Carnaval ou la 5ème saison

Mainz organise l’un des plus célèbres carnavals rhénans

A vos marques, prêts…. Déguisez-vous, maquillez-vous, riez, sautez, chantez, dansez ! En bleu, blanc, rouge et jaune ou ce que vous voulez. Lâchez (presque) tout !

Dès début janvier le carnaval frappe à la porte de Mainz dans une harmonie de couleurs primaires. Les serpentins impatients chassent les guirlandes de noël des rues et des magasins, et même des fenêtres de certaines maisons. Les beignets ronds (Berliner) conquièrent les boulangeries. Déjà en automne, en vertu de la (trop) grande anticipation des Allemands, le maquillage de fête et les bombes à paillettes s’étaient immiscés dans les rayons entre les Lebkuchen (pains d’épices) et les bougies. Confettis, visages et personnages de clowns de rigueur. Le carnaval est une fête de la débauche prise très au sérieux.

Il s’organise pendant de longs mois. Toute l’année pour les plus fanatiques du sujet, les membres des clubs de carnaval. J’en ai compté plus de 20 à Mainz. Pour le reste de la population, Fastnacht est lancé en grande pompe le 11 novembre à 11 heures 11 (vous vous souvenez ? voir article : Décalage horaire). Il fait une trêve pour les fêtes et reprend dès le 1er janvier pour s’achever le mercredi des Cendres (26 février cette année). Car à Mainz, un des fiefs de la fête, le carnaval s’appelle Fastnacht (de Fast : le jeûne, le Carême, et Nacht : la nuit). Ne PAS confondre avec Karneval, ça n’a RIEN à VOIR. Karneval c’est à Köln (Cologne), où le cri de ralliement n’y est pas Helau ! mais Alaaf !. Düsseldorf aussi est prise de folie en février. Chaque ville a ses chants spécifiques que tout le monde entonne. Le carnaval des villes rhénanes est une institution.

Comme ils le disent eux-mêmes, les Mayençais ont les confettis dans le sang. Dans les rues on peut croiser des sculptures de carnaval : le tricorne traditionnel sur un réverbère, un ours déguisé, un arlequin qui danse. L’imposante fontaine des fous, habillée de dizaines de petits personnages déguisés, préside sur la Schillerplatz à l’endroit même où est déclarée ouverte la période de Fastnacht, la cinquième saison.

Fastnachtsbrunnen, la fontaine des fous sur la Schillerplatz

Dès janvier, les Sitzungen commencent. Ce sont des spectacles extrêmement colorés organisés par les clubs de carnaval. Ils tiennent du cabaret et du café-théâtre où politique et rivalités de clochers ont la part belle, avec un fort ancrage local et souvent en dialecte. Un maître de cérémonie, des majorettes en goguette et une fanfare se chargent de l’ambiance. Le Moulin rouge rencontre la Fête de la bière dans un cirque. En patois rhénan. Autant dire que c’est difficile pour un étranger d’apprécier l’ambiance de ces soirées (surtout si on ne boit pas d’alcool). Et les places s’arrachent dès leur mise en vente, le 11.11.

Les clubs de carnaval décorent les chars, organisent les défilés. Pour financer la fête ils organisent des événements toute l’année, donnent des cours, tiennent une buvette à l’une ou l’autre fête, des fraises ou du vin. Leurs membres paradent souvent en costumes authentiques (pas des déguisements) faits main qui peuvent aller chercher des sommes folles. Des parodies d’uniformes militaires des temps napoléoniens. Dès septembre, ils organisent les sélections pour les Sitzungen.

Ces séances investissent tous les lieux d’une certaine capacité. Les grandes salles bien sûr : Palais des Princes Electeurs ou Rheingoldhalle (salle des spectacles) sur les quais du Rhin, mais aussi gymnases, réfectoires. Partout, plusieurs fois par jour. Un peu, à une autre échelle, comme le festival au mois de juillet envahit Avignon.

La cantine du collège a accueilli une soirée. La halle des sports de ma plus jeune est transformée en salle de spectacle depuis début janvier, avec scène, coulisses et décorations sur tous les murs. Les minettes en justaucorps ou legging font de la poutre sous un filet suspendu plein de ballons bleus, blancs, rouges et jaunes. Des organisateurs affairés entrent et sortent du gymnase pendant le cours pour s’assurer que l’ensemble fonctionne. Ils ont un air important et pénétré. Tout est prêt avec plusieurs semaines d’avance. Bien sûr une ou deux séances de gym vont sauter. On ne rigole pas avec les Sitzungen.

Les enfants sont (heureusement) très associés à la fête. Mainz organise le Jugendmaskenzug (défilé des enfants) auxquels participent les écoles et clubs de jeunes. Le plus grand du genre en Europe si on en croit l’office de tourisme. Départ à 14h11 (natürlich) le samedi 8 février dans la vieille ville. Pour ceux qui n’ont pas oublié de rendre leur formulaire au collège et se sont inscrits à temps (suivez mon regard – en même temps c’était avant Noël, et ma fille avait alors d’autres priorités entre autres culinaires ; voir article Gâteaux à gogo).  Donc notre grande aurait pu participer à des séances bricolage pour fabriquer son costume et défiler avec son collège. Notre benjamine peut encore choisir. A son dernier cours de gym, on lui a remis un petit formulaire pour préparer le défilé du coin. Venir avec des ciseaux et du scotch double-face pour créer le plus beaux des déguisements.

Le corso de Mombach (auquel se joint la gym) défile le Mardi Gras. Il clôt les festivités. Car chaque quartier de Mainz a son corso, un jour bien particulier. Gonsenheim ouvre le bal le samedi, suivent Finthen et Bretzenheim le dimanche. Le Lundi des roses (Rosenmontag), la parade des centaines de chars, grosses têtes et groupes folkloriques, point d’orgue de Fastnacht, défile pendant des heures (des heures !) dans le centre-ville de Mainz. Les participants, les Narren (les fous) s’interpellent à coup de Helau ! Helau ! Helau ! et se précipitent pour attraper les bonbons envoyés.

Seul Mardi gras est officiellement férié, mais carnaval commence le jeudi précédent avec le Weiberfastnacht, carnaval des femmes où elles ont le droit de couper les cravates des messieurs … A vos ciseaux mesdames ! La période intensive de déguisements et festivités déborde sur presque deux semaines. Fastnacht, la plus grosse fête dans la vallée du Rhin, est, comme Noël, fêté un peu partout : à l’école, dans tous les clubs de sport, de musique.

Nos amis mayençais ont ressorti leurs caisses de déguisements et perruques de toutes les couleurs, de toutes les tailles (et de tous les goûts) accumulés au fil des années. L’an dernier, nous n’avions rien à la taille des filles. Après réflexion concertée et sondage des copines, elles avaient jeté leur dévolu sur l’Egypte.

J’étais allée, novice, arpenter les allées du principal magasin de carnaval du centre de Mainz. TARATATA, TSOIN-TSOIN, TRIIIIIIT, ZIM BOUMBOUM, POUEEEETTT ! A peine entrée, les couleurs criardes et la musique de foire tapageuse m’avaient tétanisée. Comment trouver Cléopâtre parmi les centaines de déguisements présentés serré-serré sur ce qui semble des kilomètres de tringles sur deux niveaux et sur deux étages ?

Intimidée et un peu dégoutée par la caresse froide et froissée du plastique des emballages et les tissus en vrai synthétique qui me hérissent les cheveux, j’avais plongé les bras entre des tenues de pompiers, d’extra-terrestres et de lions…. Les flonflons m’arrachaient les oreilles. J’aurais eu besoin de passer en noir en blanc et en mode silencieux. Ne fallait pas que ça dure trop longtemps cette spéléologie dissonante, sous peine de repartir avec la migraine…

Cette année mes filles n’ont pas encore choisi leur déguisement phare. Ça ne saurait tarder : j’ai découvert par hasard sur la tablette des recherches d’idées secrètes. Je sens que bientôt je repartirai en croisade au temple de Mardi Gras.

A suivre très bientôt…

Un p’tit avant-goût de Fastnacht à la maison ? Il suffit de cliquer sur l’image des confettis (Konfettitaste) sur cette page . Pas besoin de sortir le balai. HELAU! (hé-la-ou !)

Bruxelles alors !

Week end à Bruxelles avec une amie allemande et tâtonnements culturels avec les Belges rencontrés.

Ce matin je pense en allemand. Et quand je parle, les mots ne me viennent pas non plus en français ou en anglais. C’est compréhensible. Ce week-end j’étais à Bruxelles. Avec mon amie d’enfance allemande. Ça faisait plusieurs années qu’on ne s’était pas évadées rien que toutes les deux. La dernière fois c’était un été à Bâle voilà trop longtemps. Nous avions plein de choses à nous raconter. Donc globalement pendant 48 heures, nous avons passé notre temps éveillé à parler.

Une bulle d’amitié, de rire et de découverte, de balade et d’art. Avec des moules et puis des frites. Finalement à part le mal au dos, les (quelques, oups) cheveux gris, les kilos de plus (où ça ?), de nouvelles cibles pour nos angoisses, nous n’avons presque pas changé depuis nos 14 ans.  En tout cas on fait comme si, et on s’entend toujours aussi bien.

Donc vendredi départ de Mainz pour Bruxelles avec retrouvailles à mi-chemin à Köln dans le train. Hôtel convivial entre les églises Sainte-Catherine et du Béguinage. Chambre bruyante au rez-de-chaussée. Tant pis. On s’habituera. Le monsieur de l’accueil, passionné de voile, est sympa comme tout. Balades de Grand place en Musée des Beaux-arts, de Magritte à Tintin. Oh regarde une boutique de fringues fran-çai-ses, en solde en plus. Faire des courses avec le regard d’une amie m’ouvre des possibilités que je ne m’autorise pas seule. Et hop, pas un mais deux pulls ! Et là bientôt un Wagamama comme à Londres.  Regarde la marchande du stand d’antiquités aux Sablons elle a une dégaine extra avec son bonnet turquoise, son regard charbonneux et ses lèvres fuchsia, au-dessus d’une pelisse en fourrure d’ours (sans doute provenant de Sibérie via l’étalage voisin qui en a plein le portant). On a envie d’aller discuter avec elle. Zut elle est occupée. Et un café-fleuriste pour boire un thé vert au milieu de plantes. Tu crois qu’ils ont des gaufres ?

Outre les Bruegel et les Rubens (et le chocolat), le plus intéressant et le plus intrigant de notre évasion c’étaient nos interactions avec les Belges. Bien sûr à Bruxelles, les gens parlent français, à quelques nonantes ou septantes près. Et comme c’est une ville bilingue, les plaques de rue et autres pancartes ou menus s’affichent en français et en flamand. Qui de loin ressemble à l’allemand. Et puis ce n’était pas, ni pour l’une ni pour l’autre, notre première visite à la capitale belge. Donc nous étions toutes les deux en territoire sinon familier, du moins connu.

