Avec son cimetière juif millénaire. Et puis aussi une histoire de foins coupés et de sable.
Vous le savez, je ne consulte plus les informations en ligne, ce vrac gratuit d’anecdotes sensationnelles. Je picore dans un hebdomadaire sérieux (the Economist de mon mari) les articles qui attirent mon regard (pas beaucoup). J’aime bien cependant recevoir la presse locale gratuite. Sur la boite aux lettres j’ai collé une étiquette : Bitte keine Werbung (pas de pub svp), mais je n’ai pas ajouté und kostenlose Zeitschriften (ni de journal gratuit). Je parcours le journal en 30 secondes et parfois j’apprends des choses sur l’actualité locale, comme l’existence d’un élevage d’abeilles municipal avec vente de miel et de bougies, ou l’inscription fin juillet de Mainz au patrimoine Mondial de l’Unesco.
Dès le Moyen Age, Mainz et deux autres villes impériales de la vallée du Rhin Spyer et Worms possédaient d’importantes communautés juives, parmi les plus anciennes du monde germanophone. Elles ont fortement influencé la culture ashkénaze en Europe centrale. On les appelle les villes SchUM, comme l’acronyme composé des premières lettres des noms hébreux d’origine latine : Sch pour S(ch)pira (Speyer), U pour Warmaisa (Worms) et M pour Magenza (Mainz). Un comité (en hébreu : Wa’ad SchUM) représentait leurs intérêts communs auprès du gouvernement. Le symbole en est l’ail (qui se dit schum en hébreu de la Bible).
La grande époque des SchUM se termine après quatre siècles, vers 1350 avec des massacres. Les grandes communautés sont remplacées par de plus petites à l’influence limitée.
Des vestiges millénaires témoignent de cette présence : à Spyer, les restes de la synagogue avec le bain rituel mikveh (XIIème siècle), à Worms et Mainz les cimetières juifs du XIème siècle, parmi les plus anciens du monde.
Je connais bien celui de Mainz, le Judensand (sable juif, par référence aux kleine et grosse Sand, champs de dunes en remontant vers les rives du Rhin) sur la Mombacher Strasse, en contrebas d’une colline. Il se cache derrière la gare, dans une zone d’activité, presque en face d’un magasin de beaux-arts. Il a été abandonné en 1880 avec l’ouverture d’un nouveau cimetière juif, adjacent à celui de la ville.
Au bord de la route, les tombes en grès rouge, chavirées dans une pelouse qui ondule sous les arbres ont un charme fou. A chaque passage, je me laisse entrainer dans leur mystère. Il me fait penser au vieux cimetière juif de Prague et aux anciennes tombes autour des églises de village en Angleterre. J’adore ces lieux spirituels hors du temps, unités de mesure de la vie humaine. En ce début d’automne, par temps gris et humide avec les premières feuilles jaunes tombées et le parfum d’humus, l’atmosphère est envoutante.
Enfermé dans un mur rehaussé d’un grillage, collé à la route à son bruit et ses émanations de pots d’échappement, il semblait à la fois protégé et délaissé.
Il semble qu’une page ait été tournée. Sans transition, le lieu sacré a glissé de l’anonymat à la célébrité. Le 27 juillet 2021, suite à un dépôt de candidature de 2012 de la ville de Worms, les « sites SchUM de Speyer, Worms et Mainz » ont été inscrits au Patrimoine Mondial de l’UNESCO.
J’ai dévoré l’article, illustré par la photo de personnalités politiques qui se félicitent (incroyable cette expression) et effectué des recherches sur Internet. A vélo sous la bruine, j’ai pédalé pour un reportage photo solitaire. Pas facile à faire derrière une barrière même en grimpant les escaliers qui longent le terrain.
Le portail est fermé à clef. Sur le grillage, a été accrochée une banderole violette. Un peu anachronique et décalée toute seule sous la pluie. Elle porte en lettres blanches : Mazel Tov ! Wir sind UNESCO Welterbe ! (nous sommes au patrimoine mondial de l’Unesco).
Sur le poteau de béton, un panneau bilingue donne quelques explications. Mon téléphone prend l’initiative de convertir le QR code de photo pour ouvrir le site web correspondant.
Un appel à projet a été lancé pour ériger un pavillon des visiteurs à l’entrée du cimetière. (Enfin !)
