Entrée de secours

Je suis toujours impressionnée par la confiance accordée aux enfants de ce côté du Rhin.

Dans la vie quotidienne, les enfants sont très autonomes. L’école primaire propose des dépliants encourageant les parents à laisser les petits élèves se rendre à l’école tous seuls. Ils portent de gros cartables tapissés de réflecteurs et souvent un gilet jaune. Un petit autocollant rectangulaire avec l’inscription Noteingang (entrée de secours) permet aux enfants égarés de repérer les commerces bienveillants prêts à les aider. N’est-ce pas une bonne idée ?

Cette confiance spontanée doit être une boucle vertueuse car ils la méritent.

Notre grande vient de participer avec sa classe de 5ème à un concours pour participer à une émission de télévision pour enfants Die beste Klasse Deutschlands (‘’la meilleure classe d’Allemagne’’). Pour postuler à ces jeux entre classes, il s’agissait d’envoyer une video de quelques minutes pour présenter la classe. Notre fille avec tous les élèves de sa classe ont imaginé et réalisé un film, sans l’aide d’aucun adulte. Ils y ont travaillé les vendredis après-midi, après les cours, dans leur salle de classe et sur les terrains du collège. Caméra sur un drone, musique, multilinguisme, chorégraphies : ils ont pensé à tout pour mettre en valeur leurs spécificités. Prise de vue en plongée : sur les pistes d’athlétisme, les élèves habillés en bleu, blanc, rouge lancent tous ensemble en l’air de la farine colorée dans un nuage-drapeau poudré, pour promouvoir leur parcours ‘bilingue’ français-allemand.

La semaine dernière, j’ai retrouvé une amie pour un thé (anglais) avant une séance matinale de massage (thaïlandais). Nous échangions sur les différences culturelles dans l’enseignement : elle a étudié quelques mois en France, vécu à l’étranger, et son fils adolescent prépare un échange scolaire avec un pays anglophone. Je lui faisais part de mon impression : les avis des enfants ici semblent plus respectés, les adultes s’adressent à eux comme à des personnes intelligentes. En gros on leur fait confiance.  ‘’En France, tu comprends, on ne fait pas spontanément confiance aux enfants (ni aux adultes souvent). ’’ ‘’Und warum nicht ? ‘’ Et pourquoi pas ?

Oui, pourquoi ne fait-on pas spontanément plus confiance aux enfants ? L’impression que l’adulte saura mieux qu’un enfant ce qui est bon pour lui ? C’est vrai que par défaut ici les individus de tous âges ont tendance à être fiables, ponctuels et propres et respectent le matériel. Néanmoins ne gagnerions-nous pas à parier sur la confiance ? Nous reproduisons un comportement acquis, une habitude. Cela me semble en train de changer, avec les nouvelles générations. Tant mieux. J’apprécie d’échanger ‘d’égal à égal’ avec les copines de mes filles. Comme l’autre jour quand j’ai croisé M. en vélo sur le chemin de l’école. J’allais chercher ma benjamine, elle retournait chercher une copine (car elle-même ne reste pas à l’école les après-midis). Nous avons pédalé côte à côte et discuté. C’était franc et direct. Simple. Tellement plus simple.

Chou y es-tu ?

Entre nous, vous et moi savions bien qu’on allait devoir y passer, par la cuisine et le restau. Non ?

Je pourrais vous parler des pommes de terre (‘’Pommes’’ lorsqu’il s’agit de frites). Je choisis de vous conter plutôt les petites cabanes en bois, déguisées en fraises à coup de peinture rouge et blanche. Tout droit sorties d’un conte de fées, elles fleurissent au printemps sur les parkings des supermarchés, les places principales de Mainz. Fraises et asperges blanches sont proposées par les producteurs locaux. Circuit plus que court, qualité extra, prix raisonnables : comment résister ? « Oh non, encore des asperges maman !? »

Mainz est au cœur d’une région agricole riche et de vignobles réputés, comme en témoigne le jumelage de la ville avec Dijon. Pommes (fruits) très variées, cerises, quetsches, fruits rouges, rhubarbe, salades (vendues avec leur pied dans de petits sachets), légumes feuilles et racines, champs de raifort, choux de toutes les couleurs. Nous nous régalons de la variété de l’offre proposée – en appréciant chaque bouchée des fruits du soleil plus rares ici : melons, pêches, abricots, raisins chasselas ou muscat de Hambourg (que nous n’avons pas trouvé au nord de la frontière contrairement à ce que son appellation laisserait entendre). Les branches lourdes de l’abricotier du voisin nous narguent ; un pêcher sain au coin de la rue et quelques figuiers portant des fruits me surprennent sous cette latitude.

