Comme un mois de décembre

Marché de Noël de Mainz, souffrance des ados et anniversaires mi-décembre.

Prenez un manteau chaud, des chaussures confortables, un bonnet, votre téléphone avec votre pass sanitaire et votre carte d’identité. Je vous emmène au marché de Noël de Mainz.

Ça vous va si on se gare derrière le théâtre ?

Tous les pas se dirigent vers le grand sapin de Noël. A ses côtés, sous des spots qui passent du rouge au violet, le Staatstheater entre en scène spectral et vaguement menaçant. Des lumières projettent sur le sol le portrait de Gutenberg, un message de bon noël, et les Rois mages avec la distanciation sociale de rigueur.

Dans le sud de l’Allemagne, plusieurs marchés ont été fermés pour raison sanitaires. A Mainz, pour l’instant il est ouvert. Un système malin a été mis en place : attribution après contrôle individuel d’un bracelet de couleur. Il s’obtient soit à l’entrée principale, au pied de la cathédrale, soit dans de petites cabanes des rues commerçantes. Un vigile l’autre jour m’a dit : Ah Französin ? Willkommen in Mainz !

Depuis la mise en vigueur du dispositif 2G, les bracelets sont le sésame coupe-queue pour entrer dans un magasin. Le fast pass comme m’a dit une amie. Il ne sert à rien de tenter de gruger. Chaque stand contrôle les poignets avant la transaction. Si besoin, il peut aussi en distribuer, moyennant le même contrôle.

A l’entrée du marché de Noël, la pyramide géante de bois est décorée de personnages de Mainz : un joueur de foot du Mainz 05, un petit bonhomme de la chaine de télé ZDF.

Les jours d’ouverture sont-ils comptés ? La joie d’être venue en est grandie.

Au premier regard, le marché semble identique à celui d’il y a deux ans, principalement des cabanes pour manger et boire (Glühwein – vin chaud – pour les adultes et Fruitpunch pour les enfants – jus de fruit chaud et épicé) et de de l’artisanat régional de qualité.

Peut-être un peu moins de stands. Tiens là avant se trouvait le vendeur de Kaiserschmarn (spécialité autrichienne : lanières de crêpes aux raisins secs couvertes de sucre glace, mangé avec de l’Apfelmus – compote de pommes. Délicieux. Tient parfois lieu de plat principal à la cantine de mes filles.).

De la colonne de pierre antique au centre de la Liebfrauenplatz partent des guirlandes de lumière, en un chapiteau brillant. D’autres s’accrochent aux branches des platanes. Le manège illumine le vieux puits Renaissance. A dix-huit heures les cloches de la cathédrale saint-Martin carillonnent de longues minutes. Je lève la tête mais bien sûr ne les vois pas. Oh tiens la lune là entre les nuages.

Les Mainzer se retrouvent en petits groupes, avec à la main la tasse bleu nuit étoilée du Glühwein. On n’entend que de l’allemand. Il ne semble pas y avoir de touristes.

Ciel noir, lumières. On avance en se cognant un peu à des silhouettes masquées. Au fil des pas les odeurs changent. Là, la piquante fumée de barbecue, plus loin vin chaud, crêpes ou friture. L’air pince les doigts.

Contre le flanc de la cathédrale, la crèche se contemple derrière une vitrine, à partir d’une estrade. Tiens le petit Jésus est déjà arrivé.

Du côté qui descend vers le Rhin, un village de grands tonneaux-cabanes permet de boire et manger assis. Les créneaux se réservent longtemps en avance. Ma fille y a été invitée pour l’anniversaire d’une amie. Alors que je les prenais en photo, un type dedans a dû se sentir visé, il a tiré sur le rideau à carreaux du fenestron.  

Notre première venue nous a laissé une impression douce-amère de communion autour du Glühwein et des Bratwurst. Une célébration à ciel ouvert juste pour le plaisir d’être ensemble.

Après une matinée de shopping, j’y retourne avec une amie pour un déjeuner sur fond de ciel bleu dans l’ombre de la cathédrale. Calme. Pas de lumières. Elle me signale le magasin de décorations de noël en bois Käthe Wolfahrt qui propose des classiques de grande qualité. Oui il me semblait. La petite crèche en bois en demi-cercle en 2D était à 60 euros. Plusieurs clients attendent pour entrer. Ils sont implantés dans le gros village de Rothenburg ob der Tauber qui mérite le déplacement paraît-il.

Envie d’y revenir en famille pour manger sur place.

Le samedi suivant à la tombée de la nuit, ça grouille. L’ambiance est beaucoup moins agréable. Plus ‘’groupes en beuverie’’ malgré les poussettes et les enfants. La queue pour les stands de viandes grillées s’étire dans la foule. J’opte pour un wrap de saumon grillé au feu de bois sur place. Nous nous faufilons derrière les cabanes. Dans une clairière de stands il est possible de s’arrêter de marcher pour manger.

Ma benjamine pose son assiette de Currywurst Pommes sur le bord de la maquette métallique de la cathédrale avec légendes en Braille. Je finis mon sandwich parfumé au raifort et à la moutarde au miel et à l’aneth. Pas mauvais. A proximité de nous deux jeunes femmes boivent du vin chaud dans des gobelets de terre cuite. Le thermos jaune prêté par le bar des tonneaux est à leurs pieds. Le froid mord moins que la semaine dernière.

Une famille de trois finit une Bratwurst dans un Brötchen, le hot-dog allemand (probablement l’ancêtre de l’américain). Je n’entends pas ce qui se dit. Mais aux gesticulations du père, à son doigt pointé avec insistance vers la tête de son grand fils je comprends qu’il lui demande s’il y en a là-dedans. Son visage et sa mâchoire sont crispés. Il semble lutter pour retenir ses éclats de voix. Entre les deux, la mère ne dit rien. Le jeune homme non plus.

Je ne peux pas m’empêcher de regarder. C’est insolite cette tension sous les lumières de Noël.

-Ça a l’air de barder, je dis à ma grande.

Elle me répond :

-T’a vu, le jeune il a des écouteurs.

Ah oui, donc il n’écoute pas son père qui s’escrime à essayer de lui faire passer un message. En public, il a choisi la fuite passive. Provocation et lâcheté. Ah, l’adolescence ! Grr l’adolescence !

Ça me rassure un peu.

L’après-midi même j’avais pété un plomb avec la mienne d’ado. Elle aussi sait très bien me montrer sans ouvrir la bouche que ce que je lui dis ne l’intéresse pas. (Je me souviens de moi au même âge et je suis assez reconnaissante qu’elle ne suive pas les traces de sa mère). Quand on passe du côté parental, on se rend compte de la réalité des choses. Il n’y a pas de mode d’emploi universel genre video Youtube Eduquez votre ado en moins de dix minutes. On ne fait jamais que le mieux possible. L’apprentissage s’acquiert un jour après l’autre. Chaque enfant est différent. Nous sommes pour chacun une maman ou un papa différent.

Je m’en veux de ne pas être plus patiente. En même temps – c’est pas pour m’absoudre ni me justifier – dans son bouquin sur les parents hypersensibles, Elaine Aron explique bien que si les limites sont dépassées le monstre rugit. Et les limites sont si vite dépassées… (Elle a aussi écrit un livre sur l’éducation des enfants hypersensibles. Chez nous ces deux sujets se heurtent et s’amplifient mutuellement).

Foule, bruit, agitation, cacophonie lumineuse.

D’un coup j’en ai ras le bol.

Bon on a fini on s’en va ?

Quand je dis cela, les miens savent qu’il faut se dépêcher.

Après deux ans d’incertitudes menaçantes, la santé psychologique des ados est catastrophique. Celle de tous sans doute mais les jeunes accusent encore plus le coup. Cet été j’ai lu que la sécu française avait mis en place un soutien spécifique pour eux. Une dizaine de séances de psy sont prises en charge. S’il est possible de trouver des rendez-vous.

Abstand bitte !

Ici le désastre est amplifié par six mois d’école à la maison en 2021, en plus de la dose de 2020 quasi universelle. SWR annonçait la semaine dernière que les services psy pédiatriques de Rheinland-Pfalz étaient débordés. Les mamans avec qui j’en parle me confient les difficultés de leurs enfants. A demi-mot, différents maux psychosomatiques. L’aide sera disponible, oui peut-être, dans six mois. Les listes d’attente s’allongent. Comment ne pas se sentir seul et dépassé ?

Dans notre échantillon familial, nous le constatons. C’est vraiment dur.

Deux ans de covid, à 14 ans c’est 1/7ème de la vie. A 11 ans, 18%. Presque 1/5ème de la vie. (Oui je révise les fractions avec ma benjamine ces jours-ci pour une interro. Bien sûr, comme les autres sujets de maths, elles s’enseignent différemment en allemand. J’essaie en vain de placer le PPCM et le PGCD*).

Notre mois de décembre familial est excitant et épuisant. Les filles sont nées à une semaine d’écart sur la deuxième quinzaine. Entre les Plätzchen (sablés de l’Avent) et les supports de bougies, je fais des gâteaux tous les jours. Pour éviter l’implosion de leur mère, depuis quelques années je leur avais demandé de séparer leurs fêtes avec les copains. Une fin novembre / début décembre, l’autre en janvier.  L’étalement des réjouissances égayait la grisaille du début d’année.

En 2019 ma benjamine a pu accueillir ses copines dans une salle d’escalade indoor. Ma grande a choisi une séance d’accrobranche sur les hauteurs de Wiesbaden à Neroberg. Les invitations ont été dessinées avec soin. Rendez-vous était pris pour mars 2020 à la réouverture printanière.

Vous l’avez deviné : voilà trois ans que ma fille n’a pas pu fêter son anniversaire.

Trois ans à 14 ans c’est beaucoup trop. (Je vous épargne les fractions.)

Cette année ça a l’air de pouvoir se faire (moyennant tests et tutti quanti du 2G+). Et même avec des invités garçons. Leurs fêtes se suivent, heureusement hors nos murs (laser game, escape game). Croisons les doigts encore disponibles, serrons le deuxième pouce.

En fond de tout cela, les préparatifs de Noël s’accélèrent. Envoyer des colis, commander des cadeaux, non pas sur le grand méchant A si possible maman. T’es sûr ? Ce serait plus simple. Trouver des idées qui plaisent, n’encombrent pas et ne pèsent pas lourd.

Cette année, mon plus grand souhait serait de recevoir en cadeau du vide.

Objets triés. Tâches envolées. Contraintes effacées.

Tout ce rien bien emballé avec des rubans.

J’ai sorti mon stylo Bic qui marche et mon plus joli bout de papier qui traine et je commence :

Cher Père Noël, cette année je voudrais une gomme magique.

Une qui efface les erreurs, les engueulades avec ma fille et les grosses fôtes.

PS : Combien de gâteaux avons-nous fait pour ce humming bird cake ? Deux ? Non, trois. Notre chienne Gaïa ne vous en dira pas plus.

*Pour nos amis allemands et les francophones qui comme moi ont un souvenir vague : PGCD = Plus Grand Commun Diviseur. PPCM = Plus Petit Commun Multiple.

Doutes et incertitudes

Aller-retour au consulat de Francfort, corona-contraintes en hausse… La Bratwurst reste une valeur sûre.

Notre couronne de l’Avent

Alors nous y revoilà. Je ne vous fais pas un dessin.

A la période de l’Avent, l’Allemagne déploie son charme. C’est elle qui a inventé le sapin illuminé. Couronnes de branchages avec quatre bougies, décoration des maisons, lumières dans les jardins. Avec la fermeture programmée de certains marchés de Noël, l’avent 2021 a commencé dans une ambiance douce-amère. Si on veut revoir celui de Mainz on a intérêt à se bouger.

L’épidémie repart de plus belle. Le taux de personnes vaccinées plafonne en Allemagne fin novembre à 68%. La perplexité concernant le vaccin me surprend. Douter ? Un Allemand ? D’habitude ici c’est oui ou c’est non. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas une règle ? Ça va le devenir. Le nouveau chancelier étudie la possibilité de rendre le vaccin obligatoire à compter de février.