La communauté juive de Mainz est une des plus anciennes d’Europe. La synagogue construite en 1912 (déjà appelée ”nouvelle”) a été détruite lors de la Nuit de Cristal le 9 novembre 1938. Elle a été remplacée en 2010. Dans son environnement d’immeubles des années 50, le bâtiment surprend (il surprendrait n’import où en fait). L’architecture évite les angles droits. La façade est en céramique émaillée vert foncé. Mon mari et moi y avons assisté en 2019 à un concert de Noa (Letters to Bach : chansons composées sur la musique de Bach). Les escaliers en italique et les fenêtres biscornues donnent le mal de mer. Je tâcherai de vous retrouver une photo. L’architecte Manuel Herz de Köln s’est inspiré du design des cinq lettres du mot hébreu signifiant ‘’saint’’. L’entrée est gardée par les colonnes de pierre de la synagogue précédente.
J’ai mentionné plus haut, les dunes de Mainz. Ces champs de sable dans le coude du Rhin sont une particularité géologique protégée. Ils accueillent des espèces botaniques rares, datant du dernier âge glaciaire. Jusqu’à la semaine dernière je ne connaissais que le Grosse Sand (le Grand Sable), un des lieux de balade favori des Mayençais (Kein Durchgang : interdit de traverser la steppe centrale). En fait il y en a un autre plus bas : le kleine Sand, entre le grand et le Judensand (et sans doute plein sous les maisons du quartier). Une association de protection de la nature a fait, via les écoles, appel à des volontaires pour nettoyer ce bout de terrain. Sur le formulaire, nous avons coché : participera samedi, au grand dam de mes filles. On pensait qu’il s’agissait de ramasser les déchets.
En fait non. C’était une opération de sauvetage botanique. Les herbes avaient été coupées de façon sélective, en épargnant celles dont les graines mûrissent encore. Lors de mon échappée à vélo pour photographier le cimetière, j’avais prolongé la promenade entre les arbres et avait vu les jardiniers et leurs broussailleuses. Je savais que ce coin était spécial : une petite pancarte artisanale demandait d’éviter de le traverser pour épargner des plantes rares.
Les rangées de foin parallèles devaient être ramassées. Samedi, les bénévoles avaient apporté râteaux en quantité et benne. Il y avait tant de bras volontaires (200) que les missions ont été échelonnées. En petits groupes nous avons rempli puis trainé une bâche, jusqu’à la benne, ou des jeunes organisaient le dépôt de foin en une montagne stable. Il faisait beau et chaud (et soif). L’association en a profité pour nous éduquer. Un monsieur à barbe blanche sous un chapeau à large bords nous a présenté quelques spécimens (au nom latin terminé par arenaria -pousse dans le sable – j’ai oublié le reste). En particulier une graminée rigolote : la graine a une tige en tire-bouchon sur le dessus, que le vent redresse quand elle est à terre lui permettant de se planter. Au moment où le botaniste nous en a parlé, ma fille jouait déjà avec ces graines frisées.
Mainz est sur une zone frontière pour les migrations végétales : au sud de celles qui descendent des steppes glaciaires, à l’est de celles qui viennent de l’Atlantique. Au-delà c’est trop froid ou trop mouillé.
Des dames de l’association déterraient à la bêche les plantes invasives : des asperges (vestiges de l’occupation du terrain par des jardins) et des Schneebällchen que je ne connaissais pas. Ma fille oui. Les enfants récupèrent les graines blanches et les jettent sur le sol où elles éclatent.
Pour leur poser des questions je me suis approchée, en restant loin des bêches : rien que de les regarder mon dos crie. Les arbres fruitiers morts (lors des étés de canicules) ? Ils sont conservés comme hôtels à insectes. Je n’ai pas pensé à leur parler de la pyrale du buis arrivée cet été à Mainz, hélas. Je pensais que peut-être la latitude ne leur plaisait pas. Mais si. Les buis sont surtout dans les jardins ; les dégâts seront moins flagrants que dans la garrigue ardéchoise. N’empêche : cherchons prédateur d’urgence.
Autre actualité locale et nationale, bien sûr : les élections du parlement. Même ici vous n’y échapperez pas, sorry comme disent les Allemands (et les Anglais aussi, oui).
Bientôt Madame Merkel tirera sa révérence. Les rues fleurissent de pancartes électorales selon un code précis. Pendant six à sept semaines, les partis peuvent, dans les limites de proportionnalité et à des emplacement décidés par les municipalités, afficher les têtes de leurs candidats. (Imaginons la carte étalée sur la table du service dédié : sur ce réverbère oui, celui-là non.) Les mats sont harnachés de cartons bifaces, avec des photos de CV, buste de trois-quarts, visage de face. C’est moche, oui, mais comme disait Churchill, « la démocratie est le pire des régimes, à l’exception de tous les autres ». Mais au moins ils seront déposés dans la semaine suivant le scrutin. Aucun affichage sauvage ne s’effilochera pendant des mois sur les murs.
Les rues pourront retrouver leur anonymat silencieux.
Seul le cimetière en bas de la colline gardera sa banderole.