Côté protéines nous avons modifié sérieusement nos menus. Nous avons renoncé presque quasiment hélas au poisson (sauf les jours de filet de lieu noir ou de truite du Taunus quand nous allons au marché) et aux fruits de mer. Le poissonnier du marché dispose de temps en temps de moules sous vide, ou d’huitres, vendues probablement à l’unité, car sa bourriche de dinette n’en compte que 4 ou 5 pièces (on n’a pas envie de tester).

La viande de bœuf est excellente – mais là, comme côté paysages, il nous manque la variété que nous connaissions chez notre fournisseur du samedi. Le cheptel teuton est moitié moins grand que le français. Peu de veau donc. Le porc est lui, comme on s’en doute, omniprésent. Je viens d’apprendre dans un livre de JP Kauffmann sur un tableau de Delacroix (La lutte avec l’ange), que le peintre, fin gourmet, consignait dans son journal ses adresses pour se procurer du jambon d’Angleterre, et du jambon de Mayence. Il va falloir que l’on creuse le sujet…

Car comment s’y retrouver dans cette jungle de charcuterie germanique ?

« On se rejoint au rayon saucisses ! » est une injonction à éviter si on ne veut pas organiser le barbecue dans le supermarché. Mes papilles françaises élevées côté cochonaille aux saucissons de l’Ardèche, à la merguez, au godiveau (avec ou sans herbes s’il vous plait), et éventuellement aux saucisses de Strasbourg et de Francfort (ah tiens, un indice), de Montbéliard ou de Morteau les jours de potée ou de choucroute (autre indice), peinent à comprendre la variété de l’offre germanique. Bratwurst au cochon ou au bœuf, plus ou moins industrielles, de toutes les tailles, Fleisschwurst (viande hachée finfinfin type saucisse de Francfort – littéralement saucisse de viande), salami, saucisses fumées séchées. J’ai dû demander à droite à gauche des indices d’utilisation de cette pléthore de salaisons.

Réponse unanime : grillen ! Poser les Bratwurst quelques minutes sur le barbecue reste une valeur sûre. La grillade extérieure, chez soi, dans les parcs, est un pivot du mode de vie allemand. Toutes les réunions amicales offrent le prétexte de se retrouver autour d’un feu alléchant. Un ami m’a dit que cet engouement pour le barbecue était plutôt récent, et date des vingt dernières années. Les modèles sont formidables et olympiques. Certains mastodontes quasi-professionnels atteignent des niveaux de prix et de qualité que nous ne soupçonnions pas. Sans doute sont-ils garantis sur 4 générations. Les accessoires de marque Napoleon (encore lui !) nous font sourire.

Les Allemands utilisent souvent un dispositif ingénieux : une grande bassine en métal noir pour y nicher le feu (Feuerschale) et un trépied pour suspendre la grille au-dessus plus ou moins haut. Après les Bratwurst, sortez les guitares, le barbecue redevient feu de camp. Extra et dépaysant !

La baguette craquante nous manque. Mais les pains que nous trouvons ici sont délicieux, variés et nutritifs. Les pains noirs ne sèchent presque jamais. Grâce au magazine pour enfants GEOlino qui traine dans le salon, j’ai appris que la culture du pain allemande était classée au patrimoine mondial de l’Unesco (si, si), et que sur le territoire sont pétris pas moins de 3200 pains différents. 3200. Il faut bien ça pour y tartiner du beurre, du fromage et du salami.

Côté fromage justement, pour varier, et accueillir dans une ambiance locale des amis français en visite, nous sommes allés découvrir un supermarché haut de gamme de Mainz. Au rayon fromagerie, on demande conseil sur les produits allemands. La fromagère fait la grimace, et non avec la tête. Toute la queue rit. « Et des fromages suisses ça vous dirait ? ». Ça nous a dit. Et nous n’avons pas fait le déplacement pour rien : nous avons découvert la machine à éplucher les asperges. Nous sommes bien dans une région productrice et au pays de la machine-outil. Grande comme un piano droit, elle ne rentre pas dans une cuisine (en tous cas pas dans la nôtre), mais nous a rendu un grand service !

Reste que manger varié demande ici plus d’effort et d’argent.

Pourtant au restaurant les portions sont immenses et peu chères. Cependant, sorti des WienerschnitzelPommes (escalopes panées – frites) les plats sont souvent décevants. Trop de sel, trop de chou, trop de sucre dans la vinaigrette… On voudrait aimer, se régaler, on a faim…. Mais non. Ce n’est pas vraiment bon.