Rheinland-Pfalz passe samedi 4 décembre en 2G+ : vaccin ET test pour toute activité en intérieur (restau, ciné, musée etc…). Comme avant le vaccin en fait. Dimanche pour le concours de gym de ma plus jeune j’ai joué le jeu (le club avait de l’avance sur le dispositif). A l’entrée du gymnase un p’tit jeune assis derrière une table a exigé de moi : mon certificat de vaccination, ma carte d’identité, mon résultat de test et ma connexion à LUCA (l’application où on déclare sa présence à un endroit) … Franchement, ça m’a un peu saoulée.

Les annulations tombent. Ce matin mail du collège : le Jugendmaskenzug de Fastnacht (défilé des jeunes pour carnaval) n’aura pas lieu. La journée de fabrication des masques calée pour les élèves en janvier non plus. Les feux d’artifice de la Saint-Sylvestre sont interdits (comme l’an dernier, mais à minuit des pétards avaient quand même éclaté).

Air de déjà vu, de déjà pas aimé.

Pourvu, pourvu qu’ils ne nous ferment pas les écoles.

Merci de croiser les doigts / serrer les pouces.

La France exige le troisième rappel dans un délai serré sans proposer l’infrastructure nécessaire pour tenir l’échéance. Un peu fort non ? J’ai trouvé sur Doctolib un créneau à Metz. Prévoir de passer la frontière est aléatoire.

L’Allemagne encourage ce nouveau vaccin mais le dispositif reste aussi rétro et lourdingue qu’au printemps. Soit faire la queue à un bus pendant des heures, soit s’inscrire en ligne en remplissant un formulaire de douze pages et espérer que le rendez-vous attribué d’office dans deux mois conviendra. Doctolib est un logiciel franco-allemand, mais je ne l’ai jamais vu utilisé ici. J’ai découvert sa double nationalité par hasard, lors d’une crise personnelle de râlerie sur la lourdeur administrative germaine (oui c’est pire qu’en France, c’est dire).

La France où nous avons posé un pied hier. Et où l’administration, merci à elle, a été très sympathique. Comme quoi à l’exportation elle se bonifie. Nous avons fait un aller-retour express au consulat français de Francfort pour faire renouveler des passeports. Sortie à l’aube dans la nuit froide, achat des tickets de tram et de train à la dernière minute (pourquoi ces fichues applications ne permettent-elles pas l’anticipation d’achat ?) Heureusement nous avions un guide personnel. Une amie travaille dans la rue du consulat et nous avons fait le trajet ensemble. Le train est presque vide. Le métro de Francfort aussi. Epoque bizarre.

En deux stations nous y sommes. L’adresse est charmante : Zeppelinallee, en face du Palmengarten (‘’jardin des palmiers’’, le jardin botanique). On reviendra le visiter et jeter un œil au Senckenberg Museum, le musée d’histoire naturelle, tout près. L’avenue plantée d’arbres, aux grandes maisons bourgeoises face au parc me rappelle le boulevard des Belges à Lyon, où les consulats donnent directement sur le Parc de la Tête d’Or. Souvent Francfort évoque Lyon. Leur jumelage leur va bien.

Après le consulat d’Indonésie aux photos aguichantes voici le nôtre. Les drapeaux français et européen attachés à l’étage ne flottent pas. J’essaie de prendre une photo mais ça ne rend pas. Avec toutes les caméras, je m’attends à me faire interpeler. Le vigile est une dame allemande qui ne parle pas français. Elle coche nos noms sur la liste. Puis nous fait passer la grille. Porte noire, ifs, ambiance verte et humide, bow windows… ça me rappelle Londres pas toi ?

9 heures. On est un peu en avance. On attend dehors.

Un homme encore jeune vient nous chercher. Efficace, sympathique. Il enregistre nos demandes et nos empreintes digitales.

-On les aura quand monsieur les passeports ?

-Entre deux et quatre semaines. Nous n’avons aucun poids sur les délais.

-Ah. Ils sont faits où ?

-A Douai.

L’envoi par la poste nous a été déconseillé car plus long. C’est dommage. Je me suis cassé la tête pour acheter le format d’enveloppes recommandé avant que mon mari corrige mon interprétation de son écriture : pas 29 cm, 20 ! Pour le retrait, le rendez-vous en fin de matinée sera rapide. Il faut venir avec l’enfant de plus de douze ans pour le contrôle des empreintes.

-Ah bon, donc je n’ai pas besoin de lui couper la main ?

-Non non la main doit être attachée au corps.

Ah, ah. Ben quoi j’essaie de créer un peu de lien. Mes filles me reprocheront le soir cette plaisanterie médiocre.

-T’imagine s’il n’avait pas compris que tu blaguais ? Tu te faisais arrêter !

-Oui c’est ce que je me suis dit un peu tard.

Il est des lieux où il vaut mieux se retenir. Avec un interlocuteur allemand je n’aurais pas osé. Le degré de compréhension local par défaut est le premier. C’est culturel. Un réflexe à prendre pour les étrangers. Hard pour le sens de l’humour anglais.

Le monsieur vérifie notre inscription sur les listes électorales. Pour les présidentielles nous pourrons voter à Mainz, à l’Institut Français. Ou en ligne peut-être. Le consulat testera le dispositif en janvier avec un scrutin factice. Je me suis portée volontaire. Ils ont besoin d’un échantillon le plus gros possible. Si vous êtes Français en Allemagne, et que ça vous dit…

C’est tout bon. On peut y aller. M. Macron sourit sur la cheminée. Les affiches du couloir sont en français. En un pas on quitte l’hôtel particulier et la France pour l’Allemagne. Sensation curieuse.

Les prochaines semaines nous allons guetter les mails du consulat. Pour savoir quand on y retournera. Et découvrir la tonalité de nos vacances de Noël. (Pourquoi dit-on vacances pour cette période hyper chargée ?)

Activons tous nos gris-gris.

ZAZ et Carla Bruni à l’affiche.

On savait qu’on devait y passer à cette expédition. On avait retardé parce qu’on avait mieux à faire et surtout parce que cela obligeait à faire sauter l’école aux enfants. Elles s’en sont plaint : en raison de profs absents, elles auraient pu commencer plus tard.

Sur le trajet vers le métro, on se plante un instant devant une colonne d’affiches de spectacle. Ceux à l’Alte Oper de Francfort font envie. Si on est coincés en Allemagne à Noël, restera-t-il des places ? J’en doute. Ma fille photographie le concert de Justin Bieber annoncé pour 2023. Moi ceux de chanteuses françaises. Madame la présidente Carla Bruni passe à Francfort. Enfin… doit passer. ZAZ à Mannheim. L’autre jour au rayon musique d’un grand magasin son CD était diffusé. Elle est très populaire ici. C’est d’ailleurs mon amie de Cologne qui me l’avait fait connaitre lors d’une visite à Lyon. J’avais bien accroché et elle m’avait laissé le CD. Moi aussi je serai toujours la môme des chemins, la petite fille des herbes folles qui se casse la gueule et qui rigole.

Francfort depuis le train. Si, si au loin.

Retour à Mainz. L’horloge de la gare affiche midi.

Ma grande fille saute dans le tram pour rejoindre ses cours. Elle ira à la cantine à 14h (14 heures !). Sur le parvis, des petites cabanes de bois échappées du marché de Noël de la vieille ville proposent des snacks. Une Bratwurst Pommes ? Yes. Currywurst pour ma plus jeune. Elle déjeune avec nous avant de rejoindre le collège. Son créneau de déjeuner est plus tôt.

Pas encore trop de queue à la cabane. Une grille ronde suspendue au-dessus d’un barbecue accueille des saucisses de toutes les tailles. Même d’un demi-mètre. On essaie d’éviter la fumée que le vent rabat sur nous. En voyant les jeunes devant nous sortir leur portable et leur pièce d’identité, mon mari fait mine de partir. C’est un peu trop non ? on mange dehors après tout ! Je suis mieux disposée. Je sors ce qu’il faut. En France, c’est contrôlé avec une application sans pièce d’identité. Ici c’est à l’ancienne et exhaustif. La dame lit mes documents attentivement. Ça a l’air de lui convenir. Elle ne tique pas sur le texte en français (ce qui arrive souvent). Elle me remet un pass, un bracelet jaune fluo. Si je veux passer ma journée au marché de Noël je n’aurai pas d’autre contrôle.

La Bratwurst brûlante couverte de moutarde un peu sucrée, dans un Brötchen (petit pain) est délicieuse. Les frites croquantes très salées et épicées. La Currywurst de ma fille (la même saucisse découpée en tranches avec un appareil exprès s’il vous plait) est servie sur une assiette en carton. Elle baigne dans une sauce tomate au curry. Je ne résiste pas j’y trempe une de mes frites. (Si vous voulez essayer : ketchup + curry + un peu de cumin. Très bon avec les côtes de porc).

Mon mari remarque : en France ou en Angleterre, on n’achèterait jamais des saucisses grillées sur un bord de route. Non. Mais en Allemagne, c’est un must. Et c’est très bon.

Le type dans la cabane d’à côté s’ennuie. A cette heure-là le Glühwein (vin chaud servi dans des tasses en verre consignées) n’attire pas le chaland. Sous son bonnet rouge à pompon blanc il fait la gueule. Son stand diffuse des chants de noël en allemand.

Enseigne : crêpes françaises

Mes pieds commencent à geler. On rentre ?

Nous avons pris la décision difficile de renoncer à un week-end à Sarrebrücken où nous devions retrouver des amis français. Corona cata, stress scolaire (et ambiant) des enfants (et des parents). Je ne sais pas vous, mais décembre sur mon échelle de stress est un mois qui crève le plafond. Malgré le bonheur à revoir les copains, il est important de freiner un peu. Voilà un bon côté de l’incertitude, obliger à renoncer.

Demain le 4, on plantera les lentilles de la Sainte-Barbe, tradition provençale. On décorera la maison. On est un peu à la bourre : ici c’est fait pour le premier dimanche de l’Avent, avec la couronne (pas le sapin qui attend la dernière minute). On a de quoi bricoler des décorations en papier, macramé, branches et pâte autodurcissante. On passera du temps dans la cuisine à patisser des Plätzchen, petits sablés de Noël.

Ma fille a déjà fait des Zimtsterne (étoiles à la cannelle). Pour les amandes et noisettes en poudre, c’était pas gagné. Quand on a besoin d’un ingrédient saisonnier, tout le monde est déjà passé avant. Les magasins entretiennent cette course : aucun réassort. Pourquoi renoncent-ils ainsi à du chiffre d’affaires ?

Mais qui est ce on si occupé ? (Ma tante institutrice disait : on pronom imbécile mis pour celui qui l’emploie). Et nous qui pensions retrouver du temps libre avec une annulation de dernière minute…

Le Christmas Cake fait par mon mari est bien emballé sur le micro-ondes. Ça sentait trop bon les épices chaudes et le gâteau dans la maison. Chacun a donné un tour de cuillère à la pâte lourde de fruits secs. Les filles ont glissé deux pièces de 1 livre. Porte-bonheurs minuscules. Nos calendriers de l’Avent ont été remplis avec des munitions anticipées : chocolats anglais et papillotes rapportés de France (pourquoi ne mettent-ils plus les pétards dans les papiers ?). Ici les mamans cachent de petits cadeaux. Pour nous les bricoles seront dans les stockings le 25 au matin.

A Mainz ou à Londres ? Les paris sont ouverts.

A ajouter au casse-tête : trouver des idées de cadeaux légers… Si on part, ce sera en train et chargés. Et sinon, nous viserons à limiter le coût de l’envoi. (Les colis pour l’Angleterre ont doublé avec le Brexit.)

Je veux y croire.

Ou alors je nage en plein déni.

Je vais aller me faire un thé. Quand il fera un peu moins froid, j’apporterai les poubelles au local. Je prendrai mon sac à main en cas de contrôle inopiné de mon statut vaccinal.

Je vais installer un QR code à la salle de bains pour contrôler le temps de présence. Au-delà de deux heures la lumière s’éteindra. Cette pandémie, ça donne plein d’idées.

