Reprise des classes en pointillés pour l’une de nos filles, pas pour l’autre. On tâtonne derrière nos masques colorés.
C’est décidé, demain notre benjamine retournera à l’école. Les 4. Klasse (CM1, et dernière année d’école primaire) sont avec les dernières années de lycée les seuls écoliers à reprendre le chemin de la classe.
On s’est bien pris la tête, on a beaucoup réfléchi. On a d’abord refusé.
Pourquoi rouvrir les classes alors que le risque lié au virus n’a pas changé ? Que le télétravail est toujours obligatoire (pour encore plusieurs mois) pour mon mari ? Et surtout cela ferait-il prendre plus de risques aux membres de la famille ?
A table, lors d’une discussion, elle nous a fait remarquer, que sans école, elle n’allait pas parler allemand pendant encore trois mois. La grande en est ravie (“Ouf, c’est moins fatigant !”), mais la plus jeune non. Et tous ses copains allaient reprendre. Ah, la pression sociale muette…
Pour débuter au collège en août, autant mettre toutes les chances de son côté. Car si on lui refusait le retour physique en classe en mai, quel changement nous permettrait-il de l’envoyer au collège mi-août ? Y’aura pas de vaccin d’ici là…. Un peu floues ces décisions, comme les informations qui les alimentent.
Certes c’est mieux à tous les niveaux pour les enfants d’aller à l’école (et salutaire pour l’équilibre nerveux des parents et les relations familiales). Néanmoins, nous peinons à comprendre la logique de la réouverture des 4ème classes. Elles n’ont pas d’examen. Les établissements primaires proposent déjà des garderies d’urgence aux parents qui en ont besoin. Et les éléments de risque qui ont amené à la fermeture des écoles sont toujours présents.
Les conditions de reprise sont draconiennes.
Les classes (d’une vingtaine d’enfants) sont divisées en deux. Chaque moitié aura cours deux matinées par semaine. Le reste se fera toujours à la maison. Les différents groupes présents simultanément à l’école commenceront et termineront la classe de façon décalée. Les salles comme les cours de récré seront éparpillées dans l’établissement (heureusement y’a de la place et oui, plusieurs cours de récré).
Nous, les parents et notre fille, venons de signer un règlement intérieur de quatre pages . Il prévoit les nouvelles règles d’hygiène, l’utilisation de masques aux récrés (non les désinfecter au micro-ondes ou dans le four n’est pas une bonne idée), l’interdiction de se toucher et des jeux de balle, l’injonction d’aller seul aux toilettes (est-ce possible ça quand on est une petite fille ?), rappelle ‘’l’étiquette de la toux et de l’éternuement’’, précise que la circulation dans les couloirs se fera comme dans la rue, sur le côté droit. Suivre les scotchs par terre. Qui aurait cru que leur permis vélo obtenu cet hiver allait servir aux gamins à pied dans les couloirs ?
Toutes ces interdictions et injonctions faites à des enfants de 9-10 ans peuvent prêter au scepticisme amusé. Rappelons-nous qu’ils vont se retrouver après deux mois de séparation et de retraite forcée ! Et pourtant… Après avoir accompagné la classe de ma fille à plusieurs reprises pour des sorties scolaires, je crois assez au succès de ces conditions militaires.
Au printemps dernier, je suis allée avec eux à une visite de la ZDF (Zweite Deutsche Fernsehen), la deuxième chaine de télé nationale allemande dont le siège est à Mainz.
C’était une excursion à l’autre bout de la ville, en transports en commun avec une visite active des studios de production. Les enfants avaient préparé une émission de débats sur le thème des abeilles, avec script et attribution des interventions. Divisés en deux groupes, ils avaient tourné deux fois pour que chacun puisse jouer deux rôles : animateur, invité-interviewé, cameraman/woman, ingénieur du son, maquilleur/se etc… Au moins une douzaine d’employés de la ZDF s’étaient occupés de cette classe d’une vingtaine d’élèves. Pour leur expliquer le déroulement de l’enregistrement d’une émission, et leur montrer les studios. Puis pour les accompagner dans leurs réalisations et clore la matinée.
C’était fort intéressant. Mais ce qui m’a le plus impressionné c’était le comportement de ces enfants lâchés dans le tramway et dans un univers professionnel.
