Frein d’urgence (périmée)

Ecoles refermées, mal-être enfantin, piano et graines de soucis

Dans le lilas, toujours chercher la fleur à cinq pétales

Mercredi dernier une loi a été votée pour permettre la gestion de la pandémie au niveau national. Une baguette magique pour renoncer au fédéralisme en cas de force majeure du genre pandémie âgée de 13 mois. Notbremsegesetz (loi frein d’urgence). Un peu rassie l’urgence tout de même. Cela vise à homogénéiser les approches dans les Länder. Désormais l’Allemand du Nord est bridé à la même laisse que celui du Sud. Le seuil de taux d’incidence (nombre de nouveaux cas d’infection pour 100.000 habitants) pour l’ouverture des écoles et autres commerces non essentiels a été abaissé à 165 (on n’est pas près de revoir les bancs du collège) et un couvre-feu a été instauré. A 22 heures. Avec une dérogation jusqu’à minuit si on est seul et/ou qu’on fait du sport. (Oui je sais. A quoi bon ? Je vous vois d’ici amis de France sauter sur votre chaise.) Deux tests par semaine obligatoires pour assister aux cours en présentiel. Là aussi ça va pas beaucoup nous gêner. Depuis mi-décembre mes filles sont allées deux jours et demi à l’école.

Mes informations sont sûres, c’est une copine italienne qui me l’a dit. Elle est passée à la maison avec sa fille qui apportait la liste des devoirs à la mienne, malade. Elles sont restées dehors à distance réglementaire. Nous avons échangé quelques mots pour le plaisir. Ça me fait drôle de parler allemand avec une Italienne. En même temps, nous ne connaissons pas la langue maternelle de l’autre. En leur disant au revoir, j’ai senti les larmes me monter aux yeux. Ça fait si longtemps que des visages amis n’ont pas sonné à la porte. En temps normal déjà c’est rare : les Allemands ne sont pas des champions de la spontanéité… Seule la voisine passe à l’improviste.

Marre de ce triste cirque. Depuis la rentrée virtuelle de janvier une de mes filles souffre régulièrement de périodes de maux de tête qui la clouent au lit. Notre petite fille gaie et sportive s’éteint d’un coup comme le barbecue dans le courant d’air. Couvre-feu à domicile. Le dimanche soir. Elle se rallume le vendredi midi. On a fait le siège chez le pédiatre. Aucun signe clinique. On a verbalisé mes angoisses. Dès la deuxième fois j’ai envoyé mon mari, avec la liste des questions en allemand. Je veux que nous soyons pris au sérieux, qu’ils discutent entre hommes posés. Quand mes enfants sont malades mon inquiétude crie par tous mes pores. Elle parle très bien l’allemand. Je veux que ma fille soit prise au sérieux et pas glissée en levant les yeux aux ciel dans la catégorie ‘’enfant bien portante, mère hystérique et française.’’

Donc pour la médecine, tout va bien. Sauf que ma fille souvent a mal. La Valse du Grand Bazar prélève sa dîme. Un jour à l’école. Ah non, changement de règle, tout le monde rentre. Scénario, 2 puis 3, retour au 2 (ne suivez pas, ça ne sert à rien, je ne sais pas ce que j’écris). La direction du collège transmet les courriers du ministère de l’éducation de Rheinland-Pfalz, et y va de ses looooooongues explications. Je clique deux fois par jour dans l’application du collège. Oui j’ai lu le message-fleuve pour nous dire d’ouvrir le courrier–rivière pour nous dire qu’y a pas école. Ça on savait. Les modalités on s’en fout, on comprend rien et ça change avec les courants d’air.

Je n’ai pas de girouette.

C’est tellement compliqué qu’une prof principale a eu l’excellente idée de nous envoyer ce week-end un mail complémentaire à ceux de l’établissement. « Les deux informations à retenir sont : pas d’école, et si oui, deux tests par semaine obligatoires ». Voilà. Deux lignes. Merci à elle.

