Ce matin, l’hiver a pris ses quartiers de printemps. Alors je profite d’être descendue en ville pour m’offrir une promenade sur la colline. Ça monte le long de la Gaustrasse. Le centre-ville de Mainz niché au bord du Rhin est plutôt plat. Mais il est entouré de quartiers légèrement vallonnés et là je me rends à son (modeste) point culminant, la colline sur laquelle a été construite voilà 1000 ans, l’église Sankt-Stephan (Saint-Etienne).
Le tram sinue au milieu de la rue. Nous sommes un matin de semaine. Le quartier s’éveille doucement. Peu de voitures. Encore moins de piétons. Il y a encore quelques années, ce coin n’était parait-il guère avenant et peu couru. Aujourd’hui la rue est bordée de commerces attrayants. A droite, la vitrine d’une petite librairie donne envie de pousser la porte. Je m‘arrête quelques instants pour regarder les titres. Une boutique pour enfants d’articles (utiles et colorés) faits main, des restaus de différents coins du monde (Japon, Ethiopie…), des coiffeurs (voir article : Au cheveu près), des cafés branchés, un magasin de déco trendy qui propose quelques plantes sur le trottoir. J’hésite à entrer. Non, un autre jour. Mon souffle s’accélère légèrement. Je m’enfonce à gauche dans une petite rue. Elle débouche au pied d’un mur en pierres sombres, en contrebas d’une place triangulaire plantée de vieux tilleuls.
La rue monte et longe le mur qui s’abaisse dans un jeu de ciseaux. Quelques larges marches (un pas d’âne ?) emmènent sur la placette. L’entrée de l’église est juste là. Elle s’ouvre dans un mur latéral, entre les troncs tout en branches noires. De la route elle semble presque timide, par rapport à la taille du bâtiment. En s’approchant, elle se fait métallique, cuivrée et prend de l’assurance. Elle devient imposante et force à lever la tête. A sa droite, les horaires des visites autorisées canalisent les curieux. Ils se pressent souvent dans le coin : cette église, pourtant quelque peu excentrée est un point clef du parcours touristique de Mainz. Elle abrite en effet des vitraux de Marc Chagall.
A la demande du curé de la cathédrale de Mainz, l’artiste, âgé alors de plus de 90 ans a réalisé lui-même huit vitraux à la fin des années 1970. Un symbole de l’amitié franco-allemande, de l’attachement judéo-chrétien et de l’entente entre les peuples.
Je pousse le battant droit de la porte. Il résiste, je dois me pencher un peu pour utiliser mon poids. La poignée en métal, en forme de poisson, luit d’avoir accueilli tant de mains. Je franchis le seuil. La porte se referme lourdement.
D’un coup je me retrouve au fond de l’océan. Les longs vitraux bleus inondent d’une lumière sous-marine la pénombre de l’église. Le soleil outremer joue sur les piliers sombres et les murs blancs, dans un kaléidoscope de reflets mouvants. L’oeil est attiré par les couleurs intenses des vitraux dans le chœur. Elles chantent l’espoir, la joie de vivre, la gaieté. Des personnages en mouvement flottent dans un ciel lapis lazuli, et content des histoires de la Bible : le paradis, la Création… Le regard espiègle de Marc Chagall séduit, sa poésie pétille.
Les vitraux latéraux abstraits, sobres, évoquent des forêts d’algues sous-marines. Créés par un maître verrier ami de Chagall, Charles Marq, ils complètent et mettent en valeur les œuvres du chœur. Leur camaïeu de bleus vaporeux guide mes pas vers les vitraux centraux. Le nez en l’air, la bouche et les yeux grands ouverts, je marche au fond de la mer et regarde onduler les laminaires laiteuses. Le grand bleu sans se mouiller.
Je m’assieds un instant et hume le calme solennel. Il irradie, visible, palpable. Une lame de plancher craque sous un pas. Le son résonne fort, longtemps et emplit tout le volume de l’église. Il amplifie l’impression d’habiter un instant un monde autre.
