Fugues

Collège buissonnier, rendez-vous inutiles et se défendre enfin

Mercredi 9 h 56.
Mon portable posé sur le bureau à gauche du clavier vibre. Interrompue en plein travail, je n’ai pas envie de répondre, mais je jette machinalement un œil à l’écran où s’affiche le numéro de la Vie scolaire du collège. Il vaudrait peut-être mieux prendre cet appel.

— Allo ?

— Allo, madame, nous souhaitons vous prévenir que votre fille a fugué du collège avec une copine en cachant la caméra de surveillance. Elle a été rattrapée par un surveillant.

Ma fille, fugué ? Je l’attends à la maison, ses professeurs sont absents. N’est-ce pas normal qu’elle parte ?

— Ah ?

— C’est inadmissible et elle sera sanctionnée. Elle sera reçue demain par madame X.

— Ah bon ? Pourtant elle vient à l’instant de m’appeler depuis le téléphone de la Vie scolaire pour me demander une décharge pour sortir. D’ailleurs, je viens de vous l’envoyer. Bien sûr, je lui reparlerai de cette façon de procéder qui ne se fait pas. Mais enfin, elle partait en accord avec moi, puisque ce matin elle n’avait qu’une heure de cours.

10 h 30. Ma fille n’arrive pas.

11 h. Toujours personne.

Sans doute a-t-elle dû folâtrer au parc avec son amie.

Je fais un saut chez Picard (ah, Picard qui nous a tant manqué en Allemagne) pour nous chercher des blanquettes de veau individuelles puisque ça lui faisait envie. C’est bientôt les vacances, on va se faire un petit plaisir. Avant de partir, je lui laisse un petit mot, bien en vue, sur la dernière marche en haut de l’escalier. Ma chérie, je reviens dans dix minutes.

Sur le trottoir, les feuilles sont glissantes et un panneau m’annonce que je marche à 5 km/h. Le vent est glacial, il a neigé la veille.

Retour à la maison. Personne.

12 h. Je guette à la fenêtre entre les branches du sapin de Noël. Personne.

J’envoie un texto à mon mari : notre benjamine n’est pas là.

Comme j’ai grand-faim et que si je ne me sustente pas dans ce cas-là mon humeur vire au noir, je crève l’opercule à coups de fourchette et place la barquette au four à microondes. Je monte le son de mon portable pour pouvoir écouter la chronique de Tanguy Pastureau sur Inter.

Je mange. Seule.

Notre famille vit une actualité très difficile que je ne vais pas détailler ici. Je suis épuisée et j’ai décidé de me reposer cet après-midi puisque mon jeudi s’annonce éreintant. Échouée sur le canapé, je vais regarder Manon des sources (l’original bien sûr – qui a envie d’entendre des Parisiens prendre un faux accent méridional ?). Il repasse sur Arte et je l’adore. En outre j’ai besoin de retrouver une citation du film pour mon bouquin. Blottie sous un plaid, beaucoup trop près de notre chienne Gaïa qui cherche toujours à me piquer mon nid, je cale la tablette. Le facteur ne me dérange pas : notre sonnette est cassée. Les colis de Noël passent en voiture électrique devant chez nous, s’arrêtent quelques minutes avant de retourner à la poste. Quand j’aurai 5 minutes et une cloche, je mettrai une affichette pour prévenir le facteur…

Je regarde le film d’un œil distrait, en guettant le bruit de la porte d’entrée.

Tiens, voilà le passage dont j’ai besoin. Au verso de mon modèle de tricot, je le recopie avec une moitié de crayon gris qui traine. Je me délecte de la plume intelligente et tendre de Marcel Pagnol. Comme j’aime le parler de ses personnages, tout en humanité et en humour !

14 h 10, la porte d’entrée s’ouvre. Enfin !

– Mamaaaaan. Pardoonnnn.

Ma fille éplorée craint l’engueulade.

— Que s’est-il passé ?

Il s’est passé que malgré le coup de fil et la décharge écrite ils ne l’ont pas laissé sortir. Elle a été emmenée chez le proviseur, sermonnée par deux personnes. Seule. Sa copine ne s’était pas arrêtée en quittant le collège et pour cause : sa mère l’attendait dans sa voiture. Tu parles d’une fugue.

Plus elle m’explique et plus la colère monte. Quel système idiot et aberrant qui empêche les jeunes de sortir du collège quand ils n’ont plus cours pour la journée ! Tout cela pour aller au self.

Cela serait anecdotique si depuis plusieurs semaines, les professeurs n’étaient pas absents à tour de rôle, sans remplaçants. Si ma fille trilingue n’était pas contrainte, par une fantaisie administrative de suivre des cours d’anglais avec des débutants. Et si on n’attendait pas, depuis la rentrée, la mise en place d’un dispositif particulier auquel elle a droit.

Nivellement par le bas révoltant.

La colère bouillonnante me confisque le repos dont j’ai besoin.

D’abord je console ma fille, lui dis que le coup de fil de la Vie scolaire nous a fait éclater de rire, et que les idiots procéduriers feraient mieux de s’occuper de remplacer les profs malades plutôt que de faire perdre du temps aux élèves et à leurs familles. Et que s’ils gardent une élève en colle, il est inadmissible que les parents ne soient pas prévenus (nous nous sommes inquiétés pendant quatre heures). Je lève les bras écartés pour lui dire : super-maman ! je vais te défendre ma chérie contre l’absurdité !

Elle sourit à peine. Elle a très peur. Elle est traumatisée.

(Franchement, je n’ai pas besoin du collège pour traumatiser ma fille. Je m’en charge très bien toute seule. Je lui ai raconté le film L’auberge rouge, que j’avais emprunté à la médiathèque (ça aussi ça m’avait manqué en Allemagne : ne pas pouvoir emprunter de vieux films). Basé sur des faits réels, il se passe dans la montagne ardéchoise. Sans les facéties de Fernandel, et la distance de l’histoire romancée, les faits l’ont terrifiée. Elle ne veut plus aller en Arèche même pour voir son grand-père qui pourtant vit à une distance très sécurisante de l’auberge de Peyrebeille).

Adieu le canapé, je retourne à l’ordinateur. J’écris un long mail de griefs au proviseur. À ceux qui ne me connaissent pas depuis longtemps, sachez que c’est tout nouveau pour moi de me défendre. C’est la première fois, depuis 22 ans que je suis maman, que j’écris à un proviseur pour lui dire le fond de ma pensée. En général, je laisse courir, considérant qu’ils règnent sur leur monde.

Peut-être ai-je pris de l’assurance ? Peut-être puis-je maintenant comparer avec la pédagogie allemande ? Peut-être chaque manquement au respect de l’éducation s’est-il accumulé pour en arriver aujourd’hui par ce besoin de mettre les points sur les i ?

Je ne me fais pas d’illusions, la bêtise gagne toujours, mais merde quoi.

Le jeudi matin, le lendemain de la « fugue », l’ensemble des cours de la matinée sautait encore. Donc en toute logique, il fallait à nouveau une décharge pour ma fille pour l’autoriser à arriver après le self. (Il restait un plat de ramen Picard au congélateur qui lui disait bien). Donc je lui ai donné le formulaire-sésame sur lequel j’ai précisé en post-scriptum : « je ne complèterai pas ce formulaire par le remplissage d’un bulletin d’absence dans le carnet de correspondance. Ce n’est pas ma fille qui était absente, ce sont, encore, ses professeurs. »

(Pour la petite histoire qui se fait longue, j’ai reçu plusieurs mails peu aimables de la part de la fameuse Vie scolaire pour un supposé manquement à la procédure, « décharge + bulletin dans le carnet + passage à la vie scolaire », patin couffin. Ces mails erronés m’avaient déjà bien irritée.)

À Mainz aussi j’avais défendu ma fille bec et ongles. (Super-maman, bras levés) Je m’étais fâchée tout rouge avec sa prof de maths qui lui avait mis un Klassenbucheintrag, l’équivalent d’un mot dans le carnet. Pourquoi ? Ma fille était absente au début du devoir surveillé de maths. Pourquoi ? Parce que ladite prof lui avait demandé d’accompagner une de ses camarades qui ne se sentait pas bien au secrétariat.

Quelle obsession les absences. Quelle peur panique des défections. À en voir des fugues partout.

En Allemagne, les établissements scolaires sont grands ouverts. Les terrains et les cours restent accessibles pendant les vacances. À la récréation, aucun écolier ne se glisse par un portillon entr’ouvert. Ils savent que c’est interdit m’avait-on expliqué. En France, tout est barricadé (pour Vigipirate, seulement ?). Ma fille a paniqué, car elle n’avait pas la fameuse décharge, que j’avais oubliée. Si les petits Français ont un caractère aventurier, tant mieux pour eux. Les barrières fermées tentent l’escalade.

Le lendemain du fameux mercredi, dans une salle d’attente, une maman a passé un coup de fil. Je n’ai pu m’empêcher d’entendre : « Ma fille est marquée dans Pronote comme ayant une absence injustifiée, pourtant je vous avais écrit… »

Cela est-il donc une manie contagieuse entre les établissements ?

Le week-end, j’ai pu reprendre mon visionnage de Manon des sources.

La scène qui entame la deuxième partie est savoureuse : le conseil municipal du village, dont les membres vivent tous, de près ou de loin de la terre, désespérés par le tarissement soudain de la fontaine, accueillent l’ingénieur du Génie rural. Ce dernier s’épanche en explications inutiles.

Ugolin l’interpelle : on vous fait venir parce que nous n’avons plus d’eau. Vous faites des mesures pendant des jours, vous réfléchissez à vous faire péter la cervelle, vous nous assommez avec des mots d’un kilomètre et vous nous dites : vous n’avez plus d’eau. Quand on vous demande ce que vous pouvez faire, vous répondez : rien.

Cette scène, je l’adore. Vous l’aurez compris, je suis la première à crier aux incohérences de l’administration et à dénoncer l’incompétence. Mais là elle résonne doux-amer.

La veille, le jeudi donc, nous étions en famille en entretien avec des spécialistes de leur spécialité, cachés derrière leur ordinateur. Nous sommes arrivés en disant : nous avons un problème grave. Nous y avons passé la journée et laissé une énergie démesurée. À la fin de ce que je pensais être une consultation, mais qui était une réunion (mon mari et moi avons eu envie de sortir nos portables aussi, mais rien ne méritait de prendre des notes), on nous a dit : vous avez un problème grave. Que fait-on ? Rien.

Comme le Papet, j’aimerais me régaler de ces couillonnades.

Mais là, ça se passait dans un hôpital.

Ceux qui atteignent leur niveau d’incompétence continuent de toucher un salaire.

(J’ai diagnostiqué un déni d’inutilité.)

J’ai envie de lever les bras au ciel en criant : super-maman, je vais tous nous sauver de la bêtise.

Je ne touche pas terre au sens propre comme au figuré. Comme il fait trop froid pour le jardin, que je n’ai pas d’atelier de terre en ce moment, je peins mes ongles en rouge sombre avec ma fille.

Je regarderai ces doigts maquillés que je ne reconnais pas sur les touches du piano en travaillant une fugue de Bach à quatre voix. Je me demanderai quel est le point commun entre un départ du collège en courant et en riant et en saluant en passant la caméra (quand il n’y a plus rien à y faire) et un morceau de musique.

Je suis découragée par un monde où le bon sens est démodé.

J’ai envie de fuir.

Me réfugier dimanche soir au Grand Temple pour entonner les chants de Noël anglais lors du Christmas carol service de l’Église anglicane de Lyon, en priant pour que les Bleus ne gagnent pas la finale (désolée) sinon nous ne pourrons jamais rentrer chez nous.

Me cacher dans le Vercors, dans le petit village, dans l’hôtel même où nous étions venus nous réfugier au printemps 2018, pour peser les pour et les contre et décider de partir nous expatrier en Allemagne.

Fuir.

Dans la forêt d’épicéas sans neige, qu’un vent du sud rend printanière, pour caresser un tronc rayé de merisier.

Dans la baignoire de l’hôtel, pour évacuer la colère en soufflant des bulles la tête dans l’eau. Nous n’avons qu’une douche dans notre nouvelle maison et tremper me manque.

Fuir les yeux ouverts, car en l’absence de distraction visuelle, mon esprit écrit en silence tout le mal que je pense des derniers couillons qui ont croisé ma route. Pour l’instant, j’ai réussi à ne pas leur dire en face. Il parait que ça ne se fait pas. C’est dur quand même de traverser la vie agressée par la bêtise de beaucoup tout en ne pouvant pas leur tirer la langue.

Je le fais donc ici pour me libérer du geste.



Pfffffft !

Fuir.

Me barricader dans une église vide pour fermer la porte sur le brouhaha du monde et les textos de ceux qui ne comprennent rien et agressent par leur insensibilité.

Aspirer par osmose le calme. Allumer un cierge pour le plaisir de voir danser la lumière dans un parfum de cire chaude, l’odeur des bougies de la couronne de l’avent fanée qui ont coulé sur la table.

Je vous souhaite un Noël en paix, sans avoir besoin de tirer la langue.

En cas de besoin, je peux vous établir une décharge.

Si vous devez fuguer, faites-le comme ma fille, avec une personne aimée, en courant, et en saluant la caméra à la porte en riant.

Rendez-vous de l’autre côté.

A nous tous, 2022

Noël ardéchois, crèche provençale, actualité des lettres d’une Allemande expatriée en France il y a 300 ans. Guten Rutsch ! Bonne année !

Bonjour !

Hep !

Léger coup sur l’épaule.

(Etirement)

Tu peux ouvrir les yeux sur 2022.

J’ai laissé filer 2021 une heure plus tôt. Elle a glissé sous la porte de la maison. On n’allait pas la retenir la coquine. Tu les as entendus les explosions vers minuit ? Je croyais que c’était interdit pour la lutte anti-covid. Les pétards m’ont vaguement réveillée. J’ai senti la présence de mes filles entrées souhaiter bonne année à leur mère dans les limbes (et regarder les feux d’artifice par ma fenêtre).

2022 commence d’emblée mi-mai. A notre promenade ce matin avec Gaïa sur le Mainzer Sand (dunes), nous n’avions pas de manteau. La douceur du fond de l’air augure-t-elle de celle des jours ? . Le froid me manque.

T’as pas de résolutions ? Moi non plus. Je n’en ai jamais au 1er janvier.

