At the seaside

Échappée sur l’île de Wight dans la tempête.

Pour nos vacances de Pâques, nous avons fait le choix impatient de retourner en Angleterre. La pandémie nous a privés plus de trois ans des retrouvailles avec les terres de ma belle-famille (peut-on dire mes belles-terres ?). Entre deux coins familiers, nous avons glissé une échappée à l’île de Wight.

L’Isle of Wight (ou IOW) comme disent les Anglais est desservie en ferry depuis Portsmouth. Cet important port militaire sur la côte sud de l’Angleterre a vu l’amiral Nelson mettre le cap sur Trafalgar et Napoléon, et le départ des Alliés en juin 1944 pour le débarquement en Normandie.

Portsmouth

Arrivés au port, notre petite Fiat de location garée, nous sommes partis à pied à la recherche d’un magasin de fournitures de matériel artistique (fermé) et d’un snack. Nous avons longé des bâtiments de la Royal Navy, sur lesquels des affiches annoncent des recrutements, et traversé le quartier de l’université. Rien de bien remarquable dans cette zone périphérique de Portsmouth, sur laquelle veille une tour en forme de mât de voilier avec une voile gonflée, appelée justement Spinnaker. Trop fine pour accueillir bureaux ou logements, on se demande à quoi elle sert. Des recherches m’apprendront qu’elle symbolise le renouveau du port, permet de prendre le thé dans les nuages et de frissonner en descendant en rappel.

L’île de Wight est un losange de terre amarré à moins de cinq kilomètres de l’île principale de la Grande-Bretagne. La traversée du détroit de Solent laisse à peine plus d’une demi-heure pour jouer à appareiller pour le bout du monde.

Au loin, l’île de Wight

Habillez-vous chaudement, nous sortirons sur le pont dès que le ferry aura quitté le port. Il faut se forcer pour quitter l’ambiance calfeutrée du salon meublé de canapés et de tables basses, et de quelques tables de café. Lorsque la porte latérale vers la coursive finit par céder sous la poussée, les rafales fouettent les cheveux dans tous les sens et coupent le souffle. Une tempête est annoncée pour les prochains jours. Les embruns se mêlent aux gouttes de pluie. La mer brune se hérisse de crêtes blanches, on s’étonne de ne pas sentir le bateau tanguer. La houle reste discrète dans ce bras de mer protégé. Sur la gauche on aperçoit quelques îlots artificiels, ceux qui ont dû servir à la défense de l’Angleterre pendant la guerre. On frissonne, vite rentrons. Déjà, la terre s’approche, les maisons grandissent. Un message du commandant nous demande de rejoindre notre véhicule. Le bout de notre monde aujourd’hui est là.

Toucher terre par la mer sur une île a quelque chose de magique, à la fois merveilleux et effrayant, comme si quitter un continent libérait des idiots et de ses propres entraves. Comme appareiller sur un navire immobile. Débarquer sur une île anglaise offre deux fois ce tour de magie. On a quitté un continent immense par un tunnel, puis une grande île pour une plus petite.

Le débarquement est rapide. Dans le port minuscule (le quai du ferry, quelques voiliers), la route monte un peu. Dès le premier virage, les routes de campagnes ressemblent à s’y méprendre à celles de l’autre côté du Solent. Mon mari s’exclame, un peu déçu : « Mais c’est pareil que partout en Angleterre. Je croyais que ce serait différent… » Si le paysage est le même, l’ambiance est-elle autre ?

Destination entrée sur le GPS : Osborne House, le refuge de la reine Victoria. Ma plus jeune fille râle, mais tant pis. Nous n’allons pas passer si près sans nous arrêter.

Osborne House

Entre les arbres, le parking immense est en grande partie vide. Peu de bus. Il pleut. Nous n’avons pas de parapluie (oui, on part en Angleterre sans parapluie) et nous nous hâtons vers le bâtiment de l’accueil. Le domaine immense descend jusqu’à la mer. Dans le parc, un jardin clos de murs (walled garden), le château Osborne House et un chalet suisse près de la plage. Découragés par nos vestes trempées, nous renoncerons à descendre à la plage privée visiter le chalet.

Le parc, aux arbres superbes (dont plusieurs plaques indiquent qu’ils ont été plantés par les membres de la famille), me déçoit un peu, car, à part quelques bulbes et de rares camélias, la floraison éclatante n’a pas encore commencé. Dans le jardin, la terre est nue. Les rhododendrons immenses sont en bouton. Ce sera également le cas lors de notre visite au jardin botanique de Ventnor. Pourtant, au pied de falaises, plein sud, un microclimat local lui offre 5 degrés en moyenne de plus qu’ailleurs dans le pays. Le printemps est la saison qui va le mieux à l’Angleterre. Je regrette de rater son feu d’artifice.

Au fond, la mer

Osborne House, vaste demeure de pierres blondes, est dans l’état où la reine Victoria l’a laissé à son décès en 1901. Nous suivons le parcours prévu, traversons les salles de réception en bas, les appartements royaux au premier, la nursery pour les neuf enfants (neuf !) au deuxième étage. Les pièces débordent de peintures et de sculptures en tous genres. Victoria et Albert, très amoureux, s’offraient sans arrêt des œuvres d’art.

J’apprends qu’ils étaient eux-mêmes des artistes accomplis. Je retiens le charme de la nursery, avec les petites chaises (chacune au nom de leur propriétaire en culottes courtes), l’arche de Noé en bois avec ses paires d’animaux. Je m’imprègne de l’ambiance studieuse et tendre du cabinet de travail, avec, côte à côte à se toucher, les bureaux de Victoria et Albert, l’un légèrement plus haut que l’autre. Je m’attarde sur le papier à lettres royal superbe. Je souris dans la salle de bains de la reine qui comprend dans un même placard, mais séparées par un mur, une douche carrée de 80 cm de côté au maximum, et une baignoire. Les sanitaires du moindre camping ont aujourd’hui plus de confort. La règle et l’équerre en bois de grande taille pour dresser la table me laissent rêveuse comme la salle de réception de style indien grandiloquent.

Cette traversée de l’intimité d’une femme, endeuillée jeune par le décès de son grand amour à 42 ans émeut. Voilà le lit dans lequel la reine s’est éteinte, quarante ans après son époux. Un courant d’air me fait frissonner : ces grandes cheminées suffisaient-elles à maintenir une température convenable dans cette contrée si humide ? Je repense aux films que j’ai vus sur la reine : The young Victoria (aperçu intéressant de son caractère, de sa rencontre avec Albert, et de ses débuts sur la scène politique), Victoria and Abdul (son amitié sur le tard avec un serviteur indien). Et celui, à peine commencé que je finirai peut-être un jour, Mrs Brown ou La dame de Windsor (sur sa relation avec un palefrenier écossais). Sa biographie m’attend sur une étagère dans mon bureau.

Elle en avait de la trempe cette dame plongée au cœur de marigots comploteurs.

Elle règne encore partout, c’est impressionnant. L’ère victorienne sert de repère dans de nombreux domaines. Nos vacances ont été placées sous son signe : l’île de Wight d’abord, son refuge loin des agitations londoniennes, puis à Londres, la station de métro Victoria, pour le Victoria Palace theatre où nous avons vu une comédie musicale (un peu de teasing pour le prochain article). Pour nous rendre aux musées, nous descendons à l’arrêt de bus Royal Albert Hall, en face du monument Albert memorial tout en dorures. Nous prendrons le thé au Victoria and Albert Museum, dans une salle d’apparat (surchargées de lustres, dorures, céramiques peintes aux motifs différents, le tout premier restaurant installé dans un musée). Puisqu’il faut bien choisir, je prendrai un carrot cake et non pas une Victoria sponge, (génoise fourrée de confiture de fraises et parfois de crème).

Victoria, Victoria, Victoria. Aurevoir Victoria, nous te laissons à ton refuge d’Osborne House, pour aller trouver notre gîte. C’est quoi l’adresse ? Albert street.

La traversée de l’île dans le sens nord-sud dure une demi-heure (45 minutes dans la largeur). En Angleterre, je me fie plus au temps de trajet qu’aux distances. D’abord, piégée par les miles je sous-estime l’éloignement, ensuite, la densité de population du pays fait que même dans un paysage d’album pour enfants (collines vertes, moutons, haies centenaires), les voitures s’enchainent. Je sursaute régulièrement, surprise par un camion du « mauvais côté de la route ». Je n’ai pas encore osé conduire à gauche.

La plage au soleil

Ventnor, notre point de chute sur la côte sud, est une petite station balnéaire isolée, autrefois destination sanitaire des tuberculeux. La météo extrême nous offrira une grande bouffée d’air marin. Le nom du lieu me semble évocateur. Notre mini cottage, niché au cœur de maisons mitoyennes entre deux rangées similaires, n’est accessible qu’à pied, par une allée grimpante entre des bouts de jardin pentus. La décoration intérieure est charmante, cosy et gaie, dans des tons de bleu passé, de rose pâle, de vieux bois et de blanc. Hop, une photo de la chambre, une autre du sol de la salle de bain… emmagasinons des idées. Un jour, sans doute, les travaux de notre maison commenceront (doigts croisés). Par la fenêtre de notre chambre, on aperçoit un chaos de toits gris ardoise, des cheminées coiffées de mouettes, le sommet de la colline (que nous venons de descendre par la bien nommée zigzag road). Un groupe de goélands passe en criant. La mer invisible est toute proche. Les fenêtres craquent. Le vent a redoublé.

La plage sous la tempête
Le port de Ventnor

Pas envie de faire des courses après le trajet. Que manger ? Encore un sandwich ? Non, pitié ! J’ai repéré dans le livret d’accueil du cottage un restaurant indien. J’adore manger indien en Angleterre, c’est tellement meilleur qu’en France (plus épicé, plus parfumé). Notre quatuor a besoin de souffler, l’attente dans la voiture pour l’embarquement s’était soldée par une crise d’impatience. Mon mari et moi mangeons en tête à tête, les filles emportent des curries pour piqueniquer devant la tablette et réviser Astérix au service de sa majesté. Elles parleront pendant plusieurs jours en français, mais à l’anglaise, avec un accent forcé, bonté gracieuse. Fous rires. À la sortie du restaurant indien, impatients de découvrir la mer, nous avons emprunté la route de la plage. Dès le coin de la rue, une rafale violente doublée d’une pluie désagréable nous a coupé le souffle. Nous renonçons à voir la mer. À cause de la tempête. Cela ne m’était jamais arrivé.

Au matin, ce besoin s’est mué en urgence. Vite, vite, allons voir la mer ! Mon mari attablé dans la cuisine devant son ordinateur (le pauvre il doit bosser), les filles et moi nous éclipsons.

La descente vers la plage est raide, Ventnor est une ville construite sur une pente. Sur la gauche, un bâtiment art déco des années trente, qui avait fait sensation à l’époque, surplombe un port miniature, et la boutique des pêcheurs qui vend de la chair de crabe tout frais. La marée est basse, des catamarans de pêche reposent sur le sable. Quelques boutiques, cafés et restaurants. Hors saison tout est calme. Les nuages roulent dans un ciel d’étain. Une éclaircie nous assure encore quelques minutes de promenade au sec. Heureusement, car aucune capuche ne reste sur la tête emportée par la tourmente.

Remontée par l’autre extrémité de la plage. Une houle longue gris-brun respire sous des écailles d’écume. Au creux du sentier de retour, des lames de pluie nous assaillent. Nous les avons vues arriver de loin. Les arbustes mouillés nous aspergent au passage. Ma benjamine trempée et gelée en a marre, elle rentre. Avec ma grande nous poursuivons nos explorations dans le bourg.

La pluie s’en est allée. Nous nous ébrouons. On monte voir l’église ?

Saint-Catherine Ventnor

Comme j’aime les églises anglaises, nichées au creux d’arbres et de pelouses, dont les ailes de pierre couvent des pierres tombales de guingois. Chaos de vies anciennes résumées en deux dates en partie effacées, en écho à celui des toits.

Entrées par le parking, nous avons à peine le temps de constater que la porte principale est fermée, que surgit derrière nous une petite dame, dans des tons pastel, avec un anorak sous un bonnet de laine à pompon. Sans s’arrêter, elle nous interpelle :

— Venez prendre un thé dans l’église. Il y a de très bons gâteaux.

— Ah oui ?

— C’est par là.

Elle se glisse par une entrée latérale. Un panneau indique un coffee shop le matin en semaine dans l’église. Ma fille et moi échangeons un regard curieux et un sourire, je chuchote « oh c’est trop bien ! » et lui emboitons le pas.

À la sortie du petit couloir, les murs blancs de l’église Sainte-Catherine détonnent avec l’extérieur de pierres grises. Nous traversons d’un bon pas une assemblée de chaises en bois modernes. Dans l’aile latérale, sous de hautes fenêtres, ce qui est sans doute un autel est couvert d’une nappe et de boites de gâteaux maison. Une petite tirelire propose de laisser une obole. Quelques tables et des chaises évoquent un café. Au fond, des étagères proposent des livres et dans un coin, les petits enfants trouveront de quoi jouer. Décidément, l’Église anglicane sait accueillir ses fidèles.

Une dame debout nous accueille.

— Bienvenue. Vous voulez un thé ?

— Volontiers, mais, je ne pourrai pas faire de don. Je n’ai que des euros.

— Aucune importance. It’s on the church. C’est l’église qui offre.

Nous imitons notre guide et nous asseyons à la table la plus grande, rectangulaire, près de deux autres dames d’âge mûr. Elles se présentent, nous aussi. La dame debout nous apporte deux tasses de thé. Nous refusons poliment un bout de flapjack ; il me fait bien envie, mais nous venons de prendre le petit déjeuner. Nous voilà avec Ruth, notre hôte, sa sœur Sheila, Ann, et Barbara, notre guide.

Que c’est délicieux, le thé fort (English Breakfast) qui brûle un peu la bouche et cet échange avec ces quatre drôles de dames ! Nous parlons langues et vie à l’étranger. Barbara est née en 1935 en Australie avant de venir vivre avec ses parents en Angleterre, Sheila en Ouganda. Ruth qui s’occupe de Sainte-Catherine aujourd’hui (ou au moins de son coffee shop matinal), a vécu de nombreuses années en France, pour des missions en lien avec l’Église. Elle raconte que lors de ses retours en Angleterre elle traduisait littéralement des expressions françaises : « Where is all the world? » pour « Où est tout le monde ? » – au lieu de « Where is everyone? ». Je lui réponds que chez nous aussi, les langues se mélangent (même sans plagier le film d’Astérix).

Un rayon de soleil éclaire l’autel-bar, je déguste chaque minute de cette rencontre magique. Je veux m’imprégner de tout. Ce n’est pas souvent que l’on vit une scène de roman avec Miss Marple et ses amies. Combien de temps pouvons-nous rester sans nous incruster ? Je n’ose pas prendre de photo. Lorsque nous nous éclipserons à regret, je soufflerai à ma fille :

— Quelle chance, c’était formidable non ?

— Ça va finir dans ton blog ça non ?

Évidemment !

Vite au retour, prendre des notes au stylo Bic dans mon carnet pour ne pas oublier les prénoms de ces dames. Retourner poser mon obole puisque je le leur ai promis. Mais hélas, je n’avais pas vérifié les horaires et l’église était fermée. Maintenant je le sais, je suis mûre pour le thé-gâteau de 11 heures avec des mamies (intéressantes). Si elles lisent cet article que je leur enverrai, je les embrasse.

Neige d’écume

Balade à pied le long de la côte pour déjeuner sur le pouce dans une crique d’un chausson au crabe et d’une ciabatta au maquereau, avant de visiter le Jardin botanique. La tempête empire. La grêle martèle les serres. Les bourrasques dévastent les eucalyptus. Le chemin de retour se fait heureusement dans le sens du vent. Nous longeons un terrain de cricket désert, et montons des escaliers de bois glissants. Bien tenir le téléphone pour prendre des photos. Souffle coupé, comme étranglés, nous jouons avec les rafales, les bras écartés, appuyés dans ceux du vent. Des flocons d’écume recouvrent le trottoir de la promenade et s’envolent.

En arrivant, se changer jusqu’aux sous-vêtements. Tout est trempé. Vérifier la météo. Tempête Noa, rafales à 110 km/h en bord de mer. Ah oui c’est donc ça !

Heureusement le lendemain, nous serons à l’abri. J’ai inscrit tout le monde pour un atelier de céramique, modelage et tour d’agile blanche, dans un petit village charmant, avec deux jeunes céramistes et un potier adorables.

Nous visiterons aussi une ferme qui produit de l’ail (et tous ses produits dérivés, même de la bière à l’ail et du fudge à l’ail). Et irons explorer la pointe ouest de l’îe célèbre pour les sables colorés d’une falaise et ses needles, les pointillés de rocher qui la prolongent. Le paysage est magnifique, mais en matière d’architecture géologique, moins spectaculaire que le Pont d’Arc. Une pancarte et des restes bétonnés montrent que le lieu était utilisé pendant les années soixante pour effectuer des tirs de fusée. Quelle drôle d’idée tout de même.

