Animaux sur canapé

Assiégée par la pluie, l’IA et beaucoup trop de questions

Off, Gaïa, off!

Oui, notre chienne parle anglais. Preuve si besoin était, que je la subis plus que je ne m’en occupe. Les animaux, je les aime dans leur habitat naturel, dehors donc. Dans notre espace de vie chaotique et rétréci, les poils, la boue des pattes mouillées de Gaïa et ses aboiements exacerbés par les allers-retours constants des artisans dans notre maison exaspèrent encore plus.

Come on, Gaïa, off!

-Tu vois, depuis que le canapé est en bas, elle a repris ses mauvaises habitudes et se couche dessus. Hier, j’ai été obligée de lui demander de descendre à quatre reprises.

À quatre reprises lors d’un passage éclair pour avaler un curry de poulet de mon ami Picard. Le plombier nous a confié en riant tout à l’heure que lorsque, le même jour, il est venu vérifier les radiateurs, elle était étalée sur les coussins et ne s’est même pas réveillée. À l’issue de notre réunion de chantier, l’architecte nous a félicités pour notre rangement avant de s’enquérir :

-Et vos petites bêtes elles sont où ?

Les gerbilles.

-Sur le canapé, en haut.

-…

-Comme Gaïa. Nous faisons une jolie maison et les canapés sont annexés par les animaux.

Soupir résigné.

(Quelle est l’espérance de vie d’un chien déjà ?)

Oui, ne hurlez pas, je le sais : il n’est pas admis d’avouer qu’on n’aime pas vivre en compagnie d’animaux. À mon sens, c’est aussi aberrant que si nous allions nous installer au fond du terrier d’un lièvre, ou dans le nid d’un rouge-gorge. D’ailleurs, Gaïa, chienne rescapée par une association allemande dans un sous-bois roumain, est plus sauvage que domestique. Elle passe sa journée à chaparder de la nourriture (le délicieux gâteau de ma fille a disparu ainsi lundi), et se creuse des repaires dans la terre sous les haies. Chaque espèce a un environnement adapté à ses besoins. Nous tentons de créer le nôtre.

Parce que les chambres des trois enfants doivent maintenant être refaites, nous les avons vidées complètement, et entreposé leurs trésors dans la seule pièce à peu près épargnée par les coups de marteau et de pinceau. Mon garçon étudiant vit, heureusement pour lui, en colocation. Sa chambre-bureau-animalerie-bibliothèque-lingerie-débarras exhibe désormais sans pudeur les moutons accumulés. Les filles sont délocalisées avec leur matelas, pour l’une dans l’atelier entre les sacs de stocks de nourriture et de vaisselle, les chaussures de randonnée et les boites de laine et de tissus, et pour l’autre entre le canapé et mon bureau provisoire dans le nouveau salon. Pendant trois jours, le week-end et le premier mai, nous avons démonté, tiré, poussé, porté, monté, descendu, remonté, entreposé, pour les donner aux voisins, des lits trop petits, déplacé des étagères Billy trop nombreuses, toussé dans la poussière, charrié des quintaux de bouquins.

En décollant ses photos et affiches de la vieille tapisserie au mur de sa chambre, ma grande a soufflé entre les dents, la tête penchée :

-Encore déménager. J’en ai marre.

Partir en Allemagne, revenir à Lyon et aménager en haut, s’installer maintenant en bas, pour bientôt remonter. Sans changer d’adresse, nous déménageons encore. Certaines étagères auront connu toutes les pièces de la maison. Que de manutention et d’objets inutilisés et pourtant déplacés ! J’ai envie d’appeler Emmaüs : bienvenue, venez, servez-vous. Ne laissez que les lits, les bureaux et une poignée de livres. Ah oui, et les canapés, pour les animaux.

Les gerbilles et la chienne sont bien traitées chez nous. Les plantes aussi. Nous avons commencé l’élevage de champignons.

La cuisine, où nous campons en attendant l’installation des meubles, est donc verte d’une jolie nuance sauge ou olivier, « ça fait anglais », nous a dit le peintre. Nous lui avons demandé deux échantillons, et après quelques semaines, la teinte choisie nous plait toujours, à toutes les heures du jour et de la soirée, par toutes les météos. Heureusement, car ces derniers jours, le vert s’est plu (ah, ah) et s’est multiplié. Il pousse sur les linteaux intérieurs des fenêtres en tâches inégales et arrondies de dégradés vert-de-gris comme des lichens sur un rocher de granit. J’aime la nature, vous le savez, et je la laisse volontiers envahir mon intérieur, surtout quand elle est végétale plutôt qu’animale. Mais je préfère quand elle passe par la porte.

Notre nouvel espace de vie est au rez-de-chaussée, et même quelques marches en dessous du niveau du sol. Cela nous permet de profiter à l’arrière, côté baie vitrée, d’une terrasse en contrebas de notre forêt de poche, et côté rue, d’un jardin mutilé et de la bouille de Gaïa au niveau de la nôtre ou presque, quand elle pose ses pattes sur le rebord des fenêtres.

Il a beaucoup plu ces derniers jours, ça n’a échappé à personne. En passant le pont de la Guillotière hier de retour de l’atelier de poterie, le Rhône roulait les mécaniques, torrent monstrueux de boue marron aux courants violents. Je venais de poursuivre le modelage, commencé avant les vacances, d’une petite fille qui tient des deux mains sa robe pour ne pas la mouiller et regarde ses pieds enfoncés dans l’eau d’un bord de rivière. J’ai hâté le pas.

Dimanche pour notre premier matin dans la nouvelle salle à manger, en bas donc, après une nuit à écouter la pluie murmurer, en préparant le café sur un guéridon de jardin d’un vert délavé, le désastre nous a sauté aux yeux : des gouttes coulaient le long de la fenêtre, à l’intérieur.

Ce n’était pas tout à fait une surprise. Les linteaux avaient déjà suinté et des mesures palliatives avaient été prises avant que l’isolation de la façade soit faite. Donc, dimanche matin, branlebas de combat et texto à l’architecte : nous sommes assiégés par l’eau, il pleut dedans et la terrasse est devenue une piscine.

Les gouttes se sont multipliées et ont détrempé le placoplâtre. Passons sur les différentes actions correctives menées depuis. Il a plu cette nuit, difficile de savoir si nos lichens, qui ont le bon goût d’être dans des tons assortis aux murs, ont proliféré. Le plafond ne semble pas dégouliner. Ce matin, le soleil éclabousse notre chaos de lauriers déterrés et cet après-midi, il jouera avec la marre, pardon, la mare de la terrasse. Notre pisciculture est en bonne voie. Bientôt, nous élèverons des têtards et, hélas, des moustiques-tigres.

Pour déplacer nos biens, nous avons réquisitionné des mains et des dos jeunes. Ma benjamine a enfilé un casque afin de se donner du cœur à l’ouvrage. Elle chante dans le futur, les pièces en rénovation, pour tester l’acoustique, l’écho du vide. Elle a un objet à réparer.

-Où est la colle forte ?

-Sur l’étagère en haut, en bas.

Il est difficile de se repérer dans un espace en mutation. Les gestes de la main permettent de déchiffrer cette dernière réponse.

Marguerites et sauges épargnées par la tonte

-Ici ?

-Non dans le salon. Enfin, l’ancien salon. Sur l’étagère où se trouve la peinture.

Enfin, là où elle se trouve toujours j’espère.

-Tu sais, dans ce qui sera un jour mon bureau.

Les Billy Ikea achetés en urgence en arrivant à Mainz, et montés grâce à l’aide précieuse de copains de Lyon (amis originaires de Mainz – ganz liebe Grüsse) ont tenu bon. Ils viennent de vivre un nouveau déménagement sur place avant de trouver leur place définitive. Pourquoi gardons-nous tant de livres ? Avant de partir en Allemagne, plusieurs sacs-cabas sont partis pour la foire aux livres de l’école. Il faudrait recommencer, mais ce n’est jamais le bon moment pour trier. Aujourd’hui l’enjeu est de respecter la date butoir, veille de l’abattage de cloisons, demain donc.

Voilà plusieurs jours que je veux vous écrire : une main dans le dos me pousse, une autre retient mes doigts sur le clavier, et parfois même m’en éloigne. Les excuses foisonnent : il faut que j’aille à la poste, le marteau du plâtrier fait trop de bruit, mon ordinateur paresse, il est temps d’en changer, regarde Word ne répond pas, oui, encore, oui. Il faudrait que je m’attèle au marketing de ma microentreprise. Tous ces prétextes sont véridiques et valables. Certains ne disparaitront jamais (ne faut-il pas toujours retourner à la poste ?), d’autres s’étioleront avant de disparaitre. Le plus gros obstacle cependant, c’est moi. Moi qui m’interdis de soûler mes lecteurs avec mes histoires de travaux qui conditionnent tous nos faits et gestes pour encore quelques mois, et surtout d’aborder les sujets majeurs qui m’occupent et me préoccupent. Coincée.

Une amie avec qui je déjeunais en mars et que je n’avais pas revue depuis plusieurs mois m’a raconté :

-Tu sais, ma fille, elle a changé de travail. Elle s’est installée avec son chéri.

-Oh, super, je ne savais pas.

-Non c’est vrai. Moi je suis au courant des événements de votre vie, car je lis ton blog.

Ça m’a fait sourire et réfléchir.

Oui recevoir des nouvelles de mes amis et de mes lecteurs me fait toujours plaisir, et oui je partage en ligne des anecdotes de mon quotidien, quand elles ouvrent sur des réflexions plus larges ou des traits d’humour. Contrairement aux apparences, je ne raconte pas ma vie : je ne dépose ici que les couleurs de mes jours en pointillés, des tâches spontanées dans lesquelles je déchiffre des formes. (Oui comme les moisissures de mes linteaux.) Le contour, le dessin, la trame relèvent de mon intimité et le contexte global de ces histoires reste privé.

Je ne crains plus la vulnérabilité depuis que j’ai compris que c’est ce qui rendait mes interlocuteurs attachants et me permettait de créer du lien, comme le personnage de la tristesse dans le dessin animé de Pixar Inside Out (Vice Versa). Les superhéros, les personnalités cachées derrière un CV ne m’intéressent pas et me font fuir. Un profil LinkedIn sur pattes (à chaussures pointues) c’est froid et repoussant, car ça sonne faux. Les émotions et les sentiments naissent dans l’authenticité et l’imperfection. Je laisse bien volontiers aux Narcisse leurs miroirs déformants et accepte la transparence de la fenêtre, même faufilée de traces de plâtre dégouliné. Dans la limite où cela ne porte préjudice à personne.

Cette remarque que je muris donc depuis le mois de mars m’amène à un autre sujet en gestation depuis plusieurs années, déjà abordé aux débuts de ce blog (voir article Racines nues) : la question de l’identité et du lieu de vie. Où suis-je le plus « moi » ?

Arbre aux mouchoirs

Ce week-end, en remplissant mes sacs, en soufflant pour les descendre sans me casser le dos, en replaçant les piles sur les étagères en essayant de respecter la logique dans laquelle elles avaient été placées (livres à lire, livres sur l’écriture, polars, feel-good books, livres en français, livres en allemand, livres de jardin et de recettes), je me demandais : à quoi bon les garder ? Ceux qui sont lus ne le seront sans doute pas à nouveau, les autres ont peut-être dépassé le moment idéal pour les lire. Une pièce sans livres, sans les murmures silencieux de leurs auteurs, n’a pas d’âme. Mais pourquoi en garder autant pour les déplacer sans arrêt ? Comment ferais-je quand j’irai en maison de retraite (oui, je vois loin) ? Et le jour venu comment survivre au tri de ma maison familiale en Ardèche et à celle de mon mari à Londres, gestes crève-cœur, peut-être libérateurs ?

Que de questions sans réponse, que je dépose à vos yeux, sur le canapé ! Tenez, en voilà d’autres.

Je m’installe enfin chez moi et m’interroge, tiraillée entre une grande conscience de ma mortalité, et les traces du passé retenues comme des talismans. Puis-je me sentir chez moi dans une maison sans souvenirs ? Dans un lieu où les hasards m’ont posée ? Où je ne suis pas née ? Peut-on renaître ailleurs ? Mes souvenirs existent-ils sans médiateurs ? Mon enfance sans la maison qui l’a protégée ? Celle de mes enfants, privés de demeure pérenne, sans leurs dessins immenses et colorés enroulés tenus par des élastiques et leurs bricolages de carton dont le scotch cède ?

Une chose est sûre, je pourrais donner (la plupart) des romans, mais pas me séparer des albums jeunesse. J’ai les miens et ceux de mes trois enfants, entreposés en Ardèche et je ne sais où, objets de papier, promis comme nous à la poussière. Je garde précieusement ces fleurs sauvages de mon herbier intime, car enfermés entre leurs pages cornées à l’odeur de vieux murs, chahutent encore des rires et des câlins, et des chatouilles sous les pieds minuscules d’un baby gros.

Certains lieux sont associés à des êtres, et réciproquement. La vue d’un paysage familier, machine à voyager dans le temps, nous plonge dans un instantané en noir et blanc. En contemplant depuis un col, les crêtes violettes des collines de mon Ardèche, j’ai cinq ans, au sommet d’un toboggan et mon petit amoureux David, vient de me les indiquer du doigt et profite de ma tête qui se tourne pour poser un bisou sur ma joue. Sous les platanes du quai Augagneur à Lyon j’ai vingt-six ans et l’hôtel-Dieu en face est encore un hôpital noir de pollution. Rue Mortier, où je suis passée hier, je marche à tâtons derrière ma première grossesse, sans la main rassurante d’une future grand-mère. Au deuxième étage d’un escalier de pierre, j’ai traversé, émue le seuil de l’appartement, pour la première fois, mon bébé dans les bras. Il y a eu un autre seuil, lui aussi vendu, pour deux autres bébés, avec un autre papa.

Mes souvenirs vont-ils disparaitre lorsque le camion d’Emmaüs disparaitra au coin de la rue ? Vais-je lui courir après en paniquant ? Quand vais-je cesser de me chercher dans des objets ? Comment s’affranchir de son musée personnel ? Puis-je appartenir à un lieu qui ne m’appartient plus ? Puis-je me libérer d’un lieu aimé ? L’Ardèche, je l’emmène partout avec moi. Et peut-être que je sais mieux l’aimer de loin. Sur place, mes racines m’enlacent et m’entravent, souvent je baisse les yeux et barbouille mes joues. Partir de chez soi fait souffrir, revenir aussi.

Pour éviter un retour symbolique, au moment du prochain rangement, le dernier avant longtemps j’espère, j’ai décidé de me séparer de dizaines de cahiers et de carnets. Pour atteindre ce but, tu t’abstiendras, Estelle, de les ouvrir. Les phrases échappées pourraient, elles aussi, t’encombrer.

Refermons la porte sur un canapé sans chien (car très occupé à me labourer les rares plantes restantes) et ses étagères-cariatides croulant sous les livres de poche, de cuisine et quelques bandes dessinées.

Je suis découragée, sachez-le. Mes bras tombent sous le poids de l’IA et du foisonnement du monde. Hier soir, j’ai griffonné un titre dans ma liste de possibilités pour le roman que j’ai commencé. Sans crier gare. C’est pas mal ça, Sans crier gare. Ce matin, au détour d’un billet littéraire sur Instagram, ce titre, celui d’une traduction récente, m’a sauté aux yeux. Bien sûr, il existe déjà. Le pessimisme m’a dégringolé dessus : à quoi bon créer si tout existe déjà ? À quoi bon créer si des algorithmes le font ?

Vision surprenante dans une rue d’Angers

Et pourtant, me revoilà avec mon clavier de pèlerin.

Lors de recherches récentes sur les agences de traduction, j’ai constaté que la plupart ont fait évoluer leur offre : le tarif le plus bas est désormais celui d’une prestation d’IA générative. Exit la traduction neuronale encore à la pointe il y a deux ans quand j’ai commencé ma formation. Chers clients, ne payez presque rien et sans délai, on vous propose, des phrases crachées par des robots. Tant mieux pour les manuels pratiques. D’ailleurs, IKEA n’a pas attendu le XXIe siècle pour se simplifier la vie : leurs notices de montage sont dessinées. Pour le reste, c’est déprimant. Les agences ont-elles conscience de scier la branche sur laquelle elles sont assises ?

Un prestataire propose de concevoir des formations en ligne grâce à ce que vous savez, avec slides et voix de synthèse. Exit les professeurs, les consultants et les comédiens.

