Bruxelles alors !

Week end à Bruxelles avec une amie allemande et tâtonnements culturels avec les Belges rencontrés.

Ce matin je pense en allemand. Et quand je parle, les mots ne me viennent pas non plus en français ou en anglais. C’est compréhensible. Ce week-end j’étais à Bruxelles. Avec mon amie d’enfance allemande. Ça faisait plusieurs années qu’on ne s’était pas évadées rien que toutes les deux. La dernière fois c’était un été à Bâle voilà trop longtemps. Nous avions plein de choses à nous raconter. Donc globalement pendant 48 heures, nous avons passé notre temps éveillé à parler.

Une bulle d’amitié, de rire et de découverte, de balade et d’art. Avec des moules et puis des frites. Finalement à part le mal au dos, les (quelques, oups) cheveux gris, les kilos de plus (où ça ?), de nouvelles cibles pour nos angoisses, nous n’avons presque pas changé depuis nos 14 ans.  En tout cas on fait comme si, et on s’entend toujours aussi bien.

Donc vendredi départ de Mainz pour Bruxelles avec retrouvailles à mi-chemin à Köln dans le train. Hôtel convivial entre les églises Sainte-Catherine et du Béguinage. Chambre bruyante au rez-de-chaussée. Tant pis. On s’habituera. Le monsieur de l’accueil, passionné de voile, est sympa comme tout. Balades de Grand place en Musée des Beaux-arts, de Magritte à Tintin. Oh regarde une boutique de fringues fran-çai-ses, en solde en plus. Faire des courses avec le regard d’une amie m’ouvre des possibilités que je ne m’autorise pas seule. Et hop, pas un mais deux pulls ! Et là bientôt un Wagamama comme à Londres.  Regarde la marchande du stand d’antiquités aux Sablons elle a une dégaine extra avec son bonnet turquoise, son regard charbonneux et ses lèvres fuchsia, au-dessus d’une pelisse en fourrure d’ours (sans doute provenant de Sibérie via l’étalage voisin qui en a plein le portant). On a envie d’aller discuter avec elle. Zut elle est occupée. Et un café-fleuriste pour boire un thé vert au milieu de plantes. Tu crois qu’ils ont des gaufres ?

Outre les Bruegel et les Rubens (et le chocolat), le plus intéressant et le plus intrigant de notre évasion c’étaient nos interactions avec les Belges. Bien sûr à Bruxelles, les gens parlent français, à quelques nonantes ou septantes près. Et comme c’est une ville bilingue, les plaques de rue et autres pancartes ou menus s’affichent en français et en flamand. Qui de loin ressemble à l’allemand. Et puis ce n’était pas, ni pour l’une ni pour l’autre, notre première visite à la capitale belge. Donc nous étions toutes les deux en territoire sinon familier, du moins connu.

Peut-être est-ce un hasard, peut-être une coïncidence, mais les échanges que nous avons eus avec les gens locaux nous ont laissés perplexes. Toutes les deux. Alors soit je me suis plus germanisée que prévu (et parfois, je me demande quand je m’entends dire : ‘’Pouah c’est plutôt sale comme ville !’’, que je me regarde prêter de l’argent liquide à ma copine allemande qui n’a que sa carte, ou quand devant le premier tableau du musée des beaux-arts je m’exclame ‘’Oh les couleurs de Fastnacht* !’’). Soit c’est un rappel que la communication passe par bien autre chose que des mots. Ou les deux.

Mais les conversations surprenantes que nous avons eues en français m’auraient moins déroutées si ç’avait été dans une langue que je ne maitrise pas. (Cela dit, mon amie allemande était aussi surprise, peut-être car elle aussi partait du postulat qu’avec son interprète perso elle aurait des échanges fluides avec l’habitant). Même avec un vocabulaire commun, le serveur belge et la touriste française ne pensent pas de la même façon. Ils ne se comprennent pas forcément. La culture et les habitudes sociales parlent plus fort que la langue.

Samedi soir au restaurant asiatique. Elle s’approche de notre table. Elle porte des cheveux courts et un T-shirt noir, uniforme de l’établissement. Des baskets à la mode. Belle jeune femme à la peau marron, comme disent mes filles, avec stylo dans une main et bloc de commande dans l’autre. Les codes du repas au restau semblent les mêmes que ceux auxquels nous sommes habituées. Tout va bien. On a faim. Elle nous demande ce que nous souhaitons. « Un ramen s’il vous plait, avec en plus… (et je lâche son regard pour lire dans la liste intitulée extra toppings) : du porc, du wakame, du bambou fermenté ».

Silence.

Elle me montre la photo sur la carte d’un ramen bien garni : ‘’Mais y’a déjà beaucoup de choses dedans’’. Perplexe la cliente. Les restaurateurs belges auraient-ils à cœur de me préserver de ma gourmandise et de limiter mes dépenses (souviens-toi, Estelle DEUX pulls !) ? Je tente une nouvelle question : « Oui mais y a-t-il du porc dans le ramen (intitulé sur la carte : ramen végétarien) ? » Offusquée la serveuse : « Du porc ? Dans le ramen végétarien ? Oh non. » (Elle comprend rien la cliente ou quoi ?). Bon on progresse. « Alors est-ce possible de rajouter du porc, du wakamé et du bambou dans un ramen ? » Oui ? Ah bon. Tant mieux. Merci. On en voudrait bien un autre s’il vous plait. Le même mais sans wakamé.

