L’école (2)

Fin octobre, le collège du quartier a ouvert ses portes aux familles candidates à l’inscription d’un de leurs enfants. Bientôt le CM2 (1ère classe du collège) pour notre dernière : nous avions donc coché ce samedi matin sur l’un des 10 (au moins) calendriers familiaux. Et à 8h30 nous étions assis dans les rangs de chaises du grand réfectoire, entre d’autres familles d’enfants de CM1. On gigote sur sa chaise, on guette une tête connue, on fait des coucous, attentifs, presque intimidés et curieux, pour la première rencontre de la matinée inscrite au programme : l’accueil.

Un accueil en fanfare, littéralement. L’orchestre de cuivres des classes musique a joué deux morceaux de jazz. Puis le club de danse acrobatique (Tanz und Turnen, soit danse et gym), qui rassemble plus de 150 jeunes (dont 149 filles) de tous les âges, nous a présenté un extrait de son spectacle, sur une musique du Greatest showman. Acrobaties sur la scène et dans les allées de l’audience, costumes travaillés. Notre grande était dans la troupe, là-bas vers la baie vitrée. Chorégraphie touchante et artistique, donnant une place à chacun, musique pathétique. J’ai senti des frissons me parcourir.

Comme il se doit dans ce genre d’exercice, le directeur et ses seconds ont prononcé chacun un discours. Rapides, sourires sympas, et regards complices. Puis les candidats de 9/10 ans se sont répartis dans des groupes en fonction de la couleur du bracelet qu’ils avaient choisi à l’arrivée. Chacune correspondait à un parcours de 4 cours d’essai pour la matinée. Emmenés par des lycéens, les petits CM1 pouvaient ainsi visiter le collège et ‘tester’ les cours qui les intéressaient.

Nous en avons profité pour redécouvrir la bibliothèque, le coin lecture (bibliothèque bis, équipée de poufs et canapés moelleux pour les pauses déjeuner), discuter avec des élèves de fin de collège sur les échanges linguistiques avec la France. Nous sommes charmés, même si nous y avons déjà un enfant et connaissons globalement l’établissement. Mon mari me chuchote : « On se croirait dans une ‘public school’ anglaise ! » Oui, sauf qu’ici c’est gratuit. Même les cours des AG (Arbeitsgemeinschaften, les clubs) de l’après-midi, de grande qualité.

Pays fédéral, en Allemagne chaque Land (ou région administrative) dispose de son propre programme scolaire, et il y a donc des Länder où le ‘niveau’ est estimé meilleur que dans d’autres. Globalement, le système des collèges allemands reste assez abscons pour un œil étranger.

Rappelons que les enfants passent quatre ans à la Grundschule, l’école primaire, en soi déjà exigeante. Toutes les matières sont notées, avec une importance égale (sport, musique, art compris). La participation orale, vivement encouragée, fait aussi l’objet d’une évaluation. A la fin du CM1 donc vers 9/10 ans, le système scolaire se différencie de façon complexe à l’issue d’une sélection drastique, impulsée par l’enseignant (qui a eu les enfants depuis 4 ans).

Quand j’ai appris cela mon sang français ascendant révolutionnaire n’a d’abord fait qu’un tour : « Quoi ? Ça se décide à 9 ans si un enfant peut faire des études longues ou non ? Et la majeure part de responsabilité du choix en incombe à une seule personne ? ».

En voyant de plus près comment cela est mis en place (et, il est vrai, une fois rassurée quant à l’intégration de mes filles dans le nouveau pays), je suis revenue sur ma première réaction. Toutes les personnalités ne trouvent elles pas mieux leur place dans une offre variée de pédagogies ?