Courage les amis.

Om y cron, pardon, on y croit !

Une idée cadeau pour les Mayençais : Mainz Kocht. Ce livre de cuisine est édité par Nimmerland, chouette librairie pour enfants (et parents) de Mainz : recettes préférées des habitants et superbes illustrations de Paula Stein artiste locale. Devinez quelle recette j’ai donnée ?

Autres idées à la charmante boutique d’une créatrice devenue copine : Sonnstagskind.

De Mainz à Metz le 11/11

Vivre le 11 novembre des deux côtés de la frontière.

Le 11/11 à 11h11 vous vous souvenez ?

Oui, c’est l’ouverture de la 5ème saison. Die fünfte Jahreszeit. Le lancement du carnaval : à Köln on dit Karneval, dans le sud Fasching, à Mainz, Fastnacht.

Ça se passe dans la vieille ville, tout près de l’Institut Français, sur la Schillerplatz. La première année, nous y sommes allés avec de nouveaux amis. (voir article : Décalage horaire) Foule déguisée, bière à gogo, décompte depuis un balcon. HELAU, HELAU, HELAU ! La foule scande le salut officiel de Fastnacht en saluant trois fois de la main droite. Nous on a fait pareil, avec un arrière-gout amer. Notre expérience du 11/11 diffère grandement. Jour férié, calme et rues vides, commémoration de l’armistice de la première guerre mondiale, dépôt de gerbes devant les monuments aux morts. Qui penserait qu’il s’agissait d’une guerre entre ces deux pays ?

Le supermarché de Fastnacht

La foule bourrée, la cacophonie POUET POUET, les couleurs criardes, euh… c’est pas mon truc. Une fois par curiosité je veux bien. Je m’achète une libération pour les fois suivantes : c’est bon, j’ai déjà fait. Donc la deuxième année, impasse. La troisième, j’y suis allée. Je ne risquais rien : en plein covid les festivités étaient annulées. Mais je voulais voir si certains (autres) allaient se pointer. Oui. Quelques inconditionnels déguisés et un journaliste avec son cameraman.

Le train partait juste avant midi. J’ai hésité à faire un tour Schillerplatz avec ma valise et mon appareil photo. Petite vérification en ligne : l’accès est réservé aux 2G (vaccinés, guéris). OK ça, ça va. La vieille ville sera barricadée, l’entrée se fera avec un ticket. Ah ? L’accès sera ainsi limité à 7500 personnes au lieu des 11.000 (quand je vous dis qu’il y a du monde). On est rassurés. Côté distanciation sociale c’est bon. L’alcool désinfecte et les masques FFP2 protègent les mille-feuilles humains.

(Les chiffres du Covid montent en flèche en Allemagne, en Rheinland-Pfalz en particulier. Le taux de vaccination plafonne assez bas).

Cette année, j’avais un programme perso bien intéressant. M’échapper à Metz avec une amie franco-allemande pour aller voir Olivia Moore sur scène. Oui j’adore rigoler. Les humoristes devraient être remboursés par la Sécu. Je l’ai découverte dans un documentaire d’Arte (un autre péché mignon) sur le rire en temps de pandémie. Intelligente et très drôle. (Par ici pour un p’tit tour sur ses vidéos. Y’a en même une intitulée : c’est pourri d’être hypersensible. Ma fille m’a dit : “on dirait toi”).

Bon. Coup d’œil par la fenêtre. Brume blanche qui coule dans les os. Froid glacial. Mmmm… finalement j’irai directement à la gare.

La ligne de train qui rejoint Mainz à Saarbrücken est très belle. Après Ingelheim au bord du Rhin, elle plonge vers le sud et longe la rivière Nahe. Modestes gorges autour d’Idar-Oberstein et son église enchâssée dans la falaise. Hérons, (et pas de petit patapon, rhô pardon), canards, chevreuils à la croupe blanche. Par chance, pendant qu’on serpentait le long de la rivière, le soleil a percé. L’ambiance a changé complètement. Après le Tupperware au fond du frigo, le pique-nique d’automne les yeux fermés pour absorber du soleil.

Dans un village perdu, deux hommes et une femmes sont montés. Age moyen, gros bidons, bière à la main, déguisements officiel des membres des clubs de carnaval. Les messieurs ont quitté trop vite leurs chapeaux rouge-blanc-bleu-jaune.

Arrivée à Sarrebrume, pardon Sarrebrücken. Changement de train, sur le même quai mais qui change de numéro au bout. Faut le savoir. Le TER qui passe la frontière n’a qu’une seule voiture. Un jouet Playmobil. Pourtant y’a du monde, même un jour férié. Dès Forbach on est en France. La brume glacée nous suit. Tu vois copine, c’est ce temps là dont j’avais horreur quand j’ai vécu à Reims pour un stage chez Pommery. Deux mois de ciel blanc et d’os glacés.

En février j’avais appelé à la maison en Ardèche :

-Allo maman ça va ?

-Oui, oui il fait un temps magnifique. On jardine en T-shirt. Les mimosas sont en fleurs !

Le lendemain j’ai osé demander à mon chef un jour de vacances pour descendre voir le soleil ! Prenez la semaine, il m’avait répondu.

Gare de Metz

Metz et sa gare imposante, un héritage germanique. Elle a été construite au début du XXème siècle, pendant l’annexion de la Moselle pour servir les ambitions militaires de l‘Empereur Wilhem II. Verrières arrondies. Poussez la porte de la FNAC pour admirer les lustres gigantesques, art déco. Statue du général de Gaulle sur la place. Remontée à pied vers la cathédrale, un trajet de 20 minutes même quand on ne s’égare pas.

Fini le carnaval. La plupart des magasins sont fermés. Les rares boutiques ouvertes sont vides. Des passants déambulent. Un monsieur en petite locomotive vend des marrons grillés. Sur les places, des cabanes en bois rouges et vertes sont installées. Le marché de Noël doit être superbe ici. Nous n’avons qu’une envie nous mettre au chaud. Et trouver où manger un jour férié ET à 18 heures. Notre bus pour les faubourgs perdus part à 19h20. En Allemagne, diner à 18h c’est normal. En France c’est subversif.

Vitrail de Chagall – Metz

Dans la cathédrale, la brume a éteint les vitraux de Chagall. (Eh, oui les Messins comme les Mayençais ont des vitraux de Chagall). La pierre de Jaumont (calcaire avec de l’oxyde de fer) avec laquelle la ville est construite reste blonde. Le grès des bâtiments germaniques, gris.

Petite promenade dans la vieille ville, dans une ambiance mystérieuse.

La brasserie qui ‘’sert à toute heure de midi à minuit’’ ferme sous nos yeux. On ose à peine pousser la porte de la pizzeria voisine. Euh tu crois que c’est trop tôt ? On espionne à travers la vitre l’accueil donné à un vieux monsieur à barbe jaunissante. La serveuse lui propose une table. C’est bon. Après une pizza moyenne, on poireaute à notre arrêt de bus en tapant des pieds pour nous réchauffer. Bus bondé, les gens rentrent chez eux. Virages dans la nuit, d’un côté de la voie ferrée, de l’autre. Brouillard. Immeubles. T’es sûre que c’est bien par là ?

La joie de partir la nuit à notre âge c’est que c’est vraiment l’aventure. On n’y voit rien. Difficile de lire l’écran du portable même en sortant les lunettes – toujours un problème dans la rue car il faut les quitter pour marcher. (Il faut choisir entre risquer de les faire tomber ou alors accrocher la petite ficelle autour du cou et les pousser au bout du nez pour regarder par-dessus). Euh, non. Augmenter la luminosité ? Oui mais comment trouver le bouton ? Anticiper le changement ? Impossible, déjà qu’en mode doux, avec le filtre de lumière bleue, je me sens agressée…

La salle est au pied de barres de béton (d’après ce qu’on en distingue). C’est un centre socio-culturel de quartier, hyper dynamique au vu des affiches. Et hop un programme dans le sac pour découvrir d’autres artistes. Je sens un mal de tête qui monte par les épaules et le cou.

Le titre du spectacle Egoïste. C’est rouge. Comme l’affiche.

Entrée en scène.

Elle porte une robe blanche devant, noire derrière.

Olivia Moore à Montigny-lès-Metz le 11/11/2021

Moi d’emblée je branche l’empathie, natürlich. Oh elle a un œil un peu rouge pourvu qu’elle n’ait pas mal. Elle a devant elle un long tunnel de performance sans pause, ça doit être vertigineux. Est-ce qu’elle n’en a pas marre de répéter toujours la même chose ?

Par égard pour vous, je débranche mon monologue intérieur. Retour en direct (différé).

-Ça va la robe ? J’ai dû mettre une gaine pour entrer dedans. Oui j’ai fait trois enfants, et avant de sortir ils ont oublié de ranger deux-trois trucs.

Ah, on va s’entendre.

(La gaine j’ai pas encore essayé, c’est ma grand-mère qui en portait. Moi j’achète des robes plus larges.)

C’est méchant, c’est cruel. C’est injuste et de mauvaise foi. C’est cru. C’est trop vrai. C’est trop drôle. Elle piétine le politiquement correct. Je jubile. Celui-là avec son hypocrisie mielleuse je l’ai en horreur.

Verlan, allusions, sigles… Je ne capte par tout. Je me tourne vers mon amie. Elle non plus. Chez Alfons (avec son allemand de scène à l’accent français) j’ai tout pigé. C’est dingue…. Le langage vit, il change. 3 ans et demi en Allemagne et pof, on perd pied. Le français que je parle ben c’est le mien (donc de plus en plus pauvre) et celui de franco-allemands donc, un français ‘’d’étrangers’’, une langue décollée de la culture de la métropole. (Et puis aussi, je n’ai jamais été parisienne).

Je note que côté dating, je ne suis plus à la page et tant mieux parce que ça fait peur.

Sur la fin, en pleine impro, elle pique un fou rire. Elle publiera le lendemain sur Instagram ”1h50 sur scène ! Montingy-sur-Metz vous m’avez tuée ! ça m’apprendra à rire avec vous” .

Retour en taxi à l’hôtel avec vue sur la cathédrale. La migraine a attendu le retour pour empirer. Merci à elle. Réveil par les camions poubelle (oui la centrale déchetterie de la ville semble être installée juste là). Croissant et tarte au fromage nuageuse.

On serait bien restées pour se balader mais le seul trajet simple pour rentrer à Mainz part en milieu de matinée.

Coup d’œil au marché couvert au pied de la cathédrale pour fantasmer sur le banc du poissonnier et acheter un casse-croute. Retour à la gare, sans s’égarer (ah ah). Quelques achats en route : paracétamol 1000 mg (c’est sur ordonnance en Allemagne), dentifrice Fluocaril, savons Rogé Cavaillès (on a ses petites manies), Elle et Marie-Claire Idées. Petit tour à la FNAC pour admirer les lustres.

Gerbes fraiches devant le monument aux morts de la gare. La dernière fois que je suis passée un voyageur jouait la musique du Professionnel, c’était juste après la mort de Belmondo.

Train retour. L’annonce automatique précise que ‘’la consommation d’alcool est interdite dans le train mais bon voyage quand même” (véridique).

Dans une voiture presque vide quatre gros rustres s’installent juste à notre niveau. Ils font un boucan d’enfer. Le contrôleur les reprend – mais pas sur le bruit : “le masque c’est sur le nez. Même quand on mange.” Et de montrer comment mordre puis remonter le masque pour mâcher. Pour ne pas vexer les lourdauds (franchement ?) on a attendu presque une heure à devoir parler fort. Puis j’ai attrapé mes affaires : Allez viens on s’en va.” Il est enfin temps de prioriser ma santé par rapport à la susceptibilité de gens qui n’en ont aucune. (Comme quoi y’a des avantages à cumuler les années). On a déménagé au calme. On a grignoté notre pâté lorrain sans remonter le masque entre chaque bouchée.

Le soleil renonce à nous saluer en chemin. Lui non plus n’aime pas les ciels blancs et bas.