Quand je veux introduire du changement dans ma vie, je m’y prends tout de suite (surtout quand il y a urgence, du genre : absolument éviter de me pencher en déséquilibre vers l’avant sinon couic, pincement dans le dos). Ou jamais (réduire le chocolat).

C’est la rentrée scolaire, avec son parfum de cahier neuf et de crayons bien taillés qui me pousse dans le dos pour découvrir et essayer. Les calendriers sont une affaire d’organisation collective, une convention pour arriver à l’heure à l’école. Rien d’absolu. Regarde, les Chinois, attendront un mois pour changer d’année. Sous nos latitudes les jours grandissent déjà depuis le solstice.

Tiens un café. Prends ton temps. Je te donne rendez-vous de l’autre côté.

Je sirote une tasse de tisane (appelée Calm and relax : un sachet emballé par mon ado pour sa mère à Noël, entre plusieurs cadeaux charmants fabriqués par elle. Je crois qu’elle essaie de me dire quelque chose). Des coups de marteau résonnent, elle bricole dans sa chambre. Je viens de croquer le premier marron glacé post-gastro (oui, c’est la saison). Mon fils au piano joue en alternance Amélie Poulain et I’m walking in the air (je vais lui piquer la partition) et d’autres morceaux dont j’ignore le titre. Quand il sera reparti en Angleterre (testé avant, après, pendant), la moindre mesure de ces mélodies me fera fondre le cœur.

De retour à Mainz après une échappée jolie en Ardèche d’à peine cinq jours sur place.

Premier trajet d’une traite. Google nous dit : 837 kilomètres en 8h37. Si seulement… En données corrigées des variations saisonnières et des pauses pipi : onze heures. La chienne ne sort que deux fois sur le trajet. Elle est bien sage dans le coffre à côté des grosses valises. Mais ces deux jours en voiture valaient le coup. Apercevoir de beaux paysages, on en a tant rêvé !

Lyon

Longueurs et langueurs d’autoroute. Les genoux dans les dents, à essayer de caser nos pieds entre/ sous/derrière des sacs qui dégueulent. Pourtant nous avons laissé des cadeaux sous le sapin pour le retour. Le coffre de toit est plein. Vous voyagez léger vous ? L’ambiance reste pacifique malgré la réduction de l’espace vital. Quand un estomac se réveille, repérer le sandwich en kit tient du jeu de piste. Trésor ultime dans les tréfonds : la banane écrabouillée. A chaque fois.

Nous avions pourtant réussi à obtenir nos passeports au consulat de Francfort dans les temps. Service adorable, hyper rapide. La dame qui a vérifié nos empreintes digitales me l’a confirmé : oui le Palmen Garten (jardin botanique) en face de son bureau vaut le coup. On reviendra au printemps.

Mais l’Angleterre s’est refusée à nous. Hop elle a relevé le pont-levis et prohibé les plongeons dans l’omicron. Ceux qui passent entre les barreaux de la herse gagnent quatorze jours aux oubliettes. Quatorze jours ? Pour dix jours de vacances ?

Mon fils, dont le semestre a fini début décembre, est déjà en France. Discussions par texto : On ne sait pas ce qu’on fait. Mainz ? Ardèche ? Tu crois qu’en passant par la Belgique ça le ferait ?

-Allo papa, on peut descendre en Ardèche ?

-Dites-moi que je chauffe la maison.

Discussions en famille, négociations.

-Allez venez asseyez-vous. De quoi avez-vous envie ?

-Non non on ne veut pas rester en Allemagne. On a besoin d’un changement. Tu te souviens aux vacances l’an dernier, nous ; on a été bien sages et on est restés. Avec les conséquences que tu sais.

(Vague menace de vague à l’âme prolongé ; prise au sérieux.)

-…

-Des amis ont pris le risque de partir et ça s’est bien passé.

C’est sûr. Un changement d’air s’impose. Les dernières semaines au collège ont été intenses. Les profs craignent-ils la fermeture des écoles et donc une interruption des notes ? Les filles ont besoin d’une coupure. Leurs parents aussi. Oui mais l’Ardèche c’est bien loin. En train ? Non, complet.

Ma plus jeune se braque. Elle veut un noël anglais. Elle ne connait que ça depuis qu’elle est née. Comment faire ? Non en Ardèche y’a pas de sapin de noël. Y’en a jamais eu. Ma mère ne voulait pas tuer d’arbre. Enfants, nous décorions une belle branche morte suspendue au-dessus de la cheminée. Les guirlandes frisaient à la chaleur. A la demande de mes frères et moi, une concession avait été faite avec une brassée de genêts verts. Non, pas de sapin donc. Le clou de la fête dans ma maison d’enfance, c’est la crèche. En terre cuite non peinte, une farandole de santons hauts d’une vingtaine de centimètres, achetés année après année chez un santonnier de Saint-Rémy de Provence. Vous savez, sur la route de Maillane.

Ma mère redoutait novembre. On triche un peu, elle disait, on va faire la crèche. Mon père dit encore qu’elle décorait la longue hotte de la cuisine de la Toussaint à Pâques. De quoi sauter l’hiver à pieds joints et mains occupées. On partait en balade dans la garrigue glaner les accessoires végétaux. Oliviers en touffe de thym, collines de mousses, pierres volcaniques ou fossiles. Mon père sortait l’escabeau pour attraper LE carton dans le placard du haut de l’entrée. Mes frères et moi plongions des mains impatientes dans les chips de polystyrène.  A tâtons nous essayons de reconnaitre notre prise avant de la voir. On fouillait longtemps pour trouver les derniers petits moutons.

Pour nous c’était la fête, et on connaissait la Pastorale des santons de Provence d’Yvan Audouard par coeur. mais aujourd’hui mon argument pour l’Ardèche brille moins qu’un sapin illuminé.

-Mais si tu verras, on fera la crèche.

Elle ne l’a jamais faite. Nous en possédons une faite maison par mon fils tout petit et moi (avec, s’il vous plait, modelé par lui, des accessoires trop souvent oubliés : un doudou et un ballon de foot pour le petit Jésus). Faute de place où l’installer, elle reste planquée dans la remise.

-Promis, au retour, nous concocterons un menu londonien de noël.

Nous nous partageons entre nos deux lieux de cœur. Décembre c’est pour la famille paternelle à Londres. Depuis qu’on vit en Allemagne, nous ne descendons dans le sud de la France qu’aux beaux jours. Ma benjamine se souvient à peine de l’hiver en Ardèche. Finalement, elle se laisse raisonner. Merci à elle.

On a fait la crèche. Mangé des escargots le 24 au soir, comme moi dans mon enfance. Je suis heureuse de leur faire découvrir tout un pan des fêtes. Dans un album pour enfant qui présente les différentes traditions de Noël ma grande s’écrira un index pointé vers les pages : Regarde on les fait toutes ! couronne de l’avent, lentilles, crèche…

Quand on vit à cheval sur trois pays, les traditions et rituels prennent de l’importance. Ce sont des repères. Plus encore pour notre famille sans grand-mère, où à la culture, s’ajoute la continuité de la filiation. Attraper un santon, c’est reproduire le geste de mamie Millou qu’elle ne connaissent pas. A Londres, accrocher les stockings, c’est retrouver un instant l’autre grand-mère. Et cuisiner le Christmas cake, selon sa particulière, communier avec une tante trop tôt disparue. Les absents ne sont-ils pas parfois les plus présents ?

L’âge et la pandémie offrent une conscience accrue de l’impermanence des choses et des êtres. On apprend à profiter de ceux qui ont tenu le coup jusqu’à aujourd’hui, à nos côtés. La covid murmure : souvenez-vous de rester spontané ! Vos plans initiaux sont tombés à la mer du Nord, tant pis. Attrapez toutes les occasions !

Dans ma maison d’enfance, chacun se précipite sur les étagères pour en tirer un Astérix ou un Tintin (en anglais s’il vous plaît, il fallait allier l’agréable à l’utile. A noter que les traductions des Astérix sont excellentes, à chaque lecture je découvre de nouveaux jeux de mots). La grande traversée (The great crossing) sous le bras, je farfouille. Je feuillette. Tiens un recueil sur Colette. Oh et les lettres de la Princesse Palatine ! moi qui l’avais cherché l’été dernier. Ma mère me l’avait mis dans les mains voilà trente ans, séduite par ce franc-parler intelligent et la dénonciation des hypocrisies.

Vous connaissez Liselotte ? Je vous l’avais présentée lors de mon article sur Heidelberg. Elle était la fille du Prince Electeur de la ville, envoyée en France à 19 ans pour servir de deuxième épouse à Monsieur, frère de Louis XIV (et permettre par contrat à la France de revendiquer une partie du Palatinat). Elle avait dû abjurer sa foi protestante. Elle a, écrit-elle, hurlé de Strasbourg à Chalons refusant de quitter son pays.

Installée à la cour avec son homosexuel de mari, elle a porté les enfants attendus. Passionnée de chasse à courre, elle y accompagnait le roi qu’elle faisait rire. Sa liberté de langage, sa bonhommie, peut-être son origine étrangère la préservait des intrigues mais l’isolait. Son regard lucide découd les manœuvres politiques et luttes d’influences, les séductions ambitieuses. Elle les décrit (en allemand) dans ses nombreuses lettres quotidiennes à ses relations outre-Rhin. Un régal à savourer.

Je picore. Tiens, elle est morte en 1722 cette princesse. Un anniversaire donc.

Ecoutez.

(Saint-Cloud le 1er octobre 1687)

… La cour devient si ennuyeuse qu’on n’y tient plus car le roi s’imagine qu’il est pieux s’il fait en sorte qu’on s’ennuie bien… C’est une misère quand on ne veut plus suivre sa propre raison et qu’on ne se guide que d’après des prêtres intéressés et de vieilles courtisanes ; cela rend la vie bien pénible aux gens honnêtes et sincères… SI vous voyiez comment les choses vont présentement, vous ririez bien, mais aux gens plongés dans cette tyrannie, à la pauvre dauphine, par exemple et à moi, la chose il est vrai, paraît ridicule, mais nullement risible.

Ou bien

(Saint-Cloud le 16 aout 1721)

Il n’est pas de mode du tout d’aimer sa femme en ce pays-ci. Mais (..) les femmes en punissent bien les hommes. La vie que tout le monde mène ici est vraiment étonnante.

Les lettres de la Princesse Palatine, jeunes de trois cents ans, le premier blog de femme expatriée ?

Dans une pérennité garante de qualité.

Avant notre temps pressé, seules les créations de valeur traversaient les siècles. Que restera-t-il en 2100 à classer par les Monuments nationaux ? Un opéra Bastille qui dégringole à peine fini ? Et chez les antiquaires, la collection 2014 d’Ikea ?

Que conservera l’an prochain de nos mots trop nombreux jetés dans le vide ?

Tout.

Trop.

Rien.

Les années passent, les préoccupations des femmes et des hommes se ressemblent.

Je ne résiste pas au clin d’œil :

(Saint-Cloud, le 6 juin 1721, 6h du matin.)

… j’avoue que de ma vie je n’aurais pu me décider à faire inoculer mes enfants du moment qu’ils étaient en bonne santé, mais la Princesse de Galles est plus intelligente que je ne l’ai été, tout a bien réussi Dieu merci ! On prétend qu’on n’a pas la petite vérole une fois qu’on est vacciné….

Ici côté vaccin, j’ai réussi à prendre rendez-vous pour ma moins de 12 ans et pour mon booster. J’ai hésité à prendre d’emblée celui pour le 4ème. J’appréhende un peu, le numéro deux m’avait flanquée à terre. Littéralement.

Mais cela me simplifiera la vie. La dernière semaine nous sommes allés deux fois au cinéma (DEUX fois en une semaine !!!!) : en France (Sing 2) et en Allemagne (Spiderman, en anglais). Pour le premier on a contrôlé notre vaccin. (2/2 ? OK.) Pour le deuxième à Mainz, nous avons dû montrer le vaccin, un test tout frais du jour, notre carte d’identité (avec le petit jeu : mais si regardez c’est le même nom – et là j’ai pu frimer avec ma nouvelle au format carte de crédit. Top je ne peux pas la lire sans lunettes.) Et scanner sous le regard sérieux de l’employé l’application Luca de déclaration de présence. Ah oui, on a aussi montré notre ticket de cinoche.

C’est la joie du 2G (vaccinés ou guéris) et 2G+ (idem + test négatif) depuis début décembre (ce qui revient au confinement des non-vaccinés). Dans les débats sur le pass vaccinal français je n’ai pas entendu de comparaisons internationales. Pourquoi les exemples des pays voisins sont-ils si peu utilisés dans les arguments politiques ? Il y a tant à apprendre d’une autre vision des choses.

Plaque d’égout aux armes de Mainz (sans lien avec le paragraphe précédent ;o))

Un autre café ?

Vous pouvez refermer les yeux. Dans les demi-rêves tout semble possible. Alors moi aussi je les referme pour y croire.

Je vous adresse mes meilleurs vœux pour des lendemains qui fredonnent.

Et surtout,

Pour une ronde d’aujourd’hui qui sourient,

Une guirlande de maintenant chantants

Une dentelle de rires fous, parce qu’il y a-t-il rien de meilleur que de rire ?

A nous deux, 2022.

A nous tous, 2022.

Et des fleurs, des brassées de fleurs.

Citations extraites de Lettres de la Princesse Palatine aux Editions du Mercure de France.

PS : Question fondamentale. Dans le dessin animé Sing (Tous en scène), le cochon a un accent allemand. Quelle est son origine dans la version germanique ?

Comme un mois de décembre

Marché de Noël de Mainz, souffrance des ados et anniversaires mi-décembre.

Prenez un manteau chaud, des chaussures confortables, un bonnet, votre téléphone avec votre pass sanitaire et votre carte d’identité. Je vous emmène au marché de Noël de Mainz.

Ça vous va si on se gare derrière le théâtre ?

Tous les pas se dirigent vers le grand sapin de Noël. A ses côtés, sous des spots qui passent du rouge au violet, le Staatstheater entre en scène spectral et vaguement menaçant. Des lumières projettent sur le sol le portrait de Gutenberg, un message de bon noël, et les Rois mages avec la distanciation sociale de rigueur.

Dans le sud de l’Allemagne, plusieurs marchés ont été fermés pour raison sanitaires. A Mainz, pour l’instant il est ouvert. Un système malin a été mis en place : attribution après contrôle individuel d’un bracelet de couleur. Il s’obtient soit à l’entrée principale, au pied de la cathédrale, soit dans de petites cabanes des rues commerçantes. Un vigile l’autre jour m’a dit : Ah Französin ? Willkommen in Mainz !