Je m’approche d’une table où sont proposées des cartes postales, des dépliants. Tout y bleu, bleu Chagall. Voilà plusieurs fois que j’entre ici, sans avoir jamais pris le temps de me documenter. J’achète un petit guide (en français) pour répondre à mes questions. Le monsieur qui me le glisse dans une pochette en papier me demande si j’ai vu le cloitre. Euh non, pas aujourd’hui. Et je ne me souviens pas de son accès. Là en face : poussez les portes, et la lumière sera.
Je m’exécute. Je passe une porte de verre, puis celle en bois, très lourde elle aussi. Et je suis éblouie. Le soleil de janvier est tout entier concentré dans ce jardin de poche, au milieu d’un cloitre. Un puits antique, de l’herbe, quelques rosiers nus. Je lis dans mon guide qu’il s’agit du ‘’plus beau cloitre de la Rhénanie-Palatinat, joyau par excellence du gothique tardif à Mayence’’ (j’ai bien fait de l’acheter en français). Je longe lentement le carré de l’allée couverte, toute en voûtes et croisées d’ogives ocres et blanches. Les plafonds sont émaillés d’armoiries et de symboles dorés et colorés. Là encore la lumière tient le rôle principal au milieu de ce décor de pierres. Les ombres des piliers, des porches sculptés jouent à cache-cache, répondent aux ouvertures où la lumière méridionale entre à flots.
J’ai l’impression d’avoir découvert un refuge, petit concentré replié de paix et de beauté. Comme le jardin du musée des Beaux-Arts à Lyon où j’allais parfois manger un sandwich sur un banc en regardant les oiseaux picorer.
Je quitte le cloitre à regret. A peine la double porte passée, le contraste me saisit à nouveau entre la lumière solaire extérieure et la pénombre liquide mystérieuse, les rayons outremer de l’intérieur du vaisseau de pierre.
Je m’assoie un petit moment sur un banc pour boire la beauté de la lumière de Monsieur Chagall. Je repense à ce film documentaire sur sa vie vu dans le musée de Nice. La Côte qui n’avait d’azur que le nom dégoulinait de toutes parts. C’était la mousson de printemps. Nous avions échoué en ville pour une parenthèse-plaisir d’art. Assis dans un amphithéâtre, nous avions découvert Marc Chagall en noir et blanc comme nous ne l’avions encore jamais vu : vivant. Avec son regard espiègle, son rire, son intelligence malicieuse.
C’est le moment de retrouver mon quotidien. A droite de la porte en sortant, un coquillage : les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle peuvent ici recevoir un tampon dans leur carnet. Je fais encore quelques pas sur la petite place Sankt Stephan, et jette un coup d’œil plongeant sur les premiers toits de la vieille vielle (Altstadt).
Monsieur Chagall a capturé la lumière du ciel. Prévoir de se ménager un sas avant de redescendre sur terre.
Cette église est superbe et le bleu lui donne une aura spéciale. Je ne connais pas Mayence et je suis contente de découvrir la ville par ton blog.
Merci ! L’église est magique et Mayence est une ville très chouette qui se dévoile peu à peu.
J’ai aimé la description.
Le temps d’une escale à Mayence, je ne pouvais rater les fameux vitraux. Les derniers de Chagall . Je fus éblouie par cet océan de bleu, tout en camaïeux. Je m’assis pour tout prendre dans mes yeux et en graver ma mémoire, car aucun livre, aucun documentaire ne peut saisir l’intensité des couleurs t’elle qu’on l’a vit face à ses œuvres sur verre. Ma première histoire d’amour avec Chagall fut la découverte surprenante de six panneaux rectangulaires en vitraux au Chicago Art Institute lors d’une de mes innombrables escales. En haut des grands escaliers avec la lumière juste derrière, en arrivant. Sublime! Ils furent déplacés quelques années plus tard à l’intérieur (?).
Merci pour votre retour et partage.
Si vous avez l’occasion de passer à Metz, la cathédrale a aussi de beaux vitraux de Chagall.