Le printemps à Mainz et une sortie au café-théâtre pour voir Lars Reichow
Le soleil est de sortie, les températures agréables ont jeté les terrasses sur les trottoirs, et les Mayençais dans les rues. Les cartes affichent : Frühlingslimo, Spargel, Spargel, Spargel, Erbeerkuchen, Rhabarberstreusel (limonade maison de printemps asperges x 3, gâteaux à la fraise, à la rhubarbe). Et vous me remettrez bien une petite fête du vin s’il vous plait, les vendanges sont encore trop loin. Les cabanes de producteurs fleurissent, celles des maraichers se déguisent, rouges à petits points blancs, pour vendre fraises et asperges en attendant cerises et abricots. Celles des vignerons proposent des dégustations. Au marché le week-end, la tradition du Marktsfrühstück des beaux-jours a repris post-pandémie (petit déjeuner pris au marché avec verre de vin local et Brötchen à la saucisse). Les locaux sont de bons vivants. Et, pourvu qu’on n’essaie pas de traverser la route hors des passages piétons, la vie à Mainz est douce.
La preuve en musique avec la chanson Mein Mainz de Lars Reichow.
Si vous ne comprenez pas l’allemand (ou le dialecte local), regardez les images, elles sont calées sur le texte. Vous verrez nos lieux de vie. Le refrain rappelle que « Mainz, tu n’es ni Rome ni Venise, tu préfères faire un tour de manège. »
Cet artiste mayençais touche-à-tout, auteur, compositeur, chanteur, comédien, animateur radio et télé, je ne le connaissais pas la semaine dernière. Il est Kabarettist, comme Alfons que j’avais vu l’an dernier à l’Unterhaus de Mainz, célèbre salle de café-théâtre (voir article Soirée au Kabarett) et un pilier de la scène mayençaise. Pour mon anniversaire cet hiver, une amie m’a offert une sortie au théâtre pour aller l’écouter, je la remercie. C’était jeudi soir et c’était top.
Je suis rentrée à minuit et demi de notre virée à Francfort. J’ai envie d’écrire que ce n’est plus de mon âge, et pourtant, là où nous sommes allées nous étions parmi les plus jeunes. (Non ce n’était pas un thé dansant à l’accordéon, je vous vois venir.)
Laissez-moi vous emmener.
Nous avions donc rendez-vous en gare jeudi à juste avant 17 heures pour prendre le train pour Francfort. La desserte fréquente entre Mainz, capitale de Rhénanie-Palatinat et la capitale financière située en Hesse, de l’autre côté du Rhin permet une excursion pour la soirée. Ce soir-là nous avons eu la surprise de voir fleurir les policiers sur le trajet. Dans la banlieue de Francfort, des dizaines de véhicules à gyrophare étaient garés le long du stade. La gare de Francfort grouillait de monde.
-Que se passe-t-il ? je demande à mon amie
-Ce doit être un match de football, les supporters de Francfort sont assez virulents.
L’échelle du dispositif signale un match international. J’apprendrai le lendemain qu’il s’agissait du match Frankfurt Eintracht contre Wet Ham de Londres, une demi-finale de l’UEFA Europa League. Ah oui, ils craignent la baston.
Nous le foot on s’en fout, du moment qu’on ne nous embête pas (et on a eu de la chance de ne pas avoir de supporters déchainés dans le train du retour). Nous avons plongé dans les entrailles nauséabondes du métro. Les corridors aveugles, aux piliers couverts d’affiches de spectacles rappellent que Francfort est bien plus importante que Mainz, jumelée avec Lyon et cinquième plus grande ville allemande.
En quelques minutes nous sommes arrivées à la station Merianplatz, un des coins agréables pour sortir parait-il. Des rues résidentielles se croisent, sous des arbres isolés, de variétés différentes, ici un grand chêne, là un érable tout rond. Ils évoquent la forêt plutôt que l’allée de platanes urbaine. Le quartier en immeubles de pierre sombre dégage un air résidentiel paisible. Sur les trottoirs, les terrasses de cafés branchés, avec leurs bancs, fauteuils et parasols bariolés, lui donnent un air de vacances.
