T’as tes failles ?

Trou dans la poche, bugs et éloge de nos vulnérabilités

Samedi 7 décembre en début de soirée. La nuit s’est faufilée depuis longtemps déjà dans notre cuisine et nous l’avons gentiment repoussée en fermant les volets. En Allemagne, les foyers vivent sous le regard des passants. Les fenêtres n’ont pas de volets, rarement des rideaux, parfois des stores plissés intérieurs. Ici, la coutume encourage à se carapater dès qu’on allume.

Pour ma première année d’études à Lyon, débarquant d’une chambre ouverte sur des champs et les falaises de la vallée de l’Ardèche, je ne connaissais pas les pièges des vis-à-vis. Je vous l’ai peut-être déjà raconté. Au moment du changement d’heure en octobre, les sœurs du foyer avaient affiché une pancarte au bas de l’escalier de bois qui montait aux chambres : fermer les volets à la tombée de la nuit. Bien sûr, avec ma cothurne Domi habituée, elle, aux fenêtres mangées de nuit du Puy-de-Dôme, nous avions haussé les épaules et pouffé : elles veulent encore faire des économies. Déjà nous avions ôté le voilage pour mieux laisser entrer les reflets de soleil jouant dans les feuilles du tilleul du jardinet sur la rue. On n’allait pas, en plus, s’enfermer derrière des volets. Chaque soir, nous travaillions dos à dos, chacune à notre bureau sous le plafonnier, que Domi éteignait vers minuit après s’être déshabillée pour enfiler son pyjama et se mettre au lit. Je continuais à étudier encore un peu, à la lueur de ma lampe de bureau.

Un soir, un cri soudain m’a fait me retourner d’un coup. Elle gesticulait d’une main vers la fenêtre en serrant contre sa poitrine le T-shirt qu’elle venait d’ôter. De l’autre côté de l’étroite rue, calé au ras d’un rebord de fenêtre, un regard sale, pas malin puisqu’il ne se dissimulait pas, la matait.

Deux étages de fenêtres avec des jeunes filles naïves, distraites par leurs cahiers, leurs colles, leurs DS. Les persiennes non fermées. De la lumière échappée. De l’innocence enfuie.

Ce souvenir, tout droit sorti de Martine à la ville, parce qu’il est presque concomitant du 8 décembre 1989 et invoque une autre pancarte au bas de l’escalier de bois (messe à 18 heures, prière de vous pointer) est associé à la fête des Lumières à Lyon, tradition mystérieuse d’une ville aux petits matins et aux crépuscules alors encore souvent brumeux. À cette époque, elle ne durait qu’une soirée de lumignons aux fenêtres qu’une foule bon enfant sortait admirer lors d’une promenade en ville. Une fête de bouts de chandelles. Une bonne sœur m’avait conseillé d’enfiler des habits à toute épreuve : dans le quartier du Vieux Lyon, des plaisantins jetaient parfois de la farine ou des œufs sur les passants. J’étais partie à moitié rassurée, pour une des rares sorties de cette première année de classe préparatoire, retrouver des amis ardéchois, également étudiants à Lyon, « sous la queue du cheval, place Bellecour ». C’était sans compter avec les centaines de gens qui avaient eu la même idée lumineuse (c’était le jour ou jamais, ha, ha). Je racontais hier cette anecdote à ma benjamine qui m’a répondu : « Mais vous vous êtes envoyé un message et après vous vous êtes retrouvés ».  Ben non. En 1989, on ne s’envoyait pas des messages. On se croisait le lendemain à la récré pour constater qu’on s’était loupés. Je m’étais faufilée avec une ou deux amies entre les passants, le nez en l’air à guetter les bougies sur les rebords des fenêtres de la Presqu’île. Aucune attaque à la pâte à crêpes en kit ne fut à déplorer.

Depuis vingt-cinq ans, Lyon a transformé sa fête des Lumières en événement son et lumière mondial, les cars de touristes affluent et les Lyonnais fuient le centre-ville pendant quatre jours ou, s’ils y habitent, se barricadent chez eux dès la nuit tombée. Il paraît que c’est très beau. Nous irons admirer les illuminations de notre bourgade, honorables et paisibles.

Depuis une semaine, notre sapin garde la baie vitrée, habillé d’une seule guirlande lumineuse, faute de trouver un créneau où chacun est disponible pour le décorer tous les quatre. Les deux cartons de décorations attendent, empilés, entre la table à manger et le coussin de Gaïa qui ne sent pas très bon quand on s’approche. Ce ne sera pas encore pour cet après-midi. Ma benjamine est en ville pour fêter l’anniversaire d’une amie. Elle jubilait d’anticipation depuis que sa mère l’avait invitée en cachette pour faire une surprise à sa fille. Elle s’éclate, d’ailleurs elle n’a pas le temps de me le confirmer sauf pour m’annoncer par texto : « C’est trop bien. Au fait j’ai perdu ma carte TCL. »

Zut, je lui réponds. Et de commencer mentalement à établir la liste des tâches pour réparer cette perte. Consulter le site des TCL, lui acheter des tickets de bus pour le début de semaine, mais son téléphone est-il NFC ? Qui va se coller au trajet aller-retour et à l’attente à la boutique place Bellecour ? Ce sera elle finalement. Son stage de troisième, eh oui, ne commence que le mardi, elle aura le temps. Elle en profite pour retrouver des copines au marché de Noël, manger des churros en riant, avant son rendez-vous pour faire refaire sa carte. En fin de journée dans la nuit retombée, cette nuit enveloppante qui nous quitte ces jours-ci comme à regret, la porte s’ouvre, un courant d’air devance ma fille qui s’exclame en quittant son écharpe à carreaux : « J’ai retrouvé ma carte TCL. J’attendais mon tour à la boutique, j’ai mis la main dans ma poche, et j’ai réalisé qu’il y avait un trou. Ma carte était passée tout derrière, dans la doublure. »

Ouf.

Le trou dans la poche. Vulnérabilité secrète, imprévisible. Un réflexe à prendre : recoudre la poche, fermer les volets à la tombée de la nuit pour garder les cartes de transport et la lumière.

Connaissons-nous nos failles, nos talons d’Achille ? Et en écrivant cela, j’imagine ma caricature dessinée par une des illustratrices que j’aime beaucoup, un personnage tout en talons, comme autant de points de fractures, de failles dues à la sensibilité exacerbée. Quand on en est conscient, on enfile des chaussettes. Voilà, une nana tout en chaussettes rayées et à pois, non il lui faudrait des chaussures, des chaussures de sécu, voilà, c’est mieux, une nana en cuirasse de godasses pour rire.

Je pense aussi au seul Achille dont je n’ai jamais entendu parler : un cousin ou un voisin de ma grand-mère quand elle était gamine et habitait au bord du Rhône, sous le Rocher des Doms à Avignon. Voilà cent ans, le fleuve encore sauvage attrapait des vies sur les berges. Achille était bon nageur et on l’appelait souvent à la rescousse, « Achiiiiiiile quelqu’un se noie ! ». Un jour, sa force s’est transformée en vulnérabilité. Les remous du courant venu des Alpes suisses ne pardonnent pas : il a sauvé mais il y est resté.

Certains craignent les failles. Ils bâtissent. Contre leurs failles narcissiques, des murailles de mots et des masques de béton, des bottes de ranger pour les talons d’Achille de leur ego. Des armures de certitudes. Contre les trous dans la haie de leur chez-eux, des grillages et des barrières.

Une balade du début de l’automne nous a emmenés d’une route de campagne, qui tournait et virait comme toute route de campagne ardéchoise, à une piste sur le plateau volcanique du Coiron. La vue s’ouvrait vers l’Est sur les Dentelles de Montmirail, le mont Ventoux, les Baronnies, le Vercors, vers l’ouest sur la Montagne Ardéchoise, aux crêtes bleues et mystérieuses, aquarelle chinoise. Entre prés et bosquets, une installation artistique à message environnemental autour d’un chêne, sinon, rien. Puis soudain, soudain, au milieu de cette garrigue déserte, un portail.

Un portail comme un coup de poing dans le ventre. Un portail immense. Un portail de château de Versailles, tout de métal plein, entre deux accolades de béton. Un portail trois tailles au-dessus, qui nous rapetisse comme si on avait croqué dans un champignon du Pays des Merveilles. Mangez-moi.  Un sursaut. Une erreur d’échelle. La poignée est-elle accessible par escabeau ? De part et d’autre de cette entrée majestueuse, un muret de béton surplombé de grillage et des canines dégoulinantes de molosses en fureur. Entre ce dispositif dissuasif bruyant et le bord du plateau à la vue dégagée sur le sud de l’Ardèche, une masure de bric et de broc, modeste. Presque un campement éphémère. De quoi donc a peur ce propriétaire ? De l’entrée par effraction du sanglier ou de l’étranger, ou de sa propre fuite ? La protection enferme.

Parfois l’intention de protection égare. Ce séjour en Ardèche s’est tenu peu de temps après l’épisode cévenol qui a causé tant d’inondations et de dégâts. Un site d’informations nous a appris le décès accidentel d’une dame dans l’effondrement d’une route causé par la crue de la modeste rivière de montagne où nous avions emmené nos amis allemands passer une journée de baignade cet été. (Elle avait quel âge ? Cinquante ans ? Ah ben ça va, elle était vieille). Au pied des à-pics rocheux, le trou d’eau vert noir dans lequel mes filles sautent en riant, devait être un bouillon brun impétueux, un torrent de boue dévastateur qui ensevelit les plages de poche, emporte les canettes délaissées par les touristes négligents et abandonne des fagots de branchages cassés dans les hauteurs des aulnes et des platanes qui bordent ses rives.

En descendant l’A7 sous un soleil radieux, au large d’Annonay tout d’un coup, mon portable s’est mis à hurler d’un son inédit et strident. Celui de mon mari aussi. Celui de ma cadette aussi. Pas celui de sa sœur. Free n’avertit pas tous ses clients des dangers « imminents ». Pendant ces quelques jours de vacances méridionales, mon téléphone a transmis plusieurs alertes météo inopinées. Seul. Dans un magasin de fruits et légumes fréquenté par une douzaine de personnes, seul le mien a couiné. À trop crier au loup, le sursaut fait place au haussement d’épaules, la panique à l’ennui, on n’a plus envie de placer sa tresse d’ail eu lieu sûr.

Free bugge. L’autre soir, une amie de Mayence m’a téléphoné, nous avons été coupées, puis nous nous sommes rappelé pour continuer la conversation. Lorsque j’ai raccroché, la larme à l’œil (elles me manquent mes copines de Mayence), j’avais reçu un message : toute la deuxième moitié de notre échange avait été enregistrée. Ses mots et les miens. Free nous avait prévenus par mail que leur serveur avait été piraté. Quelques semaines plus tard, ma boîte mail a été bloquée. Voilà un talon d’Achille auquel je ne m’attendais pas avant le putsch des IA sur notre civilisation. Plus d’accès à ces mails et, surtout, interdiction d’accès aux comptes clients avec cet identifiant, avec un enjeu crucial, mes points de fidélité Picard…

Dans un podcast passionnant au sujet de son livre Éloge du bug, le philosophe Marcello Vitali-Rosati explique comment le bug, hantise des programmeurs, est en fait un instrument de libération. En brisant l’impératif fonctionnel, il nous offre l’opportunité d’observer notre outil hors service (le marteau de Heidegger, oui j’étale ma culture toute neuve) et de nous interroger sur le sens de notre usage. Le biais d’ancrage ne nous permet pas d’imaginer autre chose que ce que propose la machine (c’est fort gênant en traduction, car cela appauvrit le texte). Il est possible de fonctionner autrement, mais nous l’oublions. Le doute, si précieux pour l’intelligence humaine, disparaît. Et si l’IA était notre nouvelle grande vulnérabilité ?

Un bug, un dysfonctionnement, une faille. L’ombre qui envoûte nos lumières. L’éteigneur de réverbères.

(C’est bon, on a compris la métaphore. Nul besoin de sortir la scène de la lampe qui se balance dans Le Corbeau de Henri-Georges Clouzot, illustrant les limites floues entre le clair et l’obscur, le Bien et le Mal).

À première vue, la vulnérabilité fragilise. Free va corriger ses bugs (on l’espère) et me rendre ma boîte mail. On cherche tous à dissimuler nos failles, souvent même à nos propres yeux. Détournez le regard, par là c’est tout cassé, rafistolé et sanguinolent. Pourtant, comme les Japonais réparent leurs céramiques cassées avec une « jointure d’or », le kintsugi, ne pourrions-nous pas sublimer nos fissures ? Elles contribuent à nous rendre uniques, comme cette cicatrice en forme de virgule au genou gauche, ou cette manie de se ronger les ongles. Elles nous rendent surtout plus humains.

Dans son dernier spectacle, Olivia Moore, étale avec courage, pertinence et sensibilité son TDAH. On rit avec elle. Ce texte sur ses difficultés au quotidien, sa vulnérabilité, rapproche, même si on n’a pas les mêmes. Plus elle dévoile l’intime, plus on se sent vus dans notre particularité. Tiens, elle aussi, elle galère. Je me sens moins seule. Nora Hamzawi aussi fait preuve d’une autodérision rafraîchissante dans un spectacle vu fin novembre à la Bourse du travail (Mais non c’est bon, on a le temps c’est à 20 h 30…. Attends, non c’est à 20 h… Aaaaaaaah vite, y faut courir…). Comment, sans courage, partager une authenticité que beaucoup taisent ? Ses aveux de « faiblesse » n’en sont pas. N’est-ce pas messieurs dames, spectateurs du premier rang ?

Si toutes les vulnérabilités du monde pouvaient se donner la main, on traverserait l’Ukraine en dansant la farandole. Les TDAH ou autres neurodivergents pourraient être accueillis par un système scolaire qui ne les détruirait pas, leurs talents s’épanouiraient et seraient utiles à la société plutôt que d’être broyés par un système normatif que la différence effraie.

Rappelons-nous Montesquieu dans ses Lettres persanes : « Les Français […] enferment quelques fous dans une maison, pour persuader que ceux qui sont dehors ne le sont pas. » Suivez mon regard. C’est marrant, pour la copier ici, je l’ai vérifiée. J’aimais bien la version archivée par ma mémoire : « … pour persuader ceux qui sont dehors qu’ils ne le sont pas. »

Les vulnérabilités ne sont pas toujours là où on les attend. Un autre vendredi soir, une autre nuit, à la Maison de la Danse, les ouvreurs du spectacle de danse contemporaine du chorégraphe israélien Hofesh Schechter (qui apparaît dans le film En corps de Cédric Klapisch) ont distribué à chaque spectateur de petits sachets en plastique avec des bouchons d’oreille en mousse verte. À nos visages étonnés, ils ont précisé : « Parfois la musique est trop forte ».

Hein ?

Bien sûr, j’ai posé la question :

—Pourquoi ne pas baisser la musique ?

—C’est un choix artistique.

Soit. Malgré les bouchons verts, le choix artistique a vibré dans l’ensemble de mon corps pendant toute la représentation.

Bien sûr, à un moment, un homme déboule sur scène à poil. Comme l’an dernier au Théâtre des Célestins dans Les gros patinent bien. Mon oncle a caché en riant les yeux de ma plus jeune fille. La nudité comme dernier acte transgressif, qui, en se banalisant, se noie (sans maillot) dans son message. Le plus vulnérable finalement, le plus humain n’est-ce pas le comédien qui n’a pas besoin de choquer pour exister ?

Et moi je m’embrouille dans ce qui semble des contradictions. Laisser tomber le masque virtuel relève-t-il de la même démarche que dénuder son corps ? La comédienne de stand-up qui confesse des difficultés intimes est-elle dans la même démarche que le naturiste (qui revient au bungalow quand on le chasse — je le vois vous cherchez la blague, non ce n’est pas un bug. Dites-le à haute voix…) ? Peut-être que cela dépend du contexte et de l’intention.

Personnellement, j’ai ressenti une grande proximité avec Olivia ou Nora, pas avec le danseur barbu tout nu, ni avec la danseuse en string chair. Eux répondent à une chorégraphie imaginée par quelqu’un d’autre, ils prêtent leur corps et leurs gestes, ne dévoilent pas qui ils sont. On ne devient pas intime avec l’intégralité des vacanciers du camping naturiste. Et là, dans le sable, je trouve le fil pour débrouiller mon raisonnement : la connexion grâce à notre humanité commune passe par des cœurs qui battent à l’unisson, quel que soit l’emballage. Avec ou sans bouchons d’oreille verts.

Parfois quand le corps ou l’esprit dysfonctionne, quand on glisse vers un fond que l’on espère solide, on trouve son noyau, son âme, sa raison d’être. Miranda Hart, autre comédienne formidable, vient de publier un récit intitulé : I haven’t been entirely honest with you. (Je ne vous ai pas tout dit ou Les secrets de l’actrice qui joue Chummy dans Call the midwife.) Mon gourou-marabout-boute-en-train attrape la vie par la gentillesse et le jeu. Après sa sitcom qui a eu un succès fou dans les années 2010 (dans notre famille on en cite les répliques à tout bout de champ, enfin, surtout ma benjamine et moi), elle a disparu des scènes pour une longue éclipse, à peine interrompue de loin en loin par des stories sur Instagram.

Dans ce récit, elle confie sa lutte depuis plus de trente ans contre une maladie de Lyme non diagnostiquée et ses effets délétères sur son immunité. Pendant près de dix ans, elle était coincée chez elle, anéantie par une fatigue chronique sévère, et a passé des semaines, des mois au lit. Seule. Elle détaille les lectures qui l’ont aidée à traverser ces printemps sans balade en forêt, ces Noëls sans famille, et propose une synthèse des astuces qui l’ont aidée à accepter de laisser son corps se requinquer. Des trucs de lien entre le corps et l’esprit (qui est la définition littérale du mot yoga). Des trucs de bon sens, quand on y pense. Elle évoque de sages penseurs que j’aime beaucoup aussi (comme Byron Katie dont je vous ai parlé la dernière fois) et un que je ne connaissais pas encore, Simon Sinek qui conseille de chercher sa raison d’être, ce que nous voulons apporter au monde. Les organisations le font. Pourquoi pas nous, à titre individuel ? En situation difficile, face à des choix, notre « why » nous aidera à retrouver notre noyau solide, même si le sol glisse sous nos pieds. Je vais m’y atteler. C’est le manuel pour les nuls du Connais-toi toi-même de Socrate. Quand on sait qui on est, nul besoin de s’inquiéter.

Le corps de Miranda Hart a dysfonctionné, elle a appris à laisser tomber le masque. Pourtant, sa sitcom et ses livres précédents laissaient penser qu’elle l’avait déjà fait : c’est elle qui qui m’a appris à accepter mes différences. Dans un à-côté charmant de son conte de faits, elle a trouvé un mari. De nombreux lecteurs la remercient de l’aide qu’elle leur apporte. Son humour de clown, sa générosité et l’aveu de sa vulnérabilité la rendent extrêmement sympathique.