A court terme, pas d’espoir de changement de rythme pour ma fille. D’abord lui expliquer le concept de l’inconscient : son corps exprime le ras le bol qu’elle ne verbalise pas. « Ça pourrait être ça mais tu ne le saurais pas. T’en penses quoi ? »

Ensuite la libérer de ses obligations familiales … certes mais comment ? En instaurant un tour de rôle dans la tente deux places dans le jardin de poche ? Fait encore trop froid la nuit. De toutes façons, j’y tiens pas. J’ai transplanté des pâquerettes sauvages dans la pelouse. Gänseblümchen. Les petite fleurs des oies. C’est pas charmant ? Je les chouchoute à coups de petites caresses et arrosage quotidien. Et de réorientation des grattages canins intempestifs.

Comment, sans pouvoir la renvoyer à l’école, restaurer la santé d’une demoiselle qui souffre sans le savoir d’être coincée entre ses parents et sa sœur bouillonnante (elle aussi en souffrance d’isolement), et de ne pas savoir quand elle pourra voir son frère coincé dans le no man’s land des voyages internationaux mais intra européens en temps de partiels masqués ? De ne pas pouvoir exercer son métier de petite fille : aller à l’école à vélo, jouer dans l’herbe avec ses copines, courir à fond avec la chienne (toujours attachée à deux laisses), manger en cachette des bonbons dans le placard (mais pourquoi est-ce que je garde les stocks inutilisés aux anniversaires d’hiver ?), laisser trainer ses habits sales sur la moquette ( ça, ça marche toujours), refuser de lire avec maman, négocier de regarder quelque chose le vendredi soir, poser trois dizaines de questions en moins d’une minute et n’écouter aucune réponse. Concocter des gâteaux imaginaires délicieux.

Mes filles sont comme leur mère : hypersensibles. Les griffes de la vie les égratignent plus vite et plus profond. Leur mal-être aigü alerte sur un malaise général. Les Anglais ont une expression douce-amère : canaris in the mine. Les canaris-alarmes des mines : quand ils meurent dans leur cage, il est temps pour les mineurs de sortir, l’oxygène est tari. Avis aux plans-plans de vaccination… y’a urgence pour les gosses. Vraie.

Ne dirait-on pas les méchantes pensées chantantes d’Alice au pays des merveilles ?

Vous serez ravis de l’apprendre, ça vous fera une belle jambe pour les shorts du printemps : ça y est je connais le nom des fleurs en allemand. Enfin, celles à qui j’ai été présentée et que je fréquente. J’ai pas fait exprès. A force de fouiller dans les pépinières et d’en réclamer au fleuriste, ma mémoire a cédé.

C’est intéressant je trouve de comparer les noms des plantes dans différentes langues. Ça montre des approches différentes en botanique.
Souci, Ringblume, parce que la graine rappelle l’anneau (ring). Wolfsmilch, l’euphorbe (lait de loup, cassez une tige vous verrez), aux couleurs et aux formes envoutantes, que je n’ose pas planter dans mon jardin en raison de sa toxicité. Le giroflée en anglais se dit Wallflower – fleur des murs. En allemand j’ai déjà oublié, je vais chercher. Mes semis de graines ardéchoises poussent bien dehors. Par contre, ceux de zinnias et de soucis commencent à s’étioler à l’intérieur. J’ai hâte de les planter au jardin, après les saints de glace, la lune rousse et avoir déblayé un coin de terre.

