Femme au bord (opposé) de la crise de nerf

Lockdown ”light” en Rhénanie-Palatinat ? N’empêche, ça fait râler !

Aujourd’hui c’est le premier dimanche de l’Avent. Noël approche avec bonheur. Les festivités ont été anticipées depuis début novembre, pour accélérer le ”lockdown light”. On a l’impression d’en être au troisième calendrier de l’Avent. Mais ça y est décembre approche !

Chais pas vous mais j’en ai marrrrrrrre de cet enfermement. Pourtant il est bien moins sévère qu’en France, où il vient d’être assoupli. Ici, il continue à l’identique ou presque. Le nombre de convives autorisés autour d’une table vient encore d’être abaissé. Mais on peut sortir à volonté. C’est quand même mieux que la quarantaine absolue à notre retour de France au début du mois.

Après deux semaines à la maison, j’ai craqué. J’ai craqué une heure avant de pouvoir sortir. J’ai hurlé que y’en avait ras le bol ! Vous m’avez peut-être entendue depuis votre cellule ?

Après le compte à rebours pour enfin sortir, j’ai lâché à 17 heures mon mari coincé par un coup de fil professionnel. Je ne pouvais attendre une minute de plus. Avec une grande inspiration, j’ai fait un rapide tour du quartier (pas grand changement, plus de feuilles par terre que dans les branches, et que la dernière fois que j’étais passée). J’ai enfourché mon vélo pour aller, dans le crépuscule, chez le maraicher acheter de la mâche, une salade pain de sucre palpitante et des épinards croquants, cueillis le jour-même le long du petit ruisseau du Gonsbach. Y’en avait marre des feuilles molles de la salade de supermarché. On se rabat sur ce qu’on peut contrôler. Sur la vie qu’on peut attraper.

Le nouveau confinement partiel a à peine quelques semaines : il semble déjà interminable. On est libre de nos mouvements, mais les destinations de loisirs sont éteintes. Musées, restaus, cafés, cinés, piscines et salles de sport sont fermés. Il reste les chemins mouillés, les arbres en tenue d’automne, les vignes arlequin sur les pentes et le courant du Rhin, sans limite de distance (au moins tant qu’on reste dans le même Land). Les copains ont été confisqués, posés sur une étagère trop haute. On se retrouvera un jour, quand…. Quand… je ne sais pas. J’allais écrire une échéance, je n’en ai pas.  Un par un ça va encore, c’est déjà ça. Tant que les écoles restent ouvertes… tant qu’on est en bonne santé, tant qu’on sait les siens en sécurité….

Non.

Ça ne suffit pas. Toutes ces privations quotidiennes, les inconsistances et incohérences, ces renonciations minuscules, et frustrations à répétition ça vous grignote la patience. Surtout sans avoir d’échéance. La récidive a la peau dure : elle nous a subtilisé le futur. Tu le vois, tu le vois, tu ne le vois plus (oui, avec Santa and co, on a reparlé d’Alain Chabat : mais si, c’est le même qui joue César dans Astérix et Cléopâtre). Nous tournons en rond autour de notre pieu. Mais on est grands, on a appris la leçon, on n’ira pas se jeter dans la gueule du loup. Même si notre longe nous étrangle.

Parfois on préfèrerait s’évader pour sentir le parfum des herbes sauvages et libres. Tant pis pour les crocs acérés au petit matin. Mais la loi et le Bureau de l’Ordre (Ordnungsamt) sont là pour nous protéger de nous-mêmes.

Voilà de quoi apprécier secrètement le désordre de notre côté de la porte d’entrée. (On ne dit pas porte de sortie pour une maison, ça n’a jamais été plus vrai). Pour l’instant tant qu’on n’invite personne on peut à peu près faire ce qu’on veut chez soi.

Le voisin l’a bien compris, hélas. Il exerce une profession liée aux fêtes. Donc en ce moment il trompe son ennui à coup de scie à métaux et de perceuse. Il refait sa terrasse grande comme un napperon en dentelle (on le sait on a la même) depuis deux mois. Deux mois. Avec la radio en fond. Heureusement dans une langue inconnue. Maintenant il s’attaque aussi à son intérieur et à nos nerfs. Et si on lui passait une petite commande histoire de le distraire ?