Peut-être est-ce un hasard, peut-être une coïncidence, mais les échanges que nous avons eus avec les gens locaux nous ont laissés perplexes. Toutes les deux. Alors soit je me suis plus germanisée que prévu (et parfois, je me demande quand je m’entends dire : ‘’Pouah c’est plutôt sale comme ville !’’, que je me regarde prêter de l’argent liquide à ma copine allemande qui n’a que sa carte, ou quand devant le premier tableau du musée des beaux-arts je m’exclame ‘’Oh les couleurs de Fastnacht* !’’). Soit c’est un rappel que la communication passe par bien autre chose que des mots. Ou les deux.

Mais les conversations surprenantes que nous avons eues en français m’auraient moins déroutées si ç’avait été dans une langue que je ne maitrise pas. (Cela dit, mon amie allemande était aussi surprise, peut-être car elle aussi partait du postulat qu’avec son interprète perso elle aurait des échanges fluides avec l’habitant). Même avec un vocabulaire commun, le serveur belge et la touriste française ne pensent pas de la même façon. Ils ne se comprennent pas forcément. La culture et les habitudes sociales parlent plus fort que la langue.

Samedi soir au restaurant asiatique. Elle s’approche de notre table. Elle porte des cheveux courts et un T-shirt noir, uniforme de l’établissement. Des baskets à la mode. Belle jeune femme à la peau marron, comme disent mes filles, avec stylo dans une main et bloc de commande dans l’autre. Les codes du repas au restau semblent les mêmes que ceux auxquels nous sommes habituées. Tout va bien. On a faim. Elle nous demande ce que nous souhaitons. « Un ramen s’il vous plait, avec en plus… (et je lâche son regard pour lire dans la liste intitulée extra toppings) : du porc, du wakame, du bambou fermenté ».

Silence.

Elle me montre la photo sur la carte d’un ramen bien garni : ‘’Mais y’a déjà beaucoup de choses dedans’’. Perplexe la cliente. Les restaurateurs belges auraient-ils à cœur de me préserver de ma gourmandise et de limiter mes dépenses (souviens-toi, Estelle DEUX pulls !) ? Je tente une nouvelle question : « Oui mais y a-t-il du porc dans le ramen (intitulé sur la carte : ramen végétarien) ? » Offusquée la serveuse : « Du porc ? Dans le ramen végétarien ? Oh non. » (Elle comprend rien la cliente ou quoi ?). Bon on progresse. « Alors est-ce possible de rajouter du porc, du wakamé et du bambou dans un ramen ? » Oui ? Ah bon. Tant mieux. Merci. On en voudrait bien un autre s’il vous plait. Le même mais sans wakamé.

Les deux bols reçus sont identiques. Nous rions. Nous renonçons à rappeler notre commande au jeune homme qui nous les apporte. Pas question de se retrouver privées de glace au thé vert.  

C’était la fin de la journée et nous avions déjà été confrontés aux malentendus et quiproquos. Nous venions de nous faire refuser dans un restaurant de poche au coin de la rue. Je pensais y avoir réservé une table puisque je leur avais laissé un message téléphonique. Mais non puisqu’ils ne fonctionnent pas avec les messages, de toutes façons ils ne l’ont pas eu et ils sont complets depuis le roi Hérode, et tout le monde comprend que si on n’a pas été rappelé c’est qu’aucune table n’a été réservée et en plus ça fait au moins douze générations qu’ils font comme ça.

Tout le monde sauf moi apparemment. Pour être tout à fait honnête j’avais ressenti une légère incertitude en raccrochant. J’ai essayé de leur donner des conseils (gratos), du feed-back comme on dit : expliquez votre fonctionnement sur votre répondeur, tout le monde n’est pas un client fidèle depuis votre ouverture et n’habite pas à Bruxelles depuis sa première frite.

Mais ce qui nous a surtout surpris c’est cette attitude fermée dans une ville doublement capitale, belge et européenne, qui brasse toutes les nationalités dans tous les coins.

Encore plus tôt, en fin d’après-midi, échanges également surprenants avec le serveur du café de la Galerie Saint-Hubert. Comme l’écrit mon écrivain fétiche Bill Bryson, c’est une loi fondamentale et internationale : on ne peut pas forcer un serveur à nous voir avant qu’il l’ait décidé**. Cependant, après avoir essayé en vain de croiser son regard ou son éponge pendant un quart d’heure, quand je l’ai relancé pour notre capuccino et notre jus de pomme chaud (délicieux), j’ai entendu : « Ah bon, on ne vous l’a pas apporté ? »

On ? (comme disait ma tante institutrice : pronom imbécile mis pour celui qui l’emploie). Il n’y avait qu’un seul serveur à l’étage et c’était lui.

Pourtant nous avions été vaccinés à Berlin. Nous avions même quitté assoiffés le café d’un musée. « Mademoiselle, bonjour, est-ce possible de commander à boire ?» Réponse du menton pointé vers l’autre bout de la longue salle, sous une bouche sans sourire : « C’est pas moi c’est elle ». Ah bon. Mais elle n’a pas daigné répondre à nos signes et se rapprocher. On nous avait prévenus : ‘’Vous allez à Berlin ? C’est spécial là-bas. Si un Berlinois ne te tue pas c’est qu’il t’aime bien’’. Les Berlinois sont réputés pour être peu avenants, comme le rappelle l’expression : die berliner Schnauze (la tronche de Berlin). Pourtant à part cet épisode isolé, nos échanges sur place se sont très bien passés. Nous sommes rentrés vivants.

A Bruxelles toujours, dans l’après-midi au musée, la dame de l’accueil préposée à la gestion de la foule, a essayé de nous faire circuler sous le détecteur de métaux alors qu’on n’avait pas décidé où aller. Vous entrez oui ? Euh non on ne sait pas si on veut faire la queue. Le groupe ? Non c’est pas nous. Elle est longue la queue ? Non on ne sait pas ce qu’ils font. Notre échange tenait du surréalisme (fort à propos dans les couloirs du musée Magritte). Le décalage culturel se faisait sentir. Sensation déroutante et inattendue. On comprend sans comprendre. On a du mal à s’expliquer. En français.

Chez le pâtissier du marché en revanche pas de problème. « Des éclairs au chocolat s’il vous plait ! » Aurait-il compris si on avait demandé des beignets ? Je vois sur un petit écriteau qu’en Belgique ils s’appellent des boules de Berlin. Comme en Allemagne où l’on dit Berliner (Berlinois) – sauf à Berlin, nous y revoilà, où l’on dit Pfannekuchen (ce qui ailleurs désigne un type de crêpe).

Nous sommes reparties dimanche matin le sourire aux lèvres, du chocolat plein la valise. Avec un peu mal aux pieds et de nouvelles interrogations sur la possibilité de rencontre vraie entre êtres humains, dès que le langage s’emmêle, pardon, s’en mêle.

Et sur ce je vous dis à bientôt, car ces gourmandises m’ont ouvert l’appétit ! Je suis sûre que vous avez envie d’un petit beignet, non ?

* Fastnacht : carnaval de Mainz. Bientôt un article sur le sujet. La date approche ! Les couleurs : bleu, rouge et jaune.

** “I once joked in a book that there are three things you can’t do in life. You can’t beat the phone company, you can’t make a waiter see you until he’s ready to see you and you can’t go home again.” Bill Bryson in Notes from a Big Country (and probably another book).

Bleu Chagall

Ce matin, l’hiver a pris ses quartiers de printemps. Alors je profite d’être descendue en ville pour m’offrir une promenade sur la colline. Ça monte le long de la Gaustrasse. Le centre-ville de Mainz niché au bord du Rhin est plutôt plat. Mais il est entouré de quartiers légèrement vallonnés et là je me rends à son (modeste) point culminant, la colline sur laquelle a été construite voilà 1000 ans, l’église Sankt-Stephan (Saint-Etienne).

Le tram sinue au milieu de la rue. Nous sommes un matin de semaine. Le quartier s’éveille doucement. Peu de voitures. Encore moins de piétons. Il y a encore quelques années, ce coin n’était parait-il guère avenant et peu couru. Aujourd’hui la rue est bordée de commerces attrayants. A droite, la vitrine d’une petite librairie donne envie de pousser la porte. Je m‘arrête quelques instants pour regarder les titres. Une boutique pour enfants d’articles (utiles et colorés) faits main, des restaus de différents coins du monde (Japon, Ethiopie…), des coiffeurs (voir article : Au cheveu près), des cafés branchés, un magasin de déco trendy qui propose quelques plantes sur le trottoir. J’hésite à entrer. Non, un autre jour. Mon souffle s’accélère légèrement. Je m’enfonce à gauche dans une petite rue. Elle débouche au pied d’un mur en pierres sombres, en contrebas d’une place triangulaire plantée de vieux tilleuls.

La rue monte et longe le mur qui s’abaisse dans un jeu de ciseaux. Quelques larges marches (un pas d’âne ?) emmènent sur la placette. L’entrée de l’église est juste là. Elle s’ouvre dans un mur latéral, entre les troncs tout en branches noires. De la route elle semble presque timide, par rapport à la taille du bâtiment. En s’approchant, elle se fait métallique, cuivrée et prend de l’assurance. Elle devient imposante et force à lever la tête. A sa droite, les horaires des visites autorisées canalisent les curieux. Ils se pressent souvent dans le coin : cette église, pourtant quelque peu excentrée est un point clef du parcours touristique de Mainz. Elle abrite en effet des vitraux de Marc Chagall.

A la demande du curé de la cathédrale de Mainz, l’artiste, âgé alors de plus de 90 ans a réalisé lui-même huit vitraux à la fin des années 1970. Un symbole de l’amitié franco-allemande, de l’attachement judéo-chrétien et de l’entente entre les peuples.

Je pousse le battant droit de la porte. Il résiste, je dois me pencher un peu pour utiliser mon poids. La poignée en métal, en forme de poisson, luit d’avoir accueilli tant de mains. Je franchis le seuil. La porte se referme lourdement.

D’un coup je me retrouve au fond de l’océan. Les longs vitraux bleus inondent d’une lumière sous-marine la pénombre de l’église. Le soleil outremer joue sur les piliers sombres et les murs blancs, dans un kaléidoscope de reflets mouvants. L’oeil est attiré par les couleurs intenses des vitraux dans le chœur. Elles chantent l’espoir, la joie de vivre, la gaieté. Des personnages en mouvement flottent dans un ciel lapis lazuli, et content des histoires de la Bible : le paradis, la Création… Le regard espiègle de Marc Chagall séduit, sa poésie pétille.

