Collège à cocher

Winterlinge jaunes, et perce-neige

Blanc, rose, jaune, blanc encore. Identiques ? Non pas tout à fait. Ah, regarde là en bas, ils ont des numéros. Pourquoi ne pas donner un seul papier et le photocopier ? Et comment les remplir ces formulaires ?

Ils nous ont été remis par l’école primaire avec le bulletin du premier semestre. Nous devons les apporter au collège pour l’entretien de sélection. Charge à nous de mettre quelque part sur ces papiers nos deuxièmes et troisièmes choix. Sans nous tromper sur la stratégie pour que notre benjamine soit acceptée dans un établissement où elle se sente bien. Et de penser à l’extrait de naissance (prends le livret de famille, on ne sait jamais), et à la photo d’identité (tu crois que ça se voit qu’elle a deux ans de moins sur cette photo ? Bienheureuse enfance où l’on grandit sans vieillir.)

Une telle passion de la paperasse on n’avait rarement connu ça avant. Remplir, dater, signer et photocopier, archiver, recommencer. Le tout avec des mots administratifs à rallonge et beaucoup trop de consonnes. Pourtant on s’est donné du mal en changeant de pays ! La semaine dernière nous avons encore dû renvoyer en France un formulaire lié au déménagement (19 mois après notre arrivée). Et quand nous sommes arrivés pour l’inscription à l’école avec les bulletins de deux années avec chacune trois trimestres, le tout en deux langues (français et anglais), on ne savait pas encore qu’on prenait les Allemands à leur propre jeu.

Tout beaux tout propres nous nous rendons au collège avec notre dossier que nous espérons complet (quoi, une tâche sur ta manche !?). C’est la journée d’accueil des candidats, futurs petits nouveaux. Nous avons récupéré notre fille à son école en milieu de matinée. Elle nous a rejoints dans la cour. Bien sûr, la maitresse était prévenue. Et pendant ces journées d’inscriptions, tous les enfants de son niveau s’absentent à tour de rôle pour quelques heures. Les départs et retours se font sous le sceau de la confiance absolue. Pas de portail à ouvrir. Ou de concierge à prévenir. Et, tiens, pas de formulaire à signer.

A l’arrivée au collège nous sommes accueillis par deux dames souriantes, debout derrière une looooongue table couverte de piles de formulaires blancs-roses-jaunes. Peut-être qu’elles vont nous faire un tour de magie ? A moins que ce ne soient les mêmes papiers que ceux que nous avons apportés (partiellement remplis pour compléter sur place avec des conseils avisés) ?

« Vous avez rendez-vous ? » Oui on a fait ça sur internet. La dame plus âgée a l’air d’être la Responsable-paperasses-arc-en-ciel du jour. Elle prend une feuille sur chaque pile et me tend sa récolte. « Tenez, voici des formulaires à remplir ». Encore ? Je jette un œil inquiet à mon mari et un autre à ma montre. Nos quinze minutes d’avance vont-elles suffire ? Pourvu qu’ils se laissent apprivoiser facilement par des étrangers ces formulaires-là. « Vous habitez à plus de X kilomètres ? » Non. Sa main repose les papiers complémentaires qu’elle s’apprêtait à me remettre. Yes ! Ne renonçons pas aux satisfactions minuscules.

Nous trouvons place à une des tables rondes du foyer et sortons nos stylos. Parmi les toutes premières questions auxquelles il faut répondre : pays de naissance et langue(s) parlées à la maison. L’Allemagne a l’habitude d’accueillir des familles immigrées. Nouveau soulagement. On s’en sort. On a nos coordonnées bancaires sur nous. Zut ils veulent deux photos d’identité. Pourquoi ne l’ont-ils pas marqué comme cela sur le document que nous avons ? Tant pis, s’il le faut je reviendrai dans la journée. La prochaine fois j’en prendrai une de plus. Au cas où. La prochaine fois ? Croisons les doigts (serrons les pouces comme on dit ici) très fort pour qu’il n’y en ait pas de sitôt. Suis plus très confiante en ma patience en matière de champs à remplir et de cases à cocher.

L’horloge murale grignote notre attente. Nous regardons discrètement les familles candidates. Ma fille salue d’une main retenue une camarade de classe assise plus loin, dans une parka bleue. Dans le coin, comme à chaque événement dans un établissement scolaire, des mamans tiennent un stand de Kaffee-Kuchen (café-gâteaux). Je suis curieuse de voir les pâtisseries maison. « Tu as faim ? Ou soif ? » Ma fille ne dit jamais non à une gourmandise. Nous allons acheter une part de gâteau au chocolat (avec des Smarties) et un Apfelschorle (jus de pomme additionné d’eau gazeuse), dans une assiette blanche en porcelaine et un verre en verre.

Aussitôt avalés, les lèvres essuyées d’un revers de main, elle est appelée. Nous nous asseyons tous les trois dans le bureau d’un des responsables de l’administration. Il s’adresse à notre minette de neuf ans. « Quelles sont tes matières préférées à l’école ? » Elle sourit, assise sur le dos de ses mains. « La musique, hmmm, l’art et le sport. » Bon… on ne pourra pas l’accuser d’avoir préparé ses réponses. «Tu es arrivée il y a à peine un an et demi en Allemagne et tu t’exprimes déjà aussi bien ? Tu parlais déjà allemand avant de partir, non ? » Non. « Beeindruckend (impressionnant) ! »

Oui impressionnant. D’ailleurs nous aussi sommes impressionnés. Par le talent linguistique de notre fille, mais aussi par ce monsieur et cet entretien. Et par-dessus tout par cette case vide dans le formulaire qu’il nous demande de cocher sur-le-champ. Si votre enfant n’est pas pris dans votre premier choix, souhaitez-vous que le dossier soit transmis à un autre collège G8 (qui prépare le bac en huit ans avec des cours jusqu’à 16 heures) ou faire vous-même la démarche auprès d’un G9 (bac en 9 ans, avec des cours seulement le matin) ?* Autant nous demander de choisir entre une paire de chaussures trop petites et un bonnet qui gratte. C’est que ce collège est le seul avec une section ‘’bilingue’’ française, qu’il est tout près de chez nous, et que la grande sœur y est heureuse.

C’est le moment d’abattre notre atout-passe-partout : “Nous ne sommes pas allemands, et… ” Tentative naïve, sincère et de bonne volonté, de recours à notre ingénuité d’étrangers pour éviter de choisir et de la cocher cette case, là, maintenant. Parce qu’on ne maîtrise pas vraiment l’enjeu des conséquences de cette croix. Peine perdue. Nous échangeons rapidement tous les trois en franglais. Notre fille a un avis tranché (elle a une copine, qui, tu sais…). Il coïncide avec mes recherches. Je coche.

Retour à l’école dans un soleil printanier. Les chapeaux de Pierrot des perce-neige et les joues des minuscules Winterlinge, gonflées au-dessus de leur collerette vinaigrée, éclairent dans un carnaval bon enfant les jardinets de terre noire.

Quinze minutes d’entretien pour une fillette de neuf ans et ses parents gonflés d’un espoir inquiet.

Une ribambelle de formulaires abscons de toutes les couleurs.

Une croix dans une case.

Réponse dans deux semaines.

* C’est la ville de Mainz qui répartit les élèves candidats : d’abord dans les Gymnasium G8, puis dans les G9 et autres types de collèges.

Vous faites quoi en été 2030 ?

L’anticipation, un maître-mot de l’organisation allemande.

« Il me le faut ce nouveau classeur ! Le mien est cassé. J’en veux un, en plastique, rouge dehors, fuchsia dedans !

Pour résister aux transports brusques par tous les temps sur porte-bagage. Pour se distinguer (un peu) de celui des copines.

« Et un jean bleu ».

Pour se fondre dans la faune du collège.

Ces choses à faire facultatives remontent à la surface toutes les semaines, comme des bulles dans une mare. Elles éclatent en urgences avant de s’évaporer dans le quotidien. En raison des conseils de classe de fin janvier, ma grande fille dispose de deux après-midi libres. Descendons en ville, nous libérer de ces achats. Armées d’un sac en tissu (ne jamais l’oublier !) et – pour moi – de la résolution de ne pas traîner.

Mainz compte deux magasins majeurs d’articles de papeterie. Centraux, au pied des bus, regorgeant de bricoles multicolores, ils sont le lieu de rendez-vous fétiche des petites jeunes filles mayençaises. Leurs entrées se frôlent presque.

Nous commençons par le grand magasin où nous trouvons le classeur (vert, pas de rouge/fuchsia). Nous longeons avec gourmandise les étalages du commerce spécialisé en beaux-arts. Nous irons flâner, la main curieuse, sur chacun des trois étages, c’est sûr. La porte automatique s’ouvre entre les tourniquets de cartes postales. Et là, stupéfaction, l’ilot central présente des cartables et des Schultüten (les cornets-de-papier-pochettes-surprises pour les écoliers tout neufs, voir article : L’école 1). Plein de cartables, colorés, équipés de réflecteurs et hypersolides. Des poches pour les cahiers, les classeurs, la gourde, la boite à gouter, le téléphone et ses accessoires, le sac léger pour les affaires de sport….

Prix moyen : beaucoup de trop de centaines d’euros (centaines d’euros !). On pourrait tenter la face nord de l’Everest avec. Le parent avisé se dit que tant mieux la marchandise durera longtemps, résistera aux intempéries et aux atterrissages dans la poussière. Que le cartable fera tous les enfants et même les futures générations. C’est sans compter avec le fait que le sac d’un grand écolier se mue en accessoire de mode. Et que comme tel, il doit être régulièrement assorti aux nouveaux goûts péremptoires de la rue, des copains et donc de son propriétaire.

Ça faisait quelques semaines que je n’étais pas entrée dans ce magasin. Je peux donc juste assumer que les articles de rentrée scolaire ont remplacé sans transition les cadeaux de noël mis en valeur dans l’entrée. De janvier à mi-août, il n’y a qu’un pas, celui de l’AN-TI-CI-PA-TION.

