Billets d’humeur

Piano à Aix-en-Provence – novembre 2023

Dans la gare TGV d’Aix en Provence en ce milieu de journée un dimanche de novembre, les fauteuils de la passerelle sont vides. Nous nous y installons pour croquer des salades insipides. Soudain, au loin, j’entends du piano. C’est tellement bien joué, ça dure si longtemps… Est-ce le piano de la gare ou une radio ? Tiens, écoute c’est La tempête de Beethoven. Je l’avais jouée quand j’étais adolescente. Ah et maintenant Brel. Puis Chopin. Intriguée, je pars à la recherche de ce piano sans doute droit et noir. Je me laisse guider par le son, sans trouver sa source. Des passerelles s’élèvent, d’autres descendent. Par flemme, je renonce.

Quelques minutes plus tard, nous descendons vers le quai. Attends, viens, on va faire un détour pour voir le pianiste. Faut-il monter, faut-il descendre ? Cette gare est un labyrinthe en trois dimensions. Au fond du hall, un vigile nous propose son aide.

– On cherche la personne qui joue du piano.

Il désigne la passerelle.

-Le piano ? En haut.

Derrière moi, une voix féminine me répond : « C’est moi qui jouais du piano. »

Je me retourne. Une femme d’une quarantaine d’années, les cheveux courts et châtains, une écharpe autour du cou, vêtue de couleurs sombres. La tête un peu penchée, elle serre un sac contre elle. Discrète, presque timide.

Bravo madame. Bravo et merci.

Lyon, station de métro Valmy – septembre 2023

À chacun de mes passages, de loin en loin, l’entrée de la bouche de métro est gardée par un homme. Toujours le même, il mendie. La peau marron habillée de sombre, il tient une cannette de bière en hélant les passants pour leur demander une pièce.

Ce lundi-là, ils étaient deux lorsque je suis montée, un peu gênée et pressée par leurs regards croisés et leur humeur alcoolisée. Lorsque je suis redescendue quelques heures plus tard, il n’y avait plus qu’un gardien en haut de l’escalier. Tiens…

En arrivant au pied des marches, je croise le comparse qui marche vers la sortie. Celui du haut l’apostrophe :

– Tu fais quoi ?

– Je rentre.

– T’as les clefs ?

– Ouais, et toi ?

– Moi, je reste, je fais la manche.

Cet échange m’a fait sourire, et rappelé un des passages de mon cher Bill Bryson qui me font rire aux larmes (je ne sais plus dans lequel de ses livres). Il décrit une arrivée dans une gare quelque part dans ce monde, où il croise des gens bizarres. C’est fou ajoute-t-il comme les gares attirent les gens tordus. Il imagine un dialogue dans un couple : Chéri (e), j’y vais, c’est l’heure d’aller hanter les couloirs de la gare.

Septembre dernier mois d’hiver – Septembre 2023

C’est encore la canicule. J’ai pris l’été en horreur, surtout son dernier tiers dont la fournaise nouvelle trahit mes souvenirs. Avant, au siècle dernier, après les orages du quinze août, les températures chutaient pour de bon. Je compte les jours brûlants, malgré le confort de notre climatisation dans le salon, installée par la propriétaire précédente.

En feuilletant Instagram, je lis sur le compte d’une créatrice tasmanienne « Welcome to Septembre, last month of winter. » Bienvenue à septembre, le dernier mois d’hiver.

Un rappel de la relativité des choses.

Tomber dans le panneau – décembre 2022

Qu’on se le dise !

Merci à l’humour volontaire ou non d’inconnus.

Hommage à une grande dame – septembre 2022

En ce mois de septembre 2022, je voudrais rendre hommage à une grande dame, morte très vieille entourée des siens.

Elle a consacré sa vie à ses quatre enfants, à sa famille et à son devoir. Pendant la guerre, les difficultés de la vie, le deuil de son mari, elle a gardé le cap. Elle est restée un repère pour nous tous.

Ma grand-mère, Mamie Julie.

Ecrits et écriture – juin 2022

En rangeant, j’ai retrouvé une lettre de mon fils et une carte d’une amie. J’ai réalisé que je ne connaissais pas leur écriture actuelle. Textos, mails. Tapés, les messages manquent de saveur et de personnalité.

Connaissez-vous encore l’écriture de vos amis ?

Dosages

Au marché samedi chez le maraicher, une jeune femme a demandé quatre feuilles d’épinard.

Un autre, un monsieur âgé, deux asperges.

Et encore une autre fois, une cliente entre deux âges a demandé à la vendeuse de peser un abricot avant d’en acheter plusieurs kilos pour des confitures (entre 60 et 80 grammes).

Je n’ai pas compris.

Traductions de titres

Vous ne trouvez pas qu’il y a du génie dans les traductions de titres ?

Pensez à Autant en emporte de le vent (Gone with the wind) ou Le train sifflera trois fois (High noon). Mon amie traductrice m’a appris que cet exercice s’appelait de la transcréation. N’est-ce pas magique d’arriver à insuffler en quelques mots une émotion similaire dans une culture autre ? Les traducteurs de poésie et de textes humoristiques m’inspirent une grande admiration. Anthea Bell a fait des Astérix en anglais des oeuvres presque meilleures que les originaux (c’est dire). Les jeux de mots et noms de personnages sont extraordinaires.

Les chouettes cinés de Mainz Palatin et Kapitol (voir l’article Tout l’monde dehors ci-contre), programmeront bientôt le film On est fait pour s’entendre de Pascal Elbé. Le charmant titre allemand Schmetterlinge im Ohr, des papillons dans l’oreille, joue sur l’expression : Schmetterlinge im Bauch, des papillons dans le ventre, pour signifier qu’on a le trac au moment de rencontrer son nouvel amoureux.

Passage piétons – 30 mars 2022

En promenade dans le quartier commerçant de Francfort, dans une rue piétonne entre deux lieux très courus, surtout un samedi midi, le marché couvert (kleine Markthalle) et la Zeil (artère avec les grandes chaines de prêt à porter), nous avons traversé, avec plein d’autres piétons, une petite rue, au niveau d’un passage protégé. Une cycliste de mon âge a foncé au travers de tout le monde en criant :

-ZEBRASTREIFEN ! (passage piéton !)

Oui justement.

Boggle de la route – 11 février 2022

Vous connaissez le système d’immatriculation allemand  ?

A gauche : 1, 2 ou 3 lettres pour la ville de rattachement. Plus la ville est grosse moins il y a de lettres. K pour Köln, F pour Francfort, B pour Berlin ou M pour München. Sauf pour les villes de la Hanse qui gardent le H (HH Hansastadt Hamburg, HB Hansastadt Bremen). Villes moyennes deux lettres (Mainz : MZ), petites villes trois (Bingen : BIN).

A droite : une ou deux lettres et des chiffres.

Quand nous avons immatriculé votre voiture, nous ne le savions pas encore, mais il est possible de personnaliser sa plaque (avec ses initiales, la date de naissance de son chien etc…).

Certaines plaques se prêtent volontiers au jeu de Boggle, où on construit des mots à partir des lettres tirées au hasard. Bien sûr ce sont souvent des mots en anglais, où les mots courts sont légion.

En face de MZ sur le Rhin : WI (Wiesbaden). On voit : WI-FE WI-ND… Francfort n’est pas mal (F-UN, F-AR). BIN-GO. SU-RF. SIM-ON

Sur la route on s’amuse. Vous voulez jouer avec nous ?

Le Rhin à Budenheim

Adulte entre deux eaux – 18 novembre 2021

Lundi matin, besoin urgent de trouver dans l’épuisement du corps un soulagement de l’esprit. Vite à l’eau !

Depuis très peu la piscine est à nouveau accessible avec la carte de 10 entrées. Quand la caissière me l’a annoncé elle a éclaté de rire : “j’aurais aimé vous photographier ! Oh la tête !”. Incrédulité maximum. Quoi ? On ne paierait plus 5 € pour nager ?

Bien sûr on continue de montrer son vaccin, de scanner le code barre pour enregistrer sa présence.

L’inconvénient à cette souplesse retrouvée, c’est que le quota de nageurs a dû augmenter. (Les chiffres du corona sont à la hausse à Mainz, mais il semblerait que les décisions prises en d’autres temps continuent de s’appliquer selon le planning initial).

Zut alors.

D’expérience je sais. Le matin, la majeure partie du bassin étant réservée à l’aquagym, les nageurs courent le risque d’être coincés sur deux pauvres lignes. Mais là c’était le pompon. Y’avait eu un lâcher de mamies flottantes. L’aquagym était côté profond, avec ceintures-bouées. Les lignes étaient placées dans la largeur du bassin (à nouveau). Hors cours, les autres pataugeaient. Aucun nageur sportif (et pour cause). En fait, personne avec la tête sous l’eau.

J’ai repéré une ligne où deux dames faisaient des largeurs pépères. J’y ai glissé et me suis faufilée le long des bouées en tâchant de me faire oublier. Chaque temps d’expiration je profitais du calme procuré par l’eau. Et jeté des coups d’oeil par dessous au troupeau de jambes gigotantes, c’est rigolo).

Le premier cours achevé, les participants ont attendu en barbotant le début du suivant. Un maitre-nageur a déplacé les bouées de la ligne où je nageais. J’ai eu l’impression de vouloir faire du crawl dans l’aquarium de ma fille en surpopulation (oui ça se reproduit plus vite que ça ne s’entredévore).

Où les gens allaient-ils s’entreposer ? Ah, la musique boum-boum est repartie. La sédimentation s’est opérée autour de la dame en lycra. J’ai pu terminer ma séance de nage, tout au fond du bassin. J’étais seule.

Cette piscine couverte, squattée le matin par le troisième âge, est fermée au public l’après-midi, pour les cours. La piscine olympique est réservée aux scolaires et aux clubs toute la semaine (sauf avant 8h du mat, mais ça ne compte pas). Où et quand est censé nager un adulte ?

Trop vieux pour un bassin, trop jeune pour l’autre.

Pour une approche scientifique, j’ai pris en photo le planning des cours d’aquagym pour l’étudier. Je tâcherai de m’y faufiler, comme dans la piscine.

En cette époque où les minorités s’affirment, je m’interroge : les adultes entre deux âges sont-ils en droit de revendiquer des créneaux ?

Je propose la création d’une carte ‘’priorité aux adultes.’’ Je m’en servirai à la maison pour requérir de mes enfants d’occuper le salon.

Autun

Dépassée par les mots de passe – 13 septembre 2021

Ma plus jeune fille trépignait. Elle voulait un téléphone portable. Elle se débattait avec une antiquité à moi (10 ans d’âge) qui refusait de se recharger. Donc, en échange d’un meilleur appareil photo intégré, j’ai accepté de commander un nouvel appareil.

Livraison OK.

– Allez maman tu ouvres ton paquet ?

– Ouais, bientôt… ça presse pas.

Je redoute l’opération et les bugs associés. Je ne connais aucun numéro de téléphone par cœur (c’est fini ce temps-là).

Même marque que le précédent : transfert rapide des données et applications.

Jusque-là tout va bien.

Ma benjamine se jette sur son nouveau téléphone. Elle l’habille de la nouvelle coque commandée depuis dix jours et reçue la veille. Avant qu’elle ne consulte des messages qui ne lui sont pas destinés, je fais le ménage. J’enlève aussi les applications dont elle n’aura pas besoin, à commencer par Instagram. Elle fait des videos sans arrêt, elle a besoin de place.

Tout s’est bien passé.

Maintenant je peux découvrir mon téléphone.

Les photos ça a l’air compliqué. Y’a tellement de boutons…

J’ouvre machinalement Instagram. Qui me propose de créer un compte. Tiens donc… pourquoi ? Les applications sont copiées mais en mode déconnecté. Une par une, il faut retrouver les mots de passe et identifiants associés.

LE BAZAR COMPLET !

Dans le calepin à mots de passe, tout n’est pas écrit – par flemme. Parce que je compte sur le message : mot de passe oublié cliquez là. Sauf que pour IG, ça n’existe pas. Le piège s’est refermé sur moi. J’ai réussi a récupérer le compte de Mainzalors, mais pas mon perso. Le système ne reconnait ni mes adresses mails ni mes mots de passe possibles. Je ne trouve aucune adresse de SAV. Je me sens volée et abusée.

J’ai envie de sortir en claquant la porte. Je constate qu’il n’y a aucun bouton pour supprimer mon compte – surtout sans mode d’accès. Mais que fait la juridiction pour la protection du consommateur naïf ?