Les vitraux latéraux abstraits, sobres, évoquent des forêts d’algues sous-marines. Créés par un maître verrier ami de Chagall, Charles Marq, ils complètent et mettent en valeur les œuvres du chœur. Leur camaïeu de bleus vaporeux guide mes pas vers les vitraux centraux. Le nez en l’air, la bouche et les yeux grands ouverts, je marche au fond de la mer et regarde onduler les laminaires laiteuses. Le grand bleu sans se mouiller.

Je m’assieds un instant et hume le calme solennel. Il irradie, visible, palpable. Une lame de plancher craque sous un pas. Le son résonne fort, longtemps et emplit tout le volume de l’église. Il amplifie l’impression d’habiter un instant un monde autre.

Je m’approche d’une table où sont proposées des cartes postales, des dépliants. Tout y bleu, bleu Chagall. Voilà plusieurs fois que j’entre ici, sans avoir jamais pris le temps de me documenter. J’achète un petit guide (en français) pour répondre à mes questions. Le monsieur qui me le glisse dans une pochette en papier me demande si j’ai vu le cloitre. Euh non, pas aujourd’hui. Et je ne me souviens pas de son accès.  Là en face : poussez les portes, et la lumière sera.

Je m’exécute. Je passe une porte de verre, puis celle en bois, très lourde elle aussi. Et je suis éblouie. Le soleil de janvier est tout entier concentré dans ce jardin de poche, au milieu d’un cloitre. Un puits antique, de l’herbe, quelques rosiers nus. Je lis dans mon guide qu’il s’agit du ‘’plus beau cloitre de la Rhénanie-Palatinat, joyau par excellence du gothique tardif à Mayence’’ (j’ai bien fait de l’acheter en français). Je longe lentement le carré de l’allée couverte, toute en voûtes et croisées d’ogives ocres et blanches. Les plafonds sont émaillés d’armoiries et de symboles dorés et colorés. Là encore la lumière tient le rôle principal au milieu de ce décor de pierres. Les ombres des piliers, des porches sculptés jouent à cache-cache, répondent aux ouvertures où la lumière méridionale entre à flots.

J’ai l’impression d’avoir découvert un refuge, petit concentré replié de paix et de beauté. Comme le jardin du musée des Beaux-Arts à Lyon où j’allais parfois manger un sandwich sur un banc en regardant les oiseaux picorer.

Je quitte le cloitre à regret. A peine la double porte passée, le contraste me saisit à nouveau entre la lumière solaire extérieure et la pénombre liquide mystérieuse, les rayons outremer de l’intérieur du vaisseau de pierre.

Je m’assoie un petit moment sur un banc pour boire la beauté de la lumière de Monsieur Chagall. Je repense à ce film documentaire sur sa vie vu dans le musée de Nice. La Côte qui n’avait d’azur que le nom dégoulinait de toutes parts. C’était la mousson de printemps. Nous avions échoué en ville pour une parenthèse-plaisir d’art. Assis dans un amphithéâtre, nous avions découvert Marc Chagall en noir et blanc comme nous ne l’avions encore jamais vu : vivant. Avec son regard espiègle, son rire, son intelligence malicieuse.

C’est le moment de retrouver mon quotidien. A droite de la porte en sortant, un coquillage : les pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle peuvent ici recevoir un tampon dans leur carnet. Je fais encore quelques pas sur la petite place Sankt Stephan, et jette un coup d’œil plongeant sur les premiers toits de la vieille vielle (Altstadt).

Monsieur Chagall a capturé la lumière du ciel. Prévoir de se ménager un sas avant de redescendre sur terre.

Bon sens (de l’humour)

Yes ! Nous avons pu nous rendre en Angleterre pour Noël ! En passant par la Belgique. Finalement c’est plus simple que de passer par Paris. Le samedi soir en gare de Francfort, nous avons effectué notre 2ème changement de train après une journée dans les transports depuis Londres.

Pour trouver notre voiture et nos sièges réservés, il faut en Allemagne se référer à un grand graphique affiché sur le quai (permanent pour plusieurs mois). Tous les trains à réservation sont dessinés avec les repères en face des numéros de voiture. Fort bien. Donc je me plante devant ce tableau et je cherche l’ICE de 17h58 direction Dortmund. Je trouve un ICE à la bonne heure mais il va à Hambourg. Celui pour Dortmund part une demi-heure plus tard. Bon soit. Notre numéro de train correspond au premier donc c’est sur celui-là que je cherche notre voiture sur le graphique. Pour constater que le train (inscrit en début de ligne du tableau comme à destination de Hambourg) est en deux sections : la première à destination de Koblenz et la deuxième à destination de Dortmund. Bon, bon. Vous suivez toujours ? Moi de moins en moins. (Au risque de gâcher le suspense, sachez que cette histoire se termine bien). Assumons toujours qu’en vertu de l’horaire et du numéro de train qui seuls concordent avec notre billet, ce soit bien notre train. Je cherche donc le repère de notre voiture : A.

Nous commençons à nous y rendre, avec tout notre barda. Sauf que… sur les écrans dynamiques, notre train s’affiche : notre voiture sera à la lettre D. Changement de cap, les filles, on reprend nos dix sacs et valises (prêtes à éclater et à envoyer des cadeaux de noël partout), et on repart dans l’autre sens. Finalement on a trouvé nos places. Au repère C.

Ça vous dit quelque chose ?

Je sais, ça arrive partout. Néanmoins les Allemands se rajoutent un défi : ils indiquent le quai de départ du train sur le billet dès son émission… Forcément sur la durée ça ne tient pas la route, pardon, les rails. Et lors des changements de quai de dernière minute, il faut bien tendre l’oreille pour comprendre l’annonce grésillante en allemand. Ou suivre aveuglément ses voisins de quai. Et faire des sourires en français au contrôleur.

Mais comme, hélas, les trains allemands n’ont pas le monopole des incohérences je me dois de partager une mésaventure non encore résolue avec un site web français que je pense tout neuf. Par décence je ne le citerai pas. Quoique ? Ca me démange. Son accroche commerciale promet pourtant de ”nous simplifier la vie’’.

C’est une des surprises que l’on découvre lorsqu’on vit à l’étranger. Parfois l’administration française se rappelle à votre bon souvenir et vous intime l’ordre de lui prouver que vous êtes vivante. Oui vous avez bien lu. Sous peine de vous couper certains droits qui vous restent sur son territoire. La première fois ça fait vraiment bizarre. Ça me rappelle un très bon livre italien que j’ai lu l’an dernier D’où viennent les vagues de Fabio Genovesi. Deux protagonistes cachent la mère de l’un d’entre eux (décédée, précisons-le) dans le congélateur familial pour continuer à toucher sa retraite. Comme quoi y’a pas toujours besoin de passer une frontière pour dissimuler une disparition à l’Administration. (Faudrait surtout pas le lui dire, sinon c’est 60 millions de Français qui devront fournir des certificats de vie. Tous les ans.)

Bref, j’ai défriché le sujet en arrivant fin 2018 lorsque j’ai reçu un courrier officiel intitulé ‘’certificat de vie’’. Armée du document mystérieux (et franchement un peu effrayant), j’ai pris mon courage à deux mains et suis allée faire la queue à la mairie de Mainz. « Bonjour, pourriez-vous me signer ce papier svp ? Vous comprenez je suis française – encore cet argument passe-partout pour excuser mes requêtes bizarres – et je dois prouver que je suis vivante…» Pourvu qu’elle ne me prenne pas pour une cinglée. Non c’est bon, elle connaît. «Ah oui c’est la saison, les Italiens c’est plutôt en janvier ». L’employée a comparé ma tête, ma carte d’identité et mon adresse dans son ordinateur. Elle a eu l’air satisfaite et a tamponné le formulaire. L’administration française est temporairement repue.

Mais la digestion n’a pas duré très longtemps. J’ai reçu en juillet dernier un courrier avec deux copies identiques du fameux certificat de vie (deux ?) à faire remplir avant le 31/12/2019. Ah faut le faire chaque année ? Bon très bien. Je le ferai à l’automne un jour de pluie me suis-je dis, la perspective de mijoter à la mairie ne m’enchantant guère.

Grand bien m’en a pris, car l’Administration dans sa grande sagesse a changé d’avis… Quelques semaines après le premier, j’ai reçu un deuxième courrier. Il faisait référence à l’envoi précédent, me demandant de l’ignorer, car le système avait changé. Désormais les demandes sont centralisées ailleurs. Je recevrai un document à remplir émanant de cette nouvelle instance. Soit. Attendons.

En novembre, je reçois un Email automatique (auquel bien entendu on ne peut pas répondre) me demandant de renvoyer le document demandé dans mon profil. « Merci de se connecter avec votre numéro fiscal qui ressemble à 157202835143448735226383940494746452628293XZKGYTX4578990 et pour lequel vous avez sans doute quelque part un mot de passe. »

Première étape réussie : je constate que j’existe bien dans le nouveau système. Mais qu’à la rubrique concernant ‘’les enquêtes en cours’’, il précise :’’aucune’’. Comme le mail me menace de me faire disparaître pour tout de bon de ce système français si l’Administration teutonne ne voit pas bientôt ma bobine, je cherche sur ledit site un éventuel formulaire vierge que je pourrais faire remplir et renvoyer. En vain. Ce nouveau site web tout neuf n’a prévu aucune adresse mail ou numéro de téléphone. Pas fou. Il renvoie tout contact sur les différentes administrations, qui, elles, renvoient sur le site, puisqu’elles ne le gèrent pas. (Je sais j’ai essayé). Ça tourne en boucle absurde, le vampire se mord la queue de bêtise. Si je me rongeais les ongles, je n’aurais plus de doigts. Et je gaspille un temps fou.

Je reçois une relance menaçante : puisque je n’ai pas renvoyé le document demandé (lequel ? et comment ?), ils vont me l’envoyer par courrier. Faute de le voir arriver (je l’attends toujours), je reprends le papier vierge de l’an dernier et un ticket de tram, et vais faire des sourires à la mairie de Mainz. Je renvoie (à l’adresse postale prévue sur le site) le certificat signé, tamponné (franchement, je ne peux pas mieux faire) avec un courrier (poli) illustré des copies d’écran pour leur montrer ma bonne volonté (franchement, quand on est mort, on s’amuse pas à faire des copies d’écran, hein ?)  Je respire. J’ai réussi à dompter le monstre avant l’échéance fatidique.

En tous cas c’est ce que je croyais. Jusqu’à ce que je reçoive un nouveau mail de relance le 2 janvier. Franchement ? Avec une autre date à respecter (fin février). Le Minotaure trépigne. Il a faim.