C’est une seconde nature ici, peut-être même la première (ex-aequo avec la rigueur et la ponctualité). Quand je pense qu’en France, il m’est arrivé d’entendre et de soupirer ‘’Déjà…’’ quand les articles scolaires fleurissaient dans les rayons au mois de juin. Même pour déjeuner avec une amie, il est préférable de s’y prendre bien bien à l’avance. Rappelez-vous les restaurants sont complets très tôt.

Mais le pire ce sont les vacances.

Elles sont prises très au sérieux, car précieuses at valorisées. Les Allemands n’éprouvent pas cette culpabilité malsaine à se reposer et à profiter de leur temps libre (et ne cherchent pas à condamner leurs voisins). Il n’est pas rare ici de réserver son voyage 12 voire 18 mois à l’avance.

En bons étrangers, nous avons prévu nos vacances de février courant janvier. Notre semaine de Pâques est encore (en février) ouverte à plein de possibilités chocolatées. Les congés d’été hésitent. Pendant ce temps nos copains teutons finalisent leurs vacances d’automne. Mi-janvier au yoga, la prof affichait des propositions de retraite pour fin octobre. Et le collège organisait une réunion avec pour objet un voyage scolaire en Angleterre prévu lui aussi en octobre (donc dans la classe supérieure).

Vous vous demandiez peut-être pourquoi nous sommes allés deux fois dans les Vosges du nord au cours des derniers mois ? Pour avoir parfois l’illusion d’être en France, certes (illusion seulement, car en raison de la vigueur du dialecte alsacien, la langue par défaut y est plus l’allemand que le français). Pour bien manger. Pour retrouver un peu du charme de l’approximation qui fait défaut au confort allemand. Mais aussi parce que, malgré la liberté de circulation des biens et des personnes et la grande mobilité (en grosse voiture ronflante et rutilante) des Allemands, il reste un tout petit peu plus facile de trouver une chambre à la dernière minute côté sud de la frontière.

Dans notre famille nous ne sommes pas des champions de l’anticipation – mais pas des nuls non plus, attention. En France on était dans une bonne moyenne. Nous laissons mûrir notre envie avant de décider. Et nous aimons nous offrir un dépaysement (au propre comme au figuré) au pied levé. Ici la spontanéité nous a été confisquée. Même pour trouver un carré d’herbe pour planter sa tente (voir article : Vacances en Allemagne). Changer d’avis ? Ecouter un désir neuf ? Nein. Pas de place pour l’impro ou le p’tit coup de folie.

Nous devons choquer bien malgré nous. « Les prochaines vacances ? On ne sait pas encore, on verra ». Après analyses intimes du cœur de chacun et négociations collectives. Et puis nous ferons ce que les enfants souhaitent. On pourrait court-circuiter ces réflexions sinueuses. Mais ça fait du bien de rêver.

Nous avons vu arriver et passer les dates des réservations pour les colos de printemps et d’été. Merci aux mamans qui nous les ont transmises et à leur fidélité malgré notre manque de réactivité. Car nos filles aussi rechignent à anticiper leurs vacances à ce point. Sauf que… si elles veulent partir avec les copines faire du cheval, il va falloir se plier à la coutume locale. Nous avons donc réservé début janvier une colo (et une semaine de calme) pour le mois d’octobre.

Nous apprenons peu à peu à intégrer ce phénomène culturel à notre vie. L’anticipation collective excessive a pour conséquence que les articles de saison disparaissent bien avant le début de ladite saison. Si on attend la dernière minute ce sera pour l’année suivante. Tout le monde s’est équipé depuis longtemps et les commerces sont passés à la saison d’après. Acheter du pain d’épices de noël au mois de décembre ? Vous n’y pensez pas ! (Je le sais, j’ai essayé). Oui prends-les ces bulbes de dahlias. On les plantera dans deux mois, mais si on attend notre prochaine visite à la jardinerie, ils auront sorti les décos d’automne.

A quoi tient ce besoin d’anticipation aussi fort ? On peut être organisé et rigoureux sans vivre à ce point dans le futur. Est-ce un besoin viscéral de faire comme si l’avenir se laissait contrôler ? Pour saisir les meilleures opportunités ? Au meilleur prix ? Pour se rassurer et nier l’incertitude ? S’offrir une garantie sur l’illusion d’être toujours là pour étendre sa serviette à l’été 2030 sur le sable brûlant de la Costa del Sol – parce qu’on a RE-SER-VE ?

Personnellement si je lâche la bride à mon côté anxieux (à vos abris !), il me demandera d’attendre la dernière minute pour choisir et payer mes vacances. Justement pour être sûre d’être toujours là, en forme et surtout d’en avoir envie et besoin de ce voyage précis, à ce moment-là de ma vie.

Avec ma créativité parfois désordonnée et ma spontanéité tempérée de lassitude, ils s’entendent bien tous les trois pour laisser toute latitude aux enfants qui décident alors de nos prochaines vacances.

Alors, mes chéris, on va où cet été ?

Carnaval ou la 5ème saison

Mainz organise l’un des plus célèbres carnavals rhénans

A vos marques, prêts…. Déguisez-vous, maquillez-vous, riez, sautez, chantez, dansez ! En bleu, blanc, rouge et jaune ou ce que vous voulez. Lâchez (presque) tout !

Dès début janvier le carnaval frappe à la porte de Mainz dans une harmonie de couleurs primaires. Les serpentins impatients chassent les guirlandes de noël des rues et des magasins, et même des fenêtres de certaines maisons. Les beignets ronds (Berliner) conquièrent les boulangeries. Déjà en automne, en vertu de la (trop) grande anticipation des Allemands, le maquillage de fête et les bombes à paillettes s’étaient immiscés dans les rayons entre les Lebkuchen (pains d’épices) et les bougies. Confettis, visages et personnages de clowns de rigueur. Le carnaval est une fête de la débauche prise très au sérieux.

Il s’organise pendant de longs mois. Toute l’année pour les plus fanatiques du sujet, les membres des clubs de carnaval. J’en ai compté plus de 20 à Mainz. Pour le reste de la population, Fastnacht est lancé en grande pompe le 11 novembre à 11 heures 11 (vous vous souvenez ? voir article : Décalage horaire). Il fait une trêve pour les fêtes et reprend dès le 1er janvier pour s’achever le mercredi des Cendres (26 février cette année). Car à Mainz, un des fiefs de la fête, le carnaval s’appelle Fastnacht (de Fast : le jeûne, le Carême, et Nacht : la nuit). Ne PAS confondre avec Karneval, ça n’a RIEN à VOIR. Karneval c’est à Köln (Cologne), où le cri de ralliement n’y est pas Helau ! mais Alaaf !. Düsseldorf aussi est prise de folie en février. Chaque ville a ses chants spécifiques que tout le monde entonne. Le carnaval des villes rhénanes est une institution.

Comme ils le disent eux-mêmes, les Mayençais ont les confettis dans le sang. Dans les rues on peut croiser des sculptures de carnaval : le tricorne traditionnel sur un réverbère, un ours déguisé, un arlequin qui danse. L’imposante fontaine des fous, habillée de dizaines de petits personnages déguisés, préside sur la Schillerplatz à l’endroit même où est déclarée ouverte la période de Fastnacht, la cinquième saison.

Fastnachtsbrunnen, la fontaine des fous sur la Schillerplatz

Dès janvier, les Sitzungen commencent. Ce sont des spectacles extrêmement colorés organisés par les clubs de carnaval. Ils tiennent du cabaret et du café-théâtre où politique et rivalités de clochers ont la part belle, avec un fort ancrage local et souvent en dialecte. Un maître de cérémonie, des majorettes en goguette et une fanfare se chargent de l’ambiance. Le Moulin rouge rencontre la Fête de la bière dans un cirque. En patois rhénan. Autant dire que c’est difficile pour un étranger d’apprécier l’ambiance de ces soirées (surtout si on ne boit pas d’alcool). Et les places s’arrachent dès leur mise en vente, le 11.11.

Les clubs de carnaval décorent les chars, organisent les défilés. Pour financer la fête ils organisent des événements toute l’année, donnent des cours, tiennent une buvette à l’une ou l’autre fête, des fraises ou du vin. Leurs membres paradent souvent en costumes authentiques (pas des déguisements) faits main qui peuvent aller chercher des sommes folles. Des parodies d’uniformes militaires des temps napoléoniens. Dès septembre, ils organisent les sélections pour les Sitzungen.

Ces séances investissent tous les lieux d’une certaine capacité. Les grandes salles bien sûr : Palais des Princes Electeurs ou Rheingoldhalle (salle des spectacles) sur les quais du Rhin, mais aussi gymnases, réfectoires. Partout, plusieurs fois par jour. Un peu, à une autre échelle, comme le festival au mois de juillet envahit Avignon.

La cantine du collège a accueilli une soirée. La halle des sports de ma plus jeune est transformée en salle de spectacle depuis début janvier, avec scène, coulisses et décorations sur tous les murs. Les minettes en justaucorps ou legging font de la poutre sous un filet suspendu plein de ballons bleus, blancs, rouges et jaunes. Des organisateurs affairés entrent et sortent du gymnase pendant le cours pour s’assurer que l’ensemble fonctionne. Ils ont un air important et pénétré. Tout est prêt avec plusieurs semaines d’avance. Bien sûr une ou deux séances de gym vont sauter. On ne rigole pas avec les Sitzungen.

Les enfants sont (heureusement) très associés à la fête. Mainz organise le Jugendmaskenzug (défilé des enfants) auxquels participent les écoles et clubs de jeunes. Le plus grand du genre en Europe si on en croit l’office de tourisme. Départ à 14h11 (natürlich) le samedi 8 février dans la vieille ville. Pour ceux qui n’ont pas oublié de rendre leur formulaire au collège et se sont inscrits à temps (suivez mon regard – en même temps c’était avant Noël, et ma fille avait alors d’autres priorités entre autres culinaires ; voir article Gâteaux à gogo).  Donc notre grande aurait pu participer à des séances bricolage pour fabriquer son costume et défiler avec son collège. Notre benjamine peut encore choisir. A son dernier cours de gym, on lui a remis un petit formulaire pour préparer le défilé du coin. Venir avec des ciseaux et du scotch double-face pour créer le plus beaux des déguisements.