Suffit-il de proposer une intelligence naturelle, élevée en plein air, au grain, locale et de saison douze mois de l’année, pour contrer l’impératif économique zéro coût, zéro délai – peu importe la qualité ? Les plateformes spécialisées proposent aux traducteurs des missions autodestructrices d’entrainement des machines.

Bien sûr l’IA va faire avancer la science et enrichir une poignée de profiteurs. Bien sûr, l’IA va envahir toutes les tâches de bureau, ce n’est qu’une question de temps. Mon mari voudrait me rassurer : à chaque révolution technologique des métiers ont disparu au profit de nouveaux que nous ne sommes pas en mesure d’imaginer aujourd’hui. Certes. Les paysans, devenus ouvriers dans des usines, ont plus tard franchi en col blanc les portes des bureaux. Les secteurs primaire et secondaire, réduits à peau de chagrin, se sont transvasés par osmose dans le secteur suivant. Quand c’est le secteur tertiaire qui rétrécit, quelle est la porte de sortie ? Un retour à la terre ?

La création, particularité humaine suprême, va lui échapper. Pendant que certains s’acharnent à ressusciter le mammouth laineux, la bergeronnette s’évanouit des jardins silencieux dans l’indifférence générale.

Personne ne disparait de mes sièges, hélas, et je refuse de m’allonger sur le coussin de Gaïa. Curieusement, car nous avons créé des mètres carrés, la taille de nos canapés dépasse l’espace disponible pour les installer. Nous risquons donc de devoir les confier à Emmaüs. Avec leurs occupants trop bruyants. À bon entendeur…

Ma librairie ferme demain. J’ai essuyé une larme en quittant Sandra, ma libraire pour la dernière fois. Merci pour tous nos échanges, maintenant qu’on se tutoie, et qu’on a échangé nos numéros de téléphone, nous allons pouvoir nous donner des nouvelles de nos projets d’écriture, de nos lectures, de nos titres confisqués. Je t’enverrai mes brouillons de traduction de romans allemands que j’aimerais proposer à un éditeur.

Pour créer du lien, ne faut-il pas cet espoir qu’au bout de l’échange palpite un écheveau emmêlé d’émotions et de sentiments ? J’ai demandé à l’IA de souffler des mots-dièse (hashtags) pertinents pour Instagram à l’éternelle débutante en réseaux sociaux que je suis. Je pourrais lui réclamer de rédiger cet article. Mais cela perdrait tout son sens. Pourquoi ? Parce que je nourris l’espoir, que de l’autre côté d’un texte, lit une âme qui vibre grâce à un cœur qui bat.

Trois petits tours et revoilà la vulnérabilité. Un robot, comme un bon comédien, peut l’imiter. Donner le change, ne marche qu’un temps.

Quand j’étais adolescente, un ami américain qui avait l’âge d’être mon père, m’avait expliqué beaucoup de choses sur la vie, en particulier le concept très présent dans sa culture, de la perte de l’innocence. Nous avions entretenu une relation épistolaire fondatrice pour moi et je me souviens de sa remarque pour me consoler de mes hauts très hauts et bas très bas, le grand-huit que je parcours à grande vitesse en continu, jour après jour, après nuit, après jour : « la vie sans émotions ni sentiments serait ennuyeuse ».

C’est exactement cela. La vie vivante, la vraie vie, avec son charme et ses aspérités, est la seule que nous ayons. Chérissons-là dans toute son imperfection.

Ôtez cette IA que je ne saurais voir. Et ce chien du canapé.

(Aucun placement de produit suédois n’a été glissé ici).

There’s nowt so queer as folk

Rencontres déroutantes, langage tout neuf et basboussa

Lundi après-midi en sortant de chez le kiné, j’enroule mon écharpe autour d’un châle vert émeraude en mohair douillet qui ne me quitte pas ces jours-ci, dedans comme dehors. Je renonce aux quais du ruisseau et opte pour la rue de derrière, plus calme. Une jeune glycine s’est entortillée autour des piquets d’une grille de jardin qu’elle étrangle déjà. Une dame d’un certain âge, les cheveux gris aux épaules, une cigarette entamée à la main avance en tournant la tête de tous côtés. À quelques pas, un petit garçon de cinq ou six ans emmitouflé dans un bonnet et un blouson la suit. Elle hésite à l’embranchement, et semble égarée. Elle s’adresse à l’enfant :

-Ça doit être par là, la gare.

Peut-être a-t-il dit non. Elle ajoute :

-Si, si.

Je marche dans sa direction. Je m’attends à ce qu’elle me demande son chemin, et il vaudrait mieux pour elle.

-C’est par là la gare ?

Elle indique le nord, à ma gauche.

-La station de métro ? Non, c’est par là.

Je lui montre l’est, en face.

Ses yeux s’ouvrent tout grands, incrédules. Elle se retourne vers ce que j’imagine être son petit-fils, et pointe le nord.

-Non, non c’est par là.

Puis elle me regarde à nouveau :

-On peut aussi y aller par là ?

-Heu oui, mais ce sera plus long. Il faudra tourner à droite et revenir là.

J’indique à nouveau la direction générale, à quatre-vingt-dix degrés de la rue qu’elle s’obstine à vouloir emprunter. Peut-être ne veut-elle pas perdre la face devant le petit garçon.

-Allez, viens, on va par là, lui dit-elle.

Elle choisit le parcours le plus long, et il est probable qu’elle redemandera son chemin au bout de la rue, qui en rejoint plusieurs à un carrefour compliqué.

Que pense alors ce petit garçon dont je n’ai à aucun moment croisé le regard ? Sa tête tournée vers l’arrière me conduit à penser que lui connaissait la route.

Mimosa cru ardéchois 2003

L’autre matin (mardi ou jeudi dernier, les deux jours où je dois sortir Gaïa faute de maîtres plus enthousiastes au bout d’une laisse), je remontais une rue résidentielle lorsque je me suis fait interpeler par une dame depuis sa voiture. Le trottoir longe une ferme de poche et m’offre la joie d’apercevoir, entre les troncs d’arbres, à quelques minutes de chez moi, une chèvre ou un mouton. Dans un monospace gris garé en face, une dame plutôt jeune a descendu la vitre pour m’appeler. Elle agitait un petit colis de carton.

-J’ai deux questions.

Je suppose qu’elle a dit s’il vous plait, mais je n’en suis pas sûre. Je me souviens surtout d’un ton péremptoire. Quand on m’interpelle, mon premier réflexe est de vouloir aider, mais suite à un certain nombre d’escroqueries (vous êtes d’ici ? signez là) je le réfrène. Ce matin-là, vers 8 h 30 dans un quartier calme, le risque est limité. Je traverse la route, précédée par ma chienne au bout de sa laisse. Elle ouvre l’autre vitre, côté trottoir.

-Je sais, j’ai mon téléphone – elle me le montre – mais savez-vous où je peux déposer un colis Vinted ?

Heu, non.

Oui, pourquoi ne consultez-vous pas Google ? Il sait tout Google, mieux que moi. Je n’ai jamais utilisé Vinted, je ne sais pas s’il y a un système de dépôt spécifique, chez des particuliers membres du réseau par exemple.

-Bon. Et je veux faire imprimer un document pour l’envoyer à quelqu’un. Mon imprimante est en rade.

-Dans le centre du bourg – j’indique la direction générale derrière moi –, il y a un photographe qui propose un service d’impression, il me semble.

-Mais je ne vais pas par là-bas, je vais vers B.

À l’opposé donc. En voiture, le détour ne prend que quelques minutes.

Elle insiste. Je lui répète qu’à part cette piste, je ne vois pas. Elle hésite, finit par me dire qu’elle va peut-être appeler le magasin pour se renseigner. J’aperçois un petit garçon dans un siège auto derrière. Au premier blanc dans cette conversation surréaliste, je file.

-Bonne chance. Bonne journée.

Curieuse errance familiale de bon matin. Elle semble contrariée que je ne lui propose pas de solution parfaite, un service au volant d’impression et de dépôt de colis, sur sa route. Qu’espère-t-elle dans un quartier résidentiel ? Même en centre-ville, avant 10 h du matin, tout doit être fermé.

Je laisse Gaïa mener le rythme de la montée pour dépenser l’irritation que je sens monter. Quelle farfelue !

Mieux vaut être Fifi que Annika (carte envoyée par une amie de Mainz)

Ces rencontres me laissent un goût d’incompréhension et de frustration. Les deux dames et moi ne parlons pas la même langue. Nous utilisons des mots communs qui revêtent pour chacune des significations différentes. Elles m’ont probablement quittée en se disant que je ne les comprenais pas, ce qui est vrai. Peut-être ne parlions-nous pas de la même gare (pourtant la seule à des kilomètres), peut-être le tout venant est-il censé être un utilisateur fidèle de services d’achats en ligne et d’impression à la demande en zone périurbaine. Peut-être ai-je failli.

À mon retour, j’ai raconté l’échange du matin à mon mari, preuve que cela m’avait contrariée plus que l’enjeu ne laisserait penser. Il a souri et répondu : There’s nowt so queer as folk. Littéralement : il n’y a rien de plus étrange que les gens. J’adore cette expression anglaise qui n’a pas son pendant en français. On dirait aujourd’hui : les gens sont trop bizarres.

Les gens sont bizarres, nous sommes tous le bizarre du voisin, et surtout nous vivons chacun dans nos projections. Chacun se construit un monde et nos mondes ne se superposent pas. Même avec une langue commune, nous ne parlons pas le même langage.

En parlant de langage, notre expatriation de quatre ans nous a permis de découvrir combien il vit et change rapidement.

Malgré nos échanges avec la famille et les amis restés au pays, malgré la lecture régulière d’articles en français, l’écoute occasionnelle de la radio, notre vocabulaire quotidien n’a pas évolué avec celui de la société. Il est vrai qu’à Mainz, j’ai plus écouté la BBC que Radio France. Quand je le faisais, je me sentais décalée. Les actualités ne me concernaient plus vraiment. La vie politique qui nous touchait était celle de l’Allemagne, et côté culture, je ne connaissais plus les derniers tubes français ni les sorties cinématographiques. Je me sentais plus en phase avec l’Angleterre qu’avec la France. Je me souviens avoir écouté sur France Inter le début d’une interview de Pomme dont je n’avais jamais entendu parler.

Malgré nos retours réguliers en France, les appels avec les amis et la famille, j’ai été surprise de découvrir, depuis notre retour, de nouvelles expressions.

Lors d’un déjeuner avec une amie, à qui je racontais les choix engagés de mon fils (ne plus prendre l’avion, recycler, consommer d’occasion, limiter puis supprimer les protéines animales) elle m’a dit en riant :

-Il va finir zadiste.

-Za quoi ?

Quelques exemples de découvertes linguistiques : « vite fait » dans le sens de « un peu ». Tu parles italien, mon grand ? Oui, oui vite fait. « Pécho ». « Quoicoubeh ». « Baka ». L’expression « en mode » que les ados utilisent trois fois par phrase n’existait pas dans le vocabulaire familial. « Genre » était beaucoup moins employé. « J’avoue » dans le sens de « je suis bien d’accord », a pris de la force. « Grave stylé », on avait découvert à distance par un texto d’une nièce.

Mes filles se sont intégrées au retour de Mainz à une cour de récréation internationale, mais dont la langue commune est le français. Grâce à elles, et au risque d’affronter leurs yeux au ciel, nous avons actualisé nos expressions : la jeunesse du langage passe par l’école.

L’école, justement, parlons-en. Je tiens à partager un coup de gueule. La cité scolaire internationale de Lyon a fêté l’an dernier ses trente ans. Le bâtiment est donc récent et devrait offrir un confort correct. Il n’en est rien. Le couloir central immense, les parois vitrées, le béton nu omniprésent rendent l’édifice impossible à chauffer. Mes filles reviennent grelottantes de leurs journées sur place. Bien sûr, l’été, tout le monde grille. Cela en soi est inadmissible. Quand on ajoute la surpopulation et la vaisselle en carton pour toute l’année scolaire en raison, je cite de mémoire, « d’un problème de lave-vaisselle avec la métropole », les conditions ne semblaient pas pouvoir empirer. La semaine dernière, la proviseure a envoyé un mail général pour prévenir que les variations de température ces derniers jours ayant causé un phénomène de condensation intense, les murs, plafonds et sols sont détrempés. Les deux mille élèves sont priés de faire acte de prudence dans leurs déplacements.

« Ce vaste serpentin de verre tendu par des mâts et des câbles d’acier, dont la toiture est engazonnée » comme l’annonce fièrement le site lyon.fr, a été conçu par deux architectes dont le portrait trône dans l’entrée. Ils n’y ont sans doute jamais assisté à un cours au mois de janvier. Le bâtiment très-basse-performance-à-tous-niveaux se visite aux Journées du Patrimoine. Mais oui.

Je vais conclure en invoquant une belle journée. Ce n’était pas prévu dans cet article, mais un de mes lecteurs fidèles (que je salue ici) m’a demandé samedi : « Cette journée, tu vas en parler non ?».

Oui, je vais l’évoquer pour partager quelques émotions. D’abord, l’immense joie d’être entourée le jour pile de mon anniversaire par des amis, de me sentir chouchoutée par ma famille. Ça fait du bien quand on s’écartèle 364 jours par an pour les autres et les contraintes, de se rassembler. Ma plus jeune fille a décoré le salon avec une amie de toujours (c’est à dire, de longtemps avant Mainz), et elles ont fait un gateau de Savoie. Ma plus grande a réalisé une chocolate roulade (une tuerie, selon l’expression consacrée depuis quelques années) et a, en secret, envoyé un message aux invités pour leur proposer d’apporter des fleurs pour un bouquet commun. Mon mari a débarrassé les cartons (vers la pièce voisine), tenté de comprendre les règles de Chiche Pois Chiche au pied levé, et j’ai affiché un sourire béat en faisant une basboussa rose-pistache d’Ottolenghi (rectte non trouvée en ligne, voici celle de Elle). Combien de goûters d’anniversaire ai-je organisé depuis 23 ans ? Je voulais une tea party. Je l’ai eue.

Ce gouter amical nous a permis de prendre conscience du fait que nous attendions la fin de notre période de confort précaire (avant et pendant les travaux) pour inviter du monde. Finalement, parce que l’A7 nous les apportait presque à domicile lors de leur migration estivale vers la Camargue ou la Provence, ce sont nos amis allemands de Mainz et de Köln que nous avons surtout reçus dans notre maison inachevée. Tant pis pour les piles de pavés, la poussière et les cartons : les bouquets, les gâteaux et les ballons les éclipsent.

J’ai mitraillé tout le week-end les fleurs sur la table, le mimosa et les renoncules. Elles fanent doucement, mais continuent de dispenser leur lumière, comme les sourires de samedi.

Je vous souhaite de mettre bientôt le nez dans une brassée de mimosa, pour le parfum et les caresses.

Pour me faire pardonner le titre tarabiscoté, je vous ai offert des fleurs.

Merci à D. pour les photos de gâteaux. Je n’en avais pas fait.

Maman, j’ai plus de culottes !

Vivre dans le chantier de sa maison

GRRR. Zuiiiiiiiiiit. Schbonk.

Cacophonie stridente et profonde. Le sol tremble, les murs vibrent, le bruit me traverse, la poussière vole en tourbillons, s’insinue et se dépose partout, y compris dans les narines. Une odeur métallique remonte par la VMC et nous condamne pendant une journée à laisser la porte des WC ouverte pour ne pas suffoquer. Le lave-main arraché oscille au bout de ses tuyaux. La boue se rapproche et menace d’avaler notre porte d’entrée et nous avec. La saleté des sols intérieurs s’obstine et le coup de serpillère indispensable ne soulage que quelques minutes. Après quinze mois d’attente, les travaux de rénovation et d’extension de notre maison ont enfin commencé. C’est le bonheur.

Des plaques d’aggloméré protègent l’accès à notre maison, un monticule de pavés déchaussés nous accueille à l’entrée du jardin, à proximité d’une montagne de terre argileuse rouge et gorgée de galets qui attend de combler le pourtour des nouvelles fondations. Côtés est et sud, des douves profondes s’enfoncent. Avons-nous commandé une piscine ? Au printemps, j’avais regardé de travers les chaussures de sécurité d’un technicien venu sonder notre sol parce qu’elles écrasaient une touffe de primevères sauvages. Le jardin nous pardonnera-t-il cet assaut au bulldozer ?