Depuis la mise en vigueur du dispositif 2G, les bracelets sont le sésame coupe-queue pour entrer dans un magasin. Le fast pass comme m’a dit une amie. Il ne sert à rien de tenter de gruger. Chaque stand contrôle les poignets avant la transaction. Si besoin, il peut aussi en distribuer, moyennant le même contrôle.

A l’entrée du marché de Noël, la pyramide géante de bois est décorée de personnages de Mainz : un joueur de foot du Mainz 05, un petit bonhomme de la chaine de télé ZDF.

Les jours d’ouverture sont-ils comptés ? La joie d’être venue en est grandie.

Au premier regard, le marché semble identique à celui d’il y a deux ans, principalement des cabanes pour manger et boire (Glühwein – vin chaud – pour les adultes et Fruitpunch pour les enfants – jus de fruit chaud et épicé) et de de l’artisanat régional de qualité.

Peut-être un peu moins de stands. Tiens là avant se trouvait le vendeur de Kaiserschmarn (spécialité autrichienne : lanières de crêpes aux raisins secs couvertes de sucre glace, mangé avec de l’Apfelmus – compote de pommes. Délicieux. Tient parfois lieu de plat principal à la cantine de mes filles.).

De la colonne de pierre antique au centre de la Liebfrauenplatz partent des guirlandes de lumière, en un chapiteau brillant. D’autres s’accrochent aux branches des platanes. Le manège illumine le vieux puits Renaissance. A dix-huit heures les cloches de la cathédrale saint-Martin carillonnent de longues minutes. Je lève la tête mais bien sûr ne les vois pas. Oh tiens la lune là entre les nuages.

Les Mainzer se retrouvent en petits groupes, avec à la main la tasse bleu nuit étoilée du Glühwein. On n’entend que de l’allemand. Il ne semble pas y avoir de touristes.

Ciel noir, lumières. On avance en se cognant un peu à des silhouettes masquées. Au fil des pas les odeurs changent. Là, la piquante fumée de barbecue, plus loin vin chaud, crêpes ou friture. L’air pince les doigts.

Contre le flanc de la cathédrale, la crèche se contemple derrière une vitrine, à partir d’une estrade. Tiens le petit Jésus est déjà arrivé.

Du côté qui descend vers le Rhin, un village de grands tonneaux-cabanes permet de boire et manger assis. Les créneaux se réservent longtemps en avance. Ma fille y a été invitée pour l’anniversaire d’une amie. Alors que je les prenais en photo, un type dedans a dû se sentir visé, il a tiré sur le rideau à carreaux du fenestron.  

Notre première venue nous a laissé une impression douce-amère de communion autour du Glühwein et des Bratwurst. Une célébration à ciel ouvert juste pour le plaisir d’être ensemble.

Après une matinée de shopping, j’y retourne avec une amie pour un déjeuner sur fond de ciel bleu dans l’ombre de la cathédrale. Calme. Pas de lumières. Elle me signale le magasin de décorations de noël en bois Käthe Wolfahrt qui propose des classiques de grande qualité. Oui il me semblait. La petite crèche en bois en demi-cercle en 2D était à 60 euros. Plusieurs clients attendent pour entrer. Ils sont implantés dans le gros village de Rothenburg ob der Tauber qui mérite le déplacement paraît-il.

Envie d’y revenir en famille pour manger sur place.

Le samedi suivant à la tombée de la nuit, ça grouille. L’ambiance est beaucoup moins agréable. Plus ‘’groupes en beuverie’’ malgré les poussettes et les enfants. La queue pour les stands de viandes grillées s’étire dans la foule. J’opte pour un wrap de saumon grillé au feu de bois sur place. Nous nous faufilons derrière les cabanes. Dans une clairière de stands il est possible de s’arrêter de marcher pour manger.

Ma benjamine pose son assiette de Currywurst Pommes sur le bord de la maquette métallique de la cathédrale avec légendes en Braille. Je finis mon sandwich parfumé au raifort et à la moutarde au miel et à l’aneth. Pas mauvais. A proximité de nous deux jeunes femmes boivent du vin chaud dans des gobelets de terre cuite. Le thermos jaune prêté par le bar des tonneaux est à leurs pieds. Le froid mord moins que la semaine dernière.

Une famille de trois finit une Bratwurst dans un Brötchen, le hot-dog allemand (probablement l’ancêtre de l’américain). Je n’entends pas ce qui se dit. Mais aux gesticulations du père, à son doigt pointé avec insistance vers la tête de son grand fils je comprends qu’il lui demande s’il y en a là-dedans. Son visage et sa mâchoire sont crispés. Il semble lutter pour retenir ses éclats de voix. Entre les deux, la mère ne dit rien. Le jeune homme non plus.

Je ne peux pas m’empêcher de regarder. C’est insolite cette tension sous les lumières de Noël.

-Ça a l’air de barder, je dis à ma grande.

Elle me répond :

-T’a vu, le jeune il a des écouteurs.

Ah oui, donc il n’écoute pas son père qui s’escrime à essayer de lui faire passer un message. En public, il a choisi la fuite passive. Provocation et lâcheté. Ah, l’adolescence ! Grr l’adolescence !

Ça me rassure un peu.

L’après-midi même j’avais pété un plomb avec la mienne d’ado. Elle aussi sait très bien me montrer sans ouvrir la bouche que ce que je lui dis ne l’intéresse pas. (Je me souviens de moi au même âge et je suis assez reconnaissante qu’elle ne suive pas les traces de sa mère). Quand on passe du côté parental, on se rend compte de la réalité des choses. Il n’y a pas de mode d’emploi universel genre video Youtube Eduquez votre ado en moins de dix minutes. On ne fait jamais que le mieux possible. L’apprentissage s’acquiert un jour après l’autre. Chaque enfant est différent. Nous sommes pour chacun une maman ou un papa différent.

Je m’en veux de ne pas être plus patiente. En même temps – c’est pas pour m’absoudre ni me justifier – dans son bouquin sur les parents hypersensibles, Elaine Aron explique bien que si les limites sont dépassées le monstre rugit. Et les limites sont si vite dépassées… (Elle a aussi écrit un livre sur l’éducation des enfants hypersensibles. Chez nous ces deux sujets se heurtent et s’amplifient mutuellement).

Foule, bruit, agitation, cacophonie lumineuse.

D’un coup j’en ai ras le bol.

Bon on a fini on s’en va ?

Quand je dis cela, les miens savent qu’il faut se dépêcher.

Après deux ans d’incertitudes menaçantes, la santé psychologique des ados est catastrophique. Celle de tous sans doute mais les jeunes accusent encore plus le coup. Cet été j’ai lu que la sécu française avait mis en place un soutien spécifique pour eux. Une dizaine de séances de psy sont prises en charge. S’il est possible de trouver des rendez-vous.

Abstand bitte !

Ici le désastre est amplifié par six mois d’école à la maison en 2021, en plus de la dose de 2020 quasi universelle. SWR annonçait la semaine dernière que les services psy pédiatriques de Rheinland-Pfalz étaient débordés. Les mamans avec qui j’en parle me confient les difficultés de leurs enfants. A demi-mot, différents maux psychosomatiques. L’aide sera disponible, oui peut-être, dans six mois. Les listes d’attente s’allongent. Comment ne pas se sentir seul et dépassé ?

Dans notre échantillon familial, nous le constatons. C’est vraiment dur.

Deux ans de covid, à 14 ans c’est 1/7ème de la vie. A 11 ans, 18%. Presque 1/5ème de la vie. (Oui je révise les fractions avec ma benjamine ces jours-ci pour une interro. Bien sûr, comme les autres sujets de maths, elles s’enseignent différemment en allemand. J’essaie en vain de placer le PPCM et le PGCD*).

Notre mois de décembre familial est excitant et épuisant. Les filles sont nées à une semaine d’écart sur la deuxième quinzaine. Entre les Plätzchen (sablés de l’Avent) et les supports de bougies, je fais des gâteaux tous les jours. Pour éviter l’implosion de leur mère, depuis quelques années je leur avais demandé de séparer leurs fêtes avec les copains. Une fin novembre / début décembre, l’autre en janvier.  L’étalement des réjouissances égayait la grisaille du début d’année.

En 2019 ma benjamine a pu accueillir ses copines dans une salle d’escalade indoor. Ma grande a choisi une séance d’accrobranche sur les hauteurs de Wiesbaden à Neroberg. Les invitations ont été dessinées avec soin. Rendez-vous était pris pour mars 2020 à la réouverture printanière.

Vous l’avez deviné : voilà trois ans que ma fille n’a pas pu fêter son anniversaire.

Trois ans à 14 ans c’est beaucoup trop. (Je vous épargne les fractions.)

Cette année ça a l’air de pouvoir se faire (moyennant tests et tutti quanti du 2G+). Et même avec des invités garçons. Leurs fêtes se suivent, heureusement hors nos murs (laser game, escape game). Croisons les doigts encore disponibles, serrons le deuxième pouce.

En fond de tout cela, les préparatifs de Noël s’accélèrent. Envoyer des colis, commander des cadeaux, non pas sur le grand méchant A si possible maman. T’es sûr ? Ce serait plus simple. Trouver des idées qui plaisent, n’encombrent pas et ne pèsent pas lourd.

Cette année, mon plus grand souhait serait de recevoir en cadeau du vide.

Objets triés. Tâches envolées. Contraintes effacées.

Tout ce rien bien emballé avec des rubans.

J’ai sorti mon stylo Bic qui marche et mon plus joli bout de papier qui traine et je commence :

Cher Père Noël, cette année je voudrais une gomme magique.

Une qui efface les erreurs, les engueulades avec ma fille et les grosses fôtes.

PS : Combien de gâteaux avons-nous fait pour ce humming bird cake ? Deux ? Non, trois. Notre chienne Gaïa ne vous en dira pas plus.

*Pour nos amis allemands et les francophones qui comme moi ont un souvenir vague : PGCD = Plus Grand Commun Diviseur. PPCM = Plus Petit Commun Multiple.

Doutes et incertitudes

Aller-retour au consulat de Francfort, corona-contraintes en hausse… La Bratwurst reste une valeur sûre.

Notre couronne de l’Avent

Alors nous y revoilà. Je ne vous fais pas un dessin.

A la période de l’Avent, l’Allemagne déploie son charme. C’est elle qui a inventé le sapin illuminé. Couronnes de branchages avec quatre bougies, décoration des maisons, lumières dans les jardins. Avec la fermeture programmée de certains marchés de Noël, l’avent 2021 a commencé dans une ambiance douce-amère. Si on veut revoir celui de Mainz on a intérêt à se bouger.

L’épidémie repart de plus belle. Le taux de personnes vaccinées plafonne en Allemagne fin novembre à 68%. La perplexité concernant le vaccin me surprend. Douter ? Un Allemand ? D’habitude ici c’est oui ou c’est non. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas une règle ? Ça va le devenir. Le nouveau chancelier étudie la possibilité de rendre le vaccin obligatoire à compter de février.

Rheinland-Pfalz passe samedi 4 décembre en 2G+ : vaccin ET test pour toute activité en intérieur (restau, ciné, musée etc…). Comme avant le vaccin en fait. Dimanche pour le concours de gym de ma plus jeune j’ai joué le jeu (le club avait de l’avance sur le dispositif). A l’entrée du gymnase un p’tit jeune assis derrière une table a exigé de moi : mon certificat de vaccination, ma carte d’identité, mon résultat de test et ma connexion à LUCA (l’application où on déclare sa présence à un endroit) … Franchement, ça m’a un peu saoulée.

Les annulations tombent. Ce matin mail du collège : le Jugendmaskenzug de Fastnacht (défilé des jeunes pour carnaval) n’aura pas lieu. La journée de fabrication des masques calée pour les élèves en janvier non plus. Les feux d’artifice de la Saint-Sylvestre sont interdits (comme l’an dernier, mais à minuit des pétards avaient quand même éclaté).

Air de déjà vu, de déjà pas aimé.

Pourvu, pourvu qu’ils ne nous ferment pas les écoles.

Merci de croiser les doigts / serrer les pouces.

La France exige le troisième rappel dans un délai serré sans proposer l’infrastructure nécessaire pour tenir l’échéance. Un peu fort non ? J’ai trouvé sur Doctolib un créneau à Metz. Prévoir de passer la frontière est aléatoire.

L’Allemagne encourage ce nouveau vaccin mais le dispositif reste aussi rétro et lourdingue qu’au printemps. Soit faire la queue à un bus pendant des heures, soit s’inscrire en ligne en remplissant un formulaire de douze pages et espérer que le rendez-vous attribué d’office dans deux mois conviendra. Doctolib est un logiciel franco-allemand, mais je ne l’ai jamais vu utilisé ici. J’ai découvert sa double nationalité par hasard, lors d’une crise personnelle de râlerie sur la lourdeur administrative germaine (oui c’est pire qu’en France, c’est dire).

La France où nous avons posé un pied hier. Et où l’administration, merci à elle, a été très sympathique. Comme quoi à l’exportation elle se bonifie. Nous avons fait un aller-retour express au consulat français de Francfort pour faire renouveler des passeports. Sortie à l’aube dans la nuit froide, achat des tickets de tram et de train à la dernière minute (pourquoi ces fichues applications ne permettent-elles pas l’anticipation d’achat ?) Heureusement nous avions un guide personnel. Une amie travaille dans la rue du consulat et nous avons fait le trajet ensemble. Le train est presque vide. Le métro de Francfort aussi. Epoque bizarre.

En deux stations nous y sommes. L’adresse est charmante : Zeppelinallee, en face du Palmengarten (‘’jardin des palmiers’’, le jardin botanique). On reviendra le visiter et jeter un œil au Senckenberg Museum, le musée d’histoire naturelle, tout près. L’avenue plantée d’arbres, aux grandes maisons bourgeoises face au parc me rappelle le boulevard des Belges à Lyon, où les consulats donnent directement sur le Parc de la Tête d’Or. Souvent Francfort évoque Lyon. Leur jumelage leur va bien.

Après le consulat d’Indonésie aux photos aguichantes voici le nôtre. Les drapeaux français et européen attachés à l’étage ne flottent pas. J’essaie de prendre une photo mais ça ne rend pas. Avec toutes les caméras, je m’attends à me faire interpeler. Le vigile est une dame allemande qui ne parle pas français. Elle coche nos noms sur la liste. Puis nous fait passer la grille. Porte noire, ifs, ambiance verte et humide, bow windows… ça me rappelle Londres pas toi ?