Le corso de Mombach (auquel se joint la gym) défile le Mardi Gras. Il clôt les festivités. Car chaque quartier de Mainz a son corso, un jour bien particulier. Gonsenheim ouvre le bal le samedi, suivent Finthen et Bretzenheim le dimanche. Le Lundi des roses (Rosenmontag), la parade des centaines de chars, grosses têtes et groupes folkloriques, point d’orgue de Fastnacht, défile pendant des heures (des heures !) dans le centre-ville de Mainz. Les participants, les Narren (les fous) s’interpellent à coup de Helau ! Helau ! Helau ! et se précipitent pour attraper les bonbons envoyés.

Seul Mardi gras est officiellement férié, mais carnaval commence le jeudi précédent avec le Weiberfastnacht, carnaval des femmes où elles ont le droit de couper les cravates des messieurs … A vos ciseaux mesdames ! La période intensive de déguisements et festivités déborde sur presque deux semaines. Fastnacht, la plus grosse fête dans la vallée du Rhin, est, comme Noël, fêté un peu partout : à l’école, dans tous les clubs de sport, de musique.

Nos amis mayençais ont ressorti leurs caisses de déguisements et perruques de toutes les couleurs, de toutes les tailles (et de tous les goûts) accumulés au fil des années. L’an dernier, nous n’avions rien à la taille des filles. Après réflexion concertée et sondage des copines, elles avaient jeté leur dévolu sur l’Egypte.

J’étais allée, novice, arpenter les allées du principal magasin de carnaval du centre de Mainz. TARATATA, TSOIN-TSOIN, TRIIIIIIT, ZIM BOUMBOUM, POUEEEETTT ! A peine entrée, les couleurs criardes et la musique de foire tapageuse m’avaient tétanisée. Comment trouver Cléopâtre parmi les centaines de déguisements présentés serré-serré sur ce qui semble des kilomètres de tringles sur deux niveaux et sur deux étages ?

Intimidée et un peu dégoutée par la caresse froide et froissée du plastique des emballages et les tissus en vrai synthétique qui me hérissent les cheveux, j’avais plongé les bras entre des tenues de pompiers, d’extra-terrestres et de lions…. Les flonflons m’arrachaient les oreilles. J’aurais eu besoin de passer en noir en blanc et en mode silencieux. Ne fallait pas que ça dure trop longtemps cette spéléologie dissonante, sous peine de repartir avec la migraine…

Cette année mes filles n’ont pas encore choisi leur déguisement phare. Ça ne saurait tarder : j’ai découvert par hasard sur la tablette des recherches d’idées secrètes. Je sens que bientôt je repartirai en croisade au temple de Mardi Gras.

A suivre très bientôt…

Un p’tit avant-goût de Fastnacht à la maison ? Il suffit de cliquer sur l’image des confettis (Konfettitaste) sur cette page . Pas besoin de sortir le balai. HELAU! (hé-la-ou !)

Bon sens (de l’humour)

Yes ! Nous avons pu nous rendre en Angleterre pour Noël ! En passant par la Belgique. Finalement c’est plus simple que de passer par Paris. Le samedi soir en gare de Francfort, nous avons effectué notre 2ème changement de train après une journée dans les transports depuis Londres.

Pour trouver notre voiture et nos sièges réservés, il faut en Allemagne se référer à un grand graphique affiché sur le quai (permanent pour plusieurs mois). Tous les trains à réservation sont dessinés avec les repères en face des numéros de voiture. Fort bien. Donc je me plante devant ce tableau et je cherche l’ICE de 17h58 direction Dortmund. Je trouve un ICE à la bonne heure mais il va à Hambourg. Celui pour Dortmund part une demi-heure plus tard. Bon soit. Notre numéro de train correspond au premier donc c’est sur celui-là que je cherche notre voiture sur le graphique. Pour constater que le train (inscrit en début de ligne du tableau comme à destination de Hambourg) est en deux sections : la première à destination de Koblenz et la deuxième à destination de Dortmund. Bon, bon. Vous suivez toujours ? Moi de moins en moins. (Au risque de gâcher le suspense, sachez que cette histoire se termine bien). Assumons toujours qu’en vertu de l’horaire et du numéro de train qui seuls concordent avec notre billet, ce soit bien notre train. Je cherche donc le repère de notre voiture : A.

Nous commençons à nous y rendre, avec tout notre barda. Sauf que… sur les écrans dynamiques, notre train s’affiche : notre voiture sera à la lettre D. Changement de cap, les filles, on reprend nos dix sacs et valises (prêtes à éclater et à envoyer des cadeaux de noël partout), et on repart dans l’autre sens. Finalement on a trouvé nos places. Au repère C.

Ça vous dit quelque chose ?

Je sais, ça arrive partout. Néanmoins les Allemands se rajoutent un défi : ils indiquent le quai de départ du train sur le billet dès son émission… Forcément sur la durée ça ne tient pas la route, pardon, les rails. Et lors des changements de quai de dernière minute, il faut bien tendre l’oreille pour comprendre l’annonce grésillante en allemand. Ou suivre aveuglément ses voisins de quai. Et faire des sourires en français au contrôleur.

Mais comme, hélas, les trains allemands n’ont pas le monopole des incohérences je me dois de partager une mésaventure non encore résolue avec un site web français que je pense tout neuf. Par décence je ne le citerai pas. Quoique ? Ca me démange. Son accroche commerciale promet pourtant de ”nous simplifier la vie’’.

C’est une des surprises que l’on découvre lorsqu’on vit à l’étranger. Parfois l’administration française se rappelle à votre bon souvenir et vous intime l’ordre de lui prouver que vous êtes vivante. Oui vous avez bien lu. Sous peine de vous couper certains droits qui vous restent sur son territoire. La première fois ça fait vraiment bizarre. Ça me rappelle un très bon livre italien que j’ai lu l’an dernier D’où viennent les vagues de Fabio Genovesi. Deux protagonistes cachent la mère de l’un d’entre eux (décédée, précisons-le) dans le congélateur familial pour continuer à toucher sa retraite. Comme quoi y’a pas toujours besoin de passer une frontière pour dissimuler une disparition à l’Administration. (Faudrait surtout pas le lui dire, sinon c’est 60 millions de Français qui devront fournir des certificats de vie. Tous les ans.)

Bref, j’ai défriché le sujet en arrivant fin 2018 lorsque j’ai reçu un courrier officiel intitulé ‘’certificat de vie’’. Armée du document mystérieux (et franchement un peu effrayant), j’ai pris mon courage à deux mains et suis allée faire la queue à la mairie de Mainz. « Bonjour, pourriez-vous me signer ce papier svp ? Vous comprenez je suis française – encore cet argument passe-partout pour excuser mes requêtes bizarres – et je dois prouver que je suis vivante…» Pourvu qu’elle ne me prenne pas pour une cinglée. Non c’est bon, elle connaît. «Ah oui c’est la saison, les Italiens c’est plutôt en janvier ». L’employée a comparé ma tête, ma carte d’identité et mon adresse dans son ordinateur. Elle a eu l’air satisfaite et a tamponné le formulaire. L’administration française est temporairement repue.

Mais la digestion n’a pas duré très longtemps. J’ai reçu en juillet dernier un courrier avec deux copies identiques du fameux certificat de vie (deux ?) à faire remplir avant le 31/12/2019. Ah faut le faire chaque année ? Bon très bien. Je le ferai à l’automne un jour de pluie me suis-je dis, la perspective de mijoter à la mairie ne m’enchantant guère.

Grand bien m’en a pris, car l’Administration dans sa grande sagesse a changé d’avis… Quelques semaines après le premier, j’ai reçu un deuxième courrier. Il faisait référence à l’envoi précédent, me demandant de l’ignorer, car le système avait changé. Désormais les demandes sont centralisées ailleurs. Je recevrai un document à remplir émanant de cette nouvelle instance. Soit. Attendons.

En novembre, je reçois un Email automatique (auquel bien entendu on ne peut pas répondre) me demandant de renvoyer le document demandé dans mon profil. « Merci de se connecter avec votre numéro fiscal qui ressemble à 157202835143448735226383940494746452628293XZKGYTX4578990 et pour lequel vous avez sans doute quelque part un mot de passe. »

Première étape réussie : je constate que j’existe bien dans le nouveau système. Mais qu’à la rubrique concernant ‘’les enquêtes en cours’’, il précise :’’aucune’’. Comme le mail me menace de me faire disparaître pour tout de bon de ce système français si l’Administration teutonne ne voit pas bientôt ma bobine, je cherche sur ledit site un éventuel formulaire vierge que je pourrais faire remplir et renvoyer. En vain. Ce nouveau site web tout neuf n’a prévu aucune adresse mail ou numéro de téléphone. Pas fou. Il renvoie tout contact sur les différentes administrations, qui, elles, renvoient sur le site, puisqu’elles ne le gèrent pas. (Je sais j’ai essayé). Ça tourne en boucle absurde, le vampire se mord la queue de bêtise. Si je me rongeais les ongles, je n’aurais plus de doigts. Et je gaspille un temps fou.

Je reçois une relance menaçante : puisque je n’ai pas renvoyé le document demandé (lequel ? et comment ?), ils vont me l’envoyer par courrier. Faute de le voir arriver (je l’attends toujours), je reprends le papier vierge de l’an dernier et un ticket de tram, et vais faire des sourires à la mairie de Mainz. Je renvoie (à l’adresse postale prévue sur le site) le certificat signé, tamponné (franchement, je ne peux pas mieux faire) avec un courrier (poli) illustré des copies d’écran pour leur montrer ma bonne volonté (franchement, quand on est mort, on s’amuse pas à faire des copies d’écran, hein ?)  Je respire. J’ai réussi à dompter le monstre avant l’échéance fatidique.