Venez, le ferry de retour nous attend pour embarquer. L’échappée sur le pont sera plus apaisée qu’à l’aller. Rendez-vous de l’autre côté du Solent.

À suivre.

Good bye IOW

PS : Le matin où je termine ces lignes, ma benjamine me raconte sa présentation de géographie, un projet de tourisme écologique sur… le lac Victoria.

Tempête de ciel bleu

Chat GPT le bien nommé, autodafé 2.0 et instants d’éternité face aux montagnes.

Chers amis, me revoilà.

Je ne vous oublie pas. Je pense à vous tous les jours, même quand la vie courante me rattrape et me plaque le soir la tête la première sur mon oreiller, sans avoir pu vous écrire. Demain, c’est sûr, demain…

Demain est aujourd’hui alors en récompense après une journée studieuse, je rouvre mon fichier intitulé Texte Blog Mainzalors en cours et, vite, j’attrape les mots avant que mes missions en responsabilité (ménage, courses, traductions, mails à la Vie Scolaire…) me clouent le bec.

En sauvegardant les derniers textes publiés, par curiosité, j’ai fait défiler les notes stockées : 50 pages ! 50 pages de notes dont plusieurs articles non publiés. Les idées veulent éclore, réclament un support, forcent la main à taper. Le doute les suit, et parfois j’abdique, les textes restent dans un fichier muet. Refroidis, je n’ai plus envie de les partager.

Peu de temps pour écrire, alors j’ai été tentée, par défi ludique, parce qu’il s’infiltre dans toutes les conversations… Chat GPT, cher inconnu, écris-moi un article dans le style de Mainzalors.com. Mais si, Mainzalors.com. Ma benjamine s’était amusée avec le dernier jouet (la dernière arme) de l’intelligence artificielle. Entre deux éclats de rire, elle nous a lu le poème commandé, puis un autre puis encore un autre, sur le thème des flatulences. Les productions écrites, comme disait une institutrice de mon fils, étaient bluffantes (et très drôles). Peut-être le nom du robot le prédestine-t-il à ces thèmes ?

Heureusement que les bases de données qui l’alimentent se limitent à l’internet de 2021. Que se mettra sous la dent sa prochaine version ? L’éditeur de Roald Dahl fait censurer ses textes. Les Oompa Loompas ne sont plus ni des hommes, ni minuscules, les sorcières ne sont plus hideuses, Charlie rêve de s’empiffrer de poke bowls et plus personne n’est méchant. Plus de *** pêche, plus de *** crocodile. L’univers de Roald Dahl que les enfants (et les adultes) adorent ne sera plus que pelotes de laine roses, chatons, licornes et petites mamies adorables. La nouvelle Prohibition, s’attaque aux mots : le champ des délits est immense, le flou suinte partout. La littérature et la presse vont ressembler à des albums des Schtroumpfs, une tempête de bleu. Un mot sur deux sera censuré. Ma mère ne voulait pas qu’on les lise : c’est idiot, elle disait. C’est idiot et c’est contagieux.

Aujourd’hui, on ne brûle plus les livres. Les dictateurs du verbe du XXIe siècle sont discrets et connectés. L’autodafé se pratique sans poussière. Les anciennes générations se passeront sous le manteau, les éditions originales d’Autant en emporte le vent et de Charlie et la chocolaterie. Les plus jeunes grandis dans le monde des Bisounours ne pourront plus penser. Comment réfléchir sans langage ? Comment raisonner sans connaître l’Histoire ?

Mon ombre, c’est un acte manqué.

Les milieux autorisés s’autoriseront. Ils s’autorisent toujours. Pendant que le vulgum pecus téméraire (enfin, celui qui n’aura pas tout à fait renoncé à s’exprimer) guettera dans ses maigres productions écrites (comprenez mails, textos, rédactions de CM2, s’il en reste) le mot qui risque, peut-être, d’offenser un hypothétique lecteur qui de toute façon ne le lira jamais. Pendant que chacun sera occupé à s’autobâillonner, à scruter à la loupe son point de croix de lettres, les grands méchants loups continueront de manger les petites filles même sans capuchon rouge. Mais… on ne pourra ni le dire, ni l’écrire, ni le lire, ni le penser. Une boue grise aspetisée et morte s’abattra sur le monde. Coucher les petits sera très rapide : « Il était une fois, euh… et ielles vécurent très heureux ». Voilà, bonne nuit. Bruno Bettelheim doit se retourner où qu’il soit.

À nous, résistants de la plume d’oie, d’expliquer à nos enfants, aux rares personnes de confiance, en chuchotant dans une oreille à la fois, oui il y a des méchants. Ils ont fait un putsch sur le dictionnaire et la réalité pour propager la bêtise. La vraie pandémie c’est elle.

Si c’était à refaire, j’hésiterais à me reproduire. Ce monde me déplait. Il fonce tête baissée (tête ?) dans un mur de béton. Même sans les délires des dernières années, où l’homme (oui surtout les hommes n’en déplaise aux grands censeurs) met à profit les nouvelles technologies pour aliéner ses voisins, il va trop vite pour moi. J’aimerais pouvoir respecter le rythme des saisons et le mien. Prendre le temps de la vie sans courir après des chimères. Hélas, quand la majorité hypnothisée joue le jeu (comprendre : suit comme une marionnette le mouvement imprimé par le collectif sur ses fils), résister demande un courage immense. Entrainons ce muscle qui s’atrophie.

Heureusement, pendant les vacances dans les Hautes-Alpes, j’ai pu voler quelques instants d’éternité, face à des montagnes de lumière, sous une tempête de ciel très bleu (dixit notre propriétaire).

Nous n’allons pas aux sports d’hiver. Nous nous évadons à la montagne, dans des coins les plus retirés possibles à distance raisonnable d’un domaine skiable. La coquette studette skis au pied, dans le bruit et la foule, très peu pour moi.

Fermez les yeux et écoutez…

Notre gite était situé en haut d’un hameau, dans le même long bâtiment de pierres que le logement de la tante de l’éleveur et la bergerie où vit pendant six mois le troupeau de brebis. En milieu de journée, j’ai me suis réfugiée à notre porte sur une chaise, dos au mur, face à une chapelle et un petit bassin où coule une eau glaciale. La taille de sa stalactite informe le matin sur le nombre de pulls à enfiler.

J’ai bu le soleil, en écoutant l’eau, les yeux dans ceux des montagnes qui seront là bien après les censeurs de pensée, sous la protection muette du toit d’une chapelle. Toute la spiritualité dont j’ai besoin était là, avec (une maille à l’endroit, une maille à l’envers pendant un rang, tout à l’endroit, le rang suivant, oui c’est le point de sable pour ceux qui suivent) de temps en temps, des échanges avec ma petite mamie de voisine.

Elle a vécu toute sa vie sur ces pentes si abruptes que le fond de la vallée se distingue à pic depuis la lisière du champ voisin. On parle de tout et de rien, de la course du soleil en hiver (à Noël il sortait derrière ce rocher là-bas, il s’est déjà déplacé), du tricot (oh qu’est-ce qu’on a pu tricoter ! quand il y a de la neige, il faut bien s’occuper). Six mois de neige (avant). Vous vivez dans un coin de paradis ! je lui souffle. Oh, il faut beaucoup travailler. J’imagine. La taille des monceaux de pierres arrachées au sol pendant des siècles à la force des bras pour voler au vertige d’étroits pâturages force le respect. Ce n’est plus du travail, c’est le bagne. L’éleveur, un taiseux, me confie pendant que je regarde mon mari remplir la voiture (il le fait si bien !) que lui n’irait vivre nulle part ailleurs, que son fils a fui Marseille, trop grande ville, dès la fin de ses études, pour retrouver ses brebis, ses pics et leur sérénité. Comme je vous comprends. Puis-je vous demander asile ?

L’accent chantant du Midi, où apparait-il ? Entre La Mure et Corps, sur la frontière invisible entre Isère et Hautes-Alpes, le long de cette route Napoléon, superbe, entre forteresse minérale du Dévoluy et pics des Écrins, au cœur du bocage du Champsaur. Plusieurs semaines après le retour, ce trajet de lumière et de paix, m’éblouit encore. Merci à lui.


Comme c’est dur d’écrire pour le plaisir en ce moment !

Je suis dans la dernière ligne droite de ma formation de traductrice. Vous serez peut-être soulagés avec moi d’apprendre que j’ai achevé les modules sur la traduction financière (sujet qui m’ennuie au plus haut point) et la traduction juridique. Imaginez le casse-tête de faire coïncider des systèmes différents équipés chacun d’un langage abscons, incompréhensible même aux natifs. Mon roman trépigne : lui aussi aperçoit la ligne d’arrivée.

Les travaux de la maison n’en finissent pas de ne pas commencer. Mais où passe cette fichue conduite de gaz dans le jardin ? Nous allons devoir creuser des tranchées pour la trouver. (Eh, et mes primevères sauvages !) Pour susciter chez les voisins l’envie de nous aider, nous pourrons prétexter le repérage d’un gisement de pétrole, pardon, d’une énergie verte renouvelable, qui ne coûte que les coups de pioche et réchauffe le corps dès qu’on commence à la chercher. Magique.

Avant de conclure cet article, je le contrôle avec mon logiciel de traitement de texte spécial, dont beaucoup de réglages sont encore ceux par défaut (calés sur la trouille ambiante). Il surligne de nombreux passages et me rappelle à l’ordre : mamie est un mot familier (bien sûr), dictateur un terme injurieux (ah ?) et chaque ‘’elle’’ doit être compensé par un ‘’il’’. “Si le pronom chacun représente une personne dont on ignore le sexe, reformuler pour inclure le féminin.”

Et si je te disais ce que je pense de tes remarques, hein, logiciel, jugerais-tu les termes injurieux ou non-inclusifs ?

À l’aide !

P.S. : Un éclat de rouge pour finir. Mon amaryllis de Noël espiègle s’est décidé à fleurir juste sous le nez de mon long jeune homme rêveur.

Tailler dans l’if

Au jardin comme dans la vie, le temps nous encourage à ne garder que l’essentiel

Chéri, tu peux me confisquer le sécateur s’il te plait ?

Un jardin adulte présente l’avantage d’être structuré par de grands arbres. Les rosiers offrent leurs fleurs à trois mètres du sol. Sans lever la tête pour guetter l’écureuil dans le cèdre, on ne les voit pas. L’abri de jardin, petit chalet en bois sombre, se tapit dans un bosquet dense de lilas, laurier sauce, merisier et laurier-tin, ce laurier-tin qui a essaimé dans les moindres interstices. Une chance que je l’aime cet arbuste, aux feuilles sombres persistantes, aux ombelles blanches et aux graines d’un bleu noir, bases des bouquets d’hiver à tiges courtes.


Un jardin délaissé encourage une prise de possession martiale. Ce corps à corps me laisse au crépuscule exténuée et apaisée, transpirante, des poussières de bois dans le T-shirt et des feuilles dans les cheveux.


Sourire. Soupir. Ah ! J’ai bien bossé. Et ça se voit. Récompense immédiate.


Le lendemain, j’écarte les mains et étire les doigts en arrière pour détendre les crispations des avant-bras, filles des gestes répétitifs avec un taille-haie.
Je taille, je coupe, je défriche, je débroussaille, j’éclaircis, je dégage. Je rabats. Derrière moi des tas, des montagnes de rameaux secs et de lianes d’épines, quelques sections de troncs de rosiers, droits.


STOOOOP Estelle ! Sinon il ne restera rien. Le clac sec du sécateur est addictif. Comment s’arrêter de nettoyer son environnement végétal ? Le chaos laissé par une absence d’entretien de plusieurs mois
contrarie mon besoin de calme visuel. Chaque branche morte qui tombe ouvre un jour entre les feuilles et libère le regard. Je rêve d’un jardin naturel, mais pas complètement ensauvagé. Il n’est pas assez grand pour cela.


Ifs sombres, cube et cône détestés, je vous guette par la fenêtre de la pièce où je travaille, profitez du soleil, vos jours sont comptés. Pourtant vos baies rouges translucides, armes du crime parfait (pourquoi plante-t-on des ifs dans les squares pour enfants ?), évoquent Agatha Christie. Vous serez remplacés par des végétaux choisis, souples et clairs, qui fleurissent ou au feuillage changeant avec les saisons. Depuis le temps que je lorgne dans le jardin des autres, je vais enfin me faire plaisir. Moi qui rechigne à arracher une violette en goguette ou une pensée évadée, je n’ai aucun état d’âme à tailler dans l’if.


Bien sûr, j’ai précipité la famille un samedi à la jardinerie la plus proche. Vite, vite, je veux des fleurs. Lilas des Indes, olivier de Bohème, oranger du Mexique et anémones du Japon : le monde entier est invité dans mon jardin.


Le magasin est immense. Mais quoi ? Pas d’asters en pleine gloire ? Pas de feuillages colorés ? Pas de potées de saison par centaines pour décorer les rebords de fenêtre et les seuils des maisons comme
c’est la coutume en Allemagne. Qui eût cru en entrant à cette jardinerie que l’automne est un deuxième printemps ?


Le voilà, mon contre-choc culturel. Il m’a surprise. Je l’attendais du côté de la ponctualité.


Pressée par mon appétit jardinier, l’urgence de défrichage répond également à un besoin de contrer l’accoutumance. S’habituer à son nouvel environnement risque d’endormir notre esprit critique. Ce qui nous a choqués en arrivant – les meubles de cuisine jaunes, les yuccas, la gargouille à l’extrémité de la cheneau, la colonne gréco-romaine en pur plastique d’époque pour récupérer l’eau de pluie, mais branchée à rien (et lieu d’accueil pour larves de moustiques-tigres)… – deviendra familier et on aura du mal à s’en séparer.


Vite, à la déchetterie. Quoi, on y retourne ? Mais oui. Même si ces tas de matériaux derrière l’abri de jardin, on ne les voit pas ? Oui surtout si on ne les voit pas. Leur faculté dérangeante est presque
démultipliée par leur invisibilité, car la paresse de les déplacer plaide pour eux.
Je me suis lacéré les mains – malgré les gants – en rabattant un rosier grimpant devenu trop vieux, un écheveau de branches mortes, couvertes d’épines qui se défendent. Je me venge, en les forçant dans la gueule insatiable du broyeur, baptisé Père Castor par ma fille.


Sur mon clavier, je vois des mains piquées de rouge, griffées, des phalanges enflées, la pulpe des doigts à vif – l’intérieur des gants est abrasif. Comment jouer au piano ? Ou attraper les châtaignes brûlantes au sortir du four… aïe, aïe, aïe…


C’est décidé, je vais détruire les plantes à épines qui restent : cognassier du Japon aux épines longues comme des doigts et pyracantha acéré. J’arracherai le yucca – que j’ai en horreur – et dont les troncs glabres compensent la vulnérabilité par une touffe de feuilles vernissées pointues. Je refuse de me faire attaquer par mes propres végétaux.


Dehors, comme dedans, nos goûts diffèrent grandement de ceux des précédents propriétaires. Nous avons l’impression d’être dans un gite, en vacances.


Autre lieu.


Un retour. Cinq ans après ma dernière venue. Un couloir rose, vitré sur la droite où je suis passée chaque mois pendant presque un an, en dandinant un ventre de plus en plus gros. C’était il y a une vie. C’était hier.
Je reconnais les panneaux : salle de préparation à la naissance, consultation d’anesthésie, sages-femmes… Mes yeux les lisent machinalement. Mes lèvres sourient. Te souviens-tu Estelle cette aventure tendue vers un cri ? Joie et douleurs, peurs, doutes et retrouvailles dans ces gestes avec les femmes de ta famille qui l’ont vécu avant toi.
J’attends sur une chaise en face de la porte vert pomme du cabinet du gynécologue. Je suis heureuse de le revoir, et j’appréhende son départ à la retraite à la fin de l’année. Les intonations de sa voix grave traversent la porte. Elle s’ouvre. La patiente précédente le salue. Il se tourne vers moi :


— Nous avons rendez-vous ? Vous n’avez pas changé !
Je ne demande qu’à le croire. Merci le masque.
— Vous non plus.
Mais si c’est vrai. Peut-être un peu plus de cheveux gris.
Il consulte sa fiche.
— Votre dernière consultation c’était en 2017. Cinq ans sans se voir ?
— Oui, entre temps j’ai vécu en Allemagne.
Évocation par petites touches de notre aventure expatriée. Et comme, a posteriori, cette anecdote est trop savoureuse, je ne résiste pas à la lui raconter :
— J’ai rencontré un gynéco qui m’a dit : « Ça, on vous l’a fait en France, je ne le contrôle pas. Mercedes ne fait pas le service après-vente de Peugeot. »

— …
Il hausse les sourcils, incrédule.