Un service gratuit, qu’est-ce que je croyais… c’est moi le paiement.

D’autres applis ont faim. Vous voulez voir mon QR code ? Ah faut le recharger. L’application française se laisse faire. Dans l’allemande un message apparaît : QR code erroné ou déjà chargé dans un autre téléphone. Mais comment vous savez ça vous ? C’est juste un bout de papier que je scanne. Eh, concepteurs de l’appli, vous n’avez pas envisagé ce cas de figure ?

Grrrr.

Mes outils ne m’obéissent plus.

Ancolie sauvage

Traductions poétiques15 juin 2021

Au début du printemps, mon amie franco-allemande m’a emmenée un vendredi matin à notre jardinerie préférée. Toutes les deux passionnées de jardin, nous avions des envies d’emplettes de pensées et bulbes d’été. Au rayon graines nous n’avons pas résisté. Pourtant on sait que c’est difficile à réussir les semis.

Nous nous sommes offert chacune un sachet de graines de nigelles de Damas. Une fois rentrée j’ai consulté les instructions au dos. J’ai éclaté de rire. La traduction française de la description de la plante propose : ‘’La fleur d’été fine qui pousse rapide convient à des plates-bandes, prés de fleurs, jardins de nature, à de petites autruches et séché pour décorations hivernales durables’’. J’ai envoyé un message à mon amie : vise un peu la version française. Emoji qui se marre.

C’est pas poétique ? Der Strauß veut dire 1-bouquet, 2- autruche.

Pourquoi, pourquoi, pourquoi ne pas faire relire les traductions par un natif ?

(Je crois que l’analyse SEO de mon article va encore bugger. Déjà que comme mon texte n’est, d’après les algorithmes savants pas accessible à un enfant de onze ans, elle me met toujours un smiley rouge qui fait la tronche, un ‘’tronchey’’ disons.)

Dans la mesure du possible je tâche de lire en VO. Je suis amoureuse des livres et cliente fidèle de la librairie de mon quartier, une librairie pour enfants avec une sélection adulte très pertinente. Il m’arrive de leur acheter des bouquins en allemand si je suis très en forme, sinon je commande des livres en français ou en anglais. Je leur envoie un p’tit message sur Instagram. Livraison en boutique le lendemain.  Le système allemand de distribution des livres est très performant.

Il est intéressant de découvrir sur leurs étagères quels livres français ou anglais passent la frontière et sont traduits en allemand.

Ces derniers mois dans la promotion en ligne de la librairie sont apparus L’homme à l’envers de Fred Vargas et les BD de Titeuf. Je n’ai pas pu m’empêcher d’écrire un petit commentaire du genre “Oh trop bien !” (ça fait quinze ans que je l’ai lu ce roman super qu’il arrive enfin). A l’automne grâce à ma libraire germaine j’ai découvert l’auteur Jean-Paul Dubois (oui, je sais…). Elle m’a venté son dernier roman Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon. L’obtention du prix Goncourt garantit une traduction rapide. Puis m’a conseillée de l’acheter en France : elle n’arrivait pas à avoir la VO à un prix raisonnable.

Cette année la Foire du livre de Francfort, la plus grande du monde, aura lieu du 20 au 24 octobre. Je tâcherai d’y aller : ça doit être impressionnant. Le dernier jour permet parait-il de profiter de promos. Pour la semaine de calme qu’il me faudra pour me remettre de cette agitation, j’aurai plein de nouveaux livres pour me tenir compagnie.

Chou y es-tu ? – 26 avril 2021

Chou rouge, chou blanc, chou vert, 
Chou-rave, choucroute, chou frisé en feuilles (Grünkohl), 
Brocoli, chou-fleur, chou romanesco, 
Petits bourgeons de chou vert à manger poêlés.
J'en passe et des moins bons.
Asperges.
Merci aux choux de céder la place en avril.
Enfin.

… – 04 mars 2021

Sinon, vous, ça va ?

Hmmmm…

Tiens, il commence à pleuvoir.

La vie en bocal limite la conversation vous ne trouvez-pas ? Allons-nous tous devenir des cornichons ?

Piano confiné – 04 février 2021

Le confinement grignote même le fatalisme. Intimité confisquée. Nous sommes en permanence quatre à la maison.

Mon piano reste ouvert, comme toujours, une partition à la page que j’étudie (en ce moment un nocturne de Chopin – n°12 en sol). Je n’ai qu’à m’asseoir et jouer.

Et pourtant… J’ai du mal à m’y mettre.

La maison grouille et ronronne de videos conférences. Ma fille malade squatte le canapé. Je n’ai pas envie de nourrir le bruit ambiant (même avec de la musique). J’ai besoin de pouvoir répéter sans fin les mêmes portées sans craindre de soûler tout le monde. De pouvoir insuffler l’intensité voulue au morceau. Encore et encore. Nous défouler tous les deux mon piano et moi. Les ondes d’activité des miens ne me laissent pas assez de calme intérieur pour jouer.

Je le regrette.

L’autre soir, j’ai eu envie d’un morceau doux et lent. Un morceau qui colle à mon humeur pluvieuse. La transcription de Bach d’un concerto pour hautbois de Marcello. Un adagio mineur. Mélancolique.

Dès les premières notes, je revois l’Institut français de Mainz, avec le filtre nostalgique de ma découverte : toute nouvelle immigrée, j’essayais de nouer des contacts, et d’apprivoiser le fait que désormais, ma ville c’était ici.

L’Institut français est situé dans un hôtel particulier blanc et brique, tout près du centre palpitant de la vieille ville de Mainz, hub de bus et tramway, lieu de lancement de carnaval, d’un bout de marché de noël : la place de Schiller.

Les pas résonnent dans les allées vides de la médiathèque francophone. Deux dames y travaillent dans un silence religieux. J’ai emprunté plusieurs films, pour les faire découvrir à mes enfants (La grande vadrouille, succès mitigé) ou me distraire dans les moments difficiles.

Je voulais voir L’étudiante et Monsieur Henri d’Ivan Calbérac depuis que j’avais lu Venise n’est pas en Italie du même auteur. Je l’ai emprunté quelques mois après notre arrivée en Allemagne. Les rues de Paris vues depuis un salon mayençais récemment installé avaient un goût doux-amer. Le chant lent du morceau de piano joué par l’étudiante s’accordait bien à mes émotions du moment.

J’ai rendu le DVD et me suis acheté la partition.

Les derniers jours maussades et le manque de perspectives dans le tunnel dans la pandémie m’ont donné envie de le réentendre sous mes doigts.

La dernière mesure s’ouvre sur une bouffée d’espoir.

J’ai hâte de pouvoir à nouveau jouer à quatre mains les valses de Dvorak et Brahms (ici les valses 3 et 4 de Brahms) avec mon amie franco-allemande.

Peut-être que mon amie allemande de Lyon apportera son violon lors de sa venue à Mainz en avril. Peut-être que nous aurons le droit d’être à deux foyers entre les même quatre murs. Nous pourrions jouer nos duos baroques pendant que nos enfants chahuteront. Comme au bon vieux temps quand ils étaient tout jeunes.

(Je vous ai mis des liens vers des interprétations professionnelles ;o)

Fleurs interdites – 16 décembre 2020

Chère rubrique billets d’humeur,

Je m’aperçois que ça fait longtemps que je ne t’ai nourrie. Ce n’est pourtant pas faute d’en avoir des émotions à partager.

Ce n’est pas non plus faute d’avoir passé beaucoup de temps, tous les jours, à ce clavier. Je travaille à mon récit. J’ai répondu à un appel à textes pour une revue avec un article de 8000 mots sur le thème “débuts”. Le mail d’envoi est parti avec tout mon espoir d’être sélectionnée par le comité de lecture. Tout en gardant à l’esprit que l’approbation des autres n’est pas garante qualité. (On se rassure, hein).

Forcément, ces projets empiètent sur le temps consacré à blaguer dans mon blog.

Pas besoin de fouiller dans mes poches pour retrouver des humeurs à partager.

L’Allemagne a les chiffres du corona qui enflent. Des mesures drastiques sont prises. Seuls les commerces essentiels sont désormais ouverts. Ce matin au marché, sous un ciel bas et mouillé, l’emplacement du fleuriste était vide. A sa place une affiche manuscrite invitait à retrouver les roses de Noël à leur jardinerie. Quelque part loin.

J’en ai eu les larmes aux yeux.

Comment peut-on interdire les fleurs ?

P.S. : Une semaine plus tard. Le fleuriste est revenu au marché suivant. Son absence en début de lockdown hard était peut-être une coïncidence ? J’ai été soulagée de revoir son sourire jovial derrière les hampes d’amaryllis et les roses de Noël. C’est tellement plus gai de croiser des paniers fleuris !

La carte non postée – 29 octobre 2020

Carte postale de Helmut Krackenberger

Sur l’étagère deux paquets cadeaux, deux livres de poche épais que j’ai emballés hier avec du papier kraft bicolore, beige et bleu marine.

Ce matin, pendant les préparatifs pour l’école, j’interpelle ma grande fille.

-Tu peux me sortir une carte postale s’il te plait ? C’est pour l’anniversaire de Grand-Père. J’irai à la poste demain. Ce serait bien que tout le monde mette un petit mot.

Dans le tiroir du bas de la commode de l’entrée, nous stockons des dizaines de cartes postales. Des reproductions d’art achetées dans les musées, des photos de paysages choisies en vacances pour les copains et jamais envoyées, des cartes de Noël de l’Unicef, des cartes offertes par des amis allemands photographes et éditeurs de cartes postales en Ardèche.

-Pourquoi tu ne la sors pas toi ?

Je serre les dents et je me crispe (non Estelle, fais gaffe à ton dos). Je suis d’abord indignée par l’insolence. Mais de la part de mes filles c’est une question authentique, une manifestation de curiosité de bonne foi (je le sais pour avoir posé, à leur âge, le même genre de questions). Tout de même, j’accuse le coup.…

-Parce ce que je suis occupée.

-A quoi ?

-Je range la cuisine, tu vois pas ?

Entre mes mains, le manche multicolore du balai devrait l’informer. Pour accéder au contenu du tiroir, après avoir poussé l’aspirateur, en évitant de se cogner la tête à l’escalier, il faut se mettre à quatre pattes de biais le temps de choisir. Je n’en ai pas envie. C’est une position que je redoute.

Une bise rapide en forme de coup de casque. Les filles partent à l’école harnachées de leur gros cartables, sur leur vélo. Bonne journée, attention sur la route.

Quelques minutes plus tard, je trouve une carte postale sur la table à manger. Elle représente un bouquet de pivoines roses et de lilas en gros plan, dans un vase en céramique émaillée bleu orient. Je la regarde un moment et la laisse sur la table, avec mon sourire.

A leur retour en fin d’après-midi j’interpelle ma plus jeune :

-Tu sais ce que c’est ce que c’est cette carte ?

Elle tend le cou et jette un regard rapide.

-Non.

J’appelle la plus grande qui descend l’escalier. Elle est encore sur les marches quand je lui montre la carte.

-Pourquoi as-tu choisi cette carte ?

-C’est la première que j’ai trouvée. Elle est jolie, et Grand-Père aime les fleurs alors elle devrait lui plaire.

Effectivement, ce sont des fleurs de son jardin. Des fleurs d’il y a au moins 25 ans. Un bouquet composé par ma mère et photographié, chez nous, par les amis allemands éditeurs de cartes postales. Il doit m’en rester deux ou trois exemplaires. Je les garde jalousement.

Nous ne l’enverrons pas à Grand-Père.

Ma fille a poussé l’aspirateur, plongé à nouveau la main au hasard dans le tiroir. Au premier coup elle en a tiré une carte de Noël. Au deuxième, un paysage breton de mer déchainée avec un phare.

-Donne, c’est parfait celle-là. Grand-Père adore la mer.

De vous à moi – 24 septembre 2020

(à moins que ce ne soit le contraire)

Nous avons jardiné ce week-end. Jardiné dans des pots. Nous avons ‘’potiné’’.

La terre de notre terrasse est un fin remblai pour recouvrir les cailloux placés là pour stabiliser le sol. A la vue d’une maison en construction j’ai compris pourquoi :  le gros œuvre fini, on remplit les fondations, on tasse, on verse une bonne couche de cailloux, puis on recouvre d’un peu de terre. Impossible (pour moi) de creuser. Mon mari appelé à la rescousse pour planter un pied de graminées, a dû sortir un volume équivalent de caillasses avant de pouvoir l’installer.