Un système égalitaire, vertueux dans l’intention, ne devient-il pas presque totalitaire dans l’exécution lorsqu’il s’agit pour chacun de se contorsionner pour entrer dans des cases identiques ? Tout le monde fait pareil et rien ne dépasse, dans aucune direction. Ça écrase un peu non ? Ça concasse ? Tant pis, serrez-vous, et surtout taisez-vous. Pas trop de risque de découvrir des talents inexplorés de peintre ou de musicien, de jardinier, de gymnaste ou d’ébéniste. Si tout le monde doit être bon en maths, et que par nature tout le monde ne l’est pas – puisque tous les enfants sont différents – la solution n’est pas forcément de baisser le niveau d’exigence, mais peut-être plutôt de revoir le postulat. Qu’est-ce que l’égalité des chances ? L’accès à un même système pour tous (et tant pis pour ceux qui débordent des cases ou ne les remplissent pas) ou plutôt la chance d’une égalité de traitement en pouvant découvrir et développer ses talents propres ?

Les Allemands proposent une alternative intéressante au système français.

Pour faire simple, les meilleurs élèves (et les plus adaptés au système) vont au Gymnasium. Le Gymnasium c’est l’équivalent de notre collège et lycée généraux s’ils étaient sélectifs. (Nous avons reçu récemment la liste d’une douzaine de compétences exigées des enfants pour y postuler – hors résultats scolaires : organisation, capacité de concentration…). Si l’école primaire le recommande, il reste à choisir entre le G8 et le G9 (préparation de l’Abitur, équivalent du bac, en 8 ans en journées complètes, ou en 9 ans en demi-journées, comme avant la réforme) et entre les langues ou autres options proposées par les collèges.

Outre le Gymnasium, les élèves peuvent aller à la Gesamtschule, ou à la Realschule, pour des parcours moins élitistes ou plus vite professionnels, ou choisir des méthodes d’enseignement différentes type Waldorf. (J’ai sur mon bureau la liste remise par l’école de dizaines d’établissements rien que pour la ville de Mainz). Les instituteurs et les familles choisissent l’orientation et la pédagogie adaptées à la personnalité de chaque enfant. J’ai été surprise au début de constater que certains parents font des choix d’écoles et/ou de collèges différents pour chacun de leurs gosses. Réflexion faite c’est drôlement malin d’explorer les personnalités et de leur faire confiance (on y revient !). Comme les jeunes, très autonomes, font leurs trajets souvent seuls, la logistique quotidienne reste souple.

Retour à la visite du collège (un Gymnasium). En face de l’exposition sur le parcours ‘bilingue’ français, nous passons devant la salle qui présente le cursus pour enfants surdoués (une des particularités de ce collège). Au tableau défile une présentation muette, avec des courbes de Gauss illustrant la répartition de la population en fonction des résultats aux tests de QI. Un vieux réflexe de pudeur et de chasse aux sorcières franchouillarde me donne envie de fermer la porte de la classe en disant : « Attention, vous allez susciter des jalousies, de l’envie, des jugements, surtout de la part de ceux qui n’y connaissent rien (c’est-à-dire tout le monde). Il ne faut surtout pas montrer la différence ».

Mais dans ce couloir ensoleillé ce samedi matin chacun vaque à son affaire. Ceux qui le souhaitent vont se renseigner. Les autres vont poser des questions ailleurs sur des sujets qui les interpellent : classe musique ? Anglais ou français première langue ?

Après un Kaffee-Kuchen (café, gâteau), nous allons retrouver notre future collégienne au gymnase, qui doit être en pleine découverte du cours de sport. Sa sœur en collants noirs y faisait une démonstration de danse toute la matinée pour les nouveaux. Nous la cherchons des yeux sans la trouver. Mince, où s’est-elle cachée ? Je tends le bras : ‘’Regarde elle est là ! C’est elle là-haut ! ». Sa grande sœur et quatre de ses copines lui font faire un grand écart en altitude, portée à bout de bras. Elle nous lance un coup d’œil rapide et fier.

Et tant pis si le collège ne pratique pas le Hitzefrei (quand il fait très chaud l’été, les écoles renvoient les enfants à la maison en fin de matinée). Les dieux du thermomètre n’auront plus droit à la ‘danse de la chaleur’ de ma fille avec ses copines. Elle a en effet l’air ravie des options proposées par les AG pour ses futurs après-midis de collégienne : danser, escalader, ou faire des expériences. Nous sourions. L’intégration semble bien partie.

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