— Bien sûr, je n’y suis jamais retournée.


Récits de voyage, nouvelles des enfants. Photo des enfants. Il a suivi mes deux dernières grossesses et présidé à la naissance de mon deuxième enfant.
Et puis soudain :
— Et côté contraception ? À cinquante ans, je vais vous dire, le risque de tomber enceinte est…
Il lève sa main droite en joignant le pouce et l’index dans un cercle.
Zéro.
— Êtes-vous ménopausée ?
Hein quoi déjà ? Moi qui les minutes précédentes étais plongée dans un passé vivant de jeune maman.
Serait-ce fini tout ça ?
Déjà ?
Un deuil violent se plante dans ma poitrine et s’y construit un nid pour plusieurs jours.
Au moment où mes filles vont avoir leurs ragnagnas (comme on disait quand on avait treize ans) les miennes vont s’en aller. On apprend à devenir femme avec l’apparition des règles. Le reste-t-on lorsque les cycles cessent ?


Petite cerise sur la biscotte, il a ajouté :

— Vous avez reçu l’ordonnance de la sécu pour la mammographie de prévention à 50 ans ?

— Non pas encore, je viens juste de rentrer.


Il y a quelques mois, lors d’un contrôle de routine, la généraliste allemande m’avait annoncé l’air de rien : — À 55 ans, il faut prévoir une coloscopie. Vous voulez la programmer ?
Ah oui ?
MAIS J’AI 49 ANS BON SANG !


Une claque par-ci, une claque par là.


Ne pas oublier que vieillir est un privilège.


Hier lors d’un passage à la médiathèque, pour consulter des magazines de décoration, j’ai été tentée par la une du magazine Elle, moins par l’accroche Laissez-nous vieillir que par le portrait d’Andy MacDowell. Tiens, voilà longtemps qu’on ne l’a pas vue. Je me souviens de l’avoir découverte dans Sexe, Mensonges et Vidéo en 1989. Et retrouvée avec plaisir dans mon film fétiche 4 mariages et un enterrement. L’article regroupe les témoignages de personnalités qui assument leur âge (ou en tous cas l’affirment) – comme si on avait le choix).

Place Gailleton


Dans les retours symboliquement importants, retenons le rendez-vous chez ma coiffeuse. Son expression de surprise ravie en me voyant valait la traversée de Lyon en bus, métro puis encore bus. Nous avons repris nos conversations là où nous les avions laissées.


Mes lecteurs du début s’en souviennent peut-être : c’est à la suite de ma confrontation aux coupes allemandes que j’ai écrit et publié mon premier article sur Mainzalors.com (Au cheveu près). Ma rencontre avec le milieu médical allemand, en premier lieu ce gynécologue odieux, a inspiré un autre article, jamais publié par peur de représailles (si les médecins apprennent ce que je pense de leurs consultations de 10 minutes, de l’accueil par des infirmières-dragons, comment vont-ils prendre soin de moi et
des miens ? Vais-je me faire virer ?)


Revenons à mes préoccupations du moment.


Ma formation de traductrice dont vous serez ravis d’apprendre (mais si) que j’ai réalisé plus de la moitié.

Le livre dont la rédaction est suffisamment avancée, pour que je puisse désormais m’atteler à sa correction. Mon nouveau bébé imprimé pèse 2,4 kilos. Je dois sabrer et désherber. La touche Suppr ne me griffe pas les doigts, mais là aussi, la suppression de passages bancals libère la respiration.
Je fais des essais de couverture, de titres et m’apprête à rédiger ce que les Anglais appellent le blurb, la quatrième de couverture.


Étape vertigineuse.

Vais-je sauter de la falaise sans parachute les yeux ouverts ?

J’oscille. Tu te rends compte, Estelle, ce que tu as réussi à faire ? Tu as écrit un livre de 400 pages en moins de deux ans. Non, mais n’importe quoi, tu te prends pour qui ? Ce n’est pas parce que tu as
tapé des lettres sur un clavier, produit des phrases et des paragraphes, mis des numéros à des chapitres et ordonné l’ensemble bien proprement avec des parties que tu as composé un livre. Mais c’est extraordinaire, tais-toi !


Samedi, sur le canapé du salon, avec ma benjamine malade et Gaïa qui rongeait un tronc de rosier dans un jaillissement d’éclats de bois, j’ai regardé pour la 273e fois Rapunzel (Raiponce) de Disney. Quand elle s’évade de sa tour, elle hésite entre exaltation et culpabilité. Je tricotais en même temps une manche de pull tout en rayures (oui, je sais, on ne m’y reprendra pas de si tôt). Et lorsque le lendemain, en attendant que mes colocataires s’éveillent, j’ai attrapé dans le sac de tissu vert, mes aiguilles à double
pointe en bois, je repensais à cette scène de la veille, qui me rappelle tant mes contradictions.


Avez-vous remarqué que lorsqu’on associe une activité à une musique, un film, un lieu, une personne, les mêmes gestes évoqueront l’environnement de la fois précédente ? Je fais toujours attention à ces
mariages fortuits, pour garder, intouchés et neutres, des musiques ou des films.


Cet après-midi, si j’ai le courage de manier la bêche, je commencerai mes plantations. A la foire annuelle du lycée horticole, de petits élèves, au T-shirt vert grenouille avec logo, sur leurs habits mouillés, m’ont
suivie sous la pluie battante. Dans les serres, entre les rangées de la pépinière dehors, ils portaient une, deux, puis trois cagettes pour m’aider à tout porter. Ils m’avaient identifiée comme une cliente enthousiaste (tout le monde n’a pas un jardin entier à créer). Je me suis prise pour Marie-Antoinette,
avec mes jeunes pages qui saisissaient, dociles, les plants que je leur désignais.


Après avoir beaucoup coupé, je vais planter.
Après avoir terminé mon livre, j’en commencerai un autre.

Je vous laisse, j’ai rendez-vous chez l’opticien pour choisir mes nouvelles lunettes de presbyte.

Coulisses

Votez.

Vacances en France, retrouvailles et soirée électorale

La Côte d’Azur tient ses promesses.

Les parfums nous mènent par le bout du nez. Soumise je cède, de l’eucalyptus au jasmin rose, de l’oranger en fleurs au pittorsporum, du romarin au thym de la garrigue à cette plante collante et camphrée qui me rappelle les étés au bord de la mer de mon enfance. La glycine me suit partout.

Les aiguilles de pin crissent sous les pas et embaument la montée vers le fort. Le maquis de cistes et d’euphorbes rappelle celui de la Corse, là-bas au fond, où la mer et le ciel se répondent dans des harmonies de bleu ou de plomb, où l’horizon apparait ou s’efface sous les coups de pinceau de la lumière.

Assise sur la terrasse, je porte deux paires de lunettes l’une sur l’autre de vue et de soleil. C’est l’heure grise. Un merle chante. Un outil de chantier martèle. Le vent fait claquer les stores, emmêle les cheveux et emporte les voix.

Une mouette chasse un rapace qui s’approche de son nid, un pic vert piaille et sort d’un buisson en flèche. Une buse attrape entre ses serres une grosse sauterelle qui venait d’atterrir, vrombissante, dans les boutons d’or. Hier soir quand j’ai fermé les volets, un gecko m’a frôlée en tombant. Mes filles tressent des couronnes de pâquerettes.

Dans cet air doux et parfumé, entre des villas de la Belle époque au charme suranné, je pardonne leur raideur aux palmiers et aux oiseaux de paradis. Pas aux immeubles. Mais bien sûr chacun veut sa part de vue paradisiaque.

Comment résister à la baignade quand le soleil chauffe les galets ? Le premier contact avec la mer fait rentrer le ventre et hausser les épaules. Comment sortir d’une eau transparente même fraîche ?

Nous faisons une cure de beauté et de nature sauvage dans ce territoire densément construit. Une cure de France. Chez Picard, mes filles prennent des selfies avec leur pizza préférée.

Mon mari travaille dans le bureau. J’écris face à un paysage à couper le souffle, la mer calme aujourd’hui lèche le cap Ferrat. Le phare se tait jusqu’à la nuit où il nous guidera vers la terrasse pour écouter les grenouilles de la maison du dessous, les étoiles et la lune. Avez-vous remarqué comme la nuit, les parfums de fleurs se renforcent ?

Quelle joie d’entendre l’accent méridional chantant. Celui qui me fait retrouver le mien. Celui qui entendu à Paris me fait monter les larmes aux yeux. Mais dans ce territoire prisé des étrangers, ça parle anglais, américain et italien. A Beaulieu, on entend du russe. Sur les panneaux, tout est traduit en cyrillique, sauf l’affiche de soutien à l’Ukraine sur la vitrine du petit casino. L’Ukraine, vraiment peu présente à Nice par rapport à Mainz. Nous n’avons dû la croiser que dans la librairie où j’allais faire des stocks.

C’était après ma séance de coiffeur, avant les courses chez Monoprix. Vous connaissez ma sainte trinité des vacances à la maison : bouquins / coupe / shopping.

J’ai confié ma tête à un artisan avec vue sur mer, et me suis laissé convaincre de faire un balayage.

-Mais j’ai pas le temps, toute ma famille m’attend…

Ils ont patiemment attendu. Moi aussi. J’ai mijoté sous une cape, des papillotes de plastique, un casque chauffant et mon masque.

-Vous gardez le masque, vous.

-Oui je suis formatée à l’allemande. Ça fait qu’une semaine qu’on a le droit de l’enlever, et personne ne le fait.

(Entre cet épisode et aujourd’hui, j’ai abandonné le masque, en bonne Française).

Epreuve du miroir à main :

-Ça vous plait ?

-Oui oui.

Pour une fois c’est vrai.

Voilà le moment que je redoute : payer devant la haie d’honneur des employés du salon autour du comptoir. Epreuve du pourboire. Avec moi les gars, désolée c’est mort. En France je ne sais pas faire. Glisser un billet ou une pièce dans une poche ou une main, je trouve cela humiliant pour la personne qui reçoit. En Allemagne je sais faire : on annonce le montant qu’on veut payer, même par carte. Il n’y a pas de geste dérobé.

Allez zou. Reprenons là où je vous ai quittés la dernière fois.

Nous sommes bien arrivés à Nice, dans la nuit, secoués par les rafales et avons changé de saison en une heure et demie.

A l’aéroport, ma fille ado s’est fait contrôler sa valise.

-Mettez-vous de côté. Vous êtes étudiante ? Ouvrez votre valise. La police arrive.

(Avec un uniforme et en allemand ça fait peur, même quand on est adulte).

Je surveille à distance, mon mari la rejoint tandis que deux types avec gilet pare-balles, pistolet et toute la quincaillerie à la ceinture jettent un œil aux bricoles d’une ado. Au scan, ils avaient repéré un objet volumineux suspicieux.

Un livre.

Je vous avais prévenus : les Mayençaises qui lisent sont dangereuses.

Librairie Masséna

Premier tour des élections présidentielles. Soirée électorale.

Nous avons voté par procuration à l’Institut Français de Mainz (merci copine !). A vingt heures, nous attendons avec appréhension les résultats dans cette leçon de citoyenneté pour nos filles. Leurs commentaires ouverts sont intéressants : elles ne connaissent de la politique que la théorie apprise à l’école et discutée en famille lors des dernières élections allemandes. Nous n’avions pas le droit de voter pour le chancelier, mais pour les européennes et les municipales oui. C’était une expérience très intéressante de faire des croix (combien ? où ?) sur un drap de lit dans une ambiance plus décontractée que dans un bureau de vote français.

 Les candidats se succèdent à l’écran. Un ami anglais se lève et quitte la pièce :

-C’est pas intéressant.

A chaque nouveau visage, ma plus jeune demande :

-Et lui / elle c’est une bonne personne ?

Oui, si c’est un parti modéré. Non si c’est un populiste extrémiste. Lui / elle c’est un (e) journaliste.

Ma plus grande a étudié les programmes reçus à Mainz, nous lui avons appris à décoder le vocabulaire séducteur et fallacieux.

Quand celle que nous nommerons la blondasse arrive à l’écran, je n’arrive pas à écouter. J’ai envie de vomir. Ma fille dit :

-C’est la seule qui sourit.

Et pour cause.

En avril 2002, le premier tour des élections avait eu lieu pendant que j’étais en vacances en Corse. Je n’avais pas fait de procuration. Jeune et idiote, je ne me sentais pas concernée. Ce serait sans doute comme toujours un duel entre la droite (modérée) et la gauche (modérée). J’ai écouté les résultats à l’autoradio de la Toyota, sur une petite route. Je n’ai plus jamais raté d’élection.

La présence de l’extrême droite au deuxième tour se normalise. Quelle horreur. Les gens n’ont-ils aucune mémoire ?

Je ne veux rien savoir de son programme, je ne regarderai pas le débat qui n’en a que le nom. En consultant d’autres infos j’ai vu qu’elle voulait gouverner par référendum. Ben voyons. Court-circuiter les institutions, agir anticonstitutionnellement (yes, je l’ai placé). Augmenter encore le pouvoir présidentiel. Glisser vers un régime autocratique.

C’est sûr on n’en a pas d’exemple de référendum catastrophique autour de nous. Le Royaume-Uni ne se mord pas du tout les doigts depuis le Brexit. Et les dictateurs on ne sait pas non plus comment, insidieusement, ils arrivent au pouvoir. On ne l’a jamais vu.

Hier sur France Inter j’ai entendu que plusieurs états américains reviennent sur le droit à l’avortement. Cette glissade collective de ‘’l’Ouest’’ vers le chaos donne l’impression de caprice d’enfants gâtés. Quoi tout n’est pas parfait ? La baguette magique n’existe pas ? Alors cassons tout. Quand on frôle une civilisation équilibrée, quand il semble que les Hommes ont enfin compris qu’attaquer son voisin ne sert à rien, y’en a qui s’ennuient.

Ils tirent dans le tas.

Putain.

Votez Macron. Même si vous ne pouvez pas le voir.

S’abstenir c’est faire le lit de l’extrême droite.

Votez pour la démocratie.

Je me suis plantée dans mon article précédent, j’ai dit que je n’avais jamais vu de dictatrice. Y’en a une qui se prépare pour notre usage exclusif.

Le bruit de bottes glacent tout le monde, pas juste l’étranger, celui qui ‘’dérange’’. Même l’électeur qui se croyait l’élu, du bon côté de la barrière. A Marineland tout le monde dansera avec des ballons sur le nez. Dans des cages.

Savez-vous que la ville de Mainz se frotte les mains ? Avec les taxes versées par BioNTech, elle a touché la poule aux œufs d’or. Dans la presse les articles fleurissent : comment utiliser cette manne ? Le laboratoire a été fondé par des chercheurs turcs. Des immigrés.

Aujourd’hui le monde entier les remercie.

J’ai un faible pour Emmanuel Macron : il ressemble à mon petit frère. L’autre jour quelqu’un lui a demandé un selfie. A la fête de famille le week-end dernier un invité m’a dit :

-Il ressemble à Macron ton frère, j’étais encore avec lui la semaine dernière, c’est frappant.

J’ai aussi un a priori positif pour un homme qui épouse une femme plus âgée, qui ne profite pas du tremplin du pouvoir pour se barrer, casqué ou non, dans les bras d’une actrice. Un homme raisonnable et fiable donc, qui ne demande pas de croire au père Noël et se bat pour l’Europe unie.

Depuis que je regarde la politique française avec un œil infiltré sur la politique anglaise et un regard extérieur et comparatif, je vous le dis : avant de casser l’imparfait, jeter un regard par-dessus la frontière. Sous les pieds méprisants du cirque de BOJO, l’herbe pourtant bien arrosée est nettement moins verte. C’est quand on la perd qu’on se rend compte de la chance qu’on avait.

Nous sommes venus jusqu’ici pour des fêtes de famille. Avec des cousines égarées depuis des années, trop d’années, nous nous sommes tombées dans les bras, en pleurs. En rires.

-Regarde-nous comme des godiches ! On a le mascara qui dégouline.

Tant pis. Je m’en fous. C’est bon de tenir ceux qu’on aime dans les bras, on aurait presque oublié, fichue pandémie. Dans l’assemblée endimanchée, quelle importance les yeux de panda quand on a des étoiles dans le cœur ?

Quitter le bord de mer pour une journée volée avec un autre bout de famille pour un pique-nique dans la garrigue. Entre les pins, ne pas chercher les traces de son enfance. Ne pas se dire que les générations ont glissé et que les parents aujourd’hui c’est nous, que ma cousine a bientôt l’âge de ma mère à son départ. Bien regarder les présents pour ne pas penser aux absents. Casser quelques tiges de thym en fleur pour la tisane de nos enrhumées. En partant, laisser des petits bouts de cœur avec chacun.

Sur la piste de cailloux blancs, conduire lentement, faire un écart dans le bas-côté pour ne pas déranger une partie de boules.

Oublier le compte à rebours vers le nord.