Je rêve de traduire son bouquin, pour passer quelques semaines en sa compagnie, et surtout, parce qu’il pourrait aider tant de personnes. J’ai toqué à sa porte, sans succès pour l’instant. Je vais insister. Toc, toc, traductrice fêlée, cherche à collaborer avec autrice déglinguée pour aider les Français à aller mieux en semant blagues et graines de sagesse, autorisant une débauche d’articles de papeterie trop mignons. Carnets, crayons, feutres, fluos, trombones sont faciles à remplacer s’ils cassent. Le bug de la gomme reste à inventer.

Quittons-nous sur la jolie chanson de Pomme dans l’album Les failles « Je ne veux pas sortir, je ne veux pas me découvrir des failles ». Mais nous, ne craignons pas nos failles, elles peuvent aider quelqu’un et nous rapprocher les uns des autres. La perfection est un leurre, un mensonge promulgué par les gens ennuyeux. Sortons. Dansons. Rions. Poil aux marrons.

Sur un marché lyonnais. Mais où sont les châtaigniers à Aubenas ?

En direct de l’astéroïde B612

Humeur défroissée par une rencontre d’auteurs à la médiathèque

Je me fais violence pour écrire ce matin. Pourtant j’ai des tas de choses à vous raconter, plusieurs pages de notes dans mon charmant carnet à fleurs des champs. Je suis épuisée. Depuis quelques semaines, un double deuil m’entrave, un personnel dont je ne parlerai pas ici, et celui de mon livre non publié à la dernière minute. Ça encolère de s’être fait balader par des gens négligents, des négli-gens. Ma décision nécessaire est un avortement thérapeutique au troisième trimestre de la grossesse. Une fausse couche. Ça secoue. Ça brise. Ça remet en question.

Funambule aux Gratte-Ciel

Publier un livre brasse peurs et joies intenses, en situation de vulnérabilité extrême. C’est tendre les mains ouvertes avec son cœur dessus, palpitant et fragile : tenez, prenez, j’ai fait de mon mieux. Une lectrice m’avait écrit en parlant de ce roman à venir « Merci pour ce cadeau ». Je lui avais répondu « Attends de le lire avant de savoir si c’en est un ». Mais à bien y réfléchir, oui publier, quand on est sincère et hors d’une démarche commerciale, est un cadeau. Quand ce présent de pensées intimes et de sentiments secrets atterrit dans des griffes qui méprisent le degré d’investissement et n’en prennent pas soin, c’est violent. Douloureux.

Publier un livre c’est un marathon émotionnel, un accouchement. Devoir l’interrompre à la dernière minute n’efface pas les années de travail, les mois à attendre cette date avec impatience et crainte. À la page du 3 octobre sur mon agenda, j’ai gommé l’étoile et le cœur dessinés au crayon à papier, les deux mots mon livre et leur bouquet de points d’exclamation. Le coup de gomme, geste de résignation minuscule, n’efface rien. Supprimer le numéro de téléphone d’un ami décédé dans son téléphone ne répare pas le cœur brisé.

« Maman, tu ne crois pas que je devrais, en plus du cours de danse classique du lundi soir, aller à celui du mercredi soir ? C’est de la danse contemporaine. Ma copine Julie y va…

Non je crois que ça fait trop. »

Non contente de constater l’effondrement du soufflé sur lui-même, je me bats pour faire disparaître mon nom des plateformes de libraires. Ce qui leur a été envoyé par la maison d’édition l’a été sans mon accord ni me tenir informée. Ma fille l’a découvert par hasard. La seule initiative pour « promouvoir » mon roman a été bâclée. Quatre ans de travail pour ça ? 

Non.

Une femme révoltée est une femme qui dit non. Non aux négli-gens qui ne daignent pas répondre aux mails et n’ouvrent un œil que quand on évoque le recours juridique. C’est désolant. Dans l’enthousiasme de l’installation, les bonnes volontés se pressent. La déroute d’une fermeture coupe les élans et personne ne grimpe sur une échelle pour dévisser l’enseigne laissée à rouiller. Les bâtiments désaffectés d’une usine gâchent le paysage pour toujours. Je veux retourner à mon anonymat. Le déréférencement est un droit.

« Maman, je veux tester aussi le cours de danse du vendredi soir. Toutes mes copines y sont. »

Vraiment ? On n’a pas déjà eu cette conversation ? »

Sur le chemin du marché un poids, que je ne peux confier à mon caddie, leste ma poitrine : je dois annoncer à mon maraîcher et S. qui me vendent épinards, poires ou potimarrons que non, mon livre ne sortira pas comme prévu. Que leur précommande ne servira à rien ce coup-ci. Que j’espère que la FNAC les remboursera. Que oui, j’espère aussi que la nouvelle date de publication ne sera pas trop éloignée.

Jeudi au cours de céramique, une vague avec un surfeur, commande de ma benjamine, est achevée. Je la pose sur sa planche sur l’étagère de séchage. En retournant à ma table, l’animatrice me demande :

-Alors que vas-tu faire maintenant Estelle ?

Je m’arrête un instant et en penchant la tête, lui réponds, l’œil espiègle :

-J’ai beaucoup de colère en ce moment…

-Ah ! Tu vas faire quelque chose au battoir alors.

-Je vois que tu me comprends.

Sourires entendus.

D’un sac poubelle noir et déchiré, j’extrais une masse d’argile grise chamottée que je bats sur la table en bois brut, de toutes mes forces. Pour en chasser les bulles d’air et la compacter en une balle homogène, pour expulser la rage de m’être sentie abusée, la frustration d’avoir vu s’écraser ce projet essentiel, au sol, entre mes pieds.

Dans l’armoire, entre les rouleaux de bois, je déniche un battoir. Et je tape sur ma balle de terre. Fort. Ça claque. Ça heurte ma main droite. Je la retourne pour la modeler de façon régulière et créer un cylindre. Des grandes claques pour l’aplatir et former une forme allongée de section ovoïde. Relever une mèche de cheveux du dos de la main. Y laisser une trace de terre.

-Ouh là ! Estelle est en colère. Il va entendre son mari ce soir.

-Mais non, mon mari, il est adorable. Ce sont les négli-gens que j’aimerais coincer entre le battoir et la terre.

Et vlan. Une autre claque pour la route.

« Alors, Maman, tu m’emmènes au cours de danse ce mercredi ? J’ai les papiers pour l’inscription. 

Je ne t’avais pas déjà dit que ça ne me semblait pas une bonne idée ?»

Autre argile d’un brun rougissant, froide et collante, gavée de galets, celle de mon jardin. Pour évacuer la frustration, me rassembler autour d’un projet créatif apaisant, joyeux, manuel, je veux planter. Les galets remontent à la surface sans cesse. On comprend pourquoi les murs des maisons et des jardins de la commune sont en galets blonds. Ils prolifèrent. Quel glacier a roulé des pierres jusqu’ici ? Est-ce un ancien lit du Rhône ? Les plus gros s’empilent contre un mur et se font bordure décorative, jusqu’à ce que notre chienne Gaïa les éparpille en coursant un vélo. Les plus petits s’entassent dans un sac cabas de supermarché que je vide au fond d’une longue jardinière. Elle sera bien drainée.

Plier les jambes pour protéger le dos, attraper un galet dans chaque main, le sentir glisser, le rattraper, se tordre les poignets, le laisser tomber à l’endroit désiré. Le recaler un peu. Relever une mèche de cheveux du dos de la main. Y laisser une trace de terre. Malgré les précautions, les coups de bêche défouloirs se paient plusieurs jours dans le bas du dos. Mon mari a pris le relais. Bordure charmante.

Retrouvailles avec mon piano, parce que cette année j’ai décidé de participer à l’atelier de musique de chambre de mon école de musique, dans la si jolie maison des champs, au nom poétique. Une demeure de campagne d’un riche soyeux lyonnais peut-être, reconvertie en lieu d’accueil d’associations. Une chanteuse a besoin d’une pianiste pour l’accompagner sur un Noël de Fauré. L’accompagnement, gratifiant en fin de parcours, est assez ingrat pendant les semaines de préparation. Il est difficile de se caler rythmiquement, la voix humaine est moins fiable qu’un instrument, même un instrument à vent qui a lui aussi des contraintes de respiration. Vais-je arriver en quelques jours, à jouer bien à un tempo assez rapide pour que la chanteuse ne s’effondre pas en apnée ?

Un accompagnement n’a par définition pas de mélodie. Le morceau relève plus de l’exercice. Tant pis si ce n’est pas parfait, je décide de m’amuser. J’ai fait accorder mon piano qui avait mal vécu ses déménagements successifs et les travaux. Je travaille les arpèges de la main droite, les doubles croches de la main gauche. Relever une mèche de cheveux du dos de la main. Y laisser une trace de clef de sol.

« Maman, demain je rentrerai tard, je vais à la danse avec toutes mes copines.

Mais, ma chérie, tu étais déjà épuisée en rentrant lundi soir… Encore tu remets ça ? »

Au milieu de cette débâcle de l’humeur repêchée à pleines mains, à l’atelier, au jardin, ou au piano, de l’autre côté de l’espoir brisé, un havre de joie.

La médiathèque de Saint-Genis-Laval, le B612, où j’aime me réfugier dès que possible, m’avait invitée à participer à une soirée de rencontre d’auteurs locaux le 8 octobre. Les organisatrices, merci à elles, ont eu la gentillesse de maintenir leur invitation malgré les soubresauts de dernière minute que vous connaissez.

Nous étions cinq, à nous rencontrer une première fois pour préparer cet échange, une deuxième fois pour nous présenter à l’adjointe à la culture de la mairie et à une journaliste du quotidien Le Progrès. Voilà l’article, glissé dans ma boîte aux lettres par ma gentille voisine :

(Note perso : La prochaine fois penser à sourire pour la photo.)

Pour annoncer la soirée et présenter notre travail sur une jolie table à l’entrée, nous étions invités à apporter nos livres, des cartes de visite, une photo… Que faire ? La maison d’édition à qui j’avais fait confiance ne m’avait proposé aucune couverture. J’ai créé des marque-pages à ma façon. Puis, poursuivant le travail entamé sur Amazon pour l’autoédition, j’ai créé une jolie couverture, à mon goût, avec mon titre et un sous-titre choisi.

Les deux épreuves de contrôle commandées sont arrivées à la mi-journée mardi 8 octobre. Se précipiter vers la boîte aux lettres et attraper le carton. Planter un coup de ciseau dans le scotch en retenant sa respiration. Vite, découvrir la tête de mon bébé… C’est un siège (clin d’œil à Yves qui se reconnaîtra)… Vite le retourner pour le regarder dans les yeux. Soulagement ! Il me plaît. Un peu lourd l’animal… Une pesée pour rire sur la balance de la cuisine. 883 grammes. Bravo madame, vous avez bien travaillé.

Trop peut-être, le prochain sera moins long, je me le promets.

L’après-midi, dès l’ouverture de la médiathèque, courir apporter un livre, fière et intimidée. Ouf, je ne serai pas totalement démunie ce soir face aux lecteurs potentiels.

Moi que la prise de parole en public a toujours fait fuir, j’exulte à la perspective de présenter mon travail d’écriture. Pour la première fois dans un contexte professionnel, je me sens alignée, en paix avec moi-même. Je lis les premières pages de mon roman sans être étouffée par l’émotion. Lire à haute voix ses propres phrases est loin d’être évident. J’en sauterais de joie ! J’en saute de joie virtuellement dans les messages que j’envoie à mes amies.

J’échange avec bonheur avec des passionnés de lecture et de rencontres, comme moi, sinon, ils ne seraient pas venus. Je tends un papier à de futurs lecteurs qui voudraient bien acheter mon livre pour qu’ils inscrivent leur adresse mail. Je les préviendrai. Mes filles sont absentes, elles ont cours, des devoirs, des impératifs d’adolescentes. Mon mari est là, parfois mon regard croise le sien, et je lui suis reconnaissante d’être là. Cependant je n’ai pas besoin de soutien. Je suis dans mon univers, avec des bibliothécaires et des auteurs sympas, authentiques, bienveillants, gardée par des étagères de livres. Et depuis la fresque murale en face de ma table, le Petit Prince sur son astéroïde veille.

Voilà une dizaine d’années, un médecin frère d’âme, à qui je ne savais pas comment confier mes difficultés pour trouver une place dans la société, avait répondu à mes yeux embués et mes hésitations :

-Ah, la vie n’est pas facile quand on est tombé de l’astéroïde B612.

Il me comprenait sans que j’ouvre la bouche. Il disait un mot j’entendais toute la phrase. Non, la vie n’est pas facile quand on se heurte aux murs de cases qui nous rejettent. Malgré tous les efforts et toute la bonne volonté. Malgré l’apnée et les contorsions. Il m’avait aidée à cheminer vers l’acceptation de ma différence. Depuis son départ à la retraite sur son voilier, je tâche de garder le cap.

Là, au B612 de Saint-Genis-Laval, une porte s’est ouverte. Je ne la laisserai pas se refermer.
Avant de cliquer sur publier pour l’autoédition sur Amazon, demain j’irai à la poste pour expédier quelques kilos de papier à Paris. Déjà là, ce matin, j’ai envoyé mon manuscrit par mail.

En rentrant après la soirée, dans l’euphorie des rencontres et partages, les mains de la déception qui appuient sur mes épaules depuis ma décision, ont relâché un peu leur pression. Une pensée sourire a jailli en pleine lecture des messages de félicitations de mes copines : et toi maman, t’en as pensé quoi ?

« Maman, tu m’emmènes à la danse ? »

P.S. : Aucune des notes de mon joli carnet fleuri ne s’est glissée ici. Telle est la surprise de l’écriture.

P.P.S. : Je vous laisse apercevoir un livre qui ne sera peut-être pas le définitif, histoire de nourrir votre curiosité. Hé, hé. Goûtez donc ! Qu’en pensez-vous ?

Très joli film

La Vierge Marie prend la carte bleue

Flânerie à Avignon, exposition Miss.Tic au Palais des Papes et énooorme surprise à la fin

Hou la la, faut faire attention à pas lâcher son téléphone !

Appuyée sur le vent, le foulard entre les genoux pour qu’il ne s’envole pas, cheveux hérissés en soleil et yeux plissés dans la poussière tourbillonnante, je tâche de maintenir mon téléphone malmené. Je voudrais photographier la plaine du Rhône écrasée d’une lumière descendante de fin d’été sous le Ventoux si bien nommé qui culmine à 1909 mètres. Ce savoir inutile coïncide avec l’année de naissance de ma grand-mère avignonnaise. Là, en haut du Rocher des Doms où je n’ai pas mis les pieds depuis dix-huit ans peut-être, j’emmène une amie sur les traces d’une gamine que j’ai bien connue.

Nous sommes en petite vadrouille à Avignon, elle et moi, et ma tribu de fantômes.

Poussez-vous, vous autres ! J’ai besoin de lui montrer, de haut, le toit de la maison d’enfance de ma grand-mère blottie au bord du Rhône contre le Rocher des Doms dans un coin de turbulences, entre mistral et crues. Le vent y souffle si fort, que dans les doubles tunnels où s’engouffre la route, en 1976, haute comme trois pommes, comme trois ans, j’étais tombée à plat sur le goudron, car ma tante avait lâché ma main. Je me revois, dans la cuisine de ma mamie le raconter à ma mère en colère, le nez au niveau de la table. Je revois mamie en tablier, sortir chercher dans l’appentis de derrière, avec un seau de fer, les boules noires pour son poêle dans une odeur mélangée de charbon et de pétrole. Ma mère et ma grand-mère plient les draps tout propres et je leur demande, encore et encore, de monter dans leur hamac éphémère pour me balancer. Assises l’une contre l’autre dans un coin sombre, ma cousine me souffle de ne pas parler de sa maman à notre autre cousine car elle est morte.

La mienne aussi maintenant. La sienne aussi. La quatrième sœur aussi. Un, deux, trois, non pas soleil, un, deux, trois, quatre et pfut… nuit. Au cimetière d’Avignon où je n’arrive pas à retourner.

Mais là, tout de suite le mistral emmêle nos cheveux et me pousse loin de cette falaise, photos faites, vers l’abri relatif du jardin des Doms que de longs travaux vont placer derrière des grilles. Pourvu qu’on ne l’abîme pas trop ce jardin de mon enfance. Tiens regarde mon amie, là c’est la mare où on donnait à manger aux canards. Enfin, ce qu’il restait de notre pain sec, car je grignotais les quignons avant de les lancer. Là, c’est la fontaine où l’on étanchait notre soif, grâce au gobelet en plastique tiré du sac de notre grand-mère. Ma main s’approche d’une pierre saillante du muret, brillante de tant de contacts. Ma paume et elle se reconnaissent, quarante-cinq ans plus tard. Elle était déjà usée quand j’étais petite. Pourvu qu’ils la conservent. Là, regarde, sur cette pente il y avait un toboggan bleu, on remontait sur le bas-côté. Là, un tourniquet et là une cage à écureuil qui laissait sur les doigts une odeur métallique. Partout, sur les gravillons et dans les bosquets, des lambeaux de mes genoux.

Ce samedi-là, je ne vois pas ce qui est, je vibre de ce qui fut. Mes fantômes chahutent, leurs voix s’emmêlent, je dois fournir un effort pour ne pas être emportée dans leurs tourbillons. Le mistral, la soif, le soleil et mon amie m’ancrent dans le présent.

Allez, viens, on redescend. Ça ne t’embête pas un détour par l’église Notre-Dame des Doms ? Quand on était gamins on venait admirer la crèche, bouche ouverte, les yeux écarquillés, mains sur les grilles.

Le sol de l’entrée, usé, bosselé, glisse de tant de passages. Je ne me souvenais pas du plafond de la nef, sobre et blanc. À droite, devant une chapelle, de petites bougies vacillent. Je ne crois pas aux dieux du catalogue, mais je crois au silence dans un espace spirituel protégé et aux flammes qui dansent. J’en ai un besoin vital. Comme souvent, je cède à la tentation d’en allumer une. Un écriteau annonce que le geste coûte deux euros. Dans mon portefeuille, de minuscules pièces en cuivre s’entrechoquent. Hmmm que faire ? Un panneau digital rassure le passant désargenté : la Vierge Marie prend la carte bleue. Les dons préformatés sont au nombre de trois : deux, quatre ou six euros. Par défaut, l’écran propose quatre euros. Je clique sur deux. Non, mais !

