Un dimanche au musée dans la vallée du Rhin
Mais si, vous en avez entendu parler… Cet artiste, peintre, sculpteur et poète, s’appelle aussi Jean Arp.
C’est un artiste allemand naturalisé français, né à Strasbourg en 1886 et mort en 1966 à Bâle. Il a cofondé le mouvement Dada et fait partie des surréalistes.
Longtemps je connaissais son nom sans savoir l’identifier. Je l’ai mieux découvert voilà quelques années à Bâle où avec Susanne mon amie allemande d’enfance de Köln nous avions passé quelques jours d’été. Entre visites culturelles et parts de gâteau, nous avions eu le plaisir de nous baigner dans le Rhin, comme les locaux. Le mode d’emploi est simple : se placer en amont de la zone de baignade, se mettre en maillot, fourrer toutes ses affaires dans un sac étanche rouge bleu ou vert en forme de poisson et se laisser emporter comme sur un toboggan en papotant les bras sur le sac. Ne pas rater l’échelle de sortie en aval. Le courant est très fort.
Donc le musée Hans Arp sur les bords du Rhin à quelques kilomètres au sud de Bonn, ça faisait longtemps qu’on en parlait comme but d’excursion entre Mainz et Köln. Au moment de l’exposition Rodin, les incertitudes de la pandémie avaient gobé le dimanche. Mais là tous les voyants étaient au vert.
Nous sommes donc partis dimanche matin en longeant le Rhin vers le nord, après une halte chez une copine pour récupérer notre plus jeune, ravie et épuisée. Elle avait fêté l’anniversaire d’une camarade, avec jeu de piste en forêt, pizza maison autour d’un feu de camp dans le jardin des parents et nuit par terre dans une grande chambre de bois. (J’étais un peu jalouse).
La route qui longe les gorges du Rhin est très belle, mais l’autoroute qui la double à l’ouest permet d’aller plus vite dans un paysage vallonné de champs de colza et forets mixtes, où le vert clair des feuillus de mai se mêle aux tons sombres des conifères et des épicéas desséchés. Les éoliennes criblent les crêtes de pointillés métalliques imposants. Les travaux semblent ne jamais progresser.
Nous sommes arrivés en avance. C’est à noter car lorsque nous retrouvons des amis allemands, nous mettons un point d’honneur à être à l’heure. Ne pas faire attendre les autres était un réflexe bien avant d’immigrer, mais aujourd’hui nous visons la minute exacte quitte à poireauter cachés devant le lieu de rendez-vous. (On m’a déjà reproché d’être dix minutes en avance).
Nous avons rejoint la vallée du Rhin pour atteindre la petite ville de Rolandseck et quitté la route sur la gauche pour un parking ombragé par d’antiques marronniers en fleurs en contrebas d’une colline. En attendant midi, nous avons grignoté un casse-croute, dans la voiture. Nos amis déjeunent d’un brunch tardif après une grasse matinée que nous ne faisons pas. Nous avons donc un décalage d’horaires d’alimentation le week-end et je n’aime pas visiter en mourant de faim.
Message. Où êtes-vous ? Oh zut, ils vont croire qu’on était en retard.
L’entrée du musée est sous la gare de Rolandseck, installée à flanc de coteau. Ce bâtiment de la ligne Mainz-Koblenz-Köln, construit dans les années 1850 pour servir de correspondance avec le trafic sur le Rhin, garde un charme désuet. Il marque la limite entre les Länder Rheinland-Pfalz et Nordrhein-Westfalen.
Juste sous la gare, au point kilométrique 640 du Rhin (depuis la ville de Konstanz sur le lac) se trouve le bac pour la rive opposée. Faute de pont, le bateau Siebengebirge fait la navette avec une poignée de voitures et de passagers. Son nom vient des collines en rive droite du fleuve car, vu de loin, seules les sept principales se distinguent (sieben : sept, Gebirge : montagnes). Ça me rappelle une rue de Köln dans le quartier d’une amie : Siebengerbirgsallee.
Lorsqu’après la visite, nous descendrons sur une petite plage de sable déguster les muffins à la fraise et le gâteau à la rhubarbe de saison, on apercevra la pointe d’une grosse île sur le Rhin. Elle s’appelle Nonnenwerth, en souvenir des nonnes qui y étaient installées. Aujourd’hui leur cloitre est transformé en pensionnat. J’ai dit à ma fille :
-C’est pas génial, aller à l’école sur une île ?
Elle m’a répondu :
-Non, t’es enfermée deux fois.