PS : Puisque nous sommes à Villefranche-sur-mer, je ne résiste pas à vous parler d’un de mes films fétiches dans lequel une scène y est située : An affair to remember de Leo Carey (Elle et Lui), avec Cary Grant of course. Fait orginal, c’’est un remake de 1957, par le même réalisateur, Leo Carey, de Love Affair (1939).

C’est un des deux films qui ont inspiré Sleepless in Seattle (Nuits blanches à Seattle). L’autre, The courtship of Eddie’s father (Il faut marier papa) n’est pas mentionné, coquine de Norah Ephron.

(Je n’ai pas trouvé de lien gratuit sur internet qui ne soit pas en .ru.)

PPS : Je n’aime pas faire de politique ici, mais certains sujets trop graves emportent mes doigts.

Une tranche de Forêt Noire ?

Coucou ! Kuck Kuck ! Trois jours dans un village loin de tout, niché dans la forêt.

Ça fait envie hein ?

C’est encore mieux que ça.

Pour fêter les anniversaires hivernaux, notre famille aime s’évader le temps d’un week-end à la montagne. (Oui, oui je vais actualiser mon âge sur la page d’accueil de ce site…). Quand nous vivions à Lyon, nous le faisions chaque année, gâtés que nous étions par la géographie. Une fois dans une chambre d’hôtes en contrebas d’un col de Chartreuse, une autre dans le Vercors ou le Beaufortain.
Depuis Mainz, on peut viser le Taunus pour des balades en forêt. Mais l’urbanisation et les grosses routes restent plus proches. Les sommets hésitants n’offrent aucun village perdu, où l’altitude dépayse en accéléré.

Alors où s’échapper ? La Forêt Noire au sud, le massif de l’Eifel au nord-ouest (où j’ai envie d’aller voir les éclosions de narcisses au printemps). Ce sera la Forêt Noire.

Je rêvais d’y aller depuis toujours.

Pour notre rencontre, il y a trois ans, lors de notre premier hiver en Allemagne, je suis restée bougon. Oui la proximité dans le même village étagé de vignobles et de sapins enneigés, les fermes affichant leur production de fruits (et d’eaux de vie), la route des crêtes ont failli vaincre ma mauvaise volonté et mes comparaisons chroniques. Bien tenté, mais non c’est pas aussi haut / charmant / gourmand / varié (etc…) que mon Vercors adoré. Où sont les fromageries ? Et pourquoi les pistes de ski de fond sont-elles aussi mal fléchées ? Et l’autoroute est-elle toujours aussi chargée ?

Il nous fallait un nouvel essai. Mon sevrage de reliefs commençait à peser. Au marché, sentir la gorge se serrer en regardant la tomme de Savoie c’est moyen.

Mes recherches en ligne m’ont emmenée vers une vallée au nord du massif, donc plus proche de Mainz. Inconnue sur mes guides touristiques. Tant mieux. Mais où loger ? Les villages ont l’air minuscules. Gites ? Encore faire les courses, la bouffe… Approfondissons la quête. Un hôtel tout confort, avec piscine et spa… Tiens donc… De la disponibilité pour quatre deux semaines avant ? Yes ! C’est pas un peu cher ? Si mais c’est tout compris, ET ça fait combien de temps qu’on est pas partis en week-end ? Euh…..

Les chiens ? Non. (Tant mieux. hi, hi. Elle est moche en ce moment notre Gaïa, la captivité ne lui va pas au poil : il tombe. Ma fille propose de tester la nourriture hypoallergénique).

Cerise sur la forêt noire, le lundi, les filles n’ont pas cours pour cause de conseils de classe. Nous partons pour trois jours. TROIS.

Départ vendredi en fin d’après-midi, pour poser Gaïa à la pension pour chiens du côté de l’aéroport de Francfort. Cap plein sud sur l’autoroute chargée (comme partout tout le temps dans notre coin d’Allemagne). Pour nous distraire, nous jouons à Boggle avec les plaques minéralogiques. T’as vu DO-GS ! Je laisse volontiers mon mari au volant. Je ferai le retour de jour. L’autoroute allemande est infernale pour qui s’en tient au code de la route français. Dans les sections sans limitation de vitesse, je reste coincée derrière les camions à 100 km/h. Doubler c’est se retrouver, d’un coup, talonnée par une grosse bagnole noire piaffante, invisible la seconde précédente.

Enzklösterle

Le village d’Enzklösterle s’étale à 500 mètres d’altitude, le long d’un gros ruisseau. En arrivant de nuit, on n’en voit que les sportifs s’entrainer au basket dans le gymnase. De jour, à pied, nous découvrirons le coin. Pas de maisons à colombages ni de boutiques de souvenirs, aucune horloge-coucou made in Taïwan à l’horizon. Juste de grosses maisons qui dissimulent leurs années sous le crépi. Quelques linteaux de porte sur le grès rouge, trahissent les âges. (1856, 1852). Bien sûr une maison bleue ici, une autre là verte ou jaune. Comme souvent, la palette des façades dérape. Trois églises d’aspect moderne.

Pourtant la vie s’est installée ici depuis longtemps, autour de la récolte des myrtilles sauvages. Nos promenades en forêt le long du bien nommé Heidelbeerweg (chemin des myrtilles) nous l’ont prouvé : les sous-bois sont tapissés de plants (géants par rapport à ceux de l’Ardèche ou des Alpes).

L’hôtel est un gros paquebot amarré à la pente dans le cœur du village. Moderne sans excès, d’un style qui rappelle les villes thermales. Balcon à chaque chambre. Restaurant tout en vitres, dont les lumières éclairent le jardin et une terrasse enneigés. Quelle chance tout ce blanc !

Nous franchissons le seuil juste avant 20 heures. La réceptionniste nous confie la clef, et nous indique comment aller à notre chambre à la fin du repas.

-Dépêchez-vous, dans quelques minutes, le service ne vous acceptera plus. Si vous finissez avant 21h30, je pourrai vous accompagner. Sinon non. J’aurai terminé mon service.

Le repas s’est éternisé autour d’un menu composé d’une ribambelle de plats et amuse-bouche. Ralentir on a dit. Les serveuses sont en tenue traditionnelle, robe longue bleu ciel, plastron noir et haut blanc à manches courtes. Elles doivent se geler. L’accent local est très marqué avec des ch. Mais ça va, on comprend.

En Allemagne on mange à tout heure et dans un rythme qui bouscule nos habitudes. Le buffet du petit déjeuner est extra, avec vraiment de quoi manger (pas juste les traditionnelles tartines et viennoiseries françaises qui déboutent les touristes du nord de l’Europe). Il y a même du Sekt avec des flûtes à disposition. A partir de 14h, un buffet est installé pour le traditionnel Kaffee-Kuchen (café et gâteau – plus crudités et soupe). Effectivement tout est compris. Comment résister ? C’est dingue ce besoin de se jeter sur ce qui est disponible, même quand vraiment on n’a plus faim… Les yeux plus gros que le ventre… un travers à tous les âges. Diner qu’on retarde pour agrandir l’appétit. A 19h nous sommes les derniers à arriver.

J’ai l’impression d’être dans un bateau de croisière (où je n’ai jamais mis les pieds) où les passagers se croisent à table, sans jamais sortir du bâtiment (mais je n’en sais rien).

Balades dans la neige…. Ça crisse, et glisse. Côté sud de la montagne, des gouttes tombent, côté nord, l’hiver arrête le temps.

-Regarde maman on se croirait dans la Reine des Neiges !

J’allais le dire. Avec ces mamelons de neige, ces rochers couverts de mousses et de petites stalactites, ces troncs enneigés, on se croirait dans un dessin animé. Je guette les trolls.

Traversée d’une piste (rouge à vue de nez, je ne m’attendais pas à une pente aussi marquée par ici) où deux tire-fesses à pioche remontent les skieurs. Escale pour quelques glissades sur une piste de luge où les enfants et parents bariolés, avec leurs luges en bois et leurs grands sourires me font penser à un livre d’images des années 50 : Jean-Jacques et Martine aux sports d’hiver.

Après le déjeuner / goûter : sacro-saint temps calme. (Comprendre : interdit aux enfants de venir solliciter leurs parents. Interdit on a dit.)

#nofilter

On va se baigner ? La piscine rectangulaire aux escaliers arrondis donne sur une pente de pelouse enneigée. Une pancarte limite l’accès. Avant d’entrer on compte des yeux le nombre de baigneurs… dans les huit un bébé ça compte tu crois ? Après quelques longueurs, le spa… Allons-nous passer la porte sur laquelle est inscrit : textilfrei (sans textile) ? Accès à partir de 14 ans.

Les filles veulent venir. L’une peut, l’autre doit se contenter de cabrioles dans la piscine (fais gaffe aux gens, hein !). Celle qui peut, hésite. Faut vraiment se mettre nu ?

Plusieurs saunas, un laconium (pièce chaude mais moins), un hammam fermé (zut). Des corps dénudés dans les pièces, enveloppés de chastes serviettes blanches sinon. On va s’y faire, hein, on ne les connait pas ces gens. C’est un exercice d’intégration.

Ma première expérience de sauna date du siècle dernier, après une rando itinérante avec l’UCPA dans le Beaufortain. Nous étions partis mi-septembre pour une semaine (géniale) dans la pluie puis la neige avec des nuits en chalets d’alpage (où il était recommandé de ne pas avoir envie de rejoindre la nuit la cabane au fond du pré, sous l’orage et à l’aveugle). En haut du Cormet de Roselend l’épaisseur de neige nous avait obligés à renoncer. Nous étions rentrés en taxi par le long chemin de la vallée vers le sauna et un gros saignement de nez le soir. Donc, depuis j’ai évité. Là j’hésite.

Le deuxième jour puisque ce fichu hammam est encore fermé je tente cinq minutes dans le sauna. Le contact du bois est agréable. Je pense à Sinnika, une petite fille finlandaise d’un de mes albums du Père Castor d’enfance. Ici pas de branches vertes pour se fouetter. Pas de lac glacial où se jeter. Mais je sors en serviette sur la terrasse et marche pieds nus dans la neige. (Non pas de photo !)

Le dernier jour, surprise, le soleil brille dans un ciel très bleu. Les rayons jouent entre les troncs. C’est superbe. Nous n’en revenons pas de tant de beauté et de lumière, nous qui vivons dans le gris depuis plus d’un mois. Le ruisseau chantonne, les gouttes tombées des pins, sapins, hêtres ou bouleaux nous éclaboussent. Même les filles avancent d’un bon pas sur le sentier, sans râler, jusqu’à une plateforme de bois avec vue sur la vallée et les deux pistes de ski. Un panneau indique qu’il est possible de s’y marier (ah c’est donc pour ça ces bancs et ce pupitre de bois !). Des pancartes pédagogiques (coiffées d’une boule violette) expliquent l’économie du village tournée vers la récolte des myrtilles. C’est sûr je veux revenir en été (avec des boites) !

Récolte des myrtilles

Dans le fond d’un vallon, un écriteau symbolise la frontière entre l’évêché de Mainz et celui de Konstanz (oui elle, au bord du lac), il y a 1500 ans. Mainz est restée longtemps une ville très importante. Un de ces quatre je vous écrirai un article dessus.

Dans la descente mes orteils s’écrasent au fond de mes bottes de neige. J’évite de déraper. Ma plus jeune se précipite sur sa pelle pour glisser.

A part trois retraités en pique-nique sur la plateforme, surpris de voir des enfants un lundi (y’ a pas école ?), et deux tout en bas, personne.

Pour la fin de la balade, ma fille marche à côté de moi. Frissonnante et lèvres bleues, elle a accepté de fermer sa parka. (Yeux au ciel ! ces jeunes !)

-C’est génial de marcher comme ça dans la nature, ça change vraiment les idées. J’ai plein d’envies et de projets qui me viennent !

Oui, respirer l’humus, prendre en photo une graminée enneigée, écouter la neige crisser sous les bottes, sentir ses doigts geler quand on n’a pas envie d’enfiler des moufles, tout ça permet de court-circuiter les soucis qui tournent en boucle. Le corps prend le pas sur l’esprit tout-puissant. Un instant nous oublions nos chaines.

Libérés, délivrés, on vous avait prévenus… (Pardon)

Dernier buffet à l’hôtel avant de repartir. Vite vite va te servir, aujourd’hui il y a de la forêt noire !

Oui, avec de la chantilly en plus

Lignes bleues

Vacances d’automne dans les Vosges, exercice spontané de la diplomatie internationale autour d’un coq en pâte.

J’ai posté ce matin à Mainz une carte postale que je n’ai pas écrite et dont je ne connais pas le destinataire. Elle représente une ville au bord du Rhin où je n’ai jamais mis les pieds. Les lignes au stylo bleu sont signées Jutta.

Jutta je l’ai rencontrée avec son mari, couple au sud de la retraite, dans une auberge aux fins fonds des Vosges. Cheveux blonds et courts, gestes assurés, elle me rappelle une amie américaine. Son mari sous-titre ses blagues d’un clin d’œil. Eux et nous résidons dans les deux chambres occupées, nous nous croisons au petit déjeuner.

Ils ne parlent pas un mot de français, les serveuses pas un mot d’allemand. Personne n’a essayé l’anglais. Au grand dam de mon ado (arrête maman tu me fais honte !), j’ai mis mon grain de sel pour faciliter les échanges internationaux. Ei ? un œuf ? non. (Dommage, les petits déj français, avec baguette beurre et confiture, même maison, même enrichis de charcuterie et fromage local sont bien décevants quand on a besoin de protéines et de pain complet noir – dense, à l’allemande – pour ne pas sentir ses jambes flageoler, son cerveau s’embrumer et l’impatience enfler vers 11 heures. Surtout en randonnée.)

Quand l’occasion s’est présentée, j’ai aidé aux traductions.

Un matin, faute de serveuse visible, l’Allemande m’interpelle :

– Faut-il réserver pour manger ce soir ?

– Je suppose que c’est mieux, oui, si vous prévenez.

L’après-midi, je lis dans la chambre, mes filles et mon mari jouent à Mario Cart dans la bibliothèque (elles ne connaissaient pas, c’est bien, elles ont découvert à peu de frais / risque d’addiction et de bruit à la maison). Quand je les ai rejoints (ils avaient emportés les biscuits du gouter), mon mari me dit : “la dame allemande est passée, elle était en colère, il parait qu’on lui a dit qu’ils ne pouvaient pas manger ici ce soir”. Ça nous semble bizarre… La veille nous avions dîné seuls, face au poêle de faïence, la cheminée comme ils disent en Lorraine, avec un accent que je ne connaissais pas.

Le soir-même en descendant au restaurant, deux tables étaient dressées. Une de quatre, une de deux. Hmmm. Y aurait-il eu un malentendu ? Je partage mon doute avec l’aubergiste.

-Ah mais ils m’ont dit qu’ils voulaient déjeuner à midi. Je leur ai dit qu’on était complets. Oups…Vous pourriez leur expliquer demain matin… ?

Oui je peux. Je l’ai fait. La dame allemande est surprise et déçue.

Au diner, la serveuse qui compte sur mon relais linguistique pour simplifier son boulot me demande :

-J’installe les Allemands à votre table ?

Hein ? (ça va pas la tête ? on est sympa mais bon)

-Non, non, ça va aller.

Quelques minutes plus tard ma fille me dit :

-Merci maman, on va quand même pas parler allemand pendant les vacances.

La serveuse présente le menu du jour et tend vers moi un menton inquiet. Vous pourriez traduire ? Mais oui bien sûr. Coq en pâte. Allons-y pour une explication détaillée. Comment dit-on morilles ? Je ne savais même pas que ça existait comme plat (délicieux). Au dessert, la dame allemande voudrait bien la recette de la tarte au fromage blanc (nous aussi). Je la demande. Personne ne l’aura : c’est un secret.

Jutta m’explique qu’elle a écrit une carte pour souhaiter un bon anniversaire à une personne âgée et a oublié de la poster avant de passer la frontière. Vous pourriez la jeter dans une boite ? Oui, sans problème.

Le matin de notre départ, je le lui rappelle.

-Et la carte ?

-Je l’ai mise sur votre pare-brise.

(Dans un sachet plastique anti-humidité.)

C’est donc fait.

J’ai rempli ma mission de diplomate affectée aux relations franco-allemandes gastronomiques. Quand je pense que ma mère (qui n’avait aucune idée de ce que cela représentait) me voyait avocatinternationale. C’est fait.

Le dernier soir, l’aubergiste est venue nous offrir un pot de confiture maison, en sachet cristal. Aux quetsches, délicieuse. (Je savais que ça vous manquerait si je ne vous mettais pas une petite anecdote de confiote).