9 heures. On est un peu en avance. On attend dehors.

Un homme encore jeune vient nous chercher. Efficace, sympathique. Il enregistre nos demandes et nos empreintes digitales.

-On les aura quand monsieur les passeports ?

-Entre deux et quatre semaines. Nous n’avons aucun poids sur les délais.

-Ah. Ils sont faits où ?

-A Douai.

L’envoi par la poste nous a été déconseillé car plus long. C’est dommage. Je me suis cassé la tête pour acheter le format d’enveloppes recommandé avant que mon mari corrige mon interprétation de son écriture : pas 29 cm, 20 ! Pour le retrait, le rendez-vous en fin de matinée sera rapide. Il faut venir avec l’enfant de plus de douze ans pour le contrôle des empreintes.

-Ah bon, donc je n’ai pas besoin de lui couper la main ?

-Non non la main doit être attachée au corps.

Ah, ah. Ben quoi j’essaie de créer un peu de lien. Mes filles me reprocheront le soir cette plaisanterie médiocre.

-T’imagine s’il n’avait pas compris que tu blaguais ? Tu te faisais arrêter !

-Oui c’est ce que je me suis dit un peu tard.

Il est des lieux où il vaut mieux se retenir. Avec un interlocuteur allemand je n’aurais pas osé. Le degré de compréhension local par défaut est le premier. C’est culturel. Un réflexe à prendre pour les étrangers. Hard pour le sens de l’humour anglais.

Le monsieur vérifie notre inscription sur les listes électorales. Pour les présidentielles nous pourrons voter à Mainz, à l’Institut Français. Ou en ligne peut-être. Le consulat testera le dispositif en janvier avec un scrutin factice. Je me suis portée volontaire. Ils ont besoin d’un échantillon le plus gros possible. Si vous êtes Français en Allemagne, et que ça vous dit…

C’est tout bon. On peut y aller. M. Macron sourit sur la cheminée. Les affiches du couloir sont en français. En un pas on quitte l’hôtel particulier et la France pour l’Allemagne. Sensation curieuse.

Les prochaines semaines nous allons guetter les mails du consulat. Pour savoir quand on y retournera. Et découvrir la tonalité de nos vacances de Noël. (Pourquoi dit-on vacances pour cette période hyper chargée ?)

Activons tous nos gris-gris.

ZAZ et Carla Bruni à l’affiche.

On savait qu’on devait y passer à cette expédition. On avait retardé parce qu’on avait mieux à faire et surtout parce que cela obligeait à faire sauter l’école aux enfants. Elles s’en sont plaint : en raison de profs absents, elles auraient pu commencer plus tard.

Sur le trajet vers le métro, on se plante un instant devant une colonne d’affiches de spectacle. Ceux à l’Alte Oper de Francfort font envie. Si on est coincés en Allemagne à Noël, restera-t-il des places ? J’en doute. Ma fille photographie le concert de Justin Bieber annoncé pour 2023. Moi ceux de chanteuses françaises. Madame la présidente Carla Bruni passe à Francfort. Enfin… doit passer. ZAZ à Mannheim. L’autre jour au rayon musique d’un grand magasin son CD était diffusé. Elle est très populaire ici. C’est d’ailleurs mon amie de Cologne qui me l’avait fait connaitre lors d’une visite à Lyon. J’avais bien accroché et elle m’avait laissé le CD. Moi aussi je serai toujours la môme des chemins, la petite fille des herbes folles qui se casse la gueule et qui rigole.

Francfort depuis le train. Si, si au loin.

Retour à Mainz. L’horloge de la gare affiche midi.

Ma grande fille saute dans le tram pour rejoindre ses cours. Elle ira à la cantine à 14h (14 heures !). Sur le parvis, des petites cabanes de bois échappées du marché de Noël de la vieille ville proposent des snacks. Une Bratwurst Pommes ? Yes. Currywurst pour ma plus jeune. Elle déjeune avec nous avant de rejoindre le collège. Son créneau de déjeuner est plus tôt.

Pas encore trop de queue à la cabane. Une grille ronde suspendue au-dessus d’un barbecue accueille des saucisses de toutes les tailles. Même d’un demi-mètre. On essaie d’éviter la fumée que le vent rabat sur nous. En voyant les jeunes devant nous sortir leur portable et leur pièce d’identité, mon mari fait mine de partir. C’est un peu trop non ? on mange dehors après tout ! Je suis mieux disposée. Je sors ce qu’il faut. En France, c’est contrôlé avec une application sans pièce d’identité. Ici c’est à l’ancienne et exhaustif. La dame lit mes documents attentivement. Ça a l’air de lui convenir. Elle ne tique pas sur le texte en français (ce qui arrive souvent). Elle me remet un pass, un bracelet jaune fluo. Si je veux passer ma journée au marché de Noël je n’aurai pas d’autre contrôle.

La Bratwurst brûlante couverte de moutarde un peu sucrée, dans un Brötchen (petit pain) est délicieuse. Les frites croquantes très salées et épicées. La Currywurst de ma fille (la même saucisse découpée en tranches avec un appareil exprès s’il vous plait) est servie sur une assiette en carton. Elle baigne dans une sauce tomate au curry. Je ne résiste pas j’y trempe une de mes frites. (Si vous voulez essayer : ketchup + curry + un peu de cumin. Très bon avec les côtes de porc).

Mon mari remarque : en France ou en Angleterre, on n’achèterait jamais des saucisses grillées sur un bord de route. Non. Mais en Allemagne, c’est un must. Et c’est très bon.

Le type dans la cabane d’à côté s’ennuie. A cette heure-là le Glühwein (vin chaud servi dans des tasses en verre consignées) n’attire pas le chaland. Sous son bonnet rouge à pompon blanc il fait la gueule. Son stand diffuse des chants de noël en allemand.

Enseigne : crêpes françaises

Mes pieds commencent à geler. On rentre ?

Nous avons pris la décision difficile de renoncer à un week-end à Sarrebrücken où nous devions retrouver des amis français. Corona cata, stress scolaire (et ambiant) des enfants (et des parents). Je ne sais pas vous, mais décembre sur mon échelle de stress est un mois qui crève le plafond. Malgré le bonheur à revoir les copains, il est important de freiner un peu. Voilà un bon côté de l’incertitude, obliger à renoncer.

Demain le 4, on plantera les lentilles de la Sainte-Barbe, tradition provençale. On décorera la maison. On est un peu à la bourre : ici c’est fait pour le premier dimanche de l’Avent, avec la couronne (pas le sapin qui attend la dernière minute). On a de quoi bricoler des décorations en papier, macramé, branches et pâte autodurcissante. On passera du temps dans la cuisine à patisser des Plätzchen, petits sablés de Noël.

Ma fille a déjà fait des Zimtsterne (étoiles à la cannelle). Pour les amandes et noisettes en poudre, c’était pas gagné. Quand on a besoin d’un ingrédient saisonnier, tout le monde est déjà passé avant. Les magasins entretiennent cette course : aucun réassort. Pourquoi renoncent-ils ainsi à du chiffre d’affaires ?

Mais qui est ce on si occupé ? (Ma tante institutrice disait : on pronom imbécile mis pour celui qui l’emploie). Et nous qui pensions retrouver du temps libre avec une annulation de dernière minute…

Le Christmas Cake fait par mon mari est bien emballé sur le micro-ondes. Ça sentait trop bon les épices chaudes et le gâteau dans la maison. Chacun a donné un tour de cuillère à la pâte lourde de fruits secs. Les filles ont glissé deux pièces de 1 livre. Porte-bonheurs minuscules. Nos calendriers de l’Avent ont été remplis avec des munitions anticipées : chocolats anglais et papillotes rapportés de France (pourquoi ne mettent-ils plus les pétards dans les papiers ?). Ici les mamans cachent de petits cadeaux. Pour nous les bricoles seront dans les stockings le 25 au matin.

A Mainz ou à Londres ? Les paris sont ouverts.

A ajouter au casse-tête : trouver des idées de cadeaux légers… Si on part, ce sera en train et chargés. Et sinon, nous viserons à limiter le coût de l’envoi. (Les colis pour l’Angleterre ont doublé avec le Brexit.)

Je veux y croire.

Ou alors je nage en plein déni.

Je vais aller me faire un thé. Quand il fera un peu moins froid, j’apporterai les poubelles au local. Je prendrai mon sac à main en cas de contrôle inopiné de mon statut vaccinal.

Je vais installer un QR code à la salle de bains pour contrôler le temps de présence. Au-delà de deux heures la lumière s’éteindra. Cette pandémie, ça donne plein d’idées.

Courage les amis.

Om y cron, pardon, on y croit !

Une idée cadeau pour les Mayençais : Mainz Kocht. Ce livre de cuisine est édité par Nimmerland, chouette librairie pour enfants (et parents) de Mainz : recettes préférées des habitants et superbes illustrations de Paula Stein artiste locale. Devinez quelle recette j’ai donnée ?

Autres idées à la charmante boutique d’une créatrice devenue copine : Sonnstagskind.

De Mainz à Metz le 11/11

Vivre le 11 novembre des deux côtés de la frontière.

Le 11/11 à 11h11 vous vous souvenez ?

Oui, c’est l’ouverture de la 5ème saison. Die fünfte Jahreszeit. Le lancement du carnaval : à Köln on dit Karneval, dans le sud Fasching, à Mainz, Fastnacht.

Ça se passe dans la vieille ville, tout près de l’Institut Français, sur la Schillerplatz. La première année, nous y sommes allés avec de nouveaux amis. (voir article : Décalage horaire) Foule déguisée, bière à gogo, décompte depuis un balcon. HELAU, HELAU, HELAU ! La foule scande le salut officiel de Fastnacht en saluant trois fois de la main droite. Nous on a fait pareil, avec un arrière-gout amer. Notre expérience du 11/11 diffère grandement. Jour férié, calme et rues vides, commémoration de l’armistice de la première guerre mondiale, dépôt de gerbes devant les monuments aux morts. Qui penserait qu’il s’agissait d’une guerre entre ces deux pays ?

Le supermarché de Fastnacht

La foule bourrée, la cacophonie POUET POUET, les couleurs criardes, euh… c’est pas mon truc. Une fois par curiosité je veux bien. Je m’achète une libération pour les fois suivantes : c’est bon, j’ai déjà fait. Donc la deuxième année, impasse. La troisième, j’y suis allée. Je ne risquais rien : en plein covid les festivités étaient annulées. Mais je voulais voir si certains (autres) allaient se pointer. Oui. Quelques inconditionnels déguisés et un journaliste avec son cameraman.

Le train partait juste avant midi. J’ai hésité à faire un tour Schillerplatz avec ma valise et mon appareil photo. Petite vérification en ligne : l’accès est réservé aux 2G (vaccinés, guéris). OK ça, ça va. La vieille ville sera barricadée, l’entrée se fera avec un ticket. Ah ? L’accès sera ainsi limité à 7500 personnes au lieu des 11.000 (quand je vous dis qu’il y a du monde). On est rassurés. Côté distanciation sociale c’est bon. L’alcool désinfecte et les masques FFP2 protègent les mille-feuilles humains.

(Les chiffres du Covid montent en flèche en Allemagne, en Rheinland-Pfalz en particulier. Le taux de vaccination plafonne assez bas).

Cette année, j’avais un programme perso bien intéressant. M’échapper à Metz avec une amie franco-allemande pour aller voir Olivia Moore sur scène. Oui j’adore rigoler. Les humoristes devraient être remboursés par la Sécu. Je l’ai découverte dans un documentaire d’Arte (un autre péché mignon) sur le rire en temps de pandémie. Intelligente et très drôle. (Par ici pour un p’tit tour sur ses vidéos. Y’a en même une intitulée : c’est pourri d’être hypersensible. Ma fille m’a dit : “on dirait toi”).

Bon. Coup d’œil par la fenêtre. Brume blanche qui coule dans les os. Froid glacial. Mmmm… finalement j’irai directement à la gare.

La ligne de train qui rejoint Mainz à Saarbrücken est très belle. Après Ingelheim au bord du Rhin, elle plonge vers le sud et longe la rivière Nahe. Modestes gorges autour d’Idar-Oberstein et son église enchâssée dans la falaise. Hérons, (et pas de petit patapon, rhô pardon), canards, chevreuils à la croupe blanche. Par chance, pendant qu’on serpentait le long de la rivière, le soleil a percé. L’ambiance a changé complètement. Après le Tupperware au fond du frigo, le pique-nique d’automne les yeux fermés pour absorber du soleil.

Dans un village perdu, deux hommes et une femmes sont montés. Age moyen, gros bidons, bière à la main, déguisements officiel des membres des clubs de carnaval. Les messieurs ont quitté trop vite leurs chapeaux rouge-blanc-bleu-jaune.

Arrivée à Sarrebrume, pardon Sarrebrücken. Changement de train, sur le même quai mais qui change de numéro au bout. Faut le savoir. Le TER qui passe la frontière n’a qu’une seule voiture. Un jouet Playmobil. Pourtant y’a du monde, même un jour férié. Dès Forbach on est en France. La brume glacée nous suit. Tu vois copine, c’est ce temps là dont j’avais horreur quand j’ai vécu à Reims pour un stage chez Pommery. Deux mois de ciel blanc et d’os glacés.

En février j’avais appelé à la maison en Ardèche :

-Allo maman ça va ?

-Oui, oui il fait un temps magnifique. On jardine en T-shirt. Les mimosas sont en fleurs !

Le lendemain j’ai osé demander à mon chef un jour de vacances pour descendre voir le soleil ! Prenez la semaine, il m’avait répondu.

Gare de Metz

Metz et sa gare imposante, un héritage germanique. Elle a été construite au début du XXème siècle, pendant l’annexion de la Moselle pour servir les ambitions militaires de l‘Empereur Wilhem II. Verrières arrondies. Poussez la porte de la FNAC pour admirer les lustres gigantesques, art déco. Statue du général de Gaulle sur la place. Remontée à pied vers la cathédrale, un trajet de 20 minutes même quand on ne s’égare pas.

Fini le carnaval. La plupart des magasins sont fermés. Les rares boutiques ouvertes sont vides. Des passants déambulent. Un monsieur en petite locomotive vend des marrons grillés. Sur les places, des cabanes en bois rouges et vertes sont installées. Le marché de Noël doit être superbe ici. Nous n’avons qu’une envie nous mettre au chaud. Et trouver où manger un jour férié ET à 18 heures. Notre bus pour les faubourgs perdus part à 19h20. En Allemagne, diner à 18h c’est normal. En France c’est subversif.