Qu’à cela ne tienne, on se consolera en sortant avec une glace. On en trouve partout. Les Allemands en mangent tout le temps, toute l’année. Des boules à moins de 2 € (1€ près de chez nous), très bonnes. Avec une spécialité locale : la Spaghetti-Eis. De la glace à la vanille, passée par une machine (encore une !) qui la transforme en filaments et arrosée de sauce à la fraise. L’illusion est complète.

A table !

Ici les restaurants remplissent les tables au gré des arrivées de convives, façon table d’hôte.

Lors de notre première soirée à Mainz, en mode découverte-pour-voir-si-ça-nous-plairait-d’habiter-là, nous sommes allés manger dans un restaurant typiquement local. Boiseries sombres, quelques petites tables et une grande table ronde massive bordée d’une banquette d’angle. Nous n’avions pas réservé et nous avons donc rejoint un groupe de 5 ou 6 dames sur la plus grande table. Chacune disposait d’un demi-poulet grillé égaré tout seul sur une assiette (avec du pain tout de même), sauf une qui avait pris une ‘’salade’’ (une montagne de lanières de cervelas et de fromage type emmental sans la moindre trace de légume). Pleins d’enthousiasme et de curiosité gastronomique, nous avons testé la spécialité locale Handkäse mit Musik (fromage de format picodon, qu’on dirait translucide avec des oignons au vinaigre). Littéralement : le fromage à main avec de la musique. L’allusion à la musique est une référence poétique à l’impact digestif de cette association fort surprenante. C’est une bonne chose de faite. Nous n’en mangerons plus….

Les mélanges de genres et de gens à la même table permettent de discuter et rencontrer de nouvelles têtes. Lors d’un déjeuner avec une amie dans un restaurant du quartier qui propose un Mittagstisch (un plat du jour seulement à midi), et où se retrouvent des habitués, nous avons pu discuter avec une dame du coin plus âgée, de ses voyages en France, et de plantations. Comme on était début mars, elle nous a parlé de ses potées fleuries aux couleurs de Fastnacht (carnaval) : blanc, bleu, rouge et jaune !

Mais le plus intéressant autour de la table ici c’est le concept très spécifique de Stammtisch. Littéralement la table-souche (dans le sens ‘fondamentale’). Il s’agit du regroupement dans un restaurant ou un café, souvent dans une salle réservée, d’un groupe de gens ayant un intérêt commun (club de sport, politique ou autre…) autour d’un repas ou d’un verre.

J’ai découvert cela avec les Stammtisch de parents d’élèves (Elternstammtisch) pour la classe de 6ème de ma grande. Deux ou trois fois par an les représentants des parents d’élèves invitent les professeurs principaux et les parents de la classe à se retrouver autour d’un verre informel, pour discuter de sujets en rapport avec l’actualité de la classe. Je suis très reconnaissante de ce dispositif qui m’a permis de me faire des amis, et de passer régulièrement des soirées sympas, en connaissant mieux l’univers dans lequel évolue ma fille.

C’est ainsi que nous avons pu aborder le sujet de la cantine. Les parents rapportent que leur progéniture se plaint de la qualité de la nourriture servie. « Pour ta fille qui vient de France, Estelle, ça doit paraître encore plus mauvais non ? »  « Euh ma fille a dit que c’était meilleur que sa cantine de Lyon » – sic.

Autre sujet traité en Elternstammtisch : les cadeaux pour les professeurs en fin d’année. Comme le premier cycle du collège se terminait (équivalent du CM2 – 6ème), les parents souhaitaient témoigner leur gratitude aux deux professeurs principaux lors du barbecue de fin d’année. Une maman-maîtresse a montré ce qu’elle avait reçu de sa classe : un fortune-cookie en papier de couleur, avec glissé à l’intérieur, un petit mot d’un élève. L’idée charmante a fait l’unanimité. Les tâches (achats de matériel, mails à envoyer) ont été réparties en quelques minutes. Et c’est ainsi que les parents volontaires et disponibles nous sommes retrouvés lors d’une Stammtisch spécifique pour découper, plier, et coller la soixantaine de fortune cookies en couleur pour la surprise. Les élèves ont chacun écrit deux petits mots. Et c’était doublement fort sympathique : par la compagnie et le petit bricolage collectif. Efficace, convivial, et avec le sourire. J’ai du mal à imaginer les parents d’une classe de 6ème en France se retrouver volontairement le soir pour découper des ronds de papier de couleur et demander à leur enfant d’écrire un petit mot pour chacun de ses deux professeurs principaux, sur un papier blanc de 10 cm par 2 cm.

La première Stammtisch de 5ème a eu lieu récemment avec l’objectif de préparer la fête de Noël. Peut-être une balade nocturne en forêt, avec vin chaud et biscuits aux épices apportés par les soins de chaque famille. Les petits Français de l’échange linguistique seront de la partie. Gageons qu’ils auront des courses-poursuites à la lampe électrique à raconter à leur retour !