Sur cette île aura lieu le premier juillet un concert extérieur de Zaz (prononciation allemande tzatz ;o)), auquel nous ne pourrons assister puisque nos demoiselles seront, elles aussi sur scène.
Pour l’instant nous montons le long de pelouses vers le parvis du musée, où nous retrouvons Susanne et son mari devant une sculpture majestueuse sur fond de Rhin et de collines. Nous ne les voyons pas assez nos amis. Lorsque nous vivions en France nous passions de longs week-ends ensemble. Aujourd’hui sous prétexte de vivre à deux heures de trajet, nos retrouvailles restent brèves.
Après le passage à la caisse, un corridor blanc s’enfonce dans la colline (sous les voies). Des cercles de lumière en enfilade éclairent un tunnel. Un panneau précise qu’il s’agit d’une œuvre d’art intitulée Kaa, comme les anneaux siffleurs du célèbre serpent.
Un virage à droite et quelques marches nous permettent de rejoindre la zone d’exposition temporaire consacrée à Paula Modersohn-Becker, avec, intercalées entre ses peintures, ses sources d’inspiration. Un portrait de Renoir, un de Cranach, des paysages de Sisley ou Vuillard. Je n’ai jamais entendu parler de cette femme dont mon amie me dit qu’elle a vécu à la fin du XIXème siècle et est morte très jeune (31 ans). En quatorze ans d’exercice artistique, elle a créé près de deux mille peintures et dessins, d’un style expressionniste. Ma fille me dit : c’est simpliste. Je ne suis pas d’accord. Les aplats de couleur évocateurs sont émouvants. Je tâcherai de regarder le film sur sa vie dont m’a parlé Susanne (Paula.)
Cette courte exposition répartie sur trois pièces vaut en mon sens le détour, comme l’architecture du musée consacré à l’art contemporain.
Au-delà, le corridor, vitré, tourne puis s’enfonce dans la colline. Pour monter, messieurs-dames vous avez le choix, un ascenseur géant ou un escalier de 230 marches.
Nous voilà prévenus.
Nous montons à pied dans un cylindre creux, dont la moitié de la paroi laissée à cru dévoile des strates de cailloux, de rochers ou de terre à peine moulées en vagues verticales. L’ascension se poursuit dans un escalier en ”colimaçon aplati”. C’est suffisamment bien fait pour éviter de se trouver nez à nez avec le vide mais l’impression de vertige enfle. Essoufflés, nous arrivons sur une plateforme vitrée dont la terrasse plonge sur la vallée du Rhin. Je n’ai pas osé m’approcher de la barrière. Notre ami nous signale au loin les ruines d’un château, comme sur le moindre sommet dans de coin d’Allemagne.
Voici donc le bâtiment principal du musée, en haut de la colline, bien au-dessus de son entrée et de la gare, du parking et du Rhin. Tout est blanc, vitré, haut, lumineux et vaste.
Au premier niveau, des sculptures modernes, objets utilitaires de métal détournés et peints jalonnent un sol gris. L’artiste contemporaine est Bettina Pouttschi, le titre de l’expo : Fluidity. Cette dame est née à Mainz en 1971 et vit et travaille à Berlin. Ma fille me demande : franchement tu trouves ça beau ? Non. Trois barrières anti-émeutes tordues sur elles-mêmes, peintes en blanc et empilées qui guident un néon allongé pour un luminaire géant ? Non ce n’est pas beau. Mais c’est intéressant.
L’accès au deuxième niveau est moins facile pour les personnes sujettes au vertige – suivez mon regard. Les contre-marches des escaliers sont vides. Pourquoi les architectes modernes ne pensent-ils pas aux handicapés du vide ?
Le dernier étage est consacré aux œuvres de Hans Arp et de sa femme Sophie Taeuber-Arp. Des sculptures de petite taille sur des sellettes dans un camaïeu de bleu, beige et violet, des tableaux en différents matériaux, des découpages. Les formes fluides et simples des sculptures sont trompeuses. Je m’y suis essayée. Déçue par notre visite annulée, j’avais choisi de reproduire en terre une création de Arp. André Breton avait dit de cet artiste qu’il fait partie des « modèles inimitables ». (Ouf).