En tous cas c’est ce que je croyais. Jusqu’à ce que je reçoive un nouveau mail de relance le 2 janvier. Franchement ? Avec une autre date à respecter (fin février). Le Minotaure trépigne. Il a faim.

Je ne peux pas me connecter en Angleterre. Il me faut le numéro impossible… De retour à Mainz, je vais sur le site. Miracle ! Mon profil a évolué. Je trouve LE document. Sensiblement le même que celui que j’ai déjà renvoyé rempli. Mais je ne suis plus à un voyage à la mairie près. S’ils préfèrent les couleurs de celui-là… Et si ça peut court-circuiter la roue de hamster fou. Je retourne faire des sourires (avec les Italiens de janvier), je repars avec un document tamponné. Yes ! Et hier je me connecte sur le site pour le renvoyer selon-la-procédure.

Je vous le donne dans le mille : ‘’Le site est temporairement indisponible’’.

Une indigestion de non-sens peut-être ?

Photo : Givre le long du ruisseau (plutôt que copies d’écran administratifs…)

Deux mille vingt

Allez, quelques pas encore. J’aperçois le bout du chemin. Nous allons arriver au croisement.

Chère année 2019, nous allons bientôt nous séparer. Tu n’as pas toujours été tendre avec moi, je t’en ai même voulu de toutes mes forces. J’ai voulu te manger comme on mange aux dames, en sautant par-dessus, sans s’arrêter. Te doubler par l’intérieur du virage. Sans regarder en arrière, vers ces premiers mois en Allemagne qui m’ont grignotée de l’intérieur, poussée au bord du précipice, au bord de moi-même. Mon corps épuisé par ce remue-ménage (au sens propre) n’avait plus la force de se reposer. Et mon esprit ne savait plus vers quelle hypothétique fuite se tourner. Rentrer ? Partir dans un autre pays ? Rester ? Tout en étant consciente qu’il n’y a que le temps pour apprivoiser ce nouvel ailleurs, que l’on finit par s’habituer, et que l’impatience n’y fera rien.

Le temps prend longtemps. Il faut en perdre pour mieux se trouver et s’acclimater. Il a pris la majeure partie de tes jours, année 2019. Le temps de faire le tour d’un cycle, de répéter ces gestes nouveaux pour commencer à les transformer en habitudes. Abracadabra… Tes derniers mois ont été formidables de douceur et de partage avec nos nouveaux amis. Une belle récompense après tous ces tâtonnements sociaux que de saluer quelqu’un que l’on croise au marché, ou de devoir choisir entre plusieurs invitations chez des gens que l’on apprécie.

Continue ta route, lâche-moi la main je te rends ta liberté. Je tâche de te pardonner. Et de me pardonner à moi aussi, ces incertitudes et cette rébellion intime bien involontaire. Retenons les rencontres et les découvertes, les apprentissages et les fous rires familiaux. Nous avons fait nôtres les réflexes sociaux-culturels majeurs dans notre nouveau pays. Les filles sont trilingues même si bien sûr l’écrit allemand reste perfectible. L’école a cessé d’être un défi quotidien. Elles ont plein de copines. Nous savons qui éviter et qui inviter. Conquis par la façon allemande de se saluer (entre gens proches), nous donnons l’accolade sélective. C’est tellement plus sincère et sympa que le toucher de joues pour la bise incontournable.

Bienvenue année 2020. Je te serre donc dans les bras. Toi l’année qui donne envie de jouer avec les chiffres. Deux zéro deux zéro. Deux deux et deux zéros. Quatre au total. Zéro si on les soustrait. Equation de la nouvelle décennie. Un équilibre dans la rondeur, dans la répétition et la parité.

Tu te souviens quand on calculait l’âge qu’on aurait en l’an 2000 ? Aperçue dans la science-fiction lointaine du début de l’âge adulte, cette étape de l’existence dans l’arbitraire du temps qui passe s’est fondue dans les souvenirs. Quand elle était petite fille, ma mère calculait déjà en sautant à la corde avec ses copines quel âge elles auraient en l’an 2000. Ça aurait pu être 56 ans.

Tu te rappelles l’âge qu’on avait en l’an 2000 ? Je ne me souviens plus tout à fait de mon âge, mais tellement de la naissance de mon fils – qui aura 20 ans en l’an 2020. Et de celle de sa maman. Déjà une année toute en rondeur, celle de mon ventre.

Mes filles sont nées en 2007 et 2010. Pourquoi ne dit-on pas, en ce début de siècle comme en celui du dernier, ‘’mes filles sont nées en 7 et en 10’’ ?  Il y a 100 ans, les années n’étaient repérées que par des dizaines et des unités. Ma grand-mère maternelle est née en neuf. Mon grand-père paternel en vingt et un. ‘’On est partis comme en quatorze’’. Cette façon de mentionner les dates s’est envolée avec les chapeaux des messieurs et les corsets des dames.

Nous allons donc changer d’année. La belle affaire. Ce symbolisme arbitraire n’est lié qu’au décompte choisi par l’Occident pour répartir la vie humaine sur les saisons cosmiques. Effort vain de maîtriser les gouttes du temps qui coulent entre les pages du calendrier. Voilà déjà plusieurs jours que la lumière quotidienne grandit. Le 31 décembre ne représente rien de spécial pour moi.

Je ne suis pas de celles ou de ceux qui prennent des résolutions au 1er janvier. Quel intérêt à ce symbolisme à part celui avoué de commencer un 1.1, et plus hypocrite, de retarder une décision que l’on sait importante mais qui nous coûte trop ? Si une action est importante pourquoi attendre ? Le premier pas vers la nouvelle habitude ne gagnerait-il pas à être fait dès aujourd’hui ? ‘’Demain’’, le ‘’1er janvier’’ débordent d’intentions, auxquelles on ne croit pas vraiment, et dont on espère tout bas qu’un miracle nous libèrera avant le moment venu pour nous de les accomplir.

La rentrée scolaire m’a toujours transmis l’énergie du renouveau pour un changement d’habitude. Son symbolisme s’ancre dans un pragmatisme bien réel. Je veux apprendre à chanter ? Tant mieux c’est le moment des inscriptions dans l’école de musique du quartier. Pour concrétiser cette envie, il ne me coûtera que le premier pas vers la classe de chant le jour des portes ouvertes. Cet impératif de date s’écroule d’ailleurs en Allemagne où – sous réserve de places disponibles – les inscriptions sont possibles toute l’année. Ma benjamine a rejoint un cours de gym fin novembre. Un cours d’essai, quelques papiers, pas de certificat médical. Ouf ! Il ne nous reste qu’à penser aux chaussons le jeudi.

Si je veux aujourd’hui m’autoriser enfin à exister, et cesser d’attendre que d’autres m’octroient cette hypothétique permission, pourquoi ne pas essayer de changer mes réflexes dès maintenant ? Défaire une par une les couches empilées pour me fondre dans la masse et faire ce que les autres attendent de moi. Petit à petit soulever les étiquettes collées par des regards pas toujours bienveillants pour retrouver le noyau de ma personnalité. Il ne demande qu’à pousser dès qu’il retrouvera la lumière du jour.

Donc exit la tentative de résolutions au premier janvier. C’est comme la soirée de la Saint-Sylvestre. Je n’ai jamais compris cet impératif de ‘’faire la fête’’ à une date précise, sans autre prétexte que l’arbitraire d’un décompte sur le papier. Aucun événement historique à commémorer. Pas d’anniversaire particulier. Le froid bloquera pour encore quelques semaines humides l’éclosion des premiers bourgeons.

Faute d’y trouver mon compte, j’ai arrêté depuis plusieurs années de céder à la pression collective de me coucher tard après une soirée grégaire et bruyante. Je suis d’un caractère introverti et mon idée d’une bonne soirée est plutôt de me protéger du bruit et d’éviter de compromettre par un coucher aux aurores ma journée du lendemain.  Je préfère désormais accueillir le recueillement de la nuit et profiter des quelques heures de lumière que les nuages voudront bien me laisser le 1er janvier. Passer une bonne soirée entre amis ? Avec plaisir, mais quand l’envie et l’humeur m’en prennent. Et jusqu’à l’heure que je veux.

Mais les mois gris et sombres peuvent sembler bien longs. Les Allemands s’offrent un peu de lumière et de chaleur dans la nuit avec la tradition du Feuerzangenbowle (mot imprononçable composé de trois mots : feu, pince, punch aux fruits). En travers d’une marmite de Glühwein aux agrumes (vin genre sangria), maintenue au chaud sur une flamme, est posée une sorte de longue cuillère plate en métal. Elle accueille un pain de sucre (on se demandait à quoi servaient ces cônes à l’ancienne aperçus au rayon pâtisserie). Arrosé régulièrement de rhum et flambé, il fond dans le vin parfumé. Ça prend du temps, celui de discuter avec ses voisins, et de regarder filer les nuages devant la lune. Nous avons découvert cette tradition de la fin d’année chez des amis, dans le halo d’un feu de camp. Feuerzangenbowle il paraît que c’est aussi le titre d’un film des années 40, du genre classique que tout le monde connaît. Nous tâcherons de le regarder pour éclairer une longue soirée de janvier.

En définitive, se souhaiter une bonne année, n’est-ce pas, jolie tradition collective, se donner de l’élan pour traverser l’hiver, tricher avec la nature en inaugurant le renouveau dès le 1.1 ? Guten Rutsch ! comme disent les Allemands pour se souhaiter un bon changement d’année (littéralement : bonne glissade) .

