Je rêve d’avoir mal à l’épaule gauche

Délai d’accès à la vaccination & fanatisme autour des tests rapides. C’est plus violent qu’on ne le pense.

Cathédrale de Trier

Voici un article commencé comme un billet d’humeur bref. Au fil des mots j’ai découvert que j’avais plus de choses sur le cœur que je ne le pensais.

Comme on dit en Provence, je suis colère contre la pandémie. Vous l’aurez compris. Je dirige mon ire contre ses parties émergées : la vaccination-mirage et la test-mania de mes concitoyens.

Je viens de lire un article de femmexpat.com sur la vaccination en France des Français résidents à l’étranger. Je me pose la question depuis qu’en France c’est open bar de l’injection (sous réserve de trouver un créneau). Seule la quarantaine au retour à Mainz a empêché mon évasion sanitaire.

Sur le site de Rheinland-Pfalz, je guette tous les jours l’ouverture des priorités. Des amies encourageantes m’avaient dit : « Sois patiente, ce sera pour juin ». Début juin, que nenni. Ça n’a pas changé depuis le 23/04. Les règles sont les mêmes : hors professions sensibles, priorité à tout le monde sauf aux non-salariés. Le message reçu n’est pas très valorisant. Si vous n’avez pas d’employeur vous n’êtes rien. Ne peut-on exister que par rapport à autrui ?

On n’est pas à un jour près non. Mais les choses se précisent : l’Espagne ouvre ses frontières aux touristes vaccinés. La ségrégation à l’immunisation ne fait que commencer. Peut-être qu’en août un tampon bien placé conditionnera l’exemption de quarantaine au retour de France ?

Bremm

En arrivant pour nos vacances dans la vallée de la Moselle nous avons eu la surprise de voir levée l’obligation de présenter un test négatif pour s’attabler en terrasse. Ça nous a permis de redécouvrir le bonheur de se faire servir dans un joli cadre. Le masque n’est plus obligatoire dans les rues. Juste entre le trottoir et sa table de restau. Beaucoup de naturistes du museau se promènent dans les quartiers très touristiques. Nous avons fait le choix de garder le masque, mais on refuse de se faire tester à tout bout de champ sans raison. Etre à l’intersection de trois pays permet de comparer les politiques et leur pertinence. Ou alors c’est juste mon côté indiscipliné : plus on me demande de faire un truc moins j’en ai envie.

L’enthousiasme ici pour le dépistage rapide est incroyable : les centres de tests drainent un monde fou. Ils ont germé à tous les coins de rue. Des mobiles dans des camions sont garés à côté des cabanes des producteurs de fraises. C’est trendy. « Tu le fais où ton test toi aujourd’hui ? » Nous avons rencontré hier une dame complètement vaccinée qui se fait tester tous les deux jours pour protéger les personnes âgées de son entourage. Honorable mais un peu excessif non ?

Trier : cathédrale et église Notre Dame
(et préfabriqué pour tests rapides)

Là, je me défoule une bonne fois pour toute, mais au quotidien c’est un sujet que je cherche à éviter. Surtout avec ceux qui bloquent sur la question comme des disques rayés.

Dans le petit village où nous avons logé en Moselle (Trittenheim, 1000 habitants), le jeudi férié de Fronleichnam (Fête-Dieu) il était impossible d’acheter du pain ou d’entrer à l’office du tourisme (curieux ces régions touristiques qui ferment pour les vacances). La queue devant la mairie pour le dépistage comptait des dizaines de personnes.

Bernkastel depuis le château

Nous avons fait une excursion à Bernkastel-Kues, un petit village couru du type Disneyland sur Moselle. Maisons à colombages pimpantes, ruelles du moyen-âge, grande roue et magasins de vin et de souvenirs (acheter des souvenirs ? quel drôle de concept quand on y pense. Un peu comme si on pouvait se donner des souvenirs les uns aux autres. Tiens si je te passe mon enfance, tu veux bien me filer ton adolescence ?). Sur le quai sous les platanes se trouvaient deux centres de tests, avec à chacun, bien espacés, une vingtaine de personnes. Pour manger dans les restaus ? Aucune idée. J’ai eu très envie d’aller interroger les gens qui attendaient. Pourquoi êtes-vous là ? Et pourquoi ne mettez-vous pas de masque dans la foule ?

Entre prévention et délire la ligne a-t-elle été piétinée ?

Schiste

Un soir, nous avons mangé en terrasse sur les bords de Moselle, le jour de la réouverture post-confinement d’un restaurant charmant. Nourriture délicieuse. Lumière douce, chants d’oiseaux et vue sur les vignobles avec au sommet une petite chapelle blanche visitée dans l’après-midi. Au pied du formulaire à remplir avec nos coordonnées, trois cases à cocher : test négatif / vacciné / immunisé.

Rentrer dans les cases encore ?

Moi qui me suis battue toute ma vie pour entrer dans des cases qui ne voulaient pas de moi… Cela me rend furieuse ce nouveau rejet social passif. Surtout quand on sait pourquoi je ne suis plus salariée aujourd’hui. Pour cause de burn out suite à maltraitance professionnelle.

Pour diner au restaurant pour la troisième fois en trois jours (yeah !), nous avons appelé à la dernière minute : la terrasse était complète. Il restait une table à l’intérieur et le restau a proposé de réaliser un test sur place. Ah ? La restauration est-elle intégrée au dispositif sanitaire ? Nos filles ont insisté. Je l’ai fait à contre cœur.

Je ne suis pas suffisamment motivée pour me rajouter encore des contraintes. J’en ai déjà pas mal à table. Manger avec ma fille ainée est depuis quelques mois infernal. Elle fait attention à son alimentation et nous abreuve de données. J’aimerais juste pouvoir profiter du moment et parler de sujets libres. Bref, diner et déjeuner en paix (pardon, j’ai pas pu m’empêcher).  Elle a tapé à la porte de la cuisine du gîte où je m’étais installée pour écrire. « Maman est-ce qu’on pourra emmener le chien ce soir ? » Ben voyons. Pour sursauter dès qu’elle gémit, être en hypervigilance pour qu’elle ne fasse pas tomber le serveur, et prévenir l’aboiement avec une friandise quand une moto passe ? Encore une contrainte ?

La salade de tomates seule dans la cuisine me semble de plus en plus appétissante. Je ferai la cuisine, le service et la vaisselle. Mais personne ne m’obligera à faire ce dont je n’ai pas envie. Ni me rappellera que je ne suis pas comme les autres.

Bon appétit

Finalement nous sommes allés en famille au restau. La serveuse nous a vendu quatre tests (5 euros pièce, comme dans les supermarchés – dans un centre, ça aurait été gratuit, mais on s’est décidé à la dernière minute après leur fermeture). Elle nous a installé à table puis finalement nous a demandé d’aller les faire ailleurs (bien volontiers hors de question de s’exhiber dans une posture aussi peu avantageuse, surtout que de procéder à un test in situ alors que tous les autres ont anticipé nous place dans une position sociale vulnérable). Dans le sous-sol, au fond du couloir des toilettes une petite table ronde nous a permis de déballer le matériel. Mon mari et moi n’avions jamais fait de test. Nos filles si, tous les deux jours pendant les quelques jours d’école puis en colonie. Je n’ai pas eu besoin de sortir mes lunettes pour déchiffrer le mode d’emploi : elles nous ont expliqué. Chacun y va de son curetage de nez. Au moins on le fait soi-même sans se perforer le cerveau.

Pendant les x tours à réaliser dans chaque narine, les filles comparent les différents dispositifs (en crachant, avec un coton tige plus ou moins épais…). La petite serveuse blonde habillée et masquée de noir est venue contrôler notre résultat. Elle a collecté nos déchets dans un sac plastique et nous a autorisés à monter à table. Quelques minutes plus tard, elle nous a remis quatre certificats imprimés, valables 24h.

Il m’a fallu un moment pour me détendre. Comment apprécier la sortie au restau quand on passe les premières vingt minutes à ne pas savoir où se poser et à se faire contrôler ? Je ne savais plus où j’en étais. Garder le masque pour manger ? J’ai dû trop me détendre, suis allée visage découvert au bar à salades. Me suis fait gronder.

Aux infos régionales dimanche sur le site de SWR j’ai appris avec soulagement qu’en Rheinland-Pfalz la vaccination était ouverte à tous les adultes à compter de lundi 7 juin. E N F I N ! Levée aux aurores, j’ai tâché de battre les Allemands à leur propre jeu : être la première à réserver (on peut toujours rêver, d’autant que les listes d’attente pour les groupes précédents ne sont pas éclusées).

Le site officiel noie le lecteur de détails. Ce que je prends pour un lien vers une page d’inscription télécharge en PDF le schéma du processus. Je ne trouve pas de lien. Je dois passer par Google pour accéder à la page souhaitée.

Ai-je déjà mentionné la passion germaine pour la paperasse bavarde ? Les informations administratives allemandes sont un labyrinthe (oui pire qu’en France, c’est dire). Une preuve : les sites officiels proposent (de façon fort intelligente d’ailleurs, étant donnée la proportion d’immigrés dans le pays) une version en langue simplifiée. Tout le monde n’aurait-il pas à gagner à se contenter de celle-là ?

J’inscris donc mes coordonnées avec un vrai bonheur (où se niche-t-il ces jours-ci) et réponds au long questionnaire médical (Avez-vous de la fièvre ? Euh, aujourd’hui non, mais si je suis convoquée dans un mois comment savoir ?). Inscription. Youp la boum ! Je recevrai d’abord un mail puis une confirmation par la poste. Par la poste ?

Rien n’est gagné. Quelqu’un de notre entourage a attendu 6 semaines entre son inscription et le mail de proposition d’un rendez-vous. Et il était dans le groupe prioritaire. Mon mari s’est inscrit depuis plusieurs semaines et n’a reçu aucune convocation. Dans 6 semaines commencent les vacances d’été : nous partons en France. Le casse-tête est loin d’être terminé.

Me voilà sur une liste d’attente quelque part dans la nébuleuse informatique. J’ai un numéro de matricule. Avec un bon mois de décalage sur la France, et deux sur l’Angleterre et mon impatience, je suis rentrée dans le canal commun.

L’attente sera moins violente.

Conquérir le monde

Révisions de géométrie, préparatifs de colo, et jardinage bruyant. (Et non, toujours pas de vaccin à l’horizon.)

Je suis trop heureuse maman, je vais faire ma valise !

La nouvelle vient de tomber : la colonie de cheval de mes filles pour les vacances de Pentecôte aura lieu. L’école est en demi-groupes, avec distanciation sociale maximum. La cohabitation de plusieurs minettes non lavées dans un dortoir est autorisée. Tant mieux. Côté parents, nous n’avons pas le droit de rejoindre le gite sur la mer du Nord réservé pour Pâques et déjà décalé. C’est un autre Land où le touriste extra-Land est interdit. La colo est en Rheinland-Pfalz comme Mainz. Ouf !

-Tu te rends compte on va partir. Ça fait si longtemps qu’on n’est pas partis ! Depuis octobre !

-Oui je me rends bien compte.

Assises toutes les deux à mon bureau, je lui explique les exercices de géométrie. Le devoir surveillé du semestre est programmé à la rentrée. Un seul au lieu de deux et des interros rapides. Faudrait pas le rater. C’est la championne de l’expédition rapide des devoirs pour pouvoir passer à autre chose. (Oui on peut aussi dire bâcler). Avec l’école à la maison, sans examen, on peut pas dire qu’elle ait beaucoup appris de leçons. Je ne l’ai pas harcelée avec. Je tâche de me protéger. Faut tenir sur la distance.

-Regarde. Un losange ça a quatre côtés égaux. En France on aurait mis un petit trait sur chacun des côté pour le visualiser. Si ça peut t’aider à te souvenir.

Ici ça n’existe pas, les petits traits.

-Et le carré, a les angles droits, y compris les diagonales. En France on aurait marqué les angles avec un trait carré.

(De rien, vous avez toujours rêvé de rappels de géométrie, je m’en doutais).

Ici non. A l’école primaire, c’était un arrondi avec un point dessous. Au collège y’a plus le point. Par contre tous les angles sont marqués par un trait arrondi avec une flèche au bout. Une flèche ? oui une flèche. Dans le sens inverse des aiguilles d’une montre svp. Je n’en vois pas l’intérêt. S’il y a des matheux parmi vous je veux bien une explication. Qui a dit que les maths étaient une discipline universelle ?

Elle gigote sur son tabouret. Se lève et danse dans tous les sens en fredonnant. Se rassoit.

-On va quand chez DM ? Pour la colo il me faut des Schnelltests (tests individuels pour le corona), du désinfectant, du shampooing en petite bouteille, tu sais dans le rayon avion.

-Oui je sais. En même temps en octobre vous vous êtes lavées une seule fois en une semaine. Oh oh je te parle. Le carré ? Répète.

-On va quand chez DM ?

-Qu’est-ce que je t’ai demandé ?

– De répéter. On va quand chez DM ?

Ça me semble super dur le programme de géométrie pour la 5. Klasse (CM2). Petit coup d’œil sur internet. Ah, ça a l’air d’être au programme en France aussi. J’ai dû tout oublier. Je lui explique en allemand parce que les mots français ne lui disent rien et ne lui serviront pas pour les interros.  Moi au passage j’apprends le vocabulaire. Ça me permet de réviser aussi le français. Voilà trente ans que je n’ai rien vu d’isocèle.

Sa trousse de toilette est prête. Elle déborde. Je parie qu’elle n’en sortira que la brosse à dents. Lever aux aurores pour pelleter le crottin, sortir les chevaux au pré, monter toute la journée, ranger le matériel et les animaux, s’amuser avec les chiens, sauter dans le foin de la grange, saluer les moutons et les lapins. Non, pas le temps de se laver.

Sceau de Salomon

C’est rigolo l’hygiène. Ici, j’en avais déjà parlé dans l’article sur les odeurs, les Allemands croisés dans la rue ne sentent pas le sale. A de très rares exceptions près, ils ont le cheveu propre. Lors de la visite médicale obligatoire pour les jeunes ados, (J1) j’ai abordé le sujet avec le pédiatre. Depuis que ma grande fille fréquente l’adolescence, elle a oublié les concepts inculqués depuis sa naissance : douche tous les jours. Sur un site anglais, j’ai lu :’’L’ado peut négliger son hygiène. Ça vous énervera à double titre : il squatte des heures la salle de bains et n’en sort pas plus propre’’.