Arrivée à Mainz.

Soulagement d’avoir échappé à la folie des rues. Je n’en verrai que quelques confettis par terre et des passants avec une écharpe rouge-blanc-bleu-jaune.

On était en France, mais nous aussi on s’est bien éclatées pour le 11/11.

PS : Les photos de Metz au soleil datent de septembre.

Librairie La cour des grands, Metz (article sur cette série)

Doux-amer

Süß und sauer ~ Notre Brexit perso, Halloween, et réapprendre à accueillir.

Drapeau tricolore on avait dit

Hier je vous avais écrit un article sucré sur la pâte de coing et autres considérations alimentaro-culturelles. Ce matin un truc s’est invité chez nous. Comme ça sans frapper, à 7h40. Le Brexit vous en avez entendu parler vous ?

Mon mari, un mug de café à la main : « Pour Noël, faudrait qu’on vérifie si on peut toujours aller en Angleterre avec seulement une carte d’identité. »

Les passeports des filles sont périmés depuis longtemps. Leur renouvellement implique de se déplacer au consulat de Francfort, en horaires de bureau, et donc de faire sauter un jour d’école aux enfants. (La grande, à plus de douze ans, doit aussi le récupérer en personne.) En période de restrictions de voyages, on ne s’est pas précipités, non.

M’enfin on ne peut pas dire qu’on a été pris en traitres.

7h41. Vite, ouvrir le site de l’ambassade française à Londres. Vérifier. « Depuis le 1er octobre 2021 il n’est plus possible de se rendre au Royaume Uni avec une carte d’identité. » EH M*** ! ‘’T’as vu regarde c’est marqué qu’il est interdit d’y partir comme au pair, c’est pour ça que la fille de nos amis n’a pas pu y aller’’. Les conditions semblent plus drastiques qu’avant l’entrée du Royaume Uni dans l’Union Européenne.

Ouvrir le site du consulat. Rien avant le 2 décembre (rien après non plus). Prendre des rendez-vous. Tant qu’on y est, faisons refaire les cartes d’identité périmées. Noter et photographier des numéros interminables. Quatre fois. Dans une Europe à la libre circulation des personnes on oublie que les frontières se franchissent avec des papiers en règle.

Comment avons-nous pu négliger cela ? Le Brexit s’étale depuis des années sur les magazines anglais auxquels mon mari est abonné : Private Eye (sérieux et satirique), The Economist (juste sérieux). Je viens de terminer le roman de Jonathan Coe Middle England sur la société du Brexit (voir nouvelle rubrique Mes lectures). C’est malin. On n’a pas pu voir la famille anglaise depuis deux ans. Mon grand garçon étudie cette année à Leeds. On doit le retrouver à Londres.

Ça sent le Stollen et Noël en Allemagne. J’en connais qui vont hurler ! (moi)

A quelle heure il ouvre le consulat ?

Et Mister Cameron et ses sbires inspirés qu’est-ce qu’ils font en ce moment ? Ils coulent une retraite tranquille après avoir mis tout le monde dans la mouise ? (Vraiment dans la mouise, pas juste pour se demander si oui ou non ils pourront partir en vacances à Noël). Les criminels n’ont pas tous du sang sur les mains.

Restons optimistes. Croyons en la célérité administrative française (euh ?) et en sa capacité à compenser notre négligence.

La France, récemment mise à l’honneur dans le collège de mes enfants avec la présentation officielle de l’Abibac (double baccalauréat : Abitur allemand et bac français). Discours de la direction et d’un représentant de l’Institut Français. Distribution de masques tricolores. Attends fais voir ? Penche la tête sur le côté pour voir. L’Abibac a été vanté devant une classe aux couleurs des Pays-Bas.

Qui a signé le bon à tirer des masques ?

La paperasse, pourtant ici c’est une véritable passion culturelle. La preuve par l’exemple ci-dessous.

Le Rhin à Budenheim

-Ah tiens, t’étais où ?

Mon mari accroche sa veste au porte-manteau qui déborde. Comme il bosse toujours à la maison, je n’ai plus l’habitude de le voir aller et venir sans moi.

-Au garage. Je suis allé chercher la voiture.

-Ah oui c’est vrai.

La voiture a 14 ans. Eh oui. (Japonaise, puisque vous insistez). Il fallait mettre les pneus hiver, et procéder au contrôle technique. On plaisante pas avec la législation.

-Qu’est-ce qu’ils ont dit ?

-C’est tout bon. Mais il y avait une non-conformité au niveau de l’airbag conducteur.

-Ah ?

-Oui y’avait un truc dessus et c’est interdit.

Yeux écarquillés.

-L’autocollant de la Croix-Rouge.

A un feu rouge, un jour, une personne faisait la quête pour l’association. En échange de quelques pièces, elle nous avait remis ce badge, preuve de notre solidarité. Faute de meilleure idée, on l’avait collé juste devant nous : sur le volant. Ça fait des années qu’il y est. Il a déjà passé des contrôles techniques. Il est grand comme un (petit) timbre poste.

-Hi, hi. C’est pas vrai ?

-Si. Ils ont déplacé l’autocollant et établi une fiche avec la non-conformité et sa correction.

Ouf on respire.

Ils sont sympas comme tout au garage, mais la consigne c’est la consigne, que voulez-vous. Allumeurs de réverbère sans Petit Prince.

Mon esprit indiscipliné se rebelle toujours contre le suivi aveugle des règles. (Disons que je suis volontiers les règles si j’en vois l’intérêt et la logique). Sinon je ne comprends pas.

Tout le monde ne cale pas son comportement sur l’acceptation. Il y a deux ans, j’avais accompagné la classe de CM1 de ma fille au siège de la ZDF (chaine de TV). Les élèves marchaient deux par deux sur le trottoir. J’avais du mal à ne pas enjamber les deux mètres de pelouse pour atteindre l’arrêt de tram. Les gamines qui guidaient la troupe n’ont même pas envisagé le raccourci.

Bon.

Au moins c’est fait. La voiture est en règle. Les papiers… bientôt. A l’école, mes enfants apprennent à la suivre (la règle pas la voiture, on les accepte encore dedans malgré les soubresauts de l’adolescence). A la maison, ils révisent les gros mots (en français – en anglais et en allemand ils en connaissent moins).

Sourire crispé.

La vie revit.

Octobre a tiré sa révérence… c’est mon mois préféré avec les couleurs des arbres, le bleu du ciel, l’air frais et les rayons de soleil chauds encore. Le jardin est encore joli, à la prochaine pluie (aujourd’hui) toutes les feuilles seront à terre. Pourquoi le pommier d’à côté est-il encore tout vert ?

Créations familiales

Halloween est passé par ici. Comme il y a deux ans, les gosses du quartier ont défilé dans une ambiance bon enfant. Chaque petit groupe de sorcières et de fantômes, accompagné ou non d’un parent en fonction de l’âge, récitait un petit poème, pour obtenir des bonbons. De garde à la porte, j’en ai entendu au moins cinq différents. Qui le leur a appris ? Leurs maîtresses ?

Mes filles, maquillées et déguisées, se trouvaient trop grandes pour le porte à porte, mais ont fini par craquer. Une dame a exigé :

-Un poème sinon pas de bonbons !

-Euh en anglais on dit juste Trick or treat !

Mon mari le leur rappellera : « Elle n’a rien compris à Halloween la dame. Le chantage c’est dans l’autre sens. »

Dans l’après-midi (à la dernière minute donc) j’étais allée au supermarché avec ma plus jeune pour acheter des bonbons. Impensable d’attaquer les stocks de Carambars et Dragibus rapportés de France. A la vue du choix limité en sucreries emballées individuellement, je me suis écrié « Ah là là ces Allemands, pourquoi ils sont toujours décalés ? » Chaque fête est anticipée de trois mois. Quand la date approche, les magasins sont déjà passés à la suivante.

Nos munitions sucrées sont rangées dans un sac en tissu, où les gosses plongeront la main. (Tiens l’an prochain, j’y glisserai un ou deux sachets de thé utilisés. Hé, hé.) Les décorations sont accrochées, les citrouilles posées devant l’entrée. Mes filles ont fabriqué une bouche de monstre géante en carton à coller devant la porte. Sonne qui ose.

Reste à ranger la maison. Nous attendons des invités pour le déjeuner d’Halloween. Des invités !? Par où commencer ? Ah oui, faire le tri dans le tiroir des papiers à dessin. Un tiroir, vraiment ? J’ai oublié comment accueillir du monde.

Au menu : soupe de butternut à la noix de coco, selon une très bonne recette de Jamie Oliver. Un de nos classiques d’automne. Elle a à peine accroché au fond. Ça sent pas trop le cramé ? Si. Ma fille raconte notre quête de bonbons de dernière minute. « Y’avait plus rien, alors maman elle a dit, Oh là là ces Allemands ! » Elle répète au moins trois fois. Parce que c’est son habitude. Comme ça ils ont bien entendu.  Ouais mais tu comprends, c’est parce que je suis toujours en retard sur le rythme local pour mes emplettes saisonnières.

Notre chienne Gaïa a appris à sauter sur les gens. Elle fait des trous, des gros trous, toujours des gros trous. Des trous dans le tapis, des trous dans les habits. Des trous dans le jardin. Elle n’a pas fait de trous dans les invités.

Dis les amis vous reviendrez hein ? Il était pas mal le munster (dégusté fenêtre ouverte) ? et le sticky toffee pudding ?

Ah ces gosses ! (Ah, ces mamans organisées à la française !)

Sur ce, je vais téléphoner au consulat. Ils organisent une enquête de satisfaction en ce moment. Peut-être le moment de solliciter une faveur. Un p’tit Carambar Madame la Consule générale ?

Croisons les doigts ET serrons les pouces.

PS : On a bien fait de prendre les rendez-vous au consultat tout de suite. Deux heures plus tard il n’y a plus aucun créneau. Du tout.

Soirée au Kabarett

Mon sésame est français. L’humoriste aussi. Tout se traite en allemand.

Alfons, Unterhaus Mainz, 20/10/2021

Je suis allée nager ce matin. Pour la première fois depuis un mois.

Oui d’accord mais j’avais des excuses valables. Quelques jours à Metz en solitaire (pour écrire et puis finalement juste me balader), vacances dans les Vosges où mon dos a décidé de m’embêter. Convalescence du lumbago. Ça a l’air plus sympa sur le papier qu’en vrai. C’est le genre de rétablissement qui interdit d’être affalée sur le canapé. Il est plus indiqué de marcher en rond autour du quartier (pas trop s’éloigner de sa base, comme l’aspirateur-robot, au cas où). La kiné m’a collé des Elastoplasts fuchsias en étoile autour du point douloureux (c’est un truc ici, le scotch de perlimpinpin fluo, très trendy en maillot de bain). Et surtout, la piscine extérieure a fermé.

J’adore l’eau et j’adore nager. Mais autant je prends du plaisir aux longueurs dehors dans la piscine olympique bordée par une pelouse ombragée de platanes, autant en enchainer deux fois plus dans la moiteur de la petite piscine intérieure me débecte. En hiver j’aime avoir nagé. Mais je renâcle à y aller.

Comme mon dos va mieux, pas le choix, faut y aller. Ma fille me dit : “c’est pas comme les devoirs, t’es pas obligée”. Ben si c’est pire. L’entretien du corps, ma jolie, plus tu avances en âge et plus ça prend du temps, de l’énergie et un caractère indispensable.

Je ressors mon sac de piscine – enseveli sous les affaires de Gaïa, la chienne (elle en a bientôt plus que moi). Je vérifie que j’ai tout. Le masque, les 5 cents pour le sèche-cheveux, les 5 € pour l’entrée, maillot (oui une inflation covidesque), serviettes, lunettes, bonnet…. On se dépoile pour nager, mais il en faut un matériel ! C’est quoi ces pièces dans la poche ? Hop dans le porte-monnaie, qui reste à la maison. Je ne prends que le strict nécessaire. Ah et le portable parce qu’il faut prouver qu’on est 3G* (on leur a pas dit aux Allemands qu’ailleurs on en est à la 5G ? ah ah…) et scanner l’appli LUCA pour déclarer sa présence.

