Des adieux soudains au cœur de la lumière de l’été. La simultanéité du blanc et du noir, comme le yin et le yang enlacés, ou la difficulté de vivre ces émotions contraires.
Je lutte avec l’ange.
Je suis en lutte contre lui, avec lui. J’aimerais baisser les bras et capituler, m’avouer vaincue. Lui donner mes poignets joints en signe de soumission. Pour connaître enfin, quelques minutes de paix.
L’ange de la vie, l’ange de la mort.
J’accuse le coup des six derniers mois-corona, des deux ans en Allemagne, des 47 dernières années. De tout ce temps passé à refuser de m’accepter puisqu’il me fallait trouver une place dans la société et que je pensais que c’était à ce prix, un prix que je ne connaissais pas. Toutes ces années à tenter d’apprendre à me connaitre.
Je n’y suis toujours pas, il parait qu’il faut toute une vie. C’est bon signe, signe qu’elle n’est peut-être pas finie.
Nous sommes partis en vacances avec un petit bandeau noir au bras. Le ruban minuscule de la mort soudaine d’une petite gerbille. Une des deux sœurs hébergées dans la chambre de ma grande fille, dans une cage olympique fabriquée en un week end à partir d’une vitrine IKEA, de planches et de grillage. « Combien de temps ça vit une gerbille ? » a demandé une copine la veille en jouant avec elles. « Oh deux ans et demi, trois ans ». 24 heures. Combien pèse l’âme d’un petit rongeur dans le cœur d’une ado qui lui a consacré tant de projets de bricolage créatif, tant d’heures de jeu ? Assez lourd pour se frayer un passage jusque dans ces lignes.
Recours éperdu aux textes essentiels : « Ma chérie, c’est le temps perdu pour ta gerbille qui l’a rendue si importante à tes yeux. Tiens lis le Petit Prince ! » (On va y arriver oui ?). Et par procuration, à mes yeux à moi. Comme j’ai été attendrie de te voir faire sécher des rondelles de carottes pour elles, construire des jeux en bâtons de glace et rouleaux de papier toilette, en papier (toilette) maché et farine mouillée (même aux temps de la disette) !
La mort a fait irruption soudaine dans nos vies la veille de notre départ. Décision à prendre chez le vétérinaire (cette décision tellement humaine que les médecins nous refusent). Ma fille a été exemplaire de maturité et de dignité. Dans la voiture, les gorges sont longtemps restées nouées.
Escale en Bourgogne. Restau (ça fait si longtemps qu’on rêve de manger français). Texto : « Marie est très malade ». Oh non….. Quelques jours plus tard : « C’est allé très vite, Marie est partie ». Marie c’est une amie de la famille depuis toujours. (C’est pour elle que j’ai simplifié le mode d’abonnement à ce blog. ) Vue de l’extérieur c’est une dame âgée dont l’heure est venue comme elle vient toujours à un moment quand on vieillit. Vu de près, de l’intérieur d’une affection, c’est une étoile qui s’éteint, une fée qui s’envole. Un pilier de nos cœurs qui nous laisse tous un peu orphelins. Surtout qu’elle était une grande amie de ma maman. Vous voyez ce que je veux dire, non ? Si je vous faisais un dessin ce serait un sourire et son reflet.
Aujourd’hui c’est son enterrement. Elle était très croyante alors, c’est son à-Dieu. Je pense à elle et aux siens. Je regarde le ciel, parce que peut-être, sait-on jamais… On ne se trompe jamais à regarder le ciel. L’infini autour de nos vies, ça fait lever le menton et redresser les épaules et des éclaboussures de bleu c’est toujours bon à prendre.
Comme si souvent, mon esprit me dit d’accepter ce départ et mon corps s’y refuse. Alors je lutte avec l’ange.
Je suis désolée de vous écrire ce billet sombre comme les pins noirs au-dessus de ma tête dans le contre-jour. Pourtant je suis assise sur un transat, les pieds sur la mousse sèche, l’ordinateur sur les genoux. Je commence à avoir un peu chaud, je vais quitter mon sweat.
Peut-être que quelqu’un quelque part, en lisant cela, se sentira moins seul (e). Je le / la salue.
L’été est une saison cruelle, hautaine. Elle glorifie des corps toniques bronzés et en bonne santé. La vie jeune, grégaire et sans souci. Elle élude les isolés, les esseulés, les malades et les endeuillés, les accidentés. Comment trouvez-vous ma nouvelle tristesse ? Me va-t-elle bien au teint avec ce début de hâle ? Et mes nerfs à fleurs de peau ? C’est comment avec les tongs ?
J’apprécie la météo de ce coin des Landes que lapent les pelouses si vertes du Pays Basque. Le soleil va et vient comme les vagues, comme les marées. Comme les averses et les orages. Restent les pins et le sable, sur la dune le parfum des immortelles.
La tristesse est plus supportable dans un sweat douillet, sous un ciel menaçant, quand il tombe quelques gouttes. Quand on frissonne aussi de froid. J’aime quand l’extérieur s’accorde avec mon intérieur, et de plus en plus j’apprécie la pluie, le temps mobile, variable, indécis. Il y a quelques années je râlais de devoir mettre un jean au mois de juillet… Aujourd’hui je m’y blottis avec délectation.
Je lutte avec l’ange et je me rends compte au fil des mots, en vous écrivant, que cet ange en ce moment, s’appelle tristesse. Je ne le savais pas en commençant ce billet.