Le pédiatre m’a répondu :

-C’est une question personnelle. Certains se lavent une fois par semaine. D’autres deux….

-Ah ?

Sans la regarder, je m’essaie à la télépathie avec ma fille : “Surtout n’écoute pas, on va rester sur notre règle familiale.”

Le rendez-vous J1 présente l’avantage de consulter le jeune par écrit. Deux questionnaires sont donnés en amont de la rencontre. Un au parent, un à l’ado. Dans la salle d’attente, la mienne était réfractaire à se dévoiler, même avec des croix dans des cases. Puis elle a cédé. Je me suis forcée aussi à aller au bout de mes inquiétudes par écrit. Ça nous a permis d’aborder les vrais sujets avec le pédiatre.

J’ai toujours l’impression que les médecins allemands sont pressés. Puisqu’ils ne font pas les tâches de routine comme peser, mesurer, prendre la tension, on les voit peu. Là, personne n’a vérifié sa vue ni son ouïe. Mais nous avons pu poser nos questions. A la sortie, toutes les deux nous nous sommes assises sur un banc dans le parc pour prolonger la conversation. Elle avait besoin de se remettre. Moi aussi de la voir émue. Je me suis revue en elle. En grandissant, les consultations médicales deviennent difficiles. S’approcher de soi n’est pas aisé.

Côté vaccin ça piétine dans la boue collante. En France mon fils de vingt ans est vacciné, un filleul de 21 ans aussi. Mes copines commencent à l’être. Ici le site officiel de notre Land est toujours très fier de nous rappeler (au 21 mai), les nouveautés du 23 avril. Tout le monde est prioritaire sauf les gens non-salariés de moins de 60 ans. Suivez mon regard. J’ai envie de faire l’aller-retour à Strasbourg pour de la contrebande d’épaule nue. Ça se rapproche un peu cependant. Mon mari a renvoyé un formulaire. L’objectif est d’avoir piqué tout le monde pour l’automne.

Si loin la liberté ? La campagne régionale pour motiver les gens à se faire vacciner va bon train. Na klar lasse ich mich impfen ! (bien sûr que je me fais vacciner) disent sur des affiches un médecin par-ci, une infirmière par-là, un sportif de Mainz. Certes, mais si on trépigne pour se faire vacciner que fait-on ? Une amie m’a aiguillée sur un site web Sofort-impfen.de pour trouver les créneaux disponibles dans sa ville. Bien sûr je me suis inscrite en liste d’attente. C’est une startup. Une initiative de jeunes dégourdis. Le système officiel ne le prévoit pas. Ou alors je ne l’ai pas trouvé. Le centre de vaccination dans un gymnase du quartier me nargue tous les jours. Si vous voyez quelqu’une faire un caprice devant, c’est moi.

Pour partir pour les vacances même sans s’évader, on a réservé pour quelques jours un appartement en Moselle allemande. C’est ce qu’on a trouvé de plus dépaysant dans notre Land. Autant dire qu’on ne va pas être seuls. Ce sera le week-end de Fronleichnam (Fête-Dieu ou Corpus Cristi), un jeudi férié comme l’Ascension. Ici on n’a pas le 8 mai ni le 11 novembre, mais on gagne le 3 octobre et ce fameux jour de mai. Promis je vous raconterai. La pente des vignobles permettra de réviser les angles. J’ai lu que le plus pentu d’Europe sinon du monde est là-bas (65°).

Je suis assise à mon bureau fenêtre fermée. Il fait toujours très frais. Et ça me convient bien. Je supporte de moins en moins la chaleur. J’ai besoin de froid pour rester présente à mon corps et ne pas partir en courant dans l’anticipation anxieuse à la suite de ma cervelle hyperactive. Cela dit j’aimerais pouvoir entendre le vent et la petite famille de cinq mésanges qui vient manger nos boules de graines. Les gros ados se perchent sur le rosier et chantent. Les parents fluets font la navette entre graines et bec grand ouvert de leur progéniture, à 20 cm. Curieux et passionnant.

Je ne peux pas ouvrir la fenêtre car des jardiniers de la ville s’activent en bas avec des outils bruyants.  L’un rase les gravillons avec une débroussailleuse pour couper de rares herbes de 10 centimètres de haut. Mon fils, chez nous pour quelques jours après ses partiels (youpi), me dit : mais il va faire un trou ! L’autre déplace les poussières avec un souffleur à feuilles. Y a-t-il objet plus absurde ? Faire du bruit, polluer et abimer le dos alors qu’un bon vieux râteau permettrait de faire du sport au grand air. Tout bénéf pour la santé publique. Aie un troisième vient de sortir le taille-haie pour étêter les arbustes déjà au carré. Quel dommage pour les roses jaunes. Je vais devoir vous laisser un moment pour aller me mettre la tête sous vingt oreillers.

Après les vacances on nous promet deux semaines d‘école en demi-groupes, puis un retour aux classes entières jusqu’à mi-juillet. Les courriers foisonnants envoyés par la direction du collège (les leurs et ceux du ministère de l’éducation du Land) entrent par tous les canaux pour nous expliquer les conditions. Sur Instagram une photo du club des élèves du collège nous informe en quatre points brefs (date1, date 2, tests, masques). Gardons espoir.

Ma plus jeune a le sourire. Pause de maths et sa valise est presque prête. Avec une copine du quartier elles ont trouvé un talus pour faire de la luge sur carton dans la boue et construire une cabane d’épines. Elle a préparé des gants de jardinage pour elles deux, enfilé un pantalon de rando déjà troué et une parka déjà sale. C’est la championne toutes catégories de l’organisation. Elle vient attraper une banane dans la cuisine. En l’épluchant elle me donne rendez-vous à 16h30 pour faire des maths, puis ajoute :

-Bon, c’est l’heure d’aller conquérir le monde.

A bon entendeur.

Retour d’école. Gaïa est sous la table.
Les priorités sont claires.

Concert virtuel

Quelle joie samedi matin ! Nous avons goûté ma grande fille et moi à un échantillon de normalité musicale. Un instant, nous avons cru à la liberté.

Sa prof de flûte a organisé un concert virtuel pour ses élèves en les filmant les uns après les autres dans une église déserte des environs de Mainz. Elle enverra à tous la vidéo complète. Elle nous a donné rendez-vous en fin de matinée.

Ma fille a préparé une humoresque de Dvorak et je l’accompagne au piano. Voilà plusieurs semaines que nous répétons notre duo, quand elle daigne en avoir envie à des horaires raisonnables. Elle rechigne à travailler sa flûte, refuse pourtant d’arrêter les cours.

La consigne était de s’habiller en tenue de concert. Nous avons fouillé dans notre garde-robe. S’habiller joliment ? Euh… voilà bien longtemps… Le pantalon noir serre un peu mais le chemisier de mes temps français est toujours chic. Ma fille porte un chemisier romantique blanc acheté ici par correspondance chez un ovni de la distribution, Tchibo.

Ils sont spécialisés dans les cafés. Mais commercialisent aussi une gamme hétéroclite d’habits, sous-vêtements, gadgets de saison, meubles, assurance dentaire et voyage organisé en Bavière. Au choix. Leurs boutiques proposent la consommation de café sur place. Les supermarchés ont des corners Tchibo (où l’on peut moudre son paquet de café soi-même) et la sélection du moment. Le rapport qualité prix est imbattable. Donc nous nous y sommes mis. Nos chaussettes et culottes arrivent dans un carton. A la dernière commande, il y avait aussi ce chemisier ravissant. Ouf !

Nous avons mis des chaussures (des vraies, avec même un petit talon pour moi), et nous sommes maquillées. L’aventure. Nous sommes parties toutes les deux avec nos partitions, la flute et les masques et j’ai paramétré le GPS. Les indications de routes allemandes avec un accent français sont drôles. Heureusement que nous étions deux pour comprendre parfois. Par exemple la sortie pour Nieder-Olm était lue : Nieder – O-L-M. (Heureusement que la dame ne nous a pas épelé Bretzenheim). Même la prononciation de ‘’Mainz’’ est à peine intelligible.

Nous sommes arrivées en avance et nous sommes garées sous les tilleuls. Les feuilles commencent à poindre. Un couple promène son chien. C’est un coin où nous sommes déjà venus pour déposer des jouets et des livres à l’Emmaüs local. Leur librairie d’occasion fort sympa, propose un rayon bouquins français et un autre pour ceux en anglais. Hélas, ils n’acceptent plus rien depuis ce que vous savez, faute de pouvoir l’évacuer. Nos jouets inutilisés s’empilent dans notre abri de jardin. Les livres lus vont dans les étagères extérieures du quartier en libre service. Ils ont beau ne pas être en allemand, ils partent vite.

En bas le Rhin

L’église où nous avons rendez-vous à Bretzenheim est protestante. C’est une construction moderne carrelée de blanc, dont le clocher séparé du bâtiment principal, s’élève comme un phare égaré dans une rue résidentielle (je n’ai pas eu envie de prendre de photo). A l’heure dite, la prof de ma fille (voisine de tapis de mon cours de yoga d’avant) vient nous chercher. Elle s’extasie sur notre élégance. Ouf, on avait eu un rappel de la consigne à la répétition de jeudi. Notre décontraction vestimentaire est peut-être plus grande qu’on ne le pense.

La pièce est à peine arrondie, moderne, le plafond plat et bas. Elle tient plus de la salle des fêtes que de l’église. Une baie vitrée s’ouvre sur un bout de pelouse émaillée de pâquerettes, ce qui permet l’aération de rigueur et une belle lumière naturelle. Derrière l’autel, une table haute et ronde, un bas-relief de visages en terre cuite brute et un vitrail jaune tout en hauteur. Dans un coin un petit orgue bleu roi. Pas de chaises. Tout autour de l’autel trois caméras sur trépied. Ma fille s’exclame : “Waouh ! j’ai toujours voulu savoir comment on filme pour la télé !”

Ce sont les caméras du pasteur. Il filme, monte ses vidéos et met le tout sur son site internet. C’est une paroisse très active nous dit la prof. Active et musicienne on dirait. Le piano à queue et les instruments entreposés dans un coin, guitare et trompette semblent être là à demeure. Notre hôte du moment filme avec son téléphone posé sur un pupitre, et enregistre le son en parallèle avec un magnétophone (on dit toujours comme ça ?) sur une chaise.

A moi le piano, à ma fille le pupitre à côté. Elle toute blanche, moi toute noire, comme les touches du piano. Elle accorde sa flûte (oui ça s’accorde une flûte je ne savais pas non plus) en tirant plus ou moins sur la partie de l’embouchure. Et c’est parti.

C’est intimidant de jouer sur un instrument inconnu. La résistance et le son des touches se découvrent au fur et à mesure. On adapte le geste en chemin, comme on suit la soliste. Je fais attention à la deuxième partie de ne pas faire un Forte trop fort : à la maison ça l’avait fait éclater de rire. Là elle me tourne un peu le dos, mais je crains qu’avec la légère tension de l’enregistrement, elle y repense. Rigolades interdites. La flûte n’autorise même pas un sourire.

Parfait dès la première prise ! Mieux que nos performances domestiques. On s’est bien appliquées, et on était très très motivées. On en refait une deuxième pour le plaisir. Arrêt au milieu, au moment du Forte. Je vous avais prévenus. Le sourire hilare sera coupé au montage. Ma demoiselle est ravie ! Moi aussi. Je lui dis : “souviens-t-en quand il faudra réviser tes morceaux ! La récompense est au bout.” Ce concert virtuel nous convient bien : le plaisir de jouer dans une belle salle, sans le stress des spectateurs et avec le droit à la deuxième chance. On s’est offert un bout de liberté. J’ai même eu le droit de jouer sans masque. Merci beaucoup à la professeur.

Retour à la maison, radieuses et fières. Ma choupette et moi on se fait des compliments : comme tu es belle, non c’est toi. Comme tu as bien joué. Toi aussi. C’est tellement différent de notre quotidien que nous n’en revenons pas. Le dernier concert datait de décembre 2019, on avait un peu cafouillé. La salle (c’est-à-dire le salon de la prof) était comble et nous stressées. C’était notre premier concert en Allemagne, on était un peu intimidées. Je ne sais pas si les autres élèves l’étaient aussi, mais eux ça ne s’était pas vu.

Côté musique, ma plus jeune révise pour l’école les nuances. Pianissimo, piano, mezzopiano, mezzoforte, forte, fortissimo. Et le solfège de la notation. Elle aura peut-être une interro. Je l’aide à retenir les termes italiens et leur explication en allemand, mais je lui explique en français. Elle s’en sort je crois. Mais qui l’eut cru ? La musique, comme les maths, n’est pas une discipline universelle. Par exemple, les notes s’écrivent avec des lettres. Oui mais non, pas tout à fait comme pour les Anglais.

Dans ma lointaine jeunesse, lors de ma première descente de l’Ardèche, j’avais été entreposée dans un canoé entre mon oncle barbu et une amie américaine violoniste. Deux mélomanes non polyglottes. Ils avaient trouvé un vocabulaire commun pour qu’elle comprenne l’intensité avec laquelle manier sa pagaie dans les rapides. FORTE il criait ! Nous n’avions pas dessalé.

Au retour de notre matinée musicale, nous avons déjeuné d’asperges achetées la veille. Le maraîcher était équipé d’une machine à éplucher lesdites asperges. Grande comme un piano droit, vitrée, les tiges y passent une par une, dans une succession d’outils parallèles, avec un tac-tac-tac régulier et sont expulsées dans un bac d’eau. Ça me fait marrer ! Je ne peux m’empêcher de penser que oui, nous sommes bien au royaume de la machine-outil. Alors j’ai fait ma touriste. La première fois que j’en avais vu, je n’avais pas osé.

-Madame chuis française, puis-je faire une photo ?

-Oui et même une vidéo si vous voulez.

Youpi ! Je vais pouvoir partager l’insolite. Si j’arrive à filmer… Pourquoi ma fille a-t-elle programmé le minuteur sur mon téléphone ? Sans lunettes, je tâtonne pour l’enlever. Yeah c’est dans la boite !  Et les asperges déjà prêtes à cuire, dans le sac.

Ce matin l’école a repris. Le collège a envoyé 2000 messages pour nous le rappeler. Trois jours pour les miennes, qui sont dans le groupe A, avant le pont de l’Ascension. Puis ce sera le tour du groupe B. Rabotage du nez lundi et mercredi matin, obligatoire. Et ensuite, après les deux semaines des vacances de la Pentecôte ? Ensuite on verra. Ce sera déjà ça. Ça fait drôle dans le couloir ce cartable prêt à partir. (L’autre sera prêt en partant).