En raison de la pente du terrain et de notre souhait d’utiliser la surface du garage à la hauteur sous plafond insuffisante, nous avons dû décaisser (oui mon vocabulaire s’élargit dans le champ lexical du bâtiment – je vous en prie). Notre rez-de-chaussée sera un nez-au-niveau-du-jardin ou presque, avec ses
pièces sous-baissées. Nous nous étions préparés à tous ces changements. Les derniers week-ends ont
été consacrés au vidage du garage qui stockait depuis notre arrivée de Mainz les étagères Ikea, achetées de façon précipitée pour meubler une maison sans placards, les quatre vélos, des dizaines de cartons de livres, le matériel de céramique y compris le four (toujours bien emballé pour son aller-retour en Allemagne), celui de camping, des boites de trucs inutiles et pourtant indispensables… Tout cela a dû être déplacé : merci à la voisine qui en a accueilli un bout dans son garage, à mon mari qui a patiemment
transporté bricoles, outils, sculptures de sa femme vers l’abri de jardin et tout entreposé dans un Tetris savant. Merci à mon dos qui m’a laissé l’aider quelques heures avant de me le faire payer pendant trop de semaines. Le vin est tout au fond sous l’escalier, sous les sacs de couchage, les sacs à dos, le cabas rempli d’écharpes et de bonnets (dont trop sont faits maison), les médicaments, des cadres de peintures faites pendant mes grossesses… Oh là, là il serait temps de trier. Pas le temps de trier.

« Vivre dans une maison en travaux, ça se fait très bien ». Mon père me l’a affirmé. Il a ajouté : « vous pourrez mieux les surveiller ». Et être surveillés. Corps et biens, nous appartenons à notre chantier.

J’appréhendais le bruit : comme je ne le supporte pas déjà en temps normal, c’est-à-dire dans un environnement propre et rangé et à des décibels raisonnables pour l’être humain, je me demandais comment survivre au marteau piqueur. J’avais même sollicité une chambre d’hôtes voisine pour y louer un bureau calme. J’ai renoncé. L’idée de passer des journées entières cloitrée à l’étage d’une maison habitée a éveillé des pensées claustrophobes. Je préfère garder, dans mon capharnaüm personnel, la liberté d’aller et venir.

Finalement le marteau-piqueur n’a pas duré bien longtemps et était moins insupportable que prévu. Peut-être que c’est comme avec les enfants. On tolère mieux les cris de sa propre descendance que ceux des gosses des autres (enfin, ça dépend des moments). Le bruit de fond reste modéré, les artisans sont
sympathiques. Il suffit de faire la paix avec le chaos et la saleté, d’accepter de voir débarquer des hommes inconnus ou presque dans son jardin à 7 h 30, de renoncer à se balader à poil. De ne pas trop réfléchir à
la durée des désagréments et de rester focalisée sur l’objectif : se construire un nid douillet. Prendre son bien en patience.

C’est ce que j’écris aujourd’hui, après quatre semaines de travaux. Je ne suis pas toujours aussi philosophe quand des traces de boue apparaissent sur le sol encore humide du dernier nettoyage. Les empreintes en fleur de giroflée me permettent de gronder la coupable, qui s’en moque, assoupie sur son coussin sous l’hibiscus. Quand je la menace de la faire disparaitre sans traces dans le béton frais, des cris outrés s’élèvent dans mon dos. Elle soupire de bien-être. Essuyer ses pattes ne garantit pas la propreté.

Au milieu de ce camping quotidien et des tâches rébarbatives qui se télescopent (formulaires administratifs, mails à écrire, rendez-vous dans des magasins de matériaux, arbitrages à faire), mon inquiétude majeure reste l’entretien du linge.

Je gère celui de deux adultes et deux adolescentes. Les machines étaient depuis notre emménagement situées au garage. Elles retourneront dans quelques mois à leur emplacement initial, mais quelques dizaines de centimètres plus bas, dans ce qui sera alors une salle d’eau. Pendant la durée des travaux,
j’avais demandé qu’elles restent branchées dans la partie du garage non décaissée. C’est chose faite depuis une semaine. Mais pendant les dix jours où il a fallu détruire la dalle et ôter des mètres cubes de terre, elles ont été empilées, débranchées et inutiles dans le fond. Pour le week-end intermédiaire,
le maçon, bien serviable, me les avait remises en service sur une palette à même la terre nue.

J’ai vécu des moments épiques. Imaginez…

Les bras chargés d’un panier de linge sale qui déborde, enfiler des sabots de jardin, pousser d’un coup de hanche la porte intérieure du garage, être saisie par l’odeur de grotte agrémentée de relents d’égout puisqu’un tuyau d’évacuation a malencontreusement été percé. Caler la panière contre son bassin. Envoyer la main droite vers le mur pour allumer, tâter le crépi râpeux avant de se souvenir que l’interrupteur comme beaucoup de câbles a été enlevé. Avancer, éblouie, dans la pénombre vers le fond gauche, rouspéter d’avoir encore oublié de prendre son téléphone pour éclairer – tout en sachant que le
téléphone posé sur une montagne de linge ou la machine n’éclaire que le plafond. Il faudrait une lampe frontale, mais dans quelle strate du matériel sont-elles entreposées ? Suivre la planche que les artisans ont installée pour ne pas s’enfoncer dans la boue, Peter Pan sur le bateau du capitaine Crochet au-dessus des crocs du crocodile à sonnette.

Arrivée aux machines, se cogner les pieds à la palette, poser le panier par terre (c’est le cas de le dire). Ouvrir le sèche-linge qui lui s’éclaire quand on le charge (qualité allemande s’il vous plaît). Dans sa lueur, remplir le tambour du lave-linge, tâtonner à nouveau sur le sol pour récupérer cette  chaussette (ou cette culotte) qu’on a senti glisser. Avoir un mouvement de recul quand les doigts effleurent la terre humide, malodorante, qu’on dirait vivante et si ça se mettait à bouger là-dessous ? Placer la chaussette ou la culotte à l’intérieur. Verser la lessive dans le réceptacle, en quantité encore plus improvisée que d’habitude. Bidouiller avec la molette du programme pour espérer sélectionner le bon sans devoir remonter chercher le téléphone-lampe. Après quelques essais infructueux, entendre le bip, sentir la
machine vrombir. Ça doit être bon. Reprendre la panière allégée, secouer vaguement le fond pour en faire tomber des traces éventuelles de terre. Se diriger vers le rayon de lumière de la porte. Ouf. C’est parti. On reviendra dans une heure et demie, pour un nouveau défi en vidant le lave-linge : ne pas faire tomber de chaussette propre.

Ça, c’était pendant deux jours, après la destruction de la dalle de béton, et avant le décaissement de la terre. Après, le sol est descendu de 70 centimètres. D’ailleurs en lisant dans le compte-rendu de l’architecte que « la terre a changé dans la partie garage », j’ai opiné en murmurant « effectivement oui », avant de réaliser que cette mention concernait l’électricien.

Gaïa, surprise au passage de la porte, est tombée dans le trou. Les artisans avaient bien rebranché les machines sur le restant de dalle, cependant pour y accéder il fallait ajouter à l’aventure le fait, en ouvrant la porte avec la hanche et les bras chargés de la panière de descendre dans le trou de terre et
de remonter presque immédiatement sur l’autre bord. La poche de lessive a été entreposée pour la manœuvre sur la chaudière. Comment l’attraper maintenant ? Lingerie de l’extrême.

Avons-nous inventé un nouveau concept de parc d’attractions – sensations 3D comprises ?

Le parcours s’est enrichi de défis : dépôts puis reprises de panière, jurons, concentration impérative pour ne pas se vautrer. Mon dos n’a pas apprécié. Cependant la gratitude de ne pas devoir transporter mes kilos de linge dans une laverie industrielle reste immense.

Quelle ne fut pas ma surprise après un autre week-end de descente et remontée dans la terre, de découvrir qu’une âme charitable avait placé une planche entre la porte d’entrée et la dalle. Plus de (dés)escalade, mais un nouveau défi : dans la pénombre, les bras chargés, garder l’équilibre sur la passerelle improvisée qui vacille quand on repart. Peter Pan a pris de la hauteur.

Le coulage de la nouvelle dalle a encore élevé le niveau (du sol un peu, mais surtout de l’enjeu) : ne pas trébucher dans le béton frais ni y faire tomber une petite culotte. Ne pas s’empaler sur les tiges  métalliques. Quand la rénovation sera terminée, la lessive redeviendra monotone. Pour l’instant, j’ai du pain sur la planche (ha, ha). Ma plus jeune m’a annoncé :

-C’est bon c’est sec le béton.

-Ah bon, comment tu sais ?

-Ben, j’ai touché.

-Tu as touché ?

Quelle idée saugrenue ! Comment toucher sans marcher dessus, comment marcher sans s’enfoncer ? J’imagine ma fille en Pierre Richard dans La chèvre, et le maçon furieux de voir son travail détruit.

-Tu sais que c’est abrasif le béton. Tu as touché comment ?

-Comme ça.

Du bout de l’orteil nu. Comme une princesse avant d’avancer dans la mer.

Heureusement qu’elle n’est pas allée tremper son orteil le premier jour. Qui sait, c’est peut-être encore meuble ? Je descends sortir mon linge, le cycle doit être fini. Si je ne remonte pas dans les dix minutes, s’il vous plaît envoyez quelqu’un me libérer.

Notez la lessive fabriquée à Mainz

I’ll be there for you

Matthew Perry n’est plus, vive les acteurs comiques

Vite vite vite, terminer cette douche, se sécher avec une serviette éponge (pourquoi est-elle humide ?), étaler une crème collante (c’est quoi ce tube ?), se brosser les dents, les cheveux, les sécher un peu, s’habiller (c’est dingue comme il fait chaud), vérifier dans mes mails une éventuelle validation de commande. Il faudrait partir faire des courses, le frigo est vide. Va-t-il pleuvoir ce matin ? Répondre à la question de ma grande sur le bac de français, aller au supermarché et en revenir, ranger dans le frigo les yaourts, le saumon et les épinards, admirer une création artistique de ma benjamine, vider le lave-linge (quel est l’ingénieur idiot qui a conçu cet étendage qui ne tient pas ouvert ?), souhaiter une bonne balade à celles qui partent marcher, fermer les portes sur le reste de la maison, ouvrir celles qui laissent entrer le jardin, m’asseoir, oui ma tasse d’eau est toujours chaude, enfiler mes lunettes, rouvrir mon ordinateur, mon fichier…

Ouf.

Enfin.

Trop de mots et d’idées se bousculent, j’ai besoin de les écrire.

Matthew Perry est mort. Je l’ai appris incidemment hier pendant un déjeuner familial. Sidération. Bouleversement. Je n’ai pas pleuré sur le coup, car je m’entraine à éviter les effusions publiques. Cette ombre m’accompagne depuis, comme la disparition soudaine de Robin Williams l’avait fait à l’époque.

Hier soir nous en avons reparlé lors du dîner tardif d’un dimanche de changement d’heure. En hommage, calés en famille sur fauteuils et canapés, en pyjama, nous avons décidé de regarder, beaucoup trop tard, un épisode de Friends choisi au hasard. Mais le hasard ne choisit pas toujours au goût de chacun. Atteindre l’unanimité a pris un peu de temps. Nous sommes tombés d’accord sur The one where Chandler can’t cry (S6 E14). Monica lui reproche de ne pas savoir pleurer, de ne pas être ému, d’être « dead inside ». Et moi je pense alors, he’s dead outside now. Ça me serre à la gorge.

Si j’avais dû parier sur une mort précoce des acteurs de Friends, j’aurais dit Matthew Perry, bien sûr, hélas, en raison de ses soucis de santé. Il n’en faisait pas mystère. J’avais découvert il y a quelques mois qu’il avait écrit un livre pour en témoigner. Pour partager sa souffrance, ses combats pour aider ceux qui comme lui ont du mal à vivre avec eux-mêmes.

Si j’avais dû choisir mon personnage préféré de la série, j’aurais sans doute dit Chandler. Parce qu’il est mignon, mais surtout touchant, drôle et vulnérable. À fleur de peau. Comme l’acteur sans doute, nourri par lui. Il parait qu’il passait beaucoup de temps avec les auteurs de la série pour contribuer aux dialogues.

Un épisode de Friends vu chez des amis ne m’avait pas convaincue. Encore une série sur catalogue avec les grosses ficelles des studios américains. Toujours les mêmes recettes, les trois histoires entrelacées, les gags vus et revus. Puis lors de ma première grossesse, j’ai dû rester allongée de longs mois sur mon canapé. Échouée dans mon salon, j’ai lu, lu et lu, vu et revu mes films enregistrés, et emprunté des cassettes vidéos à une amie. Je suis tombée dans la série. Je les ai regardés en boucle en guettant la parution des nouvelles saisons. Avec mon amie on se répartissait les achats. Tu prends la 6, j’achète la 7. Pour les dernières saisons, les cassettes sont devenues des DVD. Je me disais que mon fils allait naître en chantant I’ll be there for you. Sur des cassettes vidéos, ce n’était pas si simple de sauter le générique, surtout quand la télécommande était restée sur la table là-bas.   

Mon fils est né. Je n’ai plus regardé Friends.

Quelques années plus tard lors de mon divorce, j’ai traversé des jours noirs. Au coin de l’avenue Berthelot (en face du cinéma Comoedia alors fermé), j’ai aperçu un dimanche dans la vitrine du buraliste (disparu depuis) le tout premier DVD de la saison 1 de Friends que je n’avais pas. La perspective d’aller l’acheter le soir a égayé mon lundi, ce lundi où je laissais mon fils à l’école en sachant que je ne le retrouverais que la semaine suivante. Huit jours à vivre seule, sans mon enfant, à ranger ses livres et ses Légos dans son silence. À laver et étendre ses petits pantalons et T-shirts immobiles au milieu de ma minuscule salle de bains. Il fallait attendre le week-end pour que la joie des retrouvailles prochaines éteigne le deuil de la séparation. Ce lundi, en rentrant du travail, j’ai poussé la porte du buraliste. Le ciel était bas et gris, glacial. Au milieu des publications de DVD en série dont on avait l’impression qu’elles s’interrompaient au-delà du numéro deux, j’ai attrapé celui que j’avais repéré. Ouf, il y était toujours.

Vite, rentrer. Prendre l’ascenseur qui sentait un produit de ménage aux fleurs synthétiques. Faire tourner la clef dans la serrure. Accrocher mon manteau. Poser mon sac. M’assoir par terre sur le faux parquet devant ma petite télé antique à l’écran cubique, posée à même le sol. Anticiper ce moment de réconfort, de sourires, d’amitié par-delà les kilomètres, les années et un écran. Les personnages sont fictifs, mais le bien-être reçu réel et précieux.

Les séries en général, celles qui font les beaux jours et les gros sous des plateformes, ces histoires diluées qui ne finissent jamais, m’ennuient très vite. Je ne les regarde pas. Par contre j’adore celles qui me font rire, même au 42e visionnage. Ce sont, comme certains romans, mes outils pour dédramatiser et me rassurer. Tu vas t’en sortir Estelle, aie confiance. Qu’importent les obstacles, tu pourras les surmonter. J’ai ainsi acheté un jour l’intégrale de Friends ou commandé celle de la série Frasier, antidotes aux moments de doute. L’humour intelligent des textes, les personnages imparfaits, les mises en scène fines me réconcilient un instant avec le monde. C’est toujours vingt minutes de passées.

Autre série qui me fait du bien : Cabin Pressure, excellente création radiophonique de John Finnemore, découverte sur la BBC et consommée sur CD. Dans notre voiture d’un autre temps équipée d’un lecteur CD, les voix familières distraient nos longs trajets. Nous les connaissons par cœur, mais éclatons toujours de rire. Les acteurs formidables (jeune Benedict Cumberbatch) donnent vie à leurs personnages, qui, conscients de leurs travers, sonnent juste et émeuvent.

Je vous écris cela en sachant que peut-être vous n’y aurez pas accès. BBC Iplayer les diffuse très rarement. Frasier non plus n’est pas facilement accessible en ligne. On reconnait son générique dans la première scène du film Bridget Jones quand, en pleine crise existentielle dans sa chambre, la bouteille de vin à la main, elle chante sur All by myself… Pour elle aussi, c’est une aide anti-déprime. Le personnage principal Fraiser Crane était un rôle secondaire de Cheers (pour les fans de Friends, c’est la série que Joey regarde à Londres et qui lui donne le mal du pays). Je guette la sortie ces jours-ci, près de vingt ans après la 10e saison, d’une suite, où Frasier est désormais le grand-père.