La classe de ma plus jeune à la Grundschule (école primaire) n’a pas encore de Elternstammtisch. Mais elle a une fête de Noël : barbecue au parc en fin d’après-midi ! Il fera nuit et froid autour du feu de camp qui crépite. Avec une face éclairée et brûlante et un côté froid et humide, dans le parfum des Bratwurst qui grillent, des enfants qui courent partout, l’ambiance devrait là aussi être trépidante.

Vacances en Allemagne

« Aux prochaines vacances, on part où ? »

Pas simple quand on a de la famille et des amis en France et en Angleterre. Et qu’on aimerait aussi peut-être changer d’air pour se simplifier le quotidien en parlant une langue qu’on maîtrise, en renfilant des habitudes confortables comme un vieux sweat (et en retrouvant une alimentation variée).

Pourtant parfois, la curiosité prend le dessus et on fait le grand pas, on prend le risque : ON RESTE EN ALLEMAGNE POUR LES VACANCES !

Mois de mai, pont de l’Ascension. Nous souhaitons découvrir le Bodensee (lac de Constance). Et camper en famille, puisque nous apprécions cela. De toute façon les hôtels et chambres d’hôtes que j’ai contactés, pourtant plusieurs semaines avant les dates souhaitées, sont tous complets. C’est un truc terrible ici. Les Allemands réservent leurs vacances très très en avance. Un an, voire 18 mois avant. Personnellement je ne sais pas aussi tôt ce dont j’aurai envie. (Pareil pour le restau, il est très difficile de trouver une table la veille pour le lendemain, en règle générale, il vaut mieux réserver une semaine avant).

Donc ce sera camping, y’en a plein autour du lac. Qu’à cela ne tienne, tentons la réservation. Je cherche sur internet. Je contacte celui qui est recommandé dans mon guide. Non pas de réservation pour moins de 7 nuits. Bon tant pis. Nous partons avec notre matériel à la découverte sans point de chute précis. Je sens le doute sceptique dans le regard des amis avec qui je partage notre projet, et notre désinvolture franchouillarde.

En arrivant au bord du lac, magnifique, nous découvrons qu’il est effectivement bordé de campings. Mais que camper en Allemagne ne signifie pas la même chose qu’en France. Il s’agit ici de garer son camping-car sur un parking, bien parallèlement et bien près de celui du voisin. Pas trop d’herbe, ça gratte et ça salit. Les nains de jardin et les barbecues sont de sortie. Eux aussi ont pris leur maillot.  A l’aide ! Les tentes sont tolérées dans des petits coins, toutes entassées les unes sur les autres – sans doute des touristes égarés ?

Après avoir été refusés plusieurs fois dans des campings complets, nous trouvons les quelques mètres carrés qui vont nous accueillir pendant 3 nuits. Avant de planter la tente (pendant les formalités) nous ne les lâchons pas, car d’autres campeurs en perdition s’en approchent dangereusement et menacent de nous en priver. Nous montons la tente. En se penchant un peu, on peut même apercevoir le lac en mangeant. Il est vraiment tout près. Ouf. Nous profitons des baignades, des couchers de soleil, et des sanitaires super propres (c’est donc possible), visitons Konstanz, découvrons que les barbecues attaquent à 17h, commandons les Brötchen du petit déjeuner, mangeons les tomates qui ont poussé sur les rives du lac.

J’ai fait depuis d’autres recherches pour trouver des campings comme on aime bien : genre camping à la ferme, avec de l’herbe, des arbres, un p’tit ruisseau, pas trop de monde. Tout simple quoi. J’en ai discuté avec des amis allemands. Non ça n’existe pas. Ou bien nous ne l’avons pas trouvé. Je suis même tombée sur internet sur un type de camping mutant : un grand parking en goudron, avec des rectangles d’herbes réguliers et bien alignés pour garer son camping-car.

Les Allemands qui veulent camper dans une tente et les pieds dans l’herbe vont en France ou ailleurs. D’ailleurs, dans une librairie, j’ai vu un guide de voyage consacré aux campings de toute l’Europe du sud dont la couverture était illustrée par une photo du Pont d’Arc en Ardèche. La partie chauvine de mon cœur a frémi !

Deuxième période de vacances en Allemagne en automne cette fois : nous rentrons de quelques jours à Berlin.