Je ne peux pas me connecter en Angleterre. Il me faut le numéro impossible… De retour à Mainz, je vais sur le site. Miracle ! Mon profil a évolué. Je trouve LE document. Sensiblement le même que celui que j’ai déjà renvoyé rempli. Mais je ne suis plus à un voyage à la mairie près. S’ils préfèrent les couleurs de celui-là… Et si ça peut court-circuiter la roue de hamster fou. Je retourne faire des sourires (avec les Italiens de janvier), je repars avec un document tamponné. Yes ! Et hier je me connecte sur le site pour le renvoyer selon-la-procédure.

Je vous le donne dans le mille : ‘’Le site est temporairement indisponible’’.

Une indigestion de non-sens peut-être ?

Photo : Givre le long du ruisseau (plutôt que copies d’écran administratifs…)

Triangle des Bermudes

Les étourneaux se déplacent en groupe, font et défont des formes bruyantes et éphémères. Comment font-ils pour voler toujours ensemble dans cette chorégraphie aérienne spontanée ? Quel danseur orchestre ce ballet sur quelle musique ? Un mouton longe paisiblement la barrière de son pré. Les autres vont-ils suivre ? Les poules et les canards s’ébrouent dans la boue de leur enclos. On vient d’ouvrir la porte de leur cabane. Cette nuit encore, le renard aura fait chou blanc. Les chiots de la ferme filent ventre à herbe dans le champ immense. Un matin comme tant d’autres dans la campagne anglaise. Je ne vais pas tarder à enfiler mes nouvelles bottes pour aller respirer l’an neuf.

Nous sommes dans le Somerset, sur la côte ouest de l’Angleterre, en face du sud du pays de Galles. Nous avons fini par réussir à franchir la Manche pour Noël. Epuisés par notre mois de Décembre et nos recherches vaines pour nous déplacer via Paris dans un contexte de grèves, nous avions d’abord renoncé à partir (voir article : Gâteaux à gogo). Nous avons même trouvé un train pour que notre grand garçon étudiant à Lyon nous rejoigne en Allemagne. Pendant qu’il roulait vers le nord, nous avons pu acheter des places pour Londres, en passant par Bruxelles.  C’est ainsi que nous sommes repartis tous les cinq le lendemain de son arrivée. Heureusement qu’il est étudiant, tolérant, habitué aux voyages et sait comment dormir et s’occuper dans un train (merci à lui !).

Nous passons chaque année Noël à Londres dans ma belle-famille et profitons du déplacement pour rester quelques jours de plus dans des coins que nous ne connaissons pas. Petite cure de vieilles pierres et de cream teas (thé accompagné de scones tartinés dans un ordre à choisir de confiture de fraise et d’une crème fondante et jaune comme du beurre, la très épaisse clotted cream). Marches dans la campagne.

Première étape cette année : acheter des bottes à toute la famille. Sans ça il ne faut pas imaginer sortir loin. L’humidité détrempe tout. Les écorces des haies du bocage et les planches des palissades prennent une teinte verte. La campagne est quadrillée de chemins (public footpath), qui longent les cours d’eau, traversent les pâturages (prière de tenir votre chien en laisse – ça tombe bien, on n’en a pas malgré la pression familiale). Partout les barrières sont équipées de marches en bois (les stiles) pour permettre aux randonneurs de les franchir sans ouvrir (ni oublier de fermer) un portail. Bien se tenir en mettant le pied sur la planche moussue sous peine de plongeon dans la boue.

Chouette les magasins sont ouverts le dimanche ! Après 18 mois en Allemagne, c’est un petit miracle ! On a tous pu trouver des Wellington boots (bottes en caoutchouc) à notre taille et barboter dans la boue collante. Menu plaisir dont je m’étais déshabituée en grandissant : traverser les flaques par le milieu, sentir son élan retenu par l’argile gluante. Voir disparaître ses pieds. Si je ne craignais pas de grelotter, j’irais volontiers pieds nus dans le chemin du bas, enfoncer mes orteils dans le velours de la boue noire.

L’Angleterre est une île humide. Mais la région où nous nous trouvons l’est encore plus – si possible. Les Somerset levels sont situés en dessous du niveau de la mer. C’est une zone de marécages, défrichée et drainée il y a plusieurs siècles par les moines de l’abbaye de Glastonbury. Les champs sont caressés par quantité d’eau : drains, petits canaux et ruisseaux. Ils miroitent par endroits, souvenir des récentes pluies. Les nuages se reposent dans l’herbe. Pâturages gras de moutons, exploitations de tourbe pour les jardineries. Réserves naturelles élues par de nombreuses espèces d’oiseaux et paradis des marcheurs à appareil photo à zoom immense et camouflé. L’ascension de la colline de Glastonbury (le Glastonbury Tor) visible de très loin, nous confirme que de haut en bas, la vue est également très vaste, à 360°. On comprend le rôle symbolique qui lui a été attribué pendant des siècles par les druides et autres personnalités spirituelles de l’histoire du coin. La ville garde une coloration ésotérique (est-ce le mot juste ?) très intense avec force boutiques de cristaux et d’articles de magie.

Nous profitons avec bonheur de cette parenthèse bucolique anglaise. Les fêtes de Noël se savourent presque autant (plus ?) a posteriori, dans le sillage du tourbillon. Comme en Allemagne, Noël dure trois jours : Christmas Eve (le 24 décembre), Christmas Day (le 25) et Boxing Day (le 26). Les deux derniers sont fériés. Cela laisse du temps pour vider les stockings, offrir, recevoir et ouvrir les cadeaux.

Cette année encore, pour Christmas Eve sous sommes allés voir une pantomime, tradition anglaise, aussi incontournable que le Nativity play (scènes de théâtre où des enfants jouent la Nativité, dans les écoles et les églises). La pantomime, c’est un conte parodié musical à grosses blagues, pour tous les âges et tous les goûts (même les plus mauvais). En général, au moins un personnage de femme est joué ostensiblement par un homme (dans un costume criard et vulgaire) et un rôle est tenu par une célébrité du monde du théâtre. ‘’Salut ! Je suis Muddles ! … cette année’’ : tous les acteurs jouent au deuxième degré, de façon tongue in cheek comme disent les Anglais (avec ironie, littéralement : la langue dans la joue).

Le spectacle est autant dans la salle que sur la scène. Les familles en pulls de noël et bois de rennes en tissu répondent aux acteurs selon des codes bien connus : ‘’He’s behind you !’’, ‘’Oh, yes he is !’’, ‘’Oh, no he isn’t !’’, ‘’Bououh ! ‘’ (dès que le méchant entre en scène), ‘’Ouououh’’ (dès que les amoureux s’embrassent) et autres exclamations collectives. Cette année dans notre théâtre habituel c’était Blanche Neige. Miroir, mon beau miroir…

En rentrant du théâtre, le thé nous attendait. Et le Christmas cake, celui fait par mon mari, et apporté d’Allemagne, (vous vous souvenez ? voir article Pot-pourri de Noël) et les mince pies (petites tartes aux fruits secs et aux épices, cousines en chausson de pâte du Christmas pudding). La soirée s’enfonce fort tard dans la nuit, dans les froissements des emballages de dernière minute et les chuchotements encombrés sur la pointe des pieds jusqu’au sapin.

Le soleil brillait ce matin de Noël-là (en fin de matinée hein, les jours sont courts là-bas, comme en Allemagne). Notre trajet dans le carillon des cloches vers la vieille église (anglicane) du quartier était doux. J’adore m’y rendre pour le carol service (célébration de Noël, où les chants sont les Christmas carols). Dans ma vie quotidienne, je fréquente peu les églises et seulement quand elles sont vides. A la recherche de paillettes de sérénité et de paix. Mais là je prends un réel plaisir à y retrouver du monde.

Tous le quartier s’y rassemble, c’est une activité sociale courante pour Noël, comme d’aller boire un verre chez les voisins ou des amis. Et les paroles des prêtres (vicars) qui officient (hommes et/ou femmes) sont ancrés dans la réalité humaine. Ils donnent l’impression d’une ouverture à la vraie vie (et pas de sa négation culpabilisante) pour nous aider à nous en extraire un petit moment par le haut.

Le prêtre dans son sermon a demandé aux gens présents : « Qui parmi vous porte un habit reçu ce matin ? Et qui a déjà mangé un cadeau de noël (allusion aux pièces en chocolat glissées dans les stockings) ? » Au moment de mettre le petit Jésus dans la crèche, il a aspergé les santons d’eau bénite et en a envoyé sur les personnes à proximité en disant avec un sourire : « Il en reste, on ne va pas la gaspiller ! J’espère que je n’ai pas abimé vos beaux habits de fête ». Tout le monde a ri. Et moi aussi. Entre mes larmes et derrière mon mouchoir. Cette cérémonie me touche beaucoup par sa simplicité et son accessibilité. Avant de se quitter, tout le monde entonne ‘’Hark the herald angels sing….’’

Une parenthèse de paix donc, mais aussi de petite remarque intérieure (réflexe allemand ? rappelez vous l’article Retour vers le passé) : ‘’Whaou ils sont vraiment modernes les Anglais !’’ A l’entrée de l’église un appareil high tech pour faire des dons en ligne avec une carte bleue, quête du 21ème siècle. (On a vu la même dans les musées gratuits, qui fonctionnent avec des donations).

Pour le déjeuner de Noël, nous nous sommes régalés – comme la plupart des familles – de dinde avec ses trimmings (ses accompagnements) : les pigs in blankets (ou ‘’cochons en couverture’’, de petites saucisses entourées de lard), la bread sauce (sauce blanche type béchamel épaisse au pain), la cranberry sauce, les pommes de terre, carottes et panais rôtis. Et les choux de Bruxelles, très bons avec des châtaignes et des lardons, que peu de monde aime et que pourtant toutes les tables accueillent. Y’a qu’à les voir bradés dès le 27 décembre !

Le dessert a été pris après le fromage pour honorer les Français présents, mes enfants et moi – sinon c’est avant. Nous avons flambé de bleu le Christmas pudding et tiré sur les crackers. Chacun tient d’une main sa grosse papillote en carton à pétard et de l’autre, en croisant les bras, attrape celle du voisin. PAF ! Tout le monde tire en même temps. S’en échappent, une petite couronne en papier coloré à porter pour le reste de la journée, une devinette (en général des jeux de mots sur le thème de Noël et des bonhommes de neige), une bricole inutile (casse-tête, mini crayon…).

Ensuite dans l’après-midi, nous nous sommes recueillis – comme de nombreux sujets britanniques – devant sa majesté la télévision où la Reine prononce chaque Christmas Day un discours d’une dizaine de minutes, bilan de l’année écoulée, et vœux pour celle à venir. Les paris vont bon train (enfin, ceux qui roulent – oups) sur la couleur de sa robe (bleu roi, comme il se doit).