Moi qui fais souvent des petits cadeaux spontanés pour remercier des étrangers, ça m’a touché d’être du côté de la réception. Merci madame. Les filles ont eu droit à des barres chocolatées joliment emballées. « Comme elles ont été sages… C’est signe que les parents les ont bien élevées. » Hi, hi… on joue volontiers le jeu de la flatterie. Parfois on doute, hein…

Randonnées dans la forêt, sur les sentiers qui montent derrière l’auberge. GR, un jour vers la droite, un jour vers la gauche. Ou un peu plus loin, par la route qui s’appelle la rue et le chemin de goutte-froide, jusqu’à un sommet et une roche proéminente (j’ai un faible pour les panneaux poétiques). Sandwiches de fromage qui ramollit de jour en jour, carottes qui sèchent, thon qui dégouline. Vertige (pour moi) pour franchir un passage étroit en hauteur.

Entre sapins, bouleaux, mousses et fougères j’ai sauté les pieds joints dans un livre de contes. Allons-nous croiser la cabane des trois ours ?

Dans la queue de la boulangerie, un type m’accoste. “C’est quoi votre appareil photo ? Vous partez en balade ? Vous êtes touriste ?” Euh oui. J’adore papoter à l’improviste, mais quand je ne suis pas à l’initiative de l’échange, j’ai toujours un moment d’hésitation. Il a l’air inoffensif.

-Vous aussi, en vacances ?

– Oh non, nous on habite ici. On a vécu trente ans en Allemagne. On est revenu pour la famille.

J’ai pas osé lui demander la durée initiale prévue pour leur expatriation.

Tendez l’oreille…

L’auberge en demi-pension c’était le calcul pour éviter de faire bouffer à ma famille ma charge mentale. On restera moins longtemps que dans un gite mais pas de corvées courses ou cuisine. Bilan : personne ne peut plus voir ni pain, ni repas riches comme des dimanches midi. (J’ai fait de la soupe de légumes d’urgence.) Et les courses faut bien les faire quand même (rappelez-vous mon obsession avec le vinaigre blanc français, le savon noir, les bonnes sardines, le chocolat à cuire de qualité). Les filles se sont offert Dragibus et Carambars, Paille d’Or et madeleines, pour leurs anniversaires au collège. French touch autorisée, pourvu que les produits soient emballés individuellement.

Le premier gel de l’année s’est posé dans la nuit. Les dahlias du voisin ont cuit. J’ai tendu la main par le Velux pour toucher le givre et laisser une empreinte mouillée sur les tuiles rouges.

Balade en amoureux autour du village pendant que les filles sautent sur le trampoline. Mon mari et moi croisons un petit jeune homme, en short et K-way. Bonjour ! il nous lance avec un sourire qui mange tout son visage.

Je photographie un bassin en pierre où chante une source, puis on rebrousse chemin. On le croise à nouveau. Il entre et ressort aussitôt d’un jardin. Celui aux dahlias cuits.

-Re-bonjour !

-Re-bonjour !

Sans s’arrêter, il indique de la main le jardin dont il sort.

-Ma tata n’est pas là. Je suis d’ici c’est pour ça que je connais tout le monde.

Sourires.

-Vous logez à l’auberge ou au gîte ?

-A l’auberge.

-Y’en a qui disent que le village ici c’est naze. Mais y’a la nature, alors c’est joli.

Bien d’accord.

– C’est la première fois que vous venez ?

-Oui.

-Et ça vous plait ?

-Oui.

-Alors, vous reviendrez !

Simple comme re-bonjour.

Comme un parfum en noir et blanc de Guerre des boutons.

Une leçon de vie pour moi que les devoirs hypnotisent. Refaire si ça me plait. Un médecin me l’avait conseillé. Il faut privilégier les satisfactions comme un devoir. Je lui avais demandé de l’écrire sur une ordonnance. Un mantra pour les jours où la main de l’anxiété m’attrape à la gorge.

Les feuilles commencent juste à tourner. Dans la forêt tapissée de mousses, au milieu des sapins, les chênes rouges d’Amérique sont les premiers à passer du vert au vermeil. Ses glands trapus sont irrésistibles. J’en glisse dans mes poches. Comment est-il arrivé là cet expatrié naturalisé ?

L’Amérique : nous venons d’apprendre que son baptême a eu lieu à Saint-Dié-des Vosges.

Après les expéditions vers les Indes de Christophe Colomb en 1492, Amerigo Vespucci comprend qu’il s’agit d’un nouveau continent. Le Duc de Lorraine passionné de géographie, obtient du roi du Portugal, commanditaire des expéditions, cartes et récit de voyage de Vespucci. Il les confie au Gymnase Vosgien, un groupe d’érudits occupé à redessiner le monde. Sur la Cosmographie universelle (ça jette plus en latin), pour la première fois, le nouveau continent esquissé par la ligne bleue de l’océan Atlantique est appelé America. Féminin comme les autres, et en hommage à Amerigo.

Voilà pour la digression culturelle. De rien.

A part les vitraux de la cathédrale – modernes, liquides et graphiques, Saint-Dié ne nous a pas séduits. Une fois approvisionnés en munster (sous-vide !) au marché, on n’a pas trainé. L’architecture toute d’angles droits gris fait écho aux trop nombreuses nécropoles.

Fuite vers la nature jolie.

Enième tentative pour se faire un thé avec la machine de notre chambre. Elles sont rares en France et en Allemagne, les tea and coffee making facilities, que l’Angleterre met à disposition de ses hôtes. Pourtant c’est bien agréable d’appuyer sur le bouton de la bouilloire pour une boisson chaude, avachie sur le lit. Leur présence ou non dans une chambre d’hôtel est devenue une blague familiale.

Elle marche pas cette fichue machine à capsules (j’ai même pas essayé, j’ai laissé faire mes colocs, je ne parle pas le langage des machines qui font les malignes). Mon mari prospecte dans les autres chambres. Vu le calme, on se sent partout chez nous. Les portes sont ouvertes pour répartir la chaleur. Il revient avec trois gobelets de carton pleins de thé (dans deux ça ne rentrait pas). AIlleurs ça marche ! Il les pose où il peut sur ma table de nuit.

Bouquins, lunettes, stylo, cahier, téléphone en vrac. Je tâche de faire un peu de place, faudrait pas que ça se renverse. Geste maladroit. Pof je cogne un premier gobelet. EH M*** ! Je retire brusquement les objets qui craignent l’eau. Paf les autres basculent. Le thé est par terre, une flaque à mes pieds.

Euh…. Il en reste une gorgée au fond de ce gobelet, tu le veux ?

Dans le mystère de la dernière nuit à l’orée de la forêt, un cerf nous offre son brame guttural.

Retour par Strasbourg.

Devinez ? Missions librairie et coiffeur. J’ai pris deux rendez-vous. Un pour moi et un pour ma plus jeune. Elle souhaite corriger la coupe réalisée par se mère cet été. (T’as vu c’est plus long derrière que devant. On dirait une coupe de garçon.)

Certes.

Miracle, je ressors avec une coupe, une vraie. Comme avant. J’avais fini par renoncer. Me dire que non, ce n’était pas une histoire de style français ou allemand. Que mes cheveux s’émancipaient sans grâce. Que la seule personne qui arrivait à en faire quelque chose je l’avais laissée à Lyon. Eh bien non !

-La coiffeuse égalise et me dit : Voilà, c’est plus moderne hein !

Oui et plus dynamique.

Je hasarde :

-En Allemagne, c’est plus classique les coupes de cheveux…

– Oui y’en a beaucoup qui viennent se faire coiffer ici.

Ah tiens. Je ne précise pas que mes deux dernières coupes étaient françaises. L’une d’elle avec sa collègue lors de l’expédition vaccin.

– C’est quoi votre prénom madame ?

Je note. Je reviendrai. Tous les deux mois – ou disons, quand c’est possible, prévoir l’aller-retour à Strasbourg pour la coupe.

(J’ai demandé : le carré droit est la coupe la plus dure à réaliser même pour un professionnel. Il ne pardonne rien. Et toc.)

Avant de mettre le cap au nord, nous croisons la locomotive-jouet d’un monsieur qui grille des marrons. Impossible de résister. Nous lui achetons un cornet de papier, le plus gros format. Les premières châtaignes grillées mangées vite, trop chaudes, en s’étouffant un peu, brûlent la langue et laissent le bout des doigts charbonneux.

Je les laverai le plus tard possible.

Vivement qu’on en trouve au marché de Mainz, des châtaignes. Provenance indiquée : France. D’où en France Monsieur ? De l’Ardèche ?

Au prochain passage de frontière je complèterai mon stock de bouquins. J’ai apprivoisé les librairies de Metz et Strasbourg. Je sais où aller pour être en phase avec les avis des libraires. C’est tellement bon de flâner dans le parfum des livres et rassurant de repartir avec des promesses de bonheur en papier. Je me shoote bien un peu ici, mais je lis plus volontiers en français et en anglais.

J’ai une question pour vous.

J’ai envie de créer une rubrique lectures dans ce blog, histoire de partager mes coups de coeur et les vôtres.

Qu’en pensez-vous ?

(réponses bienvenues en commentaire)

Mazel Tov ! Mainz entre à l’Unesco

Avec son cimetière juif millénaire. Et puis aussi une histoire de foins coupés et de sable.

Judensand, Mainz

Vous le savez, je ne consulte plus les informations en ligne, ce vrac gratuit d’anecdotes sensationnelles. Je picore dans un hebdomadaire sérieux (the Economist de mon mari) les articles qui attirent mon regard (pas beaucoup). J’aime bien cependant recevoir la presse locale gratuite. Sur la boite aux lettres j’ai collé une étiquette : Bitte keine Werbung (pas de pub svp), mais je n’ai pas ajouté und kostenlose Zeitschriften (ni de journal gratuit). Je parcours le journal en 30 secondes et parfois j’apprends des choses sur l’actualité locale, comme l’existence d’un élevage d’abeilles municipal avec vente de miel et de bougies, ou l’inscription fin juillet de Mainz au patrimoine Mondial de l’Unesco.

Dès le Moyen Age, Mainz et deux autres villes impériales de la vallée du Rhin Spyer et Worms possédaient d’importantes communautés juives, parmi les plus anciennes du monde germanophone. Elles ont fortement influencé la culture ashkénaze en Europe centrale. On les appelle les villes SchUM, comme l’acronyme composé des premières lettres des noms hébreux d’origine latine : Sch pour S(ch)pira (Speyer), U pour Warmaisa (Worms) et M pour Magenza (Mainz). Un comité (en hébreu : Wa’ad SchUM) représentait leurs intérêts communs auprès du gouvernement. Le symbole en est l’ail (qui se dit schum en hébreu de la Bible).

La grande époque des SchUM se termine après quatre siècles, vers 1350 avec des massacres. Les grandes communautés sont remplacées par de plus petites à l’influence limitée.

Des vestiges millénaires témoignent de cette présence : à Spyer, les restes de la synagogue avec le bain rituel mikveh (XIIème siècle), à Worms et Mainz les cimetières juifs du XIème siècle, parmi les plus anciens du monde.

Je connais bien celui de Mainz, le Judensand (sable juif, par référence aux kleine et grosse Sand, champs de dunes en remontant vers les rives du Rhin) sur la Mombacher Strasse, en contrebas d’une colline. Il se cache derrière la gare, dans une zone d’activité, presque en face d’un magasin de beaux-arts. Il a été abandonné en 1880 avec l’ouverture d’un nouveau cimetière juif, adjacent à celui de la ville.

Au bord de la route, les tombes en grès rouge, chavirées dans une pelouse qui ondule sous les arbres ont un charme fou. A chaque passage, je me laisse entrainer dans leur mystère. Il me fait penser au vieux cimetière juif de Prague et aux anciennes tombes autour des églises de village en Angleterre. J’adore ces lieux spirituels hors du temps, unités de mesure de la vie humaine. En ce début d’automne, par temps gris et humide avec les premières feuilles jaunes tombées et le parfum d’humus, l’atmosphère est envoutante.

Enfermé dans un mur rehaussé d’un grillage, collé à la route à son bruit et ses émanations de pots d’échappement, il semblait à la fois protégé et délaissé.

Il semble qu’une page ait été tournée. Sans transition, le lieu sacré a glissé de l’anonymat à la célébrité. Le 27 juillet 2021, suite à un dépôt de candidature de 2012 de la ville de Worms, les « sites SchUM de Speyer, Worms et Mainz » ont été inscrits au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.

J’ai dévoré l’article, illustré par la photo de personnalités politiques qui se félicitent (incroyable cette expression) et effectué des recherches sur Internet. A vélo sous la bruine, j’ai pédalé pour un reportage photo solitaire. Pas facile à faire derrière une barrière même en grimpant les escaliers qui longent le terrain.

Le portail est fermé à clef. Sur le grillage, a été accrochée une banderole violette. Un peu anachronique et décalée toute seule sous la pluie. Elle porte en lettres blanches : Mazel Tov ! Wir sind UNESCO Welterbe ! (nous sommes au patrimoine mondial de l’Unesco).

Sur le poteau de béton, un panneau bilingue donne quelques explications. Mon téléphone prend l’initiative de convertir le QR code de photo pour ouvrir le site web correspondant.

Un appel à projet a été lancé pour ériger un pavillon des visiteurs à l’entrée du cimetière. (Enfin !)

La communauté juive de Mainz est une des plus anciennes d’Europe. La synagogue construite en 1912 (déjà appelée ”nouvelle”) a été détruite lors de la Nuit de Cristal le 9 novembre 1938. Elle a été remplacée en 2010. Dans son environnement d’immeubles des années 50, le bâtiment surprend (il surprendrait n’import où en fait). L’architecture évite les angles droits. La façade est en céramique émaillée vert foncé. Mon mari et moi y avons assisté en 2019 à un concert de Noa (Letters to Bach : chansons composées sur la musique de Bach). Les escaliers en italique et les fenêtres biscornues donnent le mal de mer. Je tâcherai de vous retrouver une photo. L’architecte Manuel Herz de Köln s’est inspiré du design des cinq lettres du mot hébreu signifiant ‘’saint’’. L’entrée est gardée par les colonnes de pierre de la synagogue précédente.

Grosse Sand, Mainzagréable pieds nus

J’ai mentionné plus haut, les dunes de Mainz. Ces champs de sable dans le coude du Rhin sont une particularité géologique protégée. Ils accueillent des espèces botaniques rares, datant du dernier âge glaciaire. Jusqu’à la semaine dernière je ne connaissais que le Grosse Sand (le Grand Sable), un des lieux de balade favori des Mayençais (Kein Durchgang : interdit de traverser la steppe centrale). En fait il y en a un autre plus bas : le kleine Sand, entre le grand et le Judensand (et sans doute plein sous les maisons du quartier). Une association de protection de la nature a fait, via les écoles, appel à des volontaires pour nettoyer ce bout de terrain. Sur le formulaire, nous avons coché : participera samedi, au grand dam de mes filles. On pensait qu’il s’agissait de ramasser les déchets.

En fait non. C’était une opération de sauvetage botanique. Les herbes avaient été coupées de façon sélective, en épargnant celles dont les graines mûrissent encore. Lors de mon échappée à vélo pour photographier le cimetière, j’avais prolongé la promenade entre les arbres et avait vu les jardiniers et leurs broussailleuses. Je savais que ce coin était spécial : une petite pancarte artisanale demandait d’éviter de le traverser pour épargner des plantes rares.

Les rangées de foin parallèles devaient être ramassées. Samedi, les bénévoles avaient apporté râteaux en quantité et benne. Il y avait tant de bras volontaires (200) que les missions ont été échelonnées. En petits groupes nous avons rempli puis trainé une bâche, jusqu’à la benne, ou des jeunes organisaient le dépôt de foin en une montagne stable. Il faisait beau et chaud (et soif). L’association en a profité pour nous éduquer. Un monsieur à barbe blanche sous un chapeau à large bords nous a présenté quelques spécimens (au nom latin terminé par arenaria -pousse dans le sable – j’ai oublié le reste). En particulier une graminée rigolote : la graine a une tige en tire-bouchon sur le dessus, que le vent redresse quand elle est à terre lui permettant de se planter. Au moment où le botaniste nous en a parlé, ma fille jouait déjà avec ces graines frisées.

Mainz est sur une zone frontière pour les migrations végétales : au sud de celles qui descendent des steppes glaciaires, à l’est de celles qui viennent de l’Atlantique. Au-delà c’est trop froid ou trop mouillé.

Des dames de l’association déterraient à la bêche les plantes invasives : des asperges (vestiges de l’occupation du terrain par des jardins) et des Schneebällchen que je ne connaissais pas. Ma fille oui. Les enfants récupèrent les graines blanches et les jettent sur le sol où elles éclatent.

Pour leur poser des questions je me suis approchée, en restant loin des bêches : rien que de les regarder mon dos crie. Les arbres fruitiers morts (lors des étés de canicules) ? Ils sont conservés comme hôtels à insectes. Je n’ai pas pensé à leur parler de la pyrale du buis arrivée cet été à Mainz, hélas. Je pensais que peut-être la latitude ne leur plaisait pas. Mais si. Les buis sont surtout dans les jardins ; les dégâts seront moins flagrants que dans la garrigue ardéchoise. N’empêche : cherchons prédateur d’urgence.

