Le 11.11 à 11 heures 11 a été lancée la campagne de Fastnacht (Carnaval) 2020-2021. En toute petite pompe.
Pouet, pouet, zim boum boum.
Carnaval commence en Rhénanie le 11 novembre. La cérémonie très officielle est organisée chaque année sur la place Schiller, dans le centre ancien de Mainz. Une journée de foule et de défoule, repère pour les Mayençais, de l’entrée dans la période des fêtes. A ma question : « Mais que se passe-t-il place Schiller le 11/11 ? » un ami franco-allemand m’avait répondu : « Tu verras. Tu y vas, et tu t’laisses aller. »
Nous y étions descendus en famille il y a deux ans curieux de découvrir cette tradition. Les enfants étaient déguisés comme nos guides du jour, une amie allemande et sa fille. Nous avions rejoint le centre-ville dans un bus bondé car la circulation des trams était modifiée. Des milliers de citoyens de tous âges se massaient autour du Fastnachtbrunnen (la fontaine de carnaval), devant l’hôtel particulier, l’Osteiner Hof. Sur le balcon central se tenaient les maîtres de cérémonie derrière un micro. A l’heure précise, toutes les voix ont compté à l’unisson. 5 ! 4 ! 3 ! 2 ! 1 ! Puis une forêt de mains droites a fait trois saluts scandés par les HELAU ! HELAU ! HELAU ! Après la proclamation de la charte de carnaval dans un silence impatient, les bombes à confettis et les cris joyeux ont éclaté. Les serpentins se sont envolés, les bouteilles de bière entrechoquées.
Etant peu adeptes des foules, déguisées ou pas, nous ne nous sommes pas laissé aller. Après la cérémonie, nous avons joué des coudes pour atteindre une pâtisserie et ses beignets. La deuxième année nous avons fait l’impasse.
Ce matin, curieuse et masquée, je suis descendue en ville pour pouvoir vous raconter comment se passe le Elfter Elfter (11/11) en période de confinement partiel. Je ne risquais pas grand-chose : tout regroupement est interdit. Je peux faire ma maline et être plus mayençaise que les copines.
Le ciel blanc diffusait une lumière blafarde de jour de neige, sans le froid associé. En début de matinée, j’ai pu trouver dans un tram calme une place assise avec l’Abstand (la distanciation sociale, ici de 1.5 à 2 m) de rigueur. Dans les rues, les premières décorations de noël ne compensaient pas les terrasses de café fermées et les vitrines éteintes des restaurants. Signe d’une journée particulière : plusieurs passants portaient une écharpe couleurs de Fastnacht (rouge, blanc, bleu, jaune), ou une grosse médaille sur une ficelle bariolée. Parfois leur masque portait les mêmes rayures. Dans une rue du centre piéton commerçant, une queue ordonnée et espacée s’allongeait devant un bâtiment quelconque que je n’avais encore par remarqué. C’était le siège du Mainzer Carneval Club 1838 e.V. .
Après avoir flâné dans des rues oubliées depuis plusieurs semaines, je me suis dirigée vers la Schillerplatz. En face du théâtre fermé, j’ai acheté du pain d’épices de qualité (Lebkuchen). C’est un magasin temporaire qui vend des glaces en été. (Oui merci, de ce côté-là nous sommes équipés, pour notre consommation locale et les envois familiaux, si les petites mains ne trouvent pas la cachette). Après avoir remonté une Ludwigstrasse vide, derrière un arlequin aux cheveux gris, je suis arrivée juste avant 11h11.
Devant l’Osteiner Hof, blanc et rouge brique, comme beaucoup de bâtiments anciens de Mainz (y compris l’Institut Français à proximité), des petits groupes de deux ou trois personnes attendaient, dispersés. Les consignes de sécurité, distances et masques, étaient respectés. Des curieux comme moi ou des carnavaleux fanatiques qui, bravant l’interdiction, allaient exploser bientôt ?
C’était un attroupement décousu et sans liesse. Les portables se tenaient prêts à filmer. Un couple assorti en déguisements traditionnels verts posait avec leur bébé devant la fontaine (sans eau) pour un journaliste. Deux copines grenouilles marchaient côte à côte. Une dame sous un parapluie rouge bordé de ballons haranguait ses voisins. Des copains assis sur les bancs entre les troncs écaillés des marronniers buvaient des bières dans des gobelets en plastique.
Soudain ce fut l’heure.
Une voix d’homme au micro a rappelé qu’aujourd’hui il n’y aurait pas de cérémonie. Merci de la regarder en ligne.
Les badauds, qui n’attendaient que ce signal, ont scandé HELAU ! HELAU ! HELAU ! en agitant la main. Devant moi une bombe à confetti minuscule a éclaté. Derrière, une autre. Deux groupes se sont interpelés et ont trinqué à distance.