Après un casse-croute de tapas végétariens dans l’un de ces troquets (peut mieux faire), nous nous sommes dirigées vers la salle de spectacle, die Käs (le fromage), un entrepôt industriel reconverti, au fond d’une cour. C’est un vrai café-théâtre avec un comptoir, à droite en entrant, où commander bières et bretzels, et des tables disséminées dans la salle pour les consommer. Nous sommes arrivées en avance, comme tout le monde, juste à temps pour trouver deux places au milieu, suffisamment en derrière au cas où ça prendrait au monsieur de solliciter l’auditoire immédiat. Pourvu que l’énorme lustre, d’inspiration vaguement art Déco (dont on se demande s’ils sont faits en éclats d’opaline ou carapaces de crevettes) ne se détache pas.
Avant de nous installer nous avons commandé nos bouteilles au bar. Sachant que le z se prononce TZ en allemand, essayez donc de prononcer Fritz Spritz Rhababerschorle sans rigoler ni postillonner partout. Un p’tit kleenex pour votre écran ?
(Parenthèse à bulles : Fritz c’est la marque, spritz c’est, comme cela s’entend, un truc qui fait psssschiiiiit, le Schorle, en général de pommes mais qui peut être au vin, est un mélange très apprécié ici et très agréable : la douceur du jus de fruit est coupée par le piquant des bulles d’eau gazeuse pour une consommation peu sucrée très désaltérante. Là c’était à la rhubarbe, une boisson rosée, au petit goût acidulé délicieux.)
Le lustre s’est éteint et les spots ont révélé l’artiste se glissant à travers les rideaux noirs du fond. La scène étroite est occupée curieusement par, à gauche, un clavier électronique, au milieu une table ronde haute de bar, et à droite un piano à queue laqué noir.
Le comédien-auteur-compositeur-musicien, beau gosse d’une grosse cinquantaine d’années, que nous appellerons Lars pour simplifier, est en costume bleu foncé tirant sur le gris, sur un T-shirt noir à col en V sous des cheveux châtains. Je n’ai pas vu ses chaussures. La tête du grand monsieur devant moi m’a privé de cet élément d’information crucial et m’a obligée à regarder tantôt à sa droite, tantôt à sa gauche, au risque d’un torticolis.
Lars attaque d’emblée par un discours de bienvenue, destiné en particulier aux femmes puisque, dit-il, les hommes ne sont-là que pour les conduire au théâtre en particulier un soir de match. Entre les sketches, il entonne des chansons de sa composition, parfois au clavier, parfois au piano, et se lance dans des imitations de personnages célèbres. Certaines personnalités me sont inconnues, mais la plupart me font marrer, comme Angela Merkel ou la famille royale anglaise. Lorsqu’il a entonné l’accent régional de Mainz, je me suis crue au marché. Côté franchouillardises, il s’est aventuré dans une traduction libre de la chanson de Gainsbourg Je t’aime moi non plus.
La salle s’esclaffe aux textes pleins d’humour et applaudit les prises de position engagées, toutes créations sensibles et intelligentes. Fait inédit, sans lire à proprement parler, il suit le fil du spectacle sur un IPad où il fait défiler, le moment venu, ses partitions. La chanson de clôture (Putins Krieg, la guerre de Poutine) donne la chair de poule, et ses derniers mots déchainent les applaudissements : Dieser Krieg zerreißt uns das Herz : cette guerre nous déchire le cœur. (traduction ci-dessous)
Le spectacle tire à sa fin. Pour nous encourager à donner le meilleur de nous-mêmes en matière d’effets sonores corporels, Lars nous enregistre avec son IPad. Il nous fait écouter l’équivalent de Baden-Baden.
La chanson sur Mainz, dont mon amie m’a appris l’existence, qui termine tous ses spectacles à l’Unterhaus, n’a bien sûr pas été jouée à Francfort. (Ce n’est pas une question de rivalité : la rivale de Mainz c’est Wiesbaden, juste en face de l’autre côté du Rhin, elle aussi capitale de Land.)
À la sortie, le match n’était pas terminé. Les cris et sifflements d’une grappe de fans agglutinée devant un écran de télé installé sur le trottoir par un bistrot a accompagné notre descente dans le métro.
