Chers amis, me revoilà.
Tous les jours, j’écris, j’écris… des textes que je ne publie pas. Des chapitres pour mon projet de bouquin (disons, les premiers brouillons d’un texte très long). Des articles pour ce blog que je ne me sens pas encore prête à partager. Un bout de journal pour me libérer d’émotions en travers, et mieux comprendre ce qu’elles ont à me dire, avant de (tenter de) les relâcher.
Pourtant les idées jaillissent sans arrêt. Quand je tricote un 150ème bonnet pour m’assurer d’être capable de comprendre un patron, sans arriver à sauter dans le précipice et me lancer dans un pull. Quand je passe au moulin à légumes la chair orange des coings, le nez juste au-dessus pour profiter de leur parfum. Quand dans la salle de bains je ramasse une serviette par terre en râlant. Quand je me réveille au milieu de la nuit. Ou la tête en bas, entre deux phrases de ma prof-de-yoga-sur-écran.
C’est un gros avantage, le cerveau qui continue en arrière plan de travailler sur les projets. Du coup quand je m’assois à mon bureau, les mots coulent, sans temps mort. Mais ça a un côté ”Norton” : esprit toujours actif en fond, pas de repos, mémoire vive monopolisée pour des trucs que je ne lui ai pas vraiment demandés alors que j’aurais bien besoin de me souvenir moi dans quelle poche j’ai rangé la liste des courses. Et maintenant.
J’ai pas trouvé la liste ce matin. Enfin, pas au supermarché. En rentrant elle est apparue dans la poche arrière droite de mon jean, fouillée pourtant à trois reprises, garée au rayon légumes. Je ne crois pas avoir oublié d’ingrédient essentiel pour la soupe butternut – noix de coco – coriandre de ce soir. Mon amie d’enfance allemande (vous vous souvenez : L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne) et son mari viennent manger. Nous sommes super excités par leur venue ! Depuis combien de mois n’avons-nous pas reçu d’invités ?
Elle m’a appelée hier soir pour nous laisser le choix de la décision : to invite or not to invite, that is the corona-question. Les cas augmentent en Allemagne aussi. Il parait que Mainz est en zone rouge maintenant. Mon mari me l’a annoncé hier.
Vous ai-je dit que je ne consulte presque plus les informations depuis le mois de juin ? Dans un souci de prévention pour mon équilibre nerveux et mental. Donc j’apprends par lecteur interposé les événements importants du style (porte de la chambre-bureau qui s’ouvre) « Estelle, Trump a le corona ! ». Moi, (qui lève la tête sur un grand sourire) « Hi, hi ! ». Ma fille de 9 ans : « Eh, on ne va quand même pas souhaiter la mort des gens c’est pas bien ». Moi : « Non, non ». Hi, hi. Non.
Alors zone rouge chez nous. Je ne sais pas à quoi ça correspond et ne cherche pas trop à me renseigner pour éviter le découragement. Nous continuons de prendre les mêmes précautions… Mais l’anniversaire auquel était invitée ma plus jeune dans deux semaines a été annulé. Le magasin d’une créatrice de notre quartier ferme aujourd’hui jusqu’à la fin du mois et nouvel ordre. Un mail du collège nous a proposé de commander les livres scolaires en version numérique. Une classe a demandé aux élèves de vider leur casier avant les vacances pour avoir tout à disposition à la maison. Au cas où.
Au cas où.
Rouge donc.
Difficile de convertir la signification pour l’étranger : les couleurs du système d’alerte sanitaire différent selon les pays. Nous avons l’autre jour discuté à table des projets de Noël. Avec des bouts de famille en France et en Angleterre et vivant en Allemagne, on cumule les contraintes sanitaires de trois pays et du passage de frontières. (Finalement les grèves de l’an dernier étaient de la gnognotte). Londres ne semble pas une option probable. Ma belle-sœur qui vit près de Brighton a tenté de nous expliquer le code d’alerte anglais : il change régulièrement. Nous n’avons pas compris. Elle-même semble dépassée par ces limites mouvantes. Une chose reste vraie : elle en a ras le bol d’être empêchée de rencontrer des amis. Les Anglais réfléchissent à un nouveau confinement. Leur exemple nous encourage à profiter. Faisons le plein d’amitié tant qu’on a le droit. Mais bien sûr, j’ai répondu à mon amie, venez. On ne s’embrassera pas, non, on aèrera toutes les 20 minutes, mais venez ! Par amitié, VENEZ !