Bienvenue automne

Autre actualité locale et nationale, bien sûr : les élections du parlement. Même ici vous n’y échapperez pas, sorry comme disent les Allemands (et les Anglais aussi, oui).
Bientôt Madame Merkel tirera sa révérence. Les rues fleurissent de pancartes électorales selon un code précis. Pendant six à sept semaines, les partis peuvent, dans les limites de proportionnalité et à des emplacement décidés par les municipalités, afficher les têtes de leurs candidats. (Imaginons la carte étalée sur la table du service dédié : sur ce réverbère oui, celui-là non.) Les mats sont harnachés de cartons bifaces, avec des photos de CV, buste de trois-quarts, visage de face. C’est moche, oui, mais comme disait Churchill, « la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres ». Mais au moins ils seront déposés dans la semaine suivant le scrutin. Aucun affichage sauvage ne s’effilochera pendant des mois sur les murs.

Les rues pourront retrouver leur anonymat silencieux.

Seul le cimetière en bas de la colline gardera sa banderole.

Houblon (pas envie de mettre des photos d’affiches électorales)

Grandes vacances : notre tour de France – 2

Des Landes à la Côte d’Azur en passant par Montpellier. Puis séjour en Ardèche du Sud, et Autun.

Retrouvailles en pagailles. Séparations à foison.

Nous voilà rentrés à Mainz depuis hier soir. Nous avons fait durer le plus longtemps possible notre séjour français. Le boulot a repris ce matin. J’irai faire les courses après vous avoir écrit. Il me tarde de partager la suite de nos vacances.

Ne bougez pas, je viens vous retrouver où je vous ai quittés : au bord de l’océan.

J’entends votre question. Oui mon fils a pu nous rejoindre après sa dizaine de jours d’isolement ardéchois pour covid sans symptômes. Il a pris le train jusqu’à la charmante ville de Bayonne (aux colombages colorés, comme en Allemagne, et pourtant tellement autres).

Bayonne

Cette escapade nous a autorisé un détour par la librairie de la Rue en pente. Vous savez, dans la rue en pente ? J’adore leurs commentaires sur les bouquins. Cet été ils avaient même consacré une vitrine aux achats à éviter, avec critiques argumentées. Pendant notre sélection de nos prochains compagnons de poche, nous avons aidé un Français installé à Berlin (oui) à expliquer à la libraire le livre qu’il recherchait (il n’avait qu’une photo en allemand). Le manuel d’Epictète de Marc-Aurèle (mon livre de toilettes du bas).

Attraper le grand devant la gare sans se garer. Pardon d’être à la bourre, j’ai essayé deux robes chez Monoprix.

Plage, un peu chaque jour, à sauter dans les rouleaux. Sur la côte landaise, la baignade tient du manège et du trampoline. Le ciel s’offre à 360°. Au loin l’Espagne. Les enfants surfent, chacun à des horaires différents qui changent tous les jours avec la marée. J’ai renoncé à suivre. Ils se régalent. Le banc de sable de la plage sud a disparu, les jours de calme ils doivent partir en camionnette vers le nord pour trouver des vagues.

Ma grande s’est fait une amie suédoise qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Un moniteur du surf surpris de les entendre parler en anglais leur a demandé d’où elles venaient. Ma fille a répondu : « de Lyon. » Ah ? Oui j’avais pas envie de dire que j’habite en Allemagne.

Ah revoir la mer et l’horizon ! Confisqués pendant toute une année ils ont l’attrait de l’attente et de l’interdiction. Au loin là-bas le Canada. (Salut Flo !)

Retrouvailles avec la famille de mon mari, échappés d’Angleterre ou de Normandie. Enfin ! Oui les enfants ont grandi. Et nous, non, nous on n’a pas changé. Vous non plus. (Si peu).

Beaucoup, beaucoup de monde pour un mois de juillet. Les Français ont renoncé aux voyages à l’étranger. Des motos de mer vrombissent. C’est nouveau ça ici. On devrait mettre un impôt sur le bruit produit.

Les cons d’astreinte se relaient pour emmerder les autres 24/7. Nous dans la catégorie bruit agaçant, on a pris le créneau de 7h à 10h et puis aussi de 10h à 21h. Gaïa, dans le jardin longé par une route, est redevenue sauvage. Elle aboie à tout ce qui roule. Elle saute par la fenêtre et fuit par le moindre interstice, pour chasser les chats et fureter près des poubelles. Le soir on la borde dans sa nouvelle niche anti-effraction. Les jeunes avinés dans la rue prennent le relais.

Ranger la maison. Balayer le sable. Vider le frigo.

Après une heure de Tétris avec la voiture, admettre sa défaite. Non, on ne pourra pas emporter tout notre stock de bouffe et de produits ménagers au savon de Marseille et le vinaigre blanc (oui c’est mon dada, en Allemagne on trouve de l’essence à diluer, je ne m’y fais pas).

Entasser tout le monde. La chienne grimpe dans son petit coin du coffre, couverture en mezzanine sur le confit de canard et le piment d’Espelette.

Pimientos del Padron et rougets

Cap sur Montpellier.

Le long des Pyrénées, sous leur chapeau de brume, il fait vert et frais. La polaire est à portée de main pour le pique-nique de midi. Melon et fromage de brebis. Dès Toulouse le paysage sèche et chauffe.  Traces rousses d’incendies sur les rives de l’autoroute. Bouchons. On avait cru être malins en ne voyageant pas le week-end.

Escale de rêve chez oncle et tante, au ras de la garrigue et des étoiles. La piscine a le goût du sel, le barbecue celui de la famille retrouvée. Ouf ça fait du bien. Rechargement exprès des batteries émotionnelles. Merci !

Pourquoi les piscines ont-elles la couleur artificielle de la glace au bubble-gum ? Celle que l’on vient de quitter ressemble à l’eau sauvage des rivières. Le fond est gris-blond, comme les galets.

Après des retrouvailles brèves, la séparation chavire. Quand nous reverrons nous ? Non, tiens conduis toi. Dans le virage, entre les lauriers roses, du dos de la main, j’essuie une larme.

Traversée de la Camargue.

Regardez les enfants ! Des chevaux blancs ! une rizière… Mon fils dort. Les filles regardent un film sur la tablette avec des écouteurs. Non mais là vous allez regarder, c’est la montagne sainte-Victoire ! Cézanne, patin-couffin… Un sourcil se lève, un œil se jette. Ah oui. Vite retrouver l’écran hypnotique. Je me gave de pinèdes et de panneaux familiers. Saint-Zacharie, regarde ! c’est le village de mon grand-père.

Hmmm.

De temps en temps j’ouvre la fenêtre pour m’enivrer de cigales. Que c’est beau la France, hein. Et tellement varié. Depuis ce matin le paysage a changé dix fois.

Côte d’Azur lacérée de béton et de bagnoles. Les palmiers salvateurs et les anciens hôtels me projettent dans les films des années 50. La main au collet. Elle et lui. Tu crois que Cary Grant est vraiment venu tourner ici ?

Cap Ferrat

Villefranche sur mer, notre nouvelle escale, chez des amis absents.

Vue à couper le souffle sur la rade et le cap Ferrat (oui, la montagne est belle monsieur Jean).

Télétravail avec vue sur mer.

Rencontrer un neveu tout neuf et sa maman, pour la première fois sans écran interposé. Retrouver des amis anglais en vadrouille dans leur camion reconverti. Ils ont traversé à Saint-Malo et quitté la côte atlantique pour passer quelques jours avec nous. (L’occasion de se rendre compte que les mots étrangers me viennent souvent en allemand. Mince alors !) Vous connaissez la tropézienne ? Pique-nique du soir sur des rochers qui coupent les orteils, mais avec les parfums des pins et des lentisques chauffés (pissaladière et tarte aux blettes). Pastèque qui dégouline sur le menton. Je casse une tige de perce pierre pour la respirer. Mon fils promène une application pour identifier les plantes. Comment, mais avec ta mère tu n’as rien appris ?! Non, on n’a jamais eu de jardin.

Le mouvement du soleil et des nuages décide de la couleur de la mer. Si je devais la peindre je choisirais quel ton ? Gris-bleu ? Blanc laiteux ? Rose ? La fin d’après-midi dévoile un bleu marine mordoré. Dans un paysage vivant, les détails s’offrent et se rétractent avec la respiration du monde. Je les accueille tôt dans une chaleur encore tolérable. Le café brûle les lèvres. La fauvette à tête noire, invisible dans le rideau des feuilles d’eucalyptus, déroule des trilles puissantes. (Son nom nous a été révélé par une autre application). Les yeux me piquent un peu. Je n’ai pas pu retenir mes larmes quand j’ai aperçu des draps dans le lave-linge. Mon fils est parti aux aurores prendre son train. Une cigale prend son service. De l’autre côté de la haie, une voix chantante appelle. Dans ce cocon méridional je fonds.

Retrouvailles, séparations.

Vider la maison. Remplir la voiture. Caser les chaussures de rando que l’on n’a pas touchées.

Autoroute. Bouchons. Pique-nique (tapenade, melon). Attraper une copine de Lyon sur le parking de la gare de Montélimar. Ça n’a pas bien changé depuis que j’y prenais mon car pour rentrer quand j’étais étudiante. Au passage du Rhône, je baisse la vitre pour humer l’air de mon Ardèche. Comme à chaque fois.

Quelque part…

Vider la voiture. Remplir la maison.

Tiens le rosier chinois est mort. Le Zéphirine Drouin aussi. Par contre les crocosmias sont magnifiques. Les pommiers croulent sous les pommes. Celui aux pommes vertes est un cadeau posthume de ma mère. Elle l’avait planté connaissant mon goût pour l’acidité des Granny Smith. Croquantes, à peine véreuses. Ma benjamine en rempli un sac qu’elle complète avec des nashis. L’âne et Gaïa ne sympathisent pas.

Baignades dans des rivières secrètes. J’assume moyen la plaque minéralogique allemande dans les coins paumés. Ma plus jeune a placé un Astrapi sur sa vitre pour signaler au monde qu’elle est française. (Ne pas confondre). On se gare au bord de la route, descend dans les arbres et les rochers en se tenant aux branches. Dans le maquis les squelettes des buis (mangés par les chenilles de la dévastatrice pyrale) sont plus discrets, avalés par leurs voisins. Par endroit sur les torrents des trous d’eau très profonds. Les filles sautent de haut. Moi je regarde d’en bas. Les pieds calés dans les rapides, l’eau puissante me masse les épaules. Désescalade dans les toboggans mouillés, où les rochers sont doux et lisses comme des galets géants. Viser les algues chevelues, antidérapantes. La première baignade de la journée est difficile, ensuite le corps s’habitue à la température. Libellules ivres. De petits poissons grignotent les peaux mortes des pieds immobiles.

Kayak, bien sûr, entre Balazuc et Ruoms. Une descente de l’Ardèche alternative pour éviter les foules sous le Pont d’Arc. La dame blonde chez qui on loue les bateaux s’enquiert : vous en avez déjà fait ? Je souris et lui glisse : je suis du coin ! (Ne pas confondre). Ah bon… Nom, âge, année du bac ? On a dû se croiser dans les couloirs du lycée !

Ce tronçon de rivière je ne l’avais jamais fait en bateau. Beaucoup de monde, pas trop d’eau, comme chaque année au mois d’août. On pousse quand ça racle. Tant pis, on n’a pas d’autre occasion de venir. Circuler sur l’eau entrouvre la porte d’un autre monde. Le vent nous pousse. Ça sent la rivière, le peuplier et parfois la vase. Les bâteaux sont stables mais si lourds. Ma plus jeune s’essaie au kayak et, après quelques zigzags, ne se débrouille pas trop mal.

Une toute petite grenouille se cache dans l’ombre de notre kayak échoué pour un casse-croute (caillettes, fromage de chèvre de chez Pascale au marché). Une maman canard et sa tribu s’envolent. Des aigrettes blanches conversent sur une île. La vie sauvage a l’air de s’accommoder du défilé d’embarcations multicolores.

Glissade-toboggan les bras en l’air pour passer le barrage de Ruoms. Un photographe est tapi dans l’ombre. Fatigue éblouie d’une journée de coups de pagaie entre arbres et falaises. Dans le minibus de retour, ça gratte moins que dans mon enfance. Les bateaux ne sont plus en laine de verre.

Allo les amis, on peut passer ? C’est curieux, les amis ardéchois, je ne les appelle que quand je suis dans leur périmètre. Comme à l’époque où téléphone international coutait les yeux de la tête. Le reste du temps on communique par mail. Merci à ceux qui m’ont parlé de ma mère. C’est si rare.

Retrouvailles. Séparations.

Chateau d’Aubenas

Les mains se tendent vers les premières mûres dans les fossés. Je fais de la confiture avec une cagette de myrtilles de pays (achetées chez le primeur). Les cenelles de l’aubépine commencent à rougir.

Vider la maison, remplir la voiture. Tu crois qu’il faudrait acheter une voiture plus grande ? Les enfants grandissent, et puis le chien…. Ses affaires prennent une place monstre.

Route vers Lyon. Je connais chaque virage par cœur. Tiens là j’ai vomi les tomates à la provençale en rentrant de chez mon grand-père. Les fenouils sauvages des fossés ne nous accompagnent pas longtemps.

Bouchons.

Lyon. Oh Lyon ! tu te souviens ! regarde c’est là votre école d’avant !

Lyon en touriste.

Poser la copine à la Croix Rousse. Manger dans le café d’une amie sur les pentes. Je savoure chaque instant. Tous ces endroits, tous les amis croisés ont l’évidence du quotidien. Pourtant ça fait deux ou trois ans que nous ne nous sommes pas vus. Librairie. Escapade en banlieue pour voir des amis. Diner avec mon grand – par hasard ici aussi. Nuit à l’hôtel à Lyon pour la première fois de ma vie. A la réceptionniste je demande : vous connaissez un bon restau de sushis ? (ça tourne vite. Avant le covid, j’avais donné rendez-vous à mon fils devant un restau disparu.) Rue des marronniers je demande à ma fille de prendre en photo la porte d’entrée de mon longement étudiant.

Poser ma grande, radieuse, chez des amis. Avec eux elle part camper une semaine, avec ses copines anglaises de Lyon. Elle nous a dit : No offence, mais j’en ai marre d’être avec vous.

Cap plein nord, comme tout le monde en ce samedi. (Pas avant d’avoir fait un p’tit tour à Monop. Quand ça s’éternisait au rayon adulte, ma plus jeune m’a dit : allez ça suffit, sinon je te confisque Monoprix !)

Autun

Escale à Autun, parce qu’on y a trouvé une chambre d’hôte de charme. Le charme c’est ce qui me manque le plus en Allemagne avec la variété et la spontanéité. Et ça ne s’envoie pas par la poste. Surprise de voir que la ville est jumelée avec Ingelheim, sur le Rhin à quelques kilomètres de Mainz. Découverte éblouie des ruelles anciennes de cette ville superbe. Je craque. Je demande à notre hôte si je peux y revenir une semaine.
L’âme de sa grande maison vibre d’art, de calme et de la spiritualité. Notre fenêtre, au premier étage d’un escalier à vis de pierre, donne sur un jardin de curé charmant et une église désaffectée. Coins et recoins. Passé dépassant. Aurais-je le courage et prendre les cinquante correspondances en train et car pour y retourner avec mon portable et mes cahiers pour avancer sur mon livre ?

Vite un tour au musée Rolin. Extra. Casse-croute dans un café. Accueil abrupt. Gaïa n’arrête pas d’aboyer. Oups.

Cette fois, on n’y coupe pas.

Sous la pluie nous programmons Mainz dans le GPS du téléphone. Au passage de la frontière, pas de contrôle. Mais ma plus jeune se met à pleurer. Ma gorge se serre. Heureuse de retrouver les copines allemandes, mais triste de quitter les françaises et mes paysages.  

Un ange gardien veille-t-il sur les cœurs en transit ? Un arc-en-ciel apparaît au bout de l’autoroute. Entre la frontière et Mainz, l’asphalte se prolonge dans l’élan d’un ruban coloré. Presque deux heures à se laisser guider par la lumière des gouttes de pluie.

Je veux croire que c’est de bon augure.

C’était vraiment bon ce tour de France. Vous nous manquiez. Nous n’avons pas pu voir tout le monde, ce sera pour une fois très prochaine. Un rapide coup d’œil aux infos locales nous rassure : pas de confinement prévu à court terme. Juste les élections.

Pour toute activité à l’intérieur la règle des 3G s’applique : genesen, geimpft, oder getest (immunisé, vacciné, ou testé). Je le vis plus sereinement. Maintenant je suis vaccinée.

(On n’a pas calculé nos kilomètres ;o))

(Aucun sponsor ne s’est immiscé.)