Alors puisse le rideau de la nouvelle année se lever sur la douceur d’un pâle soleil derrière la silhouette mordorée des arbres nus. Que 2020 soit moins prévisible et convenue que son apparence sur le papier, mais fantaisiste comme son 29 février et rassurante comme son équilibre visuel. Pour qu’on puisse se dire a posteriori : ‘’N’aurait pas pu mieux faire, 2020 a donné tout ce qu’elle a pu’’.

Je vous souhaite 366 journées vingt sur vingt.

Gâteaux à gogo

C’est quoi Noël ?

A quelques jours du 24 décembre je me pose la question. Oui c’est quoi Noël ? Et surtout, sans parler de cadeaux, qu’est-ce que je veux, moi, pour Noël ?

Chaque année le mois de décembre me rabote l’énergie. Quand on a la chance de ne pas être seul, beaucoup trop d’activités s’enchaînent dans un compte à rebours tendu.

Voilà quelques temps, la classe de ma benjamine avait organisé son barbecue dans la forêt (vous vous souvenez la cabane dans la nuit ?). La fête de la classe de la cadette, a pris cette semaine la forme d’un barbecue avec buffet apporté par les parents dans la cantine du collège. En présence de la classe des correspondants français. Rendez-vous à 17h (‘’C’est quoi ça c’est le goûter ?’’) Grand sapin décoré, étoiles illuminées aux fenêtres, plants de Weihnachtsstern (‘’étoiles de noël’’, les poinsettia rouges et verts) sur les tables.

A peine eu le temps de grignoter un p’tit bout en saluant quelques parents (j’avais apporté des saucisses déjà-trop-cuites), qu’il a fallu filer. Direction le concert de l’Avent de l’école de musique de ma grande fille. Vite on pédale dans la nuit. Allez, une dernière bouchée et on entre. On quitte ses chaussures puisque l’audition se tient dans une maison privée. Ma fille et moi nous hâtons au piano pour une dernière répétition (mince pas le temps de me laver les mains). Les flûtistes en chaussettes se succèdent devant leurs familles (tout autant en chaussettes). Les jeunes musiciennes (tiens que des filles !?) donnent une impression de maîtrise ; elles doivent avoir l’habitude de jouer en public et ensemble. Pour ma grande à la flûte et moi au piano c’est notre première audition allemande et notre interprétation (merci pour votre compréhension Monsieur Tchaïkovsky) trahit parfois notre émotion.

Pour chacune des fêtes bien sûr, nous avons fait des gâteaux (pas de noix, attention aux allergies et merci maman de les faire présentables, comme ceux des petits Allemands). Les deux dernières semaines se sont enrichies de la fête de la gym, du restau de l’atelier de poterie, de l’anniversaire d’une amie… Des rendez-vous sympathiques et joyeux sous le signe des Plätzchen, du Glühwein et du punch chaud pour les enfants et tous ceux qui veulent (miam, les jus de fruits épicés et chauds). Côté biscuits nous nous sommes consacrés aux Vanillekipferln (petits sablés en forme de croissant aux amandes et à la vanille). Nos amis courageux produisent des centaines de petits biscuits de tas de variétés différentes et les offrent dans de jolis petits sacs.

Et dans cet espace-temps saturé, les préparatifs des fêtes cherchent des interstices où s’immiscer. Acheter les cadeaux pour tout un chacun (si possible en cachette, si possible attentionnés), les emballer nuitamment, penser à l’organisation de la réception, aux détails de voyages internationaux… Envelopper un par un les dizaines de petits riens des stockings de noël…

Incorporez à cette salade russe d’activités en tous genres, la couche épaisse et sucrée de deux anniversaires d’enfant. Nos deux filles sont nées dans la deuxième quinzaine de décembre, à une semaine d’écart. S’ajoutent donc là aussi des cadeaux (différents de ceux de Noël, merci de faire preuve d’imagination), là aussi des gâteaux, là aussi des décorations et des menus précis… et bien entendu, des attentes élevées qu’un parent ne veut pas décevoir.

Pour éviter l’implosion familiale générale, la fête avec les copines de notre cadette est décalée au mois de janvier. L’autre anniversaire sera célébré le premier jour des vacances (un gâteau peut-être si on veut planter des bougies ? Une fête à organiser dans les détails pour une petite fille très précise ?).

Pour les parents impresarios-pâtissiers les gâteaux d’anniversaire en Allemagne sont un défi terrible. Y’a qu’à voir le buffet sucré des fêtes d’écoles. Les productions familiales n’ont rien d’amateur. Les gâteaux impeccables et appétissants sont transportés dans des boites en plastique catégorie équipement professionnel. D’ailleurs la première année nous ne savions pas et avions apporté (dans des boites IKEA dépareillées) des bouchées de rocky road (mélange fondant-croquant de chamallow, noix, chocolat et autres sucreries…). C’est délicieux mais ça ne ressemble à rien (ou vaguement à des roses des sables ou autres bien nommées ‘crottes de rennes’). On s’est aperçu que les mamans du buffet les donnaient gratuitement. Et on a retrouvé nos cucumber sandwiches du buffet salé (ben on voulait faire original) à peine entamés, isolés sur leur assiette.

La semaine dernière ma grande a passé la soirée avec son correspondant à faire des cupcakes pour sa classe. Comme nous n’avions pas assez de petits moules pour deux classes (et oui les Allemands et les Français en visite), ils ont placé la pâte dans des coupelles de papier. Faute de résistance latérale, en gonflant les gâteaux se sont étalés. Son père et moi avons décoré et emballé (toujours dans nos boites dépareillées et trop petites) les cupcakes trop plats. Ma fille hésite à les emporter. ‘’Ils sont ratés ! Si tu voyais ce que font les autres… Leurs gâteaux sont parfaits !’’. Elle demande à sa sœur : ‘’Tu oserais, toi, les emporter à l’école ici ?’’ Et la coquine qui répond : ‘’Non, mais moi j’aurais pas fait des cupcakes aussi moches’’. J’insiste ‘’Mais ils sont délicieux, au moins on voit qu’ils sont maison. Dis-leur qu’ils représentent la carte de l’Europe, qu’il ne manque que l’Italie car on l’a mangée’’…

Elle finit par céder et part avec. En rentrant du collège elle me tend le sac : ‘’Tiens maman’’. Il est toujours aussi lourd. Les boites n’ont pas été ouvertes. Elle n’a pas osé montrer ses gâteaux.

Hier soir nous avons donc fait des brownies (attention maman, tu te souviens, pas de noix !). Pour les DEUX anniversaires et les DEUX classes de mes filles (entre temps les Français ont trouvé un TGV pour rentrer). La double censure écolière a validé leur aspect.

Ma grande a rapporté de l’école un moule tout vide (ouf, et d’une !). La plus jeune ? Elle me rend les boites PLEINES. Elle n’a pas osé les sortir (rapport au programme du matin, parait-il peu compatible avec un soufflage de bougies … sauf qu’ils ont regardé Harry Potter…). Et… elle nous réclame un deuxième tour à la rentrée (mercredi steuplait).

Retour sur les préparatifs de Noël.

Nous devons donc partir dans quelques jours en Angleterre en train via Paris, où mon grand fils nous rejoindra sur le quai de l’Eurostar. Enfin, nous devions y partir car en raison des grèves en France nos trains sont annulés.

Nous voilà donc le dernier jour d’école avec, dans une hotte beaucoup trop lourde, toutes les espérances des lumières de Noël et des vacances de nos enfants et tout remis en cause.

Ce changement brutal de dernière minute, dans un contexte de tourbillon d’activités et de fatigue, m’oblige à me poser cette question : c’est quoi Noël ?

Retrouver un bout de famille, être ensemble pendant quelques heures ou quelques jours, suspendre le quotidien pour se lancer dans une course encore plus folle avec des échéances tendues et des objectifs trop élevés, faire le point sur les actualités de chacun, parler avec ceux qu’on ne voit pas souvent, sourire avec certains, et s’efforcer de le faire avec d’autres. Essayer de composer avec trop d’attentes et nier les frustrations. Profiter des bons moments. Finalement quand on a un certain caractère, et surtout si on a des enfants, Noël c’est s’occuper des autres et s’oublier soi. Et ça c’est dangereux. Je l’ai appris à mes dépens.

Du coup je ne sais pas quoi décider : qu’allons-nous faire pour les fêtes ? Rester chez nous en Allemagne ? Sommes-nous suffisamment installés en Rhénanie pour y fêter Noël ? En même temps cela contribuerait sans doute à confirmer notre intégration. Et nous avons plein d’amis sympas qui restent dans le coin qui seraient ravis de nous voir.

Mais sommes-nous prêts à renoncer à nos racines et à nos habitudes pour cette fête symbolique ? Nous avons un furieux besoin de repos certes, mais aussi d’évasion. De repos psychologique où nous ne sommes pas en permanence en phase d’adaptation et où nous pouvons nous exprimer facilement.

Alors partir ? Mais comment ? Et de quel côté de la Manche ?

D’un côté une maison-coquille où l’absence d’une maman qui n’a jamais été grand-mère crie trop fort. De l’autre une maison où l’absence d’une maman qui a été si peu grand-mère accroche à chacun de nos pas, comme celle d’une sœur qui fut si peu tante. Et où les valeurs tellement différentes des miennes (et ça n’a rien à voir avec la nationalité) me contraignent à l’apnée, pour essayer de m’adapter sans me perdre complètement.

Et surtout, quand et comment vais-je retrouver mon grand garçon ?

Je n’ai pas la réponse, mais dans l’immédiat, je sais ce qu’il me reste à faire. Enfourcher mon vélo et aller acheter du beurre et du chocolat à croquer. Un ravitaillement s’impose pour les pâtisseries de demain.

Un gâteau après l’autre.

Vous allez rire…

Francfort héberge un musée de l’humour : das Caricatura Museum, Museum für komische Kunst (le ‘’musée de l’art comique’’).

Au printemps dernier, j’ai réalisé une visite guidée de Francfort. La ville porte les stigmates de la guerre, mais le vieux quartier a été reconstruit. Les commentaires du guide américain rendait cette promenade dans le vent froid d’avril très instructive.

