Le hérisson de 22 h 15

Moments sourires de l’été avec une (énooorme) surprise à la fin

Bienvenue dans mon entre bleu, pardon, dans mon entre deux.

Un entre deux, comme je vous l’écrivais l’autre jour, entre vacances au bord de l’eau et rentrée à petits carreaux. Entre deux temps et trois vagues je flotte. Entre un avant et un après, dans la langueur de l’été, et l’attente perlée, inavouée. Celle de refiler mes filles à l’éducation nationale pour pouvoir prendre une grande inspiration, debout face à la fenêtre, et me repousser d’un coup de l’appui, en soufflant : « C’est maintenant ». L’attente de l’éclosion d’un projet de longue haleine, aboutissement de la métamorphose, craquement de la chrysalide, il va naître c’est pour bientôt, les premières contractions serrent la gorge et le ventre.

C’est maintenant.

Disons que c’est bientôt, la main tendue pourrait le toucher, mais, sait-on jamais quand il s’agit du futur : demain ou la semaine prochaine ne vont-ils pas me filer entre les doigts ? Ils coulent et s’échappent, à l’aval de ma rivière. En équilibre sur les galets de mon gué, mes amis fidèles, je m’accroche d’une main à la falaise avant de me propulser vers l’autre côté, sans balancier ni garde-corps, temps et respiration suspendus. Sur l’autre bord, l’après, je rejoindrai ce demain où j’ai rendez-vous.

Un rendez-vous secret, jusqu’à la fin de cet article.

Au fil de l’écriture, cet après-midi, il me semble que chaque mot me rapproche de la décision de briser le silence comme on brise avec un petit marteau rouge, la glace du bouton d’arrêt d’urgence dans un train. Ma main se tend vers l’outil, hésite et s’abaisse, puis, fascinée, se rapproche à nouveau. Dans ce cas, il s’agit plutôt d’un bouton de lancement, une manette qui libère le frein.

Nous verrons bien, vous et moi, ce que mes doigts décideront. Je leur laisse la main.

Voulez-vous bien me tendre la vôtre ? J’ai un peu peur.

En attendant, je voudrais vous raconter mes sourires de l’été, vous les prêter comme on confie des bocaux à la voisine qui fait des confitures d’abricot et se trouve à court, la louche fumante à la main. Tenez, mes pots dépareillés, aux couvercles en Vichy rouge et blanc ou parsemés de fleurettes jaunes et violettes, tenez, mes pots aux traces d’étiquettes mal décollées au lave-vaisselle, qui promettent encore, sur un verre vide, la mûre de 2019, la fraise ou la groseille de 2020 et le cassis de 2021. Tenez, remplissez-les. Ça peut toujours servir.

Ça peut toujours servir, un sourire.

Alors, asseyez-vous, je vous raconte.

Le noisetier

Un soir, dans ma chambre neuve, au placard béant encore inachevé, dans le tourbillon d’une installation en cours, entre le piano désaccordé par le déplacement et empoussiéré, un tas de vêtements et la couette inutile sur un fauteuil, j’ai découvert ma nouvelle perspective depuis l’oreiller. Une fenêtre à trois vantaux, au ras du sol extérieur, car la chambre est au rez-de-chaussée, au sol décaissé pour gagner un peu de hauteur de plafond dans l’ancien garage. La fenêtre ouvre sur un noisetier sauvage, poussé spontanément au bord du chemin, sans doute un garde-manger oublié des écureuils du voisinage. Il ne touchait pas encore les fils de l’étendage quand nous nous sommes installés, désormais il les dépasse, enfin, il les dépassera quand j’aurai retendu le fil de fer sur des poteaux repeints (en vert, y a comme une obsession côté couleur). Il va gêner c’est sûr, il va nous briser la vue sur l’étendue d’herbe qu’une rare tonte, manuelle et silencieuse, improvise pelouse.

Ce pré miniature m’enchante au printemps de violettes, primevères et pâquerettes, puis, en juin, de fraises des bois et à l’automne de cyclamens d’un rose violet. En ce moment, il somnole, sous les grillons, les moustiques tigres, et les rayons de soleil trop verticaux. Les fleurs sauvages renoncent, elles estivent. Au-delà de ce pré de poche, une haie de lauriers-tins, en bataille, une haie de bocages, non taillée, aux feuilles roussies, emmêlées d’un troène, d’un sureau en devenir, de pousses de micocouliers égarées, d’un rosier Lady Banks qui un jour, c’est sûr, il me l’a promis, fleurira de pompons blancs. Au-delà de notre rempart pour rire, celui des voisins, un grand lilas des Indes, un bouleau, le squelette de l’épicéa tronçonné pour cause de maladie. Un fouillis de verts, mobiles et frissonnants. Du vert, encore du vert. Revenons à ce soir-là, allongée sur mon lit, la fenêtre entr’ouverte, je n’ai pas éclairé la lampe de chevet, pour boire la tombée de la nuit encadrée par cette nouvelle fenêtre.