Les vaccins avancent à pas de fourmi. Une copine m’a dit qu’elle était concernée. Moi quand je regarde sur le site web officiel je ne vois que les plus de 60 ans et les personnes à conditions particulières. Je n’ai pas déroulé la liste jusqu’en bas. C’est ouvert aux salariés de moins de 60 ans. Et ceux qui ne sont pas salariés ? Prière d’attendre. Sauf parait-il si on accepte le vaccin AZ (mais je n’ai pas lu cette info). Imaginez si pour les autres vaccins on choisissait le labo fabricant comme sur un catalogue de VPC ? Non, pas celui-là, l’autre. Il me va mieux au teint.

La procédure d’inscription est à l’avenant de toutes les informations covidesques : incompatible avec mon mode de pensée. Vais-je arriver à m’inscrire le moment venu ou vais-je devoir là aussi faire ma touriste ?

Mon mari vient d’être informé par son employeur qu’il pouvait s’inscrire. Il a des scrupules à prendre une dose dont quelqu’un de vulnérable aurait plus besoin. Il a aussi reçu en Angleterre dans sa famille un courrier pour lui proposer un rendez-vous de vaccination. Les Anglais dépotent. Moi j’ai eu un message de Doctolib. Le tourisme-vaccin c’est possible ?

Ce serait formidable. Il est temps.

Entendez-vous ce bruit ? Ce sont les coups de marteau sur les piquets que je plante autour de ma cervelle pour me protéger des informations. Ai-je besoin de savoir que le vaccin AZ est interdit aux vieux ? puis finalement aux jeunes et recommandés aux vieux ? Ah et puis non, permis pour tout le monde ? Que l’école rouvre, mais que puisque les règles ont changé elle referme ? Je prends les choses quand elles nous concernent et au moment idoine. Le reste je ne veux pas savoir. A quoi ça sert de faire la collection des volte-face et des contre-ordres ?

Hélas, les conversations téléphoniques me déversent dans l’oreille toutes les nouvelles que j’essaie d’éviter par ailleurs. Elles me les glissent sous la barrière. Le taux d’incidence des deux dernières semaines et en temps réel, les avantages comparés des vaccins, des tests, des politiques régionales… Pourtant je ne le demande pas à mes interlocuteurs. Mais nous n’avons rien d’autre à nous dire. Et à part ça ? A part ça rien. Ce serait perdre le peu de contacts même virtuels qui nous sont permis. Alors j’écoute en me nouant le ventre.

Avant de multiplier les contacts sociaux, attendons que la vie presque normale ait pris de l’élan et qu’on ait des choses à se raconter. Pour l’instant, dans le calme d’une maison sans école sur écran, j’écoute les martinets revenus.

Mainzer Sand

Frein d’urgence (périmée)

Ecoles refermées, mal-être enfantin, piano et graines de soucis

Dans le lilas, toujours chercher la fleur à cinq pétales

Mercredi dernier une loi a été votée pour permettre la gestion de la pandémie au niveau national. Une baguette magique pour renoncer au fédéralisme en cas de force majeure du genre pandémie âgée de 13 mois. Notbremsegesetz (loi frein d’urgence). Un peu rassie l’urgence tout de même. Cela vise à homogénéiser les approches dans les Länder. Désormais l’Allemand du Nord est bridé à la même laisse que celui du Sud. Le seuil de taux d’incidence (nombre de nouveaux cas d’infection pour 100.000 habitants) pour l’ouverture des écoles et autres commerces non essentiels a été abaissé à 165 (on n’est pas près de revoir les bancs du collège) et un couvre-feu a été instauré. A 22 heures. Avec une dérogation jusqu’à minuit si on est seul et/ou qu’on fait du sport. (Oui je sais. A quoi bon ? Je vous vois d’ici amis de France sauter sur votre chaise.) Deux tests par semaine obligatoires pour assister aux cours en présentiel. Là aussi ça va pas beaucoup nous gêner. Depuis mi-décembre mes filles sont allées deux jours et demi à l’école.

Mes informations sont sûres, c’est une copine italienne qui me l’a dit. Elle est passée à la maison avec sa fille qui apportait la liste des devoirs à la mienne, malade. Elles sont restées dehors à distance réglementaire. Nous avons échangé quelques mots pour le plaisir. Ça me fait drôle de parler allemand avec une Italienne. En même temps, nous ne connaissons pas la langue maternelle de l’autre. En leur disant au revoir, j’ai senti les larmes me monter aux yeux. Ça fait si longtemps que des visages amis n’ont pas sonné à la porte. En temps normal déjà c’est rare : les Allemands ne sont pas des champions de la spontanéité… Seule la voisine passe à l’improviste.

Marre de ce triste cirque. Depuis la rentrée virtuelle de janvier une de mes filles souffre régulièrement de périodes de maux de tête qui la clouent au lit. Notre petite fille gaie et sportive s’éteint d’un coup comme le barbecue dans le courant d’air. Couvre-feu à domicile. Le dimanche soir. Elle se rallume le vendredi midi. On a fait le siège chez le pédiatre. Aucun signe clinique. On a verbalisé mes angoisses. Dès la deuxième fois j’ai envoyé mon mari, avec la liste des questions en allemand. Je veux que nous soyons pris au sérieux, qu’ils discutent entre hommes posés. Quand mes enfants sont malades mon inquiétude crie par tous mes pores. Elle parle très bien l’allemand. Je veux que ma fille soit prise au sérieux et pas glissée en levant les yeux aux ciel dans la catégorie ‘’enfant bien portante, mère hystérique et française.’’

Donc pour la médecine, tout va bien. Sauf que ma fille souvent a mal. La Valse du Grand Bazar prélève sa dîme. Un jour à l’école. Ah non, changement de règle, tout le monde rentre. Scénario, 2 puis 3, retour au 2 (ne suivez pas, ça ne sert à rien, je ne sais pas ce que j’écris). La direction du collège transmet les courriers du ministère de l’éducation de Rheinland-Pfalz, et y va de ses looooooongues explications. Je clique deux fois par jour dans l’application du collège. Oui j’ai lu le message-fleuve pour nous dire d’ouvrir le courrier–rivière pour nous dire qu’y a pas école. Ça on savait. Les modalités on s’en fout, on comprend rien et ça change avec les courants d’air.

Je n’ai pas de girouette.

C’est tellement compliqué qu’une prof principale a eu l’excellente idée de nous envoyer ce week-end un mail complémentaire à ceux de l’établissement. « Les deux informations à retenir sont : pas d’école, et si oui, deux tests par semaine obligatoires ». Voilà. Deux lignes. Merci à elle.

A court terme, pas d’espoir de changement de rythme pour ma fille. D’abord lui expliquer le concept de l’inconscient : son corps exprime le ras le bol qu’elle ne verbalise pas. « Ça pourrait être ça mais tu ne le saurais pas. T’en penses quoi ? »

Ensuite la libérer de ses obligations familiales … certes mais comment ? En instaurant un tour de rôle dans la tente deux places dans le jardin de poche ? Fait encore trop froid la nuit. De toutes façons, j’y tiens pas. J’ai transplanté des pâquerettes sauvages dans la pelouse. Gänseblümchen. Les petite fleurs des oies. C’est pas charmant ? Je les chouchoute à coups de petites caresses et arrosage quotidien. Et de réorientation des grattages canins intempestifs.

Comment, sans pouvoir la renvoyer à l’école, restaurer la santé d’une demoiselle qui souffre sans le savoir d’être coincée entre ses parents et sa sœur bouillonnante (elle aussi en souffrance d’isolement), et de ne pas savoir quand elle pourra voir son frère coincé dans le no man’s land des voyages internationaux mais intra européens en temps de partiels masqués ? De ne pas pouvoir exercer son métier de petite fille : aller à l’école à vélo, jouer dans l’herbe avec ses copines, courir à fond avec la chienne (toujours attachée à deux laisses), manger en cachette des bonbons dans le placard (mais pourquoi est-ce que je garde les stocks inutilisés aux anniversaires d’hiver ?), laisser trainer ses habits sales sur la moquette ( ça, ça marche toujours), refuser de lire avec maman, négocier de regarder quelque chose le vendredi soir, poser trois dizaines de questions en moins d’une minute et n’écouter aucune réponse. Concocter des gâteaux imaginaires délicieux.

Mes filles sont comme leur mère : hypersensibles. Les griffes de la vie les égratignent plus vite et plus profond. Leur mal-être aigü alerte sur un malaise général. Les Anglais ont une expression douce-amère : canaris in the mine. Les canaris-alarmes des mines : quand ils meurent dans leur cage, il est temps pour les mineurs de sortir, l’oxygène est tari. Avis aux plans-plans de vaccination… y’a urgence pour les gosses. Vraie.

Ne dirait-on pas les méchantes pensées chantantes d’Alice au pays des merveilles ?

Vous serez ravis de l’apprendre, ça vous fera une belle jambe pour les shorts du printemps : ça y est je connais le nom des fleurs en allemand. Enfin, celles à qui j’ai été présentée et que je fréquente. J’ai pas fait exprès. A force de fouiller dans les pépinières et d’en réclamer au fleuriste, ma mémoire a cédé.

C’est intéressant je trouve de comparer les noms des plantes dans différentes langues. Ça montre des approches différentes en botanique.
Souci, Ringblume, parce que la graine rappelle l’anneau (ring). Wolfsmilch, l’euphorbe (lait de loup, cassez une tige vous verrez), aux couleurs et aux formes envoutantes, que je n’ose pas planter dans mon jardin en raison de sa toxicité. Le giroflée en anglais se dit Wallflower – fleur des murs. En allemand j’ai déjà oublié, je vais chercher. Mes semis de graines ardéchoises poussent bien dehors. Par contre, ceux de zinnias et de soucis commencent à s’étioler à l’intérieur. J’ai hâte de les planter au jardin, après les saints de glace, la lune rousse et avoir déblayé un coin de terre.

Dans deux semaines, ma grande fille jouera en concert dans une église. Elle travaille à la flûte une Humoresque de Dvorak, je l’accompagne au piano. Nous avons présenté jeudi notre travail sur Skype à sa prof. Les élèves joueront les uns pour les autres, sans autres spectateurs. Ce sera filmé. Le petit défi du moment : sortir bien habillée, en ayant dans les doigts le morceau, jouer sans répétition sur un instrument inconnu. Dans une église la sonorité est très différente d’une pièce aux volumes classiques, même grande. Un piano à queue (Flügel : aile, c’est joli non ?) aussi a un son spécial. Ouvert, les spectateurs entendent mieux la musique que le pianiste. En toutes circonstances, j’ai la trouille de jouer en public. Les regards me tétanisent. Depuis quelques années je me force, et je me débrouille pas mal, tendue et bouillante comme un arc en fusion. Je me planquerai derrière la flûte. Ne le dites pas à ma fille.

A la rubrique actualités familiales, je me suis enfin inscrite au registre des Français hors de France. Tout se fait en ligne. Bien sûr il y a eu un petit aller-retour administratif pour cause de justificatif qui ne cochait pas toutes les cases. J’ai attendu longtemps, d’abord par manque de motivation puis pour absence de photo d’identité. Pas de photomaton à Mainz. Chez le photographe le cliché coûte les yeux de la tête qu’il a immortalisée. Récemment, j’ai découvert que l’on pouvait se faire tirer le portrait chez DM, la droguerie / parapharmacie / épicerie bio sèche (graal des petites jeunes filles en vadrouille et de leurs mamans confinées) entre le rayon pâtes et les mouchoirs en papier. On ôte le masque un quart de seconde. Voilà c’est fait. J’ai une carte virtuelle qui me dit que son titulaire est placé sous la protection du consulat de France. Dans un sens bizarre c’est rassurant. Je pourrai voter aux présidentielles au consulat de Francfort. Mon fils m’a dit “Ah c’est vous qu’on attendra le soir des élections à 20 heures !” Oui. Enfin. Surtout les Français de plus loin. En matière de décalage horaire, même dans ces temps perturbés, de part et d’autre du Rhin nous jouons à l’unisson.

Changements minuscules.

L’Angleterre déconfine, la France va retrouver sa liberté de mouvement. Ici, le tunnel est toujours bouché. Nous n’avons pas de limitation aux 10 kilomètres. Comme nous n’avons nulle part où coucher ailleurs que chez nous, et que les paysages certes jolis restent monotones même à bonne distance de Mainz, nous renonçons à dépasser la demi-heure de voiture. Le frein on se le met tout seul. J’ai annulé un projet de rendez-vous amical à trois par respect de ce que j’ai compris des nouvelles règles d’urgence. Je me germanise dangereusement. Pourvu que je n’en vienne pas à reprendre des inconnus sur leur comportement.

Ma grande fille hier a été confrontée à une remarque abrupte d’un propriétaire de chien selon elle aberrante (Gaïa n’aurait pas le droit d’aller renifler les fesses de son chien couché). Elle est rentrée chamboulée. C’est la première fois qu’elle vit en direct la propension de certains à éduquer leur prochain à leur corps défendant (et ce même quand ils sont eux-mêmes dans leur tort). Elle me le raconte, en terminant avec un « mais enfin, de quoi il se mêle ? » (avec un vocabulaire plus fleuri, où il est à nouveau question de postérieur, inspiré directement de celui de sa mère puisque c’est le seul français qu’elle entend au quotidien).

-Quand c’est comme ça ma fille, inutile de chercher à discuter. Tu fais un sourire et tu t’en vas vite.

-Ouais mais j’avais mon masque.

-Peu importe. En y réfléchissant mieux, les gens agressifs ne méritent pas ton sourire. Pars en disant quelques mots en français. Tu l’entendras râler sur les Franzosen. Et tu sauveras ton humeur.

Ça c’est notre technique de frein d’urgence pour glisser entre les mailles du filet de la Hobby Polizei (la police des loisirs, comme dit une amie) et se placer sous la protection virtuelle d’une prétendue maladresse franchouillarde.

Je vais devoir vous laisser. Une poignée de sable m’attend. Au risque d’en prendre plein les yeux, je vais la lancer en l’air pour connaître le sens du vent.

Je vous le souhaite favorable.

