At the seaside

Échappée sur l’île de Wight dans la tempête.

Pour nos vacances de Pâques, nous avons fait le choix impatient de retourner en Angleterre. La pandémie nous a privés plus de trois ans des retrouvailles avec les terres de ma belle-famille (peut-on dire mes belles-terres ?). Entre deux coins familiers, nous avons glissé une échappée à l’île de Wight.

L’Isle of Wight (ou IOW) comme disent les Anglais est desservie en ferry depuis Portsmouth. Cet important port militaire sur la côte sud de l’Angleterre a vu l’amiral Nelson mettre le cap sur Trafalgar et Napoléon, et le départ des Alliés en juin 1944 pour le débarquement en Normandie.

Portsmouth

Arrivés au port, notre petite Fiat de location garée, nous sommes partis à pied à la recherche d’un magasin de fournitures de matériel artistique (fermé) et d’un snack. Nous avons longé des bâtiments de la Royal Navy, sur lesquels des affiches annoncent des recrutements, et traversé le quartier de l’université. Rien de bien remarquable dans cette zone périphérique de Portsmouth, sur laquelle veille une tour en forme de mât de voilier avec une voile gonflée, appelée justement Spinnaker. Trop fine pour accueillir bureaux ou logements, on se demande à quoi elle sert. Des recherches m’apprendront qu’elle symbolise le renouveau du port, permet de prendre le thé dans les nuages et de frissonner en descendant en rappel.

L’île de Wight est un losange de terre amarré à moins de cinq kilomètres de l’île principale de la Grande-Bretagne. La traversée du détroit de Solent laisse à peine plus d’une demi-heure pour jouer à appareiller pour le bout du monde.

Au loin, l’île de Wight

Habillez-vous chaudement, nous sortirons sur le pont dès que le ferry aura quitté le port. Il faut se forcer pour quitter l’ambiance calfeutrée du salon meublé de canapés et de tables basses, et de quelques tables de café. Lorsque la porte latérale vers la coursive finit par céder sous la poussée, les rafales fouettent les cheveux dans tous les sens et coupent le souffle. Une tempête est annoncée pour les prochains jours. Les embruns se mêlent aux gouttes de pluie. La mer brune se hérisse de crêtes blanches, on s’étonne de ne pas sentir le bateau tanguer. La houle reste discrète dans ce bras de mer protégé. Sur la gauche on aperçoit quelques îlots artificiels, ceux qui ont dû servir à la défense de l’Angleterre pendant la guerre. On frissonne, vite rentrons. Déjà, la terre s’approche, les maisons grandissent. Un message du commandant nous demande de rejoindre notre véhicule. Le bout de notre monde aujourd’hui est là.

Toucher terre par la mer sur une île a quelque chose de magique, à la fois merveilleux et effrayant, comme si quitter un continent libérait des idiots et de ses propres entraves. Comme appareiller sur un navire immobile. Débarquer sur une île anglaise offre deux fois ce tour de magie. On a quitté un continent immense par un tunnel, puis une grande île pour une plus petite.

Le débarquement est rapide. Dans le port minuscule (le quai du ferry, quelques voiliers), la route monte un peu. Dès le premier virage, les routes de campagnes ressemblent à s’y méprendre à celles de l’autre côté du Solent. Mon mari s’exclame, un peu déçu : « Mais c’est pareil que partout en Angleterre. Je croyais que ce serait différent… » Si le paysage est le même, l’ambiance est-elle autre ?

Destination entrée sur le GPS : Osborne House, le refuge de la reine Victoria. Ma plus jeune fille râle, mais tant pis. Nous n’allons pas passer si près sans nous arrêter.

Osborne House

Entre les arbres, le parking immense est en grande partie vide. Peu de bus. Il pleut. Nous n’avons pas de parapluie (oui, on part en Angleterre sans parapluie) et nous nous hâtons vers le bâtiment de l’accueil. Le domaine immense descend jusqu’à la mer. Dans le parc, un jardin clos de murs (walled garden), le château Osborne House et un chalet suisse près de la plage. Découragés par nos vestes trempées, nous renoncerons à descendre à la plage privée visiter le chalet.

Le parc, aux arbres superbes (dont plusieurs plaques indiquent qu’ils ont été plantés par les membres de la famille), me déçoit un peu, car, à part quelques bulbes et de rares camélias, la floraison éclatante n’a pas encore commencé. Dans le jardin, la terre est nue. Les rhododendrons immenses sont en bouton. Ce sera également le cas lors de notre visite au jardin botanique de Ventnor. Pourtant, au pied de falaises, plein sud, un microclimat local lui offre 5 degrés en moyenne de plus qu’ailleurs dans le pays. Le printemps est la saison qui va le mieux à l’Angleterre. Je regrette de rater son feu d’artifice.