Nous avons donc créé, hors sol, des pots fleuris pour notre entrée, histoire de cacher la misère de cette plate-bande où même les lierres hésitent à s’installer. J’ai aussi taillé la haie, à ma façon, par-ci par-là, pour éviter une ligne droite militaire. Les branches récupérées (découpées grossièrement au sécateur) iront couvrir le sol de notre talus sur lequel rien ne pousse. On verra si ça l’enrichit. S’il veut bien pleuvoir aussi….

Donc notre environnement s’est plutôt revigoré ce week-end. J’en veux pour preuve deux grandes griffures sur mon bras droit.

Pourtant ce matin je suis ronchon.

On se demandait avec une amie la semaine dernière : qu’est ce qui fait que d’un coup l’humeur change ? On établit un équilibre, à peu près, quelques jours, quelques semaines. On y fait bien attention. Et puis un jour, une poussière dans l’air fait giter l’embarcation.

Ma poussière cette fois je la soupçonne de s’appeler TV. Depuis notre retour de vacances début août, nous n’avions pas regardé la télé le soir. Juste écouté de la musique en lisant. Ce week-end, nous avons cédé à ses avances et aux demandes répétées de nos filles. Un dessin animé samedi soir tous ensemble. Un épisode de Modern Family dimanche soir (que j’avais déjà vu et que je n’aime pas car il met – exprès – en scène des gens insupportables, et même à travers l’écran ça m’agace) avec les filles, le début d’un film nul sans elles. On voulait se distraire sans se prendre la tête.

Raté. J’ai essayé de suivre le flot, de me laisser emporter. Mais ça ne me réussit pas. J’ai pris sur moi pour ces trois moments. Ces ”distractions” m’ont grignoté la patience. Et le piège canapé + télévision se referme vite. « Non mais c’est nul ce film. Tu crois qu’il va se passer un truc sympa après ? » Et hop, d’après en après pour voir, déjà une heure est passée. Non seulement je ne me détends pas, mais en plus la radio interne se met en marche : « Voilà, tu recommences. Tu ferais mieux d’aller bouquiner seule dans la chambre plutôt que de regarder ces trucs qui t’énervent. Tu le sais que c’est pas bon pour toi. Allez bouge-toi ! » Oui mais je suis bien installée là, allongée… j’essaie de donner une chance au produit – et aux suggestions de Netflix.
Le voilà le problème.

Nous nous sommes abonnés comme beaucoup pendant le confinement. L’abondance de programmes laisse espérer en trouver un qui fait envie. Ça ne m’est pas encore vraiment arrivé (à part avec Annie de 1982 et ses boucles rouquines la semaine dernière). La plupart des films que j’aime ou que je rêve de voir n’y sont pas. Le catalogue ne correspond pas à mes goûts (j’évacue tout ce qui est violent, dur psychologiquement, nunuche). La facilité nous encourage à y fouiller. Les bonnes surprises à la sortie restent trop rares.

Tant pis s’il faut payer à l’unité. Le prochain film que je regarderai sera celui que je veux voir. Je me forcerai à faire tous les gestes supplémentaires : arriver à faire fonctionner le site de la commande (souvent celui d’Arte bloque), aller chercher le portemonnaie, saisir les données sur un écran de téléphone trop petit à 20 reprises parce que ça coince, etc… L’autre jour, j’ai regardé Notre-Dame de Valérie Donzelli (Arte, VOD). Une bonne bouffée d’esprit et de vie parisienne bon enfant, de sourires. Un élan pour quelques jours.

Bien sûr Netflix ça marche sans faute. C’est bien le piège. Si je me réconcilie avec je vous dirai. Et si vous avez des suggestions, je les prends avec plaisir.

Du casque rouge et autres objets totems – 14 Août 2020

Ce matin, au départ pour l’école d’été, ma benjamine enfile son nouveau cartable et m’interpelle :

Regarde maman, il se démonte mon casque. Il m’en faudrait un nouveau.

Ah oui effectivement !

La partie protectrice rouge se détache du polystyrène intérieur.

Mais on le gardera, hein. Parce qu’il était à mon frère et à ma sœur. On l’a eu tous les trois.

Je revois sous ce casque rouge son grand frère encore petit sur les pistes de ski du Vercors. Sa sœur sur d’autres pentes en Haute-Savoie. Je ne me souviens déjà plus si elle l’a utilisé pour skier – je crois qu’il était encore en service au niveau précédent. Depuis plusieurs mois, elle a déclaré son casque de vélo trop petit et préfère porter celui-là.

Un casque rouge usé et rayé comme objet totem de la fratrie. Pour ma fille, pas pour moi. J’étais (je suis toujours) prête à le jeter ce casque épuisé. Merci à lui.

J’en ai d’autres d’objets symboliques qui me rattachent à des personnes, des époques, à mes ‘’moi’’ plus jeunes. A tout ça à la fois. Des objets trop bavards dans leur silence, rayonnants de morceaux de passé. Ils prennent beaucoup plus de place que leur empreinte sur terre.

J’ai décidé de m’en séparer le plus possible, de leur rendre leur liberté et de reprendre la mienne. Là où c’est plus difficile c’est pour les objets que l’on aime, au-delà de leur symbolique qui nous rattache à des pans de notre histoire. Parce qu’on les trouve beaux.

Je me demande si autour de moi se trouvent des objets totems de mon futur. Ceux qui ne représentent que leur utilité propre et prendront dans quelques temps une valeur autre, une aura patinée.

Je nous imagine dans quelques années dans notre nouvelle maison en France, au déballage d’un vieux carton :

Oh regarde maman, le stylo encre que m’avait offert ma copine.

Et mon déguisement de Cléopâtre de Fastnacht (carnaval). Tu te souviens tous les bonbons qu’on avait attrapés ?

Et hop, la lampe frottée, le génie de notre vie allemande s’en échappera.

C’est l’avantage des déménagements successifs : ils encouragent les séparations d’avec le passé à tous les niveaux. Ça fait mal au cœur ou ça soulage. Souvent les deux simultanément.

Ne dit-on pas que trois déménagements équivalent à un incendie ?

C’est l’occasion d’ouvrir un cahier tout neuf, de changer la déco et de se mettre à la page, de faire de la place au présent pour accueillir son nouveau soi et les nouveaux copains. Heureusement, les meilleurs amis du passé sont aussi ceux du futur. Et d’aujourd’hui. Tiens si on les invitait ?

Et si on allait au restau ? – 4 août 2020

Quelque part en France en juillet :

Allo, je voudrais réserver une table pour quatre pour ce soir vers 19h30/19h45.

Oui, venez quand vous voulez, on ouvre à 19h, la table vous est réservée.

Quelque part en Allemagne en janvier :

Allo, je voudrais réserver une table pour quatre pour ce soir vers 19h30/19h45.

19h30 ou 19h45 ?

Escampette (poudre d’) – 30 juin 2020

Voyage secret en France chez une amie d’enfance, pour me terrer dans un cocon d’amitié paisible, de vert et de ciel. Après l’apnée violente du confinement, j’ai besoin de solitude, d’une coupure avec les miens pour mieux les retrouver.

Je ne peux pas exactement dire que je voudrais être avec vous, car à dire vrai, je suis mieux ici tout seul ; mais j’aimerais le vouloir.” (R.L. Stevenson, dans un courrier à sa mère pendant son voyage avec un âne à travers les Cévennes.)

L’expatriation c’est un peu comme le confinement : d’un seul coup les ressources sociales se recroquevillent sur les membres de la famille et leur font porter une sacrée pression. Joies, distractions, énervement, tout passe par eux. Même quand on a pris pied dans le pays d’accueil, la superposition des deux, être confiné en expatriation, amplifie le phénomène.

J’aspire à remonter à la source de mon bonheur : l’amitié ancienne, le Midi dans le cœur et les souvenirs. Baigner dans le calme pour faire retomber la pression qui m’emporte dans son tourbillon. Je n’ai donc vu personne d’autre malgré l’envie que j’en avais – même pas mon fiston happé par le tunnel de concentration des concours. Ce calme joyeux m’a fait le plus grand bien. Ça faisait neuf mois que je n’étais pas venue en France. La semaine de ski en Haute-Savoie ne compte pas : d’abord parce que sur les pistes on y entendait plus d’anglais que de français, et ensuite c’était alors surtout la nature qui comptait. Les échanges sociaux se sont limités aux brèves conversations avec notre hôte et la boulangère.

Lors de ce récent voyage, j’ai trouvé curieux comme après deux ans en Allemagne, mon regard, mes réflexes, étaient devenus étrangers. Déjà dans le TGV j’étais la seule à manger mon sandwich de pain noir à 18h… J’ai été presque choquée (pas longtemps hein) de voir tous les voyageurs quitter la gare par la porte sous le gros panneau rouge Sortie interdite (et j’ai gaiement fait comme tout le monde). Surprise de voir que les Français n’arborent presque que des masques jetables.  A Mainz la mode est à ceux en tissu, souvent faits maison. Ce sont d’ailleurs les seuls que nous ayons chez nous.

Mon amie rentre du travail et je suis éblouie par son allure chic et distinguée. Ah le bon goût et le charme français ! Ça fait bien longtemps que je n’ai pas privilégié la classe vestimentaire au confort. Belle adaptation à l’Allemagne côté jeans / T-shirt / baskets (ben oui, suis toujours en vélo).

Mon cerveau est surpris d’entendre les enfants d’à côté jouer en français. Il m’a fallu plusieurs jours pour me réhabituer aux conversations françaises. Pas dans la famille chez qui j’étais bien sûr. Mais au-delà des haies. Un monsieur prend congé d’un voisin sur un « Voilà, voilà »…. Et dans ces deux mots, je sens toute la simplicité, la spontanéité de la fin d’une conversation entre amis, celle dont on sait qu’elle reprendra bientôt. On a échangé les dernières nouvelles. Voilà voilà. A bientôt.

Au bord de la piscine, je ne fais rien. Que sentir le vent sur mon corps et contempler les feuilles mobiles du bouleau et le ciel. Je regarde les reflets de l’eau sur le mur. Cette lumière liquide tourne, chavire, chahute avec les feuilles de la glycine dans le vent. Plus loin, plus tard, une graine ailée de tilleul tombe en dansant dans la lumière du couchant. Sans le mur, sans la graine, les éclats de lumière se seraient perdus dans l’air ambiant, dilués, gaspillés dans l’espace. La vie à l’étranger se contemple mieux sur le support éphémère d’un séjour ‘’à la maison’’, dans son pays d’origine. Et réciproquement. Les différences et similitudes se répondent dans un jeu de miroirs.

Une chose est sure, les comportements absurdes et bornés sont assez bien répartis entre les cultures… Mort aux cons, vaste programme…. Les trajets me l’ont bien rappelé. Mais à choisir je préfère l’indiscipline à l’ordre à tout prix. La première donne l’illusion d’être limitée à son perpétrant, tandis que le deuxième a la fâcheuse tendance de déborder sur les voisins en voulant les contraindre. Gare à vous si vous voulez me mettre au garde-à-vous !

Dans le train à l’aller un Allemand me voyant me préparer pour descendre – moi qui devais courir pour attraper une correspondance à cause du fichu retard – m’interpelle : « SITZEN BLEIBEN NOCH 10 MINUTEN ! » (Assise, encore 10 minutes !) Comme on parle à un chien. Et sur le même ton. L’impératif allemand a un écho de marche au pas. En quoi ça le regarde ? En plus il ne restait que 5 minutes. Non mais… Bon vivement la France…. Au retour, le TGV a pris 10 minutes de retard pour intervention des forces de l’ordre pour refus de porter un masque à bord…. Vraiment ? Où l’impression d’honneur va-telle se nicher ? Vivement l’Allemagne…. Lors de la correspondance en Suisse, un papa teuton me demande de quitter mon siège car il l’avait réservé. Le wagon de 1ère classe était vide, dans un train affiché sur l’application comme très peu chargé…. Suis sur les nerfs en ce moment, et même si un côté de moi le comprend (c’est une demande -presque-raisonnable), l’autre le trouve absurde et se révolte car je n’aurais jamais fait ça. D’ailleurs, le pauvre, je lui ai dit ce que j’en pensais (pas grand-chose de bon). Grrrrr… Je me révolte pendant une demi-heure dans un carnet où j’explique avec des mots moins polis que je ne supporte plus le court-circuit du bon sens pour suivre LA REGLE. Je peux faire demi-tour tout de suite ?