Dans deux semaines, ma grande fille jouera en concert dans une église. Elle travaille à la flûte une Humoresque de Dvorak, je l’accompagne au piano. Nous avons présenté jeudi notre travail sur Skype à sa prof. Les élèves joueront les uns pour les autres, sans autres spectateurs. Ce sera filmé. Le petit défi du moment : sortir bien habillée, en ayant dans les doigts le morceau, jouer sans répétition sur un instrument inconnu. Dans une église la sonorité est très différente d’une pièce aux volumes classiques, même grande. Un piano à queue (Flügel : aile, c’est joli non ?) aussi a un son spécial. Ouvert, les spectateurs entendent mieux la musique que le pianiste. En toutes circonstances, j’ai la trouille de jouer en public. Les regards me tétanisent. Depuis quelques années je me force, et je me débrouille pas mal, tendue et bouillante comme un arc en fusion. Je me planquerai derrière la flûte. Ne le dites pas à ma fille.

A la rubrique actualités familiales, je me suis enfin inscrite au registre des Français hors de France. Tout se fait en ligne. Bien sûr il y a eu un petit aller-retour administratif pour cause de justificatif qui ne cochait pas toutes les cases. J’ai attendu longtemps, d’abord par manque de motivation puis pour absence de photo d’identité. Pas de photomaton à Mainz. Chez le photographe le cliché coûte les yeux de la tête qu’il a immortalisée. Récemment, j’ai découvert que l’on pouvait se faire tirer le portrait chez DM, la droguerie / parapharmacie / épicerie bio sèche (graal des petites jeunes filles en vadrouille et de leurs mamans confinées) entre le rayon pâtes et les mouchoirs en papier. On ôte le masque un quart de seconde. Voilà c’est fait. J’ai une carte virtuelle qui me dit que son titulaire est placé sous la protection du consulat de France. Dans un sens bizarre c’est rassurant. Je pourrai voter aux présidentielles au consulat de Francfort. Mon fils m’a dit “Ah c’est vous qu’on attendra le soir des élections à 20 heures !” Oui. Enfin. Surtout les Français de plus loin. En matière de décalage horaire, même dans ces temps perturbés, de part et d’autre du Rhin nous jouons à l’unisson.

Changements minuscules.

L’Angleterre déconfine, la France va retrouver sa liberté de mouvement. Ici, le tunnel est toujours bouché. Nous n’avons pas de limitation aux 10 kilomètres. Comme nous n’avons nulle part où coucher ailleurs que chez nous, et que les paysages certes jolis restent monotones même à bonne distance de Mainz, nous renonçons à dépasser la demi-heure de voiture. Le frein on se le met tout seul. J’ai annulé un projet de rendez-vous amical à trois par respect de ce que j’ai compris des nouvelles règles d’urgence. Je me germanise dangereusement. Pourvu que je n’en vienne pas à reprendre des inconnus sur leur comportement.

Ma grande fille hier a été confrontée à une remarque abrupte d’un propriétaire de chien selon elle aberrante (Gaïa n’aurait pas le droit d’aller renifler les fesses de son chien couché). Elle est rentrée chamboulée. C’est la première fois qu’elle vit en direct la propension de certains à éduquer leur prochain à leur corps défendant (et ce même quand ils sont eux-mêmes dans leur tort). Elle me le raconte, en terminant avec un « mais enfin, de quoi il se mêle ? » (avec un vocabulaire plus fleuri, où il est à nouveau question de postérieur, inspiré directement de celui de sa mère puisque c’est le seul français qu’elle entend au quotidien).

-Quand c’est comme ça ma fille, inutile de chercher à discuter. Tu fais un sourire et tu t’en vas vite.

-Ouais mais j’avais mon masque.

-Peu importe. En y réfléchissant mieux, les gens agressifs ne méritent pas ton sourire. Pars en disant quelques mots en français. Tu l’entendras râler sur les Franzosen. Et tu sauveras ton humeur.

Ça c’est notre technique de frein d’urgence pour glisser entre les mailles du filet de la Hobby Polizei (la police des loisirs, comme dit une amie) et se placer sous la protection virtuelle d’une prétendue maladresse franchouillarde.

Je vais devoir vous laisser. Une poignée de sable m’attend. Au risque d’en prendre plein les yeux, je vais la lancer en l’air pour connaître le sens du vent.

Je vous le souhaite favorable.