Mon fils, bercé dans mon ventre par des éclats de rire sur canapé, a grandi. Aujourd’hui il déplore dans Friends le manque d’inclusivité ou je ne sais quoi à la mode. Pourquoi ? Pourquoi bouder ce qui fait du bien et de mal à personne ? À force de tout lisser et moyenner, les nouvelles générations (je ne sais plus comment on les appelle, générations X, Y, Z ? Millenials ?) vont rendre le monde gris et triste. Imaginez les albums d’Astérix avec des personnages non laids, non gros, non petits, non-ci non-là, avec les minorités de service… Imaginez le capitaine Haddock sans jurons. Pourquoi toujours bouder son plaisir ? On peut aussi se priver de fleurs.

Planquons jalousement nos versions originales.

Cher Matthew, merci pour cette fragilité dans le regard sous les blagues, ces éclats de rire teintés parfois de larmes.

Je voudrais terminer par la citation d’un auteur que je vénère, pour sa pensée, son humour et sa tendresse : Marcel Pagnol. Sa vision du monde m’aide à pardonner à l’humanité (et parfois aux jeunes qui veulent éteindre les beaux côtés de la vie).

Dans Le schpountz, un brave illuminé (joué par Fernandel) se prend pour un grand acteur. À la suite d’une blague que lui a jouée une équipe de cinéma en tournage dans son village, il finit par passer devant la caméra. Lors de la projection de la première de son film, caché dans les coulisses, les éclats de rire des spectateurs le désespèrent. Être un acteur comique est pour lui le plus grand des échecs. Françoise, son amie du studio, répond à son désespoir :

« Ceux qui font rire sur scène ou sur l’écran ne s’abaissent pas, bien au contraire. […]

Faire rire ceux qui mourront, ceux qui ont perdu la mère ou qui la perdront…

— Et qui c’est ceux-là ?

— Tous. Ceux qui n’ont pas perdu la mère la perdront un jour. Celui qui leur fait oublier un instant les petites misères, la fatigue, l’inquiétude et la mort, celui qui fait rire des êtres qui auraient tant de raisons de pleurer, oui celui-là leur donne la force de vivre et on l’aime comme un bienfaiteur. »

Quand un jour de mars 1999 j’ai appris la maladie grave de ma mère, j’ai couru louer Un dîner de cons. Pour arriver à passer le début de la soirée. Pour survivre.

Bon voyage Matthew. Tu en as fini avec la souffrance. You’ll always be our friend.

No woman’s land

Escapade au Pays basque, maisons et compte à rebours

Chers amis, me revoilà.

Même si mes publications ont dû s’espacer, je ne vous ai pas oubliés. Je vous ai même écrit, plusieurs articles, dans un de mes petits cahiers (le numéro 5 en papier kraft), sans aller jusqu’à les taper et les publier. Pourquoi ? Trop d’instants volés par les kilomètres en voiture, la covid, les renseignements à demander, les décisions à prendre.

Et, surtout, surtout, je devais me taire pour honorer une promesse de silence à ma grande fille.

– Maman tu ne dis rien à personne, hein. Tu ne le mets pas dans ton blog.

– OK. Non, non.

– Je tiens à prévenir mes amis de Lyon moi-même.

– D’accord, d’accord. Tu comptes le faire quand ?

– Bientôt, t’inquiète.

Bientôt.
Ce bientôt-là a eu une durée de vie de plusieurs semaines. Cette jeune fille-là aussi a regardé ses instants s’envoler. Kilomètres en voiture et covid, oui, mais surtout recherche de la carte postale idéale pour y écrire, la tête penchée sur un coin de table de jardin, avec un stylo bille bleu : devine quoi, on rentre.

ON RENTRE.

Si vous lisez cela ici, c’est que la Deutsche Post a bien fait son boulot : les cartes sont parties à 16 heures, arrivées peu de jours plus tard, et ont été lues par les yeux pétillants de jeunes filles qui ont dû faire des bonds avant d’attraper leur portable pour appeler leur amie outre-Rhin et hurler dans l’appareil un YEAH !!!!!!!!! immense.

— TU RENTRES ?????!!!!!!

Affranchie de mon engagement, je peux vous l’annoncer.

Notre nouveau pays sera l’ancien. Nous rentrons en France. Nous déménageons bientôt à Lyon.

Ce n’est pas un retour, mais un nouveau départ.

YEAH !!!!

(Aïe, je me suis cognée au plafond.)

Youp la boum !

Décision prise le plus vite possible pour lancer un compte à rebours impatient. Chaos. Rires. Doutes. Questions. Sourires. Questions. Larmes. Coups de fil en allemand, en français. Tableaux Excel.

Le logement est trouvé. On n’a pas voulu de nous pour une location et c’est tant mieux (je l’avais lu : au retour d’expatriation, se tourner vers l’achat. Les fiches de paie étrangères effraient les propriétaires). Les travaux à venir m’enchantent. C’est la première fois que je vais pouvoir jouer avec une maison et un jardin (déjà riche de grands arbres !).

Discussions avec ma meilleure moitié.

— Alors c’est sûr on y va ?

— On y va.

On y va.

— On s’engage pour l’achat ?

Clic.

Vive les formalités dématérialisées. Le compromis a été signé dans la salle à manger relativement fraîche d’une chambre d’hôtes du Pays basque, une ancienne ferme. Mon mari et moi nous sommes évadés – merci à un camp de jeunes sous les pins en bordure d’océan pour qui vous savez. Mes souvenirs du Pays basque à la même période (début août) étaient verts et détrempés. Assommée de pluie têtue j’avais décampé au bout de quatre jours pour réclamer la grâce d’un ciel provençal.

Cette année – comme tout ce qui vit – pendant ma halte basque, dans ce pays incroyable où les bananiers côtoient les châtaigniers, je rêvais d’eau. Pour mouiller la terre, ressusciter les végétaux et surtout céder, contrainte, à l’impératif du repos dans une maison aux recoins pleins de charme, bercée par le crépitement de la pluie.

Cela n’a pas été.

Stonehenge basque

Les semaines précédentes (comme celles à venir), se ressemblaient par leur effervescence. Après la cure de lecture au lit et en transat (yes, la covid), je trépignais d’envie d’attaquer celle d’Ossau Iraty fermier et de crapahuter. Nous l’avons fait, par 39 °C à 1400 mètres d’altitude. Les Pyrénées jaunis, avec leurs chevaux pottok ensauvagés et les vaches et brebis en estive évoquent la Mongolie.

Pendant une randonnée, le long d’une allée forestière qui surplombait un ruisseau, au détour d’un virage, nous avons eu la surprise d’être frôlés par un silence emplumé de trois mètres d’envergure.

Sursaut, en levant la tête pour suivre l’oiseau majestueux du regard. Voici un aperçu au ralenti des idées qui ont fusé dans ma cervelle : Oh un héron ! Mais non c’est trop gros pour être un héron. UN AIGLE ? UN AIGLE ! Un aigle de si près ? Whaou !!!!

— Un vautour.
Mon mari est zoologue de formation. (Et imperturbable.)

Le rapace s’est posé sur la piste de terre. Sur la pointe des pieds, nous avons rebroussé chemin pour l’admirer et faire un signe muet aux randonneurs qui montaient. Attention, admirez ! (Et oui, tenez votre chien). Cou nu, plumes aux pattes, bec crochu. Je pense à la fin du dessin animé du Livre de la jungle où quatre vautours à l’accent de Liverpool rappellent les Beatles. (Oui, c’est ma seule référence concernant les vautours). 

—Hey Flaps, what are we gonna do?

—I dunno. What d’ya wanna do?

La promenade s’est conclue à 650 mètres d’altitude, au pied de falaises, dans une gueule de pierre à l’haleine gelée : une grotte remplie d’un petit lac souterrain, la source de la Bidouze. Cette rivière courte au nom rigolo (bidule, bidouille, Cornebidouille la sorcière…) se jette à 80 km de là dans l’Adour. La sécheresse interdit toute baignade, même dans les larges méandres en aval. L’eau stagne presque et les algues échevelées en ôtent toute envie.

Bien sûr, mon mari et moi sommes entrés au fond de la grotte en quête de frissons au propre comme au figuré. Au fond du gouffre, dans l’obscurité, l’eau mystérieuse chante et la voûte lui répond. Je ferme les yeux pour mieux écouter. D’où vient-elle cette rivière ?

Allez viens, on enjambe les arbres tombés pour voir plus haut. Oui, même celui sur lequel un panneau, désormais à l’envers, précise : chemin sans issue. Au pied des mêmes falaises, quelques mètres plus haut, une deuxième grotte, plus basse, autre flaque froide, autre lit presque asséché.

Source de la Bidouze

J’exulte.

J’existe.

Il ne m’en faut pas plus. L’aventure avec ma moitié. Le fou rire de l’eau, même sans cascade. Les gloussements cuivrés des cloches au cou des vaches. Ma blague vaseuse (mais involontaire) à propos de je ne sais quoi : « Y’a un truc qui cloche ». Des variétés de fougères encore inconnues. Le parfum du peuplier et la douceur des troncs de hêtres sous ma paume. Un pied de papyrus. Pa-py-rus, oui comme en Égypte, sur le chemin du vautour. Les racines à enjamber pour ne pas trébucher. L’ombre dansante dans l’herbe. Les papillons qui virevoltent comme ivres di soleil vertical, chaque espèce au-dessus de sa variété de fleurs.

Le luxe de pouvoir se taire. Parce que là, personne ne va me dire :

— Maman, j’ai une question.

Et je n’aurais pas besoin d’essayer de répondre, vite, vite le plus vite possible, avant que la prochaine arrive… Au quotidien je traverse les heures sur le qui-vive. À la fois dehors (avec la crainte de me faire engueuler parce que j’aurais fait un truc de travers selon un local intégriste de La Règle) et dedans, en famille.

Exemple de conversation familiale :

— Question 1

— Ré…

— Question 2

– …pon…

– Question 3

– … NON MAIS TU LA VEUX TA RÉPONSE OU PAS ?

– Pardon je croyais que tu avais fini de parler.

(Mes enfants, sachez si vous me lisez, que je vous adore… Mais, vous le savez aussi, puisque je vous le répète tous les jours : la pause entre deux mots c’est pour RES-PI-RER).

Pour avoir une chance d’en placer une, j’ai tendance à parler aussi vite que possible, à faire au plus bref et avec un vocabulaire simple (ma plus jeune a passé deux fois plus de temps à l’école allemande qu’à la française).

Vite. Bref. Simple. Respirer. Vite. Bref. Simple. Reprendre ce qui a été dit et traduire les mots inconnus. Respirer. Vite. Bref. Simple.

Répéter. Les étapes. Les phrases noyées dans le brouhaha. Oubliées.

Je vis en apnée.

Vous voyez pourquoi je ressuscite le soir, quand je peux m’évader, me planquer – sous rien du tout en ce moment – et débrancher les alertes dans ma tête avant qu’elles ne sonnent. Toutes. En même temps.

Vous voyez aussi pourquoi j’écris…

Retour au Pays basque (oui on n’a pas trouvé plus loin en France).

La rando est finie. Dans le ruisseau, nos pieds fraichissent un long moment. Ça sent le figuier au-dessus de nos têtes. De gros têtards nagent sur nos orteils et de petits poissons viennent grignoter nos peaux mortes. Oh comme en Ardèche !

Reprendre la voiture pour rentrer à la chambre d’hôtes.

– C’est quoi la route ?

– Je ne sais plus. Attends je vais mettre le GPS. Le village c’est quoi ?

– Hum, Ra… non Re

– Et la chambre d’hôtes, son nom ?

– Hum… ça commence par un O et y’a des A, un X un H…

Superbes linteaux

Vive le basque (euskara) ! Une langue extraordinaire que tous les locaux parlent (partout des écoles bilingues) difficile à lire, impossible pour moi à retenir. Les panneaux bilingues sont savoureux. C’est une langue gaie à laquelle je ne pourrais pas participer. Une curiosité de linguiste. Elle n’a aucun lien avec ses voisines. Elle me fait penser à de l’islandais. Il parait qu’elle a en commun avec l’allemand de se décliner, d’avoir le verbe à la fin et d’agréger les mots pour en construire de nouveaux. Si je vivais sur place, je devrais me promener comme les écoliers en sortie scolaire, avec mon adresse écrite sur une étiquette autour du cou. Je ne saurais jamais où j’habite.

Un peu comme aujourd’hui : bientôt, je serai SDF.

Je me souviens quelques semaines après notre installation à Mainz, en revenant du centre-ville, j’avais décidé de passer par les rues de derrière. On m’avait montré un chemin piéton entre les arbres. Mais la distance entre l’arrêt de tram et ce raccourci me semblait plus longue que dans mon souvenir. Je marchais hésitante. Dans un camion de livraison garé, un homme jeune, à la peau marron comme disaient mes filles petites, m’a interpelée.

— Vous cherchez une adresse ? Je peux vous aider ?

— Euh… Merci c’est gentil. Oui, je cherche mais vous ne pouvez pas m’aider… Je cherche ma maison.

Aïe. Aïe. Aïe… Rattrape le coup Estelle…

— Oui, ça fait peu de temps que j’habite ici et d’habitude je rentre par l’autre côté.

Ouf. Ouf ?

Déjà plus vraiment chez moi dans la maison de Mainz, pas encore chez moi dans celle de Lyon… Avec une période tampon d’une poignée de semaines dans les mètres carrés temporaires et impersonnels de deux studios dans un appart-hôtel, équipés d’une chienne craintive qui aboie au moindre bruit et d’une gerbille clandestine.

Entrée dans un no woman’s land pour une durée indéterminée.

Bureau des pélerins


Je ne garde pas de bons souvenirs des deux premières semaines de notre arrivée à Mainz, dans une maison Airbnb en attendant de pouvoir s’installer dans la nôtre. J’appréhende celles qui frappent à la porte. Il nous faudra créer de nouveaux repères, la vie lyonnaise ne nous a pas attendus. Déjà je galère tant et plus pour reconstruire un réseau médical. Les places sont chères et on m’a plusieurs fois raccroché au nez. (Mais qu’est-ce qu’ils attendent au ministère de la Santé pour augmenter le numerus clausus ?)

Au petit déjeuner à la chambre d’hôtes, nous avons bien sûr bavardé avec les autres touristes. J’ai dérapé vers mon accent ardéchois en entendant le chantant du Sud-Ouest. (Oui, repassez-moi le gâteau basque, merci).

— D’où on vient ? Hum, c’est compliqué. D’Allemagne, mais on est français et on déménage dans moins de trois semaines. Oui, on rentre en France.

— Eh bien, vous, vous ne sentez pas le renfermé !

(J’espère bien que non).

Ils doivent nous trouver cinglés, en vacances à 1500 km de chez nous, à quelques jours d’un grand chamboulement. Pourtant ces quelques jours de pause, en pointillés entre les formalités, sont indispensables. Nous savons trop bien ce qui nous attend.

(J’évite d’y penser, sinon je cours me planquer au fond du lit, les yeux fermés et les mains sur les oreilles. Je ne suis là pour personne. Même pas pour moi.)

À Cambo-les Bains, nous visitons la maison d’Edmond Rostand, la villa Arnaga. Une ferme basque géante, superbe, entourée d’un jardin anglais propice au recueillement et d’un jardin d’apparat à la française. Un poème de pierre et de verdure comme l’annonce le dépliant. (Je fais le calcul : dix fois plus grande que notre futur chez nous, garage compris.) Après l’avoir découverte dans Invitation au voyage sur Arte (j’adore cette série au format bref : un lieu, un artiste), je suis ravie de la visiter. Dire que c’est son médecin parisien qui a envoyé le poète à Cambo-les-Bains en 1900 pour y soigner une maladie pulmonaire. Oui, ce médecin était maire de la commune basque (drôle d’époque ?!).

Je prends des photos et des idées pour notre futur chez nous. On ne sait jamais… Peut-être une harmonie de couleurs, une ligne peuvent-elles être reproduites, adaptées à un pavillon de banlieue un siècle plus tard ? Je m’indigne devant la légende d’un tableau : mais non, ce ne sont pas des roses… ce sont des pivoines. Et dans la salle de jeux des deux garçons où les murs sont illustrés des débuts de chansons enfantines. Mais non, ce n’est pas le pont d’Avignon ça !

Thé brûlant à la terrasse brûlante d’un restaurant panoramique à un col, avec vue sur Saint-Jean-Pied-de-Port. La jeune femme de l’accueil note notre réservation pour remonter y diner et commente :

— Oh c’est super de venir le soir ! C’est encore plus beau quand la nuit tombe et que les villages s’éclairent. Il fait moins chaud, la lumière est plus douce…

— Tant mieux. Vous avez une très jolie coupe de cheveux

(Vous le savez, c’est mon obsession depuis que je n’ai plus accès à un coiffeur de style français). Échange sympathique, souriant, sincère. Comme à la boulangerie du village ou à la cabane d’alpage. Mon mari et moi sommes scotchés.