Une étoile, ou peut-être une planète, s’est allumée entre deux branches de lilas des Indes, et je l’ai regardée naître un instant, de longues secondes étirées en minutes. Dans le triangle de branches et de feuilles, elle a glissé. Bien sûr à chaque coucher ou lever de soleil ou de lune, on vit cette même expérience. Pourtant, ce point brillant minuscule, sur un fond qui s’assombrit, par sa dimension infinie, sa délicatesse, a transformé une tombée de nuit en instant sacré : j’ai vu la terre tourner.

Ceci n’est pas un hérisson

Autre moment où la respiration et les gestes s’interrompent pour ne pas déranger le mystère, la traversée du jardin sur le coup de 22 h 15 par un long hérisson. À son premier passage, lors d’un dîner avec des amis pour étrenner la terrasse (oui, ce jour inespéré a fini par arriver), occupée dans la cuisine, je l’ai raté. Le miracle avance à pas pressés. Au deuxième repas nocturne, avec des amis allemands de retour de la Méditerranée, j’étais là. Nous l’avons observé, muets et souriants, longer le mur, passer sous un carrelage incliné, et se cacher dans le bosquet. Ça farfouillait un peu plus loin dans les feuilles, des cousins à lui sans doute. Au moment de se dire au revoir, un jeune hérisson explorait en reniflant le mur du voisin. Ma fille a proposé de leur donner des noms de station de métro de Londres. Le hérisson de 22 h 15 s’appelle Baker Street en hommage à Sherlock Holmes. Le petit, je le baptise Pimlico.

Respirez le portail des vacances, en érable tout neuf. Chauffé par le soleil, il sent les crêpes du dimanche matin.

Goûtez les gaufres de la cahute de la plage. Au bout d’une semaine de gourmandises du soir, à l’heure où, dans notre jardin, sortent Covent Garden et Hammersmith, savourez le sourire de la vendeuse qui repousse la main qui tend un billet :

« Non, non, ce soir c’est cadeau, pour vous remercier de votre fidélité ».

Vraiment ? Notre gourmandise est-elle aussi peu discrète ?

« Oui, oui.

- Alors, merci beaucoup pour votre gentillesse. »

Merci, car ce ne doit pas être facile de travailler deux mois ainsi, à quatre dans à peine deux mètres carrés, encombrés de frigos et de congélateurs et de moules à gaufre (mille millions de mille sabords), le père, la mère, le fils et la fille, et la montagne de fraises Tagada. Le père était aussi entraîneur de rugby, mon mari lui achetait déjà des glaces à l’eau quand il était gamin. Ma plus jeune fille a confié au marchand la sélection des parfums de son cornet. Cassis, citron vert.

Observez sans bouger, le couple de huppes dans les pins, en smoking punk, marron clair et rayures noir et blanc. Prenez garde aux chutes de pommes de pin à moitié rongées que l’écureuil lâche, l’une après l’autre.

Enviez avec moi l’insouciance des adolescentes, qui dégustent leur glace en regardant passer les beaux garçons — à mes yeux de quinquagénaire, de grands bébés. Oh là là, il est si loin que ça le temps où tu étais à leur place, Estelle ?

Attrapez, mais oui, allez, personne ne vous regarde, attrapez à pleine main dans la casserole, le reste de pâtes froides, des penne Barilla, pour les jeter à la poubelle. La flemme de sortir une cuillère sert le délice de toucher et malaxer un peu cette texture inhabituelle.

Zut alors, je n’arrive pas à relire mes notes prises sur un bout de page à petits carreaux, à côté d’une liste de courses.

Sans notes, je me souviens du cours de yoga sur la plage à l’aube d’été c’est-à-dire à 9 heures, entre rafales, cris de goélands, ondées rafraîchissantes, et grains de sable sur le tapis. Les yeux fermés, assis en tailleur si vous n’avez pas mal au dos, sinon, à genoux comme moi (pas trop longtemps, sinon… ça fait mal aux genoux), entendez un touriste entré au milieu du cercle du cours, demander à la dizaine de visages recueillis de nanas, où se trouve la plage nord. Ce doit être le même égaré que celui qui, la veille, m’avait posé la même question alors que j’étais au téléphone, profitant sur la dune, à l’ombre d’un tamaris d’un coin qui captait. Interrompre la phrase d’une inconnue plutôt que de se fier à ses pieds et d’ouvrir les yeux. Elle est là, devant, à 50 mètres la plage nord.