Visiter la capitale était un de nos projets de longue date, mais c’est notre fille aînée qui l’a proposé en août. Banco ! Si on veut y aller, va falloir sauter le pas et ne pas retourner en France ou en Angleterre à chaque période de vacances, n’est-ce pas ? Berlin c’est une ville internationale, à part, formidable. Nous avons pu déguster des musées magnifiques, manger japonais, vietnamien et israélien en v.o., et nous régaler même avec une curry wurst délicieuse. Nous avons assisté à un concert de musique de chambre à la Philharmonie (gratuit le mardi midi, mais assis par terre… alors que la grande salle est libre. Pourquoi ? Mystère. Une affaire de sous sans doute).

Nous avons arpenté les quartiers touristiques et donc entendu beaucoup d’Américains. Lors d’une pause dans un musée, nous avons même entendu parler français. Et là ma grande fille a soupiré : « Ça fait du bien quand même d’entendre parler anglais et français. Ça repose hein ? »

Suis bien d’accord. Parfois faut lâcher les efforts. Surtout pendant les congés.

D’ailleurs aux prochaines vacances, ce sera l’Angleterre ou la France.

Et le vieux sweat confortable.

Reine règle

« Alors c’est d’accord, si on va s’installer en Allemagne, en échange on habite dans une maison hein ? »

En échange de quoi ? De tous les sacrifices individuels et familiaux ? Des difficultés que l’on pressent intuitivement ? Jusqu’à quels renoncements n’irions-nous pas pour jouir de quelques mètres carrés de verdure ?

Le jardin représente pour moi une motivation certaine pour marcher pied nu dans l’herbe, gratter la terre, danser sous la pluie (ou au soleil) avec mes enfants, et sentir passer les saisons par tous mes sens. Et digérer l’expatriation. Pour mes filles, il ouvre plutôt la perspective (le rêve ?) d’accueillir un chien, l’excuse de l’exiguïté de la vie en appartement ne tenant plus pour le refuser.

Sitôt dit, sitôt fait. Je me mets en quête de ladite maison avec pour cible géographique le collège à section française de Mayence qui doit être accessible à pied. La recherche en ligne me propose…. une seule maison. Ça tombe bien il ne nous en faut pas plus.

La visite auprès des propriétaires (une famille syrienne sur le départ pour l’Allemagne du nord) nous confirme qu’elle est très bien placée, à proximité des supermarchés, du tram et surtout de l’école et du collège.

C’est donc ainsi que nous avons quitté un appartement à Lyon en pleine ville et sur le métro, avec vue imprenable chez les voisins, pour une maison à Mayence dans un quartier résidentiel assez récent, très vert et calme, paradis des familles avec jeunes enfants. De petits immeubles voisinent avec des rangées de maisons mitoyennes, plus confortables à vivre que leur aspect bétonné tristounet ne laisse augurer. Au gré des nombreuses zones piétonnes, des jeux pour enfants, des pelouses arborées s’éparpillent, reliés par des chemins partagés entre les piétons et les cyclistes.

Nous découvrons l’appellation d’un immeuble d’habitation en allemand : Mehrfamilienhaus ou maison pour plusieurs familles. C’est joli non ? Nos voisins viennent du monde entier (Croatie, Albanie, Afghanistan, Ukraine, Italie…). C’est un quartier ‘’muti-kulti’’ comme on dit ici (multi-culturel). C’est un gros avantage, quand les voisins font la fête ou téléphonent en parlant beaucoup trop fort, au moins on ne comprend pas ce qui se raconte (et réciproquement). Le standing reste plutôt modeste (les grandes maisons dans les arbres sont plutôt dans la périphérie de notre quartier).

Entre la fin de l’école (13h ou 16h selon les enfants) et 18h des enfants jouent dehors. Ensuite le silence surprend. Comment tant de familles vivent-elles dans ce quartier sans émettre plus de bruit (à part notre foyer ou nos voisins immédiats mentionnés ci-dessus) ?

Tout ce petit monde se déplace naturellement beaucoup pour ses activités quotidiennes.

Entre notre quartier résidentiel et les écoles, les piétons et petits-cyclistes-sur-trottoir doivent quitter une zone piétonne et traverser deux routes. Les automobilistes allemands font preuve d’une grande prudence et commencent à freiner dès qu’ils aperçoivent un piéton à 10 mètres du passage clouté. En tant qu’habitués des trottoirs d’une grande ville française, on ne peut qu’applaudir à autant de respect et de sécurité. La deuxième route se traverse donc aisément (moyennant de faire attention aux trams qui circulent entre les deux voies de la chaussée).

Pour la première route en venant des maisons, le parcours est beaucoup moins sûr. Pour une raison inconnue, il n’y a pas de passage piéton indiqué, ni sur le parcours obligatoire et quotidien des habitants du quartier, ni à proximité. Et là, surprise, les conducteurs ne s’arrêtent pas. Pas de passage piéton, pas le droit de traverser, pas besoin de freiner. Charge aux piétons de se débrouiller, de sauter très haut ou de déplier leurs ailes.