Rien de bien nouveau en somme. Nous sommes tous humains, trop humains.

Voilà, voilà.

~ Un grand merci aux complices de mon échappée jolie. ~

Des usines à la campagne – 28 mai 2020

Vue depuis les bords de la rivière Nahe

Au début de notre séjour en Allemagne, nous avions fait une excursion à Idar-Oberstein. C’est une petite bourgade blottie dans un creux, autour d’une rivière, au sud-ouest de Mainz, en direction du Luxembourg. Elle est célèbre pour ses mines de pierres semi-précieuses, son église troglodyte et à peu près rien d’autre.

Notre plus jeune fille avait été séduite par les trésors lapidaires d’une camarade de classe. Elle s’était fait écrire le nom de la ville sur un bout de papier et nous réclamait régulièrement d’y aller. Elle rêvait de dénicher dans une touffe d’herbe un éclat mauve d’améthyste.

Un dimanche, faute d’argument ou d’idée meilleure, nous avons obtempéré. La route serpentait entre villages et vignobles, forêts et champs dans une campagne gaufrée. J’avais été surprise de découvrir de temps en temps au détour d’un virage, une usine, perdue dans le vert, au bout d’une route départementale.

Récemment, lors de notre recherche de rivière pour y tremper des pieds impatients, nous avons traversé une petite ville thermale (Bad Kreuznach jumelée avec Bourg en Bresse). Une unité de production Michelin s’était posée là au milieu de champs agricoles.

Dans Bérézina, Sylvain Tesson relate son épopée à moto et sidecar depuis Moscou vers Paris, sur les traces de la retraite de Russie de Napoléon. Quelle ne fut pas ma surprise de lire qu’il était passé par Mainz et Idar-Oberstein. Et lorsque j’ai lu le passage suivant, je me suis écriée : oui c’est tout à fait ça !

« La campagne n’avait pas changé depuis le passage de l’Empereur, nonobstant la prolifération des fabriques, des usines. Dans la Rhénanie du XXIème siècle elles étaient partout, disséminées dans les bocages, piquetant les petites villes, mouchetant les hameaux. Chez nous on les concentrait à la périphérie des bourgs. Cela avait créé ces espaces si représentatifs de la France contemporaine : les ‘’zones industrielles’’, les ‘’zones d’activité commerciale’’ : géographie dépressive, desservie par un réseau de rocades, de ronds-points. » Sylvain Tesson, Bérézina

Les Allemands auraient-ils réussi à mettre sinon les villes du moins l’emploi à la campagne ?

Muguet – 1 mai 2020

1er mai ! En Allemagne, il n’y a pas cette tradition de ramasser, acheter ou offrir un brin de muguet (je viens d’apprendre que muguet se dit Maiglöckchen, les clochettes de mai). Alors je vais discrètement passer devant une maison voisine dans la rue d’à côté. J’y ai repéré devant l’entrée un parterre humide de clochettes blanches.

J’en profiterai pour vérifier le degré d’éclosion des grappes d’acacias dans le bosquet juste en face. Avec mes filles on les guette. Pour leur parfum, et les souvenirs d’Ardèche chez grand-père. Et pour les beignets.

Aller aux pâquerettes – 23 avril 2020

C’est l’heure de notre tour de pâté. Notre trajet pour l’école, inutile et pourtant essentiel à notre journée. Mes filles et moi prenons l’air avant de nous asseoir pour la matinée.

Nous avons la chance d’habiter un quartier vert, avec en son centre de grandes pelouses. En ce moment elles sont constellées de pâquerettes. Nous marchons sur la lumière d’un tapis de confettis blancs.

L’an dernier une nouvelle amie a appris à mes filles à tresser les fleurs pour en faire des couronnes. Mes demoiselles ont envie d’essayer, voir si elles se souviennent des gestes.

Alors ce matin, nous sommes allées aux pâquerettes. Comme en d’autres temps on allait aux champignons ou aux châtaignes.

Dans une assiette creuse sur la table à manger flotte une couronne charmante dans un peu d’eau. Tout le printemps d’une prairie est entré avec elle dans notre maison confinée. Elle va égayer notre déjeuner de sa fraîcheur naïve.

Mauvaise humeur – 14 avril 2020

Vivre la différence au jour le jour ou touche pas à mes poubelles !

Une amie allemande qui vit en France m’a dit qu’elle était parfois surprise de ce que j’écris. Que sans doute depuis toutes ces années qu’elle a quitté l’Allemagne, les choses ont dû changer. Ou que j’exagère volontiers. Je ne pense pas. Dans le doute j’ai posé la question à mon mari. Il m’a rassurée : pour toutes les situations dont il a été le témoin il trouve mon récit fidèle.

Je crois que quand on naît et vit quelque part tout dans notre univers nous semble ”normal”. Comme sa famille semble ”normale” à l’enfant qui n’est jamais parti en vacances chez un copain. Même si on part vivre à l’étranger, le choc culturel n’est pas obligatoire lors des visites-retours sur les lieux de notre jeunesse. Par contre lorsqu’on arrive de l’étranger avec un autre référentiel , les incohérences des comportements sautent aux yeux.

Mon amie d’enfance allemande (qui vit toujours en Allemagne) me dit que c’est normal que je sois choquée parfois. Qu’elle aussi bien sûr ça lui arrive avec ses concitoyens (comme c’est le cas partout, pour tout le monde). Mais quand elle croise un con dans son pays elle sait que ç’en est un. Elle lève les yeux au ciel, hausse les épaules presque aussi haut et s’en va sans gaspiller d’énergie.

Dans son propre pays, on connaît les codes, on sait reconnaître une personne sympa et celui qui se comporte mal. A l’étranger, on est toujours en recherche d’adaptation, d’acceptation, de mimétisme. Alors quand on tombe sur quelqu’un de désagréable ou une habitude inconnue, et à nos yeux absurde, il n’est pas toujours facile de se contenter de hausser les épaules. On veut bien faire le grand écart mais ça use. On ouvre notre esprit jusqu’à la douleur.

Rendez-moi mes cons, mes désagréables ! Au moins je les fuis d’instinct. Leur agression bête me touche moins. Ici j’ai un temps de doute. Un a priori plus neutre, encore moins de préjugés ou d’une autre façon. Du coup je tombe de plus haut. C’est peut-être aussi ça un préjugé une housse de protection contre les agressions extérieures. Parfois mal orientées. On se protège par devant et hop la flèche arrive par derrière. Raté. Ou l’inverse. On la relâche un peu trop dans un élan de partage et de curiosité et clac, la lame tombe.

La raison de cette discussion avec mon amie d’enfance allemande était l’anecdote suivante.

Par la fenêtre je vois l’abri à poubelles d’un immeuble voisin. Et sa vue me dérange depuis quelques semaines. Ce n’était pas le cas avant.

C’est un cagibi avec, entre trois murs et demi et un toit, les containers pour les différents types de déchets (cinq). Il présente l’avantage d’être sur notre chemin pour l’école. Notre local poubelle est au bout d’une rue de l’autre côté, à 10 minutes aller-retour (en ce moment certes c’est tout bénef). Il nous est arrivé de façon discrète et ponctuelle de jeter, en partant le matin, un petit sac de compost (bien propre et bien fermé) dans ce cagibi voisin.

J’ai toujours été inquiète de me faire gronder. La première fois je n’ai osé passer le seuil que parce que nos containers débordaient et grâce aux encouragements d’une amie allemande. « On n’est pas à Stuttgart quand même ! ». Nous n’avons bien sûr pas abusé et ça s’est toujours bien passé.

Les derniers temps avant le confinement, mes filles se sont fait gronder par un habitant. Quelques jours plus tard, mon mari est également venu reposer son sac de compost à la maison avant de partir au travail. Il s’était fait reprendre. Son calme britannique n’en a rien conclu de particulier. Je n’en ai pas su le détail. Mais je me suis sentie agressée par procuration.

Quelques jours plus tard, au début de la crise du coronavirus, j’ai aperçu par la fenêtre de mon bureau des artisans qui s’activaient dans le local poubelle. Le soir-même l’ouverture était condamnée par une belle porte en bois tout neuf. Les bâtiments dans le quartier ont tous une douzaine d’années. Jusqu’à présent, les habitants n’avaient pas eu besoin de fermer ce cagibi. Je ne peux m’empêcher de penser que la porte est une conséquence de notre indiscipline . Ah ces Français / Anglais  !

Nous laisserons donc une trace indélébile dans notre environnement, une trace qui crisse comme la craie sur le tableau noir. (On a aussi planté plein de fleurs, hein, qu’on se le dise).

Comment peut-on être mesquin au point d’enfermer ses poubelles à clefs, pour éviter un petit ajout ponctuel, propre et discret de la part d’un voisin ? Et avoir aussi peu confiance qu’une demande orale ne soit pas entendue ? Et ce au moment de l’arrivée d’une crise sanitaire mondiale.

Je ne passe plus là devant.

Norton – 25 mars 2020

Que me dis-tu ?

Tu ne peux, à nouveau, pas te mettre à jour. Tu veux que je clique ici et là et que je redémarre, à nouveau, mon ordinateur ? Parce que sinon je risque gros, de voir mes fichiers volés par des hackers ou infectés par des virus ?

Des menaces ?

C’est la première fois depuis toutes ces années de collaboration silencieuse que tu cherches autant à te faire remarquer.

Quand je me connecte, avec le profil d’administrateur, à mon site (celui-là même où j’écris ces lignes), tu ouvres une fenêtre d’alerte. Je site, pardon, je cite : ‘’La communauté Norton ne lui fait pas confiance pour deux raisons : le site est nouveau (ce site web a été mis en ligne récemment) et ne compte que peu d’utilisateurs (très peu de membres de la communauté Norton ont utilisé ce site)’’.

Evidemment, c’est un site confidentiel, à l’échelle du web c’est une paillette. Et il est récent, âgé de quelques mois à peine. La jeunesse est-elle donc suspecte à ce point ?

C’est pas le moment de faire le malin.

Je vais t’en donner moi des antivirus. C’est ça qu’on cherche hein, de notre côté de l’écran. Alors la ramène pas.

Le buste de jeune homme, en cours de travail

Le penseur – 9 mars 2020

Une séance de modelage à l’atelier de terre, un après-midi.

Je bats mon argile. Je la malaxe pour lui donner une forme qui me convienne. Je veux continuer de travailler les visages. Ce sera donc un buste de jeune homme, un pendant à ma dernière sculpture en cours de séchage, la jeune femme dans sa fleur. Je ne cherche pas de ressemblance avec quiconque. Juste une vraisemblance, des traits satisfaisants à l’œil.

Mon fils est en visite à Mainz et je pense à lui en commençant mon nouveau projet.

La semaine suivante, alors que je dévoile ma sculpture entamée pour la poursuivre, une artiste, voisine de table, le regarde et me dit :

Ah c’est un jeune Casanova ! (en vrai elle a utilisé un mot allemand que je ne connaissais pas, et elle me l’a expliqué comme cela).

Je souris.

Jeune comment ?

Plus de 18 ans, mais pas beaucoup plus.

Une autre amie de terre, en face sur la table en bois, fignole une panthère endormie :

C’est un penseur. Je dirais un philosophe.

Mon fils a 19 ans. Il suit des études de philosophie. Mes nouvelles collègues de l’atelier n’en avaient aucune idée.

Ce qui passe à notre insu à travers nos doigts ! (ou alors le hasard s’amuse).

La dernière fois – 23 février 2020

On sait toujours quand c’est la première fois. Pas toujours quand c’est la dernière. Au fil des ans, les premières se font plus rares. Les dernières passent souvent inaperçues. On a le temps. On verra bien. On se reverra. A bientôt.

Notre installation dans une nouvelle ville, un autre pays, a fait rejaillir des premières fois en pagaille. Comme pour un tout jeune enfant.

La première fois où nous nous sommes inscrits dans une mairie allemande (pourvu, pourvu qu’on ait tous les papiers !). Celle où on a voté à l’étranger en faisant des croix sur un drap de lit pour les municipales (c’est quoi les partis à éviter ?). Celle de la première réunion de parents d’élèves (c’est quoi les BJS* ? Pourquoi est-ce qu’on vote pour les parents délégués puisqu’il n’y a que deux candidats pour deux postes ?). Mon tout premier cours de yoga en Allemagne, et de toute ma vie. Ma première Stammtisch, curieuse et vaguement intimidée, au restaurant du coin (voir article : A table !). La première fois qu’une nouvelle amie m’a prise dans les bras pour me saluer (impression d’arriver au port, ah bon y’a des copines ici aussi, soupir souriant).