— Qu’est-ce qu’ils sont sympas les gens par ici !

— Oh oui je me sens trop bien. T’es sûr qu’on peut pas déménager dans le Sud-Ouest ?

Je ne connaissais du caractère basque que les tags indépendantistes de Bayonne. Là nous sommes sous le charme. Politesse et gentillesse. Ouverture.

Lorsque, de retour à Mainz, une famille amie passera nous dire au revoir, et nous racontera son séjour en Bretagne, ils nous diront : « Comme les gens sont sympas dans les commerces ! Ici, les gens, au boulot, ils font la gueule. »

Accolades. Bisous. Larmes écrasées. Passez nous voir quand vous descendrez à Palavas.

(Tous les gens de Mainz connaissent Lyon, ou disons, le tunnel de Fourvière et le musée des Confluences).

Rondeur des jours.

Oui, le contraste est immense. Je ne suis pas fâchée de quitter une culture à angles droits où je me cogne partout. Une langue que j’aime beaucoup, mais plutôt en pointillés. Quand je dois m’exprimer au quotidien, le fond des choses me glisse entre les mots et me laisse frustrée.

Pourvu que nous continuions longtemps d’apprécier la douceur des échanges en France ! (Enfin, tant qu’on ne cherche pas un médecin généraliste.)

L’heure est au dédoublement administratif et au tri. L’embarcation tangue, mais nous tenons le cap et les échéances. Dans notre nouveau nid, une longue période de poussières et travaux nous attend. Mais nous aurons les pieds sur terre. Et ce sera la nôtre. Tant pis si en ce moment nous ne la touchons pas.

Aujourd’hui Mainzalors.com a trois ans !

Merci à vous mes lecteurs fidèles.

Sous-vêtements assortis

Pour aller chez le toubib et le kiné, c’est mieux non ? Non.

Ne pas laisser de bazar

Ça faisait une semaine que je programmais ma tenue de sous-vêtements pour ce vendredi matin, pour être sûre de pourvoir, avec les cycles de lavage, trouver dans le tiroir en haut à gauche une culotte et un soutif assortis. J’avais décidé de faire quelque chose contre ce mal au dos chronique, handicapant du mouvement et de l’humeur (demandez à mon entourage). J’avais rendez-vous chez un médecin ostéopathe recommandé par une amie.

J’y suis allée terrorisée, comme pour tout ce qui concerne la santé. Avec l’impression de tromper mon généraliste, qui a refusé de me prescrire des séances de kiné. Chéri tu peux m’accompagner stp ? Comme là c’est sûr il va m’envoyer au cimetière, je serai trop perturbée pour me consacrer au trajet. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de partir en pleine nuit, quand les rues sont vides. En essayant de déranger le moins possible les conducteurs pressés c’est sûr je vais me paumer. Avec à la clef, une rechute du lumbago et 170 de tension.

Ma meilleure moitié est compréhensive. Merci à lui.

Dans ce cabinet inconnu, j’ai montré patte blanche et me suis posée là où on m’a dit : sur la chaise en haut de l’escalier. J’ai pris mon air le plus détaché possible, genre je sais ce que je fais ici. De temps en temps, je redresse mon dos, cale mes reins contre le dossier. Non mais là c’est bon dans cette position (peu naturelle) j’ai plus mal. Et puis à ma dernière consultation en France on m’avait donné des exercices. Je les fais régulièrement (à peu près, enfin, parfois). Je fais du yoga tous les jours ou presque avec ma meilleure amie Adriene. Je nage dans le grand bain, 1 km en brasse et crawl. Le dos m’est impossible sinon je fonce dans les lignes ou les nageurs. On se souviendra que je crains la réprimande. Le papillon m’a coincé le haut du dos, quand j’ai réessayé en Forêt Noire. Ce n’est pas le moment de faire des folies de mon corps. Donc oui ça va. Je viens consulter mais tout va bien.

Le médecin, souriant et sympathique jeune homme (euh, il a fini ses études quand même ? Ah oui j’aperçois quelques rides) brun, en jean et baskets m’a appelée. La salle, aérée, était vide à part une table de kiné, une armoire en bois, et un fauteuil en bois d’inspiration asiatique. Dans un coin en face, sur une petite table, un ordi. Devant, sur un tabouret à roulettes, le docteur. Je m’en suis approchée et lui ai tendu le questionnaire en attendant les consignes.

C’est toujours ça qui manque dans les nouvelles situations : les consignes.

Que faire de mon corps ? Le poser où ? Dans quelle position ? Quel degré de nudité ?

Il faudrait un metteur en scène ou un chorégraphe.

Je m’en suis rendue compte en repensant à l’épisode sauna textilfrei (à oilp). Ce n’est pas de se dénuder en public avant le goûter qui pose problème, c’est de le faire à bon escient. Ne pas se retrouver en tenue d’Eve au milieu de maillots et de peignoirs. Ou inversement. Textilfrei. A partir de cette limite, tout quitter. Oui mais où et comment ? La transition est délicate.

Lors d’une première fois, mal à l’aise, on essaie de copier sans en avoir l’air, en se méfiant de ses impulsions. A plusieurs reprises, au café avec une amie, par réflexe , j’ai proposé de payer la note de nos deux thés (comme on a l’habitude en France, un coup l’une, un coup l’autre). La copine allemande était perplexe : tu veux que je te rembourse ? La deuxième fois, on peut expliquer, et faire passer sa bizarrerie pour un trait culturel.

Donc revenons à notre vendredi matin. Je m’attendais à me déshabiller et à montrer, bonne élève que j’avais mis des sous-vêtements, sans trous, (je ne vais quand même pas ajouter propres), assortis et que je m’étais bien épilée.

-Quittez vos bottes et allongez-vous sur le ventre.

-Les bottes c’est tout ?

– Oui. Défaites juste votre ceinture.

Soit.

Il appuie à différents points de mon sud-ouest.

-Vous avez mal là ?

-Non.

-Et là ?

-Non.

Il continue son exploration des douleurs dorsales.

-Vous faites quoi dans la vie ?

Ich bin Schrifstellerin (Je suis écrivaine )

(Alors là ça n’a l’air de rien, mais depuis trois ans que j’écris tous les jours, j’ose enfin l’avouer, dans l’intimité confidentielle d’un cabinet médical, dans une langue où le mot reste neutre (littéralement : productrice d’écrits), même si l’Académie Goncourt ne m’a pas adoubée. Donc méga victoire pour bibi qui cherche sa voie depuis bientôt… trente-trois ans.)

-C’est super ! Qu’est-ce qu’il y a comme gens intéressants !

Rire qui se veut modeste, derrière mon masque je rougis à peine (après tout il n’a rien lu de moi). Il enchaine :

-On n’a pas le temps de parler, sinon je vais être encore plus en retard. Mais je ne résiste pas. Vous écrivez quoi ?

-Un blog sur l’intégration d’une famille franco-anglaise chez les Teutons. Et un bouquin aussi. Vous parlez français ?

-Non pas du tout. Je ne suis pas doué pour les langues.

Tant pis, tant que vous vous y connaissez en vertèbres, muscles, et patientes angoissées.

-Et là ?

-Non.

Remontez un peu sur la table…

AIE AIE AIE … *#@*ZqX*!!§***… ce mouvement-là faut pas…

-Retournez-vous sur le dos.

Combien de temps vous me laissez ?

Il tâte mes cervicales.

-Ça va. Vous pouvez vous relever.

Avant midi ?

Je renfile mes bottes, en faisant attention avec la perfide flexion avant.

-On peut vous aider avec de la kiné ou de l’ostéopathie mais il faudrait apprendre à vous relaxer, parce qu’au moindre stress ou à la moindre émotion forte ça va revenir.

Il a bien compris le bougre.

-J’y travaille promis.

C’est pour ça qu’Adriene c’est ma meilleure pote, elle s’entend bien avec mes émotions fortes. Lisa aussi avec ses cours de yoga contre l’anxiété.

-Tenez une ordonnance pour six séances de kiné, c’est remboursé. Si ça ne marche pas on essaiera l’ostéopathie.

-Merci docteur.

10 minutes.

Il ne m’a pas envoyée au cimetière.

Mon mari a trouvé dans la boulangerie du quartier, de délicieux beignets de carnaval moelleux comme des nuages, où les petits grains de sucre collaient aux lèvres et aux joues juste assez pour avoir envie de les lécher. Et de se frotter le bout du nez avec le dos de la main. Tiens en fait y’a un arrêt de tram juste là. J’ai un peu honte de ne pas avoir vérifié avant.

Monsieur mon corps vous pouvez vous détendre.

Rompez.

Les six rendez-vous chez le kiné sont pris pour les semaines suivantes. La secrétaire m’a demandé d’arriver avec deux serviettes, une grande et une petite. Pas de consignes côté sous-vêtements, mais j’arbore la parure assortie – bleu roi, Monop, natürlich (j’ai pas encore basculé chez Tchibo pour les sous-vêtements, mais ça ne saurait tarder, je suis mûre. J’en suis à ceux de mes filles et aux chaussettes).

La kiné, une grande femme jeune et sportive, aux longs cheveux blonds, jean gris moulant et baskets Nike me propose d’entrer dans une salle équipée de matériel de sport. Elle vient d’aérer, je me dis que je vais me cailler. J’enlève mes baskets.

-Je me déshabille ?

-Non, non, ouvrez juste la ceinture je vais d’abord faire un bilan. Allongez-vous sur le ventre. Vous avez mal là ?

Non. Non. Non. J’ai mal tout le temps sauf quand elle appuie. C’est bon signe paraît-il.

Consultation : 20 minutes.

La dernière a eu lieu hier. Toutes consultations très intéressantes. J’ai appris à mobiliser mes abdos. Depuis le temps que je ne les avais pas vus, j’avais oublié où ils étaient (le premier qui me répond sous ton nez, je le mords). Avec ma pote Adriene, j’ai réussi à faire des abdos en mobilisant tout le reste du corps sauf eux. Ce qui fait que j’aime pas faire des abdos (qui aime ?), après j’ai mal au cou. Puis à la tête.

Donc, abdos pour de vrai, tous les jours.

Autre info qui peut servir, grâce à mon cher et tendre qui me l’a offert, j’ai lu un livre écrit par un Norvégien sur les étirements. Ma position de nuit est idéale pour me donner des maux dans le bas du dos (ça, trois bébés costauds, et la vieillerie). J’ai changé mes habitudes de sommeil. Je revis.

Chers amis français, appréciez à sa juste valeur un système médical où chaque minute n’est pas (encore) comptée (au plus court). Mes récits d’outre-Rhin ont inspiré un ami médecin : il a évoqué l’idée de facturer une visite à domicile quand il ira chercher un patient en salle d’attente.

Merci au système allemand, certes expéditif et à deux vitesses (selon l’assurance détenue), qui m’a bien aidée.

Un jour peut-être j’oserai publier un des tous premiers articles écrits sur le violent choc culturel avec le milieu médical local. Quand on est paralysée juste parce qu’on passe devant un hôpital, vous imaginez la rencontre avec des infirmières qui donnent des ordres. Et sourient. Parfois.

Je vous souhaite des abdos résistants et un dos compréhensif.

Les consignes de la salle d’attente du pédiatre (de Janosch)

PS : Vous connaissez les albums pour enfant de Janosch ?

Être ou ne pas être sympa

Ma théorie de la relativité

J’ai envie de lui offrir un pot de confiture entamé, le seul cadeau maison que j’aie avec moi. Je lui ai parlé dix minutes, je le connais depuis toujours.

Lui, c’est le jardinier-homme à tout faire qui veille sur la maison que nous occupons pour les vacances sur les hauteurs de Nice. Il a une soixantaine d’années, encore brun, pas très grand, avec un T-shirt bleu marine, et un jean usé.

Il est passé comme tous les mardis matin, pour tondre, tailler, vérifier l’assèchement des murs après la réparation d’une fuite d’eau. Nous avons blagué comme on dit en Provence (dans le sens de discuter). Il a un accent chantant, on a parlé du citronnier qui a souffert de la sécheresse, d’une balade qu’il nous recommande sur les baous (montagne), près de chez lui et du restaurant où il faut appeler de sa part et demander une table dans le jardin. Il est descendu à son travail.

J’ai entendu la tondeuse s’arrêter puis il a frappé à la porte.

-Les filles, elles aiment les mûres ?

-Oui bien sûr !

-Vous avez un récipient ? je vais leur en cueillir.

J’ouvre un placard de la cuisine et en sort en grand bol rose en plastique translucide.

– Y’en a plein des mûres, sur la haie.

– Oui elles sont belles. On en a cueilli quelques-unes, les autres sont trop hautes.

– Oh, mais c’est que je fais exprès de les laisser hautes.

Il attrape le bol que je lui tends, fait une petite moue.

– Il est un peu petit… c’est qu’il y en a cette année !

– Vous voulez un verre d’eau ? Vous avez l’air d’avoir chaud.

Il remonte une heure plus tard, transpirant, un sourire jusqu’aux oreilles avec dans le bol une montagne de grosses mûres.

– Oh merci ! un autre verre d’eau ?

– Voui, quelque chose de frais si vous avez. Vous avez pas d’eau au frigo ?

– Eh non.

– Pourquoi ?

– On n’est pas très dégourdis.

Je ris, lui aussi. En fait, on n’aime pas l’eau glacée.

– Du jus d’orange ?

Lui il est au frigo.

Pendant qu’il boit en s’épongeant le front, nous parlons confiture de mûres. Lui il les cueille, et les porte à sa cousine qui les cuit.

– On va en ramasser en Ardèche si elles sont mûres. Et on achètera de la crème de marrons.

– Oh j’aime ça, bien froide, avec de la glace à la vanille. Vous êtes de l’Ardèche ?

Les gens qui me sont sympathiques je ne peux pas m’empêcher de le leur dire.

Ni de leur donner de la confiture de marron. En Allemagne, importé directement en cartons de six bocaux, c’est mon cadeau le plus précieux. Nous l’avons offert aux voisins en arrivant, puis aux nouveaux amis.

Voilà pourquoi après notre bref échange, j’ai envie de lui envoyer la photo du crumble pommes-mûres fait avec sa récolte, et de lui donner un pot de confiture de groseilles faite début juillet. Tant pis s’il est entamé. Il est né de mes mains et de mon cœur.

Je n’ai fait ni l’un ni l’autre. J’ai appris à brider une spontanéité qui part du coeur mais peut être perçue comme bizarre.

Un peu plus tard dans le jardin, allongée dans l’herbe avec un livre sous l’olivier, je pense aux futurs échanges du jardinier avec le propriétaire de la maison.

– Oh j’ai vu la dame. On a blagué. Elle est bien sympa hein !

– Ah ?

Le propriétaire, je le connais bien. Il ne me connait pas. Je le fréquente pour raisons familiales depuis longtemps, mais je n’arrive pas à échanger deux mots avec lui. Nos mondes se tournent le dos. Il parle politique, pendant que j’essaie de dissimuler mon malaise avec les rapports superficiels. Je n’ose pas poser les questions personnelles sur le sujet qui m’intéressent : l’humain.

Dans ce cas précis, je n’arrive pas à percer la carapace. Certaines personnes sont comme ça hermétiques. A se demander si dessous coulent des émotions. Devant eux par pudeur, ou mimétisme, je bloque les miennes complètement. Mes gestes et paroles deviennent ceux d’un robot maladroit. Je tétanise, muette.

Aux caractères opposés s’ajoutent aussi des cultures différentes. L’homme est anglais. Un monde où les émotions sont taboues. Pourtant il fait des efforts. Il a même lu un livre, que mon mari a aussi, un classique du monde anglo saxon, How to win friends and influence people (de Dale Carnegie). Il l’a expliqué à mon fils un jour devant moi. Pour entrer en contact avec quelqu’un il faut lui poser des questions sur sa vie et ses centres d’intérêt.

Alors cet été il a fait ses devoirs et m’a demandé :

– Estelle, comment ça se passe….

J’ai vu son cerveau chercher ce qui pouvait bien m’occuper toute la journée, à part ma famille. D’un coup j’ai senti son corps se détendre, il a trouvé un truc :

– … ton piano ?

– Mon piano bien, merci. Je joue avec ma fille et une amie à quatre mains. Enfin dès que la pandémie nous permettra de nous y remettre.