Un sourire d’été en forme de séances de cinéma, avec ma fille pour Le comte de Monte-Cristo, (qui a été en partie tourné à côté de chez mon oncle et ma tante au château de l’Enguarran, bises à eux), avec mon mari pour Vice-Versa 2, tiède et convenu, mais comment être à la hauteur du premier opus ? À noter que dans la V.O. l’émotion Ennui a un accent français (joué par une des Adèle dont je ne me souviens jamais du nom de famille à consonance grecque). Pourquoi ? Les Français sont-ils blasés aux yeux des Américains ? Autre casse-tête d’adaptation culturelle, en allemand, l’émotion, Anxiety, Anxiété dans la V.F., s’appelle Zweifel (doute). Avec mon amie allemande le soir du hérisson, nous nous sommes interrogées. Le terme « anxiété », au sens de l’inquiétude et non du trouble psychologique désagréable, n’existe-t-il pas ?

J’ai aussi vu, aux côtés de ma plus jeune, de son amie et de leur baquet de popcorn bruyant, Moi, moche et méchant 4, au titre génial (meilleur que l’original Despicable me 4), pour les blagues des minions et la petite sieste au frais. Je passerai avec pudeur sur une erreur : la soirée Twisters dans une grande chaîne. J’aime les films catastrophes et je préfère les voir en V.O., mais pas au point d’un hold-up à la caisse : le ticket était plus de trois fois plus cher que dans notre cinéma local d’art et d’essai, dont la salle n’a rien à envier aux UGC et autres Pathé. Vive la culture subventionnée, et surtout, leur programmation. Hâte que leur trêve estivale s’achève.

Que penser du maillot brésilien de ma fille ? Des fous rires dans la cabine d’essayage, c’est toujours bon à prendre. La fille s’admire sous toutes les coutures (enfin, sous les quelques coutures) et la mère se gratte la tête, on ne voudrait pas être réac, coincée, frustrante. On ne voudrait pas être une mère comme ça. Pourtant, vraiment ? Tu crois ? Allez donc, madame, vous reprendrez bien une demi-fesse !

Un été en forme de gobelet bleu en plastique, qui résistera aux chutes, sur l’étagère de la salle de bains toute neuve, dans des tons de rose poudré, féminine et douce, que je découvre lors de son inauguration officielle. Une fille tend un fil entre les deux mains en guise de ruban, tandis que l’autre s’y reprend à plusieurs fois pour le couper, avec des ciseaux émoussés par trop de bricolages. Nous déclarons la salle de bains ouverte ! (Peut-être pourrais-tu trouver un gobelet moins bleu, non ?)

La lecture des heures durant sur un transat à enchaîner les romans apportés et ceux achetés sur place parce que la pile était déjà finie. Je vous ferai un petit compte rendu à la page dédiée.

Les guirlandes de fanions bleu blanc rouge dans le cœur du bourg pour la commémoration des 80 ans du massacre de 120 résistants au Fort de côte Lorette dans le sud des Monts du Lyonnais le 20 août 1944. J’irai ce week end aux cérémonies en mémoire de ceux qui ont fait le plus grand sacrifice. Un regard en arrière pour accueillir demain.

La satisfaction physique lorsqu’après une grosse pluie, les plus jeunes pousses d’une plante invasive, le raisin d’Amérique, se laissent arracher avec leur racine blanche pivotante. Les grandes hélas, refusent, renâclent, plient sans rompre. Jusqu’à cet été, nous n’en avions pas, le jardin du haut de la rue, si. Elle avance la vilaine.

Le combat contre le végétal me rassérène. Il offre des limites. Pour libérer un lilas de mon enfance de lianes de clématites sauvages, j’avais passé plusieurs heures à tirer, couper, arracher, débroussailler. Quelques jours plus tard, des cloques s’étaient formées sur l’intérieur d’un de mes genoux. Je ne sais comment en l’absence d’internet, nous avions compris qu’il s’agissait d’une agression due au suc de la clématite. Au Moyen âge, les mendiants l’utilisaient pour provoquer des blessures destinées à apitoyer les passants. J’aurais dû enfiler des gants pour arracher ces envahisseurs toxiques d’Amérique qui n’auront pas droit au compost.

Lys martagon

Aïe. Déjà.

Nous voilà rendus de l’autre côté de cet article. Mes doigts nus ont écrit ce qu’ils avaient sur le cœur. Ils pourraient encore retarder le moment de la terreur joyeuse, de l’annonce dont le sourire essaie de faire oublier des battements de cœur désordonnés, tellement sonores que, je suis sûre, de là où vous êtes, vous les entendez.

Chut. Calme-toi mon cœur. Écoute.

Coup de marteau.

Coup de marteau.

Coup de marteau.