Le chemin pour la piscine est un vrai bonheur automnal. Eclaboussures colorées sur fond de ciel très bleu : érables roux, muriers jaunes, liquidambars rouges, pins verts. Soleil chaud, vent frais. Mmmm. P’tit coucou à la voisine derrière sa fenêtre. Tiens j’aimerais bien l’inviter à un Kaffee-Kuchen (café-gâteau). C’est à quelle heure pour les Allemands ? Juste après déjeuner je crois (mais là c’est le sacro-saint quiet time familial). Pour le gouter ça irait ?

Arrivée à la piscine, j’enfile le masque et présente l’écran de mon portable. Mon pass sanitaire est sur l’appli française (l’appli allemande n’a pas accepter de le recharger sur mon nouveau portable). La caissière grimace.

-Ouh c’est jaune.

-Hm.

Oui c’est mieux que le bleu pour le système nerveux. Elle plisse les yeux.

-C’est en français…

-Oui je me suis fait vacciner en France…

Bon on avance ? Ses sourcils se rapprochent un peu plus.

-Y’a pas de date. C’est le 2ème vaccin ?

Où a-t-elle vu qu’on obtenait un certificat pour la moitié du dispositif ? Et le petit logo à étoiles bleu et jaune en haut à gauche ça lui dit quelque chose à la dame ? Non. Je fais glisser le curseur pour activer ‘’le mode frontière ‘’ (aucune idée de ce que ça veut dire). Il y a une date. Ça lui convient.

Ouf.

Direction les vestiaires. Eh m*** j’ai oublié de garder ma pièce de 1€ pour le casier. Un jeton en prêt peut-être ? Non. J’embarque tout le matos pour le laisser sur une étagère au bord de la piscine. Non sans avoir fait tomber un coup mon foulard, un coup une serviette dans des flaques mouillées. Nouveau soupir de soulagement : pas de troupeau d’aquagym. Juste les deux lignes réservées pour les personnes de grand âge qui barbotent. Je vise celle d’à côté, pour les moyens-âges comme le mien, une dame nage la brasse tranquille, une autre rondouillette attend debout. J’enfile mon bonnet. C’est quoi ces longs cheveux accrochés ? Ah oui ceux de ma fille qui s’en est servi en dernier. Comment je m’en débarrasse ça colle aux doigts ?

J’attaque mes longueurs que je tronque aux extrémités pour éviter les bouchons. La dame debout a été rejointe par une copine de la même tribu : je piétine sur place, avec des gants palmés alors que je ne bouge pas les bras, à papoter et emm… les nageurs alors que derrière les bouées à 1 mètre de là je ferais pareil sans gêner. Je refuse de passer du côté sombre de la psychorigidité sociale. La police des hobbies ne passera pas par moi. Mais qu’est-ce qu’il fout le maitre-nageur ?

C’est effrayant ces contrôles visuels. On a beau avoir un document tout ce qu’il y a de plus officiel, notre entrée dépend de la bonne volonté d’un maton. En France c’est fait partout avec une application. Ici ça dépend. Déjà au musée vendredi, une dame en uniforme noir et cheveux tirés en queue de cheval stricte avait analysé mon écran pendant deux longues minutes. Elle parlait avec un accent d’Europe de l’Est et oublié comment sourire. J’étais seule. Sans témoin. Je cherchais des yeux les fenêtres pour vérifier l’absence de barreaux. Si elle finit par me laisser entrer peut-être ne me laissera-t-elle plus sortir ?

Ah, monsieur Kafka, ça vous fait rire hein ?

Je ne vous raconterai pas ici le Landesmuseum. Je n’ai vu qu’une salle. Le rendez-vous de ma fille s’est terminé plus tôt que prévu, j’ai dû aller la chercher. L’expo temporaire (céramiques du XXème siècle) ne présente aucun intérêt. Pourtant Dieu sait et vous aussi combien j’aime la céramique. Mais là ça avait moins d’intérêt qu’un marché local d’artisans.

Parlons plutôt de ma sortie au théâtre de cette semaine. (Contrôle visuel rapide avec le sourire). C’était un cadeau d’anniversaire de 2020, reporté donc. (Formidable cette pandémie. Elle nous fait rajeunir, coincé en quarantaine.) Enfin, du théâtre vivant !

Mon amie franco-allemande m’a offert une soirée en sa compagnie et la découverte d’un artiste humoriste. Alfons. Français, très célèbre en Allemagne, inconnu en France. (Comme Henning Wehn est LE comédien allemand de la scène anglaise). Il présente ses micros-trottoirs à la radio et à la télé depuis des décennies. Son accessoire fétiche : un gros micro poilu, type plumeau pour toiles d’araignées géantes. Son personnage joue avec les clichés et parle allemand avec un accent et des expressions franchouillards. Zut alors.

Unterhaus, Mainz

Je n’en avais jamais entendu parler. Et j’avais gardé la surprise pour la représentation en live.

La salle de spectacle, Unterhaus de Mainz (littéralement la cave) est un lieu branché, avec café et affiches de représentations passée au mur. Elle est spécialisée dans le café-théâtre (Kleinkunst, Kabarett…).

Montée en 1966 par une comédienne, un technicien du son et un journaliste de la ZDF (2ème chaine de TV allemande dont le siège est à Mainz), elle compte parmi les scènes majeures de Kabarett avec la Kommödchen à Düsseldorf et la Wühlmäuse à Berlin. C’est ça un pays décentralisé. Mon cerveau français a du mal à y croire. Comment ça, tout ce qui compte dans la culture n’est pas à Berlin ?

Dès l’entrée l’ambiance de culture vivante fait du bien. On traverse un restau, puis une salle avec un bar fermé et on entre par le côté dans une pièce longue comme un tunnel. La scène est au bout de la cave voûtée en pierres peintes en blanc. Nos places sont vers le fond, mais un peu en hauteur. Parfait. Au café-théâtre vaut mieux pas être trop près de l’artiste. Presque toutes les chaises sont occupées. On peut quitter le masque.

Les lumières s’éteignent. Un homme grisonnant entre en scène, veste orangée type jogging des années 80, bloc-notes à la main. Les applaudissements éclatent. Alfons remercie son public d’être là, d’avoir choisi de revenir après les confinements.

Entre les sketches sur l’actualité politique (« comme Madame Merkel, je suis plus populaire à l’étranger que dans mon pays »), il conte de jolies histoires vraies et projette ses derniers micros-trottoirs. Avec un air niais, le faux reporter vrai comique pose des questions moins innocentes qu’il n’y parait. Je pense à Borat.

Bien sûr. Bien sûr, il a demandé s’il y avait des Français dans la salle. Une dame devant a crié : halb ! (à moitié). J’ai hésité un instant… puis j’ai levé la main, faut bien jouer le jeu. Il ne m’a pas vue dans le noir. Hé, hé. Je ne saurai jamais à quoi j’ai échappé.

La caricature du Français colle aux clichés pour provoquer la rigolade. Mais ses tirades sont engagées et intelligentes. Nous avons passé une excellente soirée.

Alfons est en tournée, s’il vient par chez vous, foncez – (pas pu m’empêcher).

Hall of fame

Une seule fois j’avais emprunté cette rue derrière l’Institut français, pour rejoindre un parking souterrain après le resto (et avant le covid). Je n’avais pas repéré la Unterhaus : son entrée anonyme jouxte celle de l’hôtel Hilton dans un bâtiment moderne sans âme. Au sol un chemin d’étoiles de métal signées m’avait intrigué. C’est le hall of fame de la scène de Kabarett. Comme quoi, même en vivant sur place et en étant passionnée de théâtre, un guide local est indispensable. Merci encore chère amie.

Bon en vrai, je me mets pas en quatre pour aller voir du théâtre en allemand. Même du stand-up, par crainte que les références me passent au-dessus de la tête. Mais là avec Alfons. Kein Problem. Il cause allemand comme moi, et les préjugés culturels comme matière première… ça me parle. Ça donne furieusement envie de découvrir d’autres humoristes. En sortant j’ai pris le programme.

Piscine intérieure rouverte et théâtres frétillants. Oh là là on peut refaire des projets !

A tout hasard, je vais remettre le certificat papier de mon Pass sanitaire dans mon sac.

*Geimpft, Genesen oder Getestet (vacciné, immunisé ou testé)

P. S. : Le Kleinkunst (littéralement ‘’petit art’’) ou Kabarett ce sont les arts de la scène (humoristes, magie, chanson, mime, lectures, récitations…) de grande proximité entre les artistes et les spectateurs. Un peu tout, hormis les pièces de théâtre (avec décor et tout le tintouin).

PPS : Les plus perspicaces d’entre vous auront remarqué que j’ai attaqué la rubrique lectures.

Lignes bleues

Vacances d’automne dans les Vosges, exercice spontané de la diplomatie internationale autour d’un coq en pâte.

J’ai posté ce matin à Mainz une carte postale que je n’ai pas écrite et dont je ne connais pas le destinataire. Elle représente une ville au bord du Rhin où je n’ai jamais mis les pieds. Les lignes au stylo bleu sont signées Jutta.

Jutta je l’ai rencontrée avec son mari, couple au sud de la retraite, dans une auberge aux fins fonds des Vosges. Cheveux blonds et courts, gestes assurés, elle me rappelle une amie américaine. Son mari sous-titre ses blagues d’un clin d’œil. Eux et nous résidons dans les deux chambres occupées, nous nous croisons au petit déjeuner.

Ils ne parlent pas un mot de français, les serveuses pas un mot d’allemand. Personne n’a essayé l’anglais. Au grand dam de mon ado (arrête maman tu me fais honte !), j’ai mis mon grain de sel pour faciliter les échanges internationaux. Ei ? un œuf ? non. (Dommage, les petits déj français, avec baguette beurre et confiture, même maison, même enrichis de charcuterie et fromage local sont bien décevants quand on a besoin de protéines et de pain complet noir – dense, à l’allemande – pour ne pas sentir ses jambes flageoler, son cerveau s’embrumer et l’impatience enfler vers 11 heures. Surtout en randonnée.)

Quand l’occasion s’est présentée, j’ai aidé aux traductions.

Un matin, faute de serveuse visible, l’Allemande m’interpelle :

– Faut-il réserver pour manger ce soir ?

– Je suppose que c’est mieux, oui, si vous prévenez.

L’après-midi, je lis dans la chambre, mes filles et mon mari jouent à Mario Cart dans la bibliothèque (elles ne connaissaient pas, c’est bien, elles ont découvert à peu de frais / risque d’addiction et de bruit à la maison). Quand je les ai rejoints (ils avaient emportés les biscuits du gouter), mon mari me dit : “la dame allemande est passée, elle était en colère, il parait qu’on lui a dit qu’ils ne pouvaient pas manger ici ce soir”. Ça nous semble bizarre… La veille nous avions dîné seuls, face au poêle de faïence, la cheminée comme ils disent en Lorraine, avec un accent que je ne connaissais pas.

Le soir-même en descendant au restaurant, deux tables étaient dressées. Une de quatre, une de deux. Hmmm. Y aurait-il eu un malentendu ? Je partage mon doute avec l’aubergiste.

-Ah mais ils m’ont dit qu’ils voulaient déjeuner à midi. Je leur ai dit qu’on était complets. Oups…Vous pourriez leur expliquer demain matin… ?

Oui je peux. Je l’ai fait. La dame allemande est surprise et déçue.

Au diner, la serveuse qui compte sur mon relais linguistique pour simplifier son boulot me demande :

-J’installe les Allemands à votre table ?

Hein ? (ça va pas la tête ? on est sympa mais bon)

-Non, non, ça va aller.

Quelques minutes plus tard ma fille me dit :

-Merci maman, on va quand même pas parler allemand pendant les vacances.