Vitrail de Chagall – Metz

Dans la cathédrale, la brume a éteint les vitraux de Chagall. (Eh, oui les Messins comme les Mayençais ont des vitraux de Chagall). La pierre de Jaumont (calcaire avec de l’oxyde de fer) avec laquelle la ville est construite reste blonde. Le grès des bâtiments germaniques, gris.

Petite promenade dans la vieille ville, dans une ambiance mystérieuse.

La brasserie qui ‘’sert à toute heure de midi à minuit’’ ferme sous nos yeux. On ose à peine pousser la porte de la pizzeria voisine. Euh tu crois que c’est trop tôt ? On espionne à travers la vitre l’accueil donné à un vieux monsieur à barbe jaunissante. La serveuse lui propose une table. C’est bon. Après une pizza moyenne, on poireaute à notre arrêt de bus en tapant des pieds pour nous réchauffer. Bus bondé, les gens rentrent chez eux. Virages dans la nuit, d’un côté de la voie ferrée, de l’autre. Brouillard. Immeubles. T’es sûre que c’est bien par là ?

La joie de partir la nuit à notre âge c’est que c’est vraiment l’aventure. On n’y voit rien. Difficile de lire l’écran du portable même en sortant les lunettes – toujours un problème dans la rue car il faut les quitter pour marcher. (Il faut choisir entre risquer de les faire tomber ou alors accrocher la petite ficelle autour du cou et les pousser au bout du nez pour regarder par-dessus). Euh, non. Augmenter la luminosité ? Oui mais comment trouver le bouton ? Anticiper le changement ? Impossible, déjà qu’en mode doux, avec le filtre de lumière bleue, je me sens agressée…

La salle est au pied de barres de béton (d’après ce qu’on en distingue). C’est un centre socio-culturel de quartier, hyper dynamique au vu des affiches. Et hop un programme dans le sac pour découvrir d’autres artistes. Je sens un mal de tête qui monte par les épaules et le cou.

Le titre du spectacle Egoïste. C’est rouge. Comme l’affiche.

Entrée en scène.

Elle porte une robe blanche devant, noire derrière.

Olivia Moore à Montigny-lès-Metz le 11/11/2021

Moi d’emblée je branche l’empathie, natürlich. Oh elle a un œil un peu rouge pourvu qu’elle n’ait pas mal. Elle a devant elle un long tunnel de performance sans pause, ça doit être vertigineux. Est-ce qu’elle n’en a pas marre de répéter toujours la même chose ?

Par égard pour vous, je débranche mon monologue intérieur. Retour en direct (différé).

-Ça va la robe ? J’ai dû mettre une gaine pour entrer dedans. Oui j’ai fait trois enfants, et avant de sortir ils ont oublié de ranger deux-trois trucs.

Ah, on va s’entendre.

(La gaine j’ai pas encore essayé, c’est ma grand-mère qui en portait. Moi j’achète des robes plus larges.)

C’est méchant, c’est cruel. C’est injuste et de mauvaise foi. C’est cru. C’est trop vrai. C’est trop drôle. Elle piétine le politiquement correct. Je jubile. Celui-là avec son hypocrisie mielleuse je l’ai en horreur.

Verlan, allusions, sigles… Je ne capte par tout. Je me tourne vers mon amie. Elle non plus. Chez Alfons (avec son allemand de scène à l’accent français) j’ai tout pigé. C’est dingue…. Le langage vit, il change. 3 ans et demi en Allemagne et pof, on perd pied. Le français que je parle ben c’est le mien (donc de plus en plus pauvre) et celui de franco-allemands donc, un français ‘’d’étrangers’’, une langue décollée de la culture de la métropole. (Et puis aussi, je n’ai jamais été parisienne).

Je note que côté dating, je ne suis plus à la page et tant mieux parce que ça fait peur.

Sur la fin, en pleine impro, elle pique un fou rire. Elle publiera le lendemain sur Instagram ”1h50 sur scène ! Montingy-sur-Metz vous m’avez tuée ! ça m’apprendra à rire avec vous” .

Retour en taxi à l’hôtel avec vue sur la cathédrale. La migraine a attendu le retour pour empirer. Merci à elle. Réveil par les camions poubelle (oui la centrale déchetterie de la ville semble être installée juste là). Croissant et tarte au fromage nuageuse.

On serait bien restées pour se balader mais le seul trajet simple pour rentrer à Mainz part en milieu de matinée.

Coup d’œil au marché couvert au pied de la cathédrale pour fantasmer sur le banc du poissonnier et acheter un casse-croute. Retour à la gare, sans s’égarer (ah ah). Quelques achats en route : paracétamol 1000 mg (c’est sur ordonnance en Allemagne), dentifrice Fluocaril, savons Rogé Cavaillès (on a ses petites manies), Elle et Marie-Claire Idées. Petit tour à la FNAC pour admirer les lustres.

Gerbes fraiches devant le monument aux morts de la gare. La dernière fois que je suis passée un voyageur jouait la musique du Professionnel, c’était juste après la mort de Belmondo.

Train retour. L’annonce automatique précise que ‘’la consommation d’alcool est interdite dans le train mais bon voyage quand même” (véridique).

Dans une voiture presque vide quatre gros rustres s’installent juste à notre niveau. Ils font un boucan d’enfer. Le contrôleur les reprend – mais pas sur le bruit : “le masque c’est sur le nez. Même quand on mange.” Et de montrer comment mordre puis remonter le masque pour mâcher. Pour ne pas vexer les lourdauds (franchement ?) on a attendu presque une heure à devoir parler fort. Puis j’ai attrapé mes affaires : Allez viens on s’en va.” Il est enfin temps de prioriser ma santé par rapport à la susceptibilité de gens qui n’en ont aucune. (Comme quoi y’a des avantages à cumuler les années). On a déménagé au calme. On a grignoté notre pâté lorrain sans remonter le masque entre chaque bouchée.

Le soleil renonce à nous saluer en chemin. Lui non plus n’aime pas les ciels blancs et bas.

Arrivée à Mainz.

Soulagement d’avoir échappé à la folie des rues. Je n’en verrai que quelques confettis par terre et des passants avec une écharpe rouge-blanc-bleu-jaune.

On était en France, mais nous aussi on s’est bien éclatées pour le 11/11.

PS : Les photos de Metz au soleil datent de septembre.

Librairie La cour des grands, Metz (article sur cette série)

Doux-amer

Süß und sauer ~ Notre Brexit perso, Halloween, et réapprendre à accueillir.

Drapeau tricolore on avait dit

Hier je vous avais écrit un article sucré sur la pâte de coing et autres considérations alimentaro-culturelles. Ce matin un truc s’est invité chez nous. Comme ça sans frapper, à 7h40. Le Brexit vous en avez entendu parler vous ?

Mon mari, un mug de café à la main : « Pour Noël, faudrait qu’on vérifie si on peut toujours aller en Angleterre avec seulement une carte d’identité. »

Les passeports des filles sont périmés depuis longtemps. Leur renouvellement implique de se déplacer au consulat de Francfort, en horaires de bureau, et donc de faire sauter un jour d’école aux enfants. (La grande, à plus de douze ans, doit aussi le récupérer en personne.) En période de restrictions de voyages, on ne s’est pas précipités, non.

M’enfin on ne peut pas dire qu’on a été pris en traitres.

7h41. Vite, ouvrir le site de l’ambassade française à Londres. Vérifier. « Depuis le 1er octobre 2021 il n’est plus possible de se rendre au Royaume Uni avec une carte d’identité. » EH M*** ! ‘’T’as vu regarde c’est marqué qu’il est interdit d’y partir comme au pair, c’est pour ça que la fille de nos amis n’a pas pu y aller’’. Les conditions semblent plus drastiques qu’avant l’entrée du Royaume Uni dans l’Union Européenne.

Ouvrir le site du consulat. Rien avant le 2 décembre (rien après non plus). Prendre des rendez-vous. Tant qu’on y est, faisons refaire les cartes d’identité périmées. Noter et photographier des numéros interminables. Quatre fois. Dans une Europe à la libre circulation des personnes on oublie que les frontières se franchissent avec des papiers en règle.

Comment avons-nous pu négliger cela ? Le Brexit s’étale depuis des années sur les magazines anglais auxquels mon mari est abonné : Private Eye (sérieux et satirique), The Economist (juste sérieux). Je viens de terminer le roman de Jonathan Coe Middle England sur la société du Brexit (voir nouvelle rubrique Mes lectures). C’est malin. On n’a pas pu voir la famille anglaise depuis deux ans. Mon grand garçon étudie cette année à Leeds. On doit le retrouver à Londres.

Ça sent le Stollen et Noël en Allemagne. J’en connais qui vont hurler ! (moi)

A quelle heure il ouvre le consulat ?

Et Mister Cameron et ses sbires inspirés qu’est-ce qu’ils font en ce moment ? Ils coulent une retraite tranquille après avoir mis tout le monde dans la mouise ? (Vraiment dans la mouise, pas juste pour se demander si oui ou non ils pourront partir en vacances à Noël). Les criminels n’ont pas tous du sang sur les mains.

Restons optimistes. Croyons en la célérité administrative française (euh ?) et en sa capacité à compenser notre négligence.

La France, récemment mise à l’honneur dans le collège de mes enfants avec la présentation officielle de l’Abibac (double baccalauréat : Abitur allemand et bac français). Discours de la direction et d’un représentant de l’Institut Français. Distribution de masques tricolores. Attends fais voir ? Penche la tête sur le côté pour voir. L’Abibac a été vanté devant une classe aux couleurs des Pays-Bas.

Qui a signé le bon à tirer des masques ?

La paperasse, pourtant ici c’est une véritable passion culturelle. La preuve par l’exemple ci-dessous.

Le Rhin à Budenheim

-Ah tiens, t’étais où ?

Mon mari accroche sa veste au porte-manteau qui déborde. Comme il bosse toujours à la maison, je n’ai plus l’habitude de le voir aller et venir sans moi.

-Au garage. Je suis allé chercher la voiture.

-Ah oui c’est vrai.

La voiture a 14 ans. Eh oui. (Japonaise, puisque vous insistez). Il fallait mettre les pneus hiver, et procéder au contrôle technique. On plaisante pas avec la législation.

-Qu’est-ce qu’ils ont dit ?

-C’est tout bon. Mais il y avait une non-conformité au niveau de l’airbag conducteur.

-Ah ?

-Oui y’avait un truc dessus et c’est interdit.

Yeux écarquillés.

-L’autocollant de la Croix-Rouge.

A un feu rouge, un jour, une personne faisait la quête pour l’association. En échange de quelques pièces, elle nous avait remis ce badge, preuve de notre solidarité. Faute de meilleure idée, on l’avait collé juste devant nous : sur le volant. Ça fait des années qu’il y est. Il a déjà passé des contrôles techniques. Il est grand comme un (petit) timbre poste.

-Hi, hi. C’est pas vrai ?

-Si. Ils ont déplacé l’autocollant et établi une fiche avec la non-conformité et sa correction.

Ouf on respire.

Ils sont sympas comme tout au garage, mais la consigne c’est la consigne, que voulez-vous. Allumeurs de réverbère sans Petit Prince.

Mon esprit indiscipliné se rebelle toujours contre le suivi aveugle des règles. (Disons que je suis volontiers les règles si j’en vois l’intérêt et la logique). Sinon je ne comprends pas.

Tout le monde ne cale pas son comportement sur l’acceptation. Il y a deux ans, j’avais accompagné la classe de CM1 de ma fille au siège de la ZDF (chaine de TV). Les élèves marchaient deux par deux sur le trottoir. J’avais du mal à ne pas enjamber les deux mètres de pelouse pour atteindre l’arrêt de tram. Les gamines qui guidaient la troupe n’ont même pas envisagé le raccourci.

Bon.

Au moins c’est fait. La voiture est en règle. Les papiers… bientôt. A l’école, mes enfants apprennent à la suivre (la règle pas la voiture, on les accepte encore dedans malgré les soubresauts de l’adolescence). A la maison, ils révisent les gros mots (en français – en anglais et en allemand ils en connaissent moins).

Sourire crispé.

La vie revit.

Octobre a tiré sa révérence… c’est mon mois préféré avec les couleurs des arbres, le bleu du ciel, l’air frais et les rayons de soleil chauds encore. Le jardin est encore joli, à la prochaine pluie (aujourd’hui) toutes les feuilles seront à terre. Pourquoi le pommier d’à côté est-il encore tout vert ?

Créations familiales

Halloween est passé par ici. Comme il y a deux ans, les gosses du quartier ont défilé dans une ambiance bon enfant. Chaque petit groupe de sorcières et de fantômes, accompagné ou non d’un parent en fonction de l’âge, récitait un petit poème, pour obtenir des bonbons. De garde à la porte, j’en ai entendu au moins cinq différents. Qui le leur a appris ? Leurs maîtresses ?

Mes filles, maquillées et déguisées, se trouvaient trop grandes pour le porte à porte, mais ont fini par craquer. Une dame a exigé :

-Un poème sinon pas de bonbons !

-Euh en anglais on dit juste Trick or treat !

Mon mari le leur rappellera : « Elle n’a rien compris à Halloween la dame. Le chantage c’est dans l’autre sens. »

Dans l’après-midi (à la dernière minute donc) j’étais allée au supermarché avec ma plus jeune pour acheter des bonbons. Impensable d’attaquer les stocks de Carambars et Dragibus rapportés de France. A la vue du choix limité en sucreries emballées individuellement, je me suis écrié « Ah là là ces Allemands, pourquoi ils sont toujours décalés ? » Chaque fête est anticipée de trois mois. Quand la date approche, les magasins sont déjà passés à la suivante.

Nos munitions sucrées sont rangées dans un sac en tissu, où les gosses plongeront la main. (Tiens l’an prochain, j’y glisserai un ou deux sachets de thé utilisés. Hé, hé.) Les décorations sont accrochées, les citrouilles posées devant l’entrée. Mes filles ont fabriqué une bouche de monstre géante en carton à coller devant la porte. Sonne qui ose.

Reste à ranger la maison. Nous attendons des invités pour le déjeuner d’Halloween. Des invités !? Par où commencer ? Ah oui, faire le tri dans le tiroir des papiers à dessin. Un tiroir, vraiment ? J’ai oublié comment accueillir du monde.