Arrêté pour la présentation d’une rue, le guide tend le bras vers un bâtiment et annonce au groupe : ‘’Voici le musée de l’humour’’. J’ai cru que c’était une blague justement, le musée de l’humour en Allemagne. Ou alors, il a été créé pour garder précieusement tout ce qui provoque le rire, de peur que ça soit écrasé sous les pneus (Michelin) des BMW ou les pilons des machines-outils. Je ne connais qu’un seul humoriste allemand, Henning Wehn, l’auto-proclamé ‘’ambassadeur de la comédie allemande’’, et il vit et travaille en Angleterre, à Londres.

Inconditionnelle de l’humour anglais, c’est pour cela que je le connais Herr Wehn. J’écoute presque tous les jours sur BBC Radio 4 des podcasts de comédiens ou des sitcoms radiophoniques très bien écrites, jouées, et sonorisées. Ces dernières semaines j’ai beaucoup aimé Alone (une sitcom où six personnages partagent une maison, chacun dans son appartement, un Friends british des cinquantenaires), et Tom Wrigglesworth’s hang-ups (des conversations téléphoniques entre Tom, un jeune papa qui vit à Londres et ses parents complètement barrés qui vivent à Sheffield, et sa grand-mère pragmatique et vive qui habite chez les parents).

Toujours sur la BBC, je ris volontiers devant Would I lie to you, un jeu télévisé avec deux équipes (de deux membres du show biz), chacune menée par un comédien et un animateur-arbitre (comédien aussi). Le principe est le suivant : chaque participant lit l’affirmation écrite sur la carte qui lui est proposée. Elle décrit une péripétie qui lui est (peut-être) arrivée. L’autre équipe pose des questions pour deviner si cette affirmation est vraie ou non. Truth or lie ? En fait on s’en contrefout. Tout l’intérêt du jeu réside dans l’esprit de répartie extrêmement vif et les joutes verbales intelligentes et drôles des trois comédiens.

Les sitcoms Miranda de Miranda Hart et Not going out de Lee Mack sont des trésors de bonne humeur et de saine distance par rapport aux mésaventures de la vie. Au-delà de l’humour, des jeux de mots, des blagues qui fusent, ces séries, en particulier la première, laissent entrevoir la difficulté pour les protagonistes de s’adapter aux situations sociales, et de se faire accepter tels qu’ils sont. Du rire donc, mais aussi de la tendresse et de l’intelligence, et de l’authenticité dans l’autodérision.

Vous aurez compris que je suis plus au fait des actualités télévisuelles et culturelles anglaises que françaises. Quant aux allemandes, je n’ai pas encore essayé. Ça viendra peut-être mais je devrai contourner un a priori qui consiste à penser que je ne comprendrai pas les blagues, et que ce ne sera pas seulement une question de langue. Pour les doses d’humour, je resterai toujours fidèle aux créations anglaises. Mes livres de chevet, et potions magiques anti-blues sont Great british wit de Rosemarie Jarski, une anthologie de citations british sur tous les sujets, et My daily dose of such fun de Miranda Hart. Dans ce dernier, la comédienne propose comme antidote à l’anxiété de rompre avec le cycle des ruminations habituelles grâce à une tâche simple, insolite et drôle. Une pour chaque jour de l’année. Que diriez-vous de suivre la proposition du jour (16 décembre) ? Vous connaissez sans doute la chanson de Noël ”Rocking around the christmas tree”. Miranda Hart suggère de littéralement danser autour de chaque sapin de Noël que vous croiserez aujourd’hui. Allez hop c’est parti !

Le musée de l’humour, je ne l’ai pas encore visité et en fait je n’en ai pas envie. L’humour je préfère le vivre, le traquer dans tous les interstices de la vie quotidienne, plutôt que le regarder derrière une vitre, épinglé comme un papillon mort.

La langue allemande tellement précise se prête mal aux ‘’double entendre’’ comme disent les Anglais en français dans le texte (le double entendre c’est quand une phrase peut être comprise de deux façons différentes, l’une naïve et innocente et l’autre beaucoup moins). Les jeux de mots existent-ils en allemand ? J’ai tapé l’expression dans un dictionnaire bilingue : ‘’Erreur. Nous n’avons aucune suggestion pour votre recherche’’. Trop facile, ça, M. Larousse. Deuxième tentative dans un dictionnaire anglais : oui ça existe : das Wortspiel, la traduction littérale de l’expression française.

Pour l’instant, après un an et demi en terre germaine, nous pouvons dire que les confrontations aux blagues et au second degré restent rares (et bienvenues, tellement bienvenues !). Ici le discours est direct. Tellement direct qu’à une soirée l’autre jour, une femme s’est approchée de moi en arrivant et m’a dit ‘’Und wer bist du ?’’ (‘’Et qui es-tu ?’’)

Ce matin un plombier est venu pour changer le compteur d’eau. Il arrive sur le coup de 8h. J’ai l’intention de lui proposer une boisson chaude (en espérant qu’il ait la papille tolérante, ou un goût prononcé pour le thé car mes cafés au dosage approximatif ne sont pas du goût de tout le monde). ‘’Puis-je vous offrir quelque chose ?’’ Il me répond du tac au tac, sérieux : ’’ Oui, 1000 euros !’’ C’est tellement rare la répartie blagueuse que, sans le décodage du sourire simultané, j’ai hésité un quart de seconde. ‘’Ai-je bien entendu ? Et surtout bien compris ?’’

C’était bien une blague. Non il ne veut rien, merci. Ouf, Joyeux Avent monsieur ! Ça fait du bien de sourire de bon matin. Je n’en attendais pas tant du compteur d’eau.

Vérité en deçà du Rhin, erreur au-delà

« C’est pas comme ça qu’on s’y prend ! » Ça, c’est la première remarque que je reçois de la prof de mon tout nouveau cours de modelage à la Volkshochschule (l’équivalent des MJC françaises) de Mainz. J’ai mis plusieurs mois avant d’enfin m’inscrire. Plusieurs mois pour mettre le gros de l’installation familiale dans notre nouveau pays derrière moi. Plusieurs mois avant de m’autoriser chaque semaine quelques heures de création et d’évasion.

Me voilà donc à mon premier cours en Allemagne. Mais la terre, ça fait 20 ans que je la travaille, dans des ateliers divers avec des artistes différents. C’est dire si cette réflexion m’a prise au dépourvu. Un peu intimidée, j’étais toute à mon bloc de terre, à me creuser la cervelle avec une pioche pour trouver de l’inspiration. Cette situation inédite envahissait mes sens et me coupait quelque peu l’élan créatif. Travailler la terre en allemand, avec des Allemands (enfin, surtout des Allemandes), et une prof allemande, dans un atelier dont j’avais tout à découvrir du mode de fonctionnement. Je suis arrivée en ayant peur d’être jugée. Alors cette remarque spontanée et sans arrière-pensée a appuyé là où il ne fallait pas. Je sais maintenant qu’elle était juste l’illustration du mode d’expression allemand : direct et sans fioritures.

Les mains sur l’argile fraîche et élastique, je refuse d’écouter la petite voix qui me demande ce que je fais ici. Celle qui me rappelle que je m’étais inscrite à ce cours pour me détendre et me propose de ranger mes outils … pour partir me détendre ailleurs.

La pièce doit être creuse pour sécher de façon homogène et limiter les risques à la cuisson à plus de 1000°C. Deux techniques permettent d’atteindre ce même résultat : modeler un bloc de terre et le creuser à la fin – ce que je fais. Ou monter des pièces creuses à partir de plaques d’argile étalées au rouleau – ce que font les autres ici, dont j’ai découvert peu à peu les superbes créations.

Je suis toujours ce cours, presque un an après. Les participants se connaissent depuis des années. L’ambiance autour des pains de terre de toutes les nuances de l’argile, du verre de Sekt (vin mousseux) et des petits gâteaux, fort sympathique. (Personnellement et contre l’attente de mes collègues allemands qui pensent que les Français boivent du vin à la moindre occasion, je reste au thé). Donc je regarde comment font les autres et j’apprends une autre technique. J’ai bravé ma réaction primaire initiale et je profite de ces différences pour tester des styles de modelage. Et parfois j’entends : « Fais voir comment tu fais… »

Autre mini-choc de cultures autour des médicaments, dont on pourrait penser que le marché européen pré-Brexit est commun. Nous avons découvert que certains, très utilisés en France, n’existent pas en Angleterre, et ne sont pas utilisés en Allemagne, mais disponibles en pharmacie. Ici le paracétamol 1000 mg est sur ordonnance – mais pas le 500 mg (franchement ?!). (Je ne m’étendrai pas ici sur les différences des systèmes médicaux, j’y consacrerai un article, le moment venu).

Côté CV, il a fallu s’adapter en apprenant le grand écart. Le Lebenslauf (littéralement parcours de vie) allemand est très exhaustif. Nom, prénom, âge, nombre et âge des enfants. Limite s’il ne faut pas l’album photo familial et le nom des animaux. En passant la frontière mon CV a doublé en longueur. Une candidature professionnelle prend la forme d’un dossier très complet avec diplômes et appréciations des précédents employeurs. C’est à double tranchant : une appréciation positive peut refléter l’impatience d’une entreprise à se débarrasser de qui ne fait pas l’affaire.

Autre grosse surprise administrative en arrivant : la déclaration de religion. Ce qui en France est strictement interdit, est devenu ici une obligation légale. Lors de notre arrivée dans le pays nous avons dû aller à la mairie nous faire enregistrer à notre nouvelle adresse. Cette démarche (l’Anmeldung) est obligatoire pour toute personne qui déménage, même pour habiter une maison trois numéros plus loin dans sa rue.  « Quelle est votre religion ? Catholique, protestante, autre ? » « Euh, aucune » (et je me retiens d’ajouter : CA NE VOUS REGARDE PAS !). Ouf nous l’avons échappé belle ! Dans le cas contraire on serait passé à la caisse : les croyants payent un impôt religieux.