Un jour, alors que je traversais à pied en poussant mon vélo, une voiture (à faible allure pour cause d’embouteillage) a attendu la dernière minute pour ralentir à mon niveau quand elle a vu que je ne cèderais pas (non mais !). C’est assez effrayant. Un autre jour, alors que j’arrivais à cet endroit dangereux, j’expliquais à une connaissance française qui marchait avec moi ce que je viens d’écrire. A ce moment-là un véhicule d’auto-école est arrivé, nous a vu attendre au bord et ne s’est pas arrêté. Ce genre de comportement me donne des frissons dans le dos. La règle a-t-elle priorité sur la personne ? Si le piéton est dans son tort, tant pis pour lui s’il se fait renverser ?

Nous avons vécu un autre exemple où la règle a pris – selon nous – le pas sur le bon sens. L’automne dernier, un concours entre classes était organisé à la Grundschule (école primaire) pendant une semaine. Il s’agissait d’accumuler des points écolo en venant à l’école à pied et non en voiture. Nous avons lu le formulaire distribué aux parents. En bons Français, nous lisons entre les lignes et comprenons qu’il faut privilégier les modes doux. Cela nous convient très bien puisque nous sommes tous à vélo. Le 2ème jour du concours, notre fille revient de l’école avec, comme consigne, de ne pas y aller à vélo mais à pied. Nous ne comprenons pas cette nuance entre modes doux… Elle y retourne donc à vélo. La maitresse se fend d’un mail aux parents récalcitrants (je n’avais pas l’impression d’en être) pour nous encourager à envoyer nos enfants A PIED à l’école.

Nous rentrons dans le rang, sans vraiment comprendre. Notre demoiselle est donc partie pleine de bonne volonté, avec son gilet jaune (l’école en fournit à tous les enfants), un peu plus tôt que si elle était en bicyclette.

Enfin un après-midi, notre fille rentre avec l’explication : comme elle n’a pas passé son permis vélo (qui se passe dans le cadre scolaire, dans la classe supérieure) elle n’a théoriquement pas le droit de circuler en vélo. Donc elle ne peut gagner de points écolos pour sa classe sauf à faire les trajets à pied.

Quand on vient du pays de L’esprit des lois, cet oubli du bon sens ou ce trop littéral respect de la règle est difficile à comprendre et à accepter. D’un autre côté doit-on au contraire se considérer chanceux que notre fille n’ait pas été arrêtée pas la police pour circulation à vélo (sur les pistes cyclables et les trottoirs) sans permis ?

Le mois prochain, le concours interclasses sur les trajets scolaires aura à nouveau lieu. Les élèves auront alors passé leur permis vélo. A la réunion cette semaine, la maîtresse a rappelé aux parents le dispositif : venir à l’école à pied avec son gilet jaune. A la fin de la rencontre, une maman a posé la question de la validité du trajet vélo dans le défi écolo – légitime puisqu’avec le permis.

La réponse ne tombe pas sous le sens. La maîtresse doit se renseigner.

Il y a quelque chose qui m’échappe.

Réapprendre la confiance

Hier matin je me suis promenée seule dans la grande forêt qui borde notre quartier. Un moment de grâce. L’écrin protecteur de grands hêtres, noisetiers et pins, peine à dissimuler une dizaine d’écureuils en pleine razzia de saison trahis par le froissement des premières feuilles mortes, et leur éclair roux. Là une cabane-tipi en branches. Je m’égare volontairement dans les nombreux sentiers tortueux. Je croise un groupe de mamies en pleine gym, une autre assemblée de mamans en poussettes en séance d’étirements collectifs. Un Kindergarten (maternelle) en goguette sur une aire de jeux en troncs sculptés (chiens interdits). Des dames ou des monsieurs seuls. Des marcheurs de tous les âges. Une grand-mère avec un bébé dans un landau. Tout ce petit monde marche et prend l’air. Aucune sensation de mal-être ou de peur insidieuse à se retrouver seule au détour d’un croisement. Les gens que je croise ne me donnent pas l’impression d’avoir d’autre motif que le sport et le plein air. Pas de regard furtif, ni de pas soudain accéléré. La forêt est propice à la détente, même pour une femme seule. Je le remarque et l’apprécie. Il faudra encore plusieurs promenades à ma vigilance pour se rasséréner, et oublier le mode de fonctionnement acquis après tant d’années de promenades au Parc de la tête d’or.

