Délai d’accès à la vaccination & fanatisme autour des tests rapides. C’est plus violent qu’on ne le pense.
Voici un article commencé comme un billet d’humeur bref. Au fil des mots j’ai découvert que j’avais plus de choses sur le cœur que je ne le pensais.
Comme on dit en Provence, je suis colère contre la pandémie. Vous l’aurez compris. Je dirige mon ire contre ses parties émergées : la vaccination-mirage et la test-mania de mes concitoyens.
Je viens de lire un article de femmexpat.com sur la vaccination en France des Français résidents à l’étranger. Je me pose la question depuis qu’en France c’est open bar de l’injection (sous réserve de trouver un créneau). Seule la quarantaine au retour à Mainz a empêché mon évasion sanitaire.
Sur le site de Rheinland-Pfalz, je guette tous les jours l’ouverture des priorités. Des amies encourageantes m’avaient dit : « Sois patiente, ce sera pour juin ». Début juin, que nenni. Ça n’a pas changé depuis le 23/04. Les règles sont les mêmes : hors professions sensibles, priorité à tout le monde sauf aux non-salariés. Le message reçu n’est pas très valorisant. Si vous n’avez pas d’employeur vous n’êtes rien. Ne peut-on exister que par rapport à autrui ?
On n’est pas à un jour près non. Mais les choses se précisent : l’Espagne ouvre ses frontières aux touristes vaccinés. La ségrégation à l’immunisation ne fait que commencer. Peut-être qu’en août un tampon bien placé conditionnera l’exemption de quarantaine au retour de France ?
En arrivant pour nos vacances dans la vallée de la Moselle nous avons eu la surprise de voir levée l’obligation de présenter un test négatif pour s’attabler en terrasse. Ça nous a permis de redécouvrir le bonheur de se faire servir dans un joli cadre. Le masque n’est plus obligatoire dans les rues. Juste entre le trottoir et sa table de restau. Beaucoup de naturistes du museau se promènent dans les quartiers très touristiques. Nous avons fait le choix de garder le masque, mais on refuse de se faire tester à tout bout de champ sans raison. Etre à l’intersection de trois pays permet de comparer les politiques et leur pertinence. Ou alors c’est juste mon côté indiscipliné : plus on me demande de faire un truc moins j’en ai envie.
L’enthousiasme ici pour le dépistage rapide est incroyable : les centres de tests drainent un monde fou. Ils ont germé à tous les coins de rue. Des mobiles dans des camions sont garés à côté des cabanes des producteurs de fraises. C’est trendy. « Tu le fais où ton test toi aujourd’hui ? » Nous avons rencontré hier une dame complètement vaccinée qui se fait tester tous les deux jours pour protéger les personnes âgées de son entourage. Honorable mais un peu excessif non ?
Là, je me défoule une bonne fois pour toute, mais au quotidien c’est un sujet que je cherche à éviter. Surtout avec ceux qui bloquent sur la question comme des disques rayés.
Dans le petit village où nous avons logé en Moselle (Trittenheim, 1000 habitants), le jeudi férié de Fronleichnam (Fête-Dieu) il était impossible d’acheter du pain ou d’entrer à l’office du tourisme (curieux ces régions touristiques qui ferment pour les vacances). La queue devant la mairie pour le dépistage comptait des dizaines de personnes.
Nous avons fait une excursion à Bernkastel-Kues, un petit village couru du type Disneyland sur Moselle. Maisons à colombages pimpantes, ruelles du moyen-âge, grande roue et magasins de vin et de souvenirs (acheter des souvenirs ? quel drôle de concept quand on y pense. Un peu comme si on pouvait se donner des souvenirs les uns aux autres. Tiens si je te passe mon enfance, tu veux bien me filer ton adolescence ?). Sur le quai sous les platanes se trouvaient deux centres de tests, avec à chacun, bien espacés, une vingtaine de personnes. Pour manger dans les restaus ? Aucune idée. J’ai eu très envie d’aller interroger les gens qui attendaient. Pourquoi êtes-vous là ? Et pourquoi ne mettez-vous pas de masque dans la foule ?
Entre prévention et délire la ligne a-t-elle été piétinée ?
Un soir, nous avons mangé en terrasse sur les bords de Moselle, le jour de la réouverture post-confinement d’un restaurant charmant. Nourriture délicieuse. Lumière douce, chants d’oiseaux et vue sur les vignobles avec au sommet une petite chapelle blanche visitée dans l’après-midi. Au pied du formulaire à remplir avec nos coordonnées, trois cases à cocher : test négatif / vacciné / immunisé.
Rentrer dans les cases encore ?
Moi qui me suis battue toute ma vie pour entrer dans des cases qui ne voulaient pas de moi… Cela me rend furieuse ce nouveau rejet social passif. Surtout quand on sait pourquoi je ne suis plus salariée aujourd’hui. Pour cause de burn out suite à maltraitance professionnelle.