Retour sur la place du Palais. Mes fantômes montent dans le petit train pour rejoindre le Rocher des Doms, tour de manège avant le toboggan. Ils courent s’asseoir à l’ombre des platanes pour regarder le numéro d’un mine grimé dans la chaleur et la foule du festival. Ils réclament une glace au vieux monsieur à la roulotte. Le passage derrière le Palais des Papes a le goût de la banane, celle que ma grand-mère a tirée un après-midi de son sac à main, magique comme celui de Mary Poppins. Les noms des rues, si poétiques, font ressurgir comme les pliages d’un livre d’images, le magasin de tissus des chemises de mon petit frère, une boutique de fleuriste élégante. Partout des enseignes de théâtres. Au croisement, j’aperçois un dos qui se presse vers les halles pour acheter les olives vertes cassées au fenouil. Ces madeleines familiales, je suis allée en chercher pour mes enfants qui, eux aussi, les ont adoptées.

Balades dans les rues, où se balancent quelques affiches rescapées du festival de cet été, et où traînent quelques touristes. Les platanes de la rue des teinturiers sont morts du chancre coloré. Un poète armé d’un pot de peinture blanche et d’un feutre noir y a inscrit des textes et des citations. Je me souviens de deux comédiens, encombrés d’un cadre de lit laqué de rouge, distribuant des tracts pour une pièce émouvante où j’ai reniflé et essuyé mes joues tout du long dans le noir.

Nous marchons dans des rues inconnues trop connues.

- Avec ta famille provençale, qu’est-ce que tu es partie faire en Allemagne ?

-Je me le demande !

Rires.

Je suis partie me rencontrer, m’autoriser à écrire et me faire des amis pour la vie.

Nuit chez ma cousine. Tendresse des retrouvailles avec sa famille.

Passage fugace, au large du portail, pour ne pas inquiéter le propriétaire actuel, devant la maison où avait emménagé ma grand-mère à la fin de sa vie. Le jardin a gagné en lumière, l’immense cerisier a été sacrifié. Le jujubier semble aussi avoir disparu. Dans sa ruelle, j’avance en jouant des coudes entre mes fantômes comme dans une cour d’école à la récréation.

Nous longeons un moment les voies du tramway, installé pendant notre séjour en Allemagne. Les remparts noircis de mon enfance ont retrouvé la blondeur de la pierre. Porte saint-Michel, place des Corps saints, place des châtaignes où la boulangerie du coin vendait les délicieuses fougasses (nature et aux grattelons) des treize desserts de la Noël.

Déboucher sur la place du Palais des Papes par l’étroit passage-goulet, à l’ombre de façades imposantes. Traversée de l’esplanade, vide et écrasée de soleil qui semblait interminable à mes petites jambes. Atteindre le musée du Petit Palais, c’était franchir le Sahara. Les groupes ne viennent pas jusque-là. Ils se pressent au Palais des Papes.

Voilà plus de quarante ans que je n’ai pas pénétré dans ce musée, dont ma mère disait que c’était un bijou. Dans la lingerie en Ardèche, les affiches d’expositions sont toujours là, punaisées au mur, Vierges à l’enfant de la Renaissance italienne, toutes d’or et de bleu. En entrant, je souris en regardant le sol : la pose des carrelages de terre cuite rappelle celle de notre calabert ardéchois (pour ceusse qui ne suivent pas parce qu’ils viennent du nord, le calabert est un hangar de ferme). Quelqu’une s’en était inspirée. Je l’avais oublié.

Vierges d’or et de bleu, au sein placé sur la clavicule, un bébé aux traits de vieillard sur les genoux. Les peintres d’alors n’avaient-ils jamais vu de femme nue ni de bébé ? Ou bien les normes cléricales exigeaient-elles cette représentation dérangeante ? Magnifiques, troublants, lumineux et sombres, magnétiques les tableaux aimantent.

Trop de vent pour boire un thé dans le jardinet pourtant clos du palais. Nos lèvres gercées attendront. C’est l’heure. L’heure de pénétrer dans le saint des saints, le Palais des Papes.

Une grande banderole sur le côté annonce l’exposition Miss.Tic. Son nom me dit vaguement quelque chose, je ne connais pas son œuvre. Je veux entrer pour me perdre dans les couloirs d’un palais médiéval, pour le fantôme de Gérard Philipe dans la Cour d’honneur, et de ma mère préadolescente, habillée en contadine avec son groupe de danse pour la farandole.

On nous a remis une tablette pour découvrir les pièces décorées comme au temps des papes. Ça oblige à baisser la tête sur l’écran, à ne pas trop s’éloigner des bornes sinon l’objet se croit kidnappé et se met à hurler (bon, y’a que le mien qui a fait ça).

Les œuvres de Miss. Tic sont éparpillées dans les couloirs et les jardins, les pièces du palais. Curieuse, je m’approche et lis ses phrases poétiques et pertinentes, politiques et féministes, engagées, sensibles et audacieuses. Ce sont des tags d’une artiste de rue hors du commun, un Banksy femme jongleuse de mots. Je les dévore en souriant, happée par la grâce et la force d’une âme jumelle.

Elle a décoré les rues de Paris, armée de bombes et de pochoirs, et de sa détermination, artiste à ciel ouvert. Elle est morte en 2022, une amie me dira qu’elle suit toujours sa page Facebook.

Les tags reproduits sont encadrés, les aphorismes et poèmes courts dégringolent le long de banderoles de calques, dans les salles de banquet du Palais des Papes, symboles de la domination masculine. Entre ces murs de pierre où les femmes étaient admises pour frotter les sols, récurer les casseroles, peler les patates, et se faire peloter dans un coin sombre par un ecclésiastique en robe, les mots d’une autre femme, debout, avec « plus d’un tour dans son art » éclatent.

Je prends photo sur photo. J’espère à la boutique pouvoir acheter un recueil de ses aphorismes. En vain. Un numéro spécial de Beaux-Arts, un album. Non, ils vont rester sur les étagères entre celui sur Nicolas de Staël et de Praxitèle. Depuis le haut du Rocher des Doms, la veille, j’avais vue sur le passé. Ce matin, sur le perron du Palais des Papes, j’aperçois l’avenir, mes fantômes s’écartent devant l’élan de Miss. Tic qui me tire par la main.

Depuis quelques jours, je porte un deuil, le deuil de la publication de mon livre à laquelle j’ai dû renoncer dans l’immédiat. Miss.Tic me le souffle. « C’est la vie, ça va passer. » Fière de moi, je lui réponds : comme toi, « je ne me suis pas laissé défaire ».

La voilà la surprise annoncée en tête d’article. On n’a pas dit que la surprise était bonne.

Pour des raisons de choix éditoriaux, j’ai décidé de me séparer de ma maison d’édition. J’ai viré mon éditeur. À trois semaines de la date de publication annoncée pour mon roman, il n’avait rien fait. Pas de couverture, pas de communication auprès des libraires et des médias. Comme dans la chanson de Vincent Delerm, Le monologue shakespearien, qui d’ailleurs se passe au théâtre pendant le Festival d’Avignon, je suis partie avant la fin, avant de savoir le fin mot de l’histoire. J’ai posé un lapin à un épilogue prévisible où je bradais plusieurs années de travail contre aucune valeur ajoutée et de l’irrespect.

En colère, je me sens flouée mais soulagée d’avoir retrouvé les commandes de ma création. Faute de réponse à mes questions sur le contrat proposé, je suis restée libre : j’ai rendu son titre et son honneur à mon manuscrit. Le monde de l’édition est-il partout aussi décevant ou suis-je mal tombée ? Miss.Tic l’a écrit le port du cerveau est obligatoire. J’ajoute, celui du cœur aussi.

Je vous remercie pour votre soutien, votre enthousiasme, vos précommandes.

Ce n’est que partie remise, je vous tiendrai au courant pour la suite, lorsque j’aurai décidé sous quelle forme mon roman sera publié.

En attendant, j’ai l’honneur d’être invitée à en parler à la médiathèque B612 de Saint-Genis-Laval en compagnie d’autres auteurs locaux, le mardi 8 octobre prochain, à 18 h 30.

Emojis : je saute de joie, cœur, fleur, confetti et tutti quanti.

Soyez les bienvenus, avec vos amis si vous passez dans le coin.

Fantômes acceptés.

Le temps d’un regard

Peuplier obstiné, village ensauvagé, acte de mariage du XIXe ressuscité et cartons défaits

La porte sur les journées harassantes du mois d’août vient de se refermer. J’ai poussé le verrou. Les cartables ne sont pas prêts, non, ça fait bien longtemps qu’ils ont été offerts à d’autres petites mains. Le sac à dos de l’une a été passé à la machine, avec la trousse. Le nouveau sac de l’autre n’est pas encore arrivé, jeté dans le jardin par-dessus le portail par un livreur pressé. Tout le monde se presse, s’esquiche et se comprime. Nous n’avons jamais eu autant d’aides technologiques pour gagner du temps, pourtant nous courons toujours après, de plus en plus vite. Pas après le sac en velours vert kaki, qui aurait dû arriver hier, tu ne crois pas maman ? Pas après la liste des copains de classe qui n’est pas affichée sur Pronote une poignée d’heures avant la première classe, c’est nul tu ne trouves pas? Nous courons à perdre haleine, sans nous rendre compte que c’est après nous-mêmes que nous courons.

Quelle affaire que de savoir quels camarades vont partager nos professeurs et notre emploi du temps pendant cette année scolaire ! Je ne m’en souvenais pas. Cette préoccupation majeure se dilue avec les années, éphémère comme tout, comme nous. Notre projet de vie : oublier que nous ne sommes que courants d’air. S’enivrer de sujets qui n’en sont pas, se soumettre au tourbillon de la vie pour tourner le dos à notre finitude. Relégués aux greniers les gestes religieux, les rites, les croyances qui nous offraient des certitudes rassurantes pour l’après. C’est au 13e siècle, avec l’essor de la religion, que le concept de « perdre son temps » est apparu. Quand on prend le temps, c’est Dieu que l’on vole. Interdit de bayer aux corneilles sans culpabilité.

Ma science neuve date des dernières séances de pédalage sur vélo elliptique. Dans la chambre assombrie par les persiennes fermées sur la fournaise, j’ai regardé un documentaire d’Arte : Le temps, une énigme sans fin. Le temps, ce mystère, concept qui s’échappe dès qu’on croit le comprendre, qui coule entre les doigts comme le sable du sablier brisé au sol.

L’émission s’ouvre sur une expérience surprenante : faire asseoir face à face deux inconnus, et leur demander de se regarder dans les yeux pendant quatre minutes. La perception du temps s’allonge. Des yeux ridés pleurent. Des yeux de petite fille se détournent un court instant. Quatre minutes pour plonger dans l’humain, sans distraction, sans excuse, la présence pure. Le temps d’un regard, s’abandonner à être, dans toute sa vulnérabilité. La vulnérabilité, celles des autres et surtout la nôtre que nous fuyons. Quand nous sommes-nous regardés dans un miroir, longtemps, vraiment, pour prendre de nos nouvelles, sans fuir notre âme sous prétexte de rectifier une mèche rebelle ? Nos failles (nous) dérangent.

Samedi matin, en mission d’échange de jean baggy, j’ai poussé la porte de la librairie du centre commercial. Enfin, façon de parler. Les temples de la consommation nous avalent sans obstacle. Après quelques minutes à patienter près d’un endroit marqué « Point libraire » au-dessus d’un ordinateur, la dame a terminé sa conversation avec un client et je me suis présentée.

-Bonjour, je suis une auteure lyonnaise, qui publie un roman prochainement. Est-ce que vous organisez des rencontres signatures ?

-On n’en a plus fait depuis le confinement. Quel est le titre de votre ouvrage ?

Vous ne rentrez pas dans les cases, madame.

Elle trouve mon livre dans sa base de données, mon ego gonfle ses plumes. J’ai envie de lui demander si je peux prendre son écran en photo. Elle lit attentivement le résumé, ce que j’apprécie, et se tourne vers moi.

-Nous allons reprendre les rencontres, mais avec des sujets plus positifs que ça. Ça m’embête de dire ça à quelqu’un qui se présente en personne.

-Merci, madame, pour votre franchise.

Une information honnête est précieuse, j’apprécie le courage de la jeune femme. Cependant mon humeur embrumée a reçu le matin même une mauvaise nouvelle et sur la chanson Where the lost things are de Mary Poppins returns j’ai craqué. Entre les rayons de sciences et de développement personnel, la joue mordue pour contenir les larmes toutes prêtes, je hèle ma fille égarée dans les romans.

-Sortons vite. Tu sais ce qu’elle m’a dit la dame ?

Je raconte. Elle me prend la main.

-Tu sais ce que j’avais envie de lui répondre : « Vous voyez c’est la métaphore parfaite du titre ».

Rires doux-amers.

-Je me suis retenue d’ajouter, en levant la tête et un index vers ce panneau « Point libraire » : « Pardon, je pensais être dans une librairie, pas à Disneyland. »

Elle n’y est pour rien la « libraire », comme l’allumeur de réverbères du Petit prince, elle suit la consigne. La consigne du toujours plus, du sirupeux, du léger, du facile. Vite, courons nous réfugier sur Netflix, avec un seau de Smarties, dans une orgie de couleurs, de lumière criarde, de bruit et d’injonctions à consommer. Vite, vite, oublions que l’on peut penser, et que la bouchée de crème caramel n’est jamais aussi savoureuse qu’après une salade d’endives. Memento mori, mais pas trop.

Ou bien trouvons un interstice, une fissure dans l’espace-temps, et partons nous promener à Chaudun, petit village des Hautes-Alpes. À la fin du XIXe siècle, ses 129 habitants appauvris ont décidé de le vendre à l’État pour partir chercher fortune aux États-Unis, en Afrique du Sud ou au Mexique. Les épicéas et les hêtres, les aulnes et les épilobes, les loups, les renards, les blaireaux et les cerfs ont repris possession de leur royaume de rocher. Les mélèzes s’élancent dans l’ancienne école et la mairie disparue. Plus personne ne se recueille sur l’unique tombe préservée, celle de Félicie Marin, décédée à 17 ans le 30 avril 1877. Le cimetière, protégé tardivement de l’engloutissement, a été ceint comme à regret, d’un mur de pierres, sans porte. Un village et des champs rendus à la montagne, un passé humain englouti par les brins d’herbe, ça me rassure.

Au coin de ma rue en banlieue lyonnaise, les rejets du peuplier d’un parc ceint de murs (avec portail) finissent toujours par crever le goudron du trottoir rafistolé. À chaque passage, je guette la lance verte, drapeau minuscule de la reconquête. Hé, hé, bravo, ils ne t’auront pas. À Mainz, chez un autre voisin, les employés municipaux, lassés de tailler et regoudronner, avaient fini par sacrifier sa majesté le peuplier pourtant planté dans un jardin privé. Accusé de vouloir vivre. Condamné. Prière de rester sous le goudron, dans vos cases, vos murs sans portes, de retenir votre élan vital. Interdiction de penser. Quand l’homme aura fini de s’autodétruire, il restera le peuplier. Quel soulagement !

Le documentaire sur le temps évoque un petit commerce disparu : celui de l’heure exacte. À la fin du XIXe siècle en Angleterre, chaque semaine, Ruth Belleville fait le point auprès du méridien de Greenwich et passe de boutique en boutique, armée de la montre gousset familiale, prénommée Arnold, comme l’horloger qui l’a fabriquée. Pendant près de cinquante ans, comme son père avant elle, et même après l’introduction de l’horloge parlante, elle approvisionne les Londoniens avec deux aiguilles sur un cadran de poche. Seule la guerre en 1940 l’a confinée chez elle, enfin retraitée à 86 ans.

Aujourd’hui, si plus personne n’a de montre, tout le monde a l’heure. Mais personne n’a le temps qui ne s’achète pas, sauf en Suisse, pays des montres précises et des coucous vernis, où il a donné son nom à un grand quotidien. Les Français ont Le Monde. Le temps et l’espace. Que nous reste-t-il ? La liberté d’arriver en retard à un endroit où on n’a rien à faire, comme à la boutique de jean baggy un samedi matin, avec celle de mes filles qui a le travers de partir à l’heure où elle doit arriver. Ce qui met sa sœur et sa mère en rage. Certains pensent qu’ils peuvent toujours empiler dans un placard ou un agenda, d’autres les regardent de travers, et ne s’autorisent à remplir que du vide.

J’aime regarder dans le rétroviseur, vers un temps où on prenait le temps, celui de la nature, où la durée avait un prix, celui de son respect. Cette semaine, j’ai voyagé à l’époque lointaine des contemporains de la jeune Félicie de Chaudun, dans un monde qu’elle n’aura jamais connu, celui de la très grande ville, plate et polluée.

Une amie allemande a sollicité mon aide pour transcrire un acte de mariage parisien de la fin du XIXe siècle. Pourquoi pas ? À l’ouverture, le fichier PDF presque illisible m’a inquiétée. Même les noms propres étaient tout juste reconnaissables. Et puis, à force de me familiariser avec le langage officiel, de comprendre que les doubles consonnes ss s’écrivent en fait sf, que les majuscules sont élégantes et la ponctuation inexistante, à force de parcourir sur le site des Archives de Paris d’autres pages de ce registre, et d’apprivoiser la graphie désuète de Monsieur Garcin, officier d’État civil pressé qui enchaînait les mariages toutes les cinq minutes, j’ai réussi à retranscrire tout l’acte moins un mot. Tassé en pente descendante à la bordure droite de la page, il reste abscons. Pas de lettre qui ne dépasse vers le haut ni vers le bas. Difficile d’identifier le nombre de lettres. Je m’en remettrai aux conjectures pour renvoyer le texte à mon amie. Je penche pour mairie.

Cette glissade dans le passé fut un exercice passionnant au temps lointain, inconnu, de l’époque de mes arrière-grands-parents. Merci aux préposés patients qui se sont coltiné de scanner toutes les pages des registres. Pourquoi ces deux jeunes Allemands de la Rhénanie, originaires de villages presque voisins, se sont-ils retrouvés à vivre à Paris et à s’y marier ? Ils ne parlaient pas le français, un traducteur-interprète juré était présent aux côtés de leurs témoins. Quel était le métier de raffineur ? Des recherches évoquent le traitement du salpêtre, ou la fabrication du verre, ou encore celle du sucre. Trois domaines bien différents. L’impasse du logement de l’époux a été rebaptisée depuis. Pour cette union express, un dimanche matin, probablement le seul jour de congé de la semaine, avaient-ils revêtu leurs plus beaux habits ? Ont-ils complété l’acte civil par une cérémonie religieuse ? Ou bien ont-ils fait la noce à la sortie de la mairie du 19e ? Une photo a-t-elle été prise ?