Le soir, mon mari est rentré du travail avec deux pots de confiture achetés devant une ferme. C’est un système très courant par ici, utilisé par les producteurs et les habitants en général. Sur une petite table sont disposées les productions proposées à la vente et à l’honnêteté bienveillante du chaland. Les prix sont indiqués. « Prière de laisser son obole dans la boîte prévue à cet effet ». Il y a fort à parier que le chiffre d’affaires collecté le soir correspond à celui qui est attendu.

La confiance et le respect semblent être des valeurs courantes en Rhénanie, en tous cas dans les petites villes. Bien sûr les vols existent. Nous nous sommes d’ailleurs fait voler un vélo tout neuf près de la gare. Mais cette impression générale de confiance nous oxygène d’une bouffée de fraîcheur. Et cela fait un bien fou.

D’ailleurs, le concitoyen est présupposé honnête. Le soupçon de mensonge, de dissimulation, de fourberie semble inconnu dans une joyeuse naïveté reposante. Je me souviens l’an dernier quand j’ai dû procéder à l’échange de deux feutres qui ne correspondaient pas à la liste des fournitures scolaires (à l’aide !). Le rayon papeterie du grand magasin étant au premier étage, je suis vite montée et me suis dirigée directement vers la caisse pour leur laisser lesdits stylos avec la preuve de mon achat – afin de pouvoir aller chercher les nouveaux sans être soupçonnée de vols (encore un réflexe acquis). La caissière, surprise par ma démarche, m’a laissé mes feutres et mon ticket de caisse. Elle m’a conseillé d’aller faire mes emplettes et de revenir vers elle ensuite. Tranquillement, sans inquiétude. (Enfin, la prochaine fois, c’est sûr je serai sereine.)

Cette confiance pourrait-elle naître du fait que l’habitant germain, respectueux des règles (trop ? nous y reviendrons), ne fait pas ce qui est interdit ?

A ce sujet, une anecdote. Je me promène avec une amie dans la campagne alentour, et nous passons devant le collège de nos filles, puis devant une école primaire. Dans les deux cas, l’accès est libre : au collège le portail est ouvert, à l’école, il n’y a même pas de portail. Et comme c’est l’heure de la récréation, les enfants jouent dans la cour à quelques mètres de nous et de la rue (très calme tout de même). Je fais part de ma surprise à mon amie : « Il n’y a pas de portail et les enfants ne sortent pas ! ». Elle me répond, stupéfaite de ma réaction, presque choquée : « Mais… c’est interdit ! ».

A bon entendeur…

“In England, everything is permitted except what is forbidden. In Germany, everything is forbidden except what is permitted. In France, everything is allowed, even what is prohibited. In the USSR, everything is prohibited, even what is permitted”. Winston Churchill.

Nous n’aurons plus l’occasion d’aller en URSS, mais pour les trois autres pays, nous avons vérifié cette approche. Par exemple dans le code de la route, un panneau bleu avec une flèche blanche barrée indique en France qu’il n’est pas possible de tourner dans cette direction. En Allemagne, on trouvera le même panneau avec une flèche non barrée indiquant quelle est l’orientation autorisée.

Au cheveu près

Depuis que nous vivons en Allemagne je poursuis la quête d’un coiffeur chez qui je pourrais retrouver la coupe que j’aime.

Je regarde les têtes des mamans que je croise à la sortie de l’école, je scrute les chevelures hirsutes têtes en bas des dames du cours de yoga, les mises des demoiselles du tramway ou celles mouillées de la piscine. J’enquête auprès des têtes sous les cheveux que je trouve mieux coupés que d’autres.

La femme allemande du 21 ème siècle a les cheveux longs – ce qui relègue la question du coiffeur à une opération de désherbage annuelle, sans enjeu ni risque – puisqu’il s’agit surtout de longueur à raccourcir.

Celles qui ont les cheveux courts n’ont pas de coupe à proprement parler. Souvent même, leur aspect capillaire donne l’impression qu’elles se sont elles-mêmes coupé les cheveux. Avec une tronçonneuse. Dans le noir. Les coupes courtes sont dures, presque agressives, sans douceur ni féminité. Efficaces.

Je cherche un carré moderne, fluide, dégradé. Les cheveux mi-longs me désespèrent de banalité : tristement égaux, tous égaux (ou à peu près – car le carré malencontreusement dentelé se croise fort souvent). En fait de coupe de cheveux, il s’agit plutôt de la taille annuelle de la haie du fond du jardin. Ou si le coiffeur a tenté un effet, le carré plonge violemment là encore. Vu de derrière, j’observe -pendant les réunions de parents d’élèves où je ne cherche surtout pas à tout comprendre- deux tremplins de saut à ski, catégorie olympique – à peu près symétriques et qui se tournent le dos.

La subtilité, la douceur, la féminité des coupes de cheveux se sont envolées à la frontière. Saarbrück, terminus pour les plutôt gracieuses de la tignasse, tout le monde descend.   