Bien sûr en partant, nous avions enfilé une multitude de deuils, plus ou moins petits, comme autant de perles de nacre, sur la corde tendue de nos souvenirs. Les larmes de l’adieu à tout un passé, sur un sourire vers le futur qui hésite encore. Les temps des rencontres et des séparations, des grossesses et des naissances, des bienvenues à des enfants, des adieux à une maman. Des appartements qui changent de quartier en fonction de leur nombre de chambres. Des coins de trottoir où on s’est quittés après un déjeuner de copines, la station de métro bruyante et nauséabonde mais à laquelle on pensera avec nostalgie parce qu’elle dessert l’école maternelle. On reviendra, on se reverra les copains. Mais dans la poche nous n’aurons plus la clef d’un logement à deux rues d’ici. Nous serons de passage, sur les traces d’empreintes estompées.

Sans parler de cette situation extrême (du déménagement à l’étranger), la vie courante nous réserve son lot d’étoiles filantes ou de cailloux en matière de dernières fois. Je me souviens de l’ultime tétée de mon troisième enfant, calée contre la tête de lit. Une dernière fois précieuse, fragile, éternelle, vécue pleinement la gorge serrée. Du dernier souffle de ma maman. « Estelle, c’est fini. » Du tour de clef sur la porte d’un appartement vide, dans un couloir qui n’a jamais autant résonné.

Bientôt une nouvelle page va se tourner, avec l’entrée au collège de notre benjamine. Un jour pas si lointain ce sera la dernière fois que j’irai chercher un de mes enfants à l’école primaire, 17 ans (17 ans !) après la première rentrée en maternelle de mon aîné. Quelques décennies après mon dernier jour de CM2.

Je la regarderai bien dans les yeux cette dernière fois puisqu’elle se présentera à découvert. Quelle chance !

  • BJS : Bundesjungendspiele ; événement sportif pour toutes les écoles allemandes, organisé sur une journée au printemps.

« Veuillez attendre s’il vous plait. » – 10 février 2020

C’est l’automate de la banque qui me le demande pendant qu’il prépare les billets indispensables à ma vie quotidienne germaine. Je le lis sur l’écran et je ne peux m’empêcher d’entendre : « Feuillez attendrra s’il fous plait. »

Pourquoi ? Parce qu’un “Merci de bien vouloir patienter” m’aurait semblé plus naturel.

Pour quelle raison les traductions sont-elles si souvent approximatives, quand elles ne sont pas carrément fausses ? Rappelez-vous les menus des restaus dans les coins touristiques, hein ? Et cela depuis bien avant l’avènement des traducteurs en ligne.

Pourquoi laisser faire le stagiaire qui a passé un jour des vacances à Capbreton, ou TrucMuche de la compta dont le grand frère a fait français 4ème langue en 1992 ? Quel est le problème à demander à quelqu’un dont c’est le métier, ou au moins la langue maternelle ? Dans les coûts globaux d’un projet, cela serait indolore. Et éviterait aux natifs de prendre de la distance dans un demi-sourire aux dépens d’un texte qui vise au contraire.

Le top du top en matière de cible de communication multilingue ratée ce sont les annonces allemand-anglais-français dans les trains entre l’Allemagne et la France. Le personnel qui les lit est rarement trilingue pour de vrai et le dernier stage de recyclage sent un peu le renfermé. Du coup une seule des trois langues est compréhensible. Le reste du texte est expulsé le plus vite possible histoire de. Comme elles durent de très longues minutes puisque tout est dit trois fois, le passager se retrouve dans un TGV presque aussi bavard que la dame du fond là-bas, qui raconte sa vie sur son portable. Et au moins, elle, elle n’a pas de petit jingle avant/après.

Veuillez raccrocher madame s’il vous plaît.

Nuage de terre7 février 2020

Hier après-midi j’étais sur un petit nuage. Mon cours de terre a repris après une interruption d’un mois et demi. Je pensais travailler de l’argile noire, achetée à l’automne. Elle était remisée dans un coffre, mon nom écrit au feutre rapidement sur le sac. Ou peut-être avais-je dessiné une étoile. J’ai la vague idée de me lancer dans une nana à la Niki de Saint-Phalle.

Dans l’atmosphère encore renfermée de l’atelier en cours d’aération, je sonde les stocks des armoires, tout en attachant les rubans de mon tablier dans mon dos. Mon lourd pain de terre (10 kilos tout de même) a dû s’envoler. La prof en trouve un d’argile blanche (blanche à la cuisson, crue elle est gris pâle) et fine (sans chamotte, ces grumeaux de terre cuite pulvérisée qui rendent la terre plus résistante au modelage). Je m’en coupe un bout avec mon fil. Pas trop gros. Disons 1 kg, et le volume d’un paquet de farine.

Je pose les deux mains sur le bloc et le triture un peu, pour le plaisir, en rêvassant. Histoire de reprendre contact, de refaire connaissance, avec cette terre froide et lisse, élastique et tendre. Changement de projet ? Pourquoi pas. J’hésite. Et j’ose. Je me lance dans une tête, un portrait de femme. Parce que je veux travailler la représentation humaine réaliste, la plus ingrate et entêtée justement, car elle ne pardonne guère. Peu à peu (comme on dit en allemand, en français dans le texte), le visage prend forme. Et une forme qui me satisfait. Je l’écris, parce que c’est une des premières fois, depuis que je travaille la terre (une vingtaine d’années), que je souris en regardant des traits qui apparaissent sous mes doigts. J’ai même envie de lui faire une petite bise à ma nana minuscule. Histoire de remercier ses joues fines.

Je rajoute des pétales ou des sépales, on verra, autour de cette tête posée sur un cou, pour m’aventurer dans une direction nouvelle. Imaginaire, sans pied et encore moins sur terre.  J’essaie de ne pas essayer, de lâcher l’envie et le guidon, et de laisser faire mes mains. Et donc, hier les dieux de la terre étaient avec moi. J’ai été ravie de ce portrait de dame, gros comme une orange, nichée dans une fleur de magnolia abandonnée sous la pluie.

Il a fallu lui couper le cou, pour creuser l’intérieur (une nécessité pour la cuisson). La pression transmise par l’outil appuie le crâne dans le creux d’une main gauche qui tente pourtant de s’effacer.  Une légère déformation s’est imprimée. A la reconstruction, le visage est moins heureux. Mais j’ai gardé le sourire, car il m’avait été donné de l’entrevoir cette perfection du jour, la mienne, éphémère.

Et j’ai emballé ma création d’argile sur sa planchette de bois dans un plastique étanche. Les pétales-sépales, trop frais, ont cédé un peu sous la tension du sac. La nuit s’était levée. J’apercevais une lune gibbeuse par la longue fenêtre de notre atelier en sous-sol. Au coin de la rue, le bus n’allait pas tarder.

Quelle surprise me réservera ce paquet à son ouverture la semaine prochaine ?

Je suis partie avec la joie dans l’œil et dans le cœur. Peut-être qu’à la place de la femme-fleur ravissante entrevue un instant, je déplierai le plastique sur une tête maladroite, aux joues trop plates, au front trop haut, aux oreilles de guingois. Tant pis, tant mieux. C’est la molle supériorité de la terre par rapport à la pierre : la tendre soumise se laissera remodeler.

J’étais donc sur un petit nuage.

C’est curieux, si je l’avais dit en allemand ou en anglais, j’aurais donné une adresse plus précise – mais pas la même : I was on cloud 9 (j’étais sur le nuage numéro 9, pour les Anglais), ich war auf Wolke 7 (j’étais sur le nuage numéro 7 pour les Allemands). Même heureux les Anglo-saxons ne se mélangent pas. Mais ils restent voisins. Moi, je m’attarde sur ce petit nuage. Le septième ciel c’est vraiment trop haut. J’aurais le vertige.

Une photo de mon esquisse ? Non. D’une part celles que j’ai faites rapidement ne rendent pas justice à ce que voyait l’œil nu (on se rassure, hein). D’autre part, quand je les ai montrées à mes filles, l’une a fait la grimace en disant ‘’C’est quoi ça ?’’ Et l’autre a crié : « AAAaaahhh ça fait peur ! Enlève-moi ça je vais faire des cauchemars. »

…!?

Puis, elles ont tenté de se faire pardonner leur réaction initiale : “Non mais tu comprends, c’est vraiment différent de ce que tu fais d’habitude ! Une tête dans une fleur, c’est bizarre non ?”

Oui, oui je comprends. C’est vrai que c’est ma première création imaginaire, je les ai habituées à du figuratif. Et même si la semaine prochaine emportée par la déception j’écrase tout, je l’aurai quand même vu de près mon petit nuage de terre. Et je recommencerai avec des doigts tout sourire.

Bulletins & météo – 28 janvier 2020

« J’en ai marre des Allemands ! J’en ai marre de ne pas pouvoir avoir de bonnes notes parce que je ne comprends pas aussi bien que les autres ! Mes amis me manquent. Je veux pouvoir m’exprimer aussi bien que je le veux ! »

Un ballon de hand maladroit reçu dans la tête en cours de sport. Aucune excuse prononcée. Indifférence générale (au moins en apparence, car quand un Allemand entend “Mouais ça va“, il comprend “C’est bon on continue”)*. Une seule amie s’assure qu’elle n’a pas trop mal. Des remarques sur le fait qu’elle était sur la trajectoire du ballon. Avec l’accumulation de la pression scolaire des dernières semaines, cette goutte d’eau pèse une tonne.

Une main tendue. Une petite caresse sur des doigts crispés. La barrière des cils cède. Les larmes coulent.

Un soir de fin janvier.

Les bulletins du premier semestre pointent le bout de leur nez. C’est une affaire nationale ici. Ils sont remis en main (très) propre et en grande pompe, à chaque enfant dans chaque classe, deux fois par an. Pour les écoles de nos filles comme pour beaucoup d’établissements ce sera le 31 janvier. Cette semaine les Zeugniskonferenzen (conseils de classe) s’invitent sur les heures de cours. Les professeurs commencent à dire aux élèves quelle sera leur moyenne. Une note qui cumule les performances écrites et orales. La note de biologie est tombée.

 « Comment veux-tu que je participe à l’oral ? Je ne comprends pas le vocabulaire. Je ne sais pas quoi demander. Tu sais ce que ça veut dire toi Magen ?» Oui, estomac. Mais que répondre à cela ? «Je sais que tu fais de ton mieux et c’est bien suffisant. Mais pour toi ce doit être dur cette comparaison avec les autres. »

Nous, les parents, avions lâché en émigrant l’exigence du niveau scolaire. La priorité était – et reste – que nos filles soient heureuses d’aller à l’école, s’adaptent à leur nouvel environnement et qu’elles apprennent l’allemand. Ce sont choses faites. Elles ont des amis et sont trilingues. Elles naviguent comme des poissons dans l’eau dans le mode d’enseignement allemand. Il reste un dernier échelon à franchir : retrouver un niveau équivalent à celui qu’elles avaient en France. Avoir autant de chances que les autres de recevoir de bonnes notes. Puisqu’elles ont cessé d’être ‘’la nouvelle’’ de leur classe, qu’elles parlent très bien allemand, elles sont maintenant presque comme les autres. Pourtant elles ne sont pas tout à fait au niveau de langue de leurs copines – surtout dans les matières à vocabulaire spécifique. Le décalage de résultats sereinement ignoré jusque-là se fait sentir. Cette étape-là semble la plus difficile et la plus douloureuse.

Leur progression continue tous les jours. Mais c’est loin d’être évident. Des matières que l’on pensait internationales sont enseignées de façon bien différente. Comme les maths (additions à l’horizontale s’il vous plait). Ou la musique (je vous présente do dièse : Cis). Et quand la rigueur allemande priorise la règle avant l’esprit et ne reconnaît pas la justesse d’un texte écrit en français, la frustration et la colère enflent.

Malgré nos encouragements et la distance que nous gardons à la maison par rapport aux notes, la pression scolaire rattrape nos enfants. La plus jeune termine la Grundschule à l’été. Elle va entrer au collège (en 5. Klasse, le CM2). Différentes options très sélectives se présentent à elle (voir article : L’école 2 ). Bientôt elle passe un entretien dans un collège. Pas évident cette sélection à neuf ans.