J’ai eu envie de tourner la page du registre et de tirer sur les fils dégagés par mes recherches. Je voudrais comprendre. Comment s’opère le changement de graphie ? En douceur d’une génération à l’autre, mais de façon inéluctable sans doute. De nos jours on reconnaît au premier coup d’œil un texte écrit par un enfant anglais, un jeune allemand ou un petit français. Les enseignements des boucles et des bâtons différent entre carreaux et lignes. Dans une même langue, la façon de parler évolue aussi avec l’époque. Les mots, les expressions, mais aussi l’élocution. Les reportages sur la libération de Paris chantent à nos oreilles du XIXe siècle. Dans les vieux films, le langage dépayse et c’est une partie de leur charme. Qui dit encore « On a été rosses avec lui » avec une intonation oubliée, comme la petite fleuriste dans le magnifique Ascenseur pour l’échafaud, récemment revu. Je n’avais gardé de ma découverte vers seize ou dix-sept ans, qu’un souvenir ébloui de lumières dans la nuit sous la musique envoûtante de Miles Davis, le gros plan sur le visage de Jeanne Moreau au téléphone et un paquet de cigarettes enflammé qui chute dans une cage d’ascenseur en noir et blanc.

Ce week-end mon mari et moi avons déballé la vingtaine de cartons intouchés depuis notre déménagement en août 2022. Entreposés dans la seule pièce qui a suffisamment échappé aux travaux pour y stocker des meubles, des objets inutiles, une cage géante pour deux gerbilles sur le canapé en cuir. Malgré les grands plastiques scotchés, malgré les draps indiens, les couvre-lit de coton (pourvu que la saleté parte à la lessive), les rideaux de douche reconvertis, tout était recouvert d’une poussière grise, fine comme de la farine, comme des cendres. Un volcan intérieur a fait éruption dans notre chez-nous. Les répliques se font encore sentir dans les empreintes noires sur les carrelages crème, dans les courbatures de mes bras et mon dos.

Nous avons bataillé, entre niche de Gaïa improvisée établi, nouvelle cage en construction, plus petite, pour les gerbilles, outils à même le sol, pour déballer ces cartons et les transférer, souvent, dans des sacs poubelle. Que faire du menu de la pizzéria de Mainz ? Des poignées de masques anti-covid usagés ? Les masques neufs de chez DM et les boites de tests ont rejoint l’étagère de médicaments. Les millions de stylos ont été vaguement triés. Combien de rouleaux de Scotch, pardon de Tesa, avons-nous entamés ? Les papiers un peu froissés, un peu dessinés… pourquoi avoir gardé tout cela ? Le déménagement s’est décidé si vite, nous n’avons pas eu le temps de trier.

Il est venu le temps de trier. De mettre nos pendules à l’heure et revenir au présent.

Des présents aux inconnus pour élaguer notre présent. (Désolée, je n’ai pas pu me retenir). Je veux donner et jeter. Les cartons de décennies de magazines pour enfants (Pomme d’Api, Astrapi, Salamandre, Images Doc, Okapi, Aquila…) partiront chez Emmaüs. Les livres seront triés, offerts, confiés. Seuls resteront les livres-sourires. Fervente adepte de Marie Kondo mais peu pratiquante, au gré des déménagements rapprochés et des travaux nous avons déplacé chaque table, chaque livre, chaque pot de confiture plusieurs fois, tous sont passés dans chacune des pièces. Trois cartons contiennent depuis 2018 des albums et des pochettes de photos datant du temps où le virtuel n’avait pas phagocyté nos souvenirs et nos visages lisses.

Pour laisser le robot aspirateur virevolter à son aise dans notre chambre, mon mari a débarrassé le dessous du lit. La boite en carton brun m’intriguait, quels trésors abritait-elle ? J’ai soulevé le couvercle pour découvrir que c’était les miens : des cahiers de ma maman, où elle notait mes progrès de bébé et petite fille (et ses journées), le cahier Clairefontaine rouge, où j’ai fait pareil avec mon premier enfant pour les premiers mois (les autres n’ont pas eu cette chance, leur mère était moins disponible). J’ai feuilleté ces cahiers, et plongé dans le passé. Un passé doux-amer, un passé où il est agréable de se perdre de temps en temps. De s’oublier dans des souvenirs changeants en fonction du moment où on les attrape.

Je suis épuisée. Je voudrais, enfin, un week-end ou un soir, un midi avec ma tasse de thé, m’effondrer dans un canapé dans un espace apaisé, selon le mot à la mode chez les urbanistes qui ne doivent pas savoir ce qu’il veut dire. La tâche n’est jamais finie. Je veux jeter mes anciennes toiles où j’ai commis des tableaux à l’acrylique, me délester pour bayer aux corneilles, envolées depuis bien longtemps. Que faire des œuvres de mes trois enfants, toutes conservées ? Imaginez les bazar… Ces grands cartons à dessins, ces rouleaux contenus par des élastiques qui craquent mollement quand on les manipule, si touchants quand on les ouvre sous leur poussière grise. La cendre du temps. J’ai voulu prolonger l’éphémère. Des pages blanches couvertes de traits de crayons, de peinture à l’eau, de découpages maladroits pour retenir une enfance, ma jeunesse.

Ephémère comme la sorcière d’une comédie musicale pour les enfants, vue deux fois au festival d’Avignon, avec mon aîné puis quelques années plus tard avec sa sœur. J’en chantonne toujours des chansons. Ephémèèèèèère, ça n’est pas un nom de soricèèèèère, mais que donc a pensé ton pèèèèère…. Nous n’avons pas un radiiiiis, nous allons changer de viiiie…. Un souvenir chanté ça prend moins de place dans un coin de séjour et c’est tout aussi précieux. À nous deux déchetterie, j’arrive. Place !

Avez-vous remarqué ? Pour ses cinq ans (cinq ans !) j’ai relooké le site de Mainzalors.com. J’ai réécrit les textes de présentations, modifié les intitulés des onglets. Pour accueillir un nouveau livre et de nouveaux lecteurs, on s’est faits beaux. Je prendrai rendez-vous chez ma coiffeuse si j’arrive à me souvenir du mot de passe de la plateforme. J’ai tant à vous dire.

Mais chut. Je tends l’index sur les lèvres du temps pour lui demander de se taire.

Laisse-moi tranquille, temps qui court, le regard de quelqu’un attend le mien.

P.S. : Quand Mainzalors.com sera grand, je proposerai un partenariat à Arte ? ;o)

Le hérisson de 22 h 15

Moments sourires de l’été avec une (énooorme) surprise à la fin

Bienvenue dans mon entre bleu, pardon, dans mon entre deux.

Un entre deux, comme je vous l’écrivais l’autre jour, entre vacances au bord de l’eau et rentrée à petits carreaux. Entre deux temps et trois vagues je flotte. Entre un avant et un après, dans la langueur de l’été, et l’attente perlée, inavouée. Celle de refiler mes filles à l’éducation nationale pour pouvoir prendre une grande inspiration, debout face à la fenêtre, et me repousser d’un coup de l’appui, en soufflant : « C’est maintenant ». L’attente de l’éclosion d’un projet de longue haleine, aboutissement de la métamorphose, craquement de la chrysalide, il va naître c’est pour bientôt, les premières contractions serrent la gorge et le ventre.

C’est maintenant.

Disons que c’est bientôt, la main tendue pourrait le toucher, mais, sait-on jamais quand il s’agit du futur : demain ou la semaine prochaine ne vont-ils pas me filer entre les doigts ? Ils coulent et s’échappent, à l’aval de ma rivière. En équilibre sur les galets de mon gué, mes amis fidèles, je m’accroche d’une main à la falaise avant de me propulser vers l’autre côté, sans balancier ni garde-corps, temps et respiration suspendus. Sur l’autre bord, l’après, je rejoindrai ce demain où j’ai rendez-vous.

Un rendez-vous secret, jusqu’à la fin de cet article.

Au fil de l’écriture, cet après-midi, il me semble que chaque mot me rapproche de la décision de briser le silence comme on brise avec un petit marteau rouge, la glace du bouton d’arrêt d’urgence dans un train. Ma main se tend vers l’outil, hésite et s’abaisse, puis, fascinée, se rapproche à nouveau. Dans ce cas, il s’agit plutôt d’un bouton de lancement, une manette qui libère le frein.

Nous verrons bien, vous et moi, ce que mes doigts décideront. Je leur laisse la main.

Voulez-vous bien me tendre la vôtre ? J’ai un peu peur.

En attendant, je voudrais vous raconter mes sourires de l’été, vous les prêter comme on confie des bocaux à la voisine qui fait des confitures d’abricot et se trouve à court, la louche fumante à la main. Tenez, mes pots dépareillés, aux couvercles en Vichy rouge et blanc ou parsemés de fleurettes jaunes et violettes, tenez, mes pots aux traces d’étiquettes mal décollées au lave-vaisselle, qui promettent encore, sur un verre vide, la mûre de 2019, la fraise ou la groseille de 2020 et le cassis de 2021. Tenez, remplissez-les. Ça peut toujours servir.

Ça peut toujours servir, un sourire.

Alors, asseyez-vous, je vous raconte.

Le noisetier

Un soir, dans ma chambre neuve, au placard béant encore inachevé, dans le tourbillon d’une installation en cours, entre le piano désaccordé par le déplacement et empoussiéré, un tas de vêtements et la couette inutile sur un fauteuil, j’ai découvert ma nouvelle perspective depuis l’oreiller. Une fenêtre à trois vantaux, au ras du sol extérieur, car la chambre est au rez-de-chaussée, au sol décaissé pour gagner un peu de hauteur de plafond dans l’ancien garage. La fenêtre ouvre sur un noisetier sauvage, poussé spontanément au bord du chemin, sans doute un garde-manger oublié des écureuils du voisinage. Il ne touchait pas encore les fils de l’étendage quand nous nous sommes installés, désormais il les dépasse, enfin, il les dépassera quand j’aurai retendu le fil de fer sur des poteaux repeints (en vert, y a comme une obsession côté couleur). Il va gêner c’est sûr, il va nous briser la vue sur l’étendue d’herbe qu’une rare tonte, manuelle et silencieuse, improvise pelouse.

Ce pré miniature m’enchante au printemps de violettes, primevères et pâquerettes, puis, en juin, de fraises des bois et à l’automne de cyclamens d’un rose violet. En ce moment, il somnole, sous les grillons, les moustiques tigres, et les rayons de soleil trop verticaux. Les fleurs sauvages renoncent, elles estivent. Au-delà de ce pré de poche, une haie de lauriers-tins, en bataille, une haie de bocages, non taillée, aux feuilles roussies, emmêlées d’un troène, d’un sureau en devenir, de pousses de micocouliers égarées, d’un rosier Lady Banks qui un jour, c’est sûr, il me l’a promis, fleurira de pompons blancs. Au-delà de notre rempart pour rire, celui des voisins, un grand lilas des Indes, un bouleau, le squelette de l’épicéa tronçonné pour cause de maladie. Un fouillis de verts, mobiles et frissonnants. Du vert, encore du vert. Revenons à ce soir-là, allongée sur mon lit, la fenêtre entr’ouverte, je n’ai pas éclairé la lampe de chevet, pour boire la tombée de la nuit encadrée par cette nouvelle fenêtre.

Une étoile, ou peut-être une planète, s’est allumée entre deux branches de lilas des Indes, et je l’ai regardée naître un instant, de longues secondes étirées en minutes. Dans le triangle de branches et de feuilles, elle a glissé. Bien sûr à chaque coucher ou lever de soleil ou de lune, on vit cette même expérience. Pourtant, ce point brillant minuscule, sur un fond qui s’assombrit, par sa dimension infinie, sa délicatesse, a transformé une tombée de nuit en instant sacré : j’ai vu la terre tourner.

Ceci n’est pas un hérisson

Autre moment où la respiration et les gestes s’interrompent pour ne pas déranger le mystère, la traversée du jardin sur le coup de 22 h 15 par un long hérisson. À son premier passage, lors d’un dîner avec des amis pour étrenner la terrasse (oui, ce jour inespéré a fini par arriver), occupée dans la cuisine, je l’ai raté. Le miracle avance à pas pressés. Au deuxième repas nocturne, avec des amis allemands de retour de la Méditerranée, j’étais là. Nous l’avons observé, muets et souriants, longer le mur, passer sous un carrelage incliné, et se cacher dans le bosquet. Ça farfouillait un peu plus loin dans les feuilles, des cousins à lui sans doute. Au moment de se dire au revoir, un jeune hérisson explorait en reniflant le mur du voisin. Ma fille a proposé de leur donner des noms de station de métro de Londres. Le hérisson de 22 h 15 s’appelle Baker Street en hommage à Sherlock Holmes. Le petit, je le baptise Pimlico.

Respirez le portail des vacances, en érable tout neuf. Chauffé par le soleil, il sent les crêpes du dimanche matin.

Goûtez les gaufres de la cahute de la plage. Au bout d’une semaine de gourmandises du soir, à l’heure où, dans notre jardin, sortent Covent Garden et Hammersmith, savourez le sourire de la vendeuse qui repousse la main qui tend un billet :

« Non, non, ce soir c’est cadeau, pour vous remercier de votre fidélité ».

Vraiment ? Notre gourmandise est-elle aussi peu discrète ?

« Oui, oui.

- Alors, merci beaucoup pour votre gentillesse. »

Merci, car ce ne doit pas être facile de travailler deux mois ainsi, à quatre dans à peine deux mètres carrés, encombrés de frigos et de congélateurs et de moules à gaufre (mille millions de mille sabords), le père, la mère, le fils et la fille, et la montagne de fraises Tagada. Le père était aussi entraîneur de rugby, mon mari lui achetait déjà des glaces à l’eau quand il était gamin. Ma plus jeune fille a confié au marchand la sélection des parfums de son cornet. Cassis, citron vert.

Observez sans bouger, le couple de huppes dans les pins, en smoking punk, marron clair et rayures noir et blanc. Prenez garde aux chutes de pommes de pin à moitié rongées que l’écureuil lâche, l’une après l’autre.

Enviez avec moi l’insouciance des adolescentes, qui dégustent leur glace en regardant passer les beaux garçons — à mes yeux de quinquagénaire, de grands bébés. Oh là là, il est si loin que ça le temps où tu étais à leur place, Estelle ?

Attrapez, mais oui, allez, personne ne vous regarde, attrapez à pleine main dans la casserole, le reste de pâtes froides, des penne Barilla, pour les jeter à la poubelle. La flemme de sortir une cuillère sert le délice de toucher et malaxer un peu cette texture inhabituelle.

Zut alors, je n’arrive pas à relire mes notes prises sur un bout de page à petits carreaux, à côté d’une liste de courses.

Sans notes, je me souviens du cours de yoga sur la plage à l’aube d’été c’est-à-dire à 9 heures, entre rafales, cris de goélands, ondées rafraîchissantes, et grains de sable sur le tapis. Les yeux fermés, assis en tailleur si vous n’avez pas mal au dos, sinon, à genoux comme moi (pas trop longtemps, sinon… ça fait mal aux genoux), entendez un touriste entré au milieu du cercle du cours, demander à la dizaine de visages recueillis de nanas, où se trouve la plage nord. Ce doit être le même égaré que celui qui, la veille, m’avait posé la même question alors que j’étais au téléphone, profitant sur la dune, à l’ombre d’un tamaris d’un coin qui captait. Interrompre la phrase d’une inconnue plutôt que de se fier à ses pieds et d’ouvrir les yeux. Elle est là, devant, à 50 mètres la plage nord.

Un sourire d’été en forme de séances de cinéma, avec ma fille pour Le comte de Monte-Cristo, (qui a été en partie tourné à côté de chez mon oncle et ma tante au château de l’Enguarran, bises à eux), avec mon mari pour Vice-Versa 2, tiède et convenu, mais comment être à la hauteur du premier opus ? À noter que dans la V.O. l’émotion Ennui a un accent français (joué par une des Adèle dont je ne me souviens jamais du nom de famille à consonance grecque). Pourquoi ? Les Français sont-ils blasés aux yeux des Américains ? Autre casse-tête d’adaptation culturelle, en allemand, l’émotion, Anxiety, Anxiété dans la V.F., s’appelle Zweifel (doute). Avec mon amie allemande le soir du hérisson, nous nous sommes interrogées. Le terme « anxiété », au sens de l’inquiétude et non du trouble psychologique désagréable, n’existe-t-il pas ?

J’ai aussi vu, aux côtés de ma plus jeune, de son amie et de leur baquet de popcorn bruyant, Moi, moche et méchant 4, au titre génial (meilleur que l’original Despicable me 4), pour les blagues des minions et la petite sieste au frais. Je passerai avec pudeur sur une erreur : la soirée Twisters dans une grande chaîne. J’aime les films catastrophes et je préfère les voir en V.O., mais pas au point d’un hold-up à la caisse : le ticket était plus de trois fois plus cher que dans notre cinéma local d’art et d’essai, dont la salle n’a rien à envier aux UGC et autres Pathé. Vive la culture subventionnée, et surtout, leur programmation. Hâte que leur trêve estivale s’achève.

Que penser du maillot brésilien de ma fille ? Des fous rires dans la cabine d’essayage, c’est toujours bon à prendre. La fille s’admire sous toutes les coutures (enfin, sous les quelques coutures) et la mère se gratte la tête, on ne voudrait pas être réac, coincée, frustrante. On ne voudrait pas être une mère comme ça. Pourtant, vraiment ? Tu crois ? Allez donc, madame, vous reprendrez bien une demi-fesse !

Un été en forme de gobelet bleu en plastique, qui résistera aux chutes, sur l’étagère de la salle de bains toute neuve, dans des tons de rose poudré, féminine et douce, que je découvre lors de son inauguration officielle. Une fille tend un fil entre les deux mains en guise de ruban, tandis que l’autre s’y reprend à plusieurs fois pour le couper, avec des ciseaux émoussés par trop de bricolages. Nous déclarons la salle de bains ouverte ! (Peut-être pourrais-tu trouver un gobelet moins bleu, non ?)

La lecture des heures durant sur un transat à enchaîner les romans apportés et ceux achetés sur place parce que la pile était déjà finie. Je vous ferai un petit compte rendu à la page dédiée.

Les guirlandes de fanions bleu blanc rouge dans le cœur du bourg pour la commémoration des 80 ans du massacre de 120 résistants au Fort de côte Lorette dans le sud des Monts du Lyonnais le 20 août 1944. J’irai ce week end aux cérémonies en mémoire de ceux qui ont fait le plus grand sacrifice. Un regard en arrière pour accueillir demain.

La satisfaction physique lorsqu’après une grosse pluie, les plus jeunes pousses d’une plante invasive, le raisin d’Amérique, se laissent arracher avec leur racine blanche pivotante. Les grandes hélas, refusent, renâclent, plient sans rompre. Jusqu’à cet été, nous n’en avions pas, le jardin du haut de la rue, si. Elle avance la vilaine.

