Après trois mois de collectivité forcée et de contraintes, difficile de recharger ses batteries. Comment réparer les fuites ?
Un lave-linge qui fuit, goutte à goutte. L’occasion de rencontrer un artisan allemand. De découvrir le vocabulaire de la plomberie et lui expliquer tous les programmes d’une machine qui parle français.
De l’eau en fuite, qui pleure, s’étale sur le sol carrelé. Des serpillères grises et crème. Des françaises et des allemandes, détrempées, essorées.
Un peu comme mon système nerveux en ce moment. Grignoté par le goutte à goutte des irritants d’un quotidien concassé, des informations violentes sur l’état du monde qui franchissent tous les barrages mis en place. La baignoire de mes émotions déborde. L’eau s’échappe et s’infiltre sous toutes les portes. Mon équilibre prend l’eau.
La tension et le stress m’intiment le réflexe animal de fuir une situation désagréable – sans pouvoir le faire. J’ai le cœur qui joue du djembé. Ma patience s’est carapatée en vacances. Elle en avait ras le bol du jour sans fin, des 1,5 mètres de distance (impossibles) à conserver avec mes amis humains, des masques qui étouffent et cachent les sourires.
Mon sommeil joue à cache-cache. Cette nuit il a gagné. Il m’a dit qu’il reviendrait quand je prendrai soin de moi. Si si reviens, je te promets je vais faire attention.
Où va l’énergie saine qui fout le camp ?
Armée d’un filet à papillons je la poursuis, Sisyphe moderne, dans une course perpétuelle vers un équilibre fragile dans un monde à vau-l’eau. Entre panique et abattement, ennui et inquiétude hyperactive.
Comment prendre soin de soi quand tellement de choses échappent à notre contrôle et nous privent de ce qui nous ferait du bien ?
Comme la possibilité d’aller chez le coiffeur (en France !), de retrouver sa famille ou des amies d’autrefois (en France!), de s’échapper pour un week-end dépaysant à la montagne ou à la mer (trop loin), de se nicher n’importe où au vert (tout est complet partout où on cherche). De passer quelques jours SANS les enfants (personne pour les garder).
Quelques jours sans personne.
Pour vivre à son propre rythme, répondre à ses besoins oubliés et piétinés par des mois de quarantaine. Laisser la pression s’échapper, goutte à goutte comme le filet d’eau de la machine.
Comment faire quand nos besoins impératifs sont difficilement compatibles avec une vie recluse et en communauté forcée ?
Du calme, du silence, de la solitude dans une maison pleine à son corps défendant relève de la mascarade. Les ondes et les sons passent à travers la porte, les tensions s’infiltrent, comme l’eau de la baignoire saturée …. Pourtant ces pauses-là me sont indispensables pour digérer la sur-stimulation de la vie courante. Sans même parler de circonstances exceptionnelles.
Donc rester sur le fil de l’équilibre et le remettre à jour dès que les circonstances le bouleversent. Avec patience. Euh, et quand elle est partie ?
Vous avez peut-être remarqué que depuis l’article sur la situation américaine, je n’ai rien publié. Cet article m’a couté cher en énergie, en colère, en révolte. L’expression d’émotions est à la fois salvatrice et douloureuse. Loin d’être un geste anodin ça creuse dans le capital énergétique. Mais y faire face, parce qu’il le faut. Parce que la goutte d’eau de l’expression dans un océan des mots est un droit et un devoir inaliénables. Parce que le besoin de dire est plus fort que l’appréhension de la dépense nerveuse.
Le problème c’est qu’en ce moment chaque jour creuse un peu plus dans ce même stock que je n’arrive pas à reconstituer. Et les fissures s’écartent. Le filet d’eau grossit.
Pratiquement aucun moment de solitude à la maison pour me reposer, pour couper avec les stimulations continues. Pas vraiment de refuge : « Ah pardon tu dormais ? je cherche l’iPad ». Une fois, deux fois…. 100 fois… 3 mois, tant d’années….
Des enfants très créatives dont les idées débordantes envahissent l’espace commun. Non non laisse tous ces seaux dans le jardin c’est pour récupérer l’eau de pluie. Pour arroser mes plantes à air. Celles qui sèchent dans la salle de bains ou dans le salon. Tant pis si on trébuche tous les jours sur ces saladiers plein d’eau. Ou si le rouge cru du seau sur le vert du gazon m’agresse comme un cri dans la nuit.
Une ado et une pré-ado à la maison. Avec chacune leurs idées bien arrêtées. Leurs imaginations et leurs besoins impérieux. Des gamines confinées, en conserve au vinaigre depuis trois mois.
La benjamine a retrouvé l’école (en pointillés espacés) et les copines depuis près d’un mois. L’ado, elle, ne retournera au collège que demain. Après trois mois de ce qui ressemble à une punition. Elle a bossé dur et a acquis une grande autonomie de travail. En 5ème c’est chouette. Mais le sevrage de copines pèse lourd. Côté ambiance, je suis sûre que vous voyez ce que je veux dire….
Je vous fais grâce aussi des contraintes domestiques d’un quotidien qui bégaie. De l’apnée de ne pouvoir faire de projets. Là aussi vous connaissez.
Donc des ressources sollicitées au-delà de leur disponibilité. Et pas ou peu d’occasion de refaire le plein. Je suis dans le rouge. Cramoisi.