Depuis plusieurs mois je travaille un nocturne de chopin que j’adore. Mais ça je n’arrive à pas le dire. C’est trop intime.

Ses sourcils se rapprochent, il penche la tête de côté :

– Votre piano, il est où chez vous ?

Euh en plein milieu du séjour. C’est pas comme si on avait un palace avec un salon de musique.

Mais surtout je suis scotchée par la question initiale.

J’adore jouer du piano, oui. Mais mon actualité ce n’est pas ça. Depuis deux ans je me consacre à l’écriture. Je n’en fais pas mystère. Comme ça fait partie de mon parcours pour me rapprocher de mon coeur, je tâche de partager. J’envoie à mon entourage (comme vous le savez ;o) le lien de mon blog dans mes mails de bonne année. Je mentionne même mon travail sur un livre. C’est vrai, avec cet ami je reste factuelle et brève mais je l’ai dit plusieurs fois : j’écris. Je m’attendais donc à une question en rapport avec l’écriture.

Pour se faire des amis et influencer les gens ne faudrait-il pas surtout écouter ?

(Je ne sais pas si c’est indiqué dans le bouquin. Je le lirai peut-être le jour où j’aurai épuisé tous les livres qui me font envie (jamais donc).)

Etre sympa veut peut-être désigner des comportements différents selon les cultures ? Où est la frontière entre avenant et envahissant ? Intéressé et trop curieux ? Respectueux et indifférent ?

Alors sans doute, cet homme a-t-il pu penser de moi, cette dame dans sa maison : Ah bon, elle est sympa ? Vraiment ?

Nous ne sommes que la moitié d’une relation. Nos personnalités s’adaptent à la nature de l’échange. Elles s’enrichissent ou s’éteignent mutuellement.

Suis-je sympa ?

Ça dépend de vous.

Mainzalors.com a 2 ans !

Bon anniversaire à toi qui m’accompagnes,

400 pages, 170.000 mots. Dis donc, on en a des choses à partager…

Et surtout, MERCI !

Merci à vous, mes lecteurs fidèles.

La Moselle au fil des vignes

Quelques jours de vacances sur les rives de la Moselle. Vignobles escarpés, villages de contes de fées. Un petit air de liberté au goût de glace à la fraise.

Avant la Moselle pour moi c’était un coin indécis du nord-est de la France : département ? région ? rivière ? Je n’y avais jamais mis les pieds et n’en avais pas envie. Même après trente ans à Lyon, mes vacances en France c’était partout sauf dans le nord-est et je situe le début du nord entre Valence et Vienne.

Maintenant que j’habite encore plus au nord, et que l’ancienne Moselle est au sud (vous suivez ?) je sais que c’est une rivière (ouf, et un département, oui). Elle prend sa source en France, traverse le Luxembourg et sillonne l’Allemagne jusqu’au Deutsches Eck à Koblenz où elle se jette dans le Rhin. Le décompte à rebours des 195 kilomètres depuis Trier (Trêves) est affiché sur la rive de ce cours d’eau international.

Nous l’avons aperçue la première fois lors de notre excursion au château d’Eltz (voir article : Burg Eltz). Même sous le soleil de mars, la vallée dégageait une impression sombre avec l’eau et le sol bruns, les arbres nus, les rochers de schiste et les toits d’ardoise.

La découverte de ses rives vantées par les guides touristiques faisait partie de nos plans de week-end depuis notre installation à Mainz. Notre première tentative était tombée à l’eau faute de place dans les hôtels convoités (ah cette manie de vouloir réserver deux semaines avant la date… ). Une maman de l’école m’avait raconté leur escapade familiale de quelques jours. Ça m’avait fait envie. Partis de Mainz en train avec leurs vélos à bord, ils avaient fait une rando itinérante entre les villages. Maintenant avec le chien, ça devient compliqué. Hélas.

Pour les vacances de Pentecôte, après la colo de cheval de nos filles nous avons décidé de partir au vert en famille. Pour assurer notre départ juste après la fin du confinement, et donc ne passer aucune frontière, nous avons mis le cap sur la Moselle. C’est le coin qui nous proposait le plus de dépaysement sans quitter le Rheinland-Pfalz. Nous sommes donc partis avec des tonnes de sacs (pourquoi ?), de quoi nous faire à manger pour 10 jours (au cas où les restaus restent inaccessibles) et la niche du chien (pliable) pour un gîte loué à Trittenheim, en amont de la partie touristique.

Beilstein

Après un pique-nique improvisé dans une forêt (où le muguet est sur la fin mais où un ravissant petit nid tombé nous a accueillis), nous nous garons à Beilstein. Ce petit village moyenâgeux préservé est niché au pied de parois de vignobles sous une ruine de château. Il fait beau et très chaud. (Le changement de météo a été soudain : quelques jours plus tôt c’était encore écharpe et blouson). Le parking le long de la route est presque plein. Nous grimpons à travers des vignes escarpées. On a pris par mégarde le chemin étroit des vignerons dans la terre et le schiste friable : la vue est plus dégagée que dans les ruelles, mais j’ai besoin de me concentrer sur mes pas pour ne pas céder au vertige.

La Moselle, le monorail

Un monorail digne du Space mountain serpente entre les ceps. Nous découvrirons le soir qu’il sert à tracter un chariot de type bobsleigh-de-fret pour descendre le raisin. Pas de terrasses comme en Ardèche. Les rangées de vignes parallèles plongent tout droit sur des pistes noires. Les vins de Moselle chers à Jacques Brel poussent sur des vignobles tout schuss.

Dans la cour intérieure de ce qui reste du château de Metternich (qui est une propriété privée) nous découvrons avec surprise que pour la première fois depuis des millions d’années, la terrasse du café est accessible sans test corona. Bonheur de se faire servir une eau gazeuse fraiche et un petit Apfelstrudel.

Les ruelles étroites de maisons à colombages serpentent autour de terrasses de café. La Marktplatz, place du marché, date du début du XIVème siècle. Partout les enseignes de vignerons proposent des dégustations. Nous préférons visiter l’église baroque de l’ancien couvent de carmélites, claire et fraîche. Les murs sont blancs, les hautes fenêtres sans vitraux et les décorations peintes de couleurs douces. Une bulle de lumière gaie. Devant nous, une pélerine de Saint-Jacques, sa coquille pendue au sac, se recueille à genoux. J’adore les églises vides. J’y fais le plein de paix. Là je dois garder un œil sur ma fille qui tente d’ouvrir la porte d’un confessionnal (pourquoi y’en a-t-il cinq ?). Mon mari garde le chien dehors. Nous visitons en alternance.

Redescente vers la voiture. La pélerine et une copine attendent le bac pour l’autre rive. Il coulisse le long d’un câble, comme celui que j’avais pris à Bâle avec Susanne mon amie allemande d’enfance (voir article : L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne). Nous rembarquons pour descendre à Tritterheim, en amont de la rivière (oui, encore une qui coule vers le nord).

Notre gite est au deuxième étage d’une maison au bord de la route (ça ne se voyait pas sur les photos), dans une exploitation viticole. Juste en face se dresse une arche construite en pierres et caisses de bouteilles de vin où le village salue ses visiteurs. Willkommen / Bis bald (bienvenue / à bientôt). Sur un des poteaux est affichée la photo d’une jeune femme élégante avec une couronne et un verre de blanc à la main : la dernière reine locale.  Elles sont choisies tous les deux ans semble-t-il à la fête du vin du village.

L’appartement bien équipé est extrêmement propre. Je mets la pression sur ma famille : il ne s’agit pas de rendre le logement en piteux état. On fait toujours attention, mais là, où nous louons pour la première fois en Allemagne chez l’habitant, il en va de notre honneur franco-anglais. Ma fille trépigne, avec un grand sourire elle demande à la propriétaire :

-On peut se baigner dans la Moselle ?

-Oh non. Y’a des algues qui grattent et des bateaux dangereux.

Elle fait la grimace. Comme nous tous. Zut ! Tant pis pour les maillots.

Péniche (si, si, au fond)

Par moment on aperçoit une péniche de marchandises qui navigue sur la rivière (moins imposantes que celles qui croisent sur le Rhin). Dans certains villages, de longs quais ont été bâtis pour les accueillir. Ce trait de béton droit sur la rive d’un cours d’eau tout en courbes, le contraste entre industrie et paysage bucolique sont insolites. L’extérieur des virages, érodé par le courant est escarpé, l’intérieur tout en douceur. Pas de canoé ni de kayak sauf dans un ou deux coins touristiques. Personne ne se baigne. Difficile de voir dans quel sens le courant coule, l’eau marron entre des rives vertes semble immobile, domptée par des barrages et écluses. La Moselle est un décor à ne pas toucher.

Je discute avec la propriétaire du gîte dans la cour, à bonne distance. Elle et son mari exploitent 3 ha de vignes autour de chez eux et un peu en face dans les pentes. Ils ont vendu les endroits les plus escarpés. Le travail en dévers est trop dur pour leurs articulations. C’est la raison pour laquelle leurs enfants ont renoncé à prendre la suite. Je ne sais pas comment ils font. Dans plusieurs vignobles j’aurais refusé de descendre autrement que sur les fesses. J’aurais même choisi de faire le tour. Elle me pose des questions sur notre famille polyglotte, me dit qu’elle ne pourrait pas travailler dans un bureau et me demande ce que je fais dans la vie. Je lui parle de mon écriture et lui donne l’adresse de mon blog. Elle le consultera grâce une application de traduction.

Trittenheim (à droite)

Rapide tour dans le village. Il s’étale à l’intérieur d’une ample boucle de la Moselle, à l’écart des destinations touristiques. Sur la plupart des maisons des enseignes invitent à acheter du vin (Weingut, Weinprobe, Winzer, Weinverkauf …) et presque toutes proposent des chambres à louer. 1000 habitants, 800 lits d’accueil, 50 exploitants (150 il y a quelques années). Le vignoble est très morcelé. Presque aucun magasin. Une poignée de restaurants dont un étoilé.

Notre premier jour est un jour férié (jeudi de Fronleichnam). La seule activité se concentre auprès de la mairie pour les tests du corona. La boulangerie est fermée. L’office de tourisme aussi. Nous achetons nos Brötchen frais à la station-service en face de chez nous, qui les cuit sur place.

Au départ en balade, nous longeons la Moselle et la prairie d’accueil des campings cars. Tout le long de la rivière s’égrènent des villages et autant de pelouses à camping-cars. Aucune tente. Les véhicules sont garés comme des œufs dans une boite, parallèles et assez serrés. Sous l’auvent, une table et des chaises. Sur le toit une parabole. Vue imprenable sur le camion du voisin. C’est parti pour les vacances au bord d’une rivière où on ne peut pas se baigner. Certains s’installent pour toute la belle saison. Nous n’avons encore trouvé aucun endroit où planter notre tente en Allemagne ailleurs que sur un parking. Moi qui pensais que le camping était un loisir de pleine nature. Faudra qu’on m’explique.

La tour de l’ancien passeur du bac

Deux tours carrées blanches de part et d’autre de l’eau m’intriguent. J’apprendrai qu’elles hébergeaient les passeurs du bac. Sur le pont, les filles portent Gaïa ; elle a la pétoche, voudrait s’éloigner des bords, et marcher au milieu de la route. Dans les vignes sur un rocher, un cadran solaire, et en grandes lettres Trittenheimer Apotheke (pharmacie de Trittenheim). Je me dis que ce doit être le sponsor du carré. Mon mari me dit que non. Il a lu que c’était une appellation du vin local.

Grimpette sur le chemin vers la Grillhütte.

A louer pour barbecues

C’est formidable ça. En Rheinland-Pfalz (et peut-être partout en Allemagne), chaque ville ou village dispose dans la forêt d’une cabane à barbecue et la loue à qui veut. En décembre 2019, la fête de Noël de la classe de ma benjamine avait été organisée dans celle de notre quartier, en pleine forêt, dans la nuit et sous la pluie. Extra ! Celle de Trittenheim est luxueuse. Longues tables et bancs sous des bouleaux, cabane fermée en cas de pluie, barbecue abrité un peu à l’écart. Toboggan, cage de football et toilettes. Le tout sur un grand pré calé contre la forêt, accessible en voiture pour apporter le matériel. Les troncs d’arbre portent des traces d’escalade.

Ça râle un peu dans notre sillage. Trop chaud, mal à la tête, quand est-ce qu’on rentre ? On mange une glace ? Ok une glace à la pizzeria au retour (on commandera derrière un monsieur qui prend 6 boules dans un pot, pour lui tout seul). A condition de pousser un peu pour aller voir la chapelle Saint-Laurent sur la crête dans les vignes. Toute blanche, elle est visible depuis la route. La grande croix, mémorial aux morts des deux guerres mondiales me met mal à l’aise. Il n’y a pas de hiérarchie dans les morts bien sûr. Mais je ne peux m’empêcher de penser : si certains avaient foutu la paix au monde… L’orage menace puis s’éloigne. Le dîner en terrasse s’approche.

Le restaurant où ma fille et mon mari ont réservé est charmant. Dans un village un peu en amont du nôtre, à une poignée de kilomètres de l’autre côté de la boucle de la Moselle. Il occupe le rez-de chaussée surélevé d’une grosse maison en bordure de rivière, avec vue sur les vignobles et la petite chapelle blanche. La serveuse nous explique qu’elle est lituanienne et que leur établissement rouvre le jour-même post confinement. Le chef est son mari et a gagné le championnat du monde de cuisine en Afrique du Sud.

Dans cette contrée viticole, nous devons être des clients décevants : je ne bois pas de vin et mon mari un verre. Par contre on mange. Gaspacho au poulpe, veau aux pommes de terre violettes et dessert glacé au pamplemousse. Le Flammkuchen de ma plus jeune est craquant et fondant comme il faut. Un délice. Premier repas en terrasse depuis fin août dans la lumière douce près de tilleuls aux fleurs non écloses. Partout du vert. Le bonheur.

Trier, Porta Nigra

Le troisième jour, nous avons décidé de visiter Trier (Trêves). Mon unique passage date d’il y a plus de trente ans. A dix-sept ans, j’étais alors en stage pour l’été chez Ikea à Cologne. Je logeais chez une amie américaine musicienne mariée à un Allemand. Un samedi nous avions pris le train pour découvrir la cité romaine, plus ancienne ville d’Allemagne. Je me souviens avoir eu très chaud et soif et de m’être ennuyée à arpenter de longues rues inintéressantes. La pause dans l’ombre de l’imposante Porta Nigra, vestige des remparts romains et symbole de la ville m’avait sauvée. Je ne le dis pas à mes filles. Peut-être que ça me plaira plus cette fois ?

Après une grosse demi-heure de route, nous arrivons dans la zone commerciale de Trier. Sur la droite on aperçoit les falaises rouge brique de la Moselle. Un panneau mentionne le jumelage avec Metz, à 100 km. On se gare dans un parking en étage. Direction la place du marché charmante avec ses maisons à colombages. Le centre piéton est bondé, les points de dépistage rapide du corona se signalent par de longues queues. Direction la cathédrale. Mon mari et moi visitons à tour de rôle, il faut garder Gaïa (Grrrr). Lorsque les cloches sonnent au-dessus de sa tête, elle se met à hurler comme un loup.

Trier, cathédrale

J’entre seule. Les styles sont variés, plutôt chargés. Les deux chœurs, un à chaque bout, désorientent un peu. Au fond, un escalier monte vers une chapelle réputée héberger la tunique du Christ. La foule s’agglutine devant un porche. Je me hâte. Une porte latérale s’ouvre sur un cloître gothique presque désert pour ma dose de paix du jour. Il donne sur la Liebfrauenkirche, (l’église Notre-Dame) elle aussi classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle est inaccessible car une messe est en cours. Dommage.

Les filles en ont déjà marre. Elles ont repéré sur notre carte la pub d’un restau mexicain. Nous nous installons pour croquer dans des fajitas brûlantes et dégoulinantes en terrasse. On sursaute chaque fois que Gaïa aboie, au passage d’un deux-roues. Lorsque le monsieur à quelques tables de nous allume son cigare et nous empeste, je me dis que pour une fois nous aussi on dérange le monde. Hé, hé. N’empêche, j’en suis fort gênée. Je préfère l’anonymat.

