8ème jour de confinement, un lumbago et l’apprentissage sur le tas de la pédagogie.
C’est dur d’écrire.
Depuis une semaine, je n’en ressentais plus ni le besoin ni l’envie. Le confinement a commencé en même temps qu’un lumbago carabiné, à moins que ce ne soit le contraire (emoiji qui grimace).
Le bas de mon dos se rappelle à moi dès que je bouge, dès que je reste dans une même position trop longtemps, dès que j’inspire trop fort. Il semblerait que seule la marche me soit tolérable. Alors j’avance comme le bus de Speed (le film), en essayant de ne pas m’arrêter. Je tourne en rond dans mes mètres carrés. Je fais le tour du pâté et j’en profite pour respirer, pour happer, tant que c’est encore autorisé, les sensations vivantes du printemps. Si je contracte le covid 19 dans cet état ce sera le cauchemar absolu. Chaque toux ou éternuement pourtant refreiné lance dans tout le corps des douleurs aigues.
Comment se soigner par ces temps qui ne courent plus ? La pharmacienne n’avait plus que quelques boites de paracétamol (et plus du tout pour les enfants). Les kinés et ostéopathes sont désormais inaccessibles. On veut épargner la disponibilité des médecins.
Alors on grimace, on jure, on trouve des mouvements alternatifs, on s’accroche au cou de son mari pour se lever, ou on renonce tout simplement. A mettre ses chaussettes ou à se laver les pieds (soi-même). J’ai dû appeler à l’aide dans ma douche. Hou hou y’a quelqu’un dans le coin ? Ma fille (je ne vous dis pas laquelle pour préserver l’intimité de ses extrémités) est venue.
– Ah tiens c’est rigolo de laver des pieds ! moi je ne lave jamais les miens.
-… ?!
(Mais que fait-elle des heures dans la douche ? Qui l’a éduquée cette petite ?)
Le plaisir et le réconfort que m’apportent l’écriture partagée se sont effacées derrière l’inconfort d’un double isolement, celui d’un corps en souffrance aiguë et d’une maison fermée. Comment écrire quand la position assise est douloureuse ? Les élancements me raccrochent au geste immédiat et m’évitent de me projeter dans l’avenir. Alors je reste dans le présent.
Mais ce jour sans fin cherche à nous attraper dans son filet. Et nous courons, courons à perdre haleine, à perdre la raison, pour échapper à son incertitude, fuir le piège du désespoir. Au passage nous raclons de nos ongles les murs effrités pour récupérer les miettes de nos anciens repères et tenter d’en construire de nouveaux. Nous déchirons le rideau de notre angoisse pour laisser filer un bout de nuage.
Est-ce comme cela que s’amorce la fin d’une civilisation ? On concentre tous les efforts sur la guerre (on a fait des progrès, la bataille est menée par l’humanité dans son ensemble contre un ennemi commun). Le luxe et le futile s’évaporent. Les biens de première nécessité disparaissent pour de bonnes ou de mauvaises raisons. Les médicaments deviennent introuvables et faute de mieux les remèdes de grand-mère reprennent cours pour tout. On soigne le genou égratigné avec un petit bisou. Le cancer avec une prière. La dégringolade finit par entrainer la solidarité dans sa chute libre. La démocratie expire terrassée par le non-droit et le cannibalisme.
Silence.
L’herbe repoussera dans les décombres.
Dieu aussi.
Et tout recommencera. Comme tout a déjà recommencé.
Ces dernières semaines, à l’instar de Pénélope la nuit attendant son roi de mari, nous avons défait ce que nous avions tissé pour notre intégration en Allemagne. Les nouveaux copains ? ben on les voit plus. Les cours de musique, de sport ? hop c’est fini, on rentre à la maison.
Les particularismes s’exacerbent et les nerfs frôlent la rupture. On se fait engueuler comme au début. Notre indiscipline (bien light à une échelle française et surtout très involontaire) dérange. Vendredi je me suis fait virer du supermarché parce que le directeur du magasin m’avait autorisée à rentrer avec mon mari (l’accès est limité et contingenté). On se rappelle que je ne peux rien porter, mais ça fait du bien de sortir et de marcher un peu. Des gens de la queue se sont plaints. Le directeur a changé d’avis. Je lui ai dit ce que j’en pensais (à peu près poliment je crois). Et je suis partie. En ruminant, les larmes aux yeux, le dos en feu et avec l’envie de mordre et de faire mes valises.
Je veux rentrer chez moi, en France. Me rapprocher de ma famille et de mon fils qui révise des concours-mirages. Retrouver les incivilités et le désordre. Quoique… les parents inconséquents qui font franchir à leurs enfants les barrières sanitaires des aires de jeux me font autant froid dans le dos (et c’est pas le moment hein !) que ceux qui n’entrent jamais nulle part, même sans barrière, même avant le basculement.
L’étau aujourd’hui ne connaît plus de frontières. Il se contente de les resserrer, de les cadenasser. Ecartelant sans égards nos familles éparpillées au soleil tranchant de mars.
Si c’était cela le plus dur : une inquiétude sanitaire capitale et le confinement universel lors de l’éclosion du printemps ? Une catastrophe sous un ciel magnifique. Ce mélange du bon et du mauvais. Comme certains gestes, intonations ou expressions d’une personne aimée nous rappellent un monstre.
Comment vivre cette contradiction, la cohabitation du sublime et du diabolique ? Ne fait-elle pas écho à celle qui nous habite ? Une part de mesquin (celle qui fait une OPA sur le PQ) égayée d’éclats divins (qui permettent de faire une garde aux urgences de 90 heures comme quelqu’une de mon entourage). Comment profiter du bon sans être démoli par le mauvais ?
Heureusement je peux rire sans trop souffrir…
Parce que l’apprentissage sur le tas de la pédagogie, ça me dévore la patience et l’énergie. L’impossibilité (temporaire je l’espère) de lire ou de dessiner, de coudre ou de bricoler, faute de pouvoir rester assise me grignote le moral. Comme le jardinage par procuration.
Ça doit aller mieux aujourd’hui si j’ai repris le chemin du clavier avec un peu d’élan. J’ai délaissé des articles commencés ; ils me semblent dérisoires aujourd’hui. Déjà hier j’ai pu retrouver un peu mon piano et Beethoven. Inspirée par le témoignage solidaire musical : chanter l’Ode à la joie à notre balcon à 18 heures tapantes pour les soignants (on répètera pour la prochaine fois, heureusement que la trompette de la voisine sonnait juste et fort).
Quel jour sommes-nous ? Lundi ? Ou déjà mardi ? C’était quand le printemps ? L’équinoxe, équilibre entre la nuit et le jour, la floraison des cerisiers et le virus diabolique.
Depuis huit jours ans j’ai pris 100 ans. Ma maison-escargot s’est refermée. J’allais chez toi à vélo, aujourd’hui tu vis dans une autre galaxie. L’échelle de nos constellations relationnelles a changé.
Dans cette course poursuite contre la montre, cet escape game grandeur nature et inversé, le temps est réinventé. Les dieux se marrent. Tiens, toi je t’en file mais c’est une illusion après je te prends ta liberté et ta vie peut-être.
L’espace-temps fuit.
Courage à tous, puisque pour nous la fuite est interdite.
Sourions derrière nos fenêtres et nos écrans. Et envoyons des messages de soutien à nos anges gardiens épuisés.
Merci du fond du cœur et du temps.
En particulier à la kiné française, collègue d’une amie, qui vient de me prendre en consultation par Skype pour m’aider à me remettre le dos d’aplomb.