Pour diner au restaurant pour la troisième fois en trois jours (yeah !), nous avons appelé à la dernière minute : la terrasse était complète. Il restait une table à l’intérieur et le restau a proposé de réaliser un test sur place. Ah ? La restauration est-elle intégrée au dispositif sanitaire ? Nos filles ont insisté. Je l’ai fait à contre cœur.
Je ne suis pas suffisamment motivée pour me rajouter encore des contraintes. J’en ai déjà pas mal à table. Manger avec ma fille ainée est depuis quelques mois infernal. Elle fait attention à son alimentation et nous abreuve de données. J’aimerais juste pouvoir profiter du moment et parler de sujets libres. Bref, diner et déjeuner en paix (pardon, j’ai pas pu m’empêcher). Elle a tapé à la porte de la cuisine du gîte où je m’étais installée pour écrire. « Maman est-ce qu’on pourra emmener le chien ce soir ? » Ben voyons. Pour sursauter dès qu’elle gémit, être en hypervigilance pour qu’elle ne fasse pas tomber le serveur, et prévenir l’aboiement avec une friandise quand une moto passe ? Encore une contrainte ?
La salade de tomates seule dans la cuisine me semble de plus en plus appétissante. Je ferai la cuisine, le service et la vaisselle. Mais personne ne m’obligera à faire ce dont je n’ai pas envie. Ni me rappellera que je ne suis pas comme les autres.
Finalement nous sommes allés en famille au restau. La serveuse nous a vendu quatre tests (5 euros pièce, comme dans les supermarchés – dans un centre, ça aurait été gratuit, mais on s’est décidé à la dernière minute après leur fermeture). Elle nous a installé à table puis finalement nous a demandé d’aller les faire ailleurs (bien volontiers hors de question de s’exhiber dans une posture aussi peu avantageuse, surtout que de procéder à un test in situ alors que tous les autres ont anticipé nous place dans une position sociale vulnérable). Dans le sous-sol, au fond du couloir des toilettes une petite table ronde nous a permis de déballer le matériel. Mon mari et moi n’avions jamais fait de test. Nos filles si, tous les deux jours pendant les quelques jours d’école puis en colonie. Je n’ai pas eu besoin de sortir mes lunettes pour déchiffrer le mode d’emploi : elles nous ont expliqué. Chacun y va de son curetage de nez. Au moins on le fait soi-même sans se perforer le cerveau.
Pendant les x tours à réaliser dans chaque narine, les filles comparent les différents dispositifs (en crachant, avec un coton tige plus ou moins épais…). La petite serveuse blonde habillée et masquée de noir est venue contrôler notre résultat. Elle a collecté nos déchets dans un sac plastique et nous a autorisés à monter à table. Quelques minutes plus tard, elle nous a remis quatre certificats imprimés, valables 24h.
Il m’a fallu un moment pour me détendre. Comment apprécier la sortie au restau quand on passe les premières vingt minutes à ne pas savoir où se poser et à se faire contrôler ? Je ne savais plus où j’en étais. Garder le masque pour manger ? J’ai dû trop me détendre, suis allée visage découvert au bar à salades. Me suis fait gronder.
Aux infos régionales dimanche sur le site de SWR j’ai appris avec soulagement qu’en Rheinland-Pfalz la vaccination était ouverte à tous les adultes à compter de lundi 7 juin. E N F I N ! Levée aux aurores, j’ai tâché de battre les Allemands à leur propre jeu : être la première à réserver (on peut toujours rêver, d’autant que les listes d’attente pour les groupes précédents ne sont pas éclusées).
Le site officiel noie le lecteur de détails. Ce que je prends pour un lien vers une page d’inscription télécharge en PDF le schéma du processus. Je ne trouve pas de lien. Je dois passer par Google pour accéder à la page souhaitée.
Ai-je déjà mentionné la passion germaine pour la paperasse bavarde ? Les informations administratives allemandes sont un labyrinthe (oui pire qu’en France, c’est dire). Une preuve : les sites officiels proposent (de façon fort intelligente d’ailleurs, étant donnée la proportion d’immigrés dans le pays) une version en langue simplifiée. Tout le monde n’aurait-il pas à gagner à se contenter de celle-là ?
J’inscris donc mes coordonnées avec un vrai bonheur (où se niche-t-il ces jours-ci) et réponds au long questionnaire médical (Avez-vous de la fièvre ? Euh, aujourd’hui non, mais si je suis convoquée dans un mois comment savoir ?). Inscription. Youp la boum ! Je recevrai d’abord un mail puis une confirmation par la poste. Par la poste ?
Rien n’est gagné. Quelqu’un de notre entourage a attendu 6 semaines entre son inscription et le mail de proposition d’un rendez-vous. Et il était dans le groupe prioritaire. Mon mari s’est inscrit depuis plusieurs semaines et n’a reçu aucune convocation. Dans 6 semaines commencent les vacances d’été : nous partons en France. Le casse-tête est loin d’être terminé.
Me voilà sur une liste d’attente quelque part dans la nébuleuse informatique. J’ai un numéro de matricule. Avec un bon mois de décalage sur la France, et deux sur l’Angleterre et mon impatience, je suis rentrée dans le canal commun.
L’attente sera moins violente.