Elle assure comme elle peut. Et drôlement bien. Mais aimerait qu’on déménage en Angleterre. Pour aller voir comment c’est là-bas l’école. Et parce qu’elle s’y sentirait « plus en sécurité car on y a de la famille. Comme en France. »

Le moment semble opportun d’organiser une conférence-baromètre pour tâter la météo familiale. Autour d’une tasse de thé. Et des chocolats rapportés de Belgique.

* Si vous allez manger dans une famille allemande et que vous avez vraiment envie d’une deuxième part de Käsekuchen (gâteau au fromage), ne dites pas ”Non merci” par politesse en espérant pouvoir dire ”Oui bon d’accord par gourmandise” quand l’hôte insistera. Les Allemands s’arrêtent à la première réponse, il n’y a pas cet effet de yoyo sous-entendu dans les échanges. C’est oui ou non. Pas de chichis.

PS : En France je m’interrogeais sur la pertinence d’avoir supprimé les notes à l’école primaire, et limité le redoublement. Surtout quand j’ai rencontré (plusieurs) étudiants en bac +5 qui ne savaient ni écrire ni compter. Mais en Allemagne cette sélection prématurée avec son côté définitif n’enlève-t-elle pas toute chance aux enfants qui prennent plus de temps pour se développer ? J’en ai discuté avec des amies allemandes institutrices. Pour elles aussi c’est trop tôt, et elles sont bien conscientes qu’elles peuvent se tromper. A Berlin, ville avant-gardiste, certains établissements ont retardé l’entrée au collège (et donc la sélection) à l’équivalent de la 5ème.

“Ca veut dire quoi escalope ?” – 20 janvier 2020

”Ça veut dire Schnitzel.”

Nous y voilà. Samedi soir, dans un tout petit village au creux d’un vallon endormi des Vosges du Nord. Nous sommes à l’orée de la France pour un week-end détente. Et ressuscitons nos papilles dans un bon restaurant à la lisière de la mère patrie. Au vu des voitures sur le parking, il est sans doute réputé des deux côtés de la frontière.

Le menu propose des escargots et des cuisses de grenouilles. Natürlich. Le touriste a besoin de se rassurer, de confirmer ses certitudes. Nous résistons, tentés par un loup de mer en croute de sel. (Comme quoi, le poisson loin de la côte ce n’est pas une impossibilité géographique – ce que m’ont répondu les Allemands quand je regrettais l’absence d’offre de produits de la mer à Mainz – mais une question de goût et de motivation).

Notre benjamine, en pleine lecture du menu enfant, s’interroge. Escalope ou (vrai) poisson pané ? Et a besoin d’une traduction en allemand.

La semaine prochaine elle a une interro de Sachunterricht (leçons de choses, de culture générale). Le sujet : l’Allemagne. Elle doit apprendre les noms des 16 Bundesländer (l’équivalent de nos régions) et leur capitale (ben du coup nous aussi), les pays limitrophes et l’hymne national. Or elle aime chanter. Et elle a révisé juste avant le repas sur la tablette. Donc, comme elle s’ennuie entre salade au chèvre chaud et Schnitzel, elle se met à chanter : „Ei-nig-keit und Recht und Frei-heit, für das deu-tsche Va-ter-land!“ (‘’Union et droit et liberté pour la patrie allemande’’)

« CHUUUUUTTTTT ! Faut pas chanter ça ici ! »

« Pourquoi, c’est religieux ? »

’Euh…. Non, mais tu vois, cette chanson c’est un symbole, faudrait pas que les gens croient que les Français d’à côté se moquent’’. Les tablées autour de nous sont tous des Allemands. On s’embrouille un peu dans l’explication. L’expression du nationalisme c’est pas notre truc. Et c’est pas le lieu de l’expliquer.

On ne va pas quand même pas raconter à tout le restau qu’on a interro mercredi.

(N’est-ce pas curieux cette association des mots mère et patrie alors que patrie vient du latin pater ?)

Bonjour bureau – 6 janvier 2020

Bonjour bureau, me revoilà.

Je te retrouve avec plaisir, petit coin douillet, bulle de calme que je défends contre vents et petites mains créatives en mal d’espace plan vide. Ma ‘cabane dans les arbres (treehouse) toute cosy’ comme m’a dit ma grande fille hier soir.

J’y mets des objets que j’aime. Deux petites têtes en terre cuite de putti (angelots), achetés à Taormina en Sicile. Quelques plantes plus ou moins grasses. Une fougère qui pour l’instant accepte son voisinage avec la fenêtre (elle ira à l’ombre dès le printemps). Un cadre avec des cartes postales lumineuses de mon Ardèche natale, photos d’art prises par une amie allemande artiste-enracinée-en-Cévenne ardéchoise. Une autre carte pleine de bon conseils, offerte par une amie : ‘This is your life. Do what you love and do it often….’. Des petits cadeaux de mes enfants : une boite à mouchoirs en papier parfumés, faite maison, un bloc de papier pense-bête en forme d’arbre.

Je viens d’ajouter à mon tendre bric à brac deux cartes postales. Un visage de petit garçon, Cupidon, peint par le Caravage (extrait de l’Amour vainqueur). Véritable coup de cœur récent dans un musée de Berlin (die Gemäldegalerie). Son regard espiègle, ses bonnes joues semblent sortir du tableau. On a envie de lui ébouriffer la tignasse et lui demander quelle bêtise il vient de faire. Son sourire communicatif trahit en effet l’allégresse d’avoir commis une bonne blague (et pour cause, il vient de tuer avec ses flèches les occupations humaines ‘sérieuses’ : les sciences, les arts, la guerre, le pouvoir…).

L’autre est une reproduction d’un tableau de la Tate Gallery à Londres que j’ai découvert la semaine dernière (Carnation, Lily, Lily, Rose, de John Singer Sargent). Là aussi, j’ai été happée par la magie du pinceau. Dans une jungle de fleurs, des lis blancs, des roses et des œillets, deux petites filles en robes longues et blanches identiques (peut-être des chemises de nuit) s’appliquent à allumer des lanternes chinoises. Le halo orange des flammes dans le papier nimbe leurs visages concentrés sous leurs cheveux blonds et courts. On sent le crépuscule qui tombe tard dans ce soir de juin, les tiges rigides des œillets qui frôlent les chevilles, les parfums capiteux des lys, et plus délicats des roses. Les grillons crissent à qui mieux mieux. Elles se font face dans un jeu de miroir approximatif. Deux tableaux dont la contemplation me fait sourire.

Tant mieux. Car hier j’ai déshabillé notre sapin de noël. Toute seule parce que chacun vaquait à d’autres occupations. Un anniversaire de copine, du bricolage secret peut-être filmé façon tutoriel Youtube… J’ai retiré une par une les décorations des branches toutes fraîches (l’eau du socle a bien hydraté le tronc). Les boules françaises, les lutins allemands, les Ampelmänner de Berlin (petit bonhomme des feux de circulation), les pliages d’origami des enfants. J’y ai ajouté une petite surprise pour l’an prochain : une boule de noël en feutre et en forme de Christmas pudding achetée à Londres. J’aime bien les histoires que racontent notre sapin de noël.

Que faire avec l’arbre nu ? Faute d’indices dans les rues, nous avons consulté le magazine municipal consacré aux déchets (si si !). Les sapins seront enlevés le 11 janvier prochain. Soit. Nous garderons le nôtre dans le jardin jusque-là. Du 24 décembre au 10 janvier : la durée de vie d’un sapin de noël est vraiment courte ici. C’est presque dommage de tuer un arbre pour en profiter si peu.

La maison semble vide et apaisée sans les ornements de décembre. A la place de l’arbre, un îlot de verdure fraîche et acide : un citronnier fait maison, une misère violette (elle aussi), une orchidée plongeante, un cactus de noël qui a déjà fleuri.

En revenant à Mainz, les cabanes en bois du marché de noël s’étaient envolées. Mais chez le fleuriste de la gare, les premiers narcisses forcés dressaient leurs boutons jaunes comme pour dire à la mélancolie de janvier ‘’Eh, on est là nous !’’.

Demain j’en achèterai avec peut-être des branches de saules en petits bourgeons, comme ça se fait beaucoup en Allemagne. Je les regarderai éclore peu à peu pour oublier dans leur lumière la grisaille de l’hiver. Et par la fenêtre de la cuisine, les deux premières hélices de la pervenche éclairent, espiègles elles aussi, la brume blanche de leurs yeux violets.

Boutures2 décembre 2019

J’aime les gens. Je n’y peux rien c’est un réflexe. Pourtant souvent je suis blessée, dans mes élans de rencontre, ma curiosité relationnelle. Je suis déçue 20 fois sur 10, comme m’avait dit un ami un jour, et pourtant j’y retourne. Je m’approche, je cherche à comprendre, à connaître. Je tends des questions. Je gratte sous le vernis social pour entrevoir quelques fragments d’authenticité, la lueur qui trahit celle ou celui qui sait le prix de la vie, et tous ces petits riens si essentiels. L’étincelle sous-jacente de l’humour et de l’autodérision.

L’apparence, les faux-semblants, les mots convenus, les lieux communs ne m’intéressent pas. Je fuis l’esbrouffe, l’orgueil, la fausseté, le superficiel et la bêtise. Parfois, si rarement, je sens un écho dans l’échange et une amitié peut timidement pousser. Comme les pierres d’un gué pour traverser les courants et les remous de la vie, ces particules d’échange vrai m’aident à avancer.

Cet élan, ces graines d’amitié semées par-ci par-là dans le vent, c’est un peu comme faire des boutures. J’emprunte des tiges fraîches à mes plantes pour les encourager à s’affranchir dans un nouveau pot. Je fais le pari de la reprise, de la multiplication. Ma misère violette (sans jeu de mot) se reproduit à tous les coups (de sécateur). Le géranium odorant est plus capricieux, mais son parfum de citronnelle dégagé dès qu’on le frôle nous oblige au pardon. J’aime offrir ces nouvelles plantes, ces racines jeunes autour de moi, comme gage de notre amitié. Un petit message, bouteille à la terre : ‘’Même de loin je pense à toi. Tu vois ça pousse’’…

Ce samedi, je suis allée prendre un thé fruité dans le café-boutique d’une nouvelle copine-pas-encore-amie. « Elles sont chouettes tes plantes suspendues. C’est toi qui les as faites ? » « Oui regarde. C’est une technique japonaise, avec de la mousse. Je ne peux rien jeter. Je fais des boutures avec toutes mes plantes. J’ai partout des verres avec des petites tiges en train de s’enraciner dans l’eau.» Tilt ! Oh comme moi ! J’ai préparé pour cette future amie une bouture (Ableger) de géranium citronnelle. Chut, elle ne le sait pas encore.

Maman est fatiguée – 28 novembre 2019

’Tu dis toujours que tu es fatiguée, maman, et pourtant tu fais moins de choses que nous’’

Ça c’est ma fille de presque 12 ans qui me le dit un mercredi soir, hier soir.

Pourquoi a-t-elle cette impression ? Que je ne fais rien, ou tout du moins pas grand-chose ?

Moi je rentre juste de trois heures de travail à mon atelier de terre, après un trajet en bus d’une demi-heure. La concentration sur le modelage et sur les bavardages en allemand sollicitent beaucoup de mon énergie. Et cet après-midi l’ambiance était particulièrement gaie et sympathique, mais en raison de mon hypersensibilité, le bruit constant m’a épuisée.

A peine arrivée, je suis assaillie des questions et remarques de mes filles. Je leur dis que je suis fatiguée et que j’ai un peu mal à la tête. Personne ne semble en tenir compte. Je mange dans le bruit et tâche de répondre aux sollicitations. ‘’On va jouer notre morceau maman ?  Il est trop beau !‘’. Oui c’est important de répéter ce soir cette barcarolle de Tchaïkovski (Juin) pour que ma fille se prépare à son cours de flûte de demain, et pour que son papa entende le morceau qu’on a commencé à travailler quand il n’était pas là.  Donc ‘’Oui, on y va ‘’.

Et nous jouons le morceau, que nous commençons seulement à connaître toutes les deux. J’accompagne ma fille au piano, avec sa flûte presque dans l’oreille. C’est fort une flûte traversière de très près, surtout quand il s’en échappe des canards. Et au bout de la nième fois, je lui propose de s’arrêter. Il est presque 20 heures et ‘’je suis fatiguée’’. Le couperet tombe : ‘’Tu dis toujours que tu es fatiguée, maman et pourtant tu fais moins de choses que nous’’.