Le Rhin par ici, c’est l’évasion. Les campings s’installent pour l’été. Ce sont des résidences secondaires temporaires (la zone est inondée l’hiver). La photo est un peu sombre, je n’ai pas osé trainer. Notez les transats bien placés.

Là où coulent les idées

Du rêve, de l’écriture, des tests rapides pour le corona à l’école, de la pression de la mère parfaite. Pot (pas trop) pourri (j’espère).

J’ai rêvé de vous.

Je me tenais dans une eau en pente, un bout de rivière sans rives, penché. Au-dessus de moi une branche de pommier. Je la regarde en me demandant : que vais-je pouvoir écrire cette semaine ? Je n’ai rien posté pour mes amis de plume ces derniers jours. Quel sujet aborder quand on tourne en carré entre ses murs ? Je ne vais quand même pas rabâcher que ben ma fois, on frôle l’ennui hein. Même ça on s’en lasse. A le lire. A l’écrire.

Puis un petit oiseau bleu arrive par le haut, une fleur blanche au bec. Un petit oiseau de dessin animé, joyeux. Il la pose sur la branche et s’envole. Quelques secondes plus tard le revoilà, avec une petite pomme rouge. Il la place sur une brindille. Oh, je dis, il a rapporté la pomme qui avait disparue ! Mon moi-en-rêve se frappe le front : « C’est ça qu’il faut que j’écrive ! »

Au réveil j’ai attrapé la scène avant qu’elle ne s’envole et l’ai posée sur le premier papier trouvé (un mini bloc turquoise Clairefontaine à spirale et petits carreaux, je n’avais pas pu résister à son nom, Pupitre) : « Blog – rêve- je ne sais pas quoi écrire – petit oiseau qui rapporte 1 pomme, 1 rose. Ecrire, pr penser, pr penser quoi écrire. »

Je passe plusieurs heures par jour à écrire. Quand je m’assois le texte coule tout seul. C’est loin du bureau que les idées jaillissent. N’importe quand. Tout le temps. Elles germent dans le ferment des écrits de la veille. Les meilleures idées, les plus lisses et claires m’inondent au réveil, dans cette petite fenêtre où la conscience prend contact avec elle-même. Là coulent les idées. Les yeux toujours fermés. Avant d’entendre le moindre son, de sentir la moindre odeur. Avant toute distraction du monde réel. Il faut les attraper d’un coup de filet à papillon pour les épingler avec des mots rapides sur un bout de papier.

Plus tard je les écris. Les mots tissent en phrases l’ombre du papillon avant de le laisser repartir. Je découvre ce que je pense. Quand je sais ce que je pense, je peux écrire. A nouveau, avec d’autres mots ou bien les mêmes. Vous me suivez ? Le brouillon me sert de sujet.

Ce matin j’ai repris ce rêve de mémoire. Il avait bien voulu rester en moi. Et quand j’ai repris mes notes, copiées intégralement ci-dessus, j’ai remarqué la différence : une rose, une fleur blanche. Ma mémoire avait associé la fleur et l’arbre et en avait fait une fleur de pommier. Peut-être parce que ces fleurs-là je les guette dans la nature. Les vergers de pommiers commencent à éclore. Dans leur version nue et grise de l’hiver, ils évoquent les vignobles de Champagne. Tout le monde au garde à vous. Rentabilité maximale. Les arbres sont plantés très près, taillés courts et vers le bas. Ce ne sont plus des espaliers mais des échelles étroites et trapues.

Ecrire sur un oiseau et une fleur, ça me permet de ne pas parler de l’actualité.

Du fanatisme avec lequel les Allemands se jettent sur les tests rapides sur le corona. Le ministère de la Santé fait de la pub. Bien sûr, il est toujours précisé que les erreurs de résultats sont de proportion très élevée. N’empêche. Maintenant on les trouve dans les supermarchés. 5 ou 6 euros pour ne pas se rassurer. Si le même enthousiasme était mis sur les vaccins (13% au 11 avril en Rheinland-Pfalz, la tranche des 60 ans commence à peine)…

J’ai demandé à des amis français pharmaciens si c’était la ruée sur ces tests en France aussi. La réponse a été lapidaire : non, nous on sait que ça ne marche pas. Ici, certains ne parlent que de ça. Tout le temps. De leur dernier test, de celui à venir. Le prélèvement comme activité quasi-quotidienne entre douche et brossage de dents. Avec à la clef, le petit pic d’adrénaline. Netflix n’a qu’à bien se tenir.

Les filles ont repris l’école mercredi dernier, jour de rentrée des vacances de Pâques, en demi-groupe. Il est prévu une semaine sur place avec le prof, l’autre à la maison avec des devoirs (sans video). Les élèves feront deux tests auto-administrés de corona par semaine en classe. On a reçu des mails, des alertes d’appli, des courriers du collège, des formulaires du Land.  « Ah super, a dit ma plus jeune, on va quitter les masques en classe ?! C’est malin. » Oui et si ton test est positif, on te posera dans une autre salle jusqu’à ce que tes parents piteux viennent te chercher.

C’est facultatif. Freiwillig. J’ai commencé par m’énerver. Non mais ils nous emm… avec ces tests qui ne servent qu’à brasser l’incertitude. Ces gosses, ils feraient mieux de profiter d’être en classe pour s’amuser avec leurs copains, pardon, apprendre. Pauvres profs ce qu’on leur demande encore…  Donc, non mes filles ne feront pas ces tests. Mon mari, plus posé, n’était pas chaud non plus. Puis finalement, pour des raisons différentes on a cédé. Moi à la pression supposée du groupe. Faisons comme tout le monde : c’est fatigant de tenir une position différente. Lui, scientifique, après lectures de données officielles qui précisent que plus la maladie est répandue, plus les tests sont justes (forcément : les coïncidences viennent au secours des statistiques). Bon si ça peut éviter quelques malades.

On a rempli le formulaire (avec ton numéro de téléphone hein, un numéro français, ça va dépasser des cases). Les filles l’ont rendu à leur prof principal. Les tests n’étaient pas encore livrés. Peut-être le deuxième groupe pourra-t-il le faire cette semaine ? Peu de chance pour les nôtres de revoir le collège de sitôt. Avant-hier mon amie de Cologne m’a écrit : lundi l’école à la maison recommence en Nordrhein-Westfalen. Une autre de Baden-Württemberg aussi. Trois petits jours et puis s’en va… Help !

Plus tard dans la journée alors que je farfouillais dans mon téléphone, le titre d’un article du Monde m’a interpelée : l’Académie de médecine alerte sur les tests dans le nez. Les prélèvements ne sont pas sans risques et doivent être administrés par des professionnels. Une prof de ma fille avait fait une blague : si le bout de votre bâtonnet est vert c’est que vous êtes allés trop loin, dans le cerveau. Quand je pense qu’on répète à nos enfants depuis leur naissance de ne rien se mettre dans le nez (ma plus jeune n’a toujours pas compris).

Intéressant d’être à la croisée de trois pays…. On pourrait croire que la médecine, discipline scientifique, de pays voisins, riches, et aux échanges libres (enfin, jusqu’à il y a peu) soit uniforme. Bien sûr la gestion de la pandémie relève aussi (trop ?) de la politique. Il n’empêche… L’interprétation de données d’études médicales semble relever autant de la culture locale que de la science. Vérité en deçà du Rhin, erreur au-delà…

Celle des règles diffère dans tous les domaines. Les photos envoyées par certains membres de ma famille française (suivez mon regard) sur leurs vacances, pardon, confinement, le confirment. “Mais si, je suis bien à 10km, enfin presque, disons, pas trop loin de chez moi. Là. Et là. Et ici. Non mais ça va je suis chez des gens vaccinés.”

Mouais.

Un autre article arrivé via une newsletter dans ma boite aux lettres m’a interpelée : le burn out de la mère expatriée. Ah enfin ! Depuis le temps que je suis abonnée à ce site sur la vie à l’étranger, c’est la première fois que je vois abordées ces difficultés spécifiques (et il a fallu attendre une pandémie qui met à plat tout le monde partout). C’était d’ailleurs la raison d’être de mon blog : partager les étonnements, les micmacs culturels et les difficultés. Casser les clichés. L’expatriation n’est pas que cocktails sur une plage paradisiaque (pas de risque en Allemagne je sais – bon en même temps la vie d’expat en Thaïlande je ne connais pas). La mère que je suis a beaucoup craqué au début entre paperasses administratives interminables en allemand et découverte du système scolaire, accompagnement pédagogique d’enfants qui ne parlent pas un mot de la langue d’enseignement. Je recraque à nouveau régulièrement sous la pression covidesque (et l’apparition simultanée de l’adolescence entre nos murs). Mais à la lecture de cet article je me suis félicitée. Ah y’a un truc auquel j’échappe : la pression de la mère parfaite.

Ce syndrome me touchait à Lyon mais pas ici. Il semblerait que les mamans expatriées le vivent et le fasse vivre à leurs consœurs de façon XXL. Ce sont souvent des mamans très diplômées, qui lorsqu’elles suivent leur mari à l’étranger (oui c’est encore souvent dans ce sens que ça se passe), privées de leur engagement professionnel, s’investissent encore plus sur leurs enfants. Elles se croisent à la faveur d’une école internationale ou d’un lycée français : la comparaison joue à fond, avec des repères nationaux. Prière de multiplier les activités des chérubins avec le sourire et tutti quanti…

Ici de ce côté-là c’est cool pour moi. Je n’ai croisé des mamans expatriées qu’une fois en trois ans, via le travail de mon mari, parce qu’elles avaient eu la gentillesse de m’associer à leur visite guidée de Francfort. Notre famille est plutôt immigrée : plongée tête la première dans la germanitude. Dans notre école de quartier, les parents que je croise (enfin, croisais) sont allemands. Or les Allemands redoutent de mettre trop de pression à leurs enfants.

Combien de fois ai-je entendu : « Oh là là, ça leur fait de grosses journées, jusqu’à 16 heures ! » (sachant que chaque jour, une heure d’étude encadrée par un professeur permet d’avancer les devoirs et qu’une ou deux après-midis par semaine sont consacrées aux AG, clubs d’activités, en France extra-scolaires et payantes, de grande qualité).

Les parents ne sont allés à l’école, eux, que jusqu’à 13 ou 14 heures. Une réforme a introduit les GTS (Ganztagsschulen : école à la journée complète, oui elles ont leur sigle) en raccourcissant la durée de scolarité d’un an (Abitur, bac, à 18 ans plutôt que 19). Notre Land, Rheinland-Pfalz a été le premier à créer des GTS dans son programme pédagogique en 2001. Aujourd’hui encore de nombreux collèges ont gardé la scolarité les matins seulement. On les appelle les G9 (Gymnasium -collège + lycée- en 9 ans, les autres sont les G8 : Gymnasium en 8 ans, comme en France).

Alors 16 heures…. Quand on sait que les repas du soir se prennent entre 17 et 18 heures… 16 heures, c’est le crépuscule. (Je me suis très bien adaptée à cela : je tire ma famille vers des diners de plus en plus tôt pour me libérer de mes obligations familiales et aller me planquer dans ma chambre. J’ai de plus en plus envie de grouper le diner avec le déjeuner).

Côté pression éducative entre parents ça reste soft (pour quelqu’un d’étranger en tous cas). Les petits Allemands ont des activités de musique et de sport, mais d’une part ils sont autonomes très tôt pour leurs déplacements (vélo, tram) et d’autre part ils ont du temps pour le faire.

Quand j’entends « Ah là là 16 heures ! » Je réponds, ben pour nous c’est cool. A Lyon elles allaient à l’école internationale et se tapaient une heure de trajet en métro le matin, puis le soir dans les bouchons avec le bus scolaire. Elles arrivaient à 18 heures au mieux à la maison, survoltées et épuisées (mais au fait des dernières musiques à la mode écoutées par le chauffeur du bus). Je leur faisais le décompte des gestes minutés dans l’ascenseur. Devoirs, douche, repas, éventuellement cours de flute ou de piano, travail de l’instrument. Le mercredi on courait à droite et à gauche dans le bruit et la cohue pour la danse ou la piscine. Je ne vous fais pas un dessin, vous connaissez. Leur mère tâchait de ne pas péter les plombs. Parfois même elle y arrivait.

Pour mes interlocuteurs ici, ça doit friser la maltraitance. Ils sont fous ces Gaulois.

Ici, j’ai tout lâché de ce côté-là. Le défi pour mes filles d’apprendre une langue, une nouvelle scolarité, et de se faire des amis était plus que suffisant. Ma jauge énergétique clignotait déjà dangereusement dans le rouge cramoisi. On n’allait pas en rajouter.

(Euh, en fait si, je me suis rajouté un défi impossible qui nous a gâché un temps la vie à ma benjamine et moi : tenter à coup de leçons décousues de conjugaison et de grammaire d’éviter qu’elle oublie son français. Quand on arrive à l’étranger en fin de CE1, l’orthographe est loin d’être acquis. Elle a consolidé sa lecture (ouf) mais pour l’écrit, j’ai lâché, de guerre lasse. On compte sur les cours de français du collège. Il fallait déjà qu’elle apprenne au plus vite à lire et à écrire dans une autre langue. Sans oublier non plus son anglais. Et que je retrouve une vie presque équilibrée.)

Vous voyez, ça fume un peu. Et c’était sans compter avec une pandémie.

Mainzer Sand

Histoire de prendre l’air, hier nous nous sommes promenées elle et moi avec la chienne Gaïa sur le Mainzer Sand (cette steppe de sable). On a vu un petit lapin, et évité de bouffer une joggeuse et un grand type habillé de sombre. Ma fille a des réflexes pour retenir l’élan de Gaïa. Je reste spectatrice, inquiète qu’il se passe un truc et que je doive intervenir. Elle me racontait sa joie de retrouver ses copines en classe. « On a fait du bruit en étude, le prof nous a grondées. Mais on avait trop envie de rire. » Elle met des mots d’allemand et d’anglais de partout. Moi aussi par flemme de traduire par une périphrase ce qu’une autre langue transmet avec un seul mot. Parfois, je lui donne la version française. Pas toujours, c’est fastidieux. Tant pis.

Les 26 lettres de l’alphabet ont des usages et des prononciations bien différentes de part et d’autre des frontières. Pourquoi en serait-il autrement des tests du corona ?

En Avril, reste dans ta coquille

Vacances de Pâques à la maison, comme à Noël, comme l’an dernier.

Ce n’est pas une surprise.