Une belle fête de noël à l’anglaise donc, avec retrouvailles et apéro dehors au soleil (si, si !). On se sentait de retour at home. Pourtant lorsque je me suis exclamée quelques jours plus tard en route vers le Somerset : ‘’Bah elles sont crado les voitures ici !’’, je me suis dit que vraiment je commençais à avoir des réflexes germaniques. D’abord parce que depuis toutes ces années que je fréquente intimement l’Angleterre, cela ne m’avait pas marqué, et ensuite parce qu’en règle générale, les voitures, comme tout ce qui produit du bruit et des mauvaises odeurs, ne m’intéressent pas au-delà de leur utilité comme mode de transport.

Dans nos conversations avec nos amis anglais, j’ai constaté que pour mes filles et moi, les mots germains s’étaient mis pour la première fois à chahuter et bousculer leurs cousins anglais. Sans doute avons-nous dû faire des progrès en allemand et peut-être atteint un nouveau stade dans notre (dés-) intégration. Lorsque j’ai fait un aller-retour à Lyon en novembre (oui, désolée je n’ai pas pu voir tout le monde !), j’ai pu constater de nombreux changements depuis notre départ. « Tiens la presqu’ile s’essaie à limiter les voitures !? » « Ah ce restau que j’aimais bien a fermé ! »

Pas vraiment d’ici et plus vraiment de là-bas, avec toujours un fort attachement à l’Angleterre. Nous habitons désormais culturellement un no man’s land triangulaire ou plutôt, une contrée-rien-qu’à-nous. Un triangle des Bermudes entre la France (du Sud), l’Angleterre (du Sud) et l’Allemagne (du milieu).

Venez-nous y voir, si vous passez par là. Vous verrez c’est sympa !

Photo : le Glastonbury Tor

Deux mille vingt

Allez, quelques pas encore. J’aperçois le bout du chemin. Nous allons arriver au croisement.

Chère année 2019, nous allons bientôt nous séparer. Tu n’as pas toujours été tendre avec moi, je t’en ai même voulu de toutes mes forces. J’ai voulu te manger comme on mange aux dames, en sautant par-dessus, sans s’arrêter. Te doubler par l’intérieur du virage. Sans regarder en arrière, vers ces premiers mois en Allemagne qui m’ont grignotée de l’intérieur, poussée au bord du précipice, au bord de moi-même. Mon corps épuisé par ce remue-ménage (au sens propre) n’avait plus la force de se reposer. Et mon esprit ne savait plus vers quelle hypothétique fuite se tourner. Rentrer ? Partir dans un autre pays ? Rester ? Tout en étant consciente qu’il n’y a que le temps pour apprivoiser ce nouvel ailleurs, que l’on finit par s’habituer, et que l’impatience n’y fera rien.

Le temps prend longtemps. Il faut en perdre pour mieux se trouver et s’acclimater. Il a pris la majeure partie de tes jours, année 2019. Le temps de faire le tour d’un cycle, de répéter ces gestes nouveaux pour commencer à les transformer en habitudes. Abracadabra… Tes derniers mois ont été formidables de douceur et de partage avec nos nouveaux amis. Une belle récompense après tous ces tâtonnements sociaux que de saluer quelqu’un que l’on croise au marché, ou de devoir choisir entre plusieurs invitations chez des gens que l’on apprécie.

Continue ta route, lâche-moi la main je te rends ta liberté. Je tâche de te pardonner. Et de me pardonner à moi aussi, ces incertitudes et cette rébellion intime bien involontaire. Retenons les rencontres et les découvertes, les apprentissages et les fous rires familiaux. Nous avons fait nôtres les réflexes sociaux-culturels majeurs dans notre nouveau pays. Les filles sont trilingues même si bien sûr l’écrit allemand reste perfectible. L’école a cessé d’être un défi quotidien. Elles ont plein de copines. Nous savons qui éviter et qui inviter. Conquis par la façon allemande de se saluer (entre gens proches), nous donnons l’accolade sélective. C’est tellement plus sincère et sympa que le toucher de joues pour la bise incontournable.

Bienvenue année 2020. Je te serre donc dans les bras. Toi l’année qui donne envie de jouer avec les chiffres. Deux zéro deux zéro. Deux deux et deux zéros. Quatre au total. Zéro si on les soustrait. Equation de la nouvelle décennie. Un équilibre dans la rondeur, dans la répétition et la parité.

Tu te souviens quand on calculait l’âge qu’on aurait en l’an 2000 ? Aperçue dans la science-fiction lointaine du début de l’âge adulte, cette étape de l’existence dans l’arbitraire du temps qui passe s’est fondue dans les souvenirs. Quand elle était petite fille, ma mère calculait déjà en sautant à la corde avec ses copines quel âge elles auraient en l’an 2000. Ça aurait pu être 56 ans.

Tu te rappelles l’âge qu’on avait en l’an 2000 ? Je ne me souviens plus tout à fait de mon âge, mais tellement de la naissance de mon fils – qui aura 20 ans en l’an 2020. Et de celle de sa maman. Déjà une année toute en rondeur, celle de mon ventre.

Mes filles sont nées en 2007 et 2010. Pourquoi ne dit-on pas, en ce début de siècle comme en celui du dernier, ‘’mes filles sont nées en 7 et en 10’’ ?  Il y a 100 ans, les années n’étaient repérées que par des dizaines et des unités. Ma grand-mère maternelle est née en neuf. Mon grand-père paternel en vingt et un. ‘’On est partis comme en quatorze’’. Cette façon de mentionner les dates s’est envolée avec les chapeaux des messieurs et les corsets des dames.

Nous allons donc changer d’année. La belle affaire. Ce symbolisme arbitraire n’est lié qu’au décompte choisi par l’Occident pour répartir la vie humaine sur les saisons cosmiques. Effort vain de maîtriser les gouttes du temps qui coulent entre les pages du calendrier. Voilà déjà plusieurs jours que la lumière quotidienne grandit. Le 31 décembre ne représente rien de spécial pour moi.

Je ne suis pas de celles ou de ceux qui prennent des résolutions au 1er janvier. Quel intérêt à ce symbolisme à part celui avoué de commencer un 1.1, et plus hypocrite, de retarder une décision que l’on sait importante mais qui nous coûte trop ? Si une action est importante pourquoi attendre ? Le premier pas vers la nouvelle habitude ne gagnerait-il pas à être fait dès aujourd’hui ? ‘’Demain’’, le ‘’1er janvier’’ débordent d’intentions, auxquelles on ne croit pas vraiment, et dont on espère tout bas qu’un miracle nous libèrera avant le moment venu pour nous de les accomplir.

La rentrée scolaire m’a toujours transmis l’énergie du renouveau pour un changement d’habitude. Son symbolisme s’ancre dans un pragmatisme bien réel. Je veux apprendre à chanter ? Tant mieux c’est le moment des inscriptions dans l’école de musique du quartier. Pour concrétiser cette envie, il ne me coûtera que le premier pas vers la classe de chant le jour des portes ouvertes. Cet impératif de date s’écroule d’ailleurs en Allemagne où – sous réserve de places disponibles – les inscriptions sont possibles toute l’année. Ma benjamine a rejoint un cours de gym fin novembre. Un cours d’essai, quelques papiers, pas de certificat médical. Ouf ! Il ne nous reste qu’à penser aux chaussons le jeudi.

Si je veux aujourd’hui m’autoriser enfin à exister, et cesser d’attendre que d’autres m’octroient cette hypothétique permission, pourquoi ne pas essayer de changer mes réflexes dès maintenant ? Défaire une par une les couches empilées pour me fondre dans la masse et faire ce que les autres attendent de moi. Petit à petit soulever les étiquettes collées par des regards pas toujours bienveillants pour retrouver le noyau de ma personnalité. Il ne demande qu’à pousser dès qu’il retrouvera la lumière du jour.

Donc exit la tentative de résolutions au premier janvier. C’est comme la soirée de la Saint-Sylvestre. Je n’ai jamais compris cet impératif de ‘’faire la fête’’ à une date précise, sans autre prétexte que l’arbitraire d’un décompte sur le papier. Aucun événement historique à commémorer. Pas d’anniversaire particulier. Le froid bloquera pour encore quelques semaines humides l’éclosion des premiers bourgeons.

Faute d’y trouver mon compte, j’ai arrêté depuis plusieurs années de céder à la pression collective de me coucher tard après une soirée grégaire et bruyante. Je suis d’un caractère introverti et mon idée d’une bonne soirée est plutôt de me protéger du bruit et d’éviter de compromettre par un coucher aux aurores ma journée du lendemain.  Je préfère désormais accueillir le recueillement de la nuit et profiter des quelques heures de lumière que les nuages voudront bien me laisser le 1er janvier. Passer une bonne soirée entre amis ? Avec plaisir, mais quand l’envie et l’humeur m’en prennent. Et jusqu’à l’heure que je veux.

Mais les mois gris et sombres peuvent sembler bien longs. Les Allemands s’offrent un peu de lumière et de chaleur dans la nuit avec la tradition du Feuerzangenbowle (mot imprononçable composé de trois mots : feu, pince, punch aux fruits). En travers d’une marmite de Glühwein aux agrumes (vin genre sangria), maintenue au chaud sur une flamme, est posée une sorte de longue cuillère plate en métal. Elle accueille un pain de sucre (on se demandait à quoi servaient ces cônes à l’ancienne aperçus au rayon pâtisserie). Arrosé régulièrement de rhum et flambé, il fond dans le vin parfumé. Ça prend du temps, celui de discuter avec ses voisins, et de regarder filer les nuages devant la lune. Nous avons découvert cette tradition de la fin d’année chez des amis, dans le halo d’un feu de camp. Feuerzangenbowle il paraît que c’est aussi le titre d’un film des années 40, du genre classique que tout le monde connaît. Nous tâcherons de le regarder pour éclairer une longue soirée de janvier.

En définitive, se souhaiter une bonne année, n’est-ce pas, jolie tradition collective, se donner de l’élan pour traverser l’hiver, tricher avec la nature en inaugurant le renouveau dès le 1.1 ? Guten Rutsch ! comme disent les Allemands pour se souhaiter un bon changement d’année (littéralement : bonne glissade) .

Alors puisse le rideau de la nouvelle année se lever sur la douceur d’un pâle soleil derrière la silhouette mordorée des arbres nus. Que 2020 soit moins prévisible et convenue que son apparence sur le papier, mais fantaisiste comme son 29 février et rassurante comme son équilibre visuel. Pour qu’on puisse se dire a posteriori : ‘’N’aurait pas pu mieux faire, 2020 a donné tout ce qu’elle a pu’’.

