Ach so

Daddy, this Sunday it’s the portes ouvertes of the Tierheim. Can we go?(Tierheim : refuge pour animaux)

Voilà à quoi ressemblent les conversations chez nous.

C’est sûr maintenant nous commençons à voir le bout du tunnel côté expression linguistique. Lorsque nous sommes arrivés ici, nous étions tous les quatre bilingues français / anglais, certains plus que d’autres : l’anglais est ma deuxième langue alors que mon mari et mes filles ont deux langues maternelles. Ici en Allemagne donc, il nous a fallu nous débrouiller dans notre troisième langue.

Mon mari parle peu allemand et travaille en anglais, comme c’était déjà le cas en France, avec des gens du monde entier. Les Allemands ont de façon générale un niveau d’anglais excellent. Je me débrouillais bien en allemand en arrivant (grâce à une amitié de longue date), suffisamment pour nous dépatouiller et je continue bien sûr d’apprendre. Les filles savaient seulement compter. Elles parlent maintenant couramment allemand.

Le système scolaire germanique accueille les étrangers avec des cours de langue (allemand langue étrangère) systématiques. L’économie est ouverte aux immigrants (dans le tram, la société de transport de Mainz se vante de transporter chaque jour 200.000 personnes de 200 nationalités). Et tout le système suit. Des cours d’allemand sont également proposés pendant les vacances. Des cours de langue maternelle sont aussi offerts, car bien sûr, l’apprentissage d’une langue étrangère est facilité quand on maîtrise bien sa propre langue. (Bon pour les cours de français, ça n’a pas l’air possible pour l’instant).

Nous nous sentons donc moins isolés. Au collège notre plus grande reçoit des cours particuliers une fois par semaine, et notre plus jeune des cours collectifs tous les jours. Elles ont pu progresser très vite.

Néanmoins… cela ne se fait pas sans heurts ni travail.

Au début le soir en rentrant de l’école, les filles n’arrêtaient pas de parler. Et moi, je passais d’un silence assourdissant à une cacophonie en stéréo d’histoires différentes, avec beaucoup de : « Tu m’écoutes maman ? Eh tu m’écoutes ? je répète car tu ne m’as pas répondu ! ». J’ajoute que mes filles ont un débit d’expression très élevé et qu’elles n’articulent pas. En outre en raison des particularités linguistiques familiales, si on rate un mot / une phrase / une interpellation… on ne sait pas à quelle langue se référer pour boucher le trou. Epuisant.

AU SECOURS ! Laissez-moi respirer.

‘’ Mais maman on ne peut pas parler de toute la journée ! Il faut bien qu’on s’exprime’’. Oui bien sûr.

‘’Tu sais maman rien que d’écouter parler quelqu’un ça me fatigue’’. Et oui forcément. Une telle concentration toute la journée ça mange de l’énergie. Je peux comprendre. Adulte aussi c’est dur de jongler d’une langue à l’autre. Bien sûr c’est une chance extraordinaire de vivre dans un environnement trilingue. Mais les cerveaux fument un peu, comme le smartphone quand on compose sur un message avec la mauvaise langue sélectionnée sur le clavier. (Et si en plus, je n’ai pas mes lunettes, je n’ose pas imaginer ce que mes destinataires reçoivent.)

On s’était dit avant de partir : les filles sont bilingues, elles apprendront plus vite une troisième langue (c’est vrai). Et au moins dans les cours de français et d’anglais ce sera très facile. Là c’est faux pour les cours du collège (à l’école primaire les cours d’anglais ne sont que de l’initiation donc tout va bien). Comme notre grande n’avait jamais appris de langue étrangère, elle ne savait pas ce qui était attendu d’elle dans les exercices comme une traduction par exemple. Déception et surprise aux premières notes : tout était juste -linguistiquement – et pourtant les notes n’étaient pas à la hauteur. Et pour rédiger un devoir de français ou d’anglais, il s’agit d’abord de comprendre les instructions (le texte à traduire etc…) en allemand… Même dans ces cours-là pas possible pour elle de se reposer !

La langue bien sûr n’est pas seulement un moyen d’expression, mais aussi une façon de penser. Cette chance énorme de pouvoir s’exprimer en plusieurs langues dès un jeune âge représente également l’apprentissage de plusieurs visions du monde. Les filles vont utiliser le mot qui correspond le mieux à leur besoin d’expression, quelle que soit sa langue – pour profiter des nuances de chacune.

Cette compréhension est d’ailleurs un des aspects les plus passionnants de cette expérience. Car la langue du pays, même si on la parle reste une barrière tant que le mode de pensée local reste étranger. Développer son vocabulaire permet aussi d’exprimer ses émotions, ses idées, ses sentiments, ses questionnements. Car, comment peut-on s’exprimer pleinement avec un vocabulaire restreint ? Notre vraie personnalité peut-elle apparaître dans la deuxième ou troisième langue ? N’en manque-t-il pas un gros bout ?

Personnellement j’affectionne les blagues au troisième degré, les jeux de mots parfois vaseux et autres joutes de langage. Comment faire des blagues au troisième degré ‘’quand on n’est soi-même pas encore au premier degré’’, comme m’a dit mon fils ? (Il se trouve que les Allemands s’expriment plus volontiers au premier degré qu’à d’autres – contrairement aux Anglais friands d’autodérision mais ça c’est un autre sujet).

Adieu les blagues donc, restons pragmatiques pour se faire comprendre dans les grandes lignes. A court terme, on s’en accommode. Mais à la longue l’esprit s’épuise et se racornit de devoir toujours lutter pour s’exprimer, il se frustre de ne disposer que d’outils basiques. C’est peut-être aussi une des raisons d’être de ce blog : pouvoir s’exprimer et échanger dans sa langue maternelle, de façon un peu approfondie (on essaie, on essaie). En tous cas, plus approfondie que ‘’Ein Vollkornbrot bitte’’ (un pain complet svp).

Je constate avec un certain désarroi que l’étendue du vocabulaire diminue avec sa fréquence d’utilisation ; ma fille de 8 ans parle déjà presque mieux l’allemand que le français et l’anglais, et oublie le français… Son frère ne le croyait pas, et pourtant maintenant sa sœur s’adresse souvent à lui avec des mots allemands. Forcément, c’est ce qu’elle entend et utilise toute la journée. Hier soir elle regardait une photo : ‘’Là mon frère était 16’’ (avait 16 ans). Saint Bécherelle aidez-moi !

J’essaie à doses homéopathiques de l’aider à maintenir ses connaissances en français. Pour limiter les dommages collatéraux de la pédagogie familiale, j’ai cherché par le lycée un(e) étudiant(e) pour lui donner des cours. Faute de Français(e) de souche, une jeune fille allemande s’est proposée. Elle était l’an dernier en seconde, dans la section que l’on pourrait appeler bilangue français du lycée. C’était sa 6ème année d’apprentissage. Elle parle presque comme vous et moi. Incroyable. Y’a un mystère à copier dans l’enseignement des langues. Un indice, les collèges et lycées proposent des échanges linguistiques. Ma grande va donc partir avec sa classe cet automne.

A Paris.

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