Au menu : soupe de butternut à la noix de coco, selon une très bonne recette de Jamie Oliver. Un de nos classiques d’automne. Elle a à peine accroché au fond. Ça sent pas trop le cramé ? Si. Ma fille raconte notre quête de bonbons de dernière minute. « Y’avait plus rien, alors maman elle a dit, Oh là là ces Allemands ! » Elle répète au moins trois fois. Parce que c’est son habitude. Comme ça ils ont bien entendu.  Ouais mais tu comprends, c’est parce que je suis toujours en retard sur le rythme local pour mes emplettes saisonnières.

Notre chienne Gaïa a appris à sauter sur les gens. Elle fait des trous, des gros trous, toujours des gros trous. Des trous dans le tapis, des trous dans les habits. Des trous dans le jardin. Elle n’a pas fait de trous dans les invités.

Dis les amis vous reviendrez hein ? Il était pas mal le munster (dégusté fenêtre ouverte) ? et le sticky toffee pudding ?

Ah ces gosses ! (Ah, ces mamans organisées à la française !)

Sur ce, je vais téléphoner au consulat. Ils organisent une enquête de satisfaction en ce moment. Peut-être le moment de solliciter une faveur. Un p’tit Carambar Madame la Consule générale ?

Croisons les doigts ET serrons les pouces.

PS : On a bien fait de prendre les rendez-vous au consultat tout de suite. Deux heures plus tard il n’y a plus aucun créneau. Du tout.

Des tests et des bulletins

Premier test allemand du Corona pour notre famille et distribution des bulletins au collège rouvert juste pour l’occasion.

(Me revoilà avec un article écrit il y a quelque jours, avant que mon ordi ne soit réquisitionné pour cause de home schooling).

Ce matin je me suis fait toute belle. J’ai mis une robe. C’est rare cet hiver. D’abord parce qu’une seule me va encore… et parce que pour faire la queue masquée et à bonne distance dans la pluie glaciale au marché, il vaut mieux un bon jean épais et des chaussures de rando à l’épreuve de la boue.

Mais là je sors. J’ai un rencart. Enfin, pour ma fille. Elle est patraque depuis plusieurs jours. Et même si l’abonnement tout neuf à Disney + lui égaie ses journées, nous avons quand même envie de savoir de quoi il retourne.

Quand j’ai appelé le cabinet du pédiatre, je suis arrivée avec la solution clef en main. Voilà les symptômes (rien de spectaculaire), ça me fait penser à telle maladie. Je n’ai pas dû convaincre la secrétaire/ infirmière au bout du fil. Elle ne savait pas quoi faire de moi. D’habitude, avec des symptômes plus marqués, elle me donne un rendez-vous dans la demi-journée. Indécise elle a interrogé le médecin et m’a répondu avec la question pour tous les champions et les autres :

-Elle en est où des contacts ?

– Elle est toujours à la maison.

-Mais elle a vu du monde ?

J’interpelle ma fille sur son canapé.

-Oui j’ai joué avec une copine la semaine dernière (à l’extérieur, la petite et toute sa famille vont bien, nous aussi merci, pourvu que ça dure).
J’ai senti à l’autre bout du fil la dame se détendre. Elle est rassurée, elle a un os à ronger, un argument pour m’envoyer paître avec mes questions et mes réponses.

-Ah si c’est comme ça il faut qu’elle fasse le test du corona.

– Vraiment ? elle n’a vu personne de malade.

Pour la petite histoire locale, lorsque j’ai consulté voilà quelques semaines, le médecin m’a demandé si j’avais eu un contact avec un malade du corona. Pas avec n’importe qui.

-Ah, oui. Il faut que vous appeliez le labo X dans la ville voisine. Ils vous donneront un numéro de passage. Ensuite vous me rappelez pour l’ordonnance.

La ville voisine ? Mainz compte plus de 200.000 habitants.

Je suis convaincue que ma fille n’a pas le corona. Je lui ai même glissé ma suspicion de diagnostic. Ça m’agace au plus haut point de ne pas être écoutée, et d’être reléguée dans les protocoles automatiques. Un étudiant en médecine avait un jour raconté à ma mère le conseil d’un professeur : « si une mère de trois enfants vous dit que son fils a la varicelle, c’est qu’il a la varicelle. » Elle me l’avait répété avec une petite lumière de fierté dans l’œil.

Bon, malgré ce que me soufflent mon intuition et mon orgueil, je ne suis pas médecin. J’accepte volontiers de me tromper. Mais moins de voir s’élever un mur arbitraire entre ma fille et une consultation.

Nous décidons d’attendre un peu, au cas où les choses se résolvent seules. De toute façon, ma piste de diagnostic de requiert rien d’autre que du repos. Après le week-end, l’intégrale de Toy Story, plusieurs Ratatouille et Finding Dory elle est toujours dans le même état raplapla de ‘pomme cuite” comme disait mon oncle.

J’ai donc suivi la procédure.

J’aurais bien voulu gruger, repasser mon premier appel en omettant sciemment de mentionner la rencontre avec la pauvre et innocente copine. Mais j’avais donné mon nom. Et je crains qu’avec mon accent français et mes insistances, elle ne m’ait repérée.

Donc, on a rendez-vous au labo. Comme je sors pour voir du monde, j’ai mis une robe.

Je suis soulagée d’enfin pouvoir m’occuper d’elle, même si je sais la prodécure inutile dans le fond.

Ma fille s’inquiète de ce qu’on va lui fourrer dans le nez. Sa sœur lui dit que ce sera bien moins gros que son doigt.

C’est normal qu’elle ait peur : elle ne sait pas ce qui va se passer. C’est un test mais elle n’a pas besoin de réviser. (ha, ha). Respire avec le ventre ma chérie, et regarde bien tout pour m’aider à me souvenir lorsque je l’écrirai dans un article.

Elle a raté quelques jours de cours à distance, et sa remise de bulletin vendredi matin. En présentiel.

C’est une grosse affaire ici les bulletins. Comme une mini cérémonie de remise de diplômes deux fois par an en janvier et en juin. Chaque élève est appelé tour à tour par le/la professeur. Il/ Elle lui remet son bulletin pendant que la classe applaudit (ma fille me dit avoir ‘’le trac de sa vie’’). Toutes les classes de tous les niveaux les reçoivent au cours de la même semaine en janvier.

C’est une étape tellement importante que le corona a été prié de se mettre en retrait.

Depuis la rentrée des vacances de Noël, les écoles sont fermées. Elles ne reprendront, peut-être, que début mars et dans des conditions à préciser. Les données d’infections coronesques restent dans le rouge. Pourtant le ministère régional de l’éducation a décidé que la remise des bulletins en direct était fondamentale. Les parents d’élèves s’en sont émus. Pourquoi ? La réponse du collège est arrivée par mail : décision politique, pour envoyer aux enfants et à leur famille un signe d’espoir et de normalité.

Les élections régionales ont lieu mi-mars. Du bulletin de notes au bulletin de vote. Si peu de lettres d’écart. N’y voyons aucun lien de cause à effet.

Ma grande est donc allée à l’école 45 minutes, recevoir son bulletin (et apercevoir ses copains derrière leurs masques pour la premiere fois depuis mi-décembre) dans la cantine. La petite n’a pas pu.

Retour de visite au labo. Nous avons testé le test corona.

Procédure, processus : ça roule. Ce matin à 8 heures j’ai appelé le labo, qui m’a attribué tout de suite un numéro et une heure de passage.

Nous avons pris la voiture pour la quinzaine de kilomètres entre les vergers noirs et mouillés de Rheinessen. Les nuages frôlent les maisons, il bruine. On devine le lit du Rhin au-delà des prés et de vénérables peupliers. Arrivés dans la zone d’activité aux toits plats, tout est très bien fléché. Par ici les tests. (Les vaccins ce sera de l’autre côté.) Immense parking. Quelques préfabriqués de chantier. Tout se passe dehors. Une dame en blouse verte nous accueille. Un guichet pour se voir attribuer une cartonnette, un autre pour le test. 6 ou 7 personnes disséminées sont en cours de prise en charge.  Ma fille gigote de trouille pour l’intégrité des tréfonds de son nez. Mais au guichet 2, une jeune femme à deux paires de gants, un masque, plus une visière, lui demande d’ouvrir la bouche. En quelques secondes c’est réglé. Elle lui tend une toupie (dans un emballage plastique).

Résultats dans 24 heures au plus.

Dans la voiture de retour, je comprends d’un coup le dispositif dans la ville voisine. C’est un gros labo, mais surtout il est dans une zone industrielle avec plein de place pour gérer des flux en extérieur. En Allemagne, les laboratoires ne sont pas accessibles au public. Les prélèvements sont faits chez le médecin, par les infirmières du cabinet. Les résultats passent aussi par leur intermédiaire.

Vous le sauriez déjà si j’avais osé publier un de mes tout premiers articles. Mais il n’a pas passé l’auto-censure : trop violent. La découverte du milieu médical a été un très gros choc pour moi. Maintenant je m’y suis fait. Je sais comment dire ordonnance quand il ne s’agit pas d’un médicament mais d’un examen complémentaire (Überweisung, au lieu de Rezept). Je sais que les dames qui travaillent au cabinet sont des infirmières et pas des secrétaires médicales. Elles font les prises de sang, les électrocardiogrammes (oui, ici ça se fait presque comme on prend la tension). Si on a de la chance on tombe sur une dame qui sourit.

Je ne vous laisse pas plus longtemps dans ce suspense insoutenable. Non ce n’était pas le corona.

On a fini par voir le médecin. Sans doute un virus ou une allergie.

De peur que ma fille ne se fasse laver le cerveau par les multinationales américaines, je lui demande de regarder des C’est pas sorcier. Un peu de culture, un peu de France… Comme thèmes, elle a choisi le chocolat et les bonbons. Qu’elle avait déjà vus.

Quelques jours plus tard (aujourd’hui), je reprends mon clavier. Entre temps, ma fille a repris pied, et mon ordinateur pour ses cours. Hier et aujourd’hui pour le carnaval (théorique et virtuel), c’est férié. Alors j’en profite pour vous retrouver.

En fait c’était rien de spécial cette fatigue. La mère de trois enfants s’était complètement plantée dans son diagnostic. Si au moins la prochaine fois, ça pouvait m’éviter de faire des projections catastrophiques. C’est pourtant pas sorcier d’en rester aux faits plutôt que de tresser des ‘’Et si’’ et des ‘’pourquoi’’.

Le bulletin de l’école est arrivé par la poste. On a rattrapé les cours en retard et même le frençais (sic). Notre étudiant est venu nous retrouver pour ses vacances (après son test Corona, une habitude maintenant pour lui).

A défaut de défilé du Rosenmontag, nous avons fêté Fastnacht (carnaval) avec des masques FFP2 et à coups de beignets. Une copine m’a indiqué une cabane de kermesse égarée dans un coin résidentiel qui en vend des tout chauds (aucun rapport avec les robes rétrécies).

Helau, helau, helau !

Excursion à Baccarach

Des vacances de Noël en famille et une promenade dans la Vallée du Rhin romantique, émaillées de surprises joyeuses.

Baccarach, au bord du Rhin

Chers amis, je suis ravie de vous retrouver.

Il semblerait que j’aie pris des vacances d’écriture. Je n’en étais pas sûre lors de ma dernière publication alors je ne vous ai pas prévenus. J’ai laissé faire l’envie. Mon clavier a été délaissé pour des activités familialo-gourmandes. Les mots et les idées se sont entreposés dans un coin de mon cœur. Les vacances sont finies pour mon mari et moi. Le collège reprend mercredi, avec des cours à distance. Je suis heureuse de retrouver mon temps de composition personnel, curieuse d’aller fouiller dans mon cagibi secret et de le partager avec vous. Voyons voir ce que l’on va trouver.

Vous êtes bien installés ? bien reposés ?

Oui moi aussi. Merci. Nous avons eu la chance d’accueillir longuement mon grand garçon et sa copine. Une compensation joyeuse à l’assignation à résidence.

Le sac à déchets végétaux dans le jardin se remplit de couronnes sèches et de bouquets fanés. Les sachets de papillotes importés par nos étudiants sont entamés mais pas finis (chouette ! pourquoi ne mettent-ils plus de pétards dans les papillotes ? encore un sacrifice de sourires sur l’autel de la rentabilité ?). Le sapin de Noël nous accompagnera encore cette semaine. L’enlèvement collectif des arbres est prévu samedi. Nous retarderons le plus possible son exil au bout de la rue pour profiter de la joie qu’il nous offre. Ses lumières sont les premières allumées le matin et les dernières éteintes le soir. Merci sapin !

Deux semaines confinées sur notre noyau familial, sans voir personne ou presque, à part les vendeurs du marché. Des surprises sympas en forme de clin d’œil amicaux nous ont réjouis !

Le jour de l’anniversaire de ma grande fille (13 ans déjà), notre déjeuner dominical est interrompu par un coup de sonnette. La porte à peine ouverte, des voix entonnent : « Happy birthday to youououou … ! » C’est une amie à elle avec sa sœur, sa maman, et son chien, qui viennent lui apporter un petit cadeau. Il est posé devant la porte. Elles chantent à quelques mètres de là, dans la rue. La distanciation sociale (Abstand !) est respectée, la gentillesse préservée. Partez vite sinon on vous fait un gros câlin !

Un matin dans la boite aux lettres, nous avons trouvé une carte de vœux dessinée par les enfants d’une amie à moi. Zut je l’ai ratée quand elle est passée. Mais quel plaisir de faire partie des destinataires !

Le dimanche de l’anniversaire de mon autre fille (10 ans ! eh oui notre moi de décembre est intense), une copine-voisine lui a apporté une carte et un dessin faits maison avec un grand sourire. Elle a à peine passé la porte. Pas besoin, nos coeurs étaient gonflés pour la journée et au-delà !

Le jour de Noël, la sonnette a retenti en tout début d’après-midi. J’ai ouvert la porte sur notre famille en plein Christmas pudding avec couronnes de crackers sur la tête. Une autre amie à moi et son mari rentraient de promenade (ils avaient fêté noël entre eux le 24, comme beaucoup de notre entourage), un sachet de Lebkuchen (pains d’épices) maison à la main. Délicieux, oui merci. J’espère avoir sa recette. Avant de partir elle me demande : « Les couronnes, c’est une tradition française ou une création spontanée ?»