Je vous souhaite 366 journées vingt sur vingt.

Gâteaux à gogo

C’est quoi Noël ?

A quelques jours du 24 décembre je me pose la question. Oui c’est quoi Noël ? Et surtout, sans parler de cadeaux, qu’est-ce que je veux, moi, pour Noël ?

Chaque année le mois de décembre me rabote l’énergie. Quand on a la chance de ne pas être seul, beaucoup trop d’activités s’enchaînent dans un compte à rebours tendu.

Voilà quelques temps, la classe de ma benjamine avait organisé son barbecue dans la forêt (vous vous souvenez la cabane dans la nuit ?). La fête de la classe de la cadette, a pris cette semaine la forme d’un barbecue avec buffet apporté par les parents dans la cantine du collège. En présence de la classe des correspondants français. Rendez-vous à 17h (‘’C’est quoi ça c’est le goûter ?’’) Grand sapin décoré, étoiles illuminées aux fenêtres, plants de Weihnachtsstern (‘’étoiles de noël’’, les poinsettia rouges et verts) sur les tables.

A peine eu le temps de grignoter un p’tit bout en saluant quelques parents (j’avais apporté des saucisses déjà-trop-cuites), qu’il a fallu filer. Direction le concert de l’Avent de l’école de musique de ma grande fille. Vite on pédale dans la nuit. Allez, une dernière bouchée et on entre. On quitte ses chaussures puisque l’audition se tient dans une maison privée. Ma fille et moi nous hâtons au piano pour une dernière répétition (mince pas le temps de me laver les mains). Les flûtistes en chaussettes se succèdent devant leurs familles (tout autant en chaussettes). Les jeunes musiciennes (tiens que des filles !?) donnent une impression de maîtrise ; elles doivent avoir l’habitude de jouer en public et ensemble. Pour ma grande à la flûte et moi au piano c’est notre première audition allemande et notre interprétation (merci pour votre compréhension Monsieur Tchaïkovsky) trahit parfois notre émotion.

Pour chacune des fêtes bien sûr, nous avons fait des gâteaux (pas de noix, attention aux allergies et merci maman de les faire présentables, comme ceux des petits Allemands). Les deux dernières semaines se sont enrichies de la fête de la gym, du restau de l’atelier de poterie, de l’anniversaire d’une amie… Des rendez-vous sympathiques et joyeux sous le signe des Plätzchen, du Glühwein et du punch chaud pour les enfants et tous ceux qui veulent (miam, les jus de fruits épicés et chauds). Côté biscuits nous nous sommes consacrés aux Vanillekipferln (petits sablés en forme de croissant aux amandes et à la vanille). Nos amis courageux produisent des centaines de petits biscuits de tas de variétés différentes et les offrent dans de jolis petits sacs.

Et dans cet espace-temps saturé, les préparatifs des fêtes cherchent des interstices où s’immiscer. Acheter les cadeaux pour tout un chacun (si possible en cachette, si possible attentionnés), les emballer nuitamment, penser à l’organisation de la réception, aux détails de voyages internationaux… Envelopper un par un les dizaines de petits riens des stockings de noël…

Incorporez à cette salade russe d’activités en tous genres, la couche épaisse et sucrée de deux anniversaires d’enfant. Nos deux filles sont nées dans la deuxième quinzaine de décembre, à une semaine d’écart. S’ajoutent donc là aussi des cadeaux (différents de ceux de Noël, merci de faire preuve d’imagination), là aussi des gâteaux, là aussi des décorations et des menus précis… et bien entendu, des attentes élevées qu’un parent ne veut pas décevoir.

Pour éviter l’implosion familiale générale, la fête avec les copines de notre cadette est décalée au mois de janvier. L’autre anniversaire sera célébré le premier jour des vacances (un gâteau peut-être si on veut planter des bougies ? Une fête à organiser dans les détails pour une petite fille très précise ?).

Pour les parents impresarios-pâtissiers les gâteaux d’anniversaire en Allemagne sont un défi terrible. Y’a qu’à voir le buffet sucré des fêtes d’écoles. Les productions familiales n’ont rien d’amateur. Les gâteaux impeccables et appétissants sont transportés dans des boites en plastique catégorie équipement professionnel. D’ailleurs la première année nous ne savions pas et avions apporté (dans des boites IKEA dépareillées) des bouchées de rocky road (mélange fondant-croquant de chamallow, noix, chocolat et autres sucreries…). C’est délicieux mais ça ne ressemble à rien (ou vaguement à des roses des sables ou autres bien nommées ‘crottes de rennes’). On s’est aperçu que les mamans du buffet les donnaient gratuitement. Et on a retrouvé nos cucumber sandwiches du buffet salé (ben on voulait faire original) à peine entamés, isolés sur leur assiette.

La semaine dernière ma grande a passé la soirée avec son correspondant à faire des cupcakes pour sa classe. Comme nous n’avions pas assez de petits moules pour deux classes (et oui les Allemands et les Français en visite), ils ont placé la pâte dans des coupelles de papier. Faute de résistance latérale, en gonflant les gâteaux se sont étalés. Son père et moi avons décoré et emballé (toujours dans nos boites dépareillées et trop petites) les cupcakes trop plats. Ma fille hésite à les emporter. ‘’Ils sont ratés ! Si tu voyais ce que font les autres… Leurs gâteaux sont parfaits !’’. Elle demande à sa sœur : ‘’Tu oserais, toi, les emporter à l’école ici ?’’ Et la coquine qui répond : ‘’Non, mais moi j’aurais pas fait des cupcakes aussi moches’’. J’insiste ‘’Mais ils sont délicieux, au moins on voit qu’ils sont maison. Dis-leur qu’ils représentent la carte de l’Europe, qu’il ne manque que l’Italie car on l’a mangée’’…

Elle finit par céder et part avec. En rentrant du collège elle me tend le sac : ‘’Tiens maman’’. Il est toujours aussi lourd. Les boites n’ont pas été ouvertes. Elle n’a pas osé montrer ses gâteaux.

Hier soir nous avons donc fait des brownies (attention maman, tu te souviens, pas de noix !). Pour les DEUX anniversaires et les DEUX classes de mes filles (entre temps les Français ont trouvé un TGV pour rentrer). La double censure écolière a validé leur aspect.

Ma grande a rapporté de l’école un moule tout vide (ouf, et d’une !). La plus jeune ? Elle me rend les boites PLEINES. Elle n’a pas osé les sortir (rapport au programme du matin, parait-il peu compatible avec un soufflage de bougies … sauf qu’ils ont regardé Harry Potter…). Et… elle nous réclame un deuxième tour à la rentrée (mercredi steuplait).

Retour sur les préparatifs de Noël.

Nous devons donc partir dans quelques jours en Angleterre en train via Paris, où mon grand fils nous rejoindra sur le quai de l’Eurostar. Enfin, nous devions y partir car en raison des grèves en France nos trains sont annulés.

Nous voilà donc le dernier jour d’école avec, dans une hotte beaucoup trop lourde, toutes les espérances des lumières de Noël et des vacances de nos enfants et tout remis en cause.

Ce changement brutal de dernière minute, dans un contexte de tourbillon d’activités et de fatigue, m’oblige à me poser cette question : c’est quoi Noël ?

Retrouver un bout de famille, être ensemble pendant quelques heures ou quelques jours, suspendre le quotidien pour se lancer dans une course encore plus folle avec des échéances tendues et des objectifs trop élevés, faire le point sur les actualités de chacun, parler avec ceux qu’on ne voit pas souvent, sourire avec certains, et s’efforcer de le faire avec d’autres. Essayer de composer avec trop d’attentes et nier les frustrations. Profiter des bons moments. Finalement quand on a un certain caractère, et surtout si on a des enfants, Noël c’est s’occuper des autres et s’oublier soi. Et ça c’est dangereux. Je l’ai appris à mes dépens.

Du coup je ne sais pas quoi décider : qu’allons-nous faire pour les fêtes ? Rester chez nous en Allemagne ? Sommes-nous suffisamment installés en Rhénanie pour y fêter Noël ? En même temps cela contribuerait sans doute à confirmer notre intégration. Et nous avons plein d’amis sympas qui restent dans le coin qui seraient ravis de nous voir.

Mais sommes-nous prêts à renoncer à nos racines et à nos habitudes pour cette fête symbolique ? Nous avons un furieux besoin de repos certes, mais aussi d’évasion. De repos psychologique où nous ne sommes pas en permanence en phase d’adaptation et où nous pouvons nous exprimer facilement.

Alors partir ? Mais comment ? Et de quel côté de la Manche ?

D’un côté une maison-coquille où l’absence d’une maman qui n’a jamais été grand-mère crie trop fort. De l’autre une maison où l’absence d’une maman qui a été si peu grand-mère accroche à chacun de nos pas, comme celle d’une sœur qui fut si peu tante. Et où les valeurs tellement différentes des miennes (et ça n’a rien à voir avec la nationalité) me contraignent à l’apnée, pour essayer de m’adapter sans me perdre complètement.

Et surtout, quand et comment vais-je retrouver mon grand garçon ?

Je n’ai pas la réponse, mais dans l’immédiat, je sais ce qu’il me reste à faire. Enfourcher mon vélo et aller acheter du beurre et du chocolat à croquer. Un ravitaillement s’impose pour les pâtisseries de demain.

Un gâteau après l’autre.

Vous allez rire…

Francfort héberge un musée de l’humour : das Caricatura Museum, Museum für komische Kunst (le ‘’musée de l’art comique’’).

Au printemps dernier, j’ai réalisé une visite guidée de Francfort. La ville porte les stigmates de la guerre, mais le vieux quartier a été reconstruit. Les commentaires du guide américain rendait cette promenade dans le vent froid d’avril très instructive.

Arrêté pour la présentation d’une rue, le guide tend le bras vers un bâtiment et annonce au groupe : ‘’Voici le musée de l’humour’’. J’ai cru que c’était une blague justement, le musée de l’humour en Allemagne. Ou alors, il a été créé pour garder précieusement tout ce qui provoque le rire, de peur que ça soit écrasé sous les pneus (Michelin) des BMW ou les pilons des machines-outils. Je ne connais qu’un seul humoriste allemand, Henning Wehn, l’auto-proclamé ‘’ambassadeur de la comédie allemande’’, et il vit et travaille en Angleterre, à Londres.

Inconditionnelle de l’humour anglais, c’est pour cela que je le connais Herr Wehn. J’écoute presque tous les jours sur BBC Radio 4 des podcasts de comédiens ou des sitcoms radiophoniques très bien écrites, jouées, et sonorisées. Ces dernières semaines j’ai beaucoup aimé Alone (une sitcom où six personnages partagent une maison, chacun dans son appartement, un Friends british des cinquantenaires), et Tom Wrigglesworth’s hang-ups (des conversations téléphoniques entre Tom, un jeune papa qui vit à Londres et ses parents complètement barrés qui vivent à Sheffield, et sa grand-mère pragmatique et vive qui habite chez les parents).