Chaque jour qui passait nous le confirmait. On allait encore être assignés à résidence aux vacances de Pâques. Privés de France et de dépaysement. La vaccination n’avance pas : les plus de 70 ans commencent à peine. Les communiqués du Minsitère de la Santé allemand misent tout sur les tests rapides, en précisant que seuls les résultats positifs sont sûrs, quand on a déjà des symptômes. Pour les négatifs, prière de prendre les précautions habituelles.

Pourtant, on a voulu y croire.

Nous avons réservé une colonie de cheval pour les filles. Elles se sont tellement régalées aux vacances d’automne, elles voulaient y retourner. Nous étions ravis de nous échapper en amoureux (bon presque, avec la chienne) dans une location sur la mer du Nord.

Les deux projets ont été impossibles. Bien sûr.

A Noël nous avions déjà réservé (puis annulé) un gîte en Forêt noire. Au cas où.

On a l’impression de faire un effort et de jouer le jeu du sacrifice à la pandémie : les vacances en Allemagne c’est pas notre premier choix. Mais sans frontière entre notre résidence et notre destination de congés peut-être pourrons-nous partir ? Oublions pour l’exercice que l’Allemagne est un pays fédéral et que les règles peuvent changer d’un Land à l’autre.

Un calcul naïf. Un mélange de déni, d’espoir, et d’ennui.

Si, si. Faisons comme si. Comme si tout était possible dans deux, trois mois. Réservons des vacances.  On y gagne une semaine d’évasion condensée en quelques minutes de clics.

Là regarde, ce sera bien ! Imagine les promenades dans les dunes de plages blanches ! Tu sens le sable qui glisse sous tes pieds nus et le vent dans tes cheveux ? Découvrir enfin la Wattenmeer, ces étendues immenses découvertes à marée basse comme dans la baie du Mont Saint-Michel ! Le gîte est dans une maison ancienne, sur un petit port où s’amarrent les bateaux de pêche à la crevette. Le phare rayé rouge et jaune se rejoint à pied dans les landes. On pourra peut-être prendre un ferry pour visiter le chapelet d’iles au large des côtes néerlandaises et allemandes. Ah, sentir la respiration de la mer. Voir l’horizon de près !

« On, pronom imbécile, mis pour celui qui l’emploie. » comme disait ma tante, institutrice en Provence. 

On a joué.

J’ai, tu as, il/elle a perdu.

On recommence.

Et les vacances de Pentecôte ? (Les vacances d’été commenceront mi-juillet : on a perdu les congés de février mais gagné cette coupure fin mai).

Nos corps vaccinés pourront s’échapper vers une grande braderie de destinations. Evadez-vous, y’en aura pas pour tout le monde ! Pour éviter les bouchons et la foule il faudra… rester en Allemagne, mais loin de la côte et des reliefs. A la maison quoi.

Non.

Pourtant, patientons avant de retomber dans le cycle fou de l’analyse de probabilités corrigées des données de vaccination et des destinations possibles sous conditions, suivi de la lecture du guide touristique un fluo à la main, puis du clic de réservation avec le petit mail de précaution (et si….).

Compte à rebours désenchanté. Déni jusqu’à la dernière minute. Colère.

Encore.

Là on a envie de dire des méchancetés à qui veut les entendre (et même à ceux qui ne le souhaitent pas), de faire payer à son entourage la monotonie des jours. De lui faire bouffer ce chien qui aboie de plus en plus. De vider un seau d’eau sur la tête des voisins qui passent leurs nuits de week-ends à boire de la vodka sur leur terrasse – c’est-à-dire sous nos fenêtres.

Quand on a vécu dans le grand nord de la Russie, le froid n’a pas de prise : ils font ça en toutes saisons. Un peu gênés et apeurés d’aller leur dire qu’ils nous emm… (c’est le monde à l’envers), nous avons sonné à leur porte. Monsieur a répondu avec le sourire : “Dites-nous sur le moment quand ça vous embête ! On ne veut pas que vous accumuliez de la rancoeur !” Bien sûr. Trop tard. Il n’y a rien de plus réceptif qu’un cerveau alcoolisé. Ils abdiquent toute responsabilité et nous transfèrent le rôle de cadrer leur comportement irrespectueux. Comme des gosses. Où sont les ”vrais” Allemands du quartier ? Ceux qui rappellent à leur prochain l’impératif de respecter les règles sociales et téléphonent à la police à 22h15 ? Dont le regard muet vous met au garde à vous ? Ceux qui installent des portes aux cagibis des poubelles pour que les immigrés franco-anglais du coin de la rue (nous) ne viennent plus y poser un petit sac de compost bien fermé. Ah ceux-là, quand on en a besoin….

Résignation.

Allez, il fait beau, on va pique-niquer. Les balades stimulent. On fait semblant de prendre l’air et on ramasse quelques miettes de dépaysement. Les alouettes égaient des champs monotones. Ça sent le miel et le chou. Des éoliennes dépassent au creux d’une forêt (c’est écolo mais qu’est-ce que c’est moche : ça ruine le côté sauvage de la campagne. Ici elles prolifèrent, peut-être pour se racheter une conscience d’abuser de l’électricité au charbon de la Ruhr ?)

Quelques poches d’épicéas verts résistent au milieu des squelettes de leurs confrères. Les sécheresses des derniers étés ont prélevé leur dû. Il faut enjamber des troncs à terre. Sous les conifères les flancs des collines ressemblent à des mikados géants. Les forestiers coupent, entassent, replantent des espèces résistantes à la nouvelle chaleur. Ça ne me surprend pas : j’ai toujours associé l’épicéa à l’altitude. Ici ils poussent (poussaient) en plaine. Quand j’en vois mon corps réprime un frisson inutile.

Puisque c’est la saison, plantons ! J’abreuve d’engrais les fleurs installées dans notre pauvre terre de remblais. Je sème et je repique. Inspirée par une amie dont les semis prospèrent je m’applique. D’habitude c’est free style. Incapable de résister, chaque année j’achète plein de sachets de graines. Je les éparpille dans tous les trous de terre libre. Puis je les oublie et j’espère… Un germe vert me comble jusqu’à ce qu’il s’étiole faute de soins précis. Seules les capucines et quelques cosmos pardonnent l’improvisation.

Cette année j’ai semé à l’intérieur des zinnias et des pois de senteur (ensemble par erreur), des soucis, de la bourrache aux étoiles bleues au gout de concombre, et des mufliers. Ils poussent à des vitesses très différentes. Les soucis s’étirent, les mufliers plantés quelques semaines plus tôt restent minuscules. J’ai éclairci patiemment. Ma pépinière de petits pots se tend vers la lumière. Comme dans les caves de champagne, je tourne mes protégés un peu chaque jour. Hier, encouragée par la chaleur, j’ai semé dehors, directement dans de gros pots, les capucines et les cosmos et une prairie fleurie. J’ai bien arrosé.

Bien sûr Gaïa aime fourrer son nez dans les pots. Que trouve-t-elle à y manger ? Elle rentre le museau plein de terre. Mes plantations semblent ravagées par de minuscules sangliers. Va falloir progresser en éducation canine si je veux donner une chance à mes fleurs.

L’info est tombée. La France aussi retourne à ses quatre murs. Ah on ne s’en lasse pas hein ?

Mon mari a repeint ceux du rez-de chaussée dont la propreté laissait à désirer. Moi j’ai passé l’aspirateur sur les murs (les araignées se sentent bien chez nous). La verticale ne m’arrête plus. Je suis toute folle : on a reçu les pièces détachées pour nos appareils électroménagers défectueux (aspirateur et lave-vaisselle) qui nous agaçaient à chaque utilisation. Le bonheur simple comme un coup de sonnette. Comme un morceau de plastique dans un emballage en carton.

Aujourd’hui vendredi saint, est férié. Les rayons oeufs des magasins du coin sont dévalisés. Au matin de Pâques les enfants allemands cherchent de vrais œufs colorés dans l’herbe. En prime bien sûr ils ont des chocolats et des petits cadeaux. Nous on est restés fidèles aux chocolats. C’est toxique pour les chiens. Où allons-nous les cacher ?

Dans l’actualité qui piétine, quelques changements rendent un bout de sourire. Les asperges locales ont fait leur apparition au marché. Encore chères, on attendra. L’ail des ours aussi (Bärlauch). Les cabanes de bois éphémères déguisées en fraises ont poussé sur les parkings. Même fermées, elles sont autant de promesses de renouveau gustatif. L’étalage de notre maraîcher compte beaucoup trop d’espèces de choux et de pommes de terre.

Nous avons fait notre première Grüne Sosse (sauce verte) du printemps. Cette spécialité de Francfort est cuisinée avec une quinzaine d’herbes fraîches (estragon, pimprenelle, bourrache, persil, ciboulette, oseille, cerfeuil…) hachées avec des œufs durs écrasés, une vinaigrette et un peu de crème liquide et de yaourt. Elle accompagne les pommes de terre ou la viande. C’est bon et ça fait faire un peu la grimace. Ça sent l’herbe fraîche coupée et le vinaigre. A la première cuillère, je me surprends à dire « Ça sent l’Allemagne ! ». Une touche de chou rouge mariné, de choucroute… Les Allemands aimeraient-ils bien l’acide ? Pourtant les cornichons (en français sur le bocal) que nous avons enfin finis hier étaient plus sucrés que piquants.

Le soleil s’est caché aujourd’hui, je vais devoir rentrer mon étendage. La météo annonce un plongeon vers des températures négatives et la neige. Fini l’été express.

Et maintenant on fait quoi ? On regarde pousser les graines ?

Allez, on réserve les vacances de Pentecôte. Il sera toujours temps de les annuler en fonction des informations-vaccinations-décisions. Alors les enfants on va où ?

Pour l’instant on ne sait pas encore. On encaisse la déception.

J’en reste là.

Je reste là.

Burg Eltz

Excursion près de la vallée de la Moselle, pour découvrir un château fort qui appartient à la même famille depuis 800 ans.

Pour m’évader de mes quatre murs, je me planque le soir au fond du lit avec une tablette (si possible celle qui marche). J’ai branché une rallonge à demeure pour la recharger. Mes colocs se chargent eux de la vider.

Je zappe entre Arte et la BBC (grâce à notre VPN nous pouvons faire croire au système que nous sommes en terre britannique sans risquer de choper de variantes exotiques).

Sur la BBC je ris devant les séries que j’adore même si je les connais par cœur. Je voyage dans le temps avec les films hollywoodiens des années 30, 40, 50… J’ai un faible pour Cary Grant.

Sur Arte je m’évade par l’Histoire. La violence humaine y est plus digeste édulcorée par plusieurs siècles. La vie des générations précédentes éclaire la nôtre. Ah, oui, c’est pas nouveau alors ce qui nous arrive. Dans le cocon d’une couette, la campagne égyptienne de Napoléon prend une allure de croisière sur le Nil. Depuis que je croise ses traces en Rhénanie, je tâche de combler mes lacunes sur cet empereur. Il est toujours passé au travers de mes programmes d’histoire. D’autres documentaires m’ont passionné : les recherches archéologiques en lien avec les textes de la Bible, le Versailles secret de Marie-Antoinette et celui, en deux parties, sur les châteaux forts.

Tourné entre France et Allemagne, il présente l’avantage de filmer des coins que nous connaissons au moins de vue (châteaux des gorges du Rhin). D’autres donnent envie de les découvrir de plus près, comme l’une des rares forteresses jamais détruite par la guerre : Burg Eltz.

Erigé au début du XIIème siècle sur un piton rocheux bordé sur trois côtés par un gros ruisseau, affluent de la Moselle, ce château niché dans une vallée boisée ne se laisse approcher qu’à pied.

Cédé dès ses débuts aux trois fils de famille, il a fait l’objet d’ajouts et d’aménagements pour héberger chacune des lignées. Le mélange de styles successifs, les tourelles et encorbellements, lui prêtent une allure de château de conte de fée. Le documentaire montre l’intérieur du bâtiment et l’interview du comte de Eltz, un des descendants du seigneur initial. Un monsieur très chic, en costume trois pièces, présente son château médiéval. L’anachronie est délicieuse. Peut-être à côté de sa berline noire parque-t-il un destrier ?

Même sur écran, la promenade dans le château est passionnante. Tout a une explication : la taille des fenêtres liée au coût du verre, l’emplacement des toilettes (en encorbellement pour des raisons de gravité), les peintures au mur comme distraction pour les longs mois d’hiver quand la vie à l’extérieur est limitée. Ces temps-ci bien sûr, le château ne se visite pas. Tant pis. Et si on allait le voir ? C’est à peine à une heure de route chez nous. Nous pourrions découvrir la vallée de la Moselle.

Et comment se sentir plus en liberté qu’à l’extérieur d’un château fort ?

Alors dimanche j’ai embarqué tout le monde (oui même la chienne) pour une excursion touristique.

La Vallée de la Moselle se dévoile par le haut. En virages serrés (soupir nostalgique, ah les Alpes) la route rejoint le niveau de la rivière. Un château fort en ruine à droite, un peu partout des bouts de vignobles accrochés à des pentes sévères. Le tout dans un camaïeu de brun. Le printemps n’est pas encore arrivé. Dans les plis d’ombre, les feuillages sont givrés.

La voilà donc cette vallée touristique, à la réputation internationale (pour le vin, et même pour le vélo on a des copains qui sont venus d’Angleterre pour y pédaler). Ce sont les gorges du Rhin en version intime et plus policée. Une rivière des villes, croisée avec un canal : elle sinue sagement entre deux routes et une voie ferrée. Peu d’arbres sur ses rives, pas de rapides. Des flancs de colline presque symétriques. C’est joli oui, mais à l’allemande : bien rangé, austère, avec beaucoup trop d’angles droits. Rien à voir avec les rivières ébouriffées de mon Ardèche ou même la large Dordogne.

Les longues pelouses vides et plates des rives aux panneaux marqués ‘’camping’’ nous narguent (on nous la fait plus, on sait que ce sont des parkings à camping-cars). Comme les enseignes de cafés et de restaurants fermés. Une boulangerie ouverte précise que le pèlerin de Saint-Jacques peut y faire tamponner sa credencial. Les nombreux hôtels et chambres d’hôtes fermés nous rappellent qu’en saison ça doit grouiller.

Nous traversons un petit village de vignerons, où les vignes hautes et verticales sur des pentes aigues faussent les perspectives. Au pas de course (il fait très froid) nous suivons les ruelles et un escalier-chemin de croix jusqu’à une église antique enchâssée dans la colline, sous le château fort en ruines. La peinture blanche des murs rappelle la chaux méditerranéenne. Les tombes noires très anciennes sont superbes. C’est à peu près le seul coin intéressant dans ce village pourtant signalé par le guide.