Au marché dans la queue qui serpente à intervalles réguliers, une autre amie me fait signe. « Tu me manques ! elle me dit. J’ai peur que le lockdown brise les liens, fais-moi signe pour une promenade le long du ruisseau du Gonsbach. » Elle le connait par cœur ce chemin. Moi aussi. Tous les voisins également. C’est un des terrains de jeu de Mainz pour jambes en mal de mouvement. Moi aussi j’ai peur que l’isolement forcé dénoue des liens que nous tissons avec patience et assiduité depuis deux ans et demi.

J’ai l’impression de jouer à un deux trois soleil. Vite, bouger, se déplacer, rencontrer des amis quand on a le droit, se fondre dans l’immobilité dès qu’on nous regarde.

Le soir de la Saint-Sylvestre, nous avons fait des jeux et nous sommes couchés bien avant le changement d’année. A minuit, les pétards et les feux d’artifice ont éclaté. Tiens, il me semblait que c’était interdit. De grosses voix graves chantent sur le parking. Brrrr…Hou la la, ma benjamine va avoir peur sans doute… On frappe à la porte de notre chambre. Deux demoiselles se faufilent entre nos draps. L’occasion d’un câlin collectif à écouter pétarader le voisinage. Je demande à ma grande fille :

-Tu ne dormais pas ?”

-Non je lisais. je voulais attendre minuit. A minuit j’ai fait une minute de silence pour les gens malades du Covid, une minute de silence pour les gens morts du Covid. Et puis je me suis récité mes résolutions à haute voix. Après ma soeur est arrivée.

Un moment entre deux années, précieux. Bonne année les choupettes chéries.

Au milieu des vacances, nous avons fait une excursion avec des amis (Tu crois qu’on a le droit ? disons que oui, on restera à distance). Une évasion en voiture, bien au-delà de la place du marché ou du Gonsbach, dans une région touristique. Ce dimanche il fait gris et très froid. La pluie tombe en italique, le vent souffle en rafales. Un ciel bas s’accroche aux branches noires de troncs mouillés. Nous marchons dans la boue, pique-niquons debout sous le toit d’une Hütte (ces abris construits sur les chemins de randonnée) avec des restes d’agapes froids. Nous sommes humides et grelottants. C’est le paradis.

Notre abri bien réel : la Hutte Théorique

Nous nous étions donné rendez-vous avec nos amis de Cologne (ma Susanne d’enfance et sa famille), en aval des gorges du Rhin romantique à Spay. Juste avant Koblenz et le confluent du Rhin et de la Moselle. Cette balade de deux heures nous a permis d’échanger des cadeaux et des nouvelles de vive voix, de monter sur le plateau avec des points de vue monochrome entre nuages effilochés sur les boucles du Rhin. Le rêve !

Loreley (oui il faisait gris)

La route entre Mainz et Spay suit le fleuve, dans le sens du courant. A intervalles réguliers des chiffres géants sont inscrits le long de la rive : le nombre de kilomètres depuis la source en Suisse (500 à Mainz). Au niveau de Bingen, le Rhin entre dans sa partie romantique, des gorges creusées entre rive gauche, les reliefs du massif de l’Eifel et rive droite, ceux du Taunus. Des villages de contes de fée s’égrènent de chaque côté. Les vignobles dégringolent tête première vers le bas (comment font-ils pour vendanger ?). Des châteaux forts en grès rouge, plus ou moins retapés, gardent les flancs des gorges. Le temps des prélèvements de taxes est révolu. Au niveau de Sankt-Goarshausen (un nom comme une formule magique), le lit contraint par des falaises se resserre, le fond de l’eau descend à moins 25 mètres, et le courant forcit. C’est le passage le plus étroit et le plus profond du parcours navigable, au pied du rocher de la Loreley. Pour les mariniers, le lieu de tous les dangers.

Au sommet de la falaise, cette belle nymphe de la mythologie teutonne coiffait ses longs cheveux blonds. Comme les sirènes d’Ulysse, elle détournait le regard des marins et causait des naufrages. Mon professeur d’allemand au collège nous a raconté cette légende, les ballades et chansons écrites sur ce thème. Le Rhin romantique affiché sur un mur de la classe semblait alors très exotique.

Aux beaux jours, la circulation sur le fleuve entre navettes, bateaux-hôtels de croisières et péniches de fret est dense. En ce dimanche de fin décembre gris et froid en plein lockdown c’est vide et mort.

Comme mon grand garçon n’a guère eu l’occasion de faire du tourisme en Allemagne, nous avons souhaité lui donner un aperçu du coin, en s’arrêtant dans un charmant village. Quelques mois après notre arrivée nous y avions retrouvé nos amis pour un pique-nique dans l’herbe au soleil. Comme lors de ce premier passage, nous nous sommes garés entre la voie ferrée et le Rhin, tout près des remparts, pour une visite exprès de Baccarach.

C’est un village médiéval préservé, aux maisons à colombages, où les vignes s’invitent dans les jardins. En saison, et en temps normal, les terrasses des cafés et des restaurants débordent sur les ruelles, comme les magasins de caves viticoles. Les touristes à cornet de glace (nous, l’autre fois) marchent le nez en l’air et le portable prêt à photographier. Là, personne, aucun bruit. Les vitrines sont éteintes, les restaurants et les hôtels fermés. Mon fils s’exclame : « On se croirait à Disneyland un jour de fermeture ! »

Les illustrations des livres de contes (peut-être grâce aux frères Grimm) doivent beaucoup aux paysages allemands (les forêts mystérieuses, les maisons à colombages). Les dessins animés aussi. Les enfants ne sont pas perdus dans la campagne germaine.

Un rapide tour donc, sans déranger personne dans des rues piétonnes ou presque. Il ne pleut pas encore, mais nous sommes pressés : notre lieu de rendez-vous est encore à plusieurs kilomètres. Le chemin des ânes qui s’échappe entre deux maisons nous conduit à une tour de guet dans les vignes. Stop, nous n’irons pas plus haut. Nous sommes attendus. Mes doigts gèlent sur l’appareil photo (j’essaie de résister à la paresse des clichés sur téléphone). Le point de vue sur les toits, le château sur la colline reconverti en auberge de jeunesse (où mon amie Susanne était allée avec sa classe à l’école primaire), et sur la Wernerkappelle est superbe. D’ailleurs il est en couverture de mon guide Lonely Planet sur toute l’Allemagne.

Baccarach, à droite la ruine restaurée de la Wernerkappelle

La Wernerkappelle (chapelle Werner) n’a ni toit ni vitraux. Elle dresse son squelette gothique à mi-pente au-dessus du village, au-dessous du château. Un mystère aérien en dentelle de pierre. Une proue de navire fantôme.

Vite dépêchez-vous on redescend ! On ne veut pas faire nos Français et arriver en retard. Cet arrêt était prévu dans notre temps de trajet. Mais, tout de même.

Mon mari et une de mes filles partent d’un côté pour acheter dans une ruelle du jus de pommes qu’ils ont repéré (à disposition devant une maison, avec une tirelire pour le payer). Avec mes autres enfants, je suis la rue piétonne principale : je souhaite revoir une vieille porte en bois qui m’avait beaucoup plue.

Là, en face, deux hommes parlent. Un vieux monsieur masqué de papier blanc, appuyé sur un déambulateur, un peu voûté sous un manteau et une casquette noirs. A son côté, un homme barbu, la petite cinquantaine dans un corps confortable, lui aussi dans un pardessus sombre. Dans ce village fantôme, c’est assez remarquable.

J’entends :

-De là, on voit bien la chapelle.

Cette interpellation me surprend. Je jette un rapide regard autour de nous. Personne d’autre dans la rue. Ce doit être pour moi et mon appareil photo en bandoulière. C’est le vieux monsieur. Je m’arrête et me tourne vers lui.

-Ah oui ?

Je m’approche, tout en restant à la distance prescrite, et je suis son regard vers le haut.

-Ah oui c’est vrai !

De ce petit coin de rue, contre une vitrine éteinte, la chapelle Werner dresse ses murs ouvragés au-dessus de la maison d’en face. Le ciel blanc coule à travers les fenêtres vides.

-Superbe ! Merci !

Je prends une photo. Celle-là :

Wernerkappelle

Le plus jeune des deux m’explique.

-Mon père était architecte, il a restauré la chapelle.

Il n’en fallait pas plus pour éveiller ma curiosité.

-Whaou ! Quand ça ?

-Dans les années 90. Les fenêtres font douze mètres. Vous vous rendez compte !

Je produis les bruits d’exclamation adéquats.

-Elle date de quand ?

-1200 environ. Elle a été construite en même temps que les cathédrales de Cologne et de Strasbourg. Les architectes de l’époque s’inspiraient les uns des autres.

Le vieux monsieur a l’air fatigué, mais une lumière dans les yeux.

-Je ne peux pas monter à cause de mon cœur, mais de là on la voit très bien.

-Vous habitez ici ?

-Non à Koblenz.

Je traduis rapidement pour mon grand garçon qui ne parle pas allemand. Le fils du monsieur m’explique dans un très bon français que lui-même habite “vers la Mer du Nord, dans un coin froid et pluvieux”. Ils sont venus exprès de Koblenz tous les deux pour ces quelques minutes à contempler la chapelle depuis le bas. Leur voiture est garée à quelques mètres.

Je suis éblouie par une telle passion. Quelle chance d’avoir exercé une profession dont le sillage trente ans plus tard, irradie encore ! Donne du sens à un coeur fatigué.

J’ai encore des tas de questions à poser (pourquoi, lors de la restauration, avoir renoncé au toit et aux vitraux ?). Mais nous devons y aller. C’était très sympa de parler avec vous, merci !

Nous serons en retard de quelques minutes au rendez-vous. Nous avons fait nos Français. Pardon copains. Mais, écoutez, c’est pour une bonne raison. J’ai parlé avec un vieux monsieur. L’architecte de la Wernerkappelle

Cet échange m’a enrichie d’une lumière que le ciel et les circonstances nous refusent.

Je vous souhaite pour 2021 un feu d’artifice de surprises lumineuses.

Ah, un peu de soleil ;o)

Noël à l’allemande

Confinement oblige : nous allons passer notre premier Noël en Allemagne.

Bientôt Noël, un Noël bizarre un peu comme si on était dans un autre pays, avec des habitudes différentes. Mais sans partir de chez soi. Un voyage en intérieur. Une nouvelle expatriation immobile.

Nous allons passer en famille notre premier Noël en Allemagne. Pour moi, ce sera le deuxième.

Approchez, je vais vous raconter ma première fois.

C’était en décembre 1988. (Oui il y a bien longtemps.) Ma grande amie allemande (voir article L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne) m’avait invitée à passer les fêtes dans sa famille. Nous avions tout juste 16 ans. J’étais super excitée. J’avais demandé au prof de maths de bien vouloir décaler ma date de rendu des devoirs pour être plus disponible. (Il avait refusé). J’avais téléphoné à Susanne pour organiser mon voyage. A l’époque, sur l’appareil gris à cadran du séjour, un coup de fil à l’étranger était un événement coûteux.

Le premier samedi matin des vacances je suis donc montée d’abord dans un car puis dans un TGV pour Paris. Retenant mon souffle de campagnarde à la ville, j’ai changé de gare et attendu plus de deux heures en Gare du Nord le train pour Cologne. Le long trajet à travers les plaines du nord de la France, de Belgique et d’Allemagne était à la fois monotone et dépaysant. En cours de route, les douaniers sont passés contrôler les voyageurs.

Elle et moi devant la cathédrale de Cologne, au marché de Noël en 2018

Le train est arrivé de nuit dans les lumières du centre de Cologne, au pied des flèches de la cathédrale. Par un caprice d’architecte curieux, la gare moderne est blottie entre un monument gothique inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco et le Rhin.

Cette arrivée à Cologne me rappelait des souvenirs mitigés. Mais cette fois allait être différente : j’avais vraiment envie de venir ! Sous les néons de la haute verrière, j’ai aperçu par la vitre Susanne, sa maman et son petit frère qui m’attendaient sur le quai. Elle tenait à la main une rose.

J’ai tout de suite adoré sa maman que je rencontrais pour la première fois. Elle m’a prise dans ses bras comme sa fille. J’ai découvert leur appartement confortable, dans un quartier calme et vert, la vie d’une famille sans papa, et les machines à laver reléguées entre copines à la cave.  A côté du lit de Susanne, un matelas avait été installé pour moi. Elle m’a montré sa nouvelle chaine stéréo et ses disques (noirs). Une photo de son père. Sur sa porte, était collée une grande photo d’elle au bord de la mer en Yougoslavie.

J’ai goûté les Plätzchen (sablés de Noël) pour la première fois (et à plusieurs reprises). Nous avons fait ensemble le sapin de Noël le 24 décembre au matin.

C’était une expérience nouvelle pour moi. D’abord parce que dans ma famille, pour ne pas tuer d’arbre, on ne faisait pas de sapin. (On décorait des branches de genet coincées entre quatre bûches.) Ensuite parce que Noël entrait dans la maison dès dès novembre pour tricher un peu sur le temps long et noir. La crèche de terre cuite prenait ses quartiers sur la longue hotte de la cuisine, décorée de mousse et de branches de thym, oliviers miniatures.

Pas de crèche chez Susanne. Ni d’escargots ou de treize desserts. Le 24 décembre au soir nous avons mangé une raclette (avec tranches d’ananas festif). Eh oui, c’est le plat national allemand pour Noël ! J’ai aussi appris que le 26 décembre est férié (comme en Angleterre : Boxing Day).

Le petit frère de Susanne a reçu un jeu de Risk (Risiko). Nous y avons beaucoup joué en croquant des noix. Ça m’a permis d’apprendre le vocabulaire de l’invasion de pays. On ne sait jamais.  Sa maman nous a emmenés passer une journée à Amsterdam. Lors d’un tour en bateau sur les canaux, elle nous a indiqué la maison d’Anne Franck, et une maison très étroite, la plus petite de la ville. Au café Esprit, multicolore, j’ai fait comme ma copine et gouté mon premier capuccino. Je n’avais jamais avalé de café. A chaque gorgée, je me sentais devenir adulte.

Les nouvelles expériences se sont enchainées. Pour le réveillon du 31 décembre, nous sommes allées à la fête de son club d’aviron, au bord du Rhin. J’ai bu mon premier Sekt (le vin pétillant) et appris comment dire ‘’cul sec’’ en allemand (auf ex ! ). Après je me souviens surtout des escaliers qui bougent, des feux d’artifices qui éclatent partout dans le ciel de Cologne au-dessus du Rhin, de la pelouse froide et humide, de Susanne assise à côté de moi, et des gens qui nous regardent d’en haut : « On va les ramener. »

Heureusement le trajet à pied n’était pas long. Nous nous sommes effondrées sans mot dire sur nos lits. La maman de Susanne ne s’attendait pas à nous voir arriver escortées.