Au fond, la mer

Osborne House, vaste demeure de pierres blondes, est dans l’état où la reine Victoria l’a laissé à son décès en 1901. Nous suivons le parcours prévu, traversons les salles de réception en bas, les appartements royaux au premier, la nursery pour les neuf enfants (neuf !) au deuxième étage. Les pièces débordent de peintures et de sculptures en tous genres. Victoria et Albert, très amoureux, s’offraient sans arrêt des œuvres d’art.

J’apprends qu’ils étaient eux-mêmes des artistes accomplis. Je retiens le charme de la nursery, avec les petites chaises (chacune au nom de leur propriétaire en culottes courtes), l’arche de Noé en bois avec ses paires d’animaux. Je m’imprègne de l’ambiance studieuse et tendre du cabinet de travail, avec, côte à côte à se toucher, les bureaux de Victoria et Albert, l’un légèrement plus haut que l’autre. Je m’attarde sur le papier à lettres royal superbe. Je souris dans la salle de bains de la reine qui comprend dans un même placard, mais séparées par un mur, une douche carrée de 80 cm de côté au maximum, et une baignoire. Les sanitaires du moindre camping ont aujourd’hui plus de confort. La règle et l’équerre en bois de grande taille pour dresser la table me laissent rêveuse comme la salle de réception de style indien grandiloquent.

Cette traversée de l’intimité d’une femme, endeuillée jeune par le décès de son grand amour à 42 ans émeut. Voilà le lit dans lequel la reine s’est éteinte, quarante ans après son époux. Un courant d’air me fait frissonner : ces grandes cheminées suffisaient-elles à maintenir une température convenable dans cette contrée si humide ? Je repense aux films que j’ai vus sur la reine : The young Victoria (aperçu intéressant de son caractère, de sa rencontre avec Albert, et de ses débuts sur la scène politique), Victoria and Abdul (son amitié sur le tard avec un serviteur indien). Et celui, à peine commencé que je finirai peut-être un jour, Mrs Brown ou La dame de Windsor (sur sa relation avec un palefrenier écossais). Sa biographie m’attend sur une étagère dans mon bureau.

Elle en avait de la trempe cette dame plongée au cœur de marigots comploteurs.

Elle règne encore partout, c’est impressionnant. L’ère victorienne sert de repère dans de nombreux domaines. Nos vacances ont été placées sous son signe : l’île de Wight d’abord, son refuge loin des agitations londoniennes, puis à Londres, la station de métro Victoria, pour le Victoria Palace theatre où nous avons vu une comédie musicale (un peu de teasing pour le prochain article). Pour nous rendre aux musées, nous descendons à l’arrêt de bus Royal Albert Hall, en face du monument Albert memorial tout en dorures. Nous prendrons le thé au Victoria and Albert Museum, dans une salle d’apparat (surchargées de lustres, dorures, céramiques peintes aux motifs différents, le tout premier restaurant installé dans un musée). Puisqu’il faut bien choisir, je prendrai un carrot cake et non pas une Victoria sponge, (génoise fourrée de confiture de fraises et parfois de crème).

Victoria, Victoria, Victoria. Aurevoir Victoria, nous te laissons à ton refuge d’Osborne House, pour aller trouver notre gîte. C’est quoi l’adresse ? Albert street.

La traversée de l’île dans le sens nord-sud dure une demi-heure (45 minutes dans la largeur). En Angleterre, je me fie plus au temps de trajet qu’aux distances. D’abord, piégée par les miles je sous-estime l’éloignement, ensuite, la densité de population du pays fait que même dans un paysage d’album pour enfants (collines vertes, moutons, haies centenaires), les voitures s’enchainent. Je sursaute régulièrement, surprise par un camion du « mauvais côté de la route ». Je n’ai pas encore osé conduire à gauche.

La plage au soleil

Ventnor, notre point de chute sur la côte sud, est une petite station balnéaire isolée, autrefois destination sanitaire des tuberculeux. La météo extrême nous offrira une grande bouffée d’air marin. Le nom du lieu me semble évocateur. Notre mini cottage, niché au cœur de maisons mitoyennes entre deux rangées similaires, n’est accessible qu’à pied, par une allée grimpante entre des bouts de jardin pentus. La décoration intérieure est charmante, cosy et gaie, dans des tons de bleu passé, de rose pâle, de vieux bois et de blanc. Hop, une photo de la chambre, une autre du sol de la salle de bain… emmagasinons des idées. Un jour, sans doute, les travaux de notre maison commenceront (doigts croisés). Par la fenêtre de notre chambre, on aperçoit un chaos de toits gris ardoise, des cheminées coiffées de mouettes, le sommet de la colline (que nous venons de descendre par la bien nommée zigzag road). Un groupe de goélands passe en criant. La mer invisible est toute proche. Les fenêtres craquent. Le vent a redoublé.