Dans un froissement de velours grenat, le lourd rideau s’ouvre. Ça coince un peu à droite, un instant, avant de coulisser jusqu’au bout. Je retiens ma respiration et m’accroche au mur pour ne pas partir en courant, avant de vous le dire, d’une voix gaie et impatiente :

(La couverture n’est pas encore finalisée, sinon je vous aurais mis une photo, vous pensez bien ;o))

Un roman dans l’air du temps, dans l’air de mon temps, sur la difficulté de trouver sa juste place dans le monde. Un roman sur des thèmes très actuels, hélas, tant mieux. Le départ précipité de l’open space d’un gratte-ciel pour cause de burn out, et les aspérités de la vie qui ont provoqué cette évasion obligatoire. Des relations pas toujours bienveillantes, des maternités compliquées, des tremblements de vie violents ou tendres, comme des amours et des amitiés formidables, des passions révélées. Un roman sur la rencontre de soi, pour s’autoriser à être enfin. Un roman sur des émotions authentiques qui, je l’espère, vous touchera.

Pendant deux ans, tous les jours je me suis assise à mon bureau pour l’écrire. De longs mois et l’aide de trois amies, à qui j’adresse toute ma reconnaissance, ont été nécessaires pour le corriger. Maintenant que je le connais par cœur ce manuscrit, et que franchement je n’en peux plus de le relire, j’ouvre la porte de sa cage pour me consacrer aux besoins de l’éditeur pour le lancement.

Il va peut-être hésiter à s’envoler mon livre, quand on a été longtemps captif, la liberté effraie. Il ne m’appartient plus. Il s’est posé sur la branche de la précommande en ligne, et retrouvera les présentoirs de votre librairie préférée à compter du 3 octobre. Je vous le confie. Prenez-en soin.

Silence.

Salut maladroit, les mains dans le dos.

Sortie en coulisses.

Vertige

Derrière le rideau, les bras en l’air, en chantant et dansant sur place : youpi !

Alors, comment j’ai été ? Ça allait ce que j’ai dit ? Je peux reprendre ma respiration ou je file me cacher sous le lit jusqu’à la Saint-Glinglin ?

À suivre…

12 thoughts on “Le hérisson de 22 h 15

  1. J’attends le 3 octobre avec impatience.Je ne me suis jamais ennuyée en lisant Mainz alors.Je ne vais pas répéter ce que je t’ai déjà dit sinon tu vas penser que la vieillerie m’a touché le cerveau.Je suis sûre que ton roman remplacera le yoga que je ne fais plus.
    Big northwinds
    Dany

  2. Liebe Estelle, was für ein poetischer Text! Ich bewundere deine schöne Sprache, deine feine Wahrnehmung, deine Sanftheit und deinen leisen Humor – deine Geschichten bringen etwas in mir zum Klingen, ich bin immer wie verzaubert, wenn ich daraus auftauche.
    Herzlichen Glückwunsch zum Buch! Ich bin sicher, es wird ein Erfolg und ich freue mich so darauf, es zu lesen!
    Bises
    Christiane

    1. Wie nett von dir liebe Christiane!
      Die Tatsache, dass meine Worte dich berühren, gibt meinem Schreiben Sinn.
      Ich freue mich sehr über deine Nachricht und ich erlaube mir, sie unten für die Leser ins Französische zu übersetzen.
      Ich hoffe, mein Roman gefällt dir.
      Ganz liebe Grüsse,
      Estelle

      Traduction du si joli message de Christiane – Il est si gentil, je ne résiste pas :o)

      Chère Estelle, quel texte poétique ! J’admire ta belle langue, ta perception fine, ta douceur et ton humour discret – tes histoires font résonner quelque chose en moi, je suis toujours comme envoûtée lorsque j’en émerge.
      Toutes mes félicitations pour ce livre ! Je suis sûre qu’il sera un succès et j’ai tellement hâte de le lire !
      Bises

      1. T’as bien fait, merci Estelle! Et comme c’est toujours plus beau en français!
        Je suis persuadée que ton roman va me plaire et j’ai hâte de le lire!
        Bises
        Christiane

          1. Merci Hélène, c’est adorable.
            (J’espère que quand tu l’auras lu, tu penseras toujours que c’est un cadeau ;o))
            Bises
            Estelle

  3. Je me suis faite la même réflexion sur l’accent français dans la V.O du film d’animation quand je suis allée le voir avec mes filles. Mais comment donc nous perçoivent nos compères américains?

    Quelle jolie date le 3 octobre! Certainement un hasard mais quand même. Je te félicite pour ce grand saut. Je lirai ton roman avec grand intérêt.

  4. Quelle belle date en effet et je vais donc attendre (im)patiemment le 3 octobre moi aussi! Félicitations Estelle ! je suis très heureuse pour toi, vraiment, c’est une excellente nouvelle! Bises, Céline

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