Le lendemain, nous étions toutes les deux invitées chez une amie américaine de ma famille. Mariée à un Allemand, elle vivait désormais à Cologne. Lorsque la maman de Susanne nous a conduit chez eux, j’ai emporté un sac en plastique. Dans l’entrée, nos hôtes nous attendaient en souriant. “Bonjour !” ils nous ont dit. Je me suis assise par terre dans le couloir et j’ai vomi dans mon sac.

Ils nous ont installées dans un lit de fortune. En fin d’après-midi, après une soupe, nous avons retrouvé une forme suffisante pour sortir comme prévu. A Bochum, une ville voisine, nous avons assisté les yeux grands ouverts, et la bouche aussi, à Starlight express, une comédie musicale en patins à roulettes. Je me souviens des lumières dans la nuit. De la musique forte, des costumes métalliques. C’était extra !

Quelques jours plus tard, il a fallu rentrer en France. (Dans le train du retour j’ai fait mes devoirs de maths.)

Hier Susanne et moi nous sommes téléphoné (par Skype cette fois). Nous avons évoqué notre Noël commun (brièvement, nos enfants étaient là ;o) ). Cette année, nous ne mangerons pas ensemble elle sera avec sa famille, dans la limite du nombre de convives et de foyer (je pose 2 et je retiens 8). Nous serons tous les cinq (yeah ! mon grand garçon a pu venir).  Ensuite peut-être qu’avec masques, distances, grand air et tutti quanti, on se retrouvera pour se balader au bord du Rhin et se rappeler le bon goût de l’amitié en direct.

Le hard lockdown a été mis en place mercredi dernier. Les enfants ont gagné trois jours de vacances et voir du monde va être encore plus dur.

Ces derniers temps, la vie s’était translatée sur les trottoirs. J’ai attendu mon tour chez le coiffeur dans un abri extérieur, avec canapé coussins, thé et café à disposition. Presque une tente bédouine. (Presque un intérieur). Des panneaux indicateurs sont apparus devant un immeuble pour donner les sens des queues. Flèche à droite : pharmacie ; flèche à gauche : cabinets médicaux. (Oui pour aller chez le docteur on attend dehors d’être appelé à l’interphone.)

Chacun fait ses calculs pour savoir comment et dans quelles conditions se retrouver pour les fêtes (si la grand-mère vient, faut qu’on mette un ado dans le placard : lequel ?).

Pour le réveillon, notre escapade en Forêt noire est tombée à l’eau du confinement. Angela a interdit les feux d’artifice. Donc ma deuxième Saint-Sylvestre le long du Rhin sera silencieuse.  Et propre. Pas de dépouilles de pétards dans les rues du lendemain. Ni dans notre jardin, même en notre absence.

Comme personne ne part dans le quartier, les enfants auront des copains avec qui jouer au foot ou au basket.

Ces vacances à la maison seront l’occasion ou jamais de sortir les jeux de (petite) société. Les enfants ont installé Risk sur le tapis du salon. Ils me rappelleront les règles. Nous allons voyager sur un plateau de jeu. Rêver de nos prochaines excursions. Nous imaginer envahir toute l’Europe. Un peu comme cela risque de se passer quand tout le monde aura été vacciné.

Je vous souhaite un très joyeux Noël !

Biscuits de Noël et autres traditions

Douceurs allemandes, anglaises et françaises. La cuisine est sens dessus dessous.

(Attention : la lecture de cet article risque de vous ouvrir l’appétit.)

C’est vraiment compliqué de concevoir une nature morte…

Vous aussi vous êtes dans les préparatifs de Noël ? Avec une liste d’inconnus et d’incertitudes ?

Certaines traditions ont pris encore plus de valeur en cette année floue :  les desserts en pagaille et les décorations. Ces joies-là sont dans notre périmètre de maîtrise . On a déjà réussi la guirlande de l’Avent et les étoiles en papier découpé (le tuto de ma fille est sur Instagram, ce site ne peut hélas pas digérer sa taille). Acheté les figurines en chocolat de Saint-Nicolas pour donner aux copines au collège (encore entières le matin au départ).

(Maman quand est-ce qu’on va chercher le sapin ?)

Les préparatifs des douceurs ont commencé voilà plusieurs semaines. Je vous en ai déjà parlé, faute de variété à se mettre sous la dent. C’est qu’on se met un peu la pression : il nous en faut de trois sources. Alors on s’organise. On dévalise le rayon pâtisserie du supermarché du coin. Les achats anticipés de Lebkuchen à la boutique en face du théâtre de Mainz sont faits. Comme les commandes en Angleterre : crackers, Christmas pudding et son brandy butter, et barres chocolatées pour les stockings (chut c’est un secret). Nous avons reçu un colis d’Ardèche (merci papa pour les marrons glacés), un carton d’Allauch (nougats blanc et noir).

(Permettez-moi un petit aparté, si nous recevons bien nos paquets, nos envois à l’étranger ne semblent jamais atteindre leurs destinataires… il doit y avoir un problème de distribution au passage de la frontière, ou un intermédiaire très gourmand et peu scrupuleux… Vos paquets arrivent, vous ?)

Nous avons aussi pâtissé : le Christmas cake attend sous plusieurs couches de papier. Il sera glacé et décoré le 24 décembre. La mince meat macère en pots. Elle servira à fourrer d’un coeur fruité et épicé des mini-tourtes en pâte sablée.

Côté sablés allemands, les Plätzchen, longtemps nous sommes restés aux deux classiques Marmeladennester (petits ronds aux noisettes et à la confiture) et Vannillekipferl (mini croissants aux amandes et à la vanille). Mon amie d’enfance de Cologne nous avait fourni les recettes. Cette année, je me suis offert, à la librairie du quartier, un livre de pâtisserie de Noël. Ça doit être un signe d’intégration avancée : notre gamme culinaire s’étend ET lire en allemand sur notre temps libre ne nous fait plus peur. (Pour les mots compliqués, ma fille est plus rapide que Google translate et je n’ai pas besoin de trouver mes lunettes.)

Les Allemands préparent différentes variétés de ces sablés et les stockent séparément dans des boites. Ils les offrent mélangés dans de petits sachets. Samedi j’ai croisé au marché une mamie-amie de mon cours de terre. L’an dernier elle nous avait apporté une sélection de ses petits sablés de Noël. Ils étaient délicieux. Alors je lui ai demandé : Tu as fait tes biscuits ? Tout est prêt ! elle m’a répondu.

Motivée par son exemple, j’ai décidé de me mettre aux fourneaux. Les miens sont partis faire des courses vers Francfort (c’est loin Ikea, et là-bas le Décathlon est plus grand). J’ai profité du champ libre pour confectionner des Marmeladennester.

En attrapant un pot de groseilles dans le placard du haut (beaucoup trop plein si vous voulez mon avis), un pot de gelée de coing est tombé. PAF ! Il a éclaté en mille morceaux. Des échardes ont sauté jusque sur la plaque de gâteaux. La catastrophe de confiture, la catasture à moins que ce ne soit la confitrophe a ruiné mon boulot. J’ai tout jeté.

Le lendemain ma fille et moi avons pris notre revanche en forme de Zimtsterne : des étoiles à la cannelle. Bien meilleures que ma première tentative. A la sortie du four à 16 heures, ma fille en a compté 42. Le soir-même il n’en restait que deux… Comment font les Allemands pour garder des stocks jusqu’à Noël ? Je vais enquêter.

(Maman quand est-ce qu’on va chercher le sapin ?)

Vous voyez, mon ascendance provençale et ses treize desserts sont honorés (freestyle) ! On a aussi planté les lentilles le 4 décembre. Elles gonflent dans une coupelle sur la fenêtre de la cuisine.

On chante (et même juste parfois). On écoute les Christmas carols anglais, des chants espagnols qu’on aime bien (on reste ouverts), la seule chanson allemande qu’on connait Kling Glöckchen Kling (tiens ce serait bien qu’on en apprenne d’autres cette année, avec la nouvelle partition de flute de ma grande.)

A peine sorti la caisse de livres de de disques de Noël ma plus jeune a voulu chanter Noël n’est pas au magasin. Quelques jours avant qu’Anne Sylvestre ne s’envole pour toujours. Bon voyage Anne, nous on continue de chanter tes poèmes. (Heureusement que j’ai découvert ses textes pour adultes, sinon je serais à nouveau un peu orpheline.) On va tenter de te suivre et faire en sorte que Noël, sinon au magasin, ne soit pas trop sur Internet.

Les créations vont tous azimuts. On bricole, bidouille, rigole, peinturlure, tripatouille, et découpe. La maison est sens dessus dessous à moins que ce ne soit le contraire. Le pistolet à colle traine sur la moquette (hélas), ma grande fille refuse obstinément de mettre un tablier pour utiliser la peinture acrylique.

Un vrai bonheur, tant qu’il me reste quelques gouttes de tolérance pour le bazar.

Vous l’aurez compris, ma plus jeune nous tanne pour aller chercher un sapin de Noël (avec un jeu de mot top subtil, Tannenbaum veut dire sapin de Noël). Un stand s’est installé devant une église ultra moderne, là où au printemps pousse le kiosque de fraises et asperges. Charmant ce petit carré d’herbe sous les arbres avec des sapins de toutes les tailles. On se croirait dans un dessin animé Disney. L’enseigne éphémère propose des sapins à vendre et à louer. A louer, pourquoi pas ? On avait déjà tenté le sapin vivant ; il a même déménagé avec nous à Mainz. Hélas, la chaleur de l’été a eu raison de sa bonne volonté.

Des enfants en tenue de ski boueuse (forcément…) nous accueillent avec de longs tasseaux de bois gradués. D’un côté le prix à la vente, de l’autre, à la location (vertigineux, les deux). On se renseigne : pourquoi un sapin loué est plus cher ? Vous avez le pot (tout petit et en plastique). Et comment ça marche ? Vous rapportez votre sapin le 9 janvier. Pas de retour d’argent ? Non. Bon on va réfléchir.

(Maman c’est ce matin qu’on va chercher le sapin ?)

Pas besoin de beaucoup réfléchir : notre jardinerie favorite est moins chère et les sapins locaux. Le dimanche elle n’a le droit de vendre que des végétaux, mais c’est souvent bondé. Là le magasin était très calme. Peut-être parce que c’était la Saint-Nicolas ? Et aussi le deuxième dimanche de l’Avent ? Cette année leur village de Noël intérieur est réduit : pas de patinoire pour les enfants.

Nous avons jeté tous les quatre notre dévolu sur le même candidat : l’affaire fut réglée en quelques minutes. De retour à la maison, les deux cartons de décorations, sortis du cagibi fin novembre, calendriers de l’avent obligent, attendaient au milieu du salon. L’une des filles a mis des chansons de Noël pendant que les autres fouillaient dans nos trésors.

Magiques non, les boites de boules et guirlandes ? A chaque ornement déballé, on entend des “Oh tu te souviens, on l’avait acheté à ….” Un pudding en laine de Londres, un Ampelmann en feutrine de Berlin, un lutin de la jolie librairie de Mainz (et beaucoup de boules d’Ikea).

Chaque année, nous retrouvons des créations d’un autre temps que je refuse de sortir (hou la mauvaise mère) ou de jeter. Je cherche du soutien :

-Les filles vous ne voulez pas jeter ces bricoles abimées de vos premières années ?

-NOOOOOOOOON !

-Vraiment ? Le papier crépon est déchiré et délavé, le bougeoir en pâte à sel cassé….

-NOOOOOON !

-OK, OK.

C’est reparti pour un an dans le carton.

Pas de vraies bougies pour nous. Dans les magasins leurs boites ont remplacé les packs de quatre grosses bougies pour les couronnes de l’Avent. C’est charmant, mais on voudrait éviter de mettre le feu au quartier. Nous utilisons des guirlandes lumineuses, nombreuses comme jamais. Pour les éteindre et les allumer, à quatre pattes sous le sapin ou dans un twist peu recommandé pour les vieux dos entre les étagères, ça va nous occuper pour la journée !

Le salon est tout joli maintenant. Surtout qu’on en a profité pour ranger un peu. Pour nous récompenser, nous grignotons des mince pies importées. Chaque bouchée nous envoie des bouffées de nostalgie de la maison du grand-père à Londres.

Pourtant c’est chouette de rester chez nous pour les fêtes. Pas besoin d’essayer de faire rentrer une montagne de cadeaux dans trop peu de valises. De tout installer en cachette, au moment de partir, au pied du sapin en prévision du retour. D’attendre une correspondance dans les courants d’air d’une, de deux, de trois gares. Ou de coordonner les achats de victuailles à distance avec le reste de la famille.

Le menu on s’en est occupé directement : la dinde est commandée au marché (oui pour cinq, on aime bien les restes). Depuis, le boucher nous reconnait. Mercredi on réservera le vacherin chez le fromager.

C’est chouette mais un peu doux amer. Pas de marché de Noël, avec ses lumières, son Glühwein (vin chaud), son jus de pommes chaud et épicé pour les enfants (et moi), ses Bratwurst et les sourires amis. La ville est calme, comme en janvier. Pas de fêtes dans les écoles. Mon coiffeur, toujours pieds nus en décembre, m’a dit soulagé de ces annulations. Moi ça me manque un peu.

Birkenstock ne fait pas que des sandales

Alors pour me consoler j’écris à qui vous savez.

Cher père Noël, cette année on voudrait des jolis pyjamas. Des pantoufles aussi peut-être ? Elles s’usent vite en ce moment. Le gros orteil de ma fille va sortir bientôt.

Heureusement les traditions ont la vie dure.

Certains remplacent le marché de Noël par des soirées autour d’un feu de camp dans un jardin (les Allemands sont très férus de feux extérieurs en toute saison, ils ont des coupes métalliques sur pieds exprès).

Mon mari a reçu une grosse boite de la part de son travail. Une fête de Noël en kit : une bouteille de Glühwein, un petit Stollen, et un sachet de Plätzschen, les fameux petits sablés. Sous les papiers d’emballage, un carton de loto.

La fiesta sur Zoom promet d’être endiablée !

Un p’tit gâteau ?

(On a caché la balance.)