Trier, pont romain

Pas de musée, non la patience collective s’effiloche. On va tenter de voir les vestiges romains éparpillés, dont plusieurs sont aussi classés au patrimoine mondial. On serpente dans la foule jusqu’à des rues plus calmes, non piétonnes, et sans intérêt. Nous passons par hasard devant la maison natale de Karl Marx (belle maison bourgeoise…). Nous rasons les murs côté trottoir à l’ombre. Une allée couverte de marronniers en fleurs nous rafraichit. La chaleur et la lassitude me rappellent ma visite précédente. Arrivés au quai, la route à traverser a beaucoup de trop de voies. Les voitures filent sur le pont. T’es sûr que c’est ça le pont romain ? Quelques pas de côté pour en découvrir le profil. Sous le tablier de goudron, les piliers en pierres noires et briques rouges ont l’air antique. Respectable certes, mais peu respecté avec toute cette circulation. Décevant.

Maison natale de Karl Marx

Allons voir les thermes.

En quittant le quai, nous passons à côté d’une zone de fouilles archéologiques sans nous arrêter, avant de nous rendre compte qu’il s’agit des Barbarathermen (thermes de Sainte-Barbe). Retour sur nos pas pour emprunter la passerelle au-dessus des ruines. Beaucoup de murs de pierres sont couverts d’un toit au ras de leur hauteur (pour les protéger de l’érosion ? pour abriter les archéologues ?). Du coup, depuis la passerelle on ne voit pas grand-chose. Pas de vue d’ensemble : on est trop bas. Pas de compréhension de l’architecture : trop haut. Des panneaux expliquent qu’il y a deux piscines, dont une sous une des maisons voisines. On veut bien les croire. La photo aérienne de la sortie est plus claire. J’en connais qui préfèreraient se baigner dans une piscine avec de l’eau dedans (moi).

Allez courage les filles, par là on va voir d’autres thermes et l’amphithéâtre. Oui, oui, oui, on ira prendre une glace après. Pause pour boire sous les tilleuls verts de la promenade. Hydratation canine. Ça râle et ça traine. Avec mon mari on garde le cap. Nous essayons de montrer l’exemple et de motiver notre descendance à l’Histoire mais au fond on en a ras le bol aussi. Nous suivons une avenue sans charme hormis les arbres.

Nouveaux thermes, ceux de l’empereur. De l’extérieur, un vestige de grand mur. Pour entrer il faudrait contourner l’espace extérieur. On va faire l’impasse. Pareil sur l’amphithéâtre : il est encore trop loin le long de routes à forte circulation pour notre état de fatigue et la chaleur.

Sur le retour vers le centre-ville, nous reparlons de notre visite aux thermes romains de Bath en Angleterre. Rien à voir. D’abord ils sont très bien conservés (ceux de Trier ont été récupérés après un détournement d’usage et des destructions), mais ensuite leur pierre blonde est gaie. Ici les blocs semblent grossiers, la pierre triste. Rien à voir non plus avec ceux des vestiges romains du sud de la France aux pierres claires.

Cap sur le glacier. Ma grande fille a cessé de parler depuis un moment et tient la chienne en faisant son boulot d’ado (la tronche). Longue queue à la boutique près de la cathédrale pour une boule de glace à la fraise fraiche délicieuse (et une autre au citron, parce que bon…). Allez vite, un p’tit tour à la Porta Nigra et on s’en va.

Retour à la place du marché, toujours aussi charmante mais écrasée de soleil et de foule. Nous suivons une rue commerçante piétonne avant de voir la muraille noire en blocs grossiers. Son appellation date du XIème siècle : la noirceur n’est pas due à la pollution moderne. On lève la tête pour contempler. On passe sous les arcades dans une ambiance d’oubliettes en guettant les odeurs fétides. Non ça va. Là dans son ombre j’aperçois l’Estelle de 17 ans, lasse d’ennui et de chaleur. Mes impressions du jour sont les mêmes. Eh, copine d’il y a longtemps, tu me fais une petite place ?

Sans doute faudrait-il prendre le temps d’entrer dans les musées. Mais au niveau du tourisme familial rapide (avec un chien), c’est décevant. Ce que j’ai goûté ne me donne, à nouveau, pas envie de revenir.

Rentrés au gite, l’orage gronde. Ça me va bien j’adore les orages et à Mainz il n’y en a presque jamais, ils sont détournés par le coude du Rhin et le massif du Taunus. Sous la pluie torrentielle, nous allons commander des pizzas. Les boites en carton chaudes réchauffent les doigts mouillés.

Bernkastel

Le lendemain, quatrième jour, la motivation des troupes pour des excursions étant au plus bas, mon mari et moi partons seuls. Sans enfants, sans chien !!!  Direction un double village plus bas sur la rivière : Bernkastel-Kues. Heureusement que grâce au corona, les parkings à cars sont vides.

Kues, ancienne gare

Le centre du village tout en ruelles étroites, maisons à colombages antiques penchées les unes vers les autres pourrait être charmant. Mais les peintures trop neuves et clinquantes, les magasins de souvenirs trop nombreux agacent. Les façades blanches brillent, les colombages rouges reluisent. Nous apprécions de pouvoir marcher sans laisse au propre comme au figuré. On connaît la musique. Traversée du village, montée aux ruines du château, photos, descente. Il fait gris et frais. Les acacias dans la montée sentent bon et les marguerites sourient de partout.

Bernkastel

Au bout d’une ruelle on se trouve une place pour déjeuner dans un restau touristique mais correct. Steak de porc, crudités (soyons raisonnables, j’ai repéré dans la boulangerie un gâteau au fromage pour le gouter). Peu après, dans une rue plus haut, un macaron Michelin signale un établissement au nom français (La rôtisserie royale). Le menu sur l’ardoise est au même prix raisonnable que ce que nous venons de payer. Ce sera pour la prochaine fois.

A notre retour, l’appartement est vide et les clefs accrochées à l’entrée. Les filles sont parties se balader au bord de la rivière avec Gaïa en oubliant de les prendre. Elles ont dû râler… Tiens, une bosse sur un lit. Je soulève la couette : quelques sacs installés en longueur comme une personne endormie… Ah, ah. Personne sous les lits. Surprise : elles sortent toutes les deux de l’armoire, la chienne muette dans les bras.

Comme elles n’ont pas bougé de la journée elles réclament une sortie. Identification à la dernière minute d’un restau avec des places de libres. Il pleut ce sera donc dedans sous condition de réaliser un test Corona fourni par l’établissement. Soit. On procède aux gestes demandés (voir article : Je rêve d’avoir mal à l’épaule gauche). Wiener Schnitzel et truite meunière. (Ça se dit pareil en allemand : les meunières attrapaient-elles les truites dans le ruisseau de leur moulin ?). Dernière soirée, bon d’accord, on regarde un puis deux épisodes de Miranda calés sous la couette tous les quatre, Gaïa dans le bras de la grande. Le chef chez nous a dix ans.

Au moment du départ (gite bien rangé, oui, oui), nous échangeons à nouveau avec la propriétaire. Elle me parle de ses quatre niveaux de TVA et de la nécessité d’être digitalisé. Je lui pose quelques questions. Ça veut dire quoi Strausswirtschaft ? Ce sont les ‘‘troquets-bouquet’’, des vignerons qui ont le droit trois mois par an de vendre des bricoles à manger : fromage, charcuterie, pain. Ils étaient signalés avant par un bouquet (Strauss) devant la porte. En Bade-Wurtemberg ça se dit Besenwirtschaft, où c’était repéré par un balai.

Sur le chemin du retour nous avons encore deux étapes.

Bremm, au fond les vignobles à 65° de pente

Direction Bremm, dans une autre boucle de la Moselle, bourg endormi au pied de vignobles à 65° les plus pentus d’Europe. Le ciel est blanc. Les rochers et les toits sombres. Ma fille dit : « on dirait un village dans un livre d’histoires, là où vivent les enfants malheureux ». Au bout du chemin après l’église, la vue est superbe. Je m’en contente. Au-delà part un escalier pour une via ferrata à travers les vignes de Bremmer Calmont. Un panneau précise que c’est interdit aux personnes sujettes au vertige. Déjà au milieu de l’escalier la tête me tourne… 

Wiener Schnitzel et truite meunière en terrasse, au son d’une petite fontaine.

Cochem

Dernière étape Cochem, gros bourg touristique. Plus gros bourg que Bernkastel-Kues, avec collège et lycée et même une librairie au milieu des boutiques de vin et de souvenirs. Château de conte de fées en pierres noires sur un sommet de colline reconstruit au XIXème, maisons colorées en bord de rivière, rues étroites et maisons antiques à colombages. Devinez ? Glace, oui glace (fraise-rhubarbe). Montée au château. Photos, difficiles à prendre sur fond de ciel blanc.

Cochem, Marktplatz

Nostalgie de fin de vacances et de dimanche soir cumulées. Soudain on se souvient des devoirs à faire pour le lendemain, faudrait pas trainer. « T’inquiète maman c’est juste des révisions». Retour sous un ciel toujours blanc. Il fait presque froid.

La route est aussi belle qu’à l’aller. Dans les jardins, les rhododendrons sont en fleur, magnifiques. La terre doit être acide (terre de bruyère se dit Rhododendronerde, terre de rhododendron). Dans les bas-côtés le bleu des ancolies et lupins sauvages attire l’œil. Après quelques lacets très serrés pour quitter la vallée, nous retrouvons des champs, puis l’autoroute et des forêts d’éoliennes immobiles.

On écoute un CD de Cabin pressure qu’on connait par cœur mais qui nous fait toujours autant rire. Gaïa s’est habituée à la voiture. C’est de bon augure pour nos dizaines d’heures de route de cet été, quand nous pourrons enfin franchir des frontières.

Vous aussi maintenant vous avez envie d’une petite glace non ?

Concert virtuel

Quelle joie samedi matin ! Nous avons goûté ma grande fille et moi à un échantillon de normalité musicale. Un instant, nous avons cru à la liberté.

Sa prof de flûte a organisé un concert virtuel pour ses élèves en les filmant les uns après les autres dans une église déserte des environs de Mainz. Elle enverra à tous la vidéo complète. Elle nous a donné rendez-vous en fin de matinée.

Ma fille a préparé une humoresque de Dvorak et je l’accompagne au piano. Voilà plusieurs semaines que nous répétons notre duo, quand elle daigne en avoir envie à des horaires raisonnables. Elle rechigne à travailler sa flûte, refuse pourtant d’arrêter les cours.

La consigne était de s’habiller en tenue de concert. Nous avons fouillé dans notre garde-robe. S’habiller joliment ? Euh… voilà bien longtemps… Le pantalon noir serre un peu mais le chemisier de mes temps français est toujours chic. Ma fille porte un chemisier romantique blanc acheté ici par correspondance chez un ovni de la distribution, Tchibo.

Ils sont spécialisés dans les cafés. Mais commercialisent aussi une gamme hétéroclite d’habits, sous-vêtements, gadgets de saison, meubles, assurance dentaire et voyage organisé en Bavière. Au choix. Leurs boutiques proposent la consommation de café sur place. Les supermarchés ont des corners Tchibo (où l’on peut moudre son paquet de café soi-même) et la sélection du moment. Le rapport qualité prix est imbattable. Donc nous nous y sommes mis. Nos chaussettes et culottes arrivent dans un carton. A la dernière commande, il y avait aussi ce chemisier ravissant. Ouf !

Nous avons mis des chaussures (des vraies, avec même un petit talon pour moi), et nous sommes maquillées. L’aventure. Nous sommes parties toutes les deux avec nos partitions, la flute et les masques et j’ai paramétré le GPS. Les indications de routes allemandes avec un accent français sont drôles. Heureusement que nous étions deux pour comprendre parfois. Par exemple la sortie pour Nieder-Olm était lue : Nieder – O-L-M. (Heureusement que la dame ne nous a pas épelé Bretzenheim). Même la prononciation de ‘’Mainz’’ est à peine intelligible.

Nous sommes arrivées en avance et nous sommes garées sous les tilleuls. Les feuilles commencent à poindre. Un couple promène son chien. C’est un coin où nous sommes déjà venus pour déposer des jouets et des livres à l’Emmaüs local. Leur librairie d’occasion fort sympa, propose un rayon bouquins français et un autre pour ceux en anglais. Hélas, ils n’acceptent plus rien depuis ce que vous savez, faute de pouvoir l’évacuer. Nos jouets inutilisés s’empilent dans notre abri de jardin. Les livres lus vont dans les étagères extérieures du quartier en libre service. Ils ont beau ne pas être en allemand, ils partent vite.

En bas le Rhin

L’église où nous avons rendez-vous à Bretzenheim est protestante. C’est une construction moderne carrelée de blanc, dont le clocher séparé du bâtiment principal, s’élève comme un phare égaré dans une rue résidentielle (je n’ai pas eu envie de prendre de photo). A l’heure dite, la prof de ma fille (voisine de tapis de mon cours de yoga d’avant) vient nous chercher. Elle s’extasie sur notre élégance. Ouf, on avait eu un rappel de la consigne à la répétition de jeudi. Notre décontraction vestimentaire est peut-être plus grande qu’on ne le pense.

La pièce est à peine arrondie, moderne, le plafond plat et bas. Elle tient plus de la salle des fêtes que de l’église. Une baie vitrée s’ouvre sur un bout de pelouse émaillée de pâquerettes, ce qui permet l’aération de rigueur et une belle lumière naturelle. Derrière l’autel, une table haute et ronde, un bas-relief de visages en terre cuite brute et un vitrail jaune tout en hauteur. Dans un coin un petit orgue bleu roi. Pas de chaises. Tout autour de l’autel trois caméras sur trépied. Ma fille s’exclame : “Waouh ! j’ai toujours voulu savoir comment on filme pour la télé !”

Ce sont les caméras du pasteur. Il filme, monte ses vidéos et met le tout sur son site internet. C’est une paroisse très active nous dit la prof. Active et musicienne on dirait. Le piano à queue et les instruments entreposés dans un coin, guitare et trompette semblent être là à demeure. Notre hôte du moment filme avec son téléphone posé sur un pupitre, et enregistre le son en parallèle avec un magnétophone (on dit toujours comme ça ?) sur une chaise.

A moi le piano, à ma fille le pupitre à côté. Elle toute blanche, moi toute noire, comme les touches du piano. Elle accorde sa flûte (oui ça s’accorde une flûte je ne savais pas non plus) en tirant plus ou moins sur la partie de l’embouchure. Et c’est parti.

C’est intimidant de jouer sur un instrument inconnu. La résistance et le son des touches se découvrent au fur et à mesure. On adapte le geste en chemin, comme on suit la soliste. Je fais attention à la deuxième partie de ne pas faire un Forte trop fort : à la maison ça l’avait fait éclater de rire. Là elle me tourne un peu le dos, mais je crains qu’avec la légère tension de l’enregistrement, elle y repense. Rigolades interdites. La flûte n’autorise même pas un sourire.

Parfait dès la première prise ! Mieux que nos performances domestiques. On s’est bien appliquées, et on était très très motivées. On en refait une deuxième pour le plaisir. Arrêt au milieu, au moment du Forte. Je vous avais prévenus. Le sourire hilare sera coupé au montage. Ma demoiselle est ravie ! Moi aussi. Je lui dis : “souviens-t-en quand il faudra réviser tes morceaux ! La récompense est au bout.” Ce concert virtuel nous convient bien : le plaisir de jouer dans une belle salle, sans le stress des spectateurs et avec le droit à la deuxième chance. On s’est offert un bout de liberté. J’ai même eu le droit de jouer sans masque. Merci beaucoup à la professeur.

Retour à la maison, radieuses et fières. Ma choupette et moi on se fait des compliments : comme tu es belle, non c’est toi. Comme tu as bien joué. Toi aussi. C’est tellement différent de notre quotidien que nous n’en revenons pas. Le dernier concert datait de décembre 2019, on avait un peu cafouillé. La salle (c’est-à-dire le salon de la prof) était comble et nous stressées. C’était notre premier concert en Allemagne, on était un peu intimidées. Je ne sais pas si les autres élèves l’étaient aussi, mais eux ça ne s’était pas vu.

Côté musique, ma plus jeune révise pour l’école les nuances. Pianissimo, piano, mezzopiano, mezzoforte, forte, fortissimo. Et le solfège de la notation. Elle aura peut-être une interro. Je l’aide à retenir les termes italiens et leur explication en allemand, mais je lui explique en français. Elle s’en sort je crois. Mais qui l’eut cru ? La musique, comme les maths, n’est pas une discipline universelle. Par exemple, les notes s’écrivent avec des lettres. Oui mais non, pas tout à fait comme pour les Anglais.

Dans ma lointaine jeunesse, lors de ma première descente de l’Ardèche, j’avais été entreposée dans un canoé entre mon oncle barbu et une amie américaine violoniste. Deux mélomanes non polyglottes. Ils avaient trouvé un vocabulaire commun pour qu’elle comprenne l’intensité avec laquelle manier sa pagaie dans les rapides. FORTE il criait ! Nous n’avions pas dessalé.