Ça fait doublement mal. Parce que si j’accuse le coup le soir, elle y contribue activement avec son bavardage constant et sa manie de répéter ses questions au tempo d’une mitraillette, et aussi parce que je ne dois pas être assez claire dans ce que je fais pour ma famille et mes enfants. L’autre jour, quand je disais à ma plus jeune qu’il fallait qu’elle aide à ranger la table car je n’étais pas une esclave elle m’a répondu : ‘’ Tu n’es pas une esclave, tu es une maman’’.
Ah bon. Il est temps que je leur explique des choses aux minettes. Que maman est certes une noble mission, mais que derrière le métier il y a une personne, une femme. Je vais leur écrire une histoire. Sur une maman en grève.

Silence pétillant 18 novembre 2019

Ce lundi mon humeur hésite entre le gris du ciel cotonneux et la mélancolie d’un intérieur vide.

Notre grande est à Paris en échange scolaire avec sa classe. Ça ne fait que quatre jours qu’elle est partie, tout excitée par l’aventure avec ses copines, pourtant sa pétillance nous manque déjà. Personne pour faire des grands écarts ou un ‘pied dans la main’ en pleine conversation, ou en pleine révisions. Personne à reprendre à table : ‘’Ne parle pas la bouche pleine ! Articule je n’ai rien compris ! Parle moins vite ! ‘’ Et pourquoi ne pas moins parler tout simplement, pour se ménager ensemble des moments silencieux autour de la table ?

Le voilà le calme insidieux, celui qui d’habitude nous fait tant défaut le soir. Il occupe tout l’espace libéré par une jeune fille partie en voyage scolaire. Il nous en donne la mesure. A trois les conversations retrouvent une évidence paisible. Pas de disputes sur le temps de parole avec un seul enfant. Personne ne se chamaille sur des objets dérisoires, les choix d’activités, les injustices perçues. La dynamique familiale a glissé. J’entrevois dans un futur pas si lointain le départ de notre deuxième pour ses études. Hier soir j’ai envoyé un message dans le vide à mon grand garçon, puis un deuxième à notre jeune fille. Je pense à toi. Dors bien. Profite de tes journées loin de nous.

Si vous voulez bien m’excuser, je vais aller écouter les mots de ma dernière, qui n’est plus si petite. Croquer un biscuit avec elle pour le goûter. Lui souhaiter bonne nuit en la regardant. Profiter tant que j’en ai le loisir de la border en l’embrassant (si elle accepte), en passant ma main sur sa joue élastique et chaude.

Quiproquo linguistique – 18 Novembre 2019

Les enfants et moi sommes en train de déjeuner quand on frappe à la porte. C’est assez fréquent dans la journée. Les livreurs de différentes compagnies défilent toute la journée ; l’Allemagne est le deuxième marché mondial d’Amazon, derrière les USA, (et représente près de 50% de plus que le Royaume Uni, classé juste derrière). Je m’attends à recevoir un colis pour nous ou un voisin.

J’ouvre la porte. La voisine s’excuse de nous déranger et me demande : « Haben Sie ‘mail’ ? » Je regarde par terre autour de moi dans l’entrée, à la recherche du colis. Non, je n’ai rien reçu pour elle ou sa famille. Je dois avoir l’air perplexe. Elle répète sa demande.

La voisine est originaire du Moyen Orient. L’allemand est, comme pour moi, une troisième langue. Donc nous échangeons aussi en anglais. Et les mélanges de langues dans une même phrase ne nous choquent plus depuis longtemps.

Les filles ont compris et commencent à m’expliquer en même temps qu’elle. Pas mail (en anglais : du courrier) mais Mehl (en allemand : farine). Oups ! Ah vous voulez un kilo de farine ? Laquelle ? Raffinée, complète elle a déjà. En échange nous avons eu le privilège de goûter aux croquettes de légumes qu’elle était en train de cuisiner. Merci voisine !

Le pyjama – 13 Novembre 2019

Nous avons déplacé l’autre soir l’étendage à linge dans la chambre à nouveau vide. Il sera plus près de la machine à laver. Je n’aurai pas de lourde panière à porter dans l’escalier. Mon espace de travail au dernier étage s’en trouve agrandi et apaisé. Assise à mon bureau, le poids du travail à venir, du linge à plier, à repasser ne pèse plus dans mon dos.

Depuis le couloir du deuxième étage, la porte entr’ouverte de la chambre me laisse apercevoir le linge qui sèche. Une housse de couette bleue et verte, une taie d’oreiller assortie. Un pyjama d’homme, bleu sombre, en coton. Il est légèrement froissé. Vais-je le repasser ?

Non. Je l’ai plié distraitement, en effaçant les plis du plat de la main. Je l’ai glissé dans le tiroir de la commode, sous les cadres des photos d’un petit garçon tout sourire qui joue sur le parquet avec un train en bois, d’un grand garçon concentré qui surfe dans une vague vert-de-gris. Je l’ai rangé rapidement pour oublier que les vacances sont finies, que Lyon c’est loin, et que personne ne dormira dedans avant longtemps.

C’est ça aussi l’expatriation. Certains adolescents quittent le nid familial pour faire leurs études. Dans d’autres cas, le nid s’éloigne, confirmant la liberté souhaitée d’un enfant devenu grand. Et nous restons tendus vers la prochaine visite de l’enfant-marée, pour, apaisés, entendre à nouveau sur le tapis, les chahuts à trois.

Elfter Elfter (11.11) sur la Schillerplatz, Mainz
Lancement officiel de Fastnacht (Carnaval) le 11. 11 à 11h11.

11 heures 11- 11/11/2019 – Elfter elfter

Helau ! Helau ! Helau !” La période de carnaval (Fastnacht à Mainz, Karneval à Köln, ne PAS confondre) est ouverte. Bienvenue dans la ‘cinquième saison’. A vos confettis !

En France c’est un jour férié sobre. Oups j’avais oublié. J’espère que mon message matinal n’a pas réveillé mon fils.

En octobre – 11 novembre 2019

Ce mercredi matin-là, je rentrais du petit marché du quartier avec mes olives, mes coings, mon filet de cabilaud, et sans doute un plant d’euphorbe nuageuse. Je suis passée par la Schulstrasse parce que ses maisons en briques, son école à l’ancienne me font sourire.

Devant un portail, sur le trottoir, quelqu’un avait déposé une imprimante sous une pancarte en carton au feutre : Zu verschenken (à donner). Sur l’imprimante, se trouvait le livret du mode d’emploi.

1989 – 2019  – 4 novembre 2019

Cela ne vous aura pas échappé : voilà 30 ans que le mur de Berlin est tombé. Je me souviens très bien de ce soir-là. Toute nouvelle étudiante à Lyon, je découvrais la vie entre jeunes filles déracinées (déjà !) dans un foyer de religieuses. Brièvement séparées de nos bouquins pour Cause Historique, nous nous étions toutes retrouvées dans le salon du rez de chaussée, devant l’unique télé. Assises par terre, le menton sur les genoux croisés, nous regardions ébahies ces affranchis heureux qui escaladaient des monceaux de béton concassés, et retournaient le monde que nous étions toujours en train d’apprendre en cours d’histoire.

Le gouvernement fédéral allemand a lancé ces jours-ci (octobre 2019) une campagne nationale intitulée : ‘’Deutschland ist eins : vieles’’ (‘’l’Allemagne est unie : plurielle’’). Une dizaine de visuels sur les affiches portent l’accroche : ‘’Das ist sooo deutsch.’’ (‘’C’est tellement allemand’’). Les photos, qui ne manquent pas de distance et d’humour, jouent avec les clichés des Allemands sur eux-mêmes. Pour montrer ce qui au-delà de toutes les différences régionales, sans même parler du clivage Est / Ouest qui perdure dans de nombreux domaines, fédère et rassemble ce peuple de tribus. (Comme le ‘’Deutschland über alles’’ de la chanson patriotique, perçu comme un un Haka conquérant à l’égard des voisins, mais qui serait semble-t-il l’affirmation de l’unité du peuple d’un pays neuf, pour dépasser des particularismes régionaux très forts).

Jetons par dessus l’épaule un œil dans le miroir, et découvrons comment un peuple souhaite se considérer. Un gros plan sur des pieds en chaussettes blanches dans des sandales Birkenstock (of course !). Le monsieur qui écarte son rideau pour nous montrer, la moustache souriante, sa collection de nains de jardin (pardon, de nains de rebord de fenêtre). La Trabant rutilante que l’on astique. Un couple dont le texte du slogan de l’affiche dissimule pudiquement la nudité, sur le littoral de la mer du Nord (affiche intitulée : ‘les champions du monde du naturisme’). Une haie taillée à angles droits sur une pelouse au garde-à-vous. La serviette sur la chaise longue au bord de la piscine pour y réserver sa place très tôt. Les barres pour séparer ses marchandises de celles des autres clients à la caisse du supermarché. Mais aussi les magnifiques courbes du Rhin entre les vignobles. Les promenades dans les rayons de soleil filtrés par la forêt moussue. La généreuse brochette verticale de Döner Kebab et deux cuisiniers dont on imagine qu’ils viennent des bords de la mer Méditerranée, ouverture à la nouvelle société multiculturelle germanique.

Je me demande qui a signé cette campagne publicitaire générique. Est-ce une agence teutonne ? Comment connaître ses particularités sans un regard extérieur ? Bien sûr, les chaussettes dans les sandales sont une vieille blague éculée (et fondée). La serviette pour réserver sa chaise longue occasionne des frictions avec les Anglais, plutôt lève-tard, sur les bords des piscines, et des blagues sur le même sujet de l’autre côté de la Manche. Nous avions bien repéré l’utilisation systématique des barres de séparation des courses, mais nous l’avions mise au catalogue de la précision et de l’ordre. Nous ne savions pas à quel point c’était un sport national.

Décomplexés ! – 25 Octobre 2019

Dès les premiers cours de notre « 1ère langue » (en 6ème, chez monsieur V. vous vous souvenez ?), il nous a été inculqué combien les Allemands étaient respectueux de l’environnement. Et combien ils n’avaient pas le choix puisque leurs forêts souffraient de la pluie acide (qui sagement faisait demi-tour à la frontière). J’ai grandi, sans doute comme beaucoup de petits Français confrontés aux échanges linguistiques germaniques, avec un vague complexe de la poubelle. Sur un ton respectueux et intimidé, voire teinté d’incompréhension : “Ah oui mon corres’, lui/elle, trie sa poubelle. Il/elle recycle, utilise des sacs en tissu. Son goûter c’est dans une boite réutilisable.”

Depuis que nous avons passé notre permis poubelle local, je m’interroge souvent sur les pratiques germaines et surtout sur notre complexe. Bien sûr au temps de ma 6ème, nous avions en France beaucoup de chemin à parcourir en matière de tri des déchets et de respect de l’environnement. Mais plusieurs décennies plus tard (si peu), la comparaison pencherait plutôt dans l’autre sens. Car si côté déchets, le gros avantage de Mainz par rapport à Lyon, c’est le tri du compost (certaines villes le font en France), pour le reste, et les sacs en tissu, c’est pareil.

En revanche, d’autres habitudes ne gagneraient-elles pas à être remises en question ? L’élève aurait-il dépassé le maitre ? En effet, que penser du réflexe de boire de l’eau gazeuse en bouteille ? Combien de camions, de (grosses) voitures circulent (très vite) sur les routes pour les ravitaillements ? Sans compter l’impact en santé publique côté lombaires. Les familles se trimballent des caisses et des caisses d’eau, toutes les semaines. D’abord pleines puis vides. Certes les bouteilles sont consignées – mais là encore, ce sont des camions qui les emportent au recyclage.

Les supermarchés sont dédoublés : un bâtiment pour les approvisionnements généraux, un autre, séparé, avec son propre parking, pour les boissons (Getränkemarkt). Et là sont entassées les caisses de bouteilles de toutes les couleurs (bières, eaux, jus, sodas et tutti quanti) et quelques chips. Au printemps dernier, une copine de ma plus jeune fille est venue manger à la maison, où nous buvons l’eau du robinet. Elle est repartie chez elle pendant le repas chercher une bouteille d’eau gazeuse car nous n’en avions pas…

Le côté écolo rigolo me saute aussi aux yeux avec le beau magazine en couleurs qui est distribué par la ville de Mainz plusieurs fois par an dans les boites aux lettres. Son sujet unique : les déchets.