Trop peu de sport malgré les cours en ligne de yoga, et même si la piscine a rouvert. J’y suis allée et j’y retournerai. Une fois trop froide (les nageurs allemands avaient des combinaisons en néoprène) une fois trop saturée de gamins qui sautaient sur les nageurs et mangeaient une barquette de frites dans l’eau (?). Heureusement les maitres-nageurs circulaient : un vaporisateur dans une main, un chiffon dans l’autre. Très concentrés sur leur nouvelle mission, ils désinfectaient les rampes des échelles. Plus le temps de veiller à la sécurité des bassins. Alerte à Malibu pour les maisons de retraite.
Pas de relations de toujours, où se poser sans parler, puisque l’on se comprend du bout des yeux. Les promenades avec les copines sont littéralement des bouffées d’air et de nature, d’amitié. Et parfois je peux même parler en français ou en anglais. Mais l’expression d’idées, d’émotions, de pensées dans sa troisième langue est un défi épuisant et frustrant.
Beaucoup de nature, c’est vrai. A dix minutes à pied, je me trouve et me retrouve dans des espaces naturels protégés et différents. De quoi satisfaire mon envie de verts, de troncs, de parfums, de fleurs sauvages. De chants de ruisseaux et d’oiseaux inconnus. Et je sème, je plante, toujours je plante… malgré le peu de place et la terre ingrate de notre jardin, un remblai sec et caillouteux, réticent. J’ai invité un cosmos chocolat. Approchez, vous sentez ?
L’art est revenu.
Sous la forme d’une terre conciliante et humide. De l’argile. Mercredi à l’atelier j’ai vécu un bonheur créatif comme jamais. Un bonheur tout court.
Depuis la reprise des cours post-quarantaine, les séances se sont suivies sans se ressembler. La première fois j’ai été très frustrée en essayant de copier une sculpture cubiste des années 40. Mauvaises proportions. Ma prof m’a dit : « Ca ne va pas recommence. Et fais-la à la plaque ». J’écrase tout. Je bats ma terre (ça défoule mais ce n’est pas une vengeance punitive, c’est pour chasser les bulles d’air). J’étale une plaque avec un rouleau. Je râle in petto. J’aime modeler avec les doigts. La régularité se refuse à mon geste. Je construis tant bien que mal un tube. La terre trop molle s’affaisse à l’emballage. J’écrase à nouveau tout. Je rebats la terre, frustrée. Non, non à la rentrée, je ne me m’inscrirai pas.
Deuxième cours : je recommence ma sculpture en taillant dans la masse. Mais je la prends différemment. Par moitiés. Et là ça fonctionne. J’efface du creux des paumes le mauvais souvenir de la semaine précédente. La dame allongée (L’automne de Henri Laurens, 1948) en terre chocolat me plait. Je repars avec le sourire.
Mercredi dernier, j’avais une création à émailler. Certains pétales de ma femme-fleur s’étaient détachés à la cuisson. Pour cacher les cicatrices j’ai passé au pinceau de l’émail, une substance liquide comme de la peinture. Le vrai travail se fait à 1000°C quand les particules fondent comme du verre : le résultat est toujours une surprise. Mais la précision du geste, la régularité, la préparation de la matière sont essentielles et leur rigueur austère me rendent cette étape très difficile. Donc j’ai émaillé longtemps. Et il ne me restait qu’une heure pour enfin toucher l’argile. Récompense dans la récompense.
J’ai retrouvé un morceau d’argile blanche. Et je me suis inspirée d’un dessin exposé au musée de Francfort (Eve de Jacques-Ernest Bulloz, 1903). J’ai modelé avec les mains. Sans outils. La terre a répondu. Elastique, fraîche, malléable. Conciliante. Enfin une matière qui répond quand je la sollicite. Qui ne m’agresse pas. Paisible. En quelques minutes j’ai senti entre mes doigts un corps de femme, déjà presque plus qu’une ébauche. Son attitude me plaisait. Un vrai moment fluide d’élan créatif. Une étincelle de divin.
La création est mystérieuse.
Pourquoi cette fois-là ?
En tous cas merci, j’en avais grandement besoin. De cette bulle d’énergie offerte par un après-midi seule, sans ma famille que j’adore (mais comme m’a dit une copine du cours : la tarte à la crème oui, mais pas tous les jours). De ce contact frais et plastique. De cette complicité avec la matière. De cette bouffée de joie dans un processus créatif inspiré. Et du carré de chocolat partagé.
J’en ai été rechargée pour la soirée.
Reste à recommencer. Encore et encore pour repasser à l’orange puis au vert. Pour apprivoiser un système nerveux mis à mal par les circonstances. Et affronter un autre défi de taille.
Le départ en vacances.
Je suis devenue une de tes lectrices assidues.Tu me “régales”Bises.Dany
Merci beaucoup Dany ! ça me fait plaisir que mes mots aillent jusqu’à toi ! trop contente, je t’embrasse.
C’est chouette de te lire … tu écris bien … mais prends soin de toi !
Bises
Christine
Oh c’est sympa de te croiser ici Christine ! Ca me fait très plaisir. Merci ! (je vais tâcher :o). Bises
Bon anniversaire Christine, c’est ces jours-ci non ? bises