Au retour de notre matinée musicale, nous avons déjeuné d’asperges achetées la veille. Le maraîcher était équipé d’une machine à éplucher lesdites asperges. Grande comme un piano droit, vitrée, les tiges y passent une par une, dans une succession d’outils parallèles, avec un tac-tac-tac régulier et sont expulsées dans un bac d’eau. Ça me fait marrer ! Je ne peux m’empêcher de penser que oui, nous sommes bien au royaume de la machine-outil. Alors j’ai fait ma touriste. La première fois que j’en avais vu, je n’avais pas osé.

-Madame chuis française, puis-je faire une photo ?

-Oui et même une vidéo si vous voulez.

Youpi ! Je vais pouvoir partager l’insolite. Si j’arrive à filmer… Pourquoi ma fille a-t-elle programmé le minuteur sur mon téléphone ? Sans lunettes, je tâtonne pour l’enlever. Yeah c’est dans la boite !  Et les asperges déjà prêtes à cuire, dans le sac.

Ce matin l’école a repris. Le collège a envoyé 2000 messages pour nous le rappeler. Trois jours pour les miennes, qui sont dans le groupe A, avant le pont de l’Ascension. Puis ce sera le tour du groupe B. Rabotage du nez lundi et mercredi matin, obligatoire. Et ensuite, après les deux semaines des vacances de la Pentecôte ? Ensuite on verra. Ce sera déjà ça. Ça fait drôle dans le couloir ce cartable prêt à partir. (L’autre sera prêt en partant).

Les vaccins avancent à pas de fourmi. Une copine m’a dit qu’elle était concernée. Moi quand je regarde sur le site web officiel je ne vois que les plus de 60 ans et les personnes à conditions particulières. Je n’ai pas déroulé la liste jusqu’en bas. C’est ouvert aux salariés de moins de 60 ans. Et ceux qui ne sont pas salariés ? Prière d’attendre. Sauf parait-il si on accepte le vaccin AZ (mais je n’ai pas lu cette info). Imaginez si pour les autres vaccins on choisissait le labo fabricant comme sur un catalogue de VPC ? Non, pas celui-là, l’autre. Il me va mieux au teint.

La procédure d’inscription est à l’avenant de toutes les informations covidesques : incompatible avec mon mode de pensée. Vais-je arriver à m’inscrire le moment venu ou vais-je devoir là aussi faire ma touriste ?

Mon mari vient d’être informé par son employeur qu’il pouvait s’inscrire. Il a des scrupules à prendre une dose dont quelqu’un de vulnérable aurait plus besoin. Il a aussi reçu en Angleterre dans sa famille un courrier pour lui proposer un rendez-vous de vaccination. Les Anglais dépotent. Moi j’ai eu un message de Doctolib. Le tourisme-vaccin c’est possible ?

Ce serait formidable. Il est temps.

Entendez-vous ce bruit ? Ce sont les coups de marteau sur les piquets que je plante autour de ma cervelle pour me protéger des informations. Ai-je besoin de savoir que le vaccin AZ est interdit aux vieux ? puis finalement aux jeunes et recommandés aux vieux ? Ah et puis non, permis pour tout le monde ? Que l’école rouvre, mais que puisque les règles ont changé elle referme ? Je prends les choses quand elles nous concernent et au moment idoine. Le reste je ne veux pas savoir. A quoi ça sert de faire la collection des volte-face et des contre-ordres ?

Hélas, les conversations téléphoniques me déversent dans l’oreille toutes les nouvelles que j’essaie d’éviter par ailleurs. Elles me les glissent sous la barrière. Le taux d’incidence des deux dernières semaines et en temps réel, les avantages comparés des vaccins, des tests, des politiques régionales… Pourtant je ne le demande pas à mes interlocuteurs. Mais nous n’avons rien d’autre à nous dire. Et à part ça ? A part ça rien. Ce serait perdre le peu de contacts même virtuels qui nous sont permis. Alors j’écoute en me nouant le ventre.

Avant de multiplier les contacts sociaux, attendons que la vie presque normale ait pris de l’élan et qu’on ait des choses à se raconter. Pour l’instant, dans le calme d’une maison sans école sur écran, j’écoute les martinets revenus.

Mainzer Sand

Vivre et le certifier

Me revoilà aux prises avec l’administration, de part et d’autre du Rhin

Le long du Rhin, le nombre de kilomètres depuis le lac de Constance. A Mainz : 500.

C’est la saison, une saison décalée par le corona. D’habitude c’est avant la fin de l’année. Cette fois ce sera avec les giboulées. L’administration française me demande de lui prouver que je suis toujours vivante.

La première fois après notre expatriation j’ai été très surprise. Mais les services de la mairie de Mainz et moi, on s’en est bien sortis. La deuxième fois, l’an dernier, le système avait été refondu, centralisé pour ”simplifier” et surtout pour le pire. La plateforme anonyme ne mettait pas à ma disposition le document qu’un mail m’intimait l’ordre de faire signer au plus tôt (voir article : Bon sens (de l’humour))

Cette année, je me tenais prête, ticket de tram et carte d’identité dans la poche, pour aller demander à un employé inconnu de jurer, cracher, tamponner que c’était bien moi, là en face, derrière le masque. Pour ne pas rater l’échéance, je consultais régulièrement mon profil sur le site. RAS. Jusque-là tout va bien.

Puis un jour j’ai reçu le fameux mail me demandant de télécharger le formulaire. Il a été actualisé. Le document français avec, dans une police plus petite, des traductions multilingues (anglais, allemand, espagnol, portugais) s’est adapté au pays de résidence. Le mien ne porte des traductions qu’en allemand. C’est presque dommage de ne pas se sentir reliée aux autres Français de l’étranger par quelques mots.

Le document précise le 30/03 comme date limite de renvoi. Le site, qui héberge ledit-document, impose le 30/04. Tiennent-ils (ces ”ils” lâchement anonymes) compte de la pandémie qui affecte les pays différemment ? Dépêchons-nous on ne sait jamais.

Comment faire en plein confinement ? Si tous les magasins sont fermés, qu’en est-il des services administratifs ? Un p’tit tour sur le site de la ville de Mainz. J’écris un mail. Une dame me répond obligeamment : envoyez-moi une copie de votre carte d’identité et 6 euros et je vous fais le certificat de vie. Je m’exécute et lui envoie le formulaire français à remplir.

Dispositif efficace. Quelques jours plus tard, je reçois par mail et par la poste le document établi sur du papier à en-tête de la ville de Mainz, en allemand. Ravie de me libérer d’une formalité à si bon compte (lire : depuis mon bureau) et surprise que des services allemands soient aussi conciliants (après tout personne ne m’a vue en chair et en os). J’envoie le document aux services français, avec un petit doute : et s’ils (toujours eux) ne l’acceptaient pas ? Car même s’il a très peu de texte et surtout des chiffres (en gros, mon pédigrée), s’il est officiel et remplit la fonction, les en-têtes sont en allemand et surtout ce n’est pas le document demandé. On n’est pas à l’abri d’une crise de littéralité. Je clique tout de même. Dans le tableau qui récapitule les actions dans mon dossier, une ligne apparait : certificat transmis le 25 février, format papier. Papier ?

Ce qui devait arriver arriva.

J’ai reçu voilà quelques jours un mail sévère des services français : dépêchez vous d’envoyer votre certificat de vie sinon, sinon….menaces des gros yeux anonymes. En gros, vous disparaissez de notre système et il vous faudra montrer 12000 papiers et votre collection de pattes blanches depuis quatre générations pour pouvoir rétablir l’erreur due à votre ”négligence”. Pendant une heure, mon cœur a battu assez vite, je ne suis pas encore immunisée contre la connerie même sans visage. A mon âge, quand même…

Je réécris à la gentille dame, je lui demande s’il vous plait, Bitte, de recommencer en remplissant mon formulaire. Je veux bien repayer 6 euros ou 60, l’appeler avec ZOOM en gros plan et lui montrer ma carte d’identité, mon album photo de naissance, faire cracher toute ma famille et mon nouveau chien, n’importe quoi pour faire taire le Minotaure végan, assoiffé de paperasses virtuelles.

Elle voudrait bien mais elle ne peut pas.

Pourquoi ? L’histoire ne le dit pas.

Il me faut aller dans un bureau le faire établir en ma présence. OK du moment que c’est ouvert, c’est une excellente nouvelle. Je l’appelle pour vérifier qu’on s’est bien comprises. Je prends rendez-vous en ligne dans l’antenne de quartier qu’elle m’a conseillée.

Ce matin, je me prépare en avance. Avec toutes les contraintes coronesques, il ne s’agit pas de rater mon créneau de 10 minutes. Je vérifie douze fois que j’ai bien tout le nécessaire (le formulaire, le mail avec le numéro de convocation, la carte d’identité, celui déjà reçu – on ne sait jamais -, ma patience et mon plus beau sourire). Je mets tout cela dans un sac étanche, dans ma sacoche. Il pleut un peu. J’enfourche mon vélo.

En descendant, je longe le collège. Mon ado y est pour la matinée, trop heureuse de cette bulle de normalité. Les fenêtres sont ouvertes. Ça aère sec. Ils doivent se cailler nos jeunes. C’est un coup à attraper la crève.

C’est bien cette pluie pour mes plantations d’hier. Le petit vallon du Gonsbach est boueux, je sinue pour éviter les grandes flaques. Je tâche de bien rester à droite dans les virages, surtout dans celui sans visibilité. Les remontrances reçues il y a deux ans pour coup de guidon malencontreux sont encore vives. Comme quoi, à tout âge on apprend.

Quand le passage à niveau s’ouvre, j’emprunte le chemin qui longe les grands peupliers. Dans les roseaux gris, peut-être aurais-je la chance de revoir le martin-pêcheur ? C’est incroyable comme, habillé de couleurs éclatantes, il arrive à se camoufler dans un camaïeu brun. La semaine dernière avec mon amie simultanée, nous l’avons observé longtemps, sans oser bouger. A l’extrémité d’une branche on le distinguait à peine.

Dans la côte aigüe, je pousse mon vélo (j’ai un peu honte quand un monsieur me double en pédalant ; à ma décharge, je le pousse aussi à la descente tellement c’est raide). Derrière un grillage une poule blanche et noire se dandine. Sous un noyer, des scilles éclairent de bleu la terre battue. Quelques primevères sauvages jaunes pâles et pourpres émaillent le dessous d’une haie encore nue. Cette petite maison basse sur une pente de campagne au ras du vallon et de ses fourrés me fait bien envie.

C’est le chemin pour aller chez mon amie. La dernière fois que je suis passée, des travaux de terrassement avaient à peine commencé. Aujourd’hui trois gros immeubles ont poussé, ils en sont presque aux finitions. Si longtemps déjà ?

Je pédale le long de la route, talonnée par un bus. Je sais dans les grandes lignes où je dois me rendre, mais l’axe principal offre plus de repères que la piste cyclable dans le bout de forêt.

Virage à gauche. J’attache mon vélo à un réverbère. C’est là. Juste à côté de l’école primaire où nous étions venus il y a trois ans, mon mari et moi, rencontrer la directrice pour préparer notre futur déménagement. Accueillante et encourageante elle avait répondu à nos questions. Celle d’une autre école avait refusé tout net notre demande d’entretien, puisque nous ne savions pas encore de quel établissement notre logement allait dépendre.

La porte de l’antenne de la mairie est fermée. Un gardien à moustache et carrure d’ancien rugbyman vient m’ouvrir. La jeune femme derrière moi entre aussi. Nous nous asseyons dans le couloir d’attente, à trois mètres l’une de l’autre. L’employée appelle. On se fait des politesses. On est toutes les deux en avance. J’entre et je m’assois. En entendant mon nom, l’employée me renvoie dans mon couloir. Je suis trop en avance.

Me voilà sur la chaise face à elle. C’est une grande pièce, typique d’un accueil d’administration, avec deux bureaux, dont un seul est occupé, des armoires à dossiers mystérieux. Par la fenêtre, on voit la cour de l’école. Sur la table à ma droite, a été installée une petite nature morte de Pâques en figurines de lapins sur serviette en papier très verte. A gauche sur une commode, des rameaux en bourgeons, bien droits et attachés, tous de longueur identique, se dressent au garde à vous dans un verre. Quelques œufs miniatures décorés sont suspendus aux branches. Le tout est posé sur un carreau de gazon en plastique très vert. Une radio diffuse une musique de fond. Derrière un panneau de plexiglas, le regard de mon interlocutrice m’interroge.

C’est une femme de mon âge (jeune donc, hi hi) aux cheveux courts et noirs, au maquillage sombre. Elle est bien en chair et les manches retroussées de son pull dévoilent les tatouages de ses avant-bras. Je l’ai entendu discuter avec la cliente (peut-on dire cliente ?) précédente, elle m’a semblé être une amie de sa mère. Elle a l’air sympa.

Ça tombe bien. Il faut que je me la mette dans la poche. Je lui formule ma demande. Elle me redemande mon nom et me cherche dans son système. En Allemagne, chaque personne est répertoriée. Elle doit, à quelques jours de son emménagement, se déclarer auprès des services administratifs de son domicile (pour l’Anmeldung, inscription). Même si on déménage à trois numéros dans la même rue.

Elle ne me trouve pas. Cherchez donc au nom de mon mari. Ouf elle nous a. C’est une subtilité que les Allemands ne comprennent pas d’emblée : avoir un nom de naissance et un nom d’usage (de mariage). Ici les femmes choisissent et n’en n’ont qu’un. Ils soupçonnent une magouille. J’ai dû expliquer plusieurs fois que non.

Elle me demande de signer devant elle pour lui prouver que je suis vivante. Soit. Je pensais que ma seule présence suffisait. Pour témoigner de ma bonne volonté, j’ôte mon masque une seconde pour qu’elle me voie à visage découvert. Je suis ses mouvements pleine d’espoir. L’imprimante s’enclenche. NON ! Elle m’a refait celui que j’ai déjà et a été refusé. Pourtant je lui ai bien mis mon formulaire entre les mains.

Surtout rester polie.

Je lui précise mon besoin. Elle hausse les yeux au ciel quand je lui explique que les services français m’ont déjà refusé un certificat allemand. Oui je sais, je pense comme vous. Mais s’il vous plait… Elle le remplit et me le glisse sous le plexiglas. Encombrée de lunettes, téléphone portable (pour le mail de convocation), blouson, sacs, j’ai envie de filer au plus vite. Pourtant il est essentiel de bien relire, ce que j’essaie de faire sans tout faire tomber, ni passer pour l’emmerdeuse de service… Prenons un air détaché. Comment lui demander de remplir les deux lignes qu’elle a oubliées ?

Voilà. Un, deux, trois tampons. Ça m’a l’air complet. J’espère qu’on verra sa signature sour le cachet.

La radio diffuse un air que je reconnais. Qu’est-ce que ça peut être ? Ah oui. Joe le taxi. Joe le taxi ?

Je glisse le précieux formulaire, dans une, deux pochettes, dans un sac puis une sacoche. Vite rentrer avant la prochaine giboulée. Le scanner, le charger sous mon profil des services administratifs, cliquer. Zut. Trop lourd. On recommence. Et si je faisais une photo ? Non trop risqué : si le formulaire le propose comme mode de transfert, le site web le refuse.

Fichier léger. Clic. C’est parti. Le tableau me dit que c’est bien parti, par internet. Tiens, il y a du progrès. Oh et en haut de la page, une icône propose un conseiller à disposition. C’est nouveau me dis-je. L’an dernier ce site était un monstre sans tête, un gouffre sans issue. Pas d’adresse E-mail, de numéro de téléphone. Par curiosité, je clique : Erreur 404, la page n’existe pas. Ah, je suis rassurée. Les classiques ont la vie dure. Moi qui ai cru un instant que l’administration s’était inspirée de l’efficacité des services marchands.

Le compte à rebours a commencé. Les paris sont ouverts. Dans combien de temps vais-je recevoir le mail aux sourcils plissés qui me dira que quelque chose cloche ?

Une giboulée éclabousse ma fenêtre, derrière une plante de cardamome qui sent la cannelle. Je frissonne. Quelle chance d’être rentrée à temps ! Reprenons l’écriture là où je l’avais laissée avant de partir. Je ferme l’onglet de l’administration, et me retrouve sur celui du dictionnaire Larousse.

Ma dernière recherche : des synonymes pour ”se cacher”.