La plage sous la tempête
Le port de Ventnor

Pas envie de faire des courses après le trajet. Que manger ? Encore un sandwich ? Non, pitié ! J’ai repéré dans le livret d’accueil du cottage un restaurant indien. J’adore manger indien en Angleterre, c’est tellement meilleur qu’en France (plus épicé, plus parfumé). Notre quatuor a besoin de souffler, l’attente dans la voiture pour l’embarquement s’était soldée par une crise d’impatience. Mon mari et moi mangeons en tête à tête, les filles emportent des curries pour piqueniquer devant la tablette et réviser Astérix au service de sa majesté. Elles parleront pendant plusieurs jours en français, mais à l’anglaise, avec un accent forcé, bonté gracieuse. Fous rires. À la sortie du restaurant indien, impatients de découvrir la mer, nous avons emprunté la route de la plage. Dès le coin de la rue, une rafale violente doublée d’une pluie désagréable nous a coupé le souffle. Nous renonçons à voir la mer. À cause de la tempête. Cela ne m’était jamais arrivé.

Au matin, ce besoin s’est mué en urgence. Vite, vite, allons voir la mer ! Mon mari attablé dans la cuisine devant son ordinateur (le pauvre il doit bosser), les filles et moi nous éclipsons.

La descente vers la plage est raide, Ventnor est une ville construite sur une pente. Sur la gauche, un bâtiment art déco des années trente, qui avait fait sensation à l’époque, surplombe un port miniature, et la boutique des pêcheurs qui vend de la chair de crabe tout frais. La marée est basse, des catamarans de pêche reposent sur le sable. Quelques boutiques, cafés et restaurants. Hors saison tout est calme. Les nuages roulent dans un ciel d’étain. Une éclaircie nous assure encore quelques minutes de promenade au sec. Heureusement, car aucune capuche ne reste sur la tête emportée par la tourmente.

Remontée par l’autre extrémité de la plage. Une houle longue gris-brun respire sous des écailles d’écume. Au creux du sentier de retour, des lames de pluie nous assaillent. Nous les avons vues arriver de loin. Les arbustes mouillés nous aspergent au passage. Ma benjamine trempée et gelée en a marre, elle rentre. Avec ma grande nous poursuivons nos explorations dans le bourg.

La pluie s’en est allée. Nous nous ébrouons. On monte voir l’église ?

Saint-Catherine Ventnor

Comme j’aime les églises anglaises, nichées au creux d’arbres et de pelouses, dont les ailes de pierre couvent des pierres tombales de guingois. Chaos de vies anciennes résumées en deux dates en partie effacées, en écho à celui des toits.

Entrées par le parking, nous avons à peine le temps de constater que la porte principale est fermée, que surgit derrière nous une petite dame, dans des tons pastel, avec un anorak sous un bonnet de laine à pompon. Sans s’arrêter, elle nous interpelle :

— Venez prendre un thé dans l’église. Il y a de très bons gâteaux.

— Ah oui ?

— C’est par là.

Elle se glisse par une entrée latérale. Un panneau indique un coffee shop le matin en semaine dans l’église. Ma fille et moi échangeons un regard curieux et un sourire, je chuchote « oh c’est trop bien ! » et lui emboitons le pas.

À la sortie du petit couloir, les murs blancs de l’église Sainte-Catherine détonnent avec l’extérieur de pierres grises. Nous traversons d’un bon pas une assemblée de chaises en bois modernes. Dans l’aile latérale, sous de hautes fenêtres, ce qui est sans doute un autel est couvert d’une nappe et de boites de gâteaux maison. Une petite tirelire propose de laisser une obole. Quelques tables et des chaises évoquent un café. Au fond, des étagères proposent des livres et dans un coin, les petits enfants trouveront de quoi jouer. Décidément, l’Église anglicane sait accueillir ses fidèles.

Une dame debout nous accueille.

— Bienvenue. Vous voulez un thé ?

— Volontiers, mais, je ne pourrai pas faire de don. Je n’ai que des euros.

— Aucune importance. It’s on the church. C’est l’église qui offre.

Nous imitons notre guide et nous asseyons à la table la plus grande, rectangulaire, près de deux autres dames d’âge mûr. Elles se présentent, nous aussi. La dame debout nous apporte deux tasses de thé. Nous refusons poliment un bout de flapjack ; il me fait bien envie, mais nous venons de prendre le petit déjeuner. Nous voilà avec Ruth, notre hôte, sa sœur Sheila, Ann, et Barbara, notre guide.