Toujours sur la BBC, je ris volontiers devant Would I lie to you, un jeu télévisé avec deux équipes (de deux membres du show biz), chacune menée par un comédien et un animateur-arbitre (comédien aussi). Le principe est le suivant : chaque participant lit l’affirmation écrite sur la carte qui lui est proposée. Elle décrit une péripétie qui lui est (peut-être) arrivée. L’autre équipe pose des questions pour deviner si cette affirmation est vraie ou non. Truth or lie ? En fait on s’en contrefout. Tout l’intérêt du jeu réside dans l’esprit de répartie extrêmement vif et les joutes verbales intelligentes et drôles des trois comédiens.

Les sitcoms Miranda de Miranda Hart et Not going out de Lee Mack sont des trésors de bonne humeur et de saine distance par rapport aux mésaventures de la vie. Au-delà de l’humour, des jeux de mots, des blagues qui fusent, ces séries, en particulier la première, laissent entrevoir la difficulté pour les protagonistes de s’adapter aux situations sociales, et de se faire accepter tels qu’ils sont. Du rire donc, mais aussi de la tendresse et de l’intelligence, et de l’authenticité dans l’autodérision.

Vous aurez compris que je suis plus au fait des actualités télévisuelles et culturelles anglaises que françaises. Quant aux allemandes, je n’ai pas encore essayé. Ça viendra peut-être mais je devrai contourner un a priori qui consiste à penser que je ne comprendrai pas les blagues, et que ce ne sera pas seulement une question de langue. Pour les doses d’humour, je resterai toujours fidèle aux créations anglaises. Mes livres de chevet, et potions magiques anti-blues sont Great british wit de Rosemarie Jarski, une anthologie de citations british sur tous les sujets, et My daily dose of such fun de Miranda Hart. Dans ce dernier, la comédienne propose comme antidote à l’anxiété de rompre avec le cycle des ruminations habituelles grâce à une tâche simple, insolite et drôle. Une pour chaque jour de l’année. Que diriez-vous de suivre la proposition du jour (16 décembre) ? Vous connaissez sans doute la chanson de Noël ”Rocking around the christmas tree”. Miranda Hart suggère de littéralement danser autour de chaque sapin de Noël que vous croiserez aujourd’hui. Allez hop c’est parti !

Le musée de l’humour, je ne l’ai pas encore visité et en fait je n’en ai pas envie. L’humour je préfère le vivre, le traquer dans tous les interstices de la vie quotidienne, plutôt que le regarder derrière une vitre, épinglé comme un papillon mort.

La langue allemande tellement précise se prête mal aux ‘’double entendre’’ comme disent les Anglais en français dans le texte (le double entendre c’est quand une phrase peut être comprise de deux façons différentes, l’une naïve et innocente et l’autre beaucoup moins). Les jeux de mots existent-ils en allemand ? J’ai tapé l’expression dans un dictionnaire bilingue : ‘’Erreur. Nous n’avons aucune suggestion pour votre recherche’’. Trop facile, ça, M. Larousse. Deuxième tentative dans un dictionnaire anglais : oui ça existe : das Wortspiel, la traduction littérale de l’expression française.

Pour l’instant, après un an et demi en terre germaine, nous pouvons dire que les confrontations aux blagues et au second degré restent rares (et bienvenues, tellement bienvenues !). Ici le discours est direct. Tellement direct qu’à une soirée l’autre jour, une femme s’est approchée de moi en arrivant et m’a dit ‘’Und wer bist du ?’’ (‘’Et qui es-tu ?’’)

Ce matin un plombier est venu pour changer le compteur d’eau. Il arrive sur le coup de 8h. J’ai l’intention de lui proposer une boisson chaude (en espérant qu’il ait la papille tolérante, ou un goût prononcé pour le thé car mes cafés au dosage approximatif ne sont pas du goût de tout le monde). ‘’Puis-je vous offrir quelque chose ?’’ Il me répond du tac au tac, sérieux : ’’ Oui, 1000 euros !’’ C’est tellement rare la répartie blagueuse que, sans le décodage du sourire simultané, j’ai hésité un quart de seconde. ‘’Ai-je bien entendu ? Et surtout bien compris ?’’

C’était bien une blague. Non il ne veut rien, merci. Ouf, Joyeux Avent monsieur ! Ça fait du bien de sourire de bon matin. Je n’en attendais pas tant du compteur d’eau.

Vérité en deçà du Rhin, erreur au-delà

« C’est pas comme ça qu’on s’y prend ! » Ça, c’est la première remarque que je reçois de la prof de mon tout nouveau cours de modelage à la Volkshochschule (l’équivalent des MJC françaises) de Mainz. J’ai mis plusieurs mois avant d’enfin m’inscrire. Plusieurs mois pour mettre le gros de l’installation familiale dans notre nouveau pays derrière moi. Plusieurs mois avant de m’autoriser chaque semaine quelques heures de création et d’évasion.

Me voilà donc à mon premier cours en Allemagne. Mais la terre, ça fait 20 ans que je la travaille, dans des ateliers divers avec des artistes différents. C’est dire si cette réflexion m’a prise au dépourvu. Un peu intimidée, j’étais toute à mon bloc de terre, à me creuser la cervelle avec une pioche pour trouver de l’inspiration. Cette situation inédite envahissait mes sens et me coupait quelque peu l’élan créatif. Travailler la terre en allemand, avec des Allemands (enfin, surtout des Allemandes), et une prof allemande, dans un atelier dont j’avais tout à découvrir du mode de fonctionnement. Je suis arrivée en ayant peur d’être jugée. Alors cette remarque spontanée et sans arrière-pensée a appuyé là où il ne fallait pas. Je sais maintenant qu’elle était juste l’illustration du mode d’expression allemand : direct et sans fioritures.

Les mains sur l’argile fraîche et élastique, je refuse d’écouter la petite voix qui me demande ce que je fais ici. Celle qui me rappelle que je m’étais inscrite à ce cours pour me détendre et me propose de ranger mes outils … pour partir me détendre ailleurs.

La pièce doit être creuse pour sécher de façon homogène et limiter les risques à la cuisson à plus de 1000°C. Deux techniques permettent d’atteindre ce même résultat : modeler un bloc de terre et le creuser à la fin – ce que je fais. Ou monter des pièces creuses à partir de plaques d’argile étalées au rouleau – ce que font les autres ici, dont j’ai découvert peu à peu les superbes créations.

Je suis toujours ce cours, presque un an après. Les participants se connaissent depuis des années. L’ambiance autour des pains de terre de toutes les nuances de l’argile, du verre de Sekt (vin mousseux) et des petits gâteaux, fort sympathique. (Personnellement et contre l’attente de mes collègues allemands qui pensent que les Français boivent du vin à la moindre occasion, je reste au thé). Donc je regarde comment font les autres et j’apprends une autre technique. J’ai bravé ma réaction primaire initiale et je profite de ces différences pour tester des styles de modelage. Et parfois j’entends : « Fais voir comment tu fais… »

Autre mini-choc de cultures autour des médicaments, dont on pourrait penser que le marché européen pré-Brexit est commun. Nous avons découvert que certains, très utilisés en France, n’existent pas en Angleterre, et ne sont pas utilisés en Allemagne, mais disponibles en pharmacie. Ici le paracétamol 1000 mg est sur ordonnance – mais pas le 500 mg (franchement ?!). (Je ne m’étendrai pas ici sur les différences des systèmes médicaux, j’y consacrerai un article, le moment venu).

Côté CV, il a fallu s’adapter en apprenant le grand écart. Le Lebenslauf (littéralement parcours de vie) allemand est très exhaustif. Nom, prénom, âge, nombre et âge des enfants. Limite s’il ne faut pas l’album photo familial et le nom des animaux. En passant la frontière mon CV a doublé en longueur. Une candidature professionnelle prend la forme d’un dossier très complet avec diplômes et appréciations des précédents employeurs. C’est à double tranchant : une appréciation positive peut refléter l’impatience d’une entreprise à se débarrasser de qui ne fait pas l’affaire.

Autre grosse surprise administrative en arrivant : la déclaration de religion. Ce qui en France est strictement interdit, est devenu ici une obligation légale. Lors de notre arrivée dans le pays nous avons dû aller à la mairie nous faire enregistrer à notre nouvelle adresse. Cette démarche (l’Anmeldung) est obligatoire pour toute personne qui déménage, même pour habiter une maison trois numéros plus loin dans sa rue.  « Quelle est votre religion ? Catholique, protestante, autre ? » « Euh, aucune » (et je me retiens d’ajouter : CA NE VOUS REGARDE PAS !). Ouf nous l’avons échappé belle ! Dans le cas contraire on serait passé à la caisse : les croyants payent un impôt religieux.

De même pour inscrire les filles dans leurs écoles (publiques) nous avons dû choisir entre les cours de religion, catholique ou protestante, et éthique. Nous avons coché éthique (pour les non religieux). Personnellement je trouve que les cours sur les religions (ouverts et basés sur l’histoire et les grands principes humains) sont un enrichissement indispensable pour comprendre l’histoire de l’art et le monde. L’éthique devrait les aider à comprendre leur place dans la société. Notre plus jeune travaille en ce moment sur les sentiments et les relations.

Cependant, j’ai eu un moment de gros doute lorsque fraîchement débarquée en terre teutonne, je m’attelais à recouvrir les livres de cours de mes filles. J’en étais encore à penser que la plus grosse différence (la seule ?) avec la vie que je venais de quitter serait la langue (bon d’accord, avec l’alimentation).

Je feuillette le livre d’éthique de ma benjamine et en ouvrant une double page je reste sans voix. A gauche, le titre : « L’évolution » (ou quelque chose d’approchant), annonce un texte qui commence avec « Beaucoup de scientifiques pensent que …. ». En vis-à-vis, sur la page de droite, sous le titre générique : « Comment le monde a été créé », le texte débute avec « Le premier jour, Dieu créa… » et se contente de reproduire un passage de la Bible. Pas d’explications et surtout, surtout, aucune mise en perspective.

Nous élevons nos enfants de façon très scientifique et ils ont été présentés à Monsieur Darwin dès leur plus jeune âge. Mais pour éviter tout malentendu pédagogique j’en ai remis une couche. (Je vous épargnerai le contenu de mes interrogations et mes grommellements). En découpant le scotch : « Tu te souviens sur la Jurassic Coast en Angleterre quand tu as trouvé tous ces fossiles… »

Encore une fois, n’est-ce pas vraiment dans ces tous petits gestes du quotidien que l’on prend la vraie mesure des différences culturelles ?