Je me sentais en colère, survoltée, à bouts de nerfs, éreintée par tous ces mois de confinement au sens large, d’exil de ma vie et de moi-même imposé depuis tous ces mois. Privée d’amitié d’enfance et d’en France, de famille, d’eau où nager pour me défouler vraiment et me resourcer, de la possibilité d’une évasion. Les échanges cœur à cœur avec mes amies allemandes, artistes, m’ont apporté beaucoup, comme les promenades sauvages, et la chasse au trésor quotidienne des nouvelles floraisons. J’ai envie de tenir un journal de ces jalons en jupons de pétales et d’étamines. Mais la camisole de la quarantaine, même tissée dans la transparence de la raison et de l’universalité gêne aux entournures.
Depuis que nous avons enfin pu nous évader de notre quotidien pénitentiaire, nous avons traversé la frontière vers le sud. Avant de partir, j’ai pris soin d’écrire une lettre au stress accumulé en moi, en lui souhaitant une belle vie. AILLEURS. Bien sûr la pandémie et ses paniques nous ont suivies, mais avec un autre accent – c’est toujours ça. Et j’ai décidé de m’accorder des vacances. Comme si une mère pouvait connaître une vacance, sans parler de plusieurs…. Enfin, on ne risque rien à essayer.
J’ai donc lâché le clavier et beaucoup d’autres activités (du genre vouloir contrôler mes enfants). Embrassé la mission de regarder le vent dans les feuilles et le sentir sur ma peau et dans mes cheveux, me mouiller le plus souvent possible, faire du sport dans l’espoir de renouer avec mon corps et de ramener mon esprit à mes bons et loyaux services – ou en tous cas plus près de moi et de mes besoins.
En effet, dans ce no man’s land sans repères ni projets dans lequel nous vivons tous depuis quelques temps, j’ai bien peur de m’être égarée. Pourtant je continue d’écrire beaucoup, avec mon stylo-boussole, dans des cahiers de toutes les tailles et de toutes les couleurs. (Je ne sais pas vraiment les utiliser : j’en ai des tas, neufs et entamés. Aucun n’est fini, les pages blanches s’éparpillent dans chacun). J’ai rempli des tas de lignes sans avoir envie de publier sur ce site. Des bouts d’idées, des morceaux de paragraphes, des bouquets de mots et d’émotions.
Je voulais juste glaner ce qui me passait par la tête comme épingler les nuages de mon ciel sur une toile blanche avant qu’ils ne s’effilochent. Pour dépouiller mon méli-mélo silencieux, m’en souvenir lorsque j’aurais à nouveau envie de vous écrire et de partager.
Plusieurs sujets s’entre-mêlaient. Et je ne pouvais me décider pour l’un ou l’autre. Alors ils avançaient chacun tranquillement de leur côté. Pendant que je triais les calmars, ou désablais les tellines. Pendant que j’étendais le linge le long des doigts-de-sorcières rampant dans les aiguilles de pins. Pendant mes longueurs de piscine. Des petits germes, des graines de textes et d’échange.
Mais je refusais de m’approcher de mon ordinateur ou de mon téléphone. Un ras le bol violent des écrans et des réseaux (si peu) sociaux. Un besoin de couper, de me recentrer sur la vie réelle, de profiter de cette évasion tant désirée.
Hier je me suis dit, ça y est ! je sais comment je vais assembler mes petits bouts de puzzle. Je devine la forme qu’ils vont prendre. J’ai écrit une ébauche d’article dans mon carnet bleu turquoise.
Cet après-midi, j’ai fini mon roman après le déjeuner (délicieux les calamars, merci ! le roman aussi d’ailleurs), sur mon transat les pieds dans l’herbe et la mousse sèches. Je me suis levée, et suis allée chercher mon ordinateur dans l’armoire. J’avais éprouvé soudain le besoin de vous écrire.
J’ai ouvert mon fichier et j’ai commencé. Sans rien écrire de ce que j’avais prévu hier. Le carnet bleu turquoise est resté fermé. Les autres aussi.
Malgré l’intermédiaire de l’écran que je refusais, je ressens beaucoup de joie et un peu de cette paix fugace que je cherche depuis tant de jours avec ma natation et mon yoga quotidiens, grâce à ce partage avec vous.
Je vous en remercie.
Je vous souhaite un été dont les mélodies suivent parfois votre météo interne.
PS : Je vous prépare l’article dont je voulais vous parler hier. Il y sera question d’une huppe et de yoga sur la plage, en zone interdite. Et aussi du gâteau basque.
*En référence au livre de Jean-Paul Kauffmann sur le tableau de Delacroix, à l’église Saint-Sulpice à Paris.
Ah, et le roman que je viens de finir avec le sourire est Bienvenue au motel des pins perdus de Katarina Bivald.
Coucou Estelle,
Il est bien noir en effet ce post et tu as l’air tellement las et triste 😔 J’espère que tu vas retrouver la joie de vivre … 47 ans, c’est juste le milieu de la vie, il y a tant de belles choses à vivre et à voir !
Si tu as des envies de Savoie … la maison est grande et accueillante, la table simple mais bonne … et je serai heureuse de te revoir …. bisous 😘
Coucou Christine,
me voilà de retour derrière mon écran à Mainz, après de belles vacances.
Merci pour ton gentil message. Je ne dis pas non, je serai contente de te revoir !
je t’embrasse