Bien sûr nous avons des champions olympiques dans le quartier, qui mettent leur compost dans des grands sacs en plastique non recyclables. Comme nous avions à Lyon, des assidus de sacs à crottes de chien qui laissent ensuite, Petits Poucets dénaturés, les sacs pleins sur le trottoir.

Alors ex aequo finalement ?

Remue-ménage

 « Ouah ça pue ! Qu’est-ce que tu fais maman ? 

– Je fais le ménage. » sic

L’industrie chimique adapte, à grands renforts de tests clients, les parfums synthétiques de ses produits de ménage et d’hygiène au goût et habitudes des consommateurs de chaque pays. Personnellement je suis très sensible aux odeurs, et c’est aussi le cas des membres féminins de ma famille. Moins les produits sentent, mieux c’est. En France j’avais trouvé ceux qui m’arrachaient le moins les narines. Ici point de ‘lavande’, de ‘pin des landes’ ou de ‘brise marine’ pour signifier à notre odorat que notre maison est propre. Franchement, ça n’a l’air de rien, mais faire le ménage avec un produit qui sent mauvais et fort c’est encore moins agréable. Surtout quand on en utilise plusieurs simultanément. La cacophonie olfactive écœure franchement.  J’en teste tant et plus. Je coche ceux que je n’achèterai plus. Et je prévois d’acheter du savon noir, du vinaigre blanc et mon shampooing préféré à mon prochain passage en France. On a ses petites habitudes, hein ? (Ah oui et rappelez-moi d’acheter aussi des sardines en boîte, parce que c’est une denrée rarissime par ici).

….

Quelques jours après avoir écrit ce billet, de retour d’une virée dans les Vosges du nord (via le supermarché de Sarreguemines), j’ai croisé sur notre parking commun ma voisine adorable. Elle me rendait mes pots de confiture qu’elle avait pris soin de remplir avec ses créations fruitées personnelles. (Ça pour moi c’est un moment formidable d’échange et d’amitié ! )

Elle m’a prise en flagrant délit avec ma bouteille de savon noir à la main. Je lui explique mes achats et mes lubies franchouillardes. Elle a ri, me disant que quand elle habitait aux Etats-Unis, elle se faisait aussi apporter ou envoyer ses produits d’hygiène allemands. Comme quoi.

PS : Et pour ceux qui se posent la question, oui nous avons acheté plein de sardines. On n’a que peu l’occasion de trouver du poisson ici et on n’a pas encore pris le réflexe-hareng.

Bas les pattes

Je sors de la piscine un jour d’hiver tout gris et froid. Argh le pneu avant de mon vélo est crevé. Qu’à cela ne tienne, je pousse donc le vélo pour rentrer. Sur le trottoir je croise une dame qui m’arrête, me dit quelque chose (quoi ?) et commence à tripoter ma lumière avant. Je comprends que ça la dérange que la lampe soit allumée en plein jour. Je lui explique tant bien que mal qu’il n’y a pas de bouton on/off. Que c’est comme ça et que la lampe est toujours allumée lorsque le vélo roule. J’ai envie de lui dire qu’il faudra qu’elle s’en accommode, et surtout que CA NE LA REGARDE PAS ! Je lui fais un sourire forcé. Nous nous quittons toutes les deux légèrement frustrées.

Mon vélo qui couine m’a également valu les faveurs d’une autre dame, un autre jour, qui a voulu m’expliquer, les mains sur le cadre, MON cadre, comment éviter ces bruits. Ben en fait elle ne sait pas, et moi non plus.

Autre jour froid, les parents grelottent en serrant contre eux leur manteau en attendant que la cloche de l’école primaire sonne à 16 heures et que leur progéniture soit libérée. Les enfants sortent, bien emmitouflés (les Allemands sont frileux et leurs enfants sont toujours très très emballés, contrairement aux petits Anglais, en short en plein hiver). Un p’tit gars sort de l’école en T-shirt, le pull et le manteau à la main. Spontanément une maman (qui ne le connaît pas) s’approche et lui demande de s’habiller. Il obtempère de bonne volonté.

Dans ce cas-là, si ç’avait été ma fille, j’aurais été très reconnaissante que quelqu’un lui rappelle que les manches courtes c’est pour l’été seulement.

Néanmoins, en général, je ressens une profonde aversion à l’égard de ce que j’interprète comme de l’intrusion malvenue dans mes oignons. Certains de nos nouveaux concitoyens ont la manie de se mêler de ce qui ne les regarde pas, avec procédure.

A partir de quel moment le contrôle cesse-t-il d’être bienveillant et devient-il de l’ingérence mal placée ? A l’inverse, à quel seuil le prétendu respect des affaires des autres devient-il de l’indifférence passive et égoïste ?

Je dois dire que je suis soulagée d’habiter dans un quartier multi-kulti (multiculturel). Je me sens plus libérée de faire des gaffes avec l’entretien de notre jardin (à partir de quelle hauteur au-dessus de la barrière couper les arbres qui dépassent ?), le tri des poubelles (toujours pas d’unanimité dans notre famille sur l’utilisation des sacs jaune et blanc), ou l’utilisation ponctuelle des bacs à ordures des immeubles voisins (juste quand c’est sur mon chemin, quoi).

Mais il parait que dans notre région les Allemands sont plutôt raisonnables en matière de supervision non sollicitée. C’est une amie allemande de Mayence qui me l’a dit. Alors…

Hallo ?

« Vous n’avez pas de numéro de téléphone allemand ? » Non. Pas de téléphone fixe.

« Un numéro de portable à l’étranger ? Ouh la la ça va me coûter cher de t’appeler ! ? »

Je ne sais pas. J’ai renoncé à comprendre le marché local de la téléphonie. De toutes façons les Allemands communiquent beaucoup sur Whatsapp. Ils changent régulièrement leur photo de profil, en fonction des saisons, de leurs humeurs, de leurs voyages. C’est assez rafraîchissant.

Comme un fil d’Ariane, mon numéro français me relie à mes amis, mon passé, aux promos de mes anciens fournisseurs (sic), ou même à des contacts que je préfèrerais oublier. Je n’ai pas eu envie de changer en arrivant, et je n’ai toujours pas envie de le faire. Je me suis bien accommodée de ce décalage. Je ressens toujours une petite fierté quand je donne mon numéro. « Vous comprenez, je suis française ». Cet attachement est ma petite révolte secrète : je dis non. Non, je ne suis pas d’ici. Je suis d’ailleurs. Je suis différente, et je veux le rester.

Pas facile de donner son numéro de téléphone en allemand. Tout d’abord parce que c’est plus une récitation apprise par cœur que des chiffres. Ensuite parce que les chiffres sont énoncés à l’envers en allemand (pourquoi ?) : on dit d’abord les unités et après les dizaines. (Mais s’il y a des centaines on commence par elles. Je sais. Pas logique). Je perds le fil du numéro quand je me lance dans la traduction. Alors j’ai résolu le problème, j’ai écrit le numéro sur mon agenda. Si besoin je le lis.

Autre étape prochaine : le changement obligatoire de la plaque minéralogique de la voiture. Après un certain délai (oups) de tolérance notre voiture n’a plus le choix, elle doit renoncer à sa première nationalité.

Ça grince un peu.

Heureusement côté révolte secrète je devrais m’en sortir. Mon père m’a promis un autocollant de l’Ardèche pour la voiture.

4×3 – 23 septembre 2019

Douze.

Oui c’est ça. Ce sont aussi les affiches qui abîment les accès aux villes. Je suis surprise de découvrir que les publicités pour le tabac sont légion. Là aussi, violent retour vers le passé. Depuis combien d’années sont-elles interdites en France (loi Evin 1991) ? Le tabac est accessible partout, au supermarché à la caisse à côté des bonbons et chewing gums, dans des distributeurs automatiques dans les rues. Toujours à hauteur d’enfant.

Sur un autre thème une campagne publicitaire vient de sortir et m’interpelle. Je vois l’affiche au sortir de la piscine. La construction du visuel est simple et efficace : texte à gauche, photo à droite d’un jeune homme viril (presque menaçant). La signature m’indique qu’il s’agit d’une publicité pour les formations liées au travail manuel. Première remarque intérieure spontanée : ‘’Ah bon, le travail manuel est réservé aux hommes ?’’ Deuxième remarque après avoir lu l’accroche : ‘’QUOI ???? Attends j’ai dû mal comprendre, je vais relire’’. Mais non, j’avais bien lu la première fois : « Avec le travail manuel tu peux travailler dans 193 pays différents avant de mourir.’’ Avant de mourir. (Littéralement : bevor du stirbst, avant que tu ne meures).

Curieuse façon que de vendre un projet de carrière générique, en rappelant aux jeunes leur condition mortelle, à un âge qui ne s’en préoccupe heureusement pas. Je serais curieuse de savoir comment ce message est perçu par la cible.

Les différences d’approche me semblent parfois vraiment incompréhensibles – même en essayant de corriger avec les filtres de sensibilités nationales.

Le portemonnaie de Napoléon – 14 septembre 2019

Mainz, en allemand. Mayence en français. Certaines villes rhénanes ont en commun de fêter le carnaval et de disposer de la traduction de leur nom en français. Qui ne connaît pas l’eau de Cologne (Köln) ? Koblenz se dit Coblence. Notre Napoléon national est venu s’installer dans le coin, et même si l’empire n’a pas duré si longtemps, des traces persistent. Dans le dialecte local de Mainz, des mots français restent utilisés, surtout par les grands-parents : portemonnaie, trottoir.

Lors du carnaval (Fastnacht) à Mayence, le costume traditionnel est une parodie de l’uniforme des soldats de Napoléon. Assez surprenant et incongru quand on y est confronté pour la première fois, surtout dans le tramway.

Prononciation6 Septembre 2019

Ils sont des mots allemands qui donnent le sourire quand on les prononce – quand on y arrive…

Pumpernickel (poumpernikel : le pain noir) ; Erdnussmus (ère d’ nousse mousse : le beurre de cacahouète) , et dans le même genre Apfelmus (apefeulmousse : la compote de pomme), des noms tout trouvés pour des soldats romains dans Astérix. Huggendubbel (houguen doubeule : une chaine de libraires). ou Peek & Cloppenburg (pique oun de clopeune bourgue : une chaine de magasins).

Et d’autres qui donnent le vertige : Schritttempo. Oui 3 T. (qui veut dire ”au pas”, pour donner une indication d ‘allure dans les zones piétonnes). Ou Schwimmmeister. Là 3M (le maître nageur).

Il en est un tout simple et gourmand : das Baiser, la meringue, comme son nom ne l’indique pas.

Et un qui me fait chaud au coeur : Haltestelle (les arrêts de bus). Je vous laisse deviner pourquoi.

Ah, et parce que c’est la saison des prunes : Zwetschgen. Avec cette soupe de consonnes (5 à la suite tout de même), on se retrouve la bouche pleine de noyaux à essayer de prononcer le mot (tse-vette-che-geune ; les quetsches).

Clichés – 11 Septembre 2019

Un jour en sortant de mon cours d’allemand, mon professeur et moi nous dirigeons ensemble vers la gare. Moi pour y prendre mon tram, et lui parce qu’il habite à proximité. En pleine discussion, et sans doute concentrée sur la recherche d’un mot qui m’échappe, je m’oublie, et traverse la route droit devant moi, sans aller au passage piéton, sans attendre que le petit bonhomme soit vert. (Depuis que nous habitons à Mainz, je veille à me rééduquer en matière de traversée de routes et à le faire conformément aux règles et aux coutumes locales.)

Je sens mon professeur presser le pas, décontenancé et pris au dépourvu, pour me suivre dans mon piétiment hâtif des règles locales et de ses habitudes. “Das ist also kein Klischee !” Non ce n’est pas un cliché, les Français ne traversent pas toujours au feu rouge. Au passage, j’apprends un nouveau mot, ‘Klischee’ qui vient du français.

Nous sommes venus ici avec notre regard conditionné par des préjugés. Et nous promenons avec nous les clichés sur les Français, à travers lesquels nos nouveaux amis nous découvrent. C’est d’ailleurs intéressant, lors de la préparation de l’échange linguistique de la classe de ma grande fille avec une classe parisienne, de voir sur quoi portent ces fameux clichés. Les formulaires se focalisent sur l’alimentation : proposer de l’eau plate, du pain blanc…

Ne trouve-t-on pas un fond de vérité dans ces exagérations caricaturales de l’Autre ?