La serveuse présente le menu du jour et tend vers moi un menton inquiet. Vous pourriez traduire ? Mais oui bien sûr. Coq en pâte. Allons-y pour une explication détaillée. Comment dit-on morilles ? Je ne savais même pas que ça existait comme plat (délicieux). Au dessert, la dame allemande voudrait bien la recette de la tarte au fromage blanc (nous aussi). Je la demande. Personne ne l’aura : c’est un secret.

Jutta m’explique qu’elle a écrit une carte pour souhaiter un bon anniversaire à une personne âgée et a oublié de la poster avant de passer la frontière. Vous pourriez la jeter dans une boite ? Oui, sans problème.

Le matin de notre départ, je le lui rappelle.

-Et la carte ?

-Je l’ai mise sur votre pare-brise.

(Dans un sachet plastique anti-humidité.)

C’est donc fait.

J’ai rempli ma mission de diplomate affectée aux relations franco-allemandes gastronomiques. Quand je pense que ma mère (qui n’avait aucune idée de ce que cela représentait) me voyait avocatinternationale. C’est fait.

Le dernier soir, l’aubergiste est venue nous offrir un pot de confiture maison, en sachet cristal. Aux quetsches, délicieuse. (Je savais que ça vous manquerait si je ne vous mettais pas une petite anecdote de confiote).

Moi qui fais souvent des petits cadeaux spontanés pour remercier des étrangers, ça m’a touché d’être du côté de la réception. Merci madame. Les filles ont eu droit à des barres chocolatées joliment emballées. « Comme elles ont été sages… C’est signe que les parents les ont bien élevées. » Hi, hi… on joue volontiers le jeu de la flatterie. Parfois on doute, hein…

Randonnées dans la forêt, sur les sentiers qui montent derrière l’auberge. GR, un jour vers la droite, un jour vers la gauche. Ou un peu plus loin, par la route qui s’appelle la rue et le chemin de goutte-froide, jusqu’à un sommet et une roche proéminente (j’ai un faible pour les panneaux poétiques). Sandwiches de fromage qui ramollit de jour en jour, carottes qui sèchent, thon qui dégouline. Vertige (pour moi) pour franchir un passage étroit en hauteur.

Entre sapins, bouleaux, mousses et fougères j’ai sauté les pieds joints dans un livre de contes. Allons-nous croiser la cabane des trois ours ?

Dans la queue de la boulangerie, un type m’accoste. “C’est quoi votre appareil photo ? Vous partez en balade ? Vous êtes touriste ?” Euh oui. J’adore papoter à l’improviste, mais quand je ne suis pas à l’initiative de l’échange, j’ai toujours un moment d’hésitation. Il a l’air inoffensif.

-Vous aussi, en vacances ?

– Oh non, nous on habite ici. On a vécu trente ans en Allemagne. On est revenu pour la famille.

J’ai pas osé lui demander la durée initiale prévue pour leur expatriation.

Tendez l’oreille…

L’auberge en demi-pension c’était le calcul pour éviter de faire bouffer à ma famille ma charge mentale. On restera moins longtemps que dans un gite mais pas de corvées courses ou cuisine. Bilan : personne ne peut plus voir ni pain, ni repas riches comme des dimanches midi. (J’ai fait de la soupe de légumes d’urgence.) Et les courses faut bien les faire quand même (rappelez-vous mon obsession avec le vinaigre blanc français, le savon noir, les bonnes sardines, le chocolat à cuire de qualité). Les filles se sont offert Dragibus et Carambars, Paille d’Or et madeleines, pour leurs anniversaires au collège. French touch autorisée, pourvu que les produits soient emballés individuellement.

Le premier gel de l’année s’est posé dans la nuit. Les dahlias du voisin ont cuit. J’ai tendu la main par le Velux pour toucher le givre et laisser une empreinte mouillée sur les tuiles rouges.

Balade en amoureux autour du village pendant que les filles sautent sur le trampoline. Mon mari et moi croisons un petit jeune homme, en short et K-way. Bonjour ! il nous lance avec un sourire qui mange tout son visage.

Je photographie un bassin en pierre où chante une source, puis on rebrousse chemin. On le croise à nouveau. Il entre et ressort aussitôt d’un jardin. Celui aux dahlias cuits.

-Re-bonjour !

-Re-bonjour !

Sans s’arrêter, il indique de la main le jardin dont il sort.

-Ma tata n’est pas là. Je suis d’ici c’est pour ça que je connais tout le monde.

Sourires.

-Vous logez à l’auberge ou au gîte ?

-A l’auberge.

-Y’en a qui disent que le village ici c’est naze. Mais y’a la nature, alors c’est joli.

Bien d’accord.

– C’est la première fois que vous venez ?

-Oui.

-Et ça vous plait ?

-Oui.

-Alors, vous reviendrez !

Simple comme re-bonjour.

Comme un parfum en noir et blanc de Guerre des boutons.

Une leçon de vie pour moi que les devoirs hypnotisent. Refaire si ça me plait. Un médecin me l’avait conseillé. Il faut privilégier les satisfactions comme un devoir. Je lui avais demandé de l’écrire sur une ordonnance. Un mantra pour les jours où la main de l’anxiété m’attrape à la gorge.

Les feuilles commencent juste à tourner. Dans la forêt tapissée de mousses, au milieu des sapins, les chênes rouges d’Amérique sont les premiers à passer du vert au vermeil. Ses glands trapus sont irrésistibles. J’en glisse dans mes poches. Comment est-il arrivé là cet expatrié naturalisé ?

L’Amérique : nous venons d’apprendre que son baptême a eu lieu à Saint-Dié-des Vosges.

Après les expéditions vers les Indes de Christophe Colomb en 1492, Amerigo Vespucci comprend qu’il s’agit d’un nouveau continent. Le Duc de Lorraine passionné de géographie, obtient du roi du Portugal, commanditaire des expéditions, cartes et récit de voyage de Vespucci. Il les confie au Gymnase Vosgien, un groupe d’érudits occupé à redessiner le monde. Sur la Cosmographie universelle (ça jette plus en latin), pour la première fois, le nouveau continent esquissé par la ligne bleue de l’océan Atlantique est appelé America. Féminin comme les autres, et en hommage à Amerigo.

Voilà pour la digression culturelle. De rien.

A part les vitraux de la cathédrale – modernes, liquides et graphiques, Saint-Dié ne nous a pas séduits. Une fois approvisionnés en munster (sous-vide !) au marché, on n’a pas trainé. L’architecture toute d’angles droits gris fait écho aux trop nombreuses nécropoles.

Fuite vers la nature jolie.

Enième tentative pour se faire un thé avec la machine de notre chambre. Elles sont rares en France et en Allemagne, les tea and coffee making facilities, que l’Angleterre met à disposition de ses hôtes. Pourtant c’est bien agréable d’appuyer sur le bouton de la bouilloire pour une boisson chaude, avachie sur le lit. Leur présence ou non dans une chambre d’hôtel est devenue une blague familiale.

Elle marche pas cette fichue machine à capsules (j’ai même pas essayé, j’ai laissé faire mes colocs, je ne parle pas le langage des machines qui font les malignes). Mon mari prospecte dans les autres chambres. Vu le calme, on se sent partout chez nous. Les portes sont ouvertes pour répartir la chaleur. Il revient avec trois gobelets de carton pleins de thé (dans deux ça ne rentrait pas). AIlleurs ça marche ! Il les pose où il peut sur ma table de nuit.

Bouquins, lunettes, stylo, cahier, téléphone en vrac. Je tâche de faire un peu de place, faudrait pas que ça se renverse. Geste maladroit. Pof je cogne un premier gobelet. EH M*** ! Je retire brusquement les objets qui craignent l’eau. Paf les autres basculent. Le thé est par terre, une flaque à mes pieds.

Euh…. Il en reste une gorgée au fond de ce gobelet, tu le veux ?

Dans le mystère de la dernière nuit à l’orée de la forêt, un cerf nous offre son brame guttural.

Retour par Strasbourg.

Devinez ? Missions librairie et coiffeur. J’ai pris deux rendez-vous. Un pour moi et un pour ma plus jeune. Elle souhaite corriger la coupe réalisée par se mère cet été. (T’as vu c’est plus long derrière que devant. On dirait une coupe de garçon.)

Certes.

Miracle, je ressors avec une coupe, une vraie. Comme avant. J’avais fini par renoncer. Me dire que non, ce n’était pas une histoire de style français ou allemand. Que mes cheveux s’émancipaient sans grâce. Que la seule personne qui arrivait à en faire quelque chose je l’avais laissée à Lyon. Eh bien non !

-La coiffeuse égalise et me dit : Voilà, c’est plus moderne hein !

Oui et plus dynamique.

Je hasarde :

-En Allemagne, c’est plus classique les coupes de cheveux…

– Oui y’en a beaucoup qui viennent se faire coiffer ici.

Ah tiens. Je ne précise pas que mes deux dernières coupes étaient françaises. L’une d’elle avec sa collègue lors de l’expédition vaccin.

– C’est quoi votre prénom madame ?

Je note. Je reviendrai. Tous les deux mois – ou disons, quand c’est possible, prévoir l’aller-retour à Strasbourg pour la coupe.

(J’ai demandé : le carré droit est la coupe la plus dure à réaliser même pour un professionnel. Il ne pardonne rien. Et toc.)

Avant de mettre le cap au nord, nous croisons la locomotive-jouet d’un monsieur qui grille des marrons. Impossible de résister. Nous lui achetons un cornet de papier, le plus gros format. Les premières châtaignes grillées mangées vite, trop chaudes, en s’étouffant un peu, brûlent la langue et laissent le bout des doigts charbonneux.

Je les laverai le plus tard possible.

Vivement qu’on en trouve au marché de Mainz, des châtaignes. Provenance indiquée : France. D’où en France Monsieur ? De l’Ardèche ?

Au prochain passage de frontière je complèterai mon stock de bouquins. J’ai apprivoisé les librairies de Metz et Strasbourg. Je sais où aller pour être en phase avec les avis des libraires. C’est tellement bon de flâner dans le parfum des livres et rassurant de repartir avec des promesses de bonheur en papier. Je me shoote bien un peu ici, mais je lis plus volontiers en français et en anglais.

J’ai une question pour vous.

J’ai envie de créer une rubrique lectures dans ce blog, histoire de partager mes coups de coeur et les vôtres.

Qu’en pensez-vous ?

(réponses bienvenues en commentaire)

Hors les murs

Petit tour de rentrée scolaire, troc de confiotes, refus de Figolu, et suggestion de placard.

(Mais si vous allez comprendre.)

Bonjour à vous,

Ne bougez pas j’arrive. Je donne un dernier coup d’éponge à la cuisine. (Vous aussi vous avez toujours un coup d’éponge à donner à la cuisine ?) Déjà la cinquième semaine depuis la rentrée, bientôt les vacances d’automne. Nous allons pour un temps changer d’évier.

Sortons dans la rue où l’éponge tentatrice ne nous suivra pas.

Après une première semaine de matinées (sans cantine), les cours ont repris à temps plein (AVEC cantine OUF !). La boite mail s’emplit de messages du collège : prière de consulter l’application. Clic, ouvrir le courrier, le lire en plissant les yeux (police 2 interligne 0.5), cocher la case Lu et refermer. En prenant soin de préciser à sa fille : « il est écrit dans le courrier qu’il faut l’imprimer pour cocher la case Lu avec un stylo. Je viens de le faire dans l’application. Je me contenterai d’une seule croix (virtuelle) par sujet. » On place ses rébellions où on peut (croisons les doigts que ça suffise). Pour les plus prolixes des auteurs de messages officiels j’aimerais avoir un tamis pour ne garder que les deux-trois infos importantes. Ils y pensent pas à ceux qui ont fait allemand première langue sans l’option littérature post-moderne (et qui n’ont ni loupe ni que ça à faire).

Autre formulaire : « Merci de verser les euros du voyage à Berlin sur le compte personnel du professeur responsable. RIB ci-dessous.» Voilà, c’est fait. C’est bizarre tout de même. Là-aussi serrons les pouces, comme on dit ici, que ça marche. Dans la paperasse signée, il est précisé toutes les conditions pour lesquelles il faudra aller chercher son enfant : indiscipline, test corona positif de lui-même ou d’un copain de chambre. Et si les profs accompagnateurs sont positifs ?