Voilà. C’était calme et bon enfant. La voiture de police garée devant n’a pas eu à intervenir.
Je suis repartie pour l’autre bout de la place, attendre mon tram. Des feuilles de marronniers tombaient derrière la statue de Schiller vert-de-gris. Les flâneurs passaient leur chemin. A la fenêtre d’un appartement, un visage dans l’ombre regardait la place en contre bas, derrière des jardinières décorées en rouge-blanc-bleu-jaune. A l’étage du dessus, une jeune fille accrochait au rebord de sa fenêtre ouverte le bout de serpentins aux couleurs fanées. Elle se penchait pour les laisser couler le long de la façade.
Ça fait un peu pétard mouillé cet attroupement doux-amer. Beaucoup de Mayençais (comme les habitants de toutes les villes de carnaval de Rhénanie) doivent être déçus de ne pouvoir faire la fête aujourd’hui. Mais si j’en crois les blagues qui circulent sur Whatsapp ils ont l’air de le prendre avec humour.
Sur le site de la radio et télé locale SWR, j’ai vu les photos prises par le journaliste : le couple en vert, la dame sous son parapluie… des photos que j’avais envie de prendre mais que je n’ai pas osé faire. D’après lui 100 à 150 personnes étaient présentes. J’aurais dit moins, mais je n’ai pas l’habitude des dénombrements de foule. Sur cette place clairsemée, il était intéressant de le voir à l’œuvre. Ce n’est pas si souvent que c’est possible. Le besoin de faire reportage sur l’absence dénote la taille du manque.
(En passant sur le site de SWR j’ai été happée par une recette de gratin de pommes de terre au Lyoner. Ce n’est pas un habitant de Lyon découpé en tranches fines, mais une grosse saucisse. Il y en a chez le boucher du marché, mais on n’a pas encore gouté).
Maintenant que les festivités sont officiellement ouvertes en Rhénanie, les préparatifs vont s’intensifier. Bricolage des calendriers de l’Avent (avec 24 petits cadeaux pour chacun des enfants, les veinards) et des Adventkranz, la couronne de l’Avent en branchages ornée de quatre bougies (une pour chacun des dimanches de l’Avent). Les enfants n’ont pas pu défiler en chantant dans la nuit avec leurs lanternes pour la saint-Martin (aussi le 11/11). Mais il reste encore des plaisirs que le corona ne confisquera pas !
Influencée par mon environnement (et motivée par mes expériences passées frustrantes) je m’améliore côté anticipation. Les quatre bougies rouges sont dans un placard (yes !). La semaine prochaine au marché j’achèterai la couronne de verdure (un jour il faudra qu’on apprenne à la faire vraiment). Nous la décorerons avec les enfants. Côté calendrier de l’Avent, on se contente de (beaucoup trop de) chocolats et de fudge. Les petits cadeaux chez nous sont, à l’anglaise, dans les stockings, au matin de Noël (si on a été sage, sinon on trouve des morceaux de charbon). L’heure est au Christmas Cake, ce gâteau épicé riche en fruits secs qui cuit trois heures. Rappelez-moi d’acheter des raisins de Corinthe.
Hier au collège, les élèves ont pu commander pour 1 € une petite figurine de Nikolaus en chocolat. Elle sera livrée le 6 décembre de sa part à l’ami de son choix, dans sa classe, une classe voisine, ou même un autre Gymnasium de Mainz. Ma plus jeune avait pris son portemonnaie. La queue était si longue qu’elle a dû renoncer pour aller en cours.
L’actualité de Mainz comprend deux autres nouvelles : l’annulation prévisible mais regrettée du marché de noël, et le communiqué du laboratoire Biontech sur ses avancées sur le vaccin contre le corona. Il sera conditionné dans des flacons de verre fabriqué par Schott, une autre entreprise de Mainz. Notre ligne de tramway passe devant le siège (en verre) et les longues cheminées (en brique) d’une de leurs usines.
Quel plaisir d’écrire cela ! Les bonnes nouvelles ne courent pas les rues désertées. Je ressens presque une pointe de fierté chauvine et involontaire (car notre présence sur les lieux de ces progrès humains tient du hasard). Comme si Mainz m’avait adoptée.
Pour fêter ça je vais accrocher des petites guirlandes lumineuses autour de la fenêtre de mon bureau. En ces temps gris, on peut tricher un peu non et rallonger la période de Noël ? ‘’D’habitude’’ – mais ce mot a perdu son sens – on attend le 1er décembre pour sortir les films, les livres et les disques de Noël. Aujourd’hui ma benjamine était patraque et du fond de son canapé elle m’a demandé de sortir Santa and co. Allez oui ! Même sans fêter le Elfter Elfter sur Zoom, on a tous besoin de lumières scintillantes !