Pourquoi quelques habitants choisissent-ils de peindre leur maison de couleurs vives : jaune, bleu ciel, mauve, rouge ? Et pourquoi est-ce autorisé ? Certaines façades obligent à détourner les yeux pour éviter la nausée.

Quelques kilomètres plus bas, enfin, vers le Sud mais plus haut sur le cours de la Moselle (vous suivez ? je ne m’y fais pas à ces cours d’eau qui coulent vers le Nord), nous trouvons le panneau du chemin pour le Burg Eltz.

Comme pour toutes nos balades, il est presque midi quand nous partons et certains estomacs crient famine (tous). Le château est à 5 kilomètres. Après quelques virages le long d’une route qui serpente le long du ruisseau d’Eltz, un sentier s’enfonce dans les arbres. Pas avant d’avoir permis à nos filles de repérer le panneau du restau qui propose des frites à emporter. Au retour peut-être ?

Aucun bourgeon sur les arbres. Seuls quelques perce-neige nous saluent de leurs clochettes. L’hiver est toujours là. Pique-nique assis sur un tronc d’arbre au bord du ruisseau. Les filles ont préparé un festin. Personne ne trempe ses pieds l’eau en glissant sur les galets. Le chemin s’élève un peu et pour suivre par en haut le cours du ruisseau.

Quel bonheur de ne pas être chez soi ! Et de croiser des gens comme si de rien n’était. A notre grande surprise (après tout le château est fermé) il y a foule et personne ne porte de masque. Ma grande fille retient sa respiration à chaque croisement.

Après le dernier virage, le rideau est levé. La silhouette à la fois imposante et féérique du Burg Eltz nous domine à contre-jour du haut de son piton. Allez courage on y est presque. Zigzags entre les groupes, les couples qui se prennent en photo, attente pour traverser la passerelle. Après quelques lacets et des escaliers le sentier débouche sur la voie pavée d’accès au château, un pont fixe en pierre.

Il est vraiment superbe ce château moyenâgeux. Etroit de profil, large de face, les tourelles et flammes aux armes de la famille nous propulsent dans les livres pour enfants. N’étaient ces groupes de tricheurs accoudés au muret (une foule en tenue de ville, arrivée par un parking situé à 1500 mètres de l’autre côté de notre sentier d’arrivée) on s’attendrait à voir sortir un chevalier en armure. Je reconnais l’encorbellement de la chapelle, dont le documentaire a montré l’intérieur. En regardant mieux, on distingue un dragon.

La cour intérieure accueille un snack fermé.

La route qui s’élève en face du château, monte vers une tour en ruines. J’apprendrai plus tard, que c’est le vestige d’un château-donjon de siège : les seigneurs d’Eltz ont tenu le coup 2 ans. (2 ans de confinement, vous imaginez ? bon là y’avait de la place : j’ai compté 8 étages.)

Dans un creux de rocher en plein soleil il fait bon, je peux prendre des photos. Ma fille n’a de cesse de répéter qu’elle aimerait “trop y vivre dans ce château ! Non mais t’imagine, il doit y avoir une pière pour tout !” Un p’tit coup d’eau et on repart retrouver la tranquillité relative de notre sentier. Non pas de frites. On a des sachets de réglisses anglais dans la voiture, à peine périmés.

J’ai essayé d’expliquer à mes filles des bribes du documentaire : le château appartient toujours à la même famille depuis 800 ans. Je ne crois pas qu’elles aient écouté. Grâce à Gaïa la chienne elles ont marché très vite. C’est déjà ça. Nous sommes ravis d’avoir découvert ce coin du monde. D’avoir glissé un pied hors de nos oubliettes.

Quel documentaire nous inspirera la prochaine excursion ? Je vous entends me souffler, espiègles : l’Egypte de Napoléon. Ha, ha. A défaut, je rêve de voir les flaques de jonquilles sauvages dans le sud du massif de l’Eifel, (à l’ouest de Burg Eltz) mais c’est encore trop tôt.

En attendant, pour m’évader je retourne me planquer sous ma couette. Je ne veux pas connaître la décision politique qui sera prise aujourd’hui au sujet des vacances. Les chiffres du corona ne sont pas bons. Pourtant franchement, dans un gite on ne croiserait personne et au moins on serait AILLEURS. Et si on échangeait de maison avec des copains ? On découvrirait un nouveau chemin pour le supermarché et on s’occuperait des heures à essayer de faire fonctionner leur machine à laver.

Ou alors chiche ? On tente la lessive en rivière : je le propose au comte d’Eltz !

PS : avez-vous trouvé le dragon ?

Vivre et le certifier

Me revoilà aux prises avec l’administration, de part et d’autre du Rhin

Le long du Rhin, le nombre de kilomètres depuis le lac de Constance. A Mainz : 500.

C’est la saison, une saison décalée par le corona. D’habitude c’est avant la fin de l’année. Cette fois ce sera avec les giboulées. L’administration française me demande de lui prouver que je suis toujours vivante.

La première fois après notre expatriation j’ai été très surprise. Mais les services de la mairie de Mainz et moi, on s’en est bien sortis. La deuxième fois, l’an dernier, le système avait été refondu, centralisé pour ”simplifier” et surtout pour le pire. La plateforme anonyme ne mettait pas à ma disposition le document qu’un mail m’intimait l’ordre de faire signer au plus tôt (voir article : Bon sens (de l’humour))

Cette année, je me tenais prête, ticket de tram et carte d’identité dans la poche, pour aller demander à un employé inconnu de jurer, cracher, tamponner que c’était bien moi, là en face, derrière le masque. Pour ne pas rater l’échéance, je consultais régulièrement mon profil sur le site. RAS. Jusque-là tout va bien.

Puis un jour j’ai reçu le fameux mail me demandant de télécharger le formulaire. Il a été actualisé. Le document français avec, dans une police plus petite, des traductions multilingues (anglais, allemand, espagnol, portugais) s’est adapté au pays de résidence. Le mien ne porte des traductions qu’en allemand. C’est presque dommage de ne pas se sentir reliée aux autres Français de l’étranger par quelques mots.

Le document précise le 30/03 comme date limite de renvoi. Le site, qui héberge ledit-document, impose le 30/04. Tiennent-ils (ces ”ils” lâchement anonymes) compte de la pandémie qui affecte les pays différemment ? Dépêchons-nous on ne sait jamais.

Comment faire en plein confinement ? Si tous les magasins sont fermés, qu’en est-il des services administratifs ? Un p’tit tour sur le site de la ville de Mainz. J’écris un mail. Une dame me répond obligeamment : envoyez-moi une copie de votre carte d’identité et 6 euros et je vous fais le certificat de vie. Je m’exécute et lui envoie le formulaire français à remplir.

Dispositif efficace. Quelques jours plus tard, je reçois par mail et par la poste le document établi sur du papier à en-tête de la ville de Mainz, en allemand. Ravie de me libérer d’une formalité à si bon compte (lire : depuis mon bureau) et surprise que des services allemands soient aussi conciliants (après tout personne ne m’a vue en chair et en os). J’envoie le document aux services français, avec un petit doute : et s’ils (toujours eux) ne l’acceptaient pas ? Car même s’il a très peu de texte et surtout des chiffres (en gros, mon pédigrée), s’il est officiel et remplit la fonction, les en-têtes sont en allemand et surtout ce n’est pas le document demandé. On n’est pas à l’abri d’une crise de littéralité. Je clique tout de même. Dans le tableau qui récapitule les actions dans mon dossier, une ligne apparait : certificat transmis le 25 février, format papier. Papier ?

Ce qui devait arriver arriva.

J’ai reçu voilà quelques jours un mail sévère des services français : dépêchez vous d’envoyer votre certificat de vie sinon, sinon….menaces des gros yeux anonymes. En gros, vous disparaissez de notre système et il vous faudra montrer 12000 papiers et votre collection de pattes blanches depuis quatre générations pour pouvoir rétablir l’erreur due à votre ”négligence”. Pendant une heure, mon cœur a battu assez vite, je ne suis pas encore immunisée contre la connerie même sans visage. A mon âge, quand même…

Je réécris à la gentille dame, je lui demande s’il vous plait, Bitte, de recommencer en remplissant mon formulaire. Je veux bien repayer 6 euros ou 60, l’appeler avec ZOOM en gros plan et lui montrer ma carte d’identité, mon album photo de naissance, faire cracher toute ma famille et mon nouveau chien, n’importe quoi pour faire taire le Minotaure végan, assoiffé de paperasses virtuelles.

Elle voudrait bien mais elle ne peut pas.

Pourquoi ? L’histoire ne le dit pas.

Il me faut aller dans un bureau le faire établir en ma présence. OK du moment que c’est ouvert, c’est une excellente nouvelle. Je l’appelle pour vérifier qu’on s’est bien comprises. Je prends rendez-vous en ligne dans l’antenne de quartier qu’elle m’a conseillée.

Ce matin, je me prépare en avance. Avec toutes les contraintes coronesques, il ne s’agit pas de rater mon créneau de 10 minutes. Je vérifie douze fois que j’ai bien tout le nécessaire (le formulaire, le mail avec le numéro de convocation, la carte d’identité, celui déjà reçu – on ne sait jamais -, ma patience et mon plus beau sourire). Je mets tout cela dans un sac étanche, dans ma sacoche. Il pleut un peu. J’enfourche mon vélo.

En descendant, je longe le collège. Mon ado y est pour la matinée, trop heureuse de cette bulle de normalité. Les fenêtres sont ouvertes. Ça aère sec. Ils doivent se cailler nos jeunes. C’est un coup à attraper la crève.

C’est bien cette pluie pour mes plantations d’hier. Le petit vallon du Gonsbach est boueux, je sinue pour éviter les grandes flaques. Je tâche de bien rester à droite dans les virages, surtout dans celui sans visibilité. Les remontrances reçues il y a deux ans pour coup de guidon malencontreux sont encore vives. Comme quoi, à tout âge on apprend.

Quand le passage à niveau s’ouvre, j’emprunte le chemin qui longe les grands peupliers. Dans les roseaux gris, peut-être aurais-je la chance de revoir le martin-pêcheur ? C’est incroyable comme, habillé de couleurs éclatantes, il arrive à se camoufler dans un camaïeu brun. La semaine dernière avec mon amie simultanée, nous l’avons observé longtemps, sans oser bouger. A l’extrémité d’une branche on le distinguait à peine.

Dans la côte aigüe, je pousse mon vélo (j’ai un peu honte quand un monsieur me double en pédalant ; à ma décharge, je le pousse aussi à la descente tellement c’est raide). Derrière un grillage une poule blanche et noire se dandine. Sous un noyer, des scilles éclairent de bleu la terre battue. Quelques primevères sauvages jaunes pâles et pourpres émaillent le dessous d’une haie encore nue. Cette petite maison basse sur une pente de campagne au ras du vallon et de ses fourrés me fait bien envie.

C’est le chemin pour aller chez mon amie. La dernière fois que je suis passée, des travaux de terrassement avaient à peine commencé. Aujourd’hui trois gros immeubles ont poussé, ils en sont presque aux finitions. Si longtemps déjà ?

Je pédale le long de la route, talonnée par un bus. Je sais dans les grandes lignes où je dois me rendre, mais l’axe principal offre plus de repères que la piste cyclable dans le bout de forêt.

Virage à gauche. J’attache mon vélo à un réverbère. C’est là. Juste à côté de l’école primaire où nous étions venus il y a trois ans, mon mari et moi, rencontrer la directrice pour préparer notre futur déménagement. Accueillante et encourageante elle avait répondu à nos questions. Celle d’une autre école avait refusé tout net notre demande d’entretien, puisque nous ne savions pas encore de quel établissement notre logement allait dépendre.

La porte de l’antenne de la mairie est fermée. Un gardien à moustache et carrure d’ancien rugbyman vient m’ouvrir. La jeune femme derrière moi entre aussi. Nous nous asseyons dans le couloir d’attente, à trois mètres l’une de l’autre. L’employée appelle. On se fait des politesses. On est toutes les deux en avance. J’entre et je m’assois. En entendant mon nom, l’employée me renvoie dans mon couloir. Je suis trop en avance.

Me voilà sur la chaise face à elle. C’est une grande pièce, typique d’un accueil d’administration, avec deux bureaux, dont un seul est occupé, des armoires à dossiers mystérieux. Par la fenêtre, on voit la cour de l’école. Sur la table à ma droite, a été installée une petite nature morte de Pâques en figurines de lapins sur serviette en papier très verte. A gauche sur une commode, des rameaux en bourgeons, bien droits et attachés, tous de longueur identique, se dressent au garde à vous dans un verre. Quelques œufs miniatures décorés sont suspendus aux branches. Le tout est posé sur un carreau de gazon en plastique très vert. Une radio diffuse une musique de fond. Derrière un panneau de plexiglas, le regard de mon interlocutrice m’interroge.

C’est une femme de mon âge (jeune donc, hi hi) aux cheveux courts et noirs, au maquillage sombre. Elle est bien en chair et les manches retroussées de son pull dévoilent les tatouages de ses avant-bras. Je l’ai entendu discuter avec la cliente (peut-on dire cliente ?) précédente, elle m’a semblé être une amie de sa mère. Elle a l’air sympa.

Ça tombe bien. Il faut que je me la mette dans la poche. Je lui formule ma demande. Elle me redemande mon nom et me cherche dans son système. En Allemagne, chaque personne est répertoriée. Elle doit, à quelques jours de son emménagement, se déclarer auprès des services administratifs de son domicile (pour l’Anmeldung, inscription). Même si on déménage à trois numéros dans la même rue.

Elle ne me trouve pas. Cherchez donc au nom de mon mari. Ouf elle nous a. C’est une subtilité que les Allemands ne comprennent pas d’emblée : avoir un nom de naissance et un nom d’usage (de mariage). Ici les femmes choisissent et n’en n’ont qu’un. Ils soupçonnent une magouille. J’ai dû expliquer plusieurs fois que non.

Elle me demande de signer devant elle pour lui prouver que je suis vivante. Soit. Je pensais que ma seule présence suffisait. Pour témoigner de ma bonne volonté, j’ôte mon masque une seconde pour qu’elle me voie à visage découvert. Je suis ses mouvements pleine d’espoir. L’imprimante s’enclenche. NON ! Elle m’a refait celui que j’ai déjà et a été refusé. Pourtant je lui ai bien mis mon formulaire entre les mains.

