Vérité en deçà du Rhin, erreur au-delà

« C’est pas comme ça qu’on s’y prend ! » Ça, c’est la première remarque que je reçois de la prof de mon tout nouveau cours de modelage à la Volkshochschule (l’équivalent des MJC françaises) de Mainz. J’ai mis plusieurs mois avant d’enfin m’inscrire. Plusieurs mois pour mettre le gros de l’installation familiale dans notre nouveau pays derrière moi. Plusieurs mois avant de m’autoriser chaque semaine quelques heures de création et d’évasion.

Me voilà donc à mon premier cours en Allemagne. Mais la terre, ça fait 20 ans que je la travaille, dans des ateliers divers avec des artistes différents. C’est dire si cette réflexion m’a prise au dépourvu. Un peu intimidée, j’étais toute à mon bloc de terre, à me creuser la cervelle avec une pioche pour trouver de l’inspiration. Cette situation inédite envahissait mes sens et me coupait quelque peu l’élan créatif. Travailler la terre en allemand, avec des Allemands (enfin, surtout des Allemandes), et une prof allemande, dans un atelier dont j’avais tout à découvrir du mode de fonctionnement. Je suis arrivée en ayant peur d’être jugée. Alors cette remarque spontanée et sans arrière-pensée a appuyé là où il ne fallait pas. Je sais maintenant qu’elle était juste l’illustration du mode d’expression allemand : direct et sans fioritures.

Les mains sur l’argile fraîche et élastique, je refuse d’écouter la petite voix qui me demande ce que je fais ici. Celle qui me rappelle que je m’étais inscrite à ce cours pour me détendre et me propose de ranger mes outils … pour partir me détendre ailleurs.

La pièce doit être creuse pour sécher de façon homogène et limiter les risques à la cuisson à plus de 1000°C. Deux techniques permettent d’atteindre ce même résultat : modeler un bloc de terre et le creuser à la fin – ce que je fais. Ou monter des pièces creuses à partir de plaques d’argile étalées au rouleau – ce que font les autres ici, dont j’ai découvert peu à peu les superbes créations.

Je suis toujours ce cours, presque un an après. Les participants se connaissent depuis des années. L’ambiance autour des pains de terre de toutes les nuances de l’argile, du verre de Sekt (vin mousseux) et des petits gâteaux, fort sympathique. (Personnellement et contre l’attente de mes collègues allemands qui pensent que les Français boivent du vin à la moindre occasion, je reste au thé). Donc je regarde comment font les autres et j’apprends une autre technique. J’ai bravé ma réaction primaire initiale et je profite de ces différences pour tester des styles de modelage. Et parfois j’entends : « Fais voir comment tu fais… »

Autre mini-choc de cultures autour des médicaments, dont on pourrait penser que le marché européen pré-Brexit est commun. Nous avons découvert que certains, très utilisés en France, n’existent pas en Angleterre, et ne sont pas utilisés en Allemagne, mais disponibles en pharmacie. Ici le paracétamol 1000 mg est sur ordonnance – mais pas le 500 mg (franchement ?!). (Je ne m’étendrai pas ici sur les différences des systèmes médicaux, j’y consacrerai un article, le moment venu).

Côté CV, il a fallu s’adapter en apprenant le grand écart. Le Lebenslauf (littéralement parcours de vie) allemand est très exhaustif. Nom, prénom, âge, nombre et âge des enfants. Limite s’il ne faut pas l’album photo familial et le nom des animaux. En passant la frontière mon CV a doublé en longueur. Une candidature professionnelle prend la forme d’un dossier très complet avec diplômes et appréciations des précédents employeurs. C’est à double tranchant : une appréciation positive peut refléter l’impatience d’une entreprise à se débarrasser de qui ne fait pas l’affaire.

Autre grosse surprise administrative en arrivant : la déclaration de religion. Ce qui en France est strictement interdit, est devenu ici une obligation légale. Lors de notre arrivée dans le pays nous avons dû aller à la mairie nous faire enregistrer à notre nouvelle adresse. Cette démarche (l’Anmeldung) est obligatoire pour toute personne qui déménage, même pour habiter une maison trois numéros plus loin dans sa rue.  « Quelle est votre religion ? Catholique, protestante, autre ? » « Euh, aucune » (et je me retiens d’ajouter : CA NE VOUS REGARDE PAS !). Ouf nous l’avons échappé belle ! Dans le cas contraire on serait passé à la caisse : les croyants payent un impôt religieux.

De même pour inscrire les filles dans leurs écoles (publiques) nous avons dû choisir entre les cours de religion, catholique ou protestante, et éthique. Nous avons coché éthique (pour les non religieux). Personnellement je trouve que les cours sur les religions (ouverts et basés sur l’histoire et les grands principes humains) sont un enrichissement indispensable pour comprendre l’histoire de l’art et le monde. L’éthique devrait les aider à comprendre leur place dans la société. Notre plus jeune travaille en ce moment sur les sentiments et les relations.

Cependant, j’ai eu un moment de gros doute lorsque fraîchement débarquée en terre teutonne, je m’attelais à recouvrir les livres de cours de mes filles. J’en étais encore à penser que la plus grosse différence (la seule ?) avec la vie que je venais de quitter serait la langue (bon d’accord, avec l’alimentation).

Je feuillette le livre d’éthique de ma benjamine et en ouvrant une double page je reste sans voix. A gauche, le titre : « L’évolution » (ou quelque chose d’approchant), annonce un texte qui commence avec « Beaucoup de scientifiques pensent que …. ». En vis-à-vis, sur la page de droite, sous le titre générique : « Comment le monde a été créé », le texte débute avec « Le premier jour, Dieu créa… » et se contente de reproduire un passage de la Bible. Pas d’explications et surtout, surtout, aucune mise en perspective.

Nous élevons nos enfants de façon très scientifique et ils ont été présentés à Monsieur Darwin dès leur plus jeune âge. Mais pour éviter tout malentendu pédagogique j’en ai remis une couche. (Je vous épargnerai le contenu de mes interrogations et mes grommellements). En découpant le scotch : « Tu te souviens sur la Jurassic Coast en Angleterre quand tu as trouvé tous ces fossiles… »

Encore une fois, n’est-ce pas vraiment dans ces tous petits gestes du quotidien que l’on prend la vraie mesure des différences culturelles ?

PS : La sculpture de la photo est en argile rouge ; elle s’appelle Le secret.

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