« Alors c’est d’accord, si on va s’installer en Allemagne, en échange on habite dans une maison hein ? »
En échange de quoi ? De tous les sacrifices individuels et familiaux ? Des difficultés que l’on pressent intuitivement ? Jusqu’à quels renoncements n’irions-nous pas pour jouir de quelques mètres carrés de verdure ?
Le jardin représente pour moi une motivation certaine pour marcher pied nu dans l’herbe, gratter la terre, danser sous la pluie (ou au soleil) avec mes enfants, et sentir passer les saisons par tous mes sens. Et digérer l’expatriation. Pour mes filles, il ouvre plutôt la perspective (le rêve ?) d’accueillir un chien, l’excuse de l’exiguïté de la vie en appartement ne tenant plus pour le refuser.
Sitôt dit, sitôt fait. Je me mets en quête de ladite maison avec pour cible géographique le collège à section française de Mayence qui doit être accessible à pied. La recherche en ligne me propose…. une seule maison. Ça tombe bien il ne nous en faut pas plus.
La visite auprès des propriétaires (une famille syrienne sur le départ pour l’Allemagne du nord) nous confirme qu’elle est très bien placée, à proximité des supermarchés, du tram et surtout de l’école et du collège.
C’est donc ainsi que nous avons quitté un appartement à Lyon en pleine ville et sur le métro, avec vue imprenable chez les voisins, pour une maison à Mayence dans un quartier résidentiel assez récent, très vert et calme, paradis des familles avec jeunes enfants. De petits immeubles voisinent avec des rangées de maisons mitoyennes, plus confortables à vivre que leur aspect bétonné tristounet ne laisse augurer. Au gré des nombreuses zones piétonnes, des jeux pour enfants, des pelouses arborées s’éparpillent, reliés par des chemins partagés entre les piétons et les cyclistes.
Nous découvrons l’appellation d’un immeuble d’habitation en allemand : Mehrfamilienhaus ou maison pour plusieurs familles. C’est joli non ? Nos voisins viennent du monde entier (Croatie, Albanie, Afghanistan, Ukraine, Italie…). C’est un quartier ‘’muti-kulti’’ comme on dit ici (multi-culturel). C’est un gros avantage, quand les voisins font la fête ou téléphonent en parlant beaucoup trop fort, au moins on ne comprend pas ce qui se raconte (et réciproquement). Le standing reste plutôt modeste (les grandes maisons dans les arbres sont plutôt dans la périphérie de notre quartier).
Entre la fin de l’école (13h ou 16h selon les enfants) et 18h des enfants jouent dehors. Ensuite le silence surprend. Comment tant de familles vivent-elles dans ce quartier sans émettre plus de bruit (à part notre foyer ou nos voisins immédiats mentionnés ci-dessus) ?
Tout ce petit monde se déplace naturellement beaucoup pour ses activités quotidiennes.
Entre notre quartier résidentiel et les écoles, les piétons et petits-cyclistes-sur-trottoir doivent quitter une zone piétonne et traverser deux routes. Les automobilistes allemands font preuve d’une grande prudence et commencent à freiner dès qu’ils aperçoivent un piéton à 10 mètres du passage clouté. En tant qu’habitués des trottoirs d’une grande ville française, on ne peut qu’applaudir à autant de respect et de sécurité. La deuxième route se traverse donc aisément (moyennant de faire attention aux trams qui circulent entre les deux voies de la chaussée).
Pour la première route en venant des maisons, le parcours est beaucoup moins sûr. Pour une raison inconnue, il n’y a pas de passage piéton indiqué, ni sur le parcours obligatoire et quotidien des habitants du quartier, ni à proximité. Et là, surprise, les conducteurs ne s’arrêtent pas. Pas de passage piéton, pas le droit de traverser, pas besoin de freiner. Charge aux piétons de se débrouiller, de sauter très haut ou de déplier leurs ailes.
Un jour, alors que je traversais à pied en poussant mon vélo, une voiture (à faible allure pour cause d’embouteillage) a attendu la dernière minute pour ralentir à mon niveau quand elle a vu que je ne cèderais pas (non mais !). C’est assez effrayant. Un autre jour, alors que j’arrivais à cet endroit dangereux, j’expliquais à une connaissance française qui marchait avec moi ce que je viens d’écrire. A ce moment-là un véhicule d’auto-école est arrivé, nous a vu attendre au bord et ne s’est pas arrêté. Ce genre de comportement me donne des frissons dans le dos. La règle a-t-elle priorité sur la personne ? Si le piéton est dans son tort, tant pis pour lui s’il se fait renverser ?
Nous avons vécu un autre exemple où la règle a pris – selon nous – le pas sur le bon sens. L’automne dernier, un concours entre classes était organisé à la Grundschule (école primaire) pendant une semaine. Il s’agissait d’accumuler des points écolo en venant à l’école à pied et non en voiture. Nous avons lu le formulaire distribué aux parents. En bons Français, nous lisons entre les lignes et comprenons qu’il faut privilégier les modes doux. Cela nous convient très bien puisque nous sommes tous à vélo. Le 2ème jour du concours, notre fille revient de l’école avec, comme consigne, de ne pas y aller à vélo mais à pied. Nous ne comprenons pas cette nuance entre modes doux… Elle y retourne donc à vélo. La maitresse se fend d’un mail aux parents récalcitrants (je n’avais pas l’impression d’en être) pour nous encourager à envoyer nos enfants A PIED à l’école.
Nous rentrons dans le rang, sans vraiment comprendre. Notre demoiselle est donc partie pleine de bonne volonté, avec son gilet jaune (l’école en fournit à tous les enfants), un peu plus tôt que si elle était en bicyclette.
Enfin un après-midi, notre fille rentre avec l’explication : comme elle n’a pas passé son permis vélo (qui se passe dans le cadre scolaire, dans la classe supérieure) elle n’a théoriquement pas le droit de circuler en vélo. Donc elle ne peut gagner de points écolos pour sa classe sauf à faire les trajets à pied.
Quand on vient du pays de L’esprit des lois, cet oubli du bon sens ou ce trop littéral respect de la règle est difficile à comprendre et à accepter. D’un autre côté doit-on au contraire se considérer chanceux que notre fille n’ait pas été arrêtée pas la police pour circulation à vélo (sur les pistes cyclables et les trottoirs) sans permis ?
Le mois prochain, le concours interclasses sur les trajets scolaires aura à nouveau lieu. Les élèves auront alors passé leur permis vélo. A la réunion cette semaine, la maîtresse a rappelé aux parents le dispositif : venir à l’école à pied avec son gilet jaune. A la fin de la rencontre, une maman a posé la question de la validité du trajet vélo dans le défi écolo – légitime puisqu’avec le permis.
La réponse ne tombe pas sous le sens. La maîtresse doit se renseigner.
Il y a quelque chose qui m’échappe.