaginons une réunion d’équipe avec des gens, plus ou moins vivants, de différentes cultures. Tous pertinents, ne se prenant pas au sérieux, éprouvant le besoin de comprendre et de partager. On sauterait sur les occasions de jeux de mots vaseux et de blagues. Aucun participant ne serait blessé, intimidé ou moqué. On pourrait chanter nos échanges, si par hasard nos paroles coïncidaient avec celle d’une chanson. On aurait le droit d’éclater de rire.
On se programmerait une nouvelle date de rencontre, pas trop éloignée. Mais en se laissant le temps de savourer et digérer les échanges dont nous sommes sevrés depuis trop longtemps.
Il est cinq heures, Paris s’éveille… je dois y aller.
Dans trois semaines ça vous va ?
“I want to do fun things that make me happy (…). You might call me a child, good, for if adults had even the slightest ‘in the moment joy’ of a child, then frankly the world would be a better place!” Miranda Hart
(Je veux faire des choses sympa qui me rendent heureuse. Vous pouvez me traiter d’enfant, très bien. Mais si les adultes savaient, ne serait-ce que parfois, trouver de ‘la joie dans l’instant’, franchement, le monde serait bien plus agréable !)