Le combat contre le végétal me rassérène. Il offre des limites. Pour libérer un lilas de mon enfance de lianes de clématites sauvages, j’avais passé plusieurs heures à tirer, couper, arracher, débroussailler. Quelques jours plus tard, des cloques s’étaient formées sur l’intérieur d’un de mes genoux. Je ne sais comment en l’absence d’internet, nous avions compris qu’il s’agissait d’une agression due au suc de la clématite. Au Moyen âge, les mendiants l’utilisaient pour provoquer des blessures destinées à apitoyer les passants. J’aurais dû enfiler des gants pour arracher ces envahisseurs toxiques d’Amérique qui n’auront pas droit au compost.

Lys martagon

Aïe. Déjà.

Nous voilà rendus de l’autre côté de cet article. Mes doigts nus ont écrit ce qu’ils avaient sur le cœur. Ils pourraient encore retarder le moment de la terreur joyeuse, de l’annonce dont le sourire essaie de faire oublier des battements de cœur désordonnés, tellement sonores que, je suis sûre, de là où vous êtes, vous les entendez.

Chut. Calme-toi mon cœur. Écoute.

Coup de marteau.

Coup de marteau.

Coup de marteau.

Dans un froissement de velours grenat, le lourd rideau s’ouvre. Ça coince un peu à droite, un instant, avant de coulisser jusqu’au bout. Je retiens ma respiration et m’accroche au mur pour ne pas partir en courant, avant de vous le dire, d’une voix gaie et impatiente :

(La couverture n’est pas encore finalisée, sinon je vous aurais mis une photo, vous pensez bien ;o))

Un roman dans l’air du temps, dans l’air de mon temps, sur la difficulté de trouver sa juste place dans le monde. Un roman sur des thèmes très actuels, hélas, tant mieux. Le départ précipité de l’open space d’un gratte-ciel pour cause de burn out, et les aspérités de la vie qui ont provoqué cette évasion obligatoire. Des relations pas toujours bienveillantes, des maternités compliquées, des tremblements de vie violents ou tendres, comme des amours et des amitiés formidables, des passions révélées. Un roman sur la rencontre de soi, pour s’autoriser à être enfin. Un roman sur des émotions authentiques qui, je l’espère, vous touchera.

Pendant deux ans, tous les jours je me suis assise à mon bureau pour l’écrire. De longs mois et l’aide de trois amies, à qui j’adresse toute ma reconnaissance, ont été nécessaires pour le corriger. Maintenant que je le connais par cœur ce manuscrit, et que franchement je n’en peux plus de le relire, j’ouvre la porte de sa cage pour me consacrer aux besoins de l’éditeur pour le lancement.

Il va peut-être hésiter à s’envoler mon livre, quand on a été longtemps captif, la liberté effraie. Il ne m’appartient plus. Il s’est posé sur la branche de la précommande en ligne, et retrouvera les présentoirs de votre librairie préférée à compter du 3 octobre. Je vous le confie. Prenez-en soin.

Silence.

Salut maladroit, les mains dans le dos.

Sortie en coulisses.

Vertige

Derrière le rideau, les bras en l’air, en chantant et dansant sur place : youpi !

Alors, comment j’ai été ? Ça allait ce que j’ai dit ? Je peux reprendre ma respiration ou je file me cacher sous le lit jusqu’à la Saint-Glinglin ?

À suivre…

Pour tout vous dire

Langueur estivale, yoga sous la pluie et hibou bleu

Août. Un mois interminable qui partage avec janvier une langueur infinie, aggravé par sa chaleur terrassante, ses injonctions au repos et à la détente. Je renâcle. Je n’ai pas envie d’aller me coincer dans des foules sur la route, dans un train, une plage, un sentier de randonnée. Par chance, cette année cela nous est épargné.

Je redoute les arrêts sur image imposés. Les dimanches se laissent désormais apprivoiser, mais toujours ils s’immiscent dans ma semaine, insipides et vaguement écœurants, avec ce goût d’eau du robinet les jours où, après les fortes pluies, elle sent le chlore. On en a besoin, mais on préférerait autre chose. Un trou existentiel, comme le huitième mois de l’année. Les rues désertées offrent le silence et le calme indispensables, mais la chaleur implacable nous confine. Plus que 28 jours, 27, 26… avant de tourner la page sur la libération de septembre et son autorisation de respirer à nouveau. L’été s’entête. Dans son immobilité forcée, même quand on travaille, août atterre.

En Chartreuse

La frénésie bleu-blanc-rouge des JO a submergé Paris. Je vous ai quittés fin juin, juste avant le deuxième tour des élections législatives, autre agitation bleu-blanc-rouge moins saine, et n’ai pas eu l’occasion de vous écrire à nouveau. Depuis l’ouverture de Mainzalors.com, je ne pense pas avoir laissé passer un mois sans publier un article ici. Je suis désolée de ne pas vous avoir prévenus, cette interruption n’était pas planifiée. Je reprends la plume, là au cœur de la tempête de chaleur, dans une chambre assombrie par les volets tirés, pour vous retrouver. C’est un petit plaisir que je m’accorde, comme l’autre soir, un esquimau au chocolat noir avec des noisettes craquantes, en regardant Incroyable, mais vrai, dans un salon enfin apaisé.

Mes filles adorent ce chapeau ;o)

Je ne vous ai pas écrit, parce que j’ai randonné en Chartreuse, rencontré des gens adorables dans une chambre d’hôtes de rêve, observé et photographié un papillon pendant que mon mari suivait une réunion téléphonique sur un sommet. Parfois les congés doivent s’accommoder d’interruptions.

Je ne vous ai pas écrit, parce que j’ai visité L’église de Saint-Hugues de Chartreuse et ses œuvres d’art originales. Merci à E. pour le conseil. Cette église d’un hameau de montagne, au pied de Chamechaude et du Charmant Som, toujours consacrée, est également un musée départemental gratuit. Quelle idée intelligente de faire doublement vivre ce lieu ! Passionné d’art sacré, le peintre et sculpteur Arcabas, dès sa nomination comme professeur à l’École des Beaux-Arts de Grenoble en 1950, se met en quête d’une église à décorer. Il a à peine vingt-cinq ans et pendant plus de trente ans, il va concevoir et réaliser un ensemble de peintures, vitraux, sculptures et mobilier. Je n’avais jamais entendu parler de cet artiste, mais la reproduction de son hibou à la chambre d’hôtes m’avait d’emblée tapée dans l’œil.

Saint-Hugues

Lors de notre visite, en fin de matinée, peu de monde. Nous nous garons dans l’herbe à proximité. À l’entrée, l’église-musée donne une impression de lumière et de cohérence retrouvée, entre l’art et la paix. Les œuvres, mélanges figuratifs et abstraits, aux symboles mystérieux sont accrochées aux murs sur trois niveaux, trois strates qui correspondent à des périodes de création d’Arcabas. Je pense à Picasso et à Braque, dans des tonalités sourdes de terre et de ciels orageux.

Musée Arcabas

En arrivant, j’interroge la jeune femme de l’accueil :

– Vous avez une boutique pour acheter des affiches ?

– Oui, au fond, derrière.

Soulagement.

La tête en l’air, j’ai admiré, décortiqué, essayé de comprendre avant de me laisser imbiber. J’ai pris des photos souvent floues et de travers, avant de m’assoir un instant pour me recueillir, comme j’aime à le faire dans les églises vides ou les musées calmes, et réaliser un deuxième tour, pour acheter la reproduction du hibou.

Je ne vous ai pas écrit parce que j’ai accompagné sur la côte atlantique mes filles et mon mari passionnés de surf. Pas de bananes trop mûres dans la voiture cette fois, non, juste des caisses de courgettes, tomates et melons, empilées entre les deux adolescentes.

Je ne vous ai pas écrit parce que j’ai lu sous les pins dans un transat blanc délavé et suivi des cours de yoga sur la plage tôt le matin, en plein vent, et même un jour sous la pluie.

Je ne vous ai pas écrit, parce que je me suis baignée à la lisière de la garrigue, chez mon oncle et ma tante, et que j’ai beaucoup parlé avec eux, la tête pleine de cigales. Parce que j’ai aussi discuté, en marchant sous les chênes verts, avec une cousine.

Pourtant, les évasions, ferments créatifs, ne m’ont jamais empêché de sortir mon carnet ou mon ordinateur, bien au contraire.

Je ne vous ai pas écrit, car je n’y arrivais pas.

Je ne raconterai pas ici pourquoi, sachez juste que parfois la vie déclenche des tornades et cela déstabilise un temps. Comme le culbuto de mon enfance, une tortue vert orange et rouge aux couleurs effacées (oui vive les années 1970), je retrouve peu à peu mon équilibre. Le courant d’air bouscule et secoue, puis le mouvement s’essouffle, la poussière retombe et, dans le sable sous les aiguilles de pin, le chemin vers l’écriture réapparaît. Je l’emprunte aujourd’hui pieds nus, guidée par la voix de mon mari, d’amis fidèles aux valeurs saines, et mon courage retrouvé dans le fond d’un placard, peut-être celui dont il faut découper les étagères.

J’ai dû faire un détour et opérer un repli. J’avais égaré la boussole pour me guider jusqu’à vous. Vous m’avez manqué.

On a voulu me couper la parole. On ne me la coupera pas. La preuve me revoilà, pour vous annoncer que je vous prépare une surprise pour la rentrée. Il y sera question de voie et de voix, de liens et d’entraves, de coups de ciseaux dans des fils de marionnette, de peines et de joies plus grandes encore. Roulement de tambour — encore, encore, encore, oui c’est un peu long, ce roulement de tambour de quelques semaines — avant l’ouverture du rideau. Soyons patients, vous et moi.

(Je m’interromps ici pour aller mettre les maquereaux au four. Hier j’ai fait cramer les patates douces, trop absorbée par mon travail. Je vais tâcher de ne pas recommencer. Rappelez-moi s’il vous plaît de descendre contrôler la cuisson avant que mon odorat ne me précipite à bas des escaliers en courant vers les fenêtres pour les ouvrir.)

Revenons à la maison.

Au retour de nos évasions de juillet, nous avons eu la joie de découvrir nos travaux presque finis. Reste le nettoyage, le rangement, la décoration et, à l’automne, la récompense des plantations. Dans la pièce voisine, j’entends la scie : mon mari découpe les étagères d’un placard pour les adapter au passage du conduit de ventilation. Ma grande fille m’a aidé à déménager mon bureau dans la chambre verte. Son matelas a quitté le salon pour retourner à sa chambre rose, orange, ou peut-être corail, elle hésite encore, et celui de ma benjamine est remonté depuis l’atelier vers sa chambre bleue. Pas vraiment de meubles encore, juste un espace propre, des étagères et des portes derrière laquelle chacun peut se replier. L’intimité, un luxe inouï.

Depuis notre départ en Allemagne à l’été 2018, nous vivons dans un entre-deux. Expatriation temporaire, installation provisoire en attente de la rénovation, puis dix mois de travaux avec, pour survivre au bruit, au chaos et au surmenage, la perspective, l’espoir, un jour, bientôt, d’enfin poser ses valises et de les défaire. Nous y voilà. Les valises empoussiérées sont déposées.

La réouverture de cartons offre le bonheur de retrouver des livres oubliés et l’occasion de se séparer d’objets inutiles dans une partie de Marie Kondo. Comment procéder avec les objets fétiches des autres membres de la maisonnée qui doivent perdurer, oui, mais non, pas dans leur chambre ? Ce gobelet jaune, souvenir de maternelle que personne n’utilise jamais, mes filles y tiennent tellement, mais si maman, tellement, gardons-le éternellement sur l’étagère. Vraiment ? Mais enfin mon chéri, ces cadeaux d’entreprise immondes, ce cochon tirelire (dont la couleur acide donne un haut-le-cœur), ce porte-crayon de Porto Rico, ce ventilateur de bureau à branchement USB, tu y tiens tant que ça ? Il serait temps de dématérialiser le merchandising. À la fin du grand déballage, l’accrochage du hibou d’Arcabas encadré et le branchement de mon four de céramique dans l’atelier symboliseront mon retour à la terre et mon enracinement quelque part.

Est-on défini par son lieu de vie ? Cette installation sur un bout de terrain, à la lisière de Lyon, reste par nature provisoire, comme tout ce qui relève du vivant. Le grand épicéa des voisins, roussi brutalement par la maladie et trop de méchants aoûts brûlants, a été débité au printemps. Par la fenêtre, les branches plus espacées nous rappellent, chaque jour, la fugacité de notre passage. Cela ne nous empêche pas de nous croire installés.

Je rénove ma toute première maison à plus de cinquante ans et la maison de mon enfance, musée de ma mère se replie sur son silence. Comment envisager l’avenir sans son passé ? Les souvenirs ont-ils besoin d’un lieu pour rester vivants ? D’un endroit où s’ancrer ?

Ardéchoise de naissance et par conviction, je puis le rester, même sans jamais remettre les pieds dans ma Cévenne. Quatre murs de pierres pour des souvenirs, une enfance en rocher et oliviers. Puis-je me définir sans ce lieu repère ? Mes enfants n’en ont pas eu puisque nous avons déménagé plusieurs fois depuis leur naissance. La première chambre de chacun n’existe que dans nos têtes et des albums photos. Je partage donc le repère de ma maison ardéchoise avec eux. Par-delà les générations, les racines s’étalent et s’entremêlent, avec celles des disparus inconnus qui nous y ont précédés.

C’est dans le (dés)ordre des choses de se séparer de la maison de ses parents. Une amie à qui je confiais mon déchirement m’a répondu que beaucoup de familles étaient confrontées à cette étape. Bien sûr, toutes celles qui ont eu la chance de posséder un toit. Mais chacun doit, à son tour, s’accommoder de cette expérience inédite. J’appartiens à un lieu qui m’émeut comme une enfance.

Ce lieu, je l’ai partagé la semaine dernière avec une famille amie de Mainz. Ils ont caressé et même brossé notre âne Ghisonnacia, se sont baignés dans la Volane et la Besorgues, dans des coins perdus où j’allais avec mes copains quand j’avais l’âge de mes filles. Les ados ont sauté de beaucoup trop haut dans des trous vert noir. (Non, je ne vous donnerai pas les adresses.) Ils ont goûté, sur un bâtonnet de bois, mon miel préféré au marché du samedi matin dans la Grand-Rue et ont appris à renoncer à la douche du haut, à la plomberie capricieuse. Pour rester à l’ombre, nous avons pique-niqué dans une falaise, chacun debout ou assis d’une fesse sur une aspérité, en face d’un immense rocher lisse comme un galet mais écrasé de soleil. Nous avons visité la Grotte Chauvet à la tombée du jour et admiré le dessin, tracé par un doigt préhistorique dans l’argile d’une paroi, d’un hibou stylisé. Mon amie l’a photographié sur une lampe car mon portable était vide. Retrouvailles joyeuses et désordonnées, occasion d’apprendre à mieux se connaître en entrouvrant nos portes françaises !

Cadeaux de Mainz

Mainz nous manque. Enfin, certains aspects de Mainz nous manquent. Je ne vous cache pas que la crainte omniprésente de se demander par quel bout on va se faire engueuler, ça on s’en passe vite. J’ai dû me reprendre l’autre jour, quand on a allumé un barbecue et que la fumée s’est envolée. J’ai craint des remontrances des voisins (pourtant tous ou presque absents en ce début de mois d’août). Non, Estelle tu n’as pas besoin d’être en hypervigilance permanente ici. Quoique… Quelle ironie lors d’une baignade franco-allemande sur l’Ardèche de se faire rappeler à l’ordre à deux reprises : la plage est interdite aux chiens, absolument, oui, et il y a un gros panneau avec un dessin sur la pile du pont. Mince alors, impossible de gruger en invoquant la barrière linguistique. En France donc aussi, le rappel de la consigne intervient (parfois). Et aussi, quelle idée d’aller se baigner avec deux chiens, also bitte !

(Memo : apprendre à Gaïa à se faire discrète.)

Ces amis nous invitent à Mainz. Nous avons très envie de monter retrouver les copains, nous balader au marché du samedi matin, ou le long du ruisseau du Gonsbach, passer à l’improviste au cours de poterie du mercredi, acheter les mélanges de salades fleuries du maraîcher, éviter au restaurant le Handkäse mit Musik. Peut-être en fin d’année, quand le marché de Noël sera installé ? Ou bien pour Fastnacht, le carnaval ? On pourrait déguster de délicieux Quarktaschen (petits beignets ronds au fromage blanc). Une lectrice fidèle (merci à elle) m’en a envoyé la recette que nous n’avons pas encore testée. Maintenant que la cuisine est enfin installée, les expériences culinaires seront à nouveau bienvenues.

Les travaux s’achèveront bientôt, l’espoir s’accroche au calme revenu. Bien sûr, il reste encore une réunion de chantier en septembre, des vasques à poser dans la salle de bains, quelques murs à repeindre. On échelonnera. De ces mois de tumulte, je choisis de retenir le crayon à papier calé sur l’oreille du plombier ou du peintre. Ça me rappelait le boucher de mon enfance, qui acceptait de garder les cabas pleins pendant que ma mère terminait ses courses au marché. Un autre samedi matin.

Je retiens aussi les réunions d’artisans où, malgré les tensions liées aux délais et aux réalisations des uns et des autres, le baratin n’avait pas de place. #zéropipeau. #nobullshit. Que du concret, à opposer aux Happiness manager dont une amie m’a parlé dans son administration. Quelle magnifique ambition que de promettre le bonheur collectif et individuel en en déposant la responsabilité sur une fiche de poste ? Quelle époque formidable !

Je m’en sens exclue. C’est aussi le sens de l’enracinement symbolique entre quatre murs dont je parlais ci-dessus. Un rempart contre l’agression et la folie, comme les romans qui transportent à rebours, vers un temps écoulé, où la frénésie n’était pas érigée en valeur absolue. Le mois d’août dans sa langueur infinie devrait me combler et pourtant non. Il frôle les abysses du vide existentiel et révèle les contradictions. Du calme s’il vous plaît, à l’aide il y en a trop.

Menschliches, Allzumenschliches, comme disait Nietzsche. Humain, trop humain, je vous dis.

Si vous êtes en vacances, profitez bien, les doigts de pied en éventail ! Si vous aussi avez repris, bon courage, les aoutiens finiront bien par rentrer eux aussi. Hé, hé !

Nota bene : J’ai découvert, en échangeant avec une autre lectrice fidèle, que lorsque vous laissez un commentaire sur un article (ce qui me fait un plaisir fou), mes réponses n’arrivent pas dans votre boîte mail. Elles restent ici, bien sagement, à la suite de votre message. Sachez donc, que je vous réponds à chaque fois et dès que possible. Au bonheur de vous lire.

Dépassée

Comment comprendre ses ados ou publier sur LinkedIn ?