Les deux bols reçus sont identiques. Nous rions. Nous renonçons à rappeler notre commande au jeune homme qui nous les apporte. Pas question de se retrouver privées de glace au thé vert.  

C’était la fin de la journée et nous avions déjà été confrontés aux malentendus et quiproquos. Nous venions de nous faire refuser dans un restaurant de poche au coin de la rue. Je pensais y avoir réservé une table puisque je leur avais laissé un message téléphonique. Mais non puisqu’ils ne fonctionnent pas avec les messages, de toutes façons ils ne l’ont pas eu et ils sont complets depuis le roi Hérode, et tout le monde comprend que si on n’a pas été rappelé c’est qu’aucune table n’a été réservée et en plus ça fait au moins douze générations qu’ils font comme ça.

Tout le monde sauf moi apparemment. Pour être tout à fait honnête j’avais ressenti une légère incertitude en raccrochant. J’ai essayé de leur donner des conseils (gratos), du feed-back comme on dit : expliquez votre fonctionnement sur votre répondeur, tout le monde n’est pas un client fidèle depuis votre ouverture et n’habite pas à Bruxelles depuis sa première frite.

Mais ce qui nous a surtout surpris c’est cette attitude fermée dans une ville doublement capitale, belge et européenne, qui brasse toutes les nationalités dans tous les coins.

Encore plus tôt, en fin d’après-midi, échanges également surprenants avec le serveur du café de la Galerie Saint-Hubert. Comme l’écrit mon écrivain fétiche Bill Bryson, c’est une loi fondamentale et internationale : on ne peut pas forcer un serveur à nous voir avant qu’il l’ait décidé**. Cependant, après avoir essayé en vain de croiser son regard ou son éponge pendant un quart d’heure, quand je l’ai relancé pour notre capuccino et notre jus de pomme chaud (délicieux), j’ai entendu : « Ah bon, on ne vous l’a pas apporté ? »

On ? (comme disait ma tante institutrice : pronom imbécile mis pour celui qui l’emploie). Il n’y avait qu’un seul serveur à l’étage et c’était lui.

Pourtant nous avions été vaccinés à Berlin. Nous avions même quitté assoiffés le café d’un musée. « Mademoiselle, bonjour, est-ce possible de commander à boire ?» Réponse du menton pointé vers l’autre bout de la longue salle, sous une bouche sans sourire : « C’est pas moi c’est elle ». Ah bon. Mais elle n’a pas daigné répondre à nos signes et se rapprocher. On nous avait prévenus : ‘’Vous allez à Berlin ? C’est spécial là-bas. Si un Berlinois ne te tue pas c’est qu’il t’aime bien’’. Les Berlinois sont réputés pour être peu avenants, comme le rappelle l’expression : die berliner Schnauze (la tronche de Berlin). Pourtant à part cet épisode isolé, nos échanges sur place se sont très bien passés. Nous sommes rentrés vivants.

A Bruxelles toujours, dans l’après-midi au musée, la dame de l’accueil préposée à la gestion de la foule, a essayé de nous faire circuler sous le détecteur de métaux alors qu’on n’avait pas décidé où aller. Vous entrez oui ? Euh non on ne sait pas si on veut faire la queue. Le groupe ? Non c’est pas nous. Elle est longue la queue ? Non on ne sait pas ce qu’ils font. Notre échange tenait du surréalisme (fort à propos dans les couloirs du musée Magritte). Le décalage culturel se faisait sentir. Sensation déroutante et inattendue. On comprend sans comprendre. On a du mal à s’expliquer. En français.

Chez le pâtissier du marché en revanche pas de problème. « Des éclairs au chocolat s’il vous plait ! » Aurait-il compris si on avait demandé des beignets ? Je vois sur un petit écriteau qu’en Belgique ils s’appellent des boules de Berlin. Comme en Allemagne où l’on dit Berliner (Berlinois) – sauf à Berlin, nous y revoilà, où l’on dit Pfannekuchen (ce qui ailleurs désigne un type de crêpe).

Nous sommes reparties dimanche matin le sourire aux lèvres, du chocolat plein la valise. Avec un peu mal aux pieds et de nouvelles interrogations sur la possibilité de rencontre vraie entre êtres humains, dès que le langage s’emmêle, pardon, s’en mêle.

Et sur ce je vous dis à bientôt, car ces gourmandises m’ont ouvert l’appétit ! Je suis sûre que vous avez envie d’un petit beignet, non ?

* Fastnacht : carnaval de Mainz. Bientôt un article sur le sujet. La date approche ! Les couleurs : bleu, rouge et jaune.

** “I once joked in a book that there are three things you can’t do in life. You can’t beat the phone company, you can’t make a waiter see you until he’s ready to see you and you can’t go home again.” Bill Bryson in Notes from a Big Country (and probably another book).