La Moselle au fil des vignes

Quelques jours de vacances sur les rives de la Moselle. Vignobles escarpés, villages de contes de fées. Un petit air de liberté au goût de glace à la fraise.

Avant la Moselle pour moi c’était un coin indécis du nord-est de la France : département ? région ? rivière ? Je n’y avais jamais mis les pieds et n’en avais pas envie. Même après trente ans à Lyon, mes vacances en France c’était partout sauf dans le nord-est et je situe le début du nord entre Valence et Vienne.

Maintenant que j’habite encore plus au nord, et que l’ancienne Moselle est au sud (vous suivez ?) je sais que c’est une rivière (ouf, et un département, oui). Elle prend sa source en France, traverse le Luxembourg et sillonne l’Allemagne jusqu’au Deutsches Eck à Koblenz où elle se jette dans le Rhin. Le décompte à rebours des 195 kilomètres depuis Trier (Trêves) est affiché sur la rive de ce cours d’eau international.

Nous l’avons aperçue la première fois lors de notre excursion au château d’Eltz (voir article : Burg Eltz). Même sous le soleil de mars, la vallée dégageait une impression sombre avec l’eau et le sol bruns, les arbres nus, les rochers de schiste et les toits d’ardoise.

La découverte de ses rives vantées par les guides touristiques faisait partie de nos plans de week-end depuis notre installation à Mainz. Notre première tentative était tombée à l’eau faute de place dans les hôtels convoités (ah cette manie de vouloir réserver deux semaines avant la date… ). Une maman de l’école m’avait raconté leur escapade familiale de quelques jours. Ça m’avait fait envie. Partis de Mainz en train avec leurs vélos à bord, ils avaient fait une rando itinérante entre les villages. Maintenant avec le chien, ça devient compliqué. Hélas.

Pour les vacances de Pentecôte, après la colo de cheval de nos filles nous avons décidé de partir au vert en famille. Pour assurer notre départ juste après la fin du confinement, et donc ne passer aucune frontière, nous avons mis le cap sur la Moselle. C’est le coin qui nous proposait le plus de dépaysement sans quitter le Rheinland-Pfalz. Nous sommes donc partis avec des tonnes de sacs (pourquoi ?), de quoi nous faire à manger pour 10 jours (au cas où les restaus restent inaccessibles) et la niche du chien (pliable) pour un gîte loué à Trittenheim, en amont de la partie touristique.

Beilstein

Après un pique-nique improvisé dans une forêt (où le muguet est sur la fin mais où un ravissant petit nid tombé nous a accueillis), nous nous garons à Beilstein. Ce petit village moyenâgeux préservé est niché au pied de parois de vignobles sous une ruine de château. Il fait beau et très chaud. (Le changement de météo a été soudain : quelques jours plus tôt c’était encore écharpe et blouson). Le parking le long de la route est presque plein. Nous grimpons à travers des vignes escarpées. On a pris par mégarde le chemin étroit des vignerons dans la terre et le schiste friable : la vue est plus dégagée que dans les ruelles, mais j’ai besoin de me concentrer sur mes pas pour ne pas céder au vertige.

La Moselle, le monorail

Un monorail digne du Space mountain serpente entre les ceps. Nous découvrirons le soir qu’il sert à tracter un chariot de type bobsleigh-de-fret pour descendre le raisin. Pas de terrasses comme en Ardèche. Les rangées de vignes parallèles plongent tout droit sur des pistes noires. Les vins de Moselle chers à Jacques Brel poussent sur des vignobles tout schuss.

Dans la cour intérieure de ce qui reste du château de Metternich (qui est une propriété privée) nous découvrons avec surprise que pour la première fois depuis des millions d’années, la terrasse du café est accessible sans test corona. Bonheur de se faire servir une eau gazeuse fraiche et un petit Apfelstrudel.

Les ruelles étroites de maisons à colombages serpentent autour de terrasses de café. La Marktplatz, place du marché, date du début du XIVème siècle. Partout les enseignes de vignerons proposent des dégustations. Nous préférons visiter l’église baroque de l’ancien couvent de carmélites, claire et fraîche. Les murs sont blancs, les hautes fenêtres sans vitraux et les décorations peintes de couleurs douces. Une bulle de lumière gaie. Devant nous, une pélerine de Saint-Jacques, sa coquille pendue au sac, se recueille à genoux. J’adore les églises vides. J’y fais le plein de paix. Là je dois garder un œil sur ma fille qui tente d’ouvrir la porte d’un confessionnal (pourquoi y’en a-t-il cinq ?). Mon mari garde le chien dehors. Nous visitons en alternance.

Redescente vers la voiture. La pélerine et une copine attendent le bac pour l’autre rive. Il coulisse le long d’un câble, comme celui que j’avais pris à Bâle avec Susanne mon amie allemande d’enfance (voir article : L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne). Nous rembarquons pour descendre à Tritterheim, en amont de la rivière (oui, encore une qui coule vers le nord).

Notre gite est au deuxième étage d’une maison au bord de la route (ça ne se voyait pas sur les photos), dans une exploitation viticole. Juste en face se dresse une arche construite en pierres et caisses de bouteilles de vin où le village salue ses visiteurs. Willkommen / Bis bald (bienvenue / à bientôt). Sur un des poteaux est affichée la photo d’une jeune femme élégante avec une couronne et un verre de blanc à la main : la dernière reine locale.  Elles sont choisies tous les deux ans semble-t-il à la fête du vin du village.

L’appartement bien équipé est extrêmement propre. Je mets la pression sur ma famille : il ne s’agit pas de rendre le logement en piteux état. On fait toujours attention, mais là, où nous louons pour la première fois en Allemagne chez l’habitant, il en va de notre honneur franco-anglais. Ma fille trépigne, avec un grand sourire elle demande à la propriétaire :

-On peut se baigner dans la Moselle ?

-Oh non. Y’a des algues qui grattent et des bateaux dangereux.

Elle fait la grimace. Comme nous tous. Zut ! Tant pis pour les maillots.

Péniche (si, si, au fond)

Par moment on aperçoit une péniche de marchandises qui navigue sur la rivière (moins imposantes que celles qui croisent sur le Rhin). Dans certains villages, de longs quais ont été bâtis pour les accueillir. Ce trait de béton droit sur la rive d’un cours d’eau tout en courbes, le contraste entre industrie et paysage bucolique sont insolites. L’extérieur des virages, érodé par le courant est escarpé, l’intérieur tout en douceur. Pas de canoé ni de kayak sauf dans un ou deux coins touristiques. Personne ne se baigne. Difficile de voir dans quel sens le courant coule, l’eau marron entre des rives vertes semble immobile, domptée par des barrages et écluses. La Moselle est un décor à ne pas toucher.

Je discute avec la propriétaire du gîte dans la cour, à bonne distance. Elle et son mari exploitent 3 ha de vignes autour de chez eux et un peu en face dans les pentes. Ils ont vendu les endroits les plus escarpés. Le travail en dévers est trop dur pour leurs articulations. C’est la raison pour laquelle leurs enfants ont renoncé à prendre la suite. Je ne sais pas comment ils font. Dans plusieurs vignobles j’aurais refusé de descendre autrement que sur les fesses. J’aurais même choisi de faire le tour. Elle me pose des questions sur notre famille polyglotte, me dit qu’elle ne pourrait pas travailler dans un bureau et me demande ce que je fais dans la vie. Je lui parle de mon écriture et lui donne l’adresse de mon blog. Elle le consultera grâce une application de traduction.

Trittenheim (à droite)

Rapide tour dans le village. Il s’étale à l’intérieur d’une ample boucle de la Moselle, à l’écart des destinations touristiques. Sur la plupart des maisons des enseignes invitent à acheter du vin (Weingut, Weinprobe, Winzer, Weinverkauf …) et presque toutes proposent des chambres à louer. 1000 habitants, 800 lits d’accueil, 50 exploitants (150 il y a quelques années). Le vignoble est très morcelé. Presque aucun magasin. Une poignée de restaurants dont un étoilé.

Notre premier jour est un jour férié (jeudi de Fronleichnam). La seule activité se concentre auprès de la mairie pour les tests du corona. La boulangerie est fermée. L’office de tourisme aussi. Nous achetons nos Brötchen frais à la station-service en face de chez nous, qui les cuit sur place.

Au départ en balade, nous longeons la Moselle et la prairie d’accueil des campings cars. Tout le long de la rivière s’égrènent des villages et autant de pelouses à camping-cars. Aucune tente. Les véhicules sont garés comme des œufs dans une boite, parallèles et assez serrés. Sous l’auvent, une table et des chaises. Sur le toit une parabole. Vue imprenable sur le camion du voisin. C’est parti pour les vacances au bord d’une rivière où on ne peut pas se baigner. Certains s’installent pour toute la belle saison. Nous n’avons encore trouvé aucun endroit où planter notre tente en Allemagne ailleurs que sur un parking. Moi qui pensais que le camping était un loisir de pleine nature. Faudra qu’on m’explique.

La tour de l’ancien passeur du bac

Deux tours carrées blanches de part et d’autre de l’eau m’intriguent. J’apprendrai qu’elles hébergeaient les passeurs du bac. Sur le pont, les filles portent Gaïa ; elle a la pétoche, voudrait s’éloigner des bords, et marcher au milieu de la route. Dans les vignes sur un rocher, un cadran solaire, et en grandes lettres Trittenheimer Apotheke (pharmacie de Trittenheim). Je me dis que ce doit être le sponsor du carré. Mon mari me dit que non. Il a lu que c’était une appellation du vin local.

Grimpette sur le chemin vers la Grillhütte.

A louer pour barbecues

C’est formidable ça. En Rheinland-Pfalz (et peut-être partout en Allemagne), chaque ville ou village dispose dans la forêt d’une cabane à barbecue et la loue à qui veut. En décembre 2019, la fête de Noël de la classe de ma benjamine avait été organisée dans celle de notre quartier, en pleine forêt, dans la nuit et sous la pluie. Extra ! Celle de Trittenheim est luxueuse. Longues tables et bancs sous des bouleaux, cabane fermée en cas de pluie, barbecue abrité un peu à l’écart. Toboggan, cage de football et toilettes. Le tout sur un grand pré calé contre la forêt, accessible en voiture pour apporter le matériel. Les troncs d’arbre portent des traces d’escalade.

Ça râle un peu dans notre sillage. Trop chaud, mal à la tête, quand est-ce qu’on rentre ? On mange une glace ? Ok une glace à la pizzeria au retour (on commandera derrière un monsieur qui prend 6 boules dans un pot, pour lui tout seul). A condition de pousser un peu pour aller voir la chapelle Saint-Laurent sur la crête dans les vignes. Toute blanche, elle est visible depuis la route. La grande croix, mémorial aux morts des deux guerres mondiales me met mal à l’aise. Il n’y a pas de hiérarchie dans les morts bien sûr. Mais je ne peux m’empêcher de penser : si certains avaient foutu la paix au monde… L’orage menace puis s’éloigne. Le dîner en terrasse s’approche.

Le restaurant où ma fille et mon mari ont réservé est charmant. Dans un village un peu en amont du nôtre, à une poignée de kilomètres de l’autre côté de la boucle de la Moselle. Il occupe le rez-de chaussée surélevé d’une grosse maison en bordure de rivière, avec vue sur les vignobles et la petite chapelle blanche. La serveuse nous explique qu’elle est lituanienne et que leur établissement rouvre le jour-même post confinement. Le chef est son mari et a gagné le championnat du monde de cuisine en Afrique du Sud.

Dans cette contrée viticole, nous devons être des clients décevants : je ne bois pas de vin et mon mari un verre. Par contre on mange. Gaspacho au poulpe, veau aux pommes de terre violettes et dessert glacé au pamplemousse. Le Flammkuchen de ma plus jeune est craquant et fondant comme il faut. Un délice. Premier repas en terrasse depuis fin août dans la lumière douce près de tilleuls aux fleurs non écloses. Partout du vert. Le bonheur.

Trier, Porta Nigra

Le troisième jour, nous avons décidé de visiter Trier (Trêves). Mon unique passage date d’il y a plus de trente ans. A dix-sept ans, j’étais alors en stage pour l’été chez Ikea à Cologne. Je logeais chez une amie américaine musicienne mariée à un Allemand. Un samedi nous avions pris le train pour découvrir la cité romaine, plus ancienne ville d’Allemagne. Je me souviens avoir eu très chaud et soif et de m’être ennuyée à arpenter de longues rues inintéressantes. La pause dans l’ombre de l’imposante Porta Nigra, vestige des remparts romains et symbole de la ville m’avait sauvée. Je ne le dis pas à mes filles. Peut-être que ça me plaira plus cette fois ?

Après une grosse demi-heure de route, nous arrivons dans la zone commerciale de Trier. Sur la droite on aperçoit les falaises rouge brique de la Moselle. Un panneau mentionne le jumelage avec Metz, à 100 km. On se gare dans un parking en étage. Direction la place du marché charmante avec ses maisons à colombages. Le centre piéton est bondé, les points de dépistage rapide du corona se signalent par de longues queues. Direction la cathédrale. Mon mari et moi visitons à tour de rôle, il faut garder Gaïa (Grrrr). Lorsque les cloches sonnent au-dessus de sa tête, elle se met à hurler comme un loup.

Trier, cathédrale

J’entre seule. Les styles sont variés, plutôt chargés. Les deux chœurs, un à chaque bout, désorientent un peu. Au fond, un escalier monte vers une chapelle réputée héberger la tunique du Christ. La foule s’agglutine devant un porche. Je me hâte. Une porte latérale s’ouvre sur un cloître gothique presque désert pour ma dose de paix du jour. Il donne sur la Liebfrauenkirche, (l’église Notre-Dame) elle aussi classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle est inaccessible car une messe est en cours. Dommage.

Les filles en ont déjà marre. Elles ont repéré sur notre carte la pub d’un restau mexicain. Nous nous installons pour croquer dans des fajitas brûlantes et dégoulinantes en terrasse. On sursaute chaque fois que Gaïa aboie, au passage d’un deux-roues. Lorsque le monsieur à quelques tables de nous allume son cigare et nous empeste, je me dis que pour une fois nous aussi on dérange le monde. Hé, hé. N’empêche, j’en suis fort gênée. Je préfère l’anonymat.

Trier, pont romain

Pas de musée, non la patience collective s’effiloche. On va tenter de voir les vestiges romains éparpillés, dont plusieurs sont aussi classés au patrimoine mondial. On serpente dans la foule jusqu’à des rues plus calmes, non piétonnes, et sans intérêt. Nous passons par hasard devant la maison natale de Karl Marx (belle maison bourgeoise…). Nous rasons les murs côté trottoir à l’ombre. Une allée couverte de marronniers en fleurs nous rafraichit. La chaleur et la lassitude me rappellent ma visite précédente. Arrivés au quai, la route à traverser a beaucoup de trop de voies. Les voitures filent sur le pont. T’es sûr que c’est ça le pont romain ? Quelques pas de côté pour en découvrir le profil. Sous le tablier de goudron, les piliers en pierres noires et briques rouges ont l’air antique. Respectable certes, mais peu respecté avec toute cette circulation. Décevant.

Maison natale de Karl Marx

Allons voir les thermes.

En quittant le quai, nous passons à côté d’une zone de fouilles archéologiques sans nous arrêter, avant de nous rendre compte qu’il s’agit des Barbarathermen (thermes de Sainte-Barbe). Retour sur nos pas pour emprunter la passerelle au-dessus des ruines. Beaucoup de murs de pierres sont couverts d’un toit au ras de leur hauteur (pour les protéger de l’érosion ? pour abriter les archéologues ?). Du coup, depuis la passerelle on ne voit pas grand-chose. Pas de vue d’ensemble : on est trop bas. Pas de compréhension de l’architecture : trop haut. Des panneaux expliquent qu’il y a deux piscines, dont une sous une des maisons voisines. On veut bien les croire. La photo aérienne de la sortie est plus claire. J’en connais qui préfèreraient se baigner dans une piscine avec de l’eau dedans (moi).

Allez courage les filles, par là on va voir d’autres thermes et l’amphithéâtre. Oui, oui, oui, on ira prendre une glace après. Pause pour boire sous les tilleuls verts de la promenade. Hydratation canine. Ça râle et ça traine. Avec mon mari on garde le cap. Nous essayons de montrer l’exemple et de motiver notre descendance à l’Histoire mais au fond on en a ras le bol aussi. Nous suivons une avenue sans charme hormis les arbres.

Nouveaux thermes, ceux de l’empereur. De l’extérieur, un vestige de grand mur. Pour entrer il faudrait contourner l’espace extérieur. On va faire l’impasse. Pareil sur l’amphithéâtre : il est encore trop loin le long de routes à forte circulation pour notre état de fatigue et la chaleur.