Surtout rester polie.

Je lui précise mon besoin. Elle hausse les yeux au ciel quand je lui explique que les services français m’ont déjà refusé un certificat allemand. Oui je sais, je pense comme vous. Mais s’il vous plait… Elle le remplit et me le glisse sous le plexiglas. Encombrée de lunettes, téléphone portable (pour le mail de convocation), blouson, sacs, j’ai envie de filer au plus vite. Pourtant il est essentiel de bien relire, ce que j’essaie de faire sans tout faire tomber, ni passer pour l’emmerdeuse de service… Prenons un air détaché. Comment lui demander de remplir les deux lignes qu’elle a oubliées ?

Voilà. Un, deux, trois tampons. Ça m’a l’air complet. J’espère qu’on verra sa signature sour le cachet.

La radio diffuse un air que je reconnais. Qu’est-ce que ça peut être ? Ah oui. Joe le taxi. Joe le taxi ?

Je glisse le précieux formulaire, dans une, deux pochettes, dans un sac puis une sacoche. Vite rentrer avant la prochaine giboulée. Le scanner, le charger sous mon profil des services administratifs, cliquer. Zut. Trop lourd. On recommence. Et si je faisais une photo ? Non trop risqué : si le formulaire le propose comme mode de transfert, le site web le refuse.

Fichier léger. Clic. C’est parti. Le tableau me dit que c’est bien parti, par internet. Tiens, il y a du progrès. Oh et en haut de la page, une icône propose un conseiller à disposition. C’est nouveau me dis-je. L’an dernier ce site était un monstre sans tête, un gouffre sans issue. Pas d’adresse E-mail, de numéro de téléphone. Par curiosité, je clique : Erreur 404, la page n’existe pas. Ah, je suis rassurée. Les classiques ont la vie dure. Moi qui ai cru un instant que l’administration s’était inspirée de l’efficacité des services marchands.

Le compte à rebours a commencé. Les paris sont ouverts. Dans combien de temps vais-je recevoir le mail aux sourcils plissés qui me dira que quelque chose cloche ?

Une giboulée éclabousse ma fenêtre, derrière une plante de cardamome qui sent la cannelle. Je frissonne. Quelle chance d’être rentrée à temps ! Reprenons l’écriture là où je l’avais laissée avant de partir. Je ferme l’onglet de l’administration, et me retrouve sur celui du dictionnaire Larousse.

Ma dernière recherche : des synonymes pour ”se cacher”.

Tiny talk

L’école reprend en pointillés, mais le lockdown est prolongé jusqu’à la fin du mois.

On nous a repeint en couleur les barreaux de nos oubliettes.

Aujourd’hui 8 mars l’école reprend, à mi-temps, en alternance, pour une de nos filles. Pour la plus grande ce sera la semaine prochaine. La cantine reste fermée.

Les têtes pensantes élues ( ? ) souhaitent que tous les enfants retrouvent le chemin de l’école avant les vacances de Pâques fin mars. Après trois mois derrière un écran, laisser passer dix jours de congés, c’est courir le risque de devoir sortir le coupe-coupe. A moins que la reprise ne soit précipitée par les élections régionales du 14 mars ?

Il était temps.

Trois mois d’école à la maison (dont des vacances de Noël à domicile), avec l’impossibilité de se déplacer (hôtels et gites fermés, interdiction de voir plus d’une personne hors foyer à la fois) ça fait vraiment très long. Surtout quand ça s’ajoute à un an des contraintes que vous connaissez.

Cette année nous n’avons pas eu de vacances de février. Les dates de vacances changent chaque année, avec un roulement entre Länder. Le nombre de jours de congés annuels reste le même. Donc entre Noël et de Pâques nous aurons vécu trois mois sans pause, dans un quotidien qui bégaie, où l’on sort peu de sa chambre. Ça fait disque (d’antan) rayé. Supplice de la goutte d’eau. Un jour de Zoom après l’autre. Ploc, ploc, ploc….

Mais la vraie décision prise la semaine dernière est de prolonger le lockdown jusqu’à la fin du mois. Les coups de pinceaux électoraux pour nous faire patienter portent sur la possibilité de se retrouver à deux foyers, l’ouverture sous conditions des coiffeurs, libraires et magasins de bricolage. Les restaurants, gites, et hôtels demeurent clos, l’ailleurs reste un mirage flottant sur une route sans issue. Les milieux autorisés continuent d’interdire.

Nous n’avons pas de couvre-feu. Ni de limitation au kilomètre. Mais quand tout est interdit, le repli s’opère par défaut. Et là c’est vraiment long….

Le collège nous a transmis d’autres décisions du ministère régional de l’éducation (Ministerium für Bildung Rheinland-Pfalz) : les évaluations du deuxième semestre seront adaptées. Les élèves ne feront qu’un seul Klassenarbeit (devoir surveillé), au lieu de deux. Il sera organisé quelques temps après la reprise. Son poids dans le barème sera diminué par rapport aux notes de participation orale (toujours très importantes), et des interrogations écrites ‘’light’’.

Que le ministère régional de l’éducation mette à ce point son nez dans le planning des profs est une surprise. J’avais déjà découvert que chaque Land définit son propre programme scolaire, ses examens, édite ses manuels. Selon son lieu de passage l’Abitur (baccalauréat) n’est pas perçu de la même façon. Il parait que le niveau scolaire de Hessen (en face du Rheinland-Pfalz, sur l’autre rive du Rhin) est plus faible qu’ici.

Donc aujourd’hui quelques heures d’école. Un tout petit changement auquel accrocher notre fil d’espoir.

Tant mieux parce que côté vaccinations ça traine les pieds. Nous ne connaissons que quatre personnes vaccinées ou sur le point de l’être : deux mamies de plus de 80 ans et deux personnels prioritaires. (Un comble, non, dans la ville de découverte du premier vaccin ? c’est le syndrome du cordonnier). Il parait qu’à compter d’avril, les médecins pourront vacciner dans leur cabinet. Avec quoi ? Vu depuis notre tout petit bout de lorgnette, la France avance plus vite, mais l’UE reste loin derrière le Royaume Uni. Nos connaissances prioritaires y sont vaccinées depuis plus d’un mois. Un effet secondaire positif du Brexit ?

Le seul ? La semaine dernière je suis allée poster un paquet à ma belle-sœur pour son anniversaire. Je lui en avais envoyé un pour Noël. Pour gagner du temps, mon formulaire d’expédition était prêt. J’en ai une pile à la maison. La jeune femme l’a refusé et m’a remis une étiquette différente à remplir : le Royaume Uni est ‘’passé à l’international’’. Les îles britanniques ont levé l’ancre. Il faut maintenant s’acquitter des formalités de douane et déclarer la marchandise et sa valeur (Marzipan en anglais ? c’est pareil – pâte d’amande). L’expédition coute deux fois plus cher. Je suis repartie avec quelques formulaires vierges pour la prochaine fois. Le gain de temps sera encore plus considérable.

La poste, une sortie prisée juste derrière le marché, pour faire le plein de miettes d’échanges humains.

Ça craque un peu aux coutures. Surtout pour mon ado et moi. Alors on lâche. Dans un moment de fou rire nerveux, pour contrer les larmes toutes prêtes et les hurlements d’impuissance, ma grande fille et moi, calées sur le canapé, avons joué avec Instagram.

Je ne suis pas à l’aise avec les réseaux sociaux, comme je ne suis pas à l’aise avec les codes des rencontres sociales formelles. Pour moi le small talk c’est parler pour ne rien dire, et ça ne m’intéresse pas. Quand c’est la seule possibilité d’échanger, je me replie sur mon silence, et j’essaie de foutre le camp dès que possible, ou si, par chance, je croise quelqu’un avec qui ça colle, j’échange vraiment. J’aime les discussions profondes, intimes, les vraies questions, et les réponses authentiques. Je me connecte aux autres complètement ou pas du tout.

Même dans les situations formelles où la superficialité est de mise, les corps crient ce que les bouches taisent. L’ombre de cernes violets un peu appuyée, une main qui cherche à cacher qu’elle tremble, une mèche rebelle, une odeur qui trahit … tous ces signes bavards me sautent à la gorge, même et surtout ceux que leurs auteurs veulent dissimuler. Ça fait beaucoup trop d’informations, donc même cachée derrière un verre plein, je préfère m’éclipser au plus vite. Mais au moins, sous le verni social transparait la vérité. J’ai pu glisser un œil derrière les masques du bal.

Dans un réseau social, les masques sont bien accrochés. ”L’authenticité” travaillée. Rien n’est vrai. L’hypocrisie a noyé les apparences qui n’ont jamais été aussi trompeuses.

Le Grosse Sand (les grands sables)

J’ai eu une longue discussion avec mon fils étudiant en philosophie à ce sujet. Nous marchions sur le Grosse Sand, cette steppe protégée, avec des plantes de l’ère glaciaire et une zone d’entrainement de l’armée américaine ( ! ). La neige brillait au soleil dans un air coupant. C’était superbe. A chaque pas je me félicitais de pouvoir me souvenir, lors de ma prochaine balade, de cette échappée jolie avec mon fiston.

Je lui expliquais ma tentative de donner une vie à mon blog sur Instagram. J’essaie de rester en phase avec mon époque, même si elle court plus vite que moi. Mais dans le cadre que je me suis fixé : ne pas me dévoyer.

Il m’expliquait Instagram avec des mots savants. Il connait très bien pour avoir regardé des gens l’utiliser à côté de lui (peut-être les trajets en train entre Lyon et Mayence lui permettent-ils d’étudier des cas concrets de psycho-sociologie).  Je suppose qu’ils ont aussi analysé les réseaux sociaux en cours.

Je partageais ma déception et mon ennui. Je n’ai rien à vendre, je souhaite juste partager. Or trop souvent s’invite sur mon écran du bavardage pour ne rien dire, du small talk, hypocrite et vendeur. Oui m’a-t-il expliqué. Instagram ce n’est pas un réseau social, c’est un média. Un média bien particulier, qui ne parle que de ce qu’on veut entendre : une chambre d’écho.

Encore plus que dans la vie en 3D, le discours superficiel se cache derrière une apparence léchée et des mots convenus. Ce n’est même plus du small talk c’est du tiny talk. Pour comprendre ce qui se trame, il faut lire entre les lignes, en creux, dans ce qui est tu. Bien sûr, c’est très difficile et la motivation manque. Je veux bien faire l’exercice avec une amie pas vue depuis longtemps, mais avec des étrangers ? Je m’en contrefous. Le tiny talk très peu pour moi.

Combien de temps vais-je garder le compte de Mainzalors ? Les statistiques me montrent que le transfert vers mon blog sont inexistantes. Et pour cause…. J’écris et les clients de réseaux sociaux survolent des photos.

Avec ma fille donc on a joué avec cela. J’ai créé un post avec une photo de crottin de cheval en gros plan. J’étais ravie de cette acquisition pour mes rosiers : je l’avais récupéré le jour même dans une écurie. C’était mon bonheur de la semaine (eh oui). Donc j’ai écrit un texte avec en synthèse ce que je vous ai mis au début de l’article : les raisons de notre ras-le bol, qui sont aussi des informations sur la gestion allemande de la pandémie, sur l’état d’esprit des troupes. J’en ai conclu que nous n’avions ‘’qu’un mot à dire ou plutôt deux : caca boudin !’’ (avec un clin d’œil appuyé pour la petite demoiselle d’une amie). J’ai conclu avec des hashtags à moitié sérieux : #lockdownblues, #cacaboudin ….

Je m’attendais à avoir des commentaires sur l’humour du message ou le désespoir qui criait entre les mots. Et encore, pour éviter les jeux de mots super foireux (comme quoi malgré toute ma volonté d’authenticité à tout crin (hi hi) je tombe dans le piège des apparences) je m’étais retenu d’écrire : vous voyez la photo ? c’est comme ça que je me sens. Et je ne parle pas d’odeur, non.

Une Française qui vit en Allemagne m’a laissé en commentaire qu’elle aussi en avait assez des interdictions. Une amie un encouragement. C’est à peu près tout.

C’est sûr la photo est pourrie, j’ai cliqué vite fait en me marrant avec ma fille. Allez viens on va mettre un coup de pied dans le jeu de quilles.

En fait de coup de pied, c’était juste un battement d’ailes de papillon. Aucune quille n’est tombée. Personne n’a voulu arrêter de jouer et de faire semblant.

Une photo sans choc, ni poids des mots.

Pour l’instant je vais tâcher de ne pas mettre de masque. Je partirai plutôt.

Mais où ?

Chacun cherche son chien

Sauf moi. Pour adoucir l’adolescence confinée, nous adoptons le chien que nos filles réclament. Je n’en ai jamais eu envie.

Là, c’est MA place… enfin, c’était… (pratique pour poser ma tasse de thé ;o))

9h06, jeudi matin.

La maison n’a jamais été aussi bien rangée. Les sacs de vieux vêtements à donner qui trônent depuis trois semaines dans notre salle à manger sont enfin sur le départ. La boite sur laquelle des cristaux ont été mis à pousser – que voulez-vous, on encourage les expériences de chimie – a disparu de l’entrée. Les canapés sont à nouveau accessibles à des postérieurs : magazines et BD sont empilés sous une table basse.

Nous avons une inspection sanitaire / sociale / conditions de vie dans deux heures.

Une dame que nous ne connaissons que depuis lundi va venir ausculter notre logement et notre famille. Nous avons déjà répondu aux 58 questions du formulaire (ma fille a compté) sur notre lieu de vie et nos habitudes.

Elle va vérifier si nous pouvons accueillir un chien errant.

Et oui.

Nous y voilà.

Depuis trois ans la pression a monté (nous vivons désormais dans une maison, l’argument appartement ne tient plus). Nos filles nous ont fait plusieurs présentations dans les règles avec affiches documentées, slides (très professionnels), composition de chansons, de poèmes, de vidéos d’un quart d’heure au montage plein d’humour.

Les conditions de (sur)vie austères dues au corona (pas d’école en présentiel depuis mi-décembre – trois mois !!! -, autant dire, pas de copains, pas de projets, pas de sport, pas d’évasion) commencent à prélever un lourd tribut sur le moral. Notre ado file du mauvais coton. Sympa, elle nous donne son mode d’emploi : “I need a dog can’t you C ?” Nous avons cédé.