D’après mon expérience très personnelle (quatre coiffeurs, dont la gamme de prix s’échelonne de 20 à 60€ la coupe) et mes observations (constantes car désespérément intéressées dans ma vie sociale) et mes discussions avec les copines, le coiffeur allemand coupe en 2D. Aucun dégradé, aucun effilage qui donne cette subtile souplesse de la chevelure qui fait que la coupe encadre le visage, et retombe en place quand on secoue la tête. Non les cheveux courts relèvent plus du heaume permanent, arboré bon gré mal gré. Les carrés longs non effilés gonflent comme des quatre-quarts avec 10 fois trop de levure, et me font penser au casque que ma grand-mère mettait sur ses bigoudis pour faire sa mise-en-pli. On cherche la ficelle pour écarter les rideaux quand on discute avec un visage perdu là au-milieu.

Bien sûr les femmes aux cheveux plutôt longs ont des coiffures douces, charmantes et féminines. Elles les font toutes seules.

Le problème vient avec les ciseaux.

Dans un moment de désespoir capillaro-germanique, je suis allée il y a 3 mois chez le coiffeur en France. Est-ce parce que je me suis longtemps épanchée pendant son travail sur le manque de talent des coiffeurs que j’avais croisé dans mon parcours teuton ? Quand il a posé ses ciseaux, je me suis retrouvée avec les cheveux extrêmement effilés ‘’Là vous êtes tranquille pour 3 mois ! » a-t-il conclu tout fier, en glissant ses outils à sa ceinture tel un cowboy satisfait. Oui, et même six, hein, vu qu’il ne me reste pas grand-chose sur le caillou.

Le temps passant, les mèches dans le cou et l’envie de franchir la porte d’un salon commençaient à me chatouiller. Donc ce matin, après un rendez-vous administratif peu agréable, j’ai décidé de m’offrir une séance chez ce coiffeur parait-il-très-bien, dans la jolie rue montante. Premier passage dans un sens, deuxième dans l’autre. Allez hop c’est décidé j’y vais. Tant pis j’annulerai mon rdv pris hier à Strasbourg pour coupe-balayage en terrain connu.

J’ai passé un très bon moment, calme dans un salon à la déco moderno-cosy en confiant ma tête à une coiffeuse sympa. J’ai même décidé activement de décrisper mes orteils et lâcher mes épaules et … de faire confiance. Elle m’a proposé de couper 2 cm partout. Très bien très bien. J’acquiesce. Ça ne peut presque pas être pire que cette coupe trop effilée filasse qui a repoussé. Je la laisse à son affaire. Elle m’explique que ça va prendre encore du temps pour que tous mes cheveux aient la même longueur (je ne me souviens pas lui avoir dit que je me les laissais pousser).

Après un temps beaucoup trop court à mon goût, elle attaque le brushing. Elle laisse la raie au milieu – nécessaire pour une coupe équilibrée, mais pour la coupe seulement. Je ressemble à la tente canadienne de mes années scoutes, après l’orage. Pour finir elle me tend le miroir. Je m’admire de face, de dos. Et je sens comme une crispation m’envahir. Ce que je vois en me levant au pied de mon fauteuil me confirme ce que je pressentais. Presque pas de mèches par terre. Elle n’a quasiment rien coupé. Pour que ça repousse ? Bref je suis partie avec un sourire doux amer. Ai-je été prise pour une nouille (spätzle) ? A combien revient le millimètre de cheveu coupé ? Finalement je n’aurai pas besoin d’annuler le rdv en France dans 2 semaines.

Avis à tous mes amis coiffeurs : venez faire des prestations outre-Rhin. Au prix allemand, vous serez ravis du voyage. Et moi aussi.

PS : coiffeur en allemand se dit Friseur. Un héritage de l’ancienne appellation française du métier. Un faux ami aujourd’hui, la bouclette n’ayant plus cours semble-t-il.

PPS : J’aurais dû me méfier. Lors du transfert de clefs de notre nouvelle maison, j’avais demandé à notre propriétaire, une jeune femme à la coupe au carré stylisée charmante quel coiffeur elle me recommandait. “Oh je vais en Syrie. Ici en dix ans je n’ai pas trouvé.” Précisons qu’elle est syrienne et qu’elle en profite aussi pour voir sa famille. J’ai cru qu’elle était d’une exigence exceptionnelle. Mais sur le moment c’est autre chose qui m’a interpelé : “Ah bon, on peut encore se rendre en Syrie ?” “Oh oui, il y a même des fêtes et des mariages’‘. Tant mieux pour ceux qui peuvent continuer de vivre. Je ne lui pas demandé l’adresse.