Le Rhin par ici, c’est l’évasion. Les campings s’installent pour l’été. Ce sont des résidences secondaires temporaires (la zone est inondée l’hiver). La photo est un peu sombre, je n’ai pas osé trainer. Notez les transats bien placés.

4 thoughts on “Frein d’urgence (périmée)

  1. Mes filles ont la chance d’être deux, elles jouent tout le temps ensemble. Je me demande comment ça se passe chez les autres. Mes fils trouvent toujours des copains pour faire du skate ou un tour de vélo. Le lien social est restreint mais il existe. La longueur de cette situation sans issue est dramatique pour beaucoup. Je perds pied. On essaye de ne pas finir fou tout simplement. Je suis en train de chercher une aide ménagère parce que je ne peux pas tout faire et je préfère voir mes enfants utilisés leur temps libre à jouer dehors que de leur faire faire leurs taches ménagères habituelles. Ils sont les 1ers à n’en plus pouvoir.

    1. Merci pour ton retour Juliette. Oui c’est ça, on essaie de ne pas devenir fou. Mettre tout le monde dehors à jouer et bouger, en essayant de croiser un copain le plus possible. Tirer des plans à horizon 24h max. Bonne idée l’aide ménagère. Bon courage à toi !

  2. Ici aussi, y en a marre de tout ça pour les jeunes qui manquent cruellement de vie sociale ! Je ne juge pas les décisions politiques qui semblent être les mêmes un peu partout ; je ne connais pas tous les éléments de décisions et j’ai l’impression qu’ils sont tous un peu perdus. Comme tout le monde, on compose avec les restrictions. Mon plus jeune (12 ans) a eu la chance d’aller à l’école jusqu’à Pâques ; c’était important qu’il se fasse des amis en cette première année de secondaire (= 5ème française). Depuis, ils échangent beaucoup par Meet et autres plateformes en dehors des cours en ligne ; au moins le contact est conservé. Ils vont jouer dehors, à 2 ou 3, une fois par semaine… avec leurs masques… drôle de vie ! Les plus grands (17 et 20 ans) ont leurs cours à distance essentiellement depuis plus d’1 an et c’est vraiment dur pour celui de 17 ans qui est plutôt extraverti et a besoin de contacts sociaux. Théâtre, improvisation et musique avec les potes ne sont plus possibles depuis tout ce temps et c’est vraiment difficile ; alors il passe pas mal de temps sur les jeux en ligne. Nous avons trouvé une alternative depuis janvier ; il travaille dans une pâtisserie le samedi, ça lui permet d’avoir des contacts avec d’autres jeunes et avec les clients en plus de gagner de sous pour ces projets. Même si ce n’est pas idéal, il a tout de même quelques projets. À Québec c’est facile pour les jeunes de trouver des petits boulots, il y a un manque énorme de main d’œuvre. L’aîné étant plus « sauvage », la situation est moins problématique. Côté restrictions, c’est un peu pareil qu’en France, hormis la règle des 10 km : magasins essentiels uniquement et couvre-feu à 20h depuis Noël. Il y a bien eu 3 semaines de réouverture mais beaucoup d’éclosions dans des centres de sport ; donc tout a été refermé. Depuis octobre, le télétravail est passé de recommandé à obligatoire pour tous ceux qui peuvent ; mon mari n’est pas allé dans son entreprise depuis le 15 mars 2020 ! Tout ça pour dire qu’ici aussi on a hâte de retrouver une vie normale… 🤗

    1. Merci Flo pour ton témoignage québécois !
      Mon mari est mangé à la même sauce. Il travaille depuis mi mars 2020 dans la chambre du grand sur une table qui n’est pas un bureau.
      Extra ce job à la patisserie ! quelle bonne idée ! Et hop, un semblant de vie sociale.
      C’est super dur ces cours à distance quand on change d’établissement. Comment connaître les profs et se faire des copains ?
      Bon courage à vous tous.

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