« Comment tu fais pour pas dépasser ? »

Mes yeux ébahis observent Béatrice, une camarade de notre classe de CE1 qui colorie une petite fille de Sarah Kay, en robe et coiffe de tissu à fleurs, dont on ne voit pas le visage. La copine a les cheveux attachés en queue de cheval avec des barrettes, des ongles nets et les doigts propres, la mine de ses feutres ne sort pas des traits noirs qui délimitent la silhouette sur le papier blanc. La langue entre les dents, avec les mêmes feutres tenus par des doigts de toutes les couleurs, je m’évertue à l’imiter et toujours la mine dérape. Mes ongles ont des taches blanches, signe qu’ils ont été choqués au moment de leur naissance comme je l’apprendrai bien plus tard. Rapide, toujours en mouvement, passionnée, je me cogne beaucoup et de bon cœur. Quand je colorie, je dépasse.

Aujourd’hui, je me sens dépassée.

Ma plus jeune fille de treize ans enfile chaque matin un des crop tops que je lui ai achetés, pour lui faire plaisir et parce que ça lui va bien. Même avec cette météo pluvieuse et froide d’un mois de novembre égaré au printemps, elle montre de la peau sans frissonner. Selon moi, il serait préférable de les réserver aux week-ends car il n’est pas nécessaire d’exhiber son nombril à l’école, d’autant plus que, souvent, pour une raison qui me dépasse, elle refuse de porter une ceinture, et le pantalon descend. Ma grande de seize ans partage mon avis — qui diffère, me dit-elle, de celui de ses amies qui veulent être libres du choix de leurs tenues : on ne se vêt pas de la même façon partout.

-Je te l’ai dit, je préférerais que tu ne te mettes pas ventre à l’air pour aller au collège.

-Ouais, mais tout le monde en met des crop tops.

-Vraiment ?

-Et en plus, j’ai un pull.

Un gilet.

-Tiens, et si moi aussi j’en mettais ? Tu m’aideras à en choisir un joli ?

-Hein ? Ah non, pas toi.

-Tu vois… Et si ta prof vous exhibait son nombril pendant les cours ?

J’ai lâché. Comment faire avec une ado ? Lui confisquer les T-shirts que je lui ai achetés ?

Ah, les injonctions de la mode, toujours être pareils, penser la même chose et se croire différent. Différent de la génération précédente. Si proche pourtant. Le nombril du monde apparaît entre un T-shirt blanc à côtes et un jean. Je suis de la vieille école, de celle qui pense qu’il y a une tenue pour chaque activité, et que s’adapter aux circonstances n’est pas du puritanisme. Enfiler un crop top ? Ça dépend. Et ça dépend, ça dépasse (émoji yeux au ciel), enfin, ça me dépasse.

Même chez moi, donc, je suis dépassée.

Derrière moi, le poseur installe la cuisine. Pour accéder à mon bureau, je dois enjamber des sacs de linge (les habits de ma grande) et son matelas. Les assiettes sont entreposées sur une table de jardin, la cafetière glougloute sur une chaise. La vaisselle se fait dans la salle de bains. Le seul espace paisible ces jours-ci chez nous, ce sont les toilettes. Entre deux tâches professionnelles, je voudrais pédaler pour me défouler en finissant un film. Je voudrais travailler ce tango d’Albéniz au piano. Ces deux activités se passeraient dans une chambre en surpopulation : Gaïa y est confinée pour ne pas aboyer dans les pattes du menuisier. Mon mari y travaille sur mon piano fermé devenu bureau. Ma grande fille est allongée sur notre lit après une opération des dents de sagesse. Sachez pour la petite histoire, que la dentiste lui avait conseillé, pour rester la plus détendue possible, de se choisir une playlist d’une heure. Elle a préparé un podcast historique en allemand, et un cours de français. Kein Kommentar.

Alors je m’échappe.

Imaginez. Fin mai, début de soirée. Penchée pour passer de l’autre côté d’un rideau, j’entre dans une salle immense, inondée de lumière, où les néons criards forcent les yeux à se plisser. Une forêt de dos bloque mon avancée, des dos d’adultes, peu de cheveux blancs, pas d’enfants, quelques adolescents montés en graine, pourtant j’essaie de me frayer un chemin dans cette foule. Les bras, les têtes et les jambes m’entravent, ils gigotent sur place, dansent sans musique, au rythme du brouhaha de leurs paroles. Je ne vois pas les bouches, mais je devine que toutes parlent en même temps. Les corps se pressent autour d’une scène, là au fond, beaucoup lèvent un bras, certains en lèvent deux, hochent la tête, tous fixent cette scène qui semble vide. Je joue des coudes pour me faufiler, on me marche sur le pied, j’étire mon cou pour essayer de voir, ça a l’air passionnant, je me hisse sur la pointe des pieds, et jette un regard entre deux têtes. Sur la scène, un miroir.

Pour faire comme tout le monde, je lève un doigt timide. Je n’aime pas parler en public, même lorsque j’ai une idée intéressante à partager. Comme faire abstraction des regards, même ceux de gens qui me tournent le dos ? Ils me désarment. Alors je dis ce que j’ai à dire, vite, le mieux possible. Là, j’ai dû chuchoter. Quelques têtes sur ma droite se retournent et me sourient, mes voisins n’ont rien entendu, ou font semblant de ne rien entendre. Quelque temps plus tard, la personne sur ma droite lève deux bras et répète ce que j’ai dit, moins bien, sans personnalité, sans émotion, peut-être est-ce une coïncidence. Si c’est une coïncidence, ça confirme mon impression, que dans cette salle, personne n’écoute personne. Si ça n’en est pas une, c’est juste du plagiat, comme dans une salle de réunion, quand, les bonnes idées des timides sont récupérées par ceux qui parlent fort.

Rien de nouveau dans la cacophonie de ce hangar.

On cire des pompes, on se fait briller, on manie le « Bravo à toi » et le « Fabuleuse présentation de l’excellent X » avec la virtuosité d’un homme (ou d’une femme) politique ou d’un avocat véreux. On fait reluire tout ce qui passe à proximité, à commencer par soi-même.

Mon carnet du moment

Et soudain, je comprends.

Je comprends ce qu’est une chambre d’écho.

Quand mon fils philosophe avait employé le terme au sujet des réseaux sociaux, j’avais compris que c’était un endroit où n’apparaissaient que des informations filtrées par des algorithmes, c’est-à-dire conformes à ses propres idées. Aucune remise en question, aucune chance d’apprendre et de s’ouvrir. Rien qui dépasse, comme les traits de feutres de Béatrice dans le bonnet à fleurs de la petite demoiselle de Sarah Kay.

Mais non, pas du tout. Une chambre d’écho, c’est une grotte. C’est littéralement un endroit où l’on s’écoute parler, fasciné par l’écho de sa propre voix. Comme dans l’allégorie de la caverne de Platon, les ombres du monde se dessinent sur le fond, mais pas sur un rocher, sur un miroir.

Voilà mon expérience avec le réseau social professionnel LinkedIn.

Pour un professionnel installé à son compte, c’est une étape obligée. Ça a l’avantage de permettre les mises en relations de façon simple et rapide. Cependant, le contenu laisse à désirer. J’avoue ne pas vraiment lire ce qui défile sur mon écran quand je me connecte. Pourquoi ? Parce que toute cette autopromotion, cette réclame comme disait ma grand-mère, c’est vide. Dans cette cacophonie de monologues, personne ne dit rien, personne n’écoute. Moi la première — pour l’absence d’écoute. Le baratin superficiel, le small talk comme disent les Anglais, je ne sais pas par quel bout le prendre, ni dans la vraie vie, ni dans le virtuel. La politique au sens large suscite chez moi un éloignement d’allergique.

Ce jour-là donc, je me fends d’un post sur LinkedIn, il faut bien trouver des clients et se créer une visibilité. Un post bien tourné, avec de la réflexion : mon dernier article sur l’IA en lien avec une émission d’Arte sur la traduction automatique. Ma foi, oui je me fais des compliments, on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Je le publie en frémissant, est-ce que je ne vais pas casser le système ? Ce système où il faut cirer des pompes (dit celle qui vient de s’envoyer des fleurs).

Les tutos conseillent d’apporter, sur ce réseau social professionnel, de la valeur ajoutée gratuite. Ça, je connais bien, c’est mon activité ici même depuis bientôt cinq ans. Deux jours après mon post, un organisme de mes contacts, a republié la même émission d’Arte. Soit, ils ont pompé l’idée au lieu de republier mon post, soit ils ne l’ont pas lu et ont publié, par coïncidence, le même sujet. Quelqu’un n’aura-t-il pas, en voyant passer ma contribution, pensé que j’avais repris son idée à mon compte ? CQFD. Personne n’écoute personne.

Pour des échanges plus riches, pourquoi ne pas se donner des règles comme dans une bibliothèque : parler peu et en chuchotant ? On s’en tiendrait à de vraies idées et des échanges authentiques d’informations concrètes. Où sont les guides de voyages ? Au fond de l’allée, à droite. Merci madame.

J’ai posté et je n’ai rien cassé, juste brisé en moi quelques illusions. Malgré mes cinquante et un ans, dont près de trente dans la vie professionnelle, je veux toujours croire que la qualité fait la différence.

Ce charivari de pipeau, où les bons sentiments dégoulinent, jure avec la réalité du monde du travail et donne froid dans le dos. Ces dos qui dansent devant moi, face à un miroir. Qui regarde le mien, derrière ? Quelle ombre nos mots laissent-ils ? Ou bien, comme un fantôme, un personnage fantastique dont l’IA ne veut pas me souffler le nom, ne projettent-ils aucune ombre ? Peut-être n’ont-ils aucune existence réelle, ces mots envoyés dans le vide virtuel. Est-on interdit d’émettre de la lumière quand on travaille dans l’ombre ?

Dépassée.

À peine ai-je eu publié mon texte, que j’ai sursauté : mince alors, j’ai oublié un tiret ! Pourquoi ? Parce que je me suis soumise à la correction d’une IA quelconque sur mon navigateur ou sur LinkedIn comment savoir ? Mon souris-moi, avec tiret, a été souligné d’une vague rouge péremptoire. Tiens, Estelle ton bonnet d’âne. J’ai enlevé le tiret, l’IA a souri. J’ai cliqué. Puis grimacé, avant de corriger.

Ça me rappelle une scène du film Sleepless in Seattle de Norah Ephron (Nuits blanches à Seattle). Jonah, le petit héros, veut prendre l’avion pour New York pour rencontrer Annie, avec laquelle il souhaite que son papa se remarie. Jessica, sa copine complice lui achète un billet sur l’ordinateur de sa mère, agent de voyage, qui s’est absentée un instant. Je cite de mémoire :

— Je vais mettre que tu as 12 ans. Tu pourras voyager sans être accompagné.

— T’es folle ! Personne ne croira que j’ai douze ans !

— Quand c’est dans l’ordinateur, les gens croient n’importe quoi.

Pourquoi une machine est-elle plus difficile à contredire qu’un humain ?

Dépassée.

Dépassée par les pourquoi.

Pourquoi ma librairie chérie a-t-elle fermé ? J’y passais toutes les semaines, comme bon nombre de fidèles, et j’y croisais toujours des clients. Les affaires semblaient bonnes. Sur la vitrine, à chacun de mes passages, le « Dernier jour !!! » au feutre blanc me serre le cœur. Ces trois points d’exclamation sont autant de clous dans les caisses de livres à renvoyer à l’éditeur, et de bâillons sur mes confidences au-dessus des livres de poche.

Pourquoi les artisans qui refont notre façade ont-ils coupé sans ménagement un laurier-tin qui les gênait ? Ils auraient pu nous prévenir, nous l’aurions raccourci proprement. Ils l’ont massacré. Pourquoi ont-ils ensuite jeté son tronc sur mes acanthes qui ne leur demandaient rien et cassé des hampes de fleurs toutes neuves ? J’ai écrasé des larmes de rage et de tristesse. Ce sont des choses qui arrivent quand on vit en osmose avec le végétal. Mon acanthe prendra toute une année pour refleurir.

Acanthes non cassées

Pourquoi une autre librairie, lors d’une conférence à la médiathèque hier soir, n’a-t-elle apporté, en tout et pour tout, que trois exemplaires du livre qui faisait l’objet de la rencontre-signature avec l’autrice ?

Pourquoi. Pourquoi. Pourquoi.

Avec trois points d’interrogation, comme autant de barreaux d’échelle pour me hisser sur cette montagne de pourquoi et me glisser par une trappe sur le toit de la salle immense éclairée de néons. J’ai refermé le volet sur le brouhaha de monologues et pris une grande inspiration dans le silence retrouvé pour embrasser un traumatisme que j’ai dépassé suffisamment pour en parler (à peu près) sereinement. J’en suis très heureuse, fière et soulagée. Voilà huit ans, à peine arrivée un matin de mai dans une tour en verre, j’ai quitté précipitamment mon travail salarié.

Chute vertigineuse. Inéluctable. Pressentie et pourtant redoutée.

Choc.

Vous comprendrez pourquoi les déclarations d’intention dégoulinantes sur la santé au travail et l’équilibre vie professionnelle-vie personnelle dans LinkedIn (et ailleurs) me révulsent. Je vous en dirai plus dans un livre à paraître à l’automne.

Sur un bout de papier, j’ai dessiné un jour une illustration douce-amère : un grand immeuble de bureaux aux fenêtres toutes carrées avec, devant une porte carrée, une ligne de candidats à l’embauche, tous carrés, sauf deux de formes irrégulières. Nuage ou fleur, bonbon de gélatine ou flaque de peinture renversée, peu importe. L’un dit à l’autre : « Mais si, en arrêtant de respirer, ça passe. »

Non. Quand on dépasse, ça ne passe pas.

Béatrice aux coloriages parfaits est-elle parvenue à ne pas dépasser dans son travail ? Ou, plus maligne que moi, a-t-elle choisi d’emblée un emploi où elle pourrait s’exprimer sans faire d’apnée ? Peut-être est-elle sur LinkedIn ?

Après cet accident, seules de rares collègues sont restées dans mon entourage amical et ce sujet demeurait tabou. Hier, j’ai retrouvé à Aix-les-Bains pour une journée de détente et de palabres, une ancienne chef de département pour qui j’ai toujours eu beaucoup d’amitié et de respect. Nous avons pu nous raconter nos dernières années, j’ai évoqué ce burn out et la Grande Remise en Question sans l’infuser d’émotions excessives. J’ai pu lui dire combien elle avait été mon phare humain dans la brume de couloirs où régnaient les manœuvres politiques pour lesquelles je n’étais pas armée.

Le soleil brillait sur le lac du Bourget et douze canetons sont passés entre les roseaux avec leur maman (elle a compté). J’ai nagé dans le lac presque tiède, au fond tapissé de minuscules coquillages blancs et de galets qui massent et agressent les pieds tout à la fois, la zone profonde s’éloignait toujours plus.

Au retour de mon escapade, en sortant de la bouche de métro à Lyon, ma peau sèche tiraillait, et j’avais, dans mon sac à dos, un nouveau livre sur le thème pertinent de la sensibilité extrême avec une dédicace touchante au stylo bleu, et au visage, un grand sourire. Quel soulagement de croiser une âme sœur, même quand on l’a connue dans un monde de brutes !

Et là, si vous avez mon âge, vous avez en tête la publicité Lindt.

Il est midi, les sirènes des pompiers viennent de marquer le premier mercredi du mois. Un petit carreau de chocolat ?

À nous deux (ma cervelle)

À Dijon pour une rencontre de traducteurs, à Paris pour rire

Alors c’est toi, toi, frais et reposé dans l’attente de ma visite, toi et tes caresses moelleuses et appuyées, ton odeur inconnue dans la pénombre, toi qui vas cette nuit brouiller mes repères, stimuler mes sens et m’empêcher de dormir. Toi que j’espère et redoute. Toi, que je retrouverai avec délices et quitterai avec soulagement, toi le lit de cette chambre d’hôtel.

Les nuits seules à l’hôtel me confisquent le sommeil, depuis toujours. Quand je reste plusieurs jours, j’arrive à dompter l’hypervigilance qui me tient compagnie depuis ma naissance et s’exacerbe dès qu’elle trouve une fissure où se faufiler. Alors même si l’évasion me réjouit, j’appréhende la nuit et dois recourir à des maléfices pour envoyer ma cervelle au panier.

Ma cervelle c’est l’enfant de L’enfant et les sortilèges du génial binôme Maurice Ravel – Colette, livre-disque qui effrayait tant la petite fille et que j’ai pourtant infligé – une seule fois, ensuite ils ont refusé – à mes enfants. Elle échappe à ma maîtrise, méchante et rebelle, veut tirer la queue du chat, tricoter mes soucis et ébouriffe mes créations en cours. Le lit, la nuit, la lune et le rideau sombre se vengent. Les idées aussi en m’inondant. Mon corps s’enfonce paisible, dans le matelas et l’oreiller, sous une couette douillette, et tente d’allonger ses respirations. Cervelle, je t’aurai. Cervelle, c’est toi qui me terrasses.

Le déplacement à Dijon de début avril s’est assorti d’une autre cause de stimulation trop tardive dans la journée pour m’autoriser un sommeil correct : la deuxième séance de mon atelier d’écriture autour de la poésie. Eh oui, en vieillissant un système nerveux aussi réactif exige une sagesse de tous les instants et donc une vigilance renforcée – ce qui est contreproductif, on ne s’en sort pas. Après 19 h, stimulations interdites sinon avec l’oreiller tu te battras.

À la demande générale d’Hélène (que je salue ici) je vais vous raconter la suite.

À peine arrivée dans la chambre d’un petit hôtel du vieux centre de Dijon, au deuxième étage, au fond d’une cour (oui une cour au deuxième étage), je me suis lavé les mains dans une salle de bains aux murs vert pomme (le vert mural me poursuit) et j’ai installé mon ordinateur pour me connecter sur Zoom. J’étais perplexe : je m’étais monté la tête avec cette histoire de droits d’auteurs abusifs, incertaine que mon poème serait arrivé jusqu’aux yeux de l’auteure, et si c’était le cas, dans l’anticipation anxieuse de ses commentaires. Dans le doute, prévoir toutes les possibilités, imaginer les cinquante côtés de la médaille, comme ça au moins on est paré à toute éventualité et on est sûre de… ne pas s’endormir.

Clic, ça marche, l’écran se divise en trois avec à gauche le modérateur, au milieu la poétesse et à droite la colonne de commentaires. Les participants y vont de leur bonsoir à tout le monde, que le monsieur lit à haute voix. J’hésite un instant avant de prendre le risque d’étaler mes lettres classico-touristiques dans ce que j’espère être un trait de complicité avec Maria et je tape « Kalispera » (pour ceux qui ont égaré leur guide du Routard 1995 des Cyclades, cela signifie bonsoir). L’animateur le lit et marque un temps d’arrêt, visiblement il n’a pas compris. Pas de chance, à ce moment-là, Maria ne regarde pas son écran, mais ses papiers. Oh le flop ! À la dernière seconde avant la lecture du prochain salut, Maria réalise ce qu’elle a entendu, sourit, et répond « καλησπέρα ». Soupir de soulagement.