De même pour inscrire les filles dans leurs écoles (publiques) nous avons dû choisir entre les cours de religion, catholique ou protestante, et éthique. Nous avons coché éthique (pour les non religieux). Personnellement je trouve que les cours sur les religions (ouverts et basés sur l’histoire et les grands principes humains) sont un enrichissement indispensable pour comprendre l’histoire de l’art et le monde. L’éthique devrait les aider à comprendre leur place dans la société. Notre plus jeune travaille en ce moment sur les sentiments et les relations.

Cependant, j’ai eu un moment de gros doute lorsque fraîchement débarquée en terre teutonne, je m’attelais à recouvrir les livres de cours de mes filles. J’en étais encore à penser que la plus grosse différence (la seule ?) avec la vie que je venais de quitter serait la langue (bon d’accord, avec l’alimentation).

Je feuillette le livre d’éthique de ma benjamine et en ouvrant une double page je reste sans voix. A gauche, le titre : « L’évolution » (ou quelque chose d’approchant), annonce un texte qui commence avec « Beaucoup de scientifiques pensent que …. ». En vis-à-vis, sur la page de droite, sous le titre générique : « Comment le monde a été créé », le texte débute avec « Le premier jour, Dieu créa… » et se contente de reproduire un passage de la Bible. Pas d’explications et surtout, surtout, aucune mise en perspective.

Nous élevons nos enfants de façon très scientifique et ils ont été présentés à Monsieur Darwin dès leur plus jeune âge. Mais pour éviter tout malentendu pédagogique j’en ai remis une couche. (Je vous épargnerai le contenu de mes interrogations et mes grommellements). En découpant le scotch : « Tu te souviens sur la Jurassic Coast en Angleterre quand tu as trouvé tous ces fossiles… »

Encore une fois, n’est-ce pas vraiment dans ces tous petits gestes du quotidien que l’on prend la vraie mesure des différences culturelles ?

PS : La sculpture de la photo est en argile rouge ; elle s’appelle Le secret.

Der Advent, l’Avent

Ich wünsche euch einen schönen 1. Advent ! (Je vous souhaite un joyeux premier dimanche de l’Avent !)

Les fêtes en Allemagne sont importantes, et l’avent (der Advent), le mois précédant Noël, est le temps où le charme lumineux du pays fait oublier les jours courts et la grisaille. Cette période est vraiment singulière en Allemagne. Différente de la fête de Noël à proprement parler. Toutes les maisons se parent dès fin novembre, et allument le premier dimanche de l’Avent, une bougie de la couronne du même nom. Chacun des quatre dimanches, les gens se souhaitent ainsi de passer une bonne journée, dans la magie d’une flamme vivante pour compenser les nuits de plus en plus longues.

Ces quatre semaines se passent dans les odeurs de branchages de sapin (Nordmann et Nobilis de ce que j’ai vu) et les parfums d’épices du Glühwein (vin chaud) et des petits biscuits de Noël. Tout se teinte d’une nuance ‘’avent’’, même les magasins rivalisent de ‘’promotions de l’Avent’’.

Le sapin de Noël n’arrivera dans les foyers que bien plus tard, le 24 décembre souvent. Adolescente, au siècle dernier, j’avais eu le privilège de passer les vacances d’hiver chez mon amie allemande à Cologne. La veille de Noël juste avant de se régaler de raclette (oui c’est un repas classique ici le 24 décembre), nous avions décoré le sapin.

Calées sur nos traditions familiales, les filles ont réclamé avec ‘’de grands yeux brillants’’ (c’est leur technique de négociation) de choisir notre sapin de Noël dès le premier décembre. « Allez, maman, daddy, on y va ! Sinon on n’aura pas le temps avant… avant la Saint-Glinglin ! » (Tiens comment dit-on Saint-Glinglin en allemand ?). Pleins d’enthousiasme, et presque convaincus pendant quelques minutes d’être des parents formidables, nous sommes allés à la jardinerie où nous avons nos habitudes, certains aux rayons plantes, d’autres plutôt à l’animalerie… Michael Bublé s’époumone dans la voiture : « It’s beginning to look a lot like Christmas … »

« Whaou ! Tous ces sapins ! Et y’a personne ! On aura plein de choix ! » Nous nous précipitons sur le parking reconverti en forêt de conifères de toutes les tailles. Y’a même des sapins danois. Non, on va rester dans le local hein, pas besoin d’un arbre qui a fait du tourisme dans un camion. J’aime bien le sombre, tout décoiffé, là. Les filles préfèrent l’autre là-bas, bien régulier. Après un conseil familial ardu, nous tombons d’accord sur un troisième (Nordmann, 2 mètres, la flèche un peu tordue en haut pour faire plaisir à maman). Chouette ! nous allons pouvoir le décorer dès cet après-midi ! Nous commandons au monsieur du parking celui qui va faire partie de notre vie pendant un mois. Et nous entrons dans le magasin pour lui acheter un pied pour l’installer.

Sauf que ….  La loi allemande n’autorise le dimanche pour les jardineries que la vente de végétaux (en tous cas en Rheinland-Pfalz). Rien d‘autre. (Déjà bien contents que cette partie-là soit tolérée, en règle générale ici le dimanche c’est franchement tristoune et très fermé). Le magasin est immense, magnifique, tout décoré. Un marché de Noël est même éparpillé dans les rayons : cabane du Père Noël, chalets-snacks pour le vin chaud et les Bratwurst (saucisses), patinoire intérieure, et même deux pistes de curling. Nous sentons notre impatience de Noël frétiller…. A vide. Curieuse impression que de se promener entre des rayons balisés par un cordon (rouge et blanc certes), de contempler un décor de fête aussi calme et froid que le Sahara la nuit en plein hiver (et j’ai le souvenir d’une nuit dehors en décembre par -7°C au sud de l’Algérie). Les pains d’épices nous narguent. Nous avons trouvé près des caisses le support pour le pied du sapin. Nous l’avons regardé, touché et… laissé sur place. Il nous faudra revenir. Et sans doute penser aux gants pour le patin à glace.

Notre beau sapin, roi du jardin, est donc entreposé dehors sur la terrasse en attendant de pouvoir tenir debout. Mais tout n’était pas perdu pour autant côté préparatifs. Mercredi c’était le 4 décembre, la Sainte-Barbara. En Provence, la Sainte-Barbe c’est le jour où on met les lentilles à germer. Une coupelle, du coton, des lentilles, un peu d’eau tous les jours. Les pousses timides se déplient et s’allongent. Entourée d’un ruban rouge, la prairie de poupée décorera la crèche ou la table de Noël. Si elles poussent dru et dense, c’est un bon présage pour les récoltes de l’année suivante. Notre stock de lentilles du Puy était à sec, nous guettons donc le frémissement vert dans les graines brunes et bio allemandes.

J’ai évoqué cette coutume avec des amis allemands qui m’ont raconté une ancienne tradition similaire dans les régions catholiques d’Allemagne. A la Sainte-Barbara (Barbaratag), le 4 décembre donc, les familles coupaient des branches de cerisier et mettaient le bouquet de Barbarazweige (les rameaux de Barbara) dans l’eau à l’intérieur. En fonction des régions c’étaient des branches de prunier, de pommier, de noisetier, de sureau ou même de forsythia. Des fleurs épanouies pour Noël apportaient grâce à la table de Noël et chance à la famille hôte. J’ai recherché ce lien entre la sainte et la renaissance végétale. Selon la légende, Barbara avait été enfermée dans une tour par son père, un empereur païen d’Asie mineure, pour la protéger (!), et se consolait en versant un peu d’eau sur une branche sèche de cerisier qu’elle avait trouvée. Juste avant son martyr sont écloses les premières fleurs.

Retour à notre premier weekend de l’Avent. Faute de pouvoir décorer le sapin, nous avons fait un tour au marché de Noël de notre quartier. Installés pendant deux jours, les stands des clubs et des associations proposent des Plätzchen (biscuits de noël, faits maison), du Glühwein ou du punch chaud pour les enfants. De quoi financer leurs projets dans une ambiance festive. Là une classe du collège de ma grande, qui veut diminuer le coût de son voyage au ski. Plus loin, la cabane de l’école de ma plus jeune, où parents et enfants se relaient à la vente de leurs productions. (Comme partout, ce sont souvent les mêmes qui font, vendent puis achètent les gâteaux pour le sou des écoles). Les stands offrent de l’artisanat vraiment local. Une crèche propose sur le sien une activité Stockbrot (ou pain sur bâton). Comme son nom l’indique, il s’agit de tenir au-dessus des braises, un long bâton sur lequel a été enroulée de la pâte à pain. Ça croustille, ça rougeoie, ça pétille. Et surtout il y fait chaud à côté des mines éblouies des gamins. L’ambiance est familiale et bon-enfant. On croise des têtes et des voix connues. Il fait nuit. Il fait froid. Tout le monde est dehors.

Aujourd’hui 6 décembre c’est la Saint-Nicolas, saint patron des petits chocolats. Ma plus jeune fille vient de brosser ses chaussures pour qu’il puisse y déposer des friandises. Quand je lui dis que côté sucreries avec quatre calendriers de l’avent et son anniversaire à venir, on va peut-être rester sobre, elle m’explique sur un ton péremptoire : ‘’On est en Allemagne, on n’est plus en France !’’. Soit donc. Saint-Nicolas est prié de passer (avec des noix et des clémentines s’il vous plait).

Au collège, cette semaine, un système de petites attentions personnalisées a été mis en place. Les élèves pouvaient payer au cours de la semaine quelques euros pour qu’un Saint-Nicolas en chocolat soit remis à un destinataire de leur choix du même collège ou d’un établissement partenaire. Avec un petit mot. Ma fille est rentrée tout à l’heure avec le cadeau d’une amie et un grand sourire.