Que c’est délicieux, le thé fort (English Breakfast) qui brûle un peu la bouche et cet échange avec ces quatre drôles de dames ! Nous parlons langues et vie à l’étranger. Barbara est née en 1935 en Australie avant de venir vivre avec ses parents en Angleterre, Sheila en Ouganda. Ruth qui s’occupe de Sainte-Catherine aujourd’hui (ou au moins de son coffee shop matinal), a vécu de nombreuses années en France, pour des missions en lien avec l’Église. Elle raconte que lors de ses retours en Angleterre elle traduisait littéralement des expressions françaises : « Where is all the world? » pour « Où est tout le monde ? » – au lieu de « Where is everyone? ». Je lui réponds que chez nous aussi, les langues se mélangent (même sans plagier le film d’Astérix).

Un rayon de soleil éclaire l’autel-bar, je déguste chaque minute de cette rencontre magique. Je veux m’imprégner de tout. Ce n’est pas souvent que l’on vit une scène de roman avec Miss Marple et ses amies. Combien de temps pouvons-nous rester sans nous incruster ? Je n’ose pas prendre de photo. Lorsque nous nous éclipserons à regret, je soufflerai à ma fille :

— Quelle chance, c’était formidable non ?

— Ça va finir dans ton blog ça non ?

Évidemment !

Vite au retour, prendre des notes au stylo Bic dans mon carnet pour ne pas oublier les prénoms de ces dames. Retourner poser mon obole puisque je le leur ai promis. Mais hélas, je n’avais pas vérifié les horaires et l’église était fermée. Maintenant je le sais, je suis mûre pour le thé-gâteau de 11 heures avec des mamies (intéressantes). Si elles lisent cet article que je leur enverrai, je les embrasse.

Neige d’écume

Balade à pied le long de la côte pour déjeuner sur le pouce dans une crique d’un chausson au crabe et d’une ciabatta au maquereau, avant de visiter le Jardin botanique. La tempête empire. La grêle martèle les serres. Les bourrasques dévastent les eucalyptus. Le chemin de retour se fait heureusement dans le sens du vent. Nous longeons un terrain de cricket désert, et montons des escaliers de bois glissants. Bien tenir le téléphone pour prendre des photos. Souffle coupé, comme étranglés, nous jouons avec les rafales, les bras écartés, appuyés dans ceux du vent. Des flocons d’écume recouvrent le trottoir de la promenade et s’envolent.

En arrivant, se changer jusqu’aux sous-vêtements. Tout est trempé. Vérifier la météo. Tempête Noa, rafales à 110 km/h en bord de mer. Ah oui c’est donc ça !

Heureusement le lendemain, nous serons à l’abri. J’ai inscrit tout le monde pour un atelier de céramique, modelage et tour d’agile blanche, dans un petit village charmant, avec deux jeunes céramistes et un potier adorables.

Nous visiterons aussi une ferme qui produit de l’ail (et tous ses produits dérivés, même de la bière à l’ail et du fudge à l’ail). Et irons explorer la pointe ouest de l’îe célèbre pour les sables colorés d’une falaise et ses needles, les pointillés de rocher qui la prolongent. Le paysage est magnifique, mais en matière d’architecture géologique, moins spectaculaire que le Pont d’Arc. Une pancarte et des restes bétonnés montrent que le lieu était utilisé pendant les années soixante pour effectuer des tirs de fusée. Quelle drôle d’idée tout de même.

Venez, le ferry de retour nous attend pour embarquer. L’échappée sur le pont sera plus apaisée qu’à l’aller. Rendez-vous de l’autre côté du Solent.

À suivre.

Good bye IOW

PS : Le matin où je termine ces lignes, ma benjamine me raconte sa présentation de géographie, un projet de tourisme écologique sur… le lac Victoria.

2 thoughts on “At the seaside

  1. Belle découverte de cette île dans la tempête… penses-tu y retourner à l’occasion pour la voir fleurie et sous le soleil ? Je ne connais pas la biographie de la reine mais j’avais bien aimé le film « Victoria and Abdul » qui m’avait fait découvrir une femme volontaire. En fait, je connais plus la chanson de Michel Delpech « Wight is Whight » 😇 😘

    1. Hi hi ! ;o)
      Coucou ma Flo d’outre-Atlantique, j’ai bien aimé ce film aussi. The young Victoria est aussi très intéressant.
      Oui, nous avons bien envie de retourner à Wight pour les fleurs avec le soleil… ou sans.
      Je pensais justement à toi : en pleine traduction je consulte régulièrement des sites canadiens.
      Bisous à tous.

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