Elles sont intéressantes, mais je suis déçue de ne pas voir plus de statues majestueuses, installées dans le monde entier chez leurs acheteurs. Un jour j’irai photographier celle qui orne la place de la mairie de Mainz La clé des jaquemart. Les titres des tableaux ne sont-ils pas poétiques ? Le voilier dans la forêt, Coulisses de forêt, Tête éclair ou clef sans tonnerre…
Dans une salle au fond, une exposition ludique et colorée de Bettina Pouttisch permet de jouer avec une caméra pour créer des formes abstraites sur un écran. Le plus gros succès auprès de mes filles.
Retour via le restaurant installé dans la gare, un établissement de standing au décor vaguement art déco. Les convives sont très chics à l’occasion de la fête des mères et toutes les tables intérieures sont occupées. Boire un café ou un thé sur la terrasse est heureusement possible car nous sommes assoiffés.
Notre ami nous dit :
-Je vais aux toilettes il parait qu’elles sont à voir…
Bien entendu, on y est tous allés.
Des trompe-l’œil kitsch sur tous les murs font croire au visiteur qu’il est observé. Par une vieille dame entre les urinoirs. Par un satyre à une lucarne chez les dames. Ma plus jeune en sort en pouffant :
-T’as vu maman, y’a un zizi avec des plantes qui sortent !
Non je n’avais pas vu, mon amie non plus. Bien sûr nous sommes retournées. Hi, hi. Et aussi : pourquoi ?
Redescente au parking, pas le temps de nous balader, nous devons rentrer, demain quelqu’une a interro de chimie. Nous avons révisé les acides et les bases à l’aller (en trilingue : ma fille apprend en allemand, mon mari les connait en anglais et moi en français… ça fait de joyeux micmacs, PH 7). Nous allons continuer.
Retour sous une météo capricieuse, entre ciel sec et de déluge. De la boite à gants je sors des rouleaux de réglisse, mon péché mignon en voiture, que chacun suce selon sa technique. (Je croque.)
Les œuvres de Hans Arp sont exposées dans plusieurs musées (Strasbourg, Bâle entre autres) et sur de nombreux parvis dans le monde entier. Mais si, vous en avez déjà vu.
Pour organiser une visite, c’est par là : Musée Hans Arp
PS : Avez-vous remarqué à droite de l’entrée un pochoir de banane qui rappelle Andy Warhol ? Il s’agit d’une œuvre de Thomas Baumgärtel qui a tagué, depuis le début de sa « bananeraie » en 1983, plus de quatre mille lieux culturels en Allemagne et au-delà. Pour ce Banksy jaune, Kunst ist Banane, l’art est une banane.
Ouvrez l’œil là où vous irez.
Les Français prennent souvent les Allemands pour des rustres mais je vois qu’au point de vue artistiques ils n’ont rien à nous envier.J’ai vu des oevres de Harp à Venise et à Londres:on ne peut pas le refaire!!La réflexion de ta fille est normale:on cherche d’abord le beau dans l’art ,j’aime beaucoup cette phrase de Picasso:”la peinture n’est pas faite pour décorer les appartements.c’est un instrument de guerre offensive et défensive contre l’ennemi”.On a souvent l’impression que les artistes contemporains se moquent de nous ,c’est vrai que leurs oeuvres sont parfois hermétiques.Profitez bien et bonne fin d’année scolaire àvos filles.Bises ardèchoises.Dany
Merci pour ton témoignage Dany et la citation de Picasso. Les vacances scolaires commencent fin juillet cette année… nous devrons patienter. Gros bisous Estelle
PS : oui, certains artistes contemporains se moquent de nous. Comme dans le conte Les habits neufs de l’empereur, le roi est nu, et le monde se laisse abuser. Pendant ce temps des artistes authentiques inconnus créent de la beauté en secret. Devant certains travaux, je repense à la citation de je ne sais qui : “Quand quelque chose vous donne le vertige, souvenez-vous que ce qui donne le vertige c’est le vide”. Mon fiston tout petit disait : “c’est la vie !” Re-bises.
Coucou ! Merci pour se partage. Je t’avoue, un peu honteuse, que je suis un peu imperméable à certaines formes d’art et manque cruellement de culture 🙁 Je suis plutôt dans le ressenti irrationnel : c’est beau, rigolo ou moche… un effet de l’hypersensibilité 🤔 En revanche, le site à l’air d’être sympathique (tes photos sont belles) et j’aime beaucoup ton expérience de baignade dans le Rhin. Porte toi bien ! 🤗
Coucou Flo,
L’essentiel c’est ce que l’on ressent, je suis bien d’accord avec toi. Le site est très chouette et oui la baignade sur le Rhin à Bâle est une expérience extra ! gros becs (c’est comme ça qu’on dit ?) Estelle