Plumbago

En 9. Klasse (troisième) ma grande va partir trois jours avec sa classe pour des Reflexionstage (jours de réflexion). Une parenthèse loin de la vie quotidienne, de la famille et des cours pour se poser des questions individuelles et collectives sur les choix de vie. Malin, non ? C’est organisé par le diocèse, avec autorisation d’absence du collège. Comme quoi la collaboration école publique – services religieux peut être profitable à tous. J’aurais tant aimé bénéficier de ce temps offert. Pas sûr que j’en aurais bénéficié alors, prise que j’étais dans la roue de hamster des interros et des notes.

Aujourd’hui les ados réfléchissent plus. Trop.  

Mon mari et moi inculquons à nos enfants que pour être en bonne santé il faut manger de tout. Surtout quand on est en pleine croissance. Que pour être poli quand on va quelque part on s’adapte à ce qui est proposé. Pitié les filles, épargnez moi l’actualisation des toquades alimentaires des copains.

Les réseaux si peu sociaux leur inculquent les citations sucrées en calligraphie et les modes alimentaires. A chaque repas nous avons l’actualité : « Machine est végétarienne maintenant ». Puis quelques semaines plus tard, « elle n’est plus végétarienne, sa mère le lui interdit elle était fatiguée ». A nouveau quelques semaines plus tard : Machine (la même) elle est vegan. Vraiment ?

L’une d’elle, vegan depuis une semaine, a refusé de goûter un Figolu.

La malnutrition auto-imposée comme style de vie ça me fait peur. Mais non maman, elle prend des vitamines. Ah bon tu me rassures. Elle a fait vœu de renoncer à son intelligence aussi ? Elle prend tous les matins des shoot de Youtube à la place (ou de Tiktok ; je suis dépassée).

A l’aide.

Les Figolus. Franchement.

La confiture passe encore. La semaine dernière, ma fille a mentionné qu’un copain avait ramassé cinq kilos de cynorrhodons (Hagebütten ou gratte-culs). J’ai suggéré le troc. Elle est partie avec des bocaux de confiture d’abricots. Nous gouterons l’églantine et le miel du copain. On a aussi un joli pot de miel d’une copine en deux phases : dur et clair au fond, brun et liquide au-dessus. Peut-être que les abeilles ont butiné nos fleurs. Beaucoup d’Allemands sont aussi apiculteurs. Les maisons affichent une plaque : Eigene Imkerei (apiculture personnelle).

Le lendemain de la date officielle de la rentrée, c’était l’Einschulung. La toute première rentrée. Devant l’école primaire en milieu de matinée, les petits CP étaient bien sages entre papa et maman tous bien habillés (une seule classe : les horaires sont échelonnés pour cause de corona). Les parents restent avec leur enfant toute la matinée. (Un prof de mes filles a été absent pour cela). Les écoliers serraient contre leur cœur une Schultüte, cornet-surprise rempli de friandises, carnets et crayons, et de jouets. (Les parents dépensent 70 à 80 euros pour ce symbole.) L’autre jour à la librairie une dame commandait un livre pour son petit-fils « à l’occasion de son Einschulung ».

Parfois des messes à l’église sont organisées pour les enfants (de l’école publique) et leurs familles à cette occasion. C’est joli de prendre le temps de cette étape. Je me sens un peu gênée quand j’explique que mes gamins étaient à l’école avec cantoche et tout le toutim avant trois ans. Ici c’est limite de la maltraitance.

En pensant à cet article, j’ai hésité à demander à une famille de les prendre en photo (de dos) tout rutilants, avec la Schultüte aussi grande que le gamin. Puis je me suis dit que je risquais de les effrayer. « Tu vois Max, cette dame si tu la croises, tu pars en courant ». Ils rentrent seuls très tôt les gosses. L’école leur fait passer un permis piéton avec coaching de la police svp. On les voit parfois s’entrainer à traverser la route un par un.

Fusain

En matière de comparaison critique entre cultures, je me suis professionnalisée. J’ai reçu un mail cet été de la part du magazine Deutsch Perfekt (qui s’adresse aux étrangers germanisants avec articles de différentes difficultés et lexiques). Ils avaient consulté leur base de données : que conseillez-vous aux Allemands ? (enfin, c’était pas demandé comme ça mais plutôt : qu’est-ce qui vous irrite dans votre pays d’adoption ?)

Bien sûr, je ne manquais pas d’idées ;o)

Au petit déj, penchée sur mon yaourt ardéchois, j’avais tapé en quatrième vitesse (sur le téléphone et sans mes lunettes) une dizaine de suggestions : équiper les maisons de placards, prendre le temps des consultations médicales, moderniser le réseau internet, renoncer à la paperasse, me foutre la paix quand je marche dans la rue même si mon vélo couine, arrêter la police des hobbies (ces particuliers qui se mêlent de vous engueuler pour un ja ou un nein) et tutti quanti.

J’avais eu la surprise de recevoir une réponse : “Merci Estelle, envoie-nous ta photo !”

Ma photo ! Whaou ! (Euh, laquelle ?)

Top top top. Ma minute de gloire. (Depuis le temps que je rêve d’être publiée, bon enfin, un texte que j’aurais écrit pas une réflexion à deux balles.)

L’article vient de paraître. Ils ont rassemblé une cinquantaine d’idées pertinentes (y compris rallonger les consultations médicales, moderniser internet, renoncer à la paperasse). Ils ont gardé de ma contribution la proposition inoubliable : mettre des placards batis dans les maisons (en shuntant la remarque : les Allemands sont-ils tous actionnaires chez Ikea ?) Mon amie d’enfance m’avait dit, quand je m’étais étonnée de leur absence « non y’en a pas en Allemagne. On a toujours trouvé ça super chez vous. »

En même temps ce magazine, y’a pas un Allemand qui le lit. Et pour cause.

A charge de revanche sans doute. Que conseilleraient les étrangers aux Frenchies ?

(Roulement de tambour…)

Je voudrais vous quitter sur une nouvelle insolite. Lors d’une promenade, une amie m’a parlé de son tout nouveau permis de conduire un âne (Eselführerschein). Oui, oui. Son professeur lui a remis un document officiel, plastifié et tout, avec le détail des compétences acquises parmi lesquelles : la tolérance à la frustration. (Je crois que je vais m’inscrire.) C’est un complément à sa formation pour animer des ateliers en forêt – sur son temps libre. (C’est une grande passion la forêt pour les Germains).

Pourtant je me demande, certaines choses ne devraient-elles rester poétiques et libres ? Peut-être l’effet de mon moral dans les chaussettes (bienvenue automne, au moins, j’en porte des chaussettes).

Souvent, j’ai envie de jeter l’éponge.

La vraie (planquez-vous), et la métaphorique.

Être ou ne pas être sympa

Ma théorie de la relativité

J’ai envie de lui offrir un pot de confiture entamé, le seul cadeau maison que j’aie avec moi. Je lui ai parlé dix minutes, je le connais depuis toujours.

Lui, c’est le jardinier-homme à tout faire qui veille sur la maison que nous occupons pour les vacances sur les hauteurs de Nice. Il a une soixantaine d’années, encore brun, pas très grand, avec un T-shirt bleu marine, et un jean usé.

Il est passé comme tous les mardis matin, pour tondre, tailler, vérifier l’assèchement des murs après la réparation d’une fuite d’eau. Nous avons blagué comme on dit en Provence (dans le sens de discuter). Il a un accent chantant, on a parlé du citronnier qui a souffert de la sécheresse, d’une balade qu’il nous recommande sur les baous (montagne), près de chez lui et du restaurant où il faut appeler de sa part et demander une table dans le jardin. Il est descendu à son travail.

J’ai entendu la tondeuse s’arrêter puis il a frappé à la porte.

-Les filles, elles aiment les mûres ?

-Oui bien sûr !

-Vous avez un récipient ? je vais leur en cueillir.

J’ouvre un placard de la cuisine et en sort en grand bol rose en plastique translucide.

– Y’en a plein des mûres, sur la haie.

– Oui elles sont belles. On en a cueilli quelques-unes, les autres sont trop hautes.

– Oh, mais c’est que je fais exprès de les laisser hautes.

Il attrape le bol que je lui tends, fait une petite moue.

– Il est un peu petit… c’est qu’il y en a cette année !

– Vous voulez un verre d’eau ? Vous avez l’air d’avoir chaud.

Il remonte une heure plus tard, transpirant, un sourire jusqu’aux oreilles avec dans le bol une montagne de grosses mûres.

– Oh merci ! un autre verre d’eau ?

– Voui, quelque chose de frais si vous avez. Vous avez pas d’eau au frigo ?

– Eh non.

– Pourquoi ?

– On n’est pas très dégourdis.

Je ris, lui aussi. En fait, on n’aime pas l’eau glacée.

– Du jus d’orange ?

Lui il est au frigo.

Pendant qu’il boit en s’épongeant le front, nous parlons confiture de mûres. Lui il les cueille, et les porte à sa cousine qui les cuit.

– On va en ramasser en Ardèche si elles sont mûres. Et on achètera de la crème de marrons.

– Oh j’aime ça, bien froide, avec de la glace à la vanille. Vous êtes de l’Ardèche ?

Les gens qui me sont sympathiques je ne peux pas m’empêcher de le leur dire.

Ni de leur donner de la confiture de marron. En Allemagne, importé directement en cartons de six bocaux, c’est mon cadeau le plus précieux. Nous l’avons offert aux voisins en arrivant, puis aux nouveaux amis.

Voilà pourquoi après notre bref échange, j’ai envie de lui envoyer la photo du crumble pommes-mûres fait avec sa récolte, et de lui donner un pot de confiture de groseilles faite début juillet. Tant pis s’il est entamé. Il est né de mes mains et de mon cœur.

Je n’ai fait ni l’un ni l’autre. J’ai appris à brider une spontanéité qui part du coeur mais peut être perçue comme bizarre.

Un peu plus tard dans le jardin, allongée dans l’herbe avec un livre sous l’olivier, je pense aux futurs échanges du jardinier avec le propriétaire de la maison.

– Oh j’ai vu la dame. On a blagué. Elle est bien sympa hein !

– Ah ?

Le propriétaire, je le connais bien. Il ne me connait pas. Je le fréquente pour raisons familiales depuis longtemps, mais je n’arrive pas à échanger deux mots avec lui. Nos mondes se tournent le dos. Il parle politique, pendant que j’essaie de dissimuler mon malaise avec les rapports superficiels. Je n’ose pas poser les questions personnelles sur le sujet qui m’intéressent : l’humain.

Dans ce cas précis, je n’arrive pas à percer la carapace. Certaines personnes sont comme ça hermétiques. A se demander si dessous coulent des émotions. Devant eux par pudeur, ou mimétisme, je bloque les miennes complètement. Mes gestes et paroles deviennent ceux d’un robot maladroit. Je tétanise, muette.

Aux caractères opposés s’ajoutent aussi des cultures différentes. L’homme est anglais. Un monde où les émotions sont taboues. Pourtant il fait des efforts. Il a même lu un livre, que mon mari a aussi, un classique du monde anglo saxon, How to win friends and influence people (de Dale Carnegie). Il l’a expliqué à mon fils un jour devant moi. Pour entrer en contact avec quelqu’un il faut lui poser des questions sur sa vie et ses centres d’intérêt.

Alors cet été il a fait ses devoirs et m’a demandé :

– Estelle, comment ça se passe….

J’ai vu son cerveau chercher ce qui pouvait bien m’occuper toute la journée, à part ma famille. D’un coup j’ai senti son corps se détendre, il a trouvé un truc :

– … ton piano ?

– Mon piano bien, merci. Je joue avec ma fille et une amie à quatre mains. Enfin dès que la pandémie nous permettra de nous y remettre.

Depuis plusieurs mois je travaille un nocturne de chopin que j’adore. Mais ça je n’arrive à pas le dire. C’est trop intime.

Ses sourcils se rapprochent, il penche la tête de côté :

– Votre piano, il est où chez vous ?