Celle de mes filles que j’accompagnais est mon troisième enfant. J’ai déjà participé à un grand nombre de sorties scolaires dans des écoles diverses et pour des âges variés. En France certes, mais dans des écoles internationales avec des gamins de toutes les nationalités. Mais ça je ne l’avais jamais vu.
Ces enfants (de 8-9 ans) avaient déjà intégré les règles de comportement en groupe à l’extérieur de l’école. Ils obéissaient à la première injonction. Déjà dans la rue, ils avançaient deux par deux jusqu’aux croisements. Tout en papotant, ils attendaient l’instruction pour traverser. Dans le tramway, ils sortaient leur snack et leur gourde quand la maîtresse leur disait de se sustenter. Rangeaient tout quand elle le leur demandait. Rien n’était resté sur les sièges.
Le plus épatant c’est ce petit détour de 30 mètres au départ. Ils ont choisi de suivre le trottoir pour rejoindre un arrêt de tram, au lieu de traverser une bande de gazon d’à peine deux mètres. Même adulte, ça me démangeait fort de couper. Si je l’avais fait, je pense que je me serais fait reprendre par un môme. Ça m’a impressionnée oui, mais aussi un peu effrayée. Une partie de moi avait une furieuse envie de leur montrer le raccourci : « Oh oh ! A votre âge les enfants, c’est par là ! » L’autre partie, maman accompagnatrice, se félicitait…
C’est curieux cette association dans des personnalités en construction d’un comportement discipliné soumis et d’une grande confiance dans les échanges avec les adultes. Avec les employés de la ZDF, les écoliers étaient à l’aise. Je l’avais déjà remarqué à mon égard en arrivant : les enfants allemands s’adressent aux adultes d’égal à égal. Ils ont des choses à dire, et ont l’habitude qu’on les écoute. Là dans une salle de réunion pleine, ils ont levé le doigt, posé des questions. Pour conclure, la maîtresse leur a proposé de donner aux techniciens de ZDF ce qu’elle appelle une ‘’douche chaude’’ (eine warme Dusche). Chacun s’est levé sans timidité encombrante pour aller remercier la personne qui les avait le plus aidé.
Chapeau maîtresse !
Au retour je lui ai fait part de ma surprise respectueuse. Elle m’a dit que je voyais le résultat de trois ans de travail avec sa classe.
Bien entendu, ce groupe-là n’est pas représentatif des enfants allemands en environnement scolaire. Mais de façon générale ici la discipline est acquise très tôt : personne, dès le plus jeune âge, ne fait ce qui est interdit. Rappelons-le (je n’en suis toujours pas revenue) : les portes de l’école restent ouvertes (grand ouvertes) pendant les récrés, même à l’école primaire, même quand la cour n’est séparée de la route que par une grille (peut-être pas partout, mais dans notre quartier en tous cas).
Les excursions avec la classe de ma fille me permettent donc d’avoir confiance dans l’organisation post-confinement de l’enseignement. La distanciation sociale devrait être observée même dans la cour de récré. En tous cas au début….
Les signes d’ouverture apparaissent par-ci par-là. Depuis ce week end, les aires de jeux sont à nouveau autorisées. Pour combien de temps ? Ces gosses sur des toboggans, derrières des rubalises déchirées ont quelque chose de doux-amer. On ne peut pas sauter au plafond de soulagement : là non plus les causes des fermetures n’ont pas disparu. Mais les consignes sont intégrées. Quand nous sommes passées devant des barres hier, ma benjamine qui adore tourner dans tous les sens et en a été privée pendant deux mois, a préféré renoncer : une petite fille était déjà à l’œuvre.
Donc un semblant de rythme extérieur nous est rendu avec ce retour partiel à l’école. Nous les parents allons garder notre mission éducative approximative trois jours par semaine pour la plus jeune. Notre grande ne remettra sans doute pas les pieds au collège avant la rentrée d’août. Les cours en vidéo conférence s’organisent. Nous aiderons pour les connexions et amadouer l’imprimante. Et lirons les nombreux et longs (trop longs, pourquoi si longs ?) messages envoyés par les directeurs d’école, les enseignants, le ministère de l’éducation du Land.
Nous mettrons et laverons les masques gais cousus-maison, puisque même s’ils ne servent à rien, ils peuvent sauver des vies. Et regarderons bien malgré nous de travers par-dessus le tissu, les museaux dénudés, soupçonnés aujourd’hui parce que différents.