Les vacances d’automne ont commencé depuis vendredi. Nous avons décoré la fenêtre de coloquintes tarabiscotées, offertes par des amis et achetées au marché. La boule d’un chrysanthème vieux rose éclaire notre seuil comme une fleur géante. Des moules à tarte remplis de pâte de coing toute fraîche sèchent sur les surfaces planes disponibles. Les pots de gelée s’attardent sur le plan de travail avant de rejoindre le placard. Pour profiter de leur couleur ambrée. La semaine dernière j’ai même vu des colchiques dans les prés. Elles flÔrissent, flÔrissent, (comme chantait mon fils en maternelle, la bouche ronde comme le Ô). Dans le champ voisin un tourbillon d’oies grises chahutait en criant, préambule à leur départ prochain pour l’Afrique.
C’est donc l’automne, chez nous dans les arbres et sur le calendrier. Pourtant dans les magasins c’est déjà noël : Lebkuchen (pains d’épices), et Stollen (gâteau à la pâte d’amandes) sont en rayon depuis début septembre. Peu après les paquets de quatre bougies pour les couronnes de Noël (une pour chaque dimanche de l’Avent), et les boites cadeaux de chocolats les ont rejoints (l’anticipation commerciale me semble pire que mes souvenirs de la France). Ce matin j’ai été accueillie chez DM (la droguerie, para-pharmacie-denrées bio sèches que nous adorons pour tous les petits trésors) par un stand de maquillages pour Fastnacht (carnaval). C’est vrai qu’il commence le 11.11 à 11 heures 11. Mais cette année, pas de rassemblement en centre-ville sur la Schillerplatz pour la lecture en grande pompe des 11 articles de la charte de carnaval. La cérémonie privée sera rediffusée à la télévision, sur la chaîne locale SWR, et sur internet. Maquillages en chambre.
Cet automne on ne m’y prendra pas comme l’an dernier : j’achèterai les Lebkuchen avant Décembre – je n’en avais plus trouvé qu’à la gare de Francfort, sur le trajet pour Londres. Alors question : à quel moment est-ce raisonnable d’acheter les gourmandises de Noël, sachant 1/ que nos placards de cuisine sont pleins 2/ que nous n’arrivons pas à nous débarrasser d’une invasion silencieuse de mites alimentaires ?
Ce sera après les vacances. Si on arrive à partir. Je prie tous les dieux masqués et les divinités désinfectées de maîtriser l’expansion de ce virus. Imaginez : avec mon mari nous avons réservé une semaine dans la forêt dans le nord de la France, A L’HOTEL, TOUT SEULS ! Si le Grand-Est reste exempt des mesures de quarantaine en Allemagne, si la colonie de cheval de nos filles, organisée à une petite heure de Mainz n’est pas annulée…
Si, si, si…
Sinon va falloir improviser. (Allo, là-haut, esprit-Norton, c’est le moment de faire le beau, t’aurais pas une idée ?). Inventer des stratégies pour se croire en vacances chez soi. Dénicher un gite à la dernière minute en Allemagne ? On ne serait pas difficile sur la destination. Sortir de chez nous, casser la routine, changer d’air et de nourriture telle est notre seule ambition. Ce doit être un signe d’adaptation : accepter de ne pas faire de projets, être heureux de découvrir le paysage juste de l’autre côté du virage, le visage aimé sur un écran. Bon mais faudrait pas trop que ça dure… c’est frustrant. Savez-vous qu’une des équipes qui travaille sur le vaccin contre le COVID 19 est à Mainz ? C’est sûr c’est mon coiffeur qui me l’a dit, il a un copain qui est chercheur chez Biontech. Pour accélérer le processus, ils travaillent en 3X8 depuis le début des hostilités.
Grâce à eux et leurs confrères du monde entier, peut-être bientôt pourront nous à nouveau inviter des amis, et même les prendre dans les bras. Ce serait formidable : quand nos invités sont partis hier soir, avec mon mari nous étions radieux.
-Ah ça fait du bien de voir du monde !
-Tu te rends compte j’avais complètement oublié de mettre une bouteille au frais. On a perdu la main…
Mais la soupe était bonne, et le Sekt qu’ils ont apporté aussi. A midi, nous allons découvrir le Saumagen (littéralement : ventre de cochon) qu’ils nous ont offert. Une boule grosse comme un melon, genre caillette géante, qui se découpe en tranche pour être grillée à la poêle. C’est une spécialité du Palatinat dont Helmut Kohl était grand amateur. Il a initié notre Chirac national. Qui a dû lui rendre la politesse à coup de tête de veau sauce gribiche.
Donc même si on ne part pas, nous allons avoir de la variété dans l’assiette. Et ce sera encore meilleur, parce que c’est offert par des amis.
(Eh, couché Norton, pas d’analyse pendant la dégustation steuplait !)
Si vous croisez la balsamine, ne pas résister à appuyer doucement sur les gousses gonflées…