PS : La sculpture de la photo est en argile rouge ; elle s’appelle Le secret.

Der Advent, l’Avent

Ich wünsche euch einen schönen 1. Advent ! (Je vous souhaite un joyeux premier dimanche de l’Avent !)

Les fêtes en Allemagne sont importantes, et l’avent (der Advent), le mois précédant Noël, est le temps où le charme lumineux du pays fait oublier les jours courts et la grisaille. Cette période est vraiment singulière en Allemagne. Différente de la fête de Noël à proprement parler. Toutes les maisons se parent dès fin novembre, et allument le premier dimanche de l’Avent, une bougie de la couronne du même nom. Chacun des quatre dimanches, les gens se souhaitent ainsi de passer une bonne journée, dans la magie d’une flamme vivante pour compenser les nuits de plus en plus longues.

Ces quatre semaines se passent dans les odeurs de branchages de sapin (Nordmann et Nobilis de ce que j’ai vu) et les parfums d’épices du Glühwein (vin chaud) et des petits biscuits de Noël. Tout se teinte d’une nuance ‘’avent’’, même les magasins rivalisent de ‘’promotions de l’Avent’’.

Le sapin de Noël n’arrivera dans les foyers que bien plus tard, le 24 décembre souvent. Adolescente, au siècle dernier, j’avais eu le privilège de passer les vacances d’hiver chez mon amie allemande à Cologne. La veille de Noël juste avant de se régaler de raclette (oui c’est un repas classique ici le 24 décembre), nous avions décoré le sapin.

Calées sur nos traditions familiales, les filles ont réclamé avec ‘’de grands yeux brillants’’ (c’est leur technique de négociation) de choisir notre sapin de Noël dès le premier décembre. « Allez, maman, daddy, on y va ! Sinon on n’aura pas le temps avant… avant la Saint-Glinglin ! » (Tiens comment dit-on Saint-Glinglin en allemand ?). Pleins d’enthousiasme, et presque convaincus pendant quelques minutes d’être des parents formidables, nous sommes allés à la jardinerie où nous avons nos habitudes, certains aux rayons plantes, d’autres plutôt à l’animalerie… Michael Bublé s’époumone dans la voiture : « It’s beginning to look a lot like Christmas … »

« Whaou ! Tous ces sapins ! Et y’a personne ! On aura plein de choix ! » Nous nous précipitons sur le parking reconverti en forêt de conifères de toutes les tailles. Y’a même des sapins danois. Non, on va rester dans le local hein, pas besoin d’un arbre qui a fait du tourisme dans un camion. J’aime bien le sombre, tout décoiffé, là. Les filles préfèrent l’autre là-bas, bien régulier. Après un conseil familial ardu, nous tombons d’accord sur un troisième (Nordmann, 2 mètres, la flèche un peu tordue en haut pour faire plaisir à maman). Chouette ! nous allons pouvoir le décorer dès cet après-midi ! Nous commandons au monsieur du parking celui qui va faire partie de notre vie pendant un mois. Et nous entrons dans le magasin pour lui acheter un pied pour l’installer.

Sauf que ….  La loi allemande n’autorise le dimanche pour les jardineries que la vente de végétaux (en tous cas en Rheinland-Pfalz). Rien d‘autre. (Déjà bien contents que cette partie-là soit tolérée, en règle générale ici le dimanche c’est franchement tristoune et très fermé). Le magasin est immense, magnifique, tout décoré. Un marché de Noël est même éparpillé dans les rayons : cabane du Père Noël, chalets-snacks pour le vin chaud et les Bratwurst (saucisses), patinoire intérieure, et même deux pistes de curling. Nous sentons notre impatience de Noël frétiller…. A vide. Curieuse impression que de se promener entre des rayons balisés par un cordon (rouge et blanc certes), de contempler un décor de fête aussi calme et froid que le Sahara la nuit en plein hiver (et j’ai le souvenir d’une nuit dehors en décembre par -7°C au sud de l’Algérie). Les pains d’épices nous narguent. Nous avons trouvé près des caisses le support pour le pied du sapin. Nous l’avons regardé, touché et… laissé sur place. Il nous faudra revenir. Et sans doute penser aux gants pour le patin à glace.

Notre beau sapin, roi du jardin, est donc entreposé dehors sur la terrasse en attendant de pouvoir tenir debout. Mais tout n’était pas perdu pour autant côté préparatifs. Mercredi c’était le 4 décembre, la Sainte-Barbara. En Provence, la Sainte-Barbe c’est le jour où on met les lentilles à germer. Une coupelle, du coton, des lentilles, un peu d’eau tous les jours. Les pousses timides se déplient et s’allongent. Entourée d’un ruban rouge, la prairie de poupée décorera la crèche ou la table de Noël. Si elles poussent dru et dense, c’est un bon présage pour les récoltes de l’année suivante. Notre stock de lentilles du Puy était à sec, nous guettons donc le frémissement vert dans les graines brunes et bio allemandes.

J’ai évoqué cette coutume avec des amis allemands qui m’ont raconté une ancienne tradition similaire dans les régions catholiques d’Allemagne. A la Sainte-Barbara (Barbaratag), le 4 décembre donc, les familles coupaient des branches de cerisier et mettaient le bouquet de Barbarazweige (les rameaux de Barbara) dans l’eau à l’intérieur. En fonction des régions c’étaient des branches de prunier, de pommier, de noisetier, de sureau ou même de forsythia. Des fleurs épanouies pour Noël apportaient grâce à la table de Noël et chance à la famille hôte. J’ai recherché ce lien entre la sainte et la renaissance végétale. Selon la légende, Barbara avait été enfermée dans une tour par son père, un empereur païen d’Asie mineure, pour la protéger (!), et se consolait en versant un peu d’eau sur une branche sèche de cerisier qu’elle avait trouvée. Juste avant son martyr sont écloses les premières fleurs.

Retour à notre premier weekend de l’Avent. Faute de pouvoir décorer le sapin, nous avons fait un tour au marché de Noël de notre quartier. Installés pendant deux jours, les stands des clubs et des associations proposent des Plätzchen (biscuits de noël, faits maison), du Glühwein ou du punch chaud pour les enfants. De quoi financer leurs projets dans une ambiance festive. Là une classe du collège de ma grande, qui veut diminuer le coût de son voyage au ski. Plus loin, la cabane de l’école de ma plus jeune, où parents et enfants se relaient à la vente de leurs productions. (Comme partout, ce sont souvent les mêmes qui font, vendent puis achètent les gâteaux pour le sou des écoles). Les stands offrent de l’artisanat vraiment local. Une crèche propose sur le sien une activité Stockbrot (ou pain sur bâton). Comme son nom l’indique, il s’agit de tenir au-dessus des braises, un long bâton sur lequel a été enroulée de la pâte à pain. Ça croustille, ça rougeoie, ça pétille. Et surtout il y fait chaud à côté des mines éblouies des gamins. L’ambiance est familiale et bon-enfant. On croise des têtes et des voix connues. Il fait nuit. Il fait froid. Tout le monde est dehors.

Aujourd’hui 6 décembre c’est la Saint-Nicolas, saint patron des petits chocolats. Ma plus jeune fille vient de brosser ses chaussures pour qu’il puisse y déposer des friandises. Quand je lui dis que côté sucreries avec quatre calendriers de l’avent et son anniversaire à venir, on va peut-être rester sobre, elle m’explique sur un ton péremptoire : ‘’On est en Allemagne, on n’est plus en France !’’. Soit donc. Saint-Nicolas est prié de passer (avec des noix et des clémentines s’il vous plait).

Au collège, cette semaine, un système de petites attentions personnalisées a été mis en place. Les élèves pouvaient payer au cours de la semaine quelques euros pour qu’un Saint-Nicolas en chocolat soit remis à un destinataire de leur choix du même collège ou d’un établissement partenaire. Avec un petit mot. Ma fille est rentrée tout à l’heure avec le cadeau d’une amie et un grand sourire.

Et maintenant il est 16 heures passées. Il fait très froid. La pluie tombe dans les halos des réverbères qui viennent de s’allumer. La roue arrière de mon vélo est crevée depuis ce matin. Nous avons rendez-vous dans une demi-heure avec la classe de ma plus jeune (4. Klasse, des CM1) dans la forêt voisine, à la Grillhütte (une cabane municipale qui abrite un barbecue et que l’on peut louer). Aucune idée de là où elle se trouve. Jusqu’à voilà deux heures je croyais encore que la hutte en question était celle où nous étions allés cet été, dans un parc. A l’aide ! J’écris un message au groupe des parents. Je reçois un lien internet, et un message d’un autre papa qui me dit que le jour où il l’a cherchée, il ne l’a jamais trouvée… Ça promet…

’Allez minette c’est parti ! on s’équipe et on y va !’’.
Grosses bottes, chaussettes chaudes, pulls et vestes empilés, bonnets, lampes électriques, saucisses crues, salade de fruits (notre contribution au buffet), vaisselle en plastique pour 3…. Je regrette de quitter un intérieur douillet pour une hypothétique cabane humide et froide dans la nuit d’une forêt mouillée. « On ne restera pas trop longtemps, hein ? ». Pourtant en septembre, à la réunion des parents d’élèves, l’idée du barbecue de Noël m’avait emballée.

Nous trouvons la cabane, dans un coin plus reculé que nous ne pensions. Plusieurs familles bien emmitouflées sortent des voitures. Vite, à 16h30 tapantes nos enfants vont chanter des chansons de Noël ! A travers les fenêtres de plastique de la hutte, des lumignons et des guirlandes de lumière nous guident. C’est charmant. Des mamans attentionnées ont décoré les murs et les tables en bois qui entourent le grand barbecue central. Le feu crépite déjà.  Les thermos de Glühwein sont disposés d’un côté, ceux de punch chaud pour les enfants d’un autre. (Toujours très bien équipés côté matériel de pique-nique les Allemands, ils ont même des boites en plastique spéciales-gâteaux avec des poignées). Et c’est parti pour des grillades dans la nuit, toutes saucisses alignées sur un mètre carré de grille suspendue au-dessus des braises et sur l’air de Feliz Navidad ! Ca sent la fumée et parfois les yeux piquent ! Extra !

Demain, nous retournerons sans doute au grand marché de Noël de Mainz, au pied de la cathédrale. Dépaysant (pour nous) et gai, surtout de nuit dans ses mille lumières. De quoi oublier les jours bien plus courts qu’à Lyon à la même période. En ce moment l’école commence et finit presque dans le noir.

En Allemagne, l’effeuillage du calendrier de l’Avent nous emmène de lumière en plaisir. Que nous réserve le calendrier de l’après ?