Côté bricolage, je ne me suis pas réinscrite à la VHS (Volkshochschule, équivalent de nos MJC) pour la série de cours de terre avant Noël. J’ai écrit à ma prof : désolée je serai absente pour cause de quarantaine, viel Spass (amusez-vous bien). Alors pour utiliser mes doigts ailleurs que sur ce clavier et créer en 3D, j’ai commandé de la laine. Pour au moins dix projets. J’en ai acheté chez deux fournisseurs différents (complémentaires). Depuis que j’ai commencé le premier pull, j’ai planqué les stocks pour éviter aux cartons pleins de me narguer.

Les brins de laine noire et duveteuse comme des fleurs de coton étaient invisibles sur des aiguilles bleu marine. Je piquais à l’aveugle en râlant. Mon tricot circulaire ne marchait pas comme je voulais : les mailles refusaient de remonter sur les aiguilles, le rond de se refermer. Maintenant j’ai fait au moins dix rangs, ça a l’air de marcher. Le projet prend (une) forme. Mais les aiguilles recommandées dans le patron (bien plus grosses que celles indiquées sur ma pelote) créent une succession de jours. J’ai l’impression de tricoter un filet. Ça fait beaucoup de tracas pour m’habiller avec des trous. Une tenue pour sortir les poubelles puisque c’est la grande aventure du moment ? Ou alors peut-être vais-je en rester là, et transformer ce début noir et poilu en sautoir new-age ? Je retournerai alors à mes bonnets…

En même temps, créer une chaine de jours… c’est plus qu’adapté… Pardon pour le jeu de mot pourri, je n’ai pas pu m’empêcher. Au moins je ne vous verrai pas, comme font mes enfants, lever les yeux au ciel.

Tiens, le ciel où est-il ? Le brouillard est tombé. Il fait blanc. Les maisons de la rue se distinguent comme à travers une eau laiteuse. Un enfermement de plus. Hop, vous avez pris un peu plus : privation de vue. Eh non ! sur mon bureau, j’ai des cartes postales de nos amis allemands photographes et éditeurs en Ardèche : un potager d’automne lumineux, le trou du Pont du Diable (idéal pour se baigner en eau fraiche et verte, et sauter de haut pour ceux qui ont le courage), en dessous des orgues basaltiques de Thueyts (puisque je suis ici, veuillez m’excuser un instant, j’adresse un salut amical à ma maîtresse de cours élémentaire). Sur le sable au fond de l’eau un amoureux amphibie a écrit avec des cailloux un message à sa douce. Du soleil, des rivières et du ciel ardéchois j’en ai tout plein. Et toc. ( A vous de ne pas voir la langue tirée au brouillard allemand).

Pourtant il est bien intentionné ce brouillard avec son froid humide. Il encourage à rester chez soi, à éviter les covideries.

De toutes façons les sorties me semblent toujours conditionnelles. Les deux semaines de privation de liberté m’ont marquée au-delà de la date limite. Mon bras a toujours une hésitation au moment de saisir mon sac et ma veste. Ai-je le droit ? Pas besoin de bracelet électronique, le conditionnement a fait son œuvre. L’autre jour en sortant faire un tour de pâté hygiénique (le tour, pas le pâté), j’étais toute surprise et émerveillée de pouvoir marcher dehors, vers une destination de mon choix (plutôt vers la droite ou vers la gauche le tour de 5 minutes ?), comme si j’étais libre.

Dans la limite des conditions imposées.

Même les plantes font partie du dispositif de sécurité. Quand un livreur a sonné, faute de trouver les clefs rapidement pour lui ouvrir, j’ai voulu sortir par la porte fenêtre adjacente. Je n’ai pas pu. Des plantes grasses épineuses gardaient le bas. Les vrilles de la vigne entortillées aux montants du store m’ont retenue plus haut. Les lianes échappées de chez le voisin nous emmaillotent. Ce week-end, dans son grand ménage de confinement, il a taillé sa vigne. Pas de vent et pourtant d’un coup les arbustes de l’entrée se sont secoués. Une à une les guirlandes dorées se sont affaissées. Elles me manquent.

J’ai détortillé une à une les vrilles encore accrochées. Qui d’elles ou de moi libérait l’autre ?

Prenez soin de vous avant de craaaaaquer ! ;o)

PS : Je m’étais plantée : il fallait tricoter en double. J’ai recommencé le pull, et depuis je l’ai fini. Trop large, trop court, il est top à la mode pour ma jeune fille :o). La prochaine fois je ferai un échantillon…

PPS : J’écoute Queen : I want to break free ….

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