Déconfinée déconfite

Pas simple de trouver un équilibre ces jours-ci, entre déconfinement partiel, école en pointillés, ‘retour’ à une vie masquée pas si ‘normale’ que ça.

Le Rhin à Budenheim, au loin le massif du Taunus

Ce lundi matin, à la maison, l’école commence tard. Y’a du laisser-aller. Il est 9h25 et ma fille vient juste de prendre place à son bureau. Elle a cherché puis retrouvé son programme de travail, celui donné par la maîtresse la semaine dernière pour les jours à la maison.

C’est une continuité encore frêle. L’école a recommencé en pointillés la semaine dernière. Pour notre famille et amis français, c’est aujourd’hui le jour de la reprise. Celui du déconfinement tant attendu depuis deux mois. Il parait que les rames de métro matinales sont déjà bondées.

Faudrait pas trop tout lâcher d’un coup parce que sinon, on s’en reprend pour deux mois ! Enfin vous, en France. Ici je n’ai pas l’impression qu’il y ait un laisser -collectif, tout simplement parce que le confinement n’était pas aussi rigoureux qu’en France. Dans notre Land, en Rheinland-Pfalz, on a toujours gardé le droit de sortir, même si la plupart des lieux de sorties et les commerces étaient fermés. Même si on ne pouvait pas retrouver des amis.

Cela dit, samedi à la jardinerie où nous sommes retournés pour la première fois depuis deux mois (et qui pourtant n’avait pas fermé) c’était l’heure de pointe dans le métro. Les scotchs par terre tentaient d’organiser un sens de circulation et des panneaux rappelaient de ne faire les courses qu’un par un…. Personne ne semblait trop en tenir compte.

En slalomant avec notre caddie et nos pots géants, nous nous sommes équipés en plants de concombres et basilic, pour accompagner les pieds de tomate offerts par mon amie.  Tous les visages étaient cachés derrière un masque, mais les deux mètres d’Abstand (distance) étaient impossibles à respecter.

C’est dur ces contraintes pas encore intégrées, pas encore des réflexes. La sortie fait plaisir mais garde le carcan pesant du contrôle nécessaire. Et les échanges humains cachés derrière un bout de tissu perdent de leur chaleur et de leur authenticité. Oui je te parle, mais je me méfie de toi, de ta proximité menaçante.

Derrière un masque on ne voit pas le sourire. Ni les larmes en fait, comme j’en ai fait l’expérience l’autre jour. Trop émue d’avoir pu échanger quelques mots avec le pharmacien, des mots qui disaient prenez soin de vous (ben oui on perd l’habitude), j’ai eu les larmes aux yeux en sortant. Je les ai laissé couler dans la rue, tout à fait librement. Le masque semble permettre l’expression affranchie des émotions…. Je me suis rendu compte que le bas du visage trahit presque plus nos troubles que les larmes dans les yeux. Et des joues habillées ne communiquent plus rien.

Le masque ça empêche aussi de respirer les roses… en plein mois de mai, c’est dommage. Je me retrouve à me découvrir le nez, comme une voleuse, dans un geste presque impudique, juste pour sentir une fleur !

Donc aujourd’hui ça déconfine de part et d’autre, mais toujours pas d’infos sur la frontière, là, au milieu.

Et de toute façon, les limitations aux déplacements en France nous interdisent de retrouver mon étudiant de fils. La traversée du Grand Est et la Bourgogne-Franche Comté, tout rouges de virus, reste peu indiquée. Surtout à quelques semaines des concours. Donc nous ne savons toujours pas quand nous nous retrouverons en famille.

Ce matin j’ai envie d’écrire, mais je me sens empêchée. L’absence d’aventures et de rencontres se ressent dans la créativité. La répétition empesée étouffe mon élan. A l’instar de beaucoup, j’ai envie de (re)nouveau et d’ailleurs. Je trépigne et je piaffe comme un cheval entravé, coincé à l’écurie.

Je rêve de pouvoir aller randonner dans les Alpes. Marcher le long des prairies en fleur.  Guetter le muguet sauvage dans sous-bois. Inspirer l’air frais en altitude. Sentir le vent glacé sur une crête, en refermant sa veste. Entendre les clarines… La montagne me manque drôlement depuis que nous sommes en Allemagne, même hors contexte de confinement. Quand on vivait à Lyon, on partait souvent pour le week-end dans le Vercors (coucou à C. et M.) ou en Chartreuse, pour un dépaysement instantané, des balades dans les lapiaz, les forêts fraîches.

Ici nous n’avons pas de dénivelés à proximité. Les épicéas sont légion autour de Mainz, comme les hêtres et les digitales pourpres sur les talus. Mais point de changement de température et d’humidité à leur proximité. D’habitude quand ils sont là, on respire mieux, les poumons s’ouvrent sur les parfums frais de l’humus noir et des mousses mouillées. Mais même quand on s’aventure dans le massif du Taunus, à quelques timides centaines de mètres au-dessus du lit du Rhin, la chaleur reste comparable à celle de la plaine. On y gagne juste l’ombre des arbres. Ça fait une curieuse sensation de décalage botanico-climatique.

Donc non, pas de randonnée en altitude. La Forêt Noire est à trop d’heures pénibles sur des autoroutes chargées pour valoir le déplacement sur une courte période. Et puis là, avec les hôtels fermés, et l’absence de campings….

Alors on donne le change ou on le prend là où il reste accessible.

Dimanche petite balade le long du Rhin, pour voir de l’eau qui fuit, de l’eau qui s’échappe. Rêver de s’inviter sur une péniche pour fuir au-delà du coude là-bas. Découvrir un nid d’abeilles sauvages dans un tronc d’arbre mort, qui ressemble à une flûte géante avec tous ces trous percés alignés. Suivre du regard le vol long et silencieux d’une cigogne, au ras de la surface lisse. Ecouter avec gourmandise et les yeux fermés les vagues qui s’écrasent sur les blocs de pierre de la rive, quelques minutes après le passage d’un bateau rapide.

Rêver de la mer, de la Méditerranée salée et iodée, dans laquelle on aurait trempé les pieds. Peut-être même les genoux. Et qu’on aurait goûtée, d’un coup de langue sur les lèvres.

Regarder les bancs de poissons minuscules tâtonner dans les cailloux. Se souvenir de leurs chatouilles dans les rivières d’Ardèche, si on reste un peu trop longtemps sans bouger debout dans l’eau.

Essayer intensément, le nez en l’air, l’oreille tendue, de reconnaître les oiseaux. Ces rives regorgent de chants inédits. Associés à tout ce vert entre nous et le ciel, à ces aulnes sur la pointe des racines, ils nous projettent dans la mangrove tropicale.

On rentrera plus riche de ces rencontres natures, la démangeaison du mouvement vaguement apaisée pour quelques heures.

On se rassoira à son bureau lundi matin, en ayant l’impression de débuter quelque chose.

Bonne reprise !

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