L’auteure annonce le programme : elle va lire chacun de nos poèmes, certains formidables, d’autres « en chantier » et invitera son auteur à prendre la parole pour échanger. À l’aide, il va falloir parler de sa création ! Ça va pas la tête ? Mon cerveau farouche et timide sursaute et se planque sous le lit. Je l’appâte avec la promesse de progresser en écriture et de le garder protégé, derrière un écran. Petit, petit, sors de là et reviens, j’ai besoin de toi. Je sais que tu es très sollicité en ce moment, entre la mutinerie des couleurs et le harcèlement de Leroy Merlin, mais par pitié soutiens-moi.

Maria commence par lire un poème composé avec des extraits de nos quarante créations. Le résultat est surprenant et beau. Entendre deux de mes vers me rassure sur un point : mon texte lui a bien été remis.

C’est parti pour la lecture et le compte à rebours. Plus elle s’éloigne du début, plus la probabilité que mon poème soit dans la catégorie « à retravailler » croît. Les textes lus sont pour beaucoup très réussis, certains vraiment touchants (enfin, je le suppose, car dans ma vie turbulente en ce moment, mes émotions sont chaotiques, et parfois bâillonnées). Le temps passe, et la tête du modérateur m’agace, je le cache avec une feuille de papier. Je guette mon nom avec appréhension. L’heure et demie de l’atelier est dépassée, il reste une vingtaine de poèmes à lire. Maria propose de cesser les lectures et d’en rester aux commentaires rapides, sans intervention de l’auteur. Nouveau soulagement, déçu celui-là. Et puis soudain, j’entends mon nom.

« Dans ce poème qui évoque la perte du père, il y a des vers très beaux », elle les cite. Je ne vous les dis pas pour ne pas polluer vos préférés. « Si vous êtes capable de ça… peut-être est-ce dû à un manque de temps ? ». Je comprends : peut mieux faire. Même expéditifs, ses commentaires restent intéressants.

Mon texte parle de la perte de la mère, mais Maria a perdu son père jeune. La projection du vécu du lecteur prime dans la perception d’une œuvre. Mon appréciation des « meilleurs vers » du poème diffère légèrement de la sienne. En revanche, je suis d’accord, en coupant et retravaillant, j’aurais obtenu un résultat plus tendu, intense, dense. La rapidité étant un de mes plus jolis défauts, j’ai aimé mon histoire comme elle s’était imposée à moi, avec le charme de ses maladresses et je l’ai gardée ainsi.

La chouette, mascotte de Dijon

Un mail est arrivé la semaine dernière pour me demander de renvoyer signé le contrat de cessation universelle des droits. J’ai répondu que ce n’était pas une omission : je le refuse en l’état. Un autre message s’enquiert : vous ne voulez pas être publiée ? Si, si, mais sans céder les droits. Ma demande pourtant raisonnable semble avoir glissé un gravillon dans leurs rouages. Le poème apparaitra-t-il dans le recueil imprimé ou non ? Suspense insoutenable dont vous vous foutez et moi aussi. Éperdument. Ce qui m’intéresse, ce sont les arcanes juridiques du monde éditorial.

J’ai une aversion viscérale pour l’injustice, qui me révolte même quand elle ne me concerne pas, en particulier au sujet de la prédation dans le monde de l’art. Gainsbourg a dégringolé dans mon estime lorsque j’ai découvert qu’il plagiait Chopin. La question des droits d’auteurs est cruciale entre écrivains et éditeurs pour le respect et l’encouragement de la création.

Elle se pose aussi dans la traduction. En effet, le traducteur pour l’édition n’est pas considéré comme un prestataire de services, mais comme un artiste, rémunéré donc en droits d’auteurs et non au nombre de mots ou au temps passé. À la rencontre organisée à Dijon par l’Association des traducteurs littéraires de France, sous la haute présidence informelle et menaçante de l’IA générative, la présentation de l’après-midi était faite par un juriste. Il a énoncé plusieurs chausse-trappes, en particulier les clauses abusives : « Ça, biffez, on ne vous en tiendra pas rigueur, l’éditeur sait bien que c’est illégal ». Bon. L’exaltation de voir ses phrases publiées dans un livre ne doit pas faire tourner la tête au point de signer n’importe quel engagement. Dans un contrat de gré à gré, il convient de négocier. L’éditeur cherche à couvrir toutes les utilisations possibles du texte et ses supports futurs. Dans le cas de l’atelier, ne sait-on jamais, si Hollywood veut projeter nos humbles poèmes sur l’écran géant des plateformes ou imprimer nos mots sur les T-shirts d’hologrammes ?

Musée Carnavalet, le plafond ! ;o)

Lors d’un récent passage à Paris avec ma benjamine, la pluie dans le Marais et sa curiosité pour la Révolution française nous ont poussées au musée Carnavalet. J’étais ravie de revoir l’émouvante salle des enseignes, la chambre de Marcel Proust et surtout la superbe boutique du joaillier Georges Fouquet conçue par l’artiste Mucha dans le style art nouveau que j’adore (une collaboration initiée par Sarah Bernhardt). Au détour du panneau explicatif d’un portrait de Beaumarchais, j’ai appris que l’auteur fut le premier à se battre pour les droits d’auteur et l’accès de l’écrivain, jusque-là (et toujours dans la majorité des cas) bénévole passionné qui mendie sa pitance auprès de mécènes, au statut de professionnel rémunéré. En 1777, suite au succès du Barbier de Séville, il crée le Bureau de législation dramatique qui deviendra, quelques décennies plus tard, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD).

L’étude détaillée de la pièce de théâtre Le Mariage de Figaro pour le bac de français m’a familiarisée avec la pertinence pétillante de Beaumarchais. Plusieurs extraits ont trouvé leur place à l’encre bleu turquoise dans mon cahier de citations Clairefontaine, en particulier : « Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloge flatteur » (que le journal Le Figaro cite en exergue). En ces temps de la tyrannie du « politiquement correct », expression que j’exècre et comme si la politique était correcte, Beaumarchais encourage la résistance de la pensée. Gardons notre propre jugement.

La Nouvelle Seine

Partons donc saluer une humoriste authentique qui ne mâche pas ses mots. Et hop, vous avez vu la transition brillante pour atterrir un samedi soir dans une salle de théâtre au fond d’une péniche amarrée au pied de Notre-Dame ? Les places étaient prévues pour mon mari et moi. Une entourloupe des dieux du samedi matin, nous a envoyé, ma plus jeune et moi dans le TGV pour Paris. Je l’ai prévenue. « Tu sais, ce spectacle, il n’est pas pour les enfants. Si j’avais dû acheter aujourd’hui des places pour nous deux, j’aurais choisi autre chose. Si besoin, bouche-toi les oreilles. Mais tant pis, hein on va se marrer. » En espérant ne pas être en train de te traumatiser ma fille. Qui a dit « un peu plus » ?

Olivia Moore, dont j’avais beaucoup aimé le spectacle précédent vu à Metz avec mon amie de Mainz, prévient le public dès le début : « S’il y a des mineurs, sachez que ce que vous allez entendre est la suite du cours de SVT ». Le ton est donné. Elle partage son diagnostic de TDAH. Nous rions beaucoup dans ce théâtre dont le tangage discret déroute. Quel charme les gens différents ! Quel bonheur les personnalités qui ne trichent pas !

À la sortie, elle s’exclame en voyant mon adolescente : « Ah, c’est toi le cours de SVT !» Nous échangeons quelques mots, je la remercie pour son authenticité. Quand elle entend que nous sommes montées de Lyon, elle me répond qu’elle va jouer à Décines à l’automne. Avis aux amateurs. Je n’ose pas lui demander si elle veut être ma copine.

Dans le TGV de retour, pendant que ma fille lit un roman qu’elle a du mal à lâcher, j’écoute ma playlist pour humeur mélancolique intitulée To cry it out. Aucune envie de pleurer mais un besoin de recueillement. Gauvain Sers chante Ta place dans ce monde et je prends conscience en regardant mon carnet ouvert et mon stylo, dans la lumière mouillée de la campagne qui défile à trois cents kilomètres à l’heure, que, la place de ma cervelle dans le monde c’est ça, ces quelques centimètres carrés de papier depuis une fenêtre avec vue sur la vie qui passe.

Retour à un autre trajet en train, celui qui a clos la rencontre de traducteurs à Dijon. Je suis repartie avec dans mon carnet, des pages de notes, dans mon sac à dos du pain d’épices, et à mes côtés, deux nouvelles copines traductrices. Je me suis sentie dans mon élément dans ce public de gens curieux, multilingues, qui aiment écrire et lire, que le réseautage ennuie. La question du syndrome de l’imposteur est revenue plusieurs fois dans la journée, peut-être parce que, dans une profession en grande majorité féminine, la question de la légitimité se pose particulièrement. Ai-je le droit de parler pour quelqu’un d’autre ? Mes mots respectent-ils la pensée de l’auteur ?

On ne le sait pas forcément, je l’ai découvert pendant ma formation : un traducteur est aussi correcteur, car il fournit un texte prêt à publier. Lorsque j’écris un mail à une collègue je m’applique bien, la langue entre les dents. J’en profite pour m’excuser des coquilles qui se glissent dans ces pages. Je vérifie mes articles avec Antidote, un logiciel professionnel (comme le correcteur orthographique de Word, mais hyperperformant). Ensuite je le colle dans WordPress, tout impeccable qu’il est. Puis je le relis, et je procède à des tas de corrections rapides de dernière minute, et pof j’invite de nouvelles coquilles. Que je repère (ou pas) quand je relis, quelque temps plus tard avec un regard renouvelé, la version publiée.

Je referme ici cet article-puzzle en vous remerciant de passer par là. Vous écrire a apaisé ma fichue cervelle pour quelques heures (minutes, me souffle-t-elle).

Poésie (mais si vous aimez ça)

Atelier d’écriture en ligne – joies et déconvenues

Instagram nous pousse dans le dos. Tiens, regarde cette montre au prix d’une voiture. (Cliquer sur refuser.) Tiens regarde ces pulls tout doux. (Accepter pour éviter pire car les couleurs sont douces et juste faire attention de ne pas lire la marque.) Parfois, même en s’efforçant de sauter des yeux joints par-dessus le flot de publicités et de suggestions, une annonce interpelle. Une fois, deux fois, trois fois. La répétition enfonce le clou du désir dans la cervelle. Des mots magiques déverrouillent la barrière restante : poésie, écriture, organisateur fiable (que nous appellerons monsieur A.). Oh, mais ça m’a l’air enthousiasmant, le programme de cette master class (nom ronflant pour présentation Zoom).

Voyons un peu. Cliquons et étudions. Mais oui, ça me plairait drôlement : l’atelier est en deux temps, entre lesquelles les participants ont le devoir de composer un poème et de l’envoyer à l’auteure invitée qui prodiguera conseils et commentaires lors de la deuxième session. L’organisateur (ou les organisateurs ce n’est pas très clair, car un monsieur B. est apparu) véhicule une image de fiabilité. Je me réjouis de l’intervenante, Maria, d’origine grecque, au visage doux : je ne la connais pas, elle semble suffisamment extérieure au microcosme littéraire parisien, et écrit dans ses deux langues. Chapeau bas madame. J’ai très envie de vous rencontrer. J’emprunte et je dévore ses livres à la médiathèque, n’en jetez plus je suis conquise.

60 euros ? Tant pis. Où signe-t-on ? Auprès de monsieur A., lequel m’envoie un mail de confirmation.

La première séance était un lundi soir à 18 h 30. Assise à mon bureau avec une demi-heure d’avance, je clique cinquante fois sur le lien pour vérifier que tout fonctionne, teste le son dans mon casque. Puis à 18 h 32, comme rien ne se passait, je réalise que peut-être il me faudrait réinstaller Zoom enlevé le week-end précédent pour désaturer mon disque dur. Clic, clic, recherche de mot de passe, non pas de mot de passe connu, création de nouveau compte. Oui, c’est ça, je suis une particulière, ma date de naissance, oui la voilà. Quoi encore ? Ah… c’est bon, ça marche.

Sur mon écran apparaissent deux fenêtres avec à droite un monsieur encore jeune et brun et à gauche une dame, Maria. Qu’elle me pardonne si je l’appelle par ce prénom inventé, c’est plus court, et plus simple. Le son s’allume avec quelques secondes de décalage. Après les formules de politesse convenues, le modérateur propose d’attendre quelques minutes que la quarantaine d’inscrits soient connectés. Je n’ai rien raté.

La séance commence. Maria se présente, explique son parcours depuis toujours vers la poésie qui, dans son pays d’origine, mise en musique et chantée ou citée comme des dictons, fait partie du quotidien. Son émigration pour ses études répond à un impératif de départ, car elle se sentait étrangère chez elle. Enfin, dit-elle, de l’autre côté d’une frontière, dans un pays dont elle parle la langue mais où elle reste l’étrangère, elle peut se réconcilier avec elle-même. Enfin, elle est libre de se définir comme elle l’entend.

Oh, Maria, comme je vous comprends ! L’affranchissement offert par une frontière, la libération du seul fait d’être immigrée m’ont permis de me (re) mettre à écrire. L’expatriation comme autorisation de s’exprimer enfin. L’étrangère, la Française installée en Allemagne a pu créer Mainzalors.com. L’Ardéchoise vivant à Lyon n’aurait jamais osé.

Pour se présenter, Maria nous lit un poème, qu’elle dit refuser de publier. Ses mots coulent, apaisés et émouvants. Pourquoi priver les lecteurs d’une telle grâce ? Plus tard dans la soirée, elle en lira un autre. C’est le moment que mon mari choisira pour me poser une question. Le pauvre se fera refouler d’un signe de la main sous des sourcils froncés : non, pas maintenant, je déguste un poème.

Son éloquence en français, dans une langue précise et sensible, me laisse pantoise. Elle évoque le rythme des poèmes, qui varie selon les poètes, les lecteurs, les langues. Elle conseille de choisir la distance, à l’histoire qu’on raconte, intérieure ou extérieure ou même un peu sur la droite. Elle encourage à plonger dans ses obsessions et son authenticité pour atteindre l’universalité. J’en suis persuadée, c’est ma modeste intention dans ces pages.

Maria lit deux poèmes bouleversants sans faillir. Peut-être un cadeau de ses études de théâtre à Paris. Plutôt elle que moi. Lire à haute voix sa production, quelle épreuve !

Lorsque je m’y suis essayée dans un cours animé par une écrivaine anglaise sur l’écriture pour la jeunesse, la consigne était : écrire sur sa chambre d’enfant. L’enfance est un endroit où en appuyant ça fait pleurer. À ma grande surprise, j’avais fondu en larmes dès la lecture de mon texte à mon mari et ma fille. Le lendemain, lorsque j’ai levé un doigt virtuel à la deuxième séance , j’ai failli mourir étouffée pendant la lecture. Impossible de m’interrompre pour préciser que c’était dur pour moi. Je n’avais pas d’autre choix que de lire les mots imprimés, surtout, surtout sans m’arrêter, dans un seul souffle. À peine ai-je pu remercier l’écrivaine à la fin sur son commentaire. Elle a aimé mon texte, mais pense qu’il vaudrait mieux ôter la mention du scorpion : un enfant de Londres aurait du mal à s’identifier avec leur présence dans une chambre. Elle ne savait pas que ladite chambre se trouvait derrière de vieilles pierres, dans le sud de la France.

Le passe-muraille de Marcel Aymé, Paris

Des participants posent des questions par écrit. Comment une auteure bilingue vit-elle la traduction ? Elle y échappe en écrivant d’emblée en grec et en français, en s’adaptant en chemin, certains vers fonctionnant mieux dans l’une ou l’autre langue. J’écoute, me rassasie. Je ne sais pas si j’aurais trop de questions à poser que j’étouffe, ou si je n’ose pas. Même invisible, le groupe me paralyse.

J’aimerais pouvoir participer aux ateliers d’écriture en présentiel de Maria parce que j’adore la poésie, et que je regrette de m’y essayer trop peu. Depuis que j’écris tous les jours (six ans presque), j’évite les ateliers d’écriture. Peur du regard d’autrui pendant la création, refus de partager mon espace neuf de liberté. Renonciation à chercher la perfection, comme si elle existait en création plus qu’ailleurs. Bien sûr, pourtant, un œil critique est enrichissant.

La séance se termine avec les consignes : écrire un poème sur soi, 2000 signes maximum, espaces compris, à envoyer avant le 21 mars. On se retrouvera en avril : Maria lira nos textes et les commentera. Ah, et puis, l’organisateur nous offre en prime la publication de nos poèmes (en autant d’exemplaires que de participants, dans un petit livret qui nous sera envoyé). Quelle bonne idée ce partage ! Le mot publication, en voilà un mot magique quand on écrit.

Magnolia stellata

Je raccroche, la séance achevée, comme envoutée et griffonne rapidement les idées qui me viennent avant de filer retrouver les miens autour de gnocchis frais du marché au fromage bleu et aux pommes (en guise de poires) concoctés par une de mes filles.

Au cœur de la nuit, pendant mon insomnie fidèle dans ma chambre en pointillés, le poème est apparu. Je sentais que ce serait un poème sur l’enfance, matière première inépuisable, gorgée d’émotions. Une phrase a jailli « Dégringoler en éclats de rire ». Grimper, escalader… Oui, c’est ça, un texte sur le mouvement, la petite fille incapable de tenir en place.

À peine levée, en pyjama à mon bureau, une tasse de café fumant à ma gauche, j’ai griffonné au stylo Bic dans mon carnet écossais, les idées semées par la lune. Après les salutations au chantier, le choix de la crédence puisque le fournisseur a oublié de nous proposer des carreaux – mais oui, comme les plinthes ça ira très bien, d’ailleurs l’électricien est du même avis – j’ai allumé mon ordinateur et pesté tant et plus. Ses activités secrètes m’empêchaient d’écrire.

Pendant une heure, très concentrée, dans un seul élan j’ai écrit mon poème. Impatiente de le partager, j’ai frappé à la porte de la chambre où travaille mon mari. Excuse-moi de te déranger, je voudrais te lire mon poème. Comme j’avais aussi très envie de partager avec vous ma « rencontre » avec Maria, j’ai ouvert mon fichier Blog articles en cours et commencé la rédaction de ce texte.