Et maintenant il est 16 heures passées. Il fait très froid. La pluie tombe dans les halos des réverbères qui viennent de s’allumer. La roue arrière de mon vélo est crevée depuis ce matin. Nous avons rendez-vous dans une demi-heure avec la classe de ma plus jeune (4. Klasse, des CM1) dans la forêt voisine, à la Grillhütte (une cabane municipale qui abrite un barbecue et que l’on peut louer). Aucune idée de là où elle se trouve. Jusqu’à voilà deux heures je croyais encore que la hutte en question était celle où nous étions allés cet été, dans un parc. A l’aide ! J’écris un message au groupe des parents. Je reçois un lien internet, et un message d’un autre papa qui me dit que le jour où il l’a cherchée, il ne l’a jamais trouvée… Ça promet…

’Allez minette c’est parti ! on s’équipe et on y va !’’.
Grosses bottes, chaussettes chaudes, pulls et vestes empilés, bonnets, lampes électriques, saucisses crues, salade de fruits (notre contribution au buffet), vaisselle en plastique pour 3…. Je regrette de quitter un intérieur douillet pour une hypothétique cabane humide et froide dans la nuit d’une forêt mouillée. « On ne restera pas trop longtemps, hein ? ». Pourtant en septembre, à la réunion des parents d’élèves, l’idée du barbecue de Noël m’avait emballée.

Nous trouvons la cabane, dans un coin plus reculé que nous ne pensions. Plusieurs familles bien emmitouflées sortent des voitures. Vite, à 16h30 tapantes nos enfants vont chanter des chansons de Noël ! A travers les fenêtres de plastique de la hutte, des lumignons et des guirlandes de lumière nous guident. C’est charmant. Des mamans attentionnées ont décoré les murs et les tables en bois qui entourent le grand barbecue central. Le feu crépite déjà.  Les thermos de Glühwein sont disposés d’un côté, ceux de punch chaud pour les enfants d’un autre. (Toujours très bien équipés côté matériel de pique-nique les Allemands, ils ont même des boites en plastique spéciales-gâteaux avec des poignées). Et c’est parti pour des grillades dans la nuit, toutes saucisses alignées sur un mètre carré de grille suspendue au-dessus des braises et sur l’air de Feliz Navidad ! Ca sent la fumée et parfois les yeux piquent ! Extra !

Demain, nous retournerons sans doute au grand marché de Noël de Mainz, au pied de la cathédrale. Dépaysant (pour nous) et gai, surtout de nuit dans ses mille lumières. De quoi oublier les jours bien plus courts qu’à Lyon à la même période. En ce moment l’école commence et finit presque dans le noir.

En Allemagne, l’effeuillage du calendrier de l’Avent nous emmène de lumière en plaisir. Que nous réserve le calendrier de l’après ?

Pot-pourri de Noël

Le compte à rebours vers le numéro 1 du calendrier de l’Avent s’accélère. Les bouquets de rameaux de sapin s’accumulent dans les magasins. Les marchés de Noël, les concerts et fêtes arrosées de Glühwein (vin chaud) s’étalent sur les panneaux d’affichage. L’Advent (avent) est une période à part en Allemagne, une parenthèse de lumière. Intense, gourmande, essentielle. Des couronnes de branchages décorées s’invitent dans les foyers, les bureaux, les écoles, sur les portes d’entrée. Celle de la classe de ma fille, grande comme une roue de charrette, portera les espoirs de Noël de tous les enfants. Partout, une main attentive retiendra sa respiration pour allumer chacune des quatre bougies de la couronne, à tour de rôle, pour les quatre dimanches de l’Avent (une pour le premier, deux pour le deuxième etc.). A la Noël, personnages de cire, elles auront chacune une taille différente.

L’an dernier, novices en terre germaine, nous avions attendu la toute fin novembre pour acheter une couronne. Surpris et déçus, nous avions constaté là encore que nos concitoyens anticipent beaucoup leurs achats et que les stocks ne sont pas renouvelés… Nous avions donc fabriqué notre couronne nous-même avec de la verdure glanée et avec grand plaisir. Pleins d’élan, nous en avions tressé deux, une pour la table et une pour la porte d’entrée. Cette année, on ne nous y reprendra pas, nous avons anticipé notre équipement. D’ailleurs les bougies, nous les avons depuis un an. Je viens d’acheter notre couronne au marché de Mainz, avec mon ‘amie simultanée’. Elle m’a expliqué comment y fixer les bougies : avec de petits socles en métal. Je me sens vraiment privilégiée et intégrée à la culture locale de déambuler ainsi dans les préparatifs festifs avec une Allemande.

Notre Noël familial est un peu comme notre mode d’expression : multiculturel. Mon mari et moi avons emprunté leurs traditions à nos Noëls d’enfance pour un mélange personnalisé issu d’habitudes anglaises et provençales. Nous chantons les Christmas carols et écoutons la Pastorale des santons de Provence. Le 4 décembre, nous mettons les lentilles à pousser sur un lit de coton dans une soucoupe. Nous avons perdu le compte des treize desserts aux côtés des marrons glacés de l’Ardèche, du Christmas pudding et de son acolyte fondant le brandy butter (beurre sucré et parfumé au cognac). Surtout depuis que nous y ajoutons le Lebkuchen (pain d’épices) et les Plätzchen (biscuits de Noël). Cette année nous allons découvrir les chants traditionnels du répertoire allemand : je viens d’acheter une nouvelle partition pour piano et flûte. Déjà avec ma fille nous connaissons Kling Glöckchen kling (sonne carillon sonne).

Nous sommes fin Novembre, et depuis quelques temps déjà nous sentons frémir les festivités. Voilà trois semaines, nous avons fait le Christmas cake. Gâteau dense aux fruits confits et aux épices, mûri pendant plusieurs semaines bien emballé sur un coin du plan de travail de notre petite cuisine. La quête aux raisins de Corinthe et au quatre-épices est un rituel familial. Comme de donner, l’un après l’autre, un tour de cuillère dans la pâte avant de la verser dans le moule. Pour porter bonheur sans doute. Ou d’y cacher deux pièces de one pound, fèves de Noël, là aussi de bon augure pour celui qui les trouve. Il est de bon ton de l’arroser régulièrement de cognac, mais nous sautons cette étape. Après l’avoir glacé et décoré d’une branche de houx, nous l’entamerons le 24 décembre avec une tasse de thé.

Bientôt, j’irai faire un peu de spéléologie secrète dans le cagibi pour trouver les décorations de Noël. Avec des chocolats, des toffees et du fudge (anglais) et les papillotes rapportées de Lyon, je fourrerai les petites poches de nos calendriers de l’avent : une guirlande de stockings (grandes chaussettes des Noëls anglo-saxons) pointure 3 et un lutin grandeur nature (il a un grelot au pied pour me prévenir quand ma plus jeune et plus gourmande se servait toute seule du haut de ses trois pommes). Ici mes copines remplissent leurs calendriers de l’Avent de petits cadeaux pour leur famille. Nous réservons les tous petits trésors pour le matin de Noël dans les stockings. Suspendus la veille à l’espoir de leurs propriétaires et à la poignée de la porte de leurs chambres, ils débordent à l’aube du 25 décembre de petits riens charmants (carnets, crayons, jouets, tubes de crème, pièces en chocolat, noix et oranges…).

En Allemagne, les petites friandises remplissent les chaussures des enfants le matin du 6 décembre. S’ils ont été sages. Et si lesdites chaussures ont été bien nettoyées et cirées avant d’être rangées la veille au soir devant la porte de la maison. Nous n’avons pas intégré la tradition chocolatée de la Saint-Nicolas. Notre mois de décembre riche de deux anniversaires et de Noël ne le digèrerait sans doute pas. Le 6 décembre reste donc pour nous celui qu’il a toujours été : l’anniversaire d’une amie d’enfance.

Sur les étagères encombrées de la remise, je dénicherai aussi notre crèche maison, en terre, pliée dans du papier de soie. Elle a été modelée par mon fils enfant. Marie, Joseph, trois rois mages, l’âne et le bœuf, un ou deux moutons et un berger en houppelande. Et bien sûr le petit Jésus, équipé d’un ballon de foot et d’un doudou.

Nous l’installerons au pied du sapin. Un neuf, un de notre nouveau coin. Nous avons emporté celui de Lyon, bien installé dans un pot. Il nous a déjà réjoui deux Noëls. Mais cet été son côté à l’ombre a roussi. Nous l’enguirlanderons donc sur place de lumière.

Et quand notre intérieur et notre jardin seront pomponnés, nous pourrons nous tourner vers les réjouissances extérieures. Les barbecues de Noël des classes de nos filles, dans la nuit du parc (prière d’apporter des vêtements chauds et des lampes de poche) et le marché de Noël de Mainz. Nous réchaufferons nos mains gelées autour d’un Glühwein ou d’une Bratwurst dégoulinante de moutarde, en regardant les angelots, les étoiles en papier et les Nussknacker (casse-noisettes-soldats décoratifs, qui écrasent les noix entre leurs dents). Les préparatifs vont déjà bon train. Les petites maisons en bois recrutent des mains souriantes.

Pour le repas de Noël, nous renoncerons sans doute cette année encore aux escargots, faute de matières premières (dans les magasins). Nous ne mangerons pas de raclette le 24 selon la tradition germaine. Nous ferons cuire la dinde, accompagnée de pigs in blankets (petites saucisses enroulées dans de la poitrine), de bread sauce (sauce blanche au pain, béchamel épaisse), de légumes racines et de choux de Bruxelles (que tout le monde prépare en Angleterre pour Noël, mais que personne n’aime – y’a qu’à les voir bradés dès le 26/12). Au dessert, nous flamberons de bleu le Christmas pudding, après avoir éteint la lumière. Un Christmas pudding de la marque MacLaren, en l’honneur du clan écossais d’origine de mon mari.

Et si nous avons été sages, nous trouverons dans nos souliers, devant la cheminée ou sous le sapin, des cadeaux par milliers.