Sur le retour vers le centre-ville, nous reparlons de notre visite aux thermes romains de Bath en Angleterre. Rien à voir. D’abord ils sont très bien conservés (ceux de Trier ont été récupérés après un détournement d’usage et des destructions), mais ensuite leur pierre blonde est gaie. Ici les blocs semblent grossiers, la pierre triste. Rien à voir non plus avec ceux des vestiges romains du sud de la France aux pierres claires.

Cap sur le glacier. Ma grande fille a cessé de parler depuis un moment et tient la chienne en faisant son boulot d’ado (la tronche). Longue queue à la boutique près de la cathédrale pour une boule de glace à la fraise fraiche délicieuse (et une autre au citron, parce que bon…). Allez vite, un p’tit tour à la Porta Nigra et on s’en va.

Retour à la place du marché, toujours aussi charmante mais écrasée de soleil et de foule. Nous suivons une rue commerçante piétonne avant de voir la muraille noire en blocs grossiers. Son appellation date du XIème siècle : la noirceur n’est pas due à la pollution moderne. On lève la tête pour contempler. On passe sous les arcades dans une ambiance d’oubliettes en guettant les odeurs fétides. Non ça va. Là dans son ombre j’aperçois l’Estelle de 17 ans, lasse d’ennui et de chaleur. Mes impressions du jour sont les mêmes. Eh, copine d’il y a longtemps, tu me fais une petite place ?

Sans doute faudrait-il prendre le temps d’entrer dans les musées. Mais au niveau du tourisme familial rapide (avec un chien), c’est décevant. Ce que j’ai goûté ne me donne, à nouveau, pas envie de revenir.

Rentrés au gite, l’orage gronde. Ça me va bien j’adore les orages et à Mainz il n’y en a presque jamais, ils sont détournés par le coude du Rhin et le massif du Taunus. Sous la pluie torrentielle, nous allons commander des pizzas. Les boites en carton chaudes réchauffent les doigts mouillés.

Bernkastel

Le lendemain, quatrième jour, la motivation des troupes pour des excursions étant au plus bas, mon mari et moi partons seuls. Sans enfants, sans chien !!!  Direction un double village plus bas sur la rivière : Bernkastel-Kues. Heureusement que grâce au corona, les parkings à cars sont vides.

Kues, ancienne gare

Le centre du village tout en ruelles étroites, maisons à colombages antiques penchées les unes vers les autres pourrait être charmant. Mais les peintures trop neuves et clinquantes, les magasins de souvenirs trop nombreux agacent. Les façades blanches brillent, les colombages rouges reluisent. Nous apprécions de pouvoir marcher sans laisse au propre comme au figuré. On connaît la musique. Traversée du village, montée aux ruines du château, photos, descente. Il fait gris et frais. Les acacias dans la montée sentent bon et les marguerites sourient de partout.

Bernkastel

Au bout d’une ruelle on se trouve une place pour déjeuner dans un restau touristique mais correct. Steak de porc, crudités (soyons raisonnables, j’ai repéré dans la boulangerie un gâteau au fromage pour le gouter). Peu après, dans une rue plus haut, un macaron Michelin signale un établissement au nom français (La rôtisserie royale). Le menu sur l’ardoise est au même prix raisonnable que ce que nous venons de payer. Ce sera pour la prochaine fois.

A notre retour, l’appartement est vide et les clefs accrochées à l’entrée. Les filles sont parties se balader au bord de la rivière avec Gaïa en oubliant de les prendre. Elles ont dû râler… Tiens, une bosse sur un lit. Je soulève la couette : quelques sacs installés en longueur comme une personne endormie… Ah, ah. Personne sous les lits. Surprise : elles sortent toutes les deux de l’armoire, la chienne muette dans les bras.

Comme elles n’ont pas bougé de la journée elles réclament une sortie. Identification à la dernière minute d’un restau avec des places de libres. Il pleut ce sera donc dedans sous condition de réaliser un test Corona fourni par l’établissement. Soit. On procède aux gestes demandés (voir article : Je rêve d’avoir mal à l’épaule gauche). Wiener Schnitzel et truite meunière. (Ça se dit pareil en allemand : les meunières attrapaient-elles les truites dans le ruisseau de leur moulin ?). Dernière soirée, bon d’accord, on regarde un puis deux épisodes de Miranda calés sous la couette tous les quatre, Gaïa dans le bras de la grande. Le chef chez nous a dix ans.

Au moment du départ (gite bien rangé, oui, oui), nous échangeons à nouveau avec la propriétaire. Elle me parle de ses quatre niveaux de TVA et de la nécessité d’être digitalisé. Je lui pose quelques questions. Ça veut dire quoi Strausswirtschaft ? Ce sont les ‘‘troquets-bouquet’’, des vignerons qui ont le droit trois mois par an de vendre des bricoles à manger : fromage, charcuterie, pain. Ils étaient signalés avant par un bouquet (Strauss) devant la porte. En Bade-Wurtemberg ça se dit Besenwirtschaft, où c’était repéré par un balai.

Sur le chemin du retour nous avons encore deux étapes.

Bremm, au fond les vignobles à 65° de pente

Direction Bremm, dans une autre boucle de la Moselle, bourg endormi au pied de vignobles à 65° les plus pentus d’Europe. Le ciel est blanc. Les rochers et les toits sombres. Ma fille dit : « on dirait un village dans un livre d’histoires, là où vivent les enfants malheureux ». Au bout du chemin après l’église, la vue est superbe. Je m’en contente. Au-delà part un escalier pour une via ferrata à travers les vignes de Bremmer Calmont. Un panneau précise que c’est interdit aux personnes sujettes au vertige. Déjà au milieu de l’escalier la tête me tourne… 

Wiener Schnitzel et truite meunière en terrasse, au son d’une petite fontaine.

Cochem

Dernière étape Cochem, gros bourg touristique. Plus gros bourg que Bernkastel-Kues, avec collège et lycée et même une librairie au milieu des boutiques de vin et de souvenirs. Château de conte de fées en pierres noires sur un sommet de colline reconstruit au XIXème, maisons colorées en bord de rivière, rues étroites et maisons antiques à colombages. Devinez ? Glace, oui glace (fraise-rhubarbe). Montée au château. Photos, difficiles à prendre sur fond de ciel blanc.

Cochem, Marktplatz

Nostalgie de fin de vacances et de dimanche soir cumulées. Soudain on se souvient des devoirs à faire pour le lendemain, faudrait pas trainer. « T’inquiète maman c’est juste des révisions». Retour sous un ciel toujours blanc. Il fait presque froid.

La route est aussi belle qu’à l’aller. Dans les jardins, les rhododendrons sont en fleur, magnifiques. La terre doit être acide (terre de bruyère se dit Rhododendronerde, terre de rhododendron). Dans les bas-côtés le bleu des ancolies et lupins sauvages attire l’œil. Après quelques lacets très serrés pour quitter la vallée, nous retrouvons des champs, puis l’autoroute et des forêts d’éoliennes immobiles.

On écoute un CD de Cabin pressure qu’on connait par cœur mais qui nous fait toujours autant rire. Gaïa s’est habituée à la voiture. C’est de bon augure pour nos dizaines d’heures de route de cet été, quand nous pourrons enfin franchir des frontières.

Vous aussi maintenant vous avez envie d’une petite glace non ?

En Avril, reste dans ta coquille

Vacances de Pâques à la maison, comme à Noël, comme l’an dernier.

Ce n’est pas une surprise.

Chaque jour qui passait nous le confirmait. On allait encore être assignés à résidence aux vacances de Pâques. Privés de France et de dépaysement. La vaccination n’avance pas : les plus de 70 ans commencent à peine. Les communiqués du Minsitère de la Santé allemand misent tout sur les tests rapides, en précisant que seuls les résultats positifs sont sûrs, quand on a déjà des symptômes. Pour les négatifs, prière de prendre les précautions habituelles.

Pourtant, on a voulu y croire.

Nous avons réservé une colonie de cheval pour les filles. Elles se sont tellement régalées aux vacances d’automne, elles voulaient y retourner. Nous étions ravis de nous échapper en amoureux (bon presque, avec la chienne) dans une location sur la mer du Nord.

Les deux projets ont été impossibles. Bien sûr.

A Noël nous avions déjà réservé (puis annulé) un gîte en Forêt noire. Au cas où.

On a l’impression de faire un effort et de jouer le jeu du sacrifice à la pandémie : les vacances en Allemagne c’est pas notre premier choix. Mais sans frontière entre notre résidence et notre destination de congés peut-être pourrons-nous partir ? Oublions pour l’exercice que l’Allemagne est un pays fédéral et que les règles peuvent changer d’un Land à l’autre.

Un calcul naïf. Un mélange de déni, d’espoir, et d’ennui.

Si, si. Faisons comme si. Comme si tout était possible dans deux, trois mois. Réservons des vacances.  On y gagne une semaine d’évasion condensée en quelques minutes de clics.

Là regarde, ce sera bien ! Imagine les promenades dans les dunes de plages blanches ! Tu sens le sable qui glisse sous tes pieds nus et le vent dans tes cheveux ? Découvrir enfin la Wattenmeer, ces étendues immenses découvertes à marée basse comme dans la baie du Mont Saint-Michel ! Le gîte est dans une maison ancienne, sur un petit port où s’amarrent les bateaux de pêche à la crevette. Le phare rayé rouge et jaune se rejoint à pied dans les landes. On pourra peut-être prendre un ferry pour visiter le chapelet d’iles au large des côtes néerlandaises et allemandes. Ah, sentir la respiration de la mer. Voir l’horizon de près !

« On, pronom imbécile, mis pour celui qui l’emploie. » comme disait ma tante, institutrice en Provence. 

On a joué.

J’ai, tu as, il/elle a perdu.

On recommence.

Et les vacances de Pentecôte ? (Les vacances d’été commenceront mi-juillet : on a perdu les congés de février mais gagné cette coupure fin mai).

Nos corps vaccinés pourront s’échapper vers une grande braderie de destinations. Evadez-vous, y’en aura pas pour tout le monde ! Pour éviter les bouchons et la foule il faudra… rester en Allemagne, mais loin de la côte et des reliefs. A la maison quoi.

Non.

Pourtant, patientons avant de retomber dans le cycle fou de l’analyse de probabilités corrigées des données de vaccination et des destinations possibles sous conditions, suivi de la lecture du guide touristique un fluo à la main, puis du clic de réservation avec le petit mail de précaution (et si….).

Compte à rebours désenchanté. Déni jusqu’à la dernière minute. Colère.

Encore.

Là on a envie de dire des méchancetés à qui veut les entendre (et même à ceux qui ne le souhaitent pas), de faire payer à son entourage la monotonie des jours. De lui faire bouffer ce chien qui aboie de plus en plus. De vider un seau d’eau sur la tête des voisins qui passent leurs nuits de week-ends à boire de la vodka sur leur terrasse – c’est-à-dire sous nos fenêtres.

Quand on a vécu dans le grand nord de la Russie, le froid n’a pas de prise : ils font ça en toutes saisons. Un peu gênés et apeurés d’aller leur dire qu’ils nous emm… (c’est le monde à l’envers), nous avons sonné à leur porte. Monsieur a répondu avec le sourire : “Dites-nous sur le moment quand ça vous embête ! On ne veut pas que vous accumuliez de la rancoeur !” Bien sûr. Trop tard. Il n’y a rien de plus réceptif qu’un cerveau alcoolisé. Ils abdiquent toute responsabilité et nous transfèrent le rôle de cadrer leur comportement irrespectueux. Comme des gosses. Où sont les ”vrais” Allemands du quartier ? Ceux qui rappellent à leur prochain l’impératif de respecter les règles sociales et téléphonent à la police à 22h15 ? Dont le regard muet vous met au garde à vous ? Ceux qui installent des portes aux cagibis des poubelles pour que les immigrés franco-anglais du coin de la rue (nous) ne viennent plus y poser un petit sac de compost bien fermé. Ah ceux-là, quand on en a besoin….

Résignation.

Allez, il fait beau, on va pique-niquer. Les balades stimulent. On fait semblant de prendre l’air et on ramasse quelques miettes de dépaysement. Les alouettes égaient des champs monotones. Ça sent le miel et le chou. Des éoliennes dépassent au creux d’une forêt (c’est écolo mais qu’est-ce que c’est moche : ça ruine le côté sauvage de la campagne. Ici elles prolifèrent, peut-être pour se racheter une conscience d’abuser de l’électricité au charbon de la Ruhr ?)

Quelques poches d’épicéas verts résistent au milieu des squelettes de leurs confrères. Les sécheresses des derniers étés ont prélevé leur dû. Il faut enjamber des troncs à terre. Sous les conifères les flancs des collines ressemblent à des mikados géants. Les forestiers coupent, entassent, replantent des espèces résistantes à la nouvelle chaleur. Ça ne me surprend pas : j’ai toujours associé l’épicéa à l’altitude. Ici ils poussent (poussaient) en plaine. Quand j’en vois mon corps réprime un frisson inutile.

Puisque c’est la saison, plantons ! J’abreuve d’engrais les fleurs installées dans notre pauvre terre de remblais. Je sème et je repique. Inspirée par une amie dont les semis prospèrent je m’applique. D’habitude c’est free style. Incapable de résister, chaque année j’achète plein de sachets de graines. Je les éparpille dans tous les trous de terre libre. Puis je les oublie et j’espère… Un germe vert me comble jusqu’à ce qu’il s’étiole faute de soins précis. Seules les capucines et quelques cosmos pardonnent l’improvisation.

Cette année j’ai semé à l’intérieur des zinnias et des pois de senteur (ensemble par erreur), des soucis, de la bourrache aux étoiles bleues au gout de concombre, et des mufliers. Ils poussent à des vitesses très différentes. Les soucis s’étirent, les mufliers plantés quelques semaines plus tôt restent minuscules. J’ai éclairci patiemment. Ma pépinière de petits pots se tend vers la lumière. Comme dans les caves de champagne, je tourne mes protégés un peu chaque jour. Hier, encouragée par la chaleur, j’ai semé dehors, directement dans de gros pots, les capucines et les cosmos et une prairie fleurie. J’ai bien arrosé.

Bien sûr Gaïa aime fourrer son nez dans les pots. Que trouve-t-elle à y manger ? Elle rentre le museau plein de terre. Mes plantations semblent ravagées par de minuscules sangliers. Va falloir progresser en éducation canine si je veux donner une chance à mes fleurs.

L’info est tombée. La France aussi retourne à ses quatre murs. Ah on ne s’en lasse pas hein ?

Mon mari a repeint ceux du rez-de chaussée dont la propreté laissait à désirer. Moi j’ai passé l’aspirateur sur les murs (les araignées se sentent bien chez nous). La verticale ne m’arrête plus. Je suis toute folle : on a reçu les pièces détachées pour nos appareils électroménagers défectueux (aspirateur et lave-vaisselle) qui nous agaçaient à chaque utilisation. Le bonheur simple comme un coup de sonnette. Comme un morceau de plastique dans un emballage en carton.

Aujourd’hui vendredi saint, est férié. Les rayons oeufs des magasins du coin sont dévalisés. Au matin de Pâques les enfants allemands cherchent de vrais œufs colorés dans l’herbe. En prime bien sûr ils ont des chocolats et des petits cadeaux. Nous on est restés fidèles aux chocolats. C’est toxique pour les chiens. Où allons-nous les cacher ?

Dans l’actualité qui piétine, quelques changements rendent un bout de sourire. Les asperges locales ont fait leur apparition au marché. Encore chères, on attendra. L’ail des ours aussi (Bärlauch). Les cabanes de bois éphémères déguisées en fraises ont poussé sur les parkings. Même fermées, elles sont autant de promesses de renouveau gustatif. L’étalage de notre maraîcher compte beaucoup trop d’espèces de choux et de pommes de terre.

Nous avons fait notre première Grüne Sosse (sauce verte) du printemps. Cette spécialité de Francfort est cuisinée avec une quinzaine d’herbes fraîches (estragon, pimprenelle, bourrache, persil, ciboulette, oseille, cerfeuil…) hachées avec des œufs durs écrasés, une vinaigrette et un peu de crème liquide et de yaourt. Elle accompagne les pommes de terre ou la viande. C’est bon et ça fait faire un peu la grimace. Ça sent l’herbe fraîche coupée et le vinaigre. A la première cuillère, je me surprends à dire « Ça sent l’Allemagne ! ». Une touche de chou rouge mariné, de choucroute… Les Allemands aimeraient-ils bien l’acide ? Pourtant les cornichons (en français sur le bocal) que nous avons enfin finis hier étaient plus sucrés que piquants.

Le soleil s’est caché aujourd’hui, je vais devoir rentrer mon étendage. La météo annonce un plongeon vers des températures négatives et la neige. Fini l’été express.

Et maintenant on fait quoi ? On regarde pousser les graines ?

Allez, on réserve les vacances de Pentecôte. Il sera toujours temps de les annuler en fonction des informations-vaccinations-décisions. Alors les enfants on va où ?

Pour l’instant on ne sait pas encore. On encaisse la déception.

J’en reste là.

Je reste là.