Elle a lu plusieurs livres, dont celui écrit par la dame qui an dressé le doggy Obama, et fait depuis des années des recherches assidues sur internet. Elle sait tout et initie sa sœur.

Au début elles nous ont demandé un chiot. Après réflexion (leurs parents sont décidément bien lents à la décision), elles ont préféré adopter un chien. Lorsque nous avons dit oui, ça faisait longtemps qu’elles savaient quelles plateformes de sauvetage d’animaux consulter. Identification des cibles potentielles en fonction de la taille, du caractère, du lieu de résidence actuel. Nous avons envoyé des mails, répondu à des questionnaires interminables et inquisiteurs.

Sans succès. La pandémie a suscité un engouement pour les toutous, même en Allemagne où on est libre de sortir sans prétexte (même sans destination ouverte). Peu de candidats à l’adoption. A chaque mail, les espoirs des enfants s’envolent puis s’écrasent à la réponse.

Pourtant, la semaine dernière, une dame nous a rappelé.

Elle habite à côté de Bamberg, à 250 kilomètres de Mainz (je vous entends penser : « Ah, ah ! » eh oui). Deux familles ont rendez-vous pour voir Cinderella, une chienne qu’elle a en garde depuis son sauvetage dans les Carpates voilà trois semaines. Elle nous promet de nous téléphoner si ça ne convient pas. Et miracle, elle a appelé – sans laisser de message. Nous la recontactons intrigués deux heures plus tard.

Elle nous propose de venir rencontrer cette chienne encore sauvage il y a un mois. Elle travaille pour un Tierverein, une association de sauvetage des chiens, en lien avec la Roumanie. Les animaux errants sont envoyés en Allemagne pour leur trouver une famille. Les recherches de nos filles montrent un trafic actif depuis l’étranger (Europe de l’Est, Portugal…). A Mainz nous avons même repéré sur un portail l’affiche d’une association qui sauve les chiens de Santorin, en pleine mer Egée. Une vraie niche… (hi hi).

Donc la dame nous a appelé au sujet de l’adoption de Cinderella. Elle veut aller vite pour que la chienne ne s’attache pas trop à elle. Elle nous explique les critères nécessaires de la famille d’adoption, nous pose des questions. Nos réponses semblent lui convenir, elle nous fixe un rendez-vous dès le lendemain. Ça tombe bien c’est Rosenmontag, qui reste férié malgré l’annulation du défilé de carnaval. Encore mieux, notre grand garçon est là et s’est pris au jeu canin de ses sœurs. Elles le consultent sur leurs trouvailles poilues.

OK on vient. On accourt. La famille trépigne, je ne sais plus quoi penser. Je me sens déjà pétrie de contraintes par le quotidien, privée de sorties et d’évasion (et encore plus en ce moment). Je n’ai jamais, au grand jamais eu envie d’avoir un chien. Je n’ai jamais regardé les chiens. Je me sens mal à l’aise en leur présence. Je les trouve sales, malodorants. Le seul chien que je fréquente c’est la posture de yoga (chien tête en bas).

Quand nous marchons dans la rue ma grande fille commente tous les chiens que nous croisons. J’écoute distraitement et lui signale les arbres et les plantes. Que ne ferait-on pas pour remonter le moral de ses enfants ?

C’est où Bamberg ? (Vous vous savez déjà, voir l’article Bamberg express)

Plein Est, en remontant le Main, la rivière qui traverse Francfort, et se jette dans le Rhin au niveau de Mainz. Je consulte à tout hasard le guide Lonely planet. Incroyable, ça fait partie des quinze destinations allemandes incontournables (avec Heidelberg, Berlin, la vallée du Rhin romantique…) ! Moi qui rêve de découverte et ronge mes quatre murs. Ah on va peut-être être copines Cinderella et moi…

Départ tôt, avec casse-croute et thermos de thé. Tout le monde s’entasse dans la voiture (pourvu qu’elle démarre ! le froid et l’absence de longs trajets éprouvent la batterie) et c’est parti. Mon grand garçon se tasse dans un coin et écoute un podcast. Il tricote une écharpe. Nous écoutons nos CD de Cabin Pressure, l’excellente sitcom radiophonique de la BBC (Radio 4), écrite par John Finnemore et dans laquelle joue un Benedict Cumberbatch d’avant Sherlock. Nous connaissons tous les épisodes par cœur mais continuons de rire et de nous régaler.

Au-delà de Francfort, on n’y est jamais allés : c’est le Far East.

Chez nous la neige a fondu, laissant des traces humides et blondes de sable du Sahara. (Ah, le Sahara … !) Mais au fil des kilomètres nous la retrouvons. La température baisse de plus en plus. L’autoroute traverse des champs et des forêts. Des panneaux monochromes nous indiquent la proximité de châteaux et nous signalent que Lohr-am-Main a inspiré Blanche-Neige (les lieux et personnages du conte des frères Grimm se retrouvent dans l’histoire et la géographie du coin, même le miroir qui ‘’parle’’). Décidément un voyage sous le signe des contes de fée.

Les filles nous donnent des conseils de comportement pour faire bonne impression. Nous sommes tous intrigués et tendus pour cet entretien de recrutement collectif. Et si on restait nous-mêmes, on n’a rien à cacher ?Enfin, vous non, moi faut que je fasse semblant. Une vieille habitude pour faire plaisir aux autres, dont je cherche à me séparer car elle m’a menée au burn out. C’est d’ailleurs tout le sujet du livre que j’écris en ce moment. Il va donc me falloir encore prendre sur moi, même chez moi ? J’ai des envies de me trouver un petit appart. La surpopulation entassée depuis un an n’aide pas.

Nous arrivons à l’heure prévue dans un quartier résidentiel de Bamberg où la route est nappée de glace et de neige. Silhouette d’un chien sur une plaque : nous sommes chez la responsable de l’association. Chacun met son masque. On sonne. La porte s’ouvre immédiatement. Une dame sans doute retraitée d’une autre vie professionnelle nous accueille. Masque, lunettes et cheveux blonds et courts, elle nous montre où accrocher nos vestes et laisser nos chaussures puis nous prie d’entrer dans sa cuisine. La chienne est là, allongée par terre.

Distribution de boissons et de consignes : s’assoir autour de la table et ignorer Cinderella. Elle n’a pas l’habitude de voir autant de monde d’un coup. Nous nous exécutons. De la musique d’échappe d’une radio. La dame nous parle de la chienne, de son sauvetage dans les Carpates, de son arrivée dans son foyer voilà trois semaines. De tout ce qu’elle lui a appris depuis : accepter un harnais, se promener en laisse. On sent la compétence et la passion, l’attachement aussi à ce petit animal presque sauvage qu’elle a commencé à apprivoiser.

Les autres famille candidates ne lui conviennent pas. Elle nous explique pourquoi (appartement) et nous demande les raisons de notre démarche, si cette chienne semble correspondre à notre souhait. C’est le moment de mettre en avant nos points forts. Nos enfants répondent. Leur motivation parle d’elle-même.

Cinderella, noire avec des extrémités blanches ne dit rien. Au bout d’un petit moment, un enfant a le droit de s’en approcher et de lui parler. Ce sont eux qui ont le meilleur contact parait-il. Ça tombe bien.

Pour faire connaissance, la dame nous propose une promenade. Elle monte enfiler des habits de neige, et nous laisse seuls dans sa cuisine avec le chien. La confiance des Allemands m’impressionne toujours.

Avant de sortir, elle nous montre comment utiliser deux laisses, dont une sécurisée autour de sa taille à elle. La chienne, craintive semble traumatisée par ses contacts précédents avec les humains. A la moindre panique elle s’enfuirait. La chaussée est glissante, nous obliquons sur un chemin enneigé qui longe un ruisseau. Sous les arbres, les dentelles transparentes de glace ourlent l’eau qui court. L’air coupe.

Nous sommes sur le chemin des chiens et de leurs maitres, la promenade bi quotidienne du quartier. Les distributeurs de sacs l’attestent. Pourtant personne ce jour-là. Il est midi. Sans doute trop tard ou trop tôt. La dame tient les laisses et discute avec ma grande fille. Au bout de quelques minutes, elle lui propose de s’en charger. Transfert de harnais et de cordes. Cinderella a un mouvement de recul. Les mains et la voix de la dame la rassurent. Elle accepte. Elle n’a pas aboyé.

Nous marchons le long des champs, à travers la neige. Mon fils aperçoit un lapin, je n’en vois que les crottes. La chienne n’a pas bronché. Pas non plus quand nous croisons un jeune berger allemand qui voudrait jouer avec elle. Ma vessie va exploser, mais je ne suis pas sûre que m’éloigner dans un bosquet de pruneliers quelques minutes nous fasse gagner des points.

Mes filles posent des tas de questions, écoutent les explications. Cinderella (Cendrillon) est le nom qui lui a été attribué sur un marché aux puces caritatif. Les passants sont invités à payer 15 euros pour soutenir l’association, en échange de quoi ils peuvent baptiser un chien. Ah, OK. Un enfant sans doute donc.

Nous revoilà devant la maison. Nous ne sommes restés dehors qu’une demi-heure mais nous sommes congelés. La dame nous propose de nous séparer là.

-Vous êtes une famille qui me semble bien adaptée à Cinderella. Calme, c’est ce qu’il faut. Les enfants sont très engagés et motivés.

Calme, oui, plusieurs fois par jour même, surtout quand on insiste. Motivés, on ne peut pas faire plus je crois. Comme m’avait écrit ma cousine en voyant les photos des expositions canines des enfants : « Avec une telle motivation, vous êtes foutus. »

On est foutu.

Cinderella a été on ne peut plus agréable, même si elle avait l’air transie de peur la pauvre au début. Les compétences de la dame inspirent une grande confiance. Attentionnée, elle ne veut pas ‘’caser un chien’’, mais la confier à une famille aimante pour toujours. Elle aimerait recevoir des photos de temps en temps. Et préfèrerait qu’on ne déménage pas trop vite en France ou ailleurs pour ne pas encore traumatiser la chienne.

La suite de la procédure d’adoption est très cadrée. Elle viendra nous voir avec Cinderella pour inspecter notre maison. Elle nous appellera (« Il faudra répondre au téléphone cette fois ! ») Pour cela nous devons remplir le fameux questionnaire en ligne avec questions sur le logement, la taille du jardin et la hauteur de la clôture. Avons-nous déjà eu des animaux, des problèmes avec eux etc… La sincérité des Allemands est inimaginable vu de notre côté de la confiance. Mon mari et mes filles consacrent presque une heure au formulaire.

Je m’interroge : comment se passent les adoptions d’enfant ? Ma fille blague : « Tu crois que quelqu’un va venir inspecter nos placards avant qu’on puisse acheter des pâtes ? »

Si ça va toujours, elle nous amènera la chienne pour de bon. “C’est mieux pour elle vous comprenez.” Cette dame nous propose de faire deux allers-retours en deux jours, cinq heures de route à chaque fois, refuse de manger avec nous (‘’mes deux chiens m’attendent chez moi’’) pour le bien être d’une petite chienne des Carpates.

Là, donc, nous les attendons. La maison est bien rangée (par les enfants). Nous sommes au garde à vous. Je suis sur le qui-vive. J’ai peur. Peur de ce changement de vie avec un animal, des contraintes qui vont s’empiler sur celles qu’on accumule depuis un an. Et qui déjà me grignotent par tous les bouts.

Si tout se passe bien on se reverra samedi. Et à nouveau dans quelques temps. L’association prévoit un contrôle post-adoption.

La première visite s’est bien déroulée. La barrière de notre jardin minuscule est assez haute et étanche. Le samedi elles sont revenues toutes les deux. La dame nous a donné une niche intérieure (pour la nuit), la couverture de Cinderella, plein de nourriture, un harnais à peine mangé et réparé, un corde à laisser accrochée à son collier en permanence pour la tenir au cas où. “Je ne fais pas ça pour tous les chiens que j’acclimate. Mais vous comprenez, sie ist mir ans Herz gewachsen ! ” (littéralement : elle m’a poussé sur le cœur ; je me suis prise d’affection pour elle).

Nous suivons ses conseils et partons tous ensemble faire une promenade, Cinderella attachée à notre fille.

-Je vais marcher derrière et je m’éclipserai discrètement. Comme avec les petits enfants. Et là je pourrai laisser couler mes larmes, nous annonce-t-elle.

Nous partons pour le tour du quartier, où les chiens tiennent en laisse leur maitre pour leur sortie hygiénique. C’est un crève-cœur cette petite balade. Mes joues se mouillent. La tristesse de la dame et celle à venir de la chienne me bouleversent.

Retour à la maison pour de bon. Avec comme instruction de ne pas faire de sortie pendant trois jours pour qu’elle s’habitue à son nouveau foyer. De toute façon pas le choix, elle a bouffé son harnais et nous devons en commander un autre.

Rester au calme ça nous va. Nous sommes épuisés. Les dix jours de cette recherche nous ont pompés émotionnellement. Une adoption c’est un gros engagement. Pas besoin de courir les magasins. Nous nous sommes déjà équipés à la grande surface pour animaux, de l’autre côté du Rhin, à Wiesbaden. La liste était prête depuis longtemps. Les yeux de nos filles brillaient, au dessus des cernes bleutés laissés par leur petite nuit pour cause d’anticipation joyeuse. Cette errance perplexe dans des rayons jusqu’alors inconnus m’a rappelé les achats de fin de grossesse.

En arrivant sur le parking, ma plus jeune fille s’était exclamée : ”Nous sommes dans le rêve dans ma sœur !” Toutes les deux rêvent d’un toutou, mais l’une beaucoup plus que l’autre. Disons que la plus jeune est contente mais s’en passerait sans problème. La grande ne pouvait plus respirer sans.

Nous voilà donc dans le rêve de mon ado. Nous lui avons offert une ligne de vie pour traverser les bouleversements hormonaux.

Moi mon rêve ce serait plutôt de bouffer mon harnais. Et je viens de me mettre une deuxième laisse. Ma fille m’a demandé : “tu ne fais pas ça juste pour moi maman hein ?”

Euh, si ma fille, si. J’ai toujours été très claire. Mais je vais tenter de l’apprivoiser moi aussi, ce petit animal traumatisé. J’ai proposé un nouveau nom, plus court : Gaïa.

Bienvenue donc à toi Gaïa, notre chien thérapeutique. Merci pour les sourires de mes enfants.