Comme un mois de décembre

Marché de Noël de Mainz, souffrance des ados et anniversaires mi-décembre.

Prenez un manteau chaud, des chaussures confortables, un bonnet, votre téléphone avec votre pass sanitaire et votre carte d’identité. Je vous emmène au marché de Noël de Mainz.

Ça vous va si on se gare derrière le théâtre ?

Tous les pas se dirigent vers le grand sapin de Noël. A ses côtés, sous des spots qui passent du rouge au violet, le Staatstheater entre en scène spectral et vaguement menaçant. Des lumières projettent sur le sol le portrait de Gutenberg, un message de bon noël, et les Rois mages avec la distanciation sociale de rigueur.

Dans le sud de l’Allemagne, plusieurs marchés ont été fermés pour raison sanitaires. A Mainz, pour l’instant il est ouvert. Un système malin a été mis en place : attribution après contrôle individuel d’un bracelet de couleur. Il s’obtient soit à l’entrée principale, au pied de la cathédrale, soit dans de petites cabanes des rues commerçantes. Un vigile l’autre jour m’a dit : Ah Französin ? Willkommen in Mainz !

Depuis la mise en vigueur du dispositif 2G, les bracelets sont le sésame coupe-queue pour entrer dans un magasin. Le fast pass comme m’a dit une amie. Il ne sert à rien de tenter de gruger. Chaque stand contrôle les poignets avant la transaction. Si besoin, il peut aussi en distribuer, moyennant le même contrôle.

A l’entrée du marché de Noël, la pyramide géante de bois est décorée de personnages de Mainz : un joueur de foot du Mainz 05, un petit bonhomme de la chaine de télé ZDF.

Les jours d’ouverture sont-ils comptés ? La joie d’être venue en est grandie.

Au premier regard, le marché semble identique à celui d’il y a deux ans, principalement des cabanes pour manger et boire (Glühwein – vin chaud – pour les adultes et Fruitpunch pour les enfants – jus de fruit chaud et épicé) et de de l’artisanat régional de qualité.

Peut-être un peu moins de stands. Tiens là avant se trouvait le vendeur de Kaiserschmarn (spécialité autrichienne : lanières de crêpes aux raisins secs couvertes de sucre glace, mangé avec de l’Apfelmus – compote de pommes. Délicieux. Tient parfois lieu de plat principal à la cantine de mes filles.).

De la colonne de pierre antique au centre de la Liebfrauenplatz partent des guirlandes de lumière, en un chapiteau brillant. D’autres s’accrochent aux branches des platanes. Le manège illumine le vieux puits Renaissance. A dix-huit heures les cloches de la cathédrale saint-Martin carillonnent de longues minutes. Je lève la tête mais bien sûr ne les vois pas. Oh tiens la lune là entre les nuages.

Les Mainzer se retrouvent en petits groupes, avec à la main la tasse bleu nuit étoilée du Glühwein. On n’entend que de l’allemand. Il ne semble pas y avoir de touristes.

Ciel noir, lumières. On avance en se cognant un peu à des silhouettes masquées. Au fil des pas les odeurs changent. Là, la piquante fumée de barbecue, plus loin vin chaud, crêpes ou friture. L’air pince les doigts.

Contre le flanc de la cathédrale, la crèche se contemple derrière une vitrine, à partir d’une estrade. Tiens le petit Jésus est déjà arrivé.

Du côté qui descend vers le Rhin, un village de grands tonneaux-cabanes permet de boire et manger assis. Les créneaux se réservent longtemps en avance. Ma fille y a été invitée pour l’anniversaire d’une amie. Alors que je les prenais en photo, un type dedans a dû se sentir visé, il a tiré sur le rideau à carreaux du fenestron.  

Notre première venue nous a laissé une impression douce-amère de communion autour du Glühwein et des Bratwurst. Une célébration à ciel ouvert juste pour le plaisir d’être ensemble.

