Arrivée à la maison de location temporaire à Mainz le 31 juillet 2018 au soir.
Notre maison ne sera disponible que dans deux semaines. Qu’importe. Cela nous donnera l’occasion de découvrir deux quartiers, de rencontrer la famille qui nous loue ce logement. Formidable. Nous allons sans doute échapper à la canicule qui commence en France. Le supermarché est encore ouvert à 20h : nous allons pouvoir nous concocter notre première dînette allemande. Oh génial regarde la confiture de prune au nom rigolo : Pflaummus (pflaoumemousse)! Et les saucisses et autres salamis sous blister pour le petit déj. Et le repas du soir. Et les fromages-déjà-tranchés-tous-pareils-et-en-plastique. On va se régaler !
Tout excités tous les 4 de toucher au but, après avoir passé la journée entassés dans la voiture, après toutes ces semaines de contraintes administratives en deux langues et des deux côtés de notre vie en transhumance, de rangement, de tri, de rendez-vous avec Emmaüs, d’aurevoirs intenses.
Partis (presque) sans nous retourner. Impatients de passer à la prochaine étape. Ravis du changement qui s’annonce. Nous baignons encore dans nos habitudes et toutes ces nouveautés piquantes stimulent notre curiosité. Nous nous croyons presque en vacances.
Ça n’allait évidemment pas durer.
Les jours qui suivent, nous découvrons que la canicule a bien cours sur les rives rhénanes. Nous inventons une marelle dans les rues entre les rares flaques d’ombre. Certains commerces sont fermés ‘’pour cause de chaleur’’. Vraiment ? Nous renonçons à tous les déplacements non indispensables.
Mon mari a attaqué son nouveau travail d’emblée. Avec les filles nous jouons à la famille qui vient de s’installer en Allemagne. Au fond de nous, notre corps et notre esprit n’ont pas encore compris qu’ils allaient rester là. Notre chez nous c’est toujours à Lyon. D’ailleurs on a toujours les clefs. Et nos meubles sont toujours là-bas.
Trop trop chaud. De l’eau il nous faut de l’eau.
Nous marchons jusqu’à la piscine. Que c’est long ce trajet dans l’haleine d’un four de céramiste ! Les plantes en haillons brûlés réclament grâce. ‘’Maman tu as vu les gens ici ils doivent beaucoup laver leurs voitures, elles brillent !’’. C’est vrai, c’est le cas, et une petite voix en moi persifle : ‘’Mmm j’espère que ce n’est pas leur seul passe-temps’’. Je m’étonne avec un amusement mâtiné d’un soupçon d’inquiétude du linge si bien rangé sur l’étendage dans un jardin. Pourvu que nos voisins ne viennent pas nuitamment remettre de l’ordre dans notre composition poétique de chaussettes et de culottes qui sèchent. Surtout qu’en ce moment, faute de matériel adéquat, le linge humide est disposé artistiquement sur les romarins du jardin.
La piscine enfin. Grands bassins bordés de pelouses avenantes et de majestueux platanes. Ah chouette ! Bondés comme il se doit pendant les vacances scolaires un jour de feu. Bon on fera avec.
Nous trempons avec délectation dans une eau trop tiède.
Allez les filles on y va. Une petite douche ? Nous entr’ouvrons la porte de la salle. Elle est pleine. De dames toutes nues ! Euh, ah. Euh finalement nous la prendrons à la maison cette douche. La nudité partagée d’un coup et avec promiscuité, alors que nous n’arrivons toujours pas à admettre que dorénavant oui nous allons toujours entendre parler allemand autour de nous, ça fait un peu trop. Nous y reviendrons progressivement, donc en l’absence de tout témoin pour commencer (nous n’y sommes toujours pas).
« Maman qu’est-ce qu’on mange au goûter ? »
Allez hop. Ni une ni deux. Je mitonne un clafoutis aux mirabelles. Bon oui, mais … bizarre. La petite voix me dit « pouah il n’a pas le même goût qu’à la maison. Et t’as vu les œufs blancs ? Pourquoi ils sont blancs d’abord ? Et le beurre ? Il n’a pas la même texture ; il n’a pas de goût. Et il fond tout de suite. Est-ce que tous mes gâteaux seront comme ça ici ? »
Même déception avec les crêpes. Les CREPES ! horreur, sacrilège. Pas le même goût ni la même texture.
Et ces fichues poubelles ? Faut-il enlever l’étiquette de la peau de banane avant de la mettre dans le sac de compost en papier ? Lequel se désagrège à peine touché. Et pourquoi, pourquoi, les bacs ne sont-ils vidés que tous les 15 jours ? Quand il fait 40 ° à l’ombre, je vous laisse imaginer l’état d’une poubelle de compost. Je les contourne avec méfiance, m’attendant à chaque instant à ce qu’elle se mette à remuer, à déborder de bulles de matières fétides comme le chaudron des sorcières de Macbeth. Sans compter les effluves peu ragoûtants. J’y jette mes déchets en apnée et les yeux fermés.
Pas découragées pour autant nous allons finaliser les inscriptions des filles dans leurs écoles respectives. A peine à 10 minutes à pied l’une de l’autre, et à peine plus de la maison. On apporte les bulletins français, l’école nous remet la liste des fournitures à acheter, des livres à commander, des formulaires abscons beaucoup trop longs.
L’aînée se réjouit de toutes ses nouveautés. La cadette moins, mais la rencontre avec sa maitresse, belle jeune femme sportive en short-birkenstock la rassure. Elle visite sa classe.
Je vais faire les inscriptions pour la cantine. Il faut payer par virement. Ah bon. Avec un compte allemand. Ah ben on n’en a pas encore voyez-vous, il faut une adresse pour ouvrir un compte et nous n’aurons notre maison que dans 2 semaines. Arrrrrgh… Après bien des discussions, des traductions (quel bonheur le vocabulaire administratif) nous trouvons une solution pour l’une, pas pour l’autre. Sandwiches donc ma grande. Je rêve de l’inscription à la cantine en France où il suffit de cocher la case idoine ‘mange à la cantine’ et de payer en ligne. Par carte.
Demain c’est la rentrée. Les cartables sont prêts. Les habits et les nu-pieds aussi. Les cœurs un peu moins, surtout le mien.
Mon sommeil est bref et agité. Je me réveille en sursaut : c’était un cauchemar hein ? Je vais me réveiller et tout cela s’envolera dans les limbes ? Qu’avons-nous fait ? Pourquoi sommes-nous ici ? Nous avons tout cassé, quitté des gens que nous aimons, renoncé à une super école où les filles étaient à l’aise.
Je ne veux pas être ici. Je ferme les yeux. Si je les serre assez fort assez longtemps, je les rouvrirai sur mon environnement familier à Lyon.
Le réveil sonne, inutile. Voilà longtemps que je tourne et je rumine.
C’est parti les filles. Trop tard pour renoncer. Le grand huit a démarré en trombe. Accrochez-vous. Accrochons-nous et faisons de notre mieux.
Vous allez rentrer dans de nouvelles écoles où vous ne connaissez personne. Tout sera différent de ce que vous connaissez.
Et vous ne comprendrez aucun mot.