Au retour j’ai attrapé à une poignée de secondes près le tramway de 00h00. Il paraît que les bus et trams de Mainz se retrouvent tous là, à la gare à minuit pile pour un ballet mystérieux.
Je vais tâcher d’écouter une de ses chroniques musicales mensuelles à la radio sur SWR2.
Je ne vous en dis pas plus. Si Lars Reichow passe vers chez vous, allez-y.
Toutes les sorties culturelles ne sont pas aussi réussies.
Samedi mon mari et moi avions décidé de profiter de notre soirée en amoureux : les deux filles étaient de bringue chacune de leur côté. La balade dans les rues de la vieille ville, le nez en l’air, était un rêve. SANS masque ! Voilà quelques semaines déjà qu’ils ne sont plus obligatoires, même à l’intérieur (sauf transports et cabinets médicaux) mais on en était à se demander s’il allait falloir une campagne d’affichage pour rappeler de les quitter. Le vent de la liberté a soufflé en tempête lors de notre entrée dans un restaurant sans nous arrêter au seuil pour montrer patte blanche.
Nous avions décidé d’aller au cinoche. Une fois n’est pas coutume, j’avais laissé mon mari choisir le film (à sa décharge, compte tenu de nos contraintes horaires, les options étaient limitées). On va aller voir ça, tu sais c’est le réalisateur dont on ne comprend pas toujours ce qu’il veut dire.
Dans une salle de poche d’un cinéma sympathique (Palatin), nous étions une dizaine. Pendant les cinq premières minutes, l’écran montre les rideaux fermés d’une chambre, sans mouvement, sans bande son (à part le bavardage et les papiers froissés des spectateurs de derrière).
Je me penche vers mon mari et je chuchote :
-Deux heures comme ça je vais pas tenir.
-C’est figé, il doit y avoir un problème.
Tiens ça change enfin. Une femme se lève. Pénombre, contre jour. Elle va voir… heu rien.
Deuxième scène, plan sur un parking plein à l’aube. Les alarmes des voitures se déclenchent les unes après les autres dans un crescendo agressif (je me suis bouché les oreilles) puis s’éteignent progressivement. Troisième scène dans un café, conversation entre la femme et un homme. On ne comprend pas grand-chose sinon les mots bactérie, virus, certificat de décès. Je souffle et soupire. Les figurants n’ont jamais été autant observés. Quatrième scène looooooongue dans un studio d’enregistrement de sons. La caméra bouge à peine. L’intrigue bégaiera s’il y en avait une.
C’est bon j’en peux plus on s’en va. Trente minutes le tout. Un quart du film. Avec du rien. Je me suis crue dans la chanson de Delerm : pas d’histoire, pas de dialogue, pas de décor… pas de public. En sortant, furieuse, j’ai ajouté que tout ça je l’aurais coupé au montage. Je n’aime pas qu’on me vende du vent les yeux dans les yeux.
Par décence je ne citerai pas le titre (Memoria).
Foncez au théâtre les amis allemands voir Lars Reichow.
La guerre de Poutine de Lars Reichow Est-ce une victoire quand des tanks traversent les frontières Pour bombarder des villes étrangères pacifiques ? Est-ce une victoire quand les roquettes qui tombent du ciel Visent des enfants et leur petite vie en liberté ? Est-ce une victoire quand un peuple assassine et bombarde ses frères Et que sa patrie est en ruines ? Est-ce une victoire quand dans la boue printanière des tranchées Tant de jeunes hommes meurent ? Combien de larmes coulent de la mer ? Non ne détourne pas le regard, c’est ici que ça se passe, regarde ! C’est la guerre quand tu dois te rendre au bunker Parce là où avant se tenait une maison il n’y a plus rien. C’est la guerre quand des millions de personnes doivent fuir Parce que trop de sang a été versé sur leurs terres. La guerre de Poutine, puisque seul le langage de la destruction absolue a cours, Avec des tanks, des bombes et des grenades. Notre victoire, puisqu’au fond de nous brûle encore la flamme De la décence de la démocratie. Regarde cette guerre ! La paix viendra-t-elle un jour ? Qui apaisera cette souffrance ? La guerre nous déchire le cœur. La guerre nous déchire le cœur. Traduction personnelle