Plus tard, j’ai filé acheter un sachet de nouilles aux crevettes à cuire trop lentement sur la plaque électrique posée sur les feux au gaz condamnés. Je suis partie faire des courses chez Picard un grand sourire aux lèvres avec l’envie de chanter et de sautiller comme je faisais gamine, ce qui se dit de façon beaucoup plus précise en anglais (to skip). Vite une photo du pissenlit dans le trottoir, tant pis pour le regard perplexe des automobilistes. Soudain, ma conscience s’est émerveillée : me voilà en joie parce que j’ai écrit un poème. Comme quand j’étais petite. La sagesse d’une petite fille de six ans presque me tombe sur la tête. Mais qu’ai-je donc foutu pendant quarante-cinq ans ?

6 ans presque

Mon poème a continué de vivre en moi, les corrections sont restées minimes. Je reste sous le charme du jet initial.

Les nouilles mangées, les heures passent et le mail de monsieur A. arrive avec les consignes. Je clique sur le lien pour charger mon texte, j’ouvre le fichier joint avec l’autorisation de publication. Je le parcours une première fois très vite, sans trouver ce que je cherche sans me le formuler. Je n’ai pas le temps d’approfondir sur le moment. Je le consulte quelques jours plus tard, à un moment plus calme et je la trouve tout au début : la clause d’exclusivité.

Ça me dérange, ça me met mal à l’aise, vous comprenez, je l’aime ce poème et j’ai envie de le partager avec mes lecteurs fidèles, pas de m’en priver pour l’envoyer à des inconnus. Alors j’envoie un mail à l’organisateur pour lui exposer ma réserve, surtout qu’il ne s’agit pas d’une publication à proprement parler, mais tout au plus d’une reproduction à quarante exemplaires avec diffusion dans un cercle clos (en d’autres temps, ça se serait appelé des photocopies). Sans droits d’auteurs. Ah, et avec la possibilité que les créations envoyées soient utilisées à des fins publicitaires et commerciales. Ben voyons.

Si votre ramage…

Mon enthousiasme se dégonfle, mon échine se hérisse. Une lampe rouge clignotante rouge s’allume au-dessus de ma tête (vous avez l’image ? Rajoutons la sirène d’une alarme, comme dans les séries américaines).

Clause abusive. Clause abusive. Clause abusive.

Méchants, va.

Malhonnêtes, surtout.

Le lien pour charger son texte – auprès de monsieur B. cette fois – condamne à joindre en même temps l’autorisation de publication. Conditionner ainsi la participation au deuxième cours, alors que ce n’était pas dans la proposition initiale, c’est de la vente forcée. Ne pas offrir de droits d’auteur c’est carrément un hold-up.

J’achète un cours pour améliorer ma plume et me retrouve plumée ? (Il fallait la faire, pardon.) On m’a vendu un échange avec une auteure pas une confiscation de ma création par des inconnus.

Jamais de la vie, vous m’entendez, jamais de la vie ils n’auront ce poème. De toute façon, je ne leur fais pas confiance pour le transmettre à Maria compte tenu de mon refus de me faire abuser.

Trois jours plus tard, faute de réponse à ma demande de suppression de la clause d’exclusivité, je me prépare à les relancer quand soudain, une idée germe : je vais leur donner un « morceau de mon esprit » comme disent littéralement les Anglais, sous la forme d’un poème. C’est lui que j’enverrai à messieurs A., ou B. ou peut-être C. – qui sait à qui l’on s’adresse ? Le formulaire de retour prévoit une case à cocher pour s’abonner aux newsletters de C. Quelle grande famille de l’autre côté des 60 euros !

Montmartre

Convaincue par les miens de rester prudente, oui, mais espérer avoir le retour de Maria puisque c’est ce que j’ai acheté, je décide à la dernière minute d’envoyer ce poème en précisant que les droits exclusifs ne sont pas disponibles. Dans le champ dédié, je joins la version vierge du contrat envoyé.

Ce matin dans ma boite, j’ai trouvé un message automatique de l’éditeur B. : « Nous avons bien reçu votre texte accompagné de l’autorisation de publication signée. » Décidément. Au cas où on n’aurait toujours pas compris. Une collègue de jadis, avec qui j’aimais beaucoup travailler et que je salue ici, appelait « marteau thérapie » la répétition de mentions essentielles. Nous l’appliquions dans nos échanges avec des interlocuteurs externes pour éviter de nous faire arnaquer. Grand bien leur fasse. Ils ne m’ont pas eue avec leur marteau.

Je connais la qualité de mon travail.

Je ne le brade pas. Je l’offre. À vous.

Copyright : ma fille ;o)

Pousser la chaise des deux mains
Contre la cuisinière,
Grimper sur un barreau,
Puis debout sur la paille,
Verser la pâte dans la poêle,
Tremper un doigt et goûter,
Se brûler un peu, beurre fondu.
Dégringoler en éclats de rire.

Contre le tronc rugueux,
Sur la pointe des pieds,
Attraper la branche lisse, 
Se hisser entre les feuilles.
Croquer la pomme acide,
Livre posé sur les genoux.
Ciel d’herbe, sol de nuages,
Grimper en éclats de rire.

Pousser la chaise des deux mains
Contre les étagères du salon.
En équilibre sur la paille,
Placer le bras de métal et son aiguille
Sur un disque noir qui grésille.
Tourner, tourner, tourner encore même 
Effondrée dans le fauteuil de cuir.
Culbuter en éclats de rire.

Joue contre la pierre,
Escalader le rocher.
Sauter sur un gué imaginaire,
Nu-pied dans les galets.
Danser dans le sable en bord de rivière,
Plonger dans l’eau fraîche et verte,
Silence flou et mouvant.
Éclabousser en éclats de rire.

Suivre ta pelle et ton arrosoir,
Le parfum de soleil de ta peau.
Plisser les yeux, renifler l’humus,
Mains coulées dans la terre remuée,
Ver qui gigote dans la paume.
Caresser le mimosa, se piquer au rosier,
Border les pensées dans un pot.
Jardiner en éclats de rire.

Si la chaise glisse,
Le rocher bascule,
Si l’eau respire contre ma poitrine,
Toujours tes bras m’abritent,
Et me rattrapent avant la chute.
Les larmes de mon genou en sang
Coulent sur ton épaule.
Chatouiller en éclats de rire.

Aujourd’hui, nos arbres ont grandi,
À trois pommes du trottoir,
Le muret s’élève vertigineux.
Si je ne grimpe plus 
Dans le vent à la cime du pin,
C’est que tes bras ne sont plus là pour rattraper ma chute.
Je crains de dégringoler sans éclats de rire.


Monet, musée Marmottan

Messieurs A. et B. ou peut-être C.
m’ont vendu un cours en deux sessions,
Pour 60 euros, une affaire.
La main sur le cœur,
Ils m’ont promis,
La rencontre avec une auteure,
Puis des échanges passionnants
Sur les poèmes des participants.

Au premier atelier,
Ils nous ont présenté,
Surprise et cadeau,
La « publication » des textes
Des quarante participants,
Dans un livret qui leur serait envoyé.
Pourquoi pas ? Quelle chance !
Ce sésame magique déverrouille les cœurs des auteurs.

Leur mail de consignes conditionne, 
Déconvenue et mensonge,
L’envoi du poème à la signature
D’un contrat d’exclusivité,
Sans droits d'auteurs, non, pourquoi faire ?

J’interroge : puis-je s’il vous plait,
Pour mon blog, mes lecteurs,
renoncer à cette clause léonine ?

Aucune réponse ne m’est parvenue.

Messieurs A. et B. ou peut-être C. 
Vous n'aurez pas mon poème.
Chut, écoutez.
Entendez-vous cet éclat de verre brisé ?
L’image que j’avais de vous
vient de s’écraser sur le sol.

Carte d’abonnée

Comment à la médiathèque j’ai découvert une chanson complice

Mercredi matin de fin janvier, médiathèque de ma bourgade dans le sud de Lyon. Ma veste pliée en vrac pèse sur mon bras gauche, mon sac à main en bandoulière sur mon épaule et le cabas en tissu où je glisserai des DVD me scie le creux du coude. Au pays des livres, mon corps crisse mais je respire mieux. Pourtant ce sont surtout des films que j’emprunte.

Je consulte les rayonnages de romans et de BD, en dilettante, curieuse. Ma prédation littéraire s’exerce en librairie. J’aime posséder le papier que le lis, respirer l’encre sans la contrainte d’une échéance, ni sentir sous mes doigts les empreintes des lecteurs abonnés. J’achète aussi des livres d’occasion, mais leur vie antérieure, même de livres de bibliothèque défroqués, donne alors une aura singulière à mes adoptés.

Ce matin-là, j’avais donc passé un index hésitant sur les couvertures des romans exposés au rez-de-chaussée, d’autant moins motivée que je n’avais pas encore enfilé mes lunettes. Par réflexe, je fais la fille intéressée en passant, mais je peux tout juste lire les titres. J’ai accepté récemment que, pour me faire plaisir, je doive tirer la langue à ma flemme, et les sortir ces fichues lunettes, même d’une seule main, même encombrée de sacs, d’écharpes et de manteaux. Sur la table de l’entrée, des ouvrages sur le thème du corps dont présentés. Peut-être est-ce en lien avec le nouvel engouement pour le dry january, l’injonction à la détox de janvier des magazines. Avec deux adolescentes à la maison, le corps est un sujet omniprésent. Je passe mon chemin, et emprunte l’escalier, direction le rayon films au premier étage.

Lors d’un passage précédent, la responsable du rayon m’avait encouragée à fouiller dans les tiroirs sous les présentoirs : ils regorgent de films qu’elle doit, hélas, vider pour accueillir les nouveaux. Les droits de diffusion interdisent de les donner. Quel dommage ! Dans ma médiathèque moderne et déjà d’autrefois, le fonds est sur DVD, rien n’est encore en ligne. Cela me convient très bien : nous avons toujours un lecteur auquel je tiens jalousement pour mes films-pharmacie de l’âme.

Les films anciens m’offrent pendant une poignée d’heures, l’illusion de vivre à une époque à l’élégance quotidienne, au temps long, où des dialoguistes talentueux enrichissent les échanges. Ces films-là ne se trouvent pas sur les plateformes, et difficilement sur internet. Mon stock personnel se cache dans une pochette : pour gagner de la place, j’ai dû me séparer à regret des boites. Je voudrais traverser l’Atlantique en noir et blanc, sur un paquebot de luxe, assise un carnet de notes posé sur les genoux, prétexte pour, les cheveux emmêlés par le vent et les joues humides d’embruns, écouter mes voisins de transat Cary Grant ou Audrey Hepburn.

A la médiathèque donc, je fouille dans les DVD et à chaque passage repars avec une brassée de promesses. Les cœurs de papier rouge apposés par les bibliothécaires me guident vers de parfaits inconnus. De la douzaine de titres glanés, seuls quelques heureux élus passeront par notre lecteur. Mais les choisir me fait plaisir. Tiens celui-là on le regardera en famille, celui-là je le verrai seule, cet autre avec l’une ou l’autre de mes filles (elles n’ont pas les mêmes goûts). La plupart du temps, personne chez moi ne regarde ce que je leur propose. J’ai repris plusieurs fois les mêmes sans jamais les voir encore car le temps file et au moment où j’ai besoin d’une pause, ce n’est pas d’un film dont j’ai envie ou pas de celui-là. Trois fois au moins le coffret de Autant en emporte le vent s’est invité chez nous, sans jamais arriver à sculpter dans notre emploi du temps les quatre heures nécessaires pour présenter Scarlett à mes adolescentes.

Ce mercredi de janvier, ma récolte du mois (avec lunettes) est fructueuse, des trésors à voir ou revoir : des Hitchcock, Le train sifflera trois fois, deux films français pour se marrer, Le Schpountz de Pagnol, dont je veux faire découvrir les dialogues savoureux aux miens, La source des femmes, Sabrina avec Audrey Hepburn, Maria rêve.

Cet été, j’ai emmené ma grande fille voir The shop around the corner avec James Stewart au cinéma Lumière Bellecour, salle minuscule que je fréquentais assidument quand il s’appelait le CNP, que j’étais étudiante et habitais au coin, dans la rue des Marronniers. Ce film a inspiré You’ve got mail (Vous avez un message) de Norah Ephron avec Tom Hanks et Meg Ryan. Ma grande fille l’a adoré. Elle est sensible aux histoires en noir et blanc, ouf, une alliée ! Ces jours-ci, comme elle est fatiguée, je lui ai prêté Cary Grant (en couleurs).

Merveilleuse médiathèque. Tu commences l’année en élargissant des horaires d’ouverture. Ce n’est pas encore suffisant pour que je puisse me réfugier dans tes murs pour échapper à la dévastation des miens au marteau-piqueur, mais tu m’offres de quoi faire des pauses de bruit sans gaspiller temps et énergie dans le bus et le métro. L’an dernier j’avais écrit à la mairie justement pour demander ton ouverture tous les jours, au moins comme espace de travail. Le préposé m’avait répondu : patience, l’ouverture d’un espace de coworking sera pour l’année prochaine. L’année prochaine nous y sommes. Peut-être leurs travaux ont-ils pris du retard, eux aussi.

Après avoir exploré les rayons de DVD du couloir, je poursuis ma recherche dans la pièce dédiée à la musique et aux films. Une mélodie entrainante, des paroles lumineuses chantées par une voix féminine grave m’attrapent le cœur en entrant. « Il fait toujours beau, au-dessus des nuages » la la la la la la la la. Séduite, je m’approche en souriant du bureau et m’adresse à la bibliothécaire, une dame de mon âge aux cheveux longs et petites lunettes rondes :

-C’est quoi, la musique que vous diffusez ?

Elle indique la pochette d’un CD sur le présentoir.

-C’est Zaho de Zagazan.

-C’est drôlement chouette. Za quoi ?

Je m’approche pour lire, en plissant des yeux (malgré les lunettes, oui).

-Elle a un nom rigolo, plein de Z.

-Vous pouvez l’emprunter. Tenez.

La bibliothécaire fait le geste d’interrompre la musique pour sortir le CD du lecteur.

-Non, non. Laissez-le c’est trop joli, je ne veux pas priver tout le monde de la musique.

-Mais c’est pour la faire découvrir aux gens. Moi je le connais par cœur.

J’aurais volontiers pris une photo-souvenir de ce nom inconnu pour le confier à Spotify. J’attrape le CD, consciente que je ne l’écouterai pas, mais comment encourager la survie des supports antiques s’ils ne sortent jamais des médiathèques ? À la maison le soir, j’ai remplacé le cosy jazz de notre repas par la voix envoûtante de Zaho. Ma plus jeune demoiselle s’est écriée : « on dirait Stromae ».

Le CD, avec son cœur rouge collé par la bibliothécaire, est resté sur l’étagère du salon avec les DVD, dans le coin réservé aux objets culturels à rendre – prière de ne pas les égarer. Il glissait parfois dans mon champ de vision, juste le temps de me dire : comme c’est curieux cette couverture avec une table de mixage.

C’était il y a trois semaines. Voilà quelques jours, les algorithmes d’Instagram m’ont proposé un réel de France TV avec le discours de Zaho de Zagazan aux Victoires de la musique. C’est un peu une surprise cette interférence. Pour protéger ma santé mentale et mon bien-être, mon cerveau n’accepte sur ce réseau social que de l’inspiration : créations et paysages de l’Ardèche ou de montagne. Les informations et la vie des gens sont des serpents interdits de traversée et mon regard se détourne des « suggestions » et autres publicités. Pourtant lorsque ce visage inconnu de jeune femme blonde au rouge à lèvres très vif est apparu sur mon écran, les sous-titres de sa bouche muette (le bruit est confisqué sur mon téléphone) m’ont interpellée : « Être sensible c’est être vivant et on n’est jamais trop vivant. »

J’ai allumé le son et écouté : « Je suis née très sensible comme vous pouvez le remarquer. Pendant longtemps j’ai pensé que ce n’était pas bien. Ça se traduisait pleurs, en cris, en colère, en plein de choses pas très agréables. (…) Je me suis rendu compte que ce que je pensais être mon plus gros défaut était finalement ma plus grande qualité. »

Oh une âme sœur ! Emoji cœur, émoji cœur, emoji cœur, émoji sourire qui pleure. C’est si rare de croiser une personnalité-tempête !

Bon, à sa place, aux larmes se seraient ajoutées les plaques rouges sur la poitrine et le cou et un incendie aurait dévoré mon visage. Aucun mot n’aurait été intelligible et je serais partie en courant me réfugier dans les toilettes des coulisses pour les quinze prochaines années. La seule idée de devoir prendre la parole en public, même devant un petit groupe, m’empêche de dormir pendant plusieurs jours, l’éventualité d’un micro sur mon menton m’envoie sous mon lit avec mal au ventre et celle d’une caméra dans une grotte avec la nausée. Les groupes me mettent mal à l’aise, j’aime aimer les gens un par un.

Éprouver des émotions XXL est un travail à temps complet. Éprouver, verbe si adéquat.

Quel bonheur que ces livres ou chansons à texte qui tendent le cœur vers une complicité de ressenti comme Anxiété et Ceux qui rêvent de Pomme, J’aime les gens qui doutent, Ma chérie (et bien d’autres) d’Anne Sylvestre, Ta place dans ce monde de Gauvain Sers et maintenant La symphonie des éclairs.

« Dès sa plus tendre enfance,

Elle ne savait pas,

Parler autrement qu’en criant tout bas.

Pas faute d’essayer,

De les retenir,

Ces cris et ces larmes… »

Cette chanson, l’histoire d’une petite fille très sensible qui aurait aimé l’être moins, raconte toute « la vie de tempête » de Zaho. Elle raconte aussi la mienne. Par la musique, Zaho fait la paix avec sa sensibilité encombrante. Par l’écriture, je pardonne (parfois) à mon système nerveux, les larmes et la colère, la joie et l’amour infinis qui eux aussi épuisent. Souvenez-vous, les larmes sont l’expression d’une émotion pas forcément de la tristesse.

J’ai hésité à rassembler mes notes pour composer cet article, encore plus à le publier. Après quatre ans d’articles dans ce blog et deux ans d’écriture d’un livre de six cents pages je commence à m’accepter. J’ai donc décidé d’attraper le micro entre mes mains tremblantes et d’oser. J’aime quand mon cœur est touché par les créations des artistes. Quitte à ressentir si fort autant partager.

Tenez, voici un présent pour le vôtre.

Je vous l’emballe ?

P.S. : Bonne balade dans ma bibliothèque virtuelle : la page sur mes dernières lectures est mise à jour avec des romans et des BD.

P.P.S. L’arbuste rose pour illustrer cet article est un daphné. La majeure partie de l’année il passe inaperçu. En hiver son parfum délicat détourne les attentions à plusieurs mètres. Le charme délicat de ses petites fleurs roses et de ses feuilles brillantes ferait oublier qu’il est toxique, cohabitation végétale d’extrêmes, ténèbres et lumière.