Après une matinée de shopping, j’y retourne avec une amie pour un déjeuner sur fond de ciel bleu dans l’ombre de la cathédrale. Calme. Pas de lumières. Elle me signale le magasin de décorations de noël en bois Käthe Wolfahrt qui propose des classiques de grande qualité. Oui il me semblait. La petite crèche en bois en demi-cercle en 2D était à 60 euros. Plusieurs clients attendent pour entrer. Ils sont implantés dans le gros village de Rothenburg ob der Tauber qui mérite le déplacement paraît-il.

Envie d’y revenir en famille pour manger sur place.

Le samedi suivant à la tombée de la nuit, ça grouille. L’ambiance est beaucoup moins agréable. Plus ‘’groupes en beuverie’’ malgré les poussettes et les enfants. La queue pour les stands de viandes grillées s’étire dans la foule. J’opte pour un wrap de saumon grillé au feu de bois sur place. Nous nous faufilons derrière les cabanes. Dans une clairière de stands il est possible de s’arrêter de marcher pour manger.

Ma benjamine pose son assiette de Currywurst Pommes sur le bord de la maquette métallique de la cathédrale avec légendes en Braille. Je finis mon sandwich parfumé au raifort et à la moutarde au miel et à l’aneth. Pas mauvais. A proximité de nous deux jeunes femmes boivent du vin chaud dans des gobelets de terre cuite. Le thermos jaune prêté par le bar des tonneaux est à leurs pieds. Le froid mord moins que la semaine dernière.

Une famille de trois finit une Bratwurst dans un Brötchen, le hot-dog allemand (probablement l’ancêtre de l’américain). Je n’entends pas ce qui se dit. Mais aux gesticulations du père, à son doigt pointé avec insistance vers la tête de son grand fils je comprends qu’il lui demande s’il y en a là-dedans. Son visage et sa mâchoire sont crispés. Il semble lutter pour retenir ses éclats de voix. Entre les deux, la mère ne dit rien. Le jeune homme non plus.

Je ne peux pas m’empêcher de regarder. C’est insolite cette tension sous les lumières de Noël.

-Ça a l’air de barder, je dis à ma grande.

Elle me répond :

-T’a vu, le jeune il a des écouteurs.

Ah oui, donc il n’écoute pas son père qui s’escrime à essayer de lui faire passer un message. En public, il a choisi la fuite passive. Provocation et lâcheté. Ah, l’adolescence ! Grr l’adolescence !

Ça me rassure un peu.

L’après-midi même j’avais pété un plomb avec la mienne d’ado. Elle aussi sait très bien me montrer sans ouvrir la bouche que ce que je lui dis ne l’intéresse pas. (Je me souviens de moi au même âge et je suis assez reconnaissante qu’elle ne suive pas les traces de sa mère). Quand on passe du côté parental, on se rend compte de la réalité des choses. Il n’y a pas de mode d’emploi universel genre video Youtube Eduquez votre ado en moins de dix minutes. On ne fait jamais que le mieux possible. L’apprentissage s’acquiert un jour après l’autre. Chaque enfant est différent. Nous sommes pour chacun une maman ou un papa différent.

Je m’en veux de ne pas être plus patiente. En même temps – c’est pas pour m’absoudre ni me justifier – dans son bouquin sur les parents hypersensibles, Elaine Aron explique bien que si les limites sont dépassées le monstre rugit. Et les limites sont si vite dépassées… (Elle a aussi écrit un livre sur l’éducation des enfants hypersensibles. Chez nous ces deux sujets se heurtent et s’amplifient mutuellement).

Foule, bruit, agitation, cacophonie lumineuse.

D’un coup j’en ai ras le bol.

Bon on a fini on s’en va ?

Quand je dis cela, les miens savent qu’il faut se dépêcher.

Après deux ans d’incertitudes menaçantes, la santé psychologique des ados est catastrophique. Celle de tous sans doute mais les jeunes accusent encore plus le coup. Cet été j’ai lu que la sécu française avait mis en place un soutien spécifique pour eux. Une dizaine de séances de psy sont prises en charge. S’il est possible de trouver des rendez-vous.

Abstand bitte !

