Au cheveu près

Depuis que nous vivons en Allemagne je poursuis la quête d’un coiffeur chez qui je pourrais retrouver la coupe que j’aime.

Je regarde les têtes des mamans que je croise à la sortie de l’école, je scrute les chevelures hirsutes têtes en bas des dames du cours de yoga, les mises des demoiselles du tramway ou celles mouillées de la piscine. J’enquête auprès des têtes sous les cheveux que je trouve mieux coupés que d’autres.

La femme allemande du 21 ème siècle a les cheveux longs – ce qui relègue la question du coiffeur à une opération de désherbage annuelle, sans enjeu ni risque – puisqu’il s’agit surtout de longueur à raccourcir.

Celles qui ont les cheveux courts n’ont pas de coupe à proprement parler. Souvent même, leur aspect capillaire donne l’impression qu’elles se sont elles-mêmes coupé les cheveux. Avec une tronçonneuse. Dans le noir. Les coupes courtes sont dures, presque agressives, sans douceur ni féminité. Efficaces.

Je cherche un carré moderne, fluide, dégradé. Les cheveux mi-longs me désespèrent de banalité : tristement égaux, tous égaux (ou à peu près – car le carré malencontreusement dentelé se croise fort souvent). En fait de coupe de cheveux, il s’agit plutôt de la taille annuelle de la haie du fond du jardin. Ou si le coiffeur a tenté un effet, le carré plonge violemment là encore. Vu de derrière, j’observe -pendant les réunions de parents d’élèves où je ne cherche surtout pas à tout comprendre- deux tremplins de saut à ski, catégorie olympique – à peu près symétriques et qui se tournent le dos.

La subtilité, la douceur, la féminité des coupes de cheveux se sont envolées à la frontière. Saarbrück, terminus pour les plutôt gracieuses de la tignasse, tout le monde descend.   

D’après mon expérience très personnelle (quatre coiffeurs, dont la gamme de prix s’échelonne de 20 à 60€ la coupe) et mes observations (constantes car désespérément intéressées dans ma vie sociale) et mes discussions avec les copines, le coiffeur allemand coupe en 2D. Aucun dégradé, aucun effilage qui donne cette subtile souplesse de la chevelure qui fait que la coupe encadre le visage, et retombe en place quand on secoue la tête. Non les cheveux courts relèvent plus du heaume permanent, arboré bon gré mal gré. Les carrés longs non effilés gonflent comme des quatre-quarts avec 10 fois trop de levure, et me font penser au casque que ma grand-mère mettait sur ses bigoudis pour faire sa mise-en-pli. On cherche la ficelle pour écarter les rideaux quand on discute avec un visage perdu là au-milieu.

Bien sûr les femmes aux cheveux plutôt longs ont des coiffures douces, charmantes et féminines. Elles les font toutes seules.

Le problème vient avec les ciseaux.

Dans un moment de désespoir capillaro-germanique, je suis allée il y a 3 mois chez le coiffeur en France. Est-ce parce que je me suis longtemps épanchée pendant son travail sur le manque de talent des coiffeurs que j’avais croisé dans mon parcours teuton ? Quand il a posé ses ciseaux, je me suis retrouvée avec les cheveux extrêmement effilés ‘’Là vous êtes tranquille pour 3 mois ! » a-t-il conclu tout fier, en glissant ses outils à sa ceinture tel un cowboy satisfait. Oui, et même six, hein, vu qu’il ne me reste pas grand-chose sur le caillou.

Le temps passant, les mèches dans le cou et l’envie de franchir la porte d’un salon commençaient à me chatouiller. Donc ce matin, après un rendez-vous administratif peu agréable, j’ai décidé de m’offrir une séance chez ce coiffeur parait-il-très-bien, dans la jolie rue montante. Premier passage dans un sens, deuxième dans l’autre. Allez hop c’est décidé j’y vais. Tant pis j’annulerai mon rdv pris hier à Strasbourg pour coupe-balayage en terrain connu.

J’ai passé un très bon moment, calme dans un salon à la déco moderno-cosy en confiant ma tête à une coiffeuse sympa. J’ai même décidé activement de décrisper mes orteils et lâcher mes épaules et … de faire confiance. Elle m’a proposé de couper 2 cm partout. Très bien très bien. J’acquiesce. Ça ne peut presque pas être pire que cette coupe trop effilée filasse qui a repoussé. Je la laisse à son affaire. Elle m’explique que ça va prendre encore du temps pour que tous mes cheveux aient la même longueur (je ne me souviens pas lui avoir dit que je me les laissais pousser).

Après un temps beaucoup trop court à mon goût, elle attaque le brushing. Elle laisse la raie au milieu – nécessaire pour une coupe équilibrée, mais pour la coupe seulement. Je ressemble à la tente canadienne de mes années scoutes, après l’orage. Pour finir elle me tend le miroir. Je m’admire de face, de dos. Et je sens comme une crispation m’envahir. Ce que je vois en me levant au pied de mon fauteuil me confirme ce que je pressentais. Presque pas de mèches par terre. Elle n’a quasiment rien coupé. Pour que ça repousse ? Bref je suis partie avec un sourire doux amer. Ai-je été prise pour une nouille (spätzle) ? A combien revient le millimètre de cheveu coupé ? Finalement je n’aurai pas besoin d’annuler le rdv en France dans 2 semaines.

Avis à tous mes amis coiffeurs : venez faire des prestations outre-Rhin. Au prix allemand, vous serez ravis du voyage. Et moi aussi.

PS : coiffeur en allemand se dit Friseur. Un héritage de l’ancienne appellation française du métier. Un faux ami aujourd’hui, la bouclette n’ayant plus cours semble-t-il.

PPS : J’aurais dû me méfier. Lors du transfert de clefs de notre nouvelle maison, j’avais demandé à notre propriétaire, une jeune femme à la coupe au carré stylisée charmante quel coiffeur elle me recommandait. “Oh je vais en Syrie. Ici en dix ans je n’ai pas trouvé.” Précisons qu’elle est syrienne et qu’elle en profite aussi pour voir sa famille. J’ai cru qu’elle était d’une exigence exceptionnelle. Mais sur le moment c’est autre chose qui m’a interpelé : “Ah bon, on peut encore se rendre en Syrie ?” “Oh oui, il y a même des fêtes et des mariages’‘. Tant mieux pour ceux qui peuvent continuer de vivre. Je ne lui pas demandé l’adresse.

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