Euh en plein milieu du séjour. C’est pas comme si on avait un palace avec un salon de musique.

Mais surtout je suis scotchée par la question initiale.

J’adore jouer du piano, oui. Mais mon actualité ce n’est pas ça. Depuis deux ans je me consacre à l’écriture. Je n’en fais pas mystère. Comme ça fait partie de mon parcours pour me rapprocher de mon coeur, je tâche de partager. J’envoie à mon entourage (comme vous le savez ;o) le lien de mon blog dans mes mails de bonne année. Je mentionne même mon travail sur un livre. C’est vrai, avec cet ami je reste factuelle et brève mais je l’ai dit plusieurs fois : j’écris. Je m’attendais donc à une question en rapport avec l’écriture.

Pour se faire des amis et influencer les gens ne faudrait-il pas surtout écouter ?

(Je ne sais pas si c’est indiqué dans le bouquin. Je le lirai peut-être le jour où j’aurai épuisé tous les livres qui me font envie (jamais donc).)

Etre sympa veut peut-être désigner des comportements différents selon les cultures ? Où est la frontière entre avenant et envahissant ? Intéressé et trop curieux ? Respectueux et indifférent ?

Alors sans doute, cet homme a-t-il pu penser de moi, cette dame dans sa maison : Ah bon, elle est sympa ? Vraiment ?

Nous ne sommes que la moitié d’une relation. Nos personnalités s’adaptent à la nature de l’échange. Elles s’enrichissent ou s’éteignent mutuellement.

Suis-je sympa ?

Ça dépend de vous.

Mainzalors.com a 2 ans !

Bon anniversaire à toi qui m’accompagnes,

400 pages, 170.000 mots. Dis donc, on en a des choses à partager…

Et surtout, MERCI !

Merci à vous, mes lecteurs fidèles.

La valse des hésitations

Einmal hin, einmal her, Rundherum, das ist nicht schwer ! *

Un pas par ci, un pas par là, un p’tit tour, c’est pas difficile (* chanson enfantine)

-…..

Vous entendez ? C’est moi qui parle à mes filles.

J’essaie à nouveau.

-….

Ça marche ?

Non ? Vous non plus vous n’entendez rien ? Décidément !

J’ai l’impression de parler dans le vide, d’émettre un simple bruit de fond, des ondes inutiles. J’ai décidé de faire la grève de la parole chez moi.

Reprenons.

Voilà un mois à la Stammtisch virtuelle des parents de la classe de ma grande (réunion qui se tient d’habitude dans un restaurant fort charmant), j’ai appris que le collège avait envoyé un message précisant les conditions de retour des livres scolaires. J’avais raté l’information planquée au fin fond d’un long courrier (la direction est peu synthétique et consulter sur smartphone un drap de lit reçu dans une appplication est frustrant). J’ai tendance à cocher la case ‘lu’ au plus vite. Si c’est important, la même info nous arrivera de façon plus claire par les profs ou les élèves. Pas cette fois.

Nous étions cinq mamans à la Stammtisch, et c’était fort sympathique de revoir des visages connus. Il a été rappelé que les livres scolaires, loués par la ville de Mainz au tiers du prix d’achat, devaient être exceptionnellement rendus au château des princes-électeurs (Kurfürstlisches Schloss) . D’habitude les gamins partent le matin pour l’école avec leur sac de bouquins. Cette année c’est dans le centre-ville et le créneau est contraint : 8-15h, un jour différent pour chaque école. Souvenons-nous que les enfants d’une même fratrie fréquentent souvent des établissements différents. Les parents d’une famille nombreuse sont priés de se déplacer autant de fois qu’il le faudra.

Info reçue, je l’ai transmise à ma progéniture. J’ai écrit le rendez-vous sur le calendrier familial accroché au mur au-dessus de la table à manger. Par chance, cela tombait un jour de congés pour mes filles dû aux oraux de l’Abitur (bac). La veille, l’une était invitée à un anniversaire, l’autre avait un projet urgent du genre fabriquer un bracelet en perles. Elles accompagnaient aussi notre chienne Gaïa chez le véto pour acheter les produits anti-bestioles-qui-piquent. Donc le temps était compté. Je les avais prévenues plusieurs fois : rapportez bien tous vos livres vendredi au plus tard !

Devinez ?

La veille.

  • Heu, mon livre de maths est chez une copine.
  • Moi j’ai laissé celui de français dans mon casier. Mais t’inquiète j’en ai pas besoin.
  • Si, il faut le rendre.
  • Ah bon ?
  • Je vous l’ai dit dix fois.
  • Ah non pas du tout !
  • Tu vas avoir le temps d’aller le chercher le livre de maths ? Et toi celui de français ?
  • Ouais…

Aller-retour au collège pour l’une, qui vidange aussi le casier de sa sœur. Rendez-vous à mi-chemin avec l’amie au livre pour l’autre. Il semblerait que les manuels soient rassemblés. Rappel de la consigne :

-Je veux les livres dans le sac, avec le formulaire de retour, prêts à partir. Ce soir.

Le jour-même : un seul sac dans le salon. Attendons et voyons. Alors que je me brosse les dents dans la salle de bains, la porte s’ouvre sur une toute petite voix…

  • Je ne trouve pas mon livre de géo.
  • Cherche. Envoie des messages à tes copines pour savoir où il est.

Il faut qu’on parte.

La sœur :

-Ah j’ai vu un livre de géo hier dans mon casier. Y’a mon nom dessus, mais le mien est à la maison.

Là j’ai comme les fils se touchent.

  • Et tu ne l’as pas pris ?
  • Ben non.

On part en voiture.

Christus Kirche

D’abord direction le collège, pour aller chercher ce fameux livre. Retour à la maison. La petite descend. J’ai changé d’avis : je prends aussi les livres qui ne sont pas à rendre (à la troisième location, les manuels restent chez les élèves), au cas où. On repart (à deux mon mari et moi) en espérant ne pas avoir à se garer, j’aime pas conduire en ville quand je ne sais pas où je vais. Le GPS qui dit les noms des rues allemandes avec un accent français, c’est tout un poème et guère compréhensible. Le mettre en anglais c’est pire. Tout en allemand, dans MA voiture ? J’ai pas le coeur.

Deuxième départ. Einmal hin, einmal her…

Appel de la grande sœur : ça y est les échanges WhatsApp de la classe ont localisé le bouquin chez une copine-voisine. Mission accomplie, elle sait où il est. Elle s’apprête à raccrocher.

-Eh oh, va le chercher ! Dépêche-toi. On revient.

Retour à la maison, pour prendre le livre de géo.

Troisième départ. Einmal hin, einmal her…

La route est en travaux. Il faut un quart d’heure pour arriver au château des Princes-Electeurs au bord du Rhin, dans le centre-ville. A mi-chemin, l’alerte carburant s’éclaire.

A proximité du château, une longue queue s’étire sous les arbres jusqu’à une entrée latérale. Au moins c’est facile à trouver. Arrêt rapide, je descends de la voiture avec mes deux sacs… Mon mari remonte travailler à domicile. Je me poste derrière tout ce beau monde. L’ombre des tilleuls est parfumée. Les 80 personnes sur le trottoir respectent les distances. Mais je ne peux m’empêcher de remarquer que :

1/ rassembler une foule en période coronesque c’est pas bien malin (rappelons-nous le cirque tests / vaccins pour aller au restau) ;

2/ je me suis fait avoir : la queue est composée en majorité de collégiens et lycéens, sans leur maman. Plus loin devant j’aperçois des copines de ma grande, derrière, un copain de ma plus jeune qui me salue de la main. A l’idée de venir, les miennes ont fait la grimace.

Kurfürstlisches Schloss

Attendons.

45 minutes passent. Je fais mon courrier virtuel, texto à droite et à gauche, en avançant de deux pas de temps en temps. Les sacs suivent à mes pieds.

Au seuil d’une grande porte de bois, ouverte, il faut s’arrêter. Une dame imposante en uniforme bleu marine signale quand le prochain a le droit de pénétrer. Une affiche d’une grande librairie de Mainz a été installée. Cette prestation doit être un marché sous-traité.

Je suis intriguée de découvrir l’intérieur du palais qui est un des bâtiments repères de Mainz. A l’exception d’un grand lustre éclairé, le hall d’entrée est banal comme celui d’une administration. Décevant. L’entrée principale est-elle plus imposante ?

La dame me fait signe. C’est à moi. Me voilà dans la queue intérieure longue d’une vingtaine de personnes. Ah quand même ! Le monsieur derrière moi râle avec le sourire (ah, un autre qui s’est fait avoir par ses gosses). Il parle allemand avec un accent étranger derrière un masque. Je hoche la tête d’un air entendu quand je comprends qu’il trouve absurde ce regroupement en centre-ville si loin du collège. On est d’accord. On rigole. Et il ajoute : ils vont nous refaire le coup au mois d’aout pour aller chercher les nouveaux livres. Zut. J’y avais pas pensé.

Nous attendons dans une galerie des glaces qui tient plus de Castorama rayon salles de bains que de Versailles. Enfin je touche au Graal : une pièce aux murs habillés de bois peint avec quelques moulures en hauteur, dans laquelle ont été installées cinq tables sur tréteaux. Sur chacune : un ordinateur portable, une imprimante. A côté, des caisses de livres pleines, un/e préposé/e.

Un jeune homme à mèche blanche dans des cheveux noirs me fait signe de la main. Je pose le premier paquet de livres sur son bureau. Scan, impression du bon de retour A4. Au tour de l’autre paquet de manuels. Scan du livre de géo. Hésitation. Rescan. Il me dit : “celui-là appartient à Paula Schmidt”. Quoi ? Ni à ma fille donc, ni à la copine chez qui elle l’a récupéré in extremis. Impression d’une facture à payer si personne ne le rapporte.

J’envoie un message à ma fille : continue de chercher.

A la gare en face de l’arrêt de tram, un stand de fruits locaux me fait envie. Abricots à confiture de Finthen (banlieue agricole de Mainz), 5 euros les trois kilos. Parfait. Et 500 g de cerises aussi. Merci.

Retour à la maison.

  • Ça y est on a trouvé mon livre ! C’est celui qui était dans le casier de ma sœur. Avec son nom à elle dessus.
  • Donc, en gros de toute l’année scolaire tu ne l’as pas vu.

Vite coacher son ado pour identifier une copine qui s’apprête à descendre au château, pour lui confier le manuel à restituer et éviter de se retaper la queue. Lui sortir son vélo. A son retour, la regarder s’assoir avec un air satisfait. « Ah je me suis bien débrouillée quand même ! »

Je n’ai pas tout perdu. Cet aller-retour m’a permis de papoter avec une maman-copine venue accompagner sa fille, de faire une confiture d’abricots (meilleure que d’habitude) et le premier clafoutis de la saison. J’y ai aussi gagné le parfum des tilleuls. Et le droit de faire la grève de la parole.

Notre échappée à Strasbourg, le week-end dernier, a failli tomber à l’eau. La veille du départ, mon mari était malade. Test, hésitation. Einmal hin, einmal her… Tout le monde avait un besoin urgent de changer de tapisserie. Sous la menace d’une mutinerie, on a décidé de tenter le coup. A quatre, avec Gaïa.

Depuis un an et demi nous vivons au vert sans presque sortir de notre quartier. J’avais réservé un hôtel dans le centre de Strasbourg. Bruit, foule, quel choc ! J’avais l’impression d’être sur la presqu’île de Lyon un huit décembre (où je n’allais jamais).

A part une escapade de quelques jours en automne au fin fond de la forêt vosgiennes, c’était notre premier retour en France depuis l’été dernier. Quelle sensation bizarre d’être surprise d’entendre du français et de se sentir touriste dans son pays (enfin, presque, ça reste l’Alsace quand même). C’est tellement plus reposant en vacances de ne pas comprendre tout ce qui se dit autour de soi.

Peu de gens avec des masques (nous). Aucune distanciation. Sur un poteau de la place Kléber, une affiche sauvage invite à refuser le vaccin. En Allemagne, je