Ici le désastre est amplifié par six mois d’école à la maison en 2021, en plus de la dose de 2020 quasi universelle. SWR annonçait la semaine dernière que les services psy pédiatriques de Rheinland-Pfalz étaient débordés. Les mamans avec qui j’en parle me confient les difficultés de leurs enfants. A demi-mot, différents maux psychosomatiques. L’aide sera disponible, oui peut-être, dans six mois. Les listes d’attente s’allongent. Comment ne pas se sentir seul et dépassé ?

Dans notre échantillon familial, nous le constatons. C’est vraiment dur.

Deux ans de covid, à 14 ans c’est 1/7ème de la vie. A 11 ans, 18%. Presque 1/5ème de la vie. (Oui je révise les fractions avec ma benjamine ces jours-ci pour une interro. Bien sûr, comme les autres sujets de maths, elles s’enseignent différemment en allemand. J’essaie en vain de placer le PPCM et le PGCD*).

Notre mois de décembre familial est excitant et épuisant. Les filles sont nées à une semaine d’écart sur la deuxième quinzaine. Entre les Plätzchen (sablés de l’Avent) et les supports de bougies, je fais des gâteaux tous les jours. Pour éviter l’implosion de leur mère, depuis quelques années je leur avais demandé de séparer leurs fêtes avec les copains. Une fin novembre / début décembre, l’autre en janvier.  L’étalement des réjouissances égayait la grisaille du début d’année.

En 2019 ma benjamine a pu accueillir ses copines dans une salle d’escalade indoor. Ma grande a choisi une séance d’accrobranche sur les hauteurs de Wiesbaden à Neroberg. Les invitations ont été dessinées avec soin. Rendez-vous était pris pour mars 2020 à la réouverture printanière.

Vous l’avez deviné : voilà trois ans que ma fille n’a pas pu fêter son anniversaire.

Trois ans à 14 ans c’est beaucoup trop. (Je vous épargne les fractions.)

Cette année ça a l’air de pouvoir se faire (moyennant tests et tutti quanti du 2G+). Et même avec des invités garçons. Leurs fêtes se suivent, heureusement hors nos murs (laser game, escape game). Croisons les doigts encore disponibles, serrons le deuxième pouce.

En fond de tout cela, les préparatifs de Noël s’accélèrent. Envoyer des colis, commander des cadeaux, non pas sur le grand méchant A si possible maman. T’es sûr ? Ce serait plus simple. Trouver des idées qui plaisent, n’encombrent pas et ne pèsent pas lourd.

Cette année, mon plus grand souhait serait de recevoir en cadeau du vide.

Objets triés. Tâches envolées. Contraintes effacées.

Tout ce rien bien emballé avec des rubans.

J’ai sorti mon stylo Bic qui marche et mon plus joli bout de papier qui traine et je commence :

Cher Père Noël, cette année je voudrais une gomme magique.

Une qui efface les erreurs, les engueulades avec ma fille et les grosses fôtes.

PS : Combien de gâteaux avons-nous fait pour ce humming bird cake ? Deux ? Non, trois. Notre chienne Gaïa ne vous en dira pas plus.

*Pour nos amis allemands et les francophones qui comme moi ont un souvenir vague : PGCD = Plus Grand Commun Diviseur. PPCM = Plus Petit Commun Multiple.

4 thoughts on “Comme un mois de décembre

  1. Décembre est un mois très chargé dans ta famille Estelle!Tes 2 ados sont nées en décembre,je leur souhaite un bon anniversaire à toutes les 2 avec du retard ou de l’avance ,désolée.Mais je pense à elles très souvent car je les trouve sympas toutes les deux.Passez de bonnes fêtes .Joyeux Noël.Bises ardèchoises à vous quatre.Dany.

  2. Merci pour ces mots <3
    De mon côté, depuis quelques jours, ma petite voix me dit "ralentis et profite" dans l'effervescence de décembre c'est pas simple mais un magnifique cadeau à m'offrir 😉
    Xoxoxo

    1. Bravo Eleonore de savoir le faire ! C’est si dur de s’autoriser à souffler quand les enfants, l’école et les tâches ne s’arrêtent pas. Pourtant oui décembre est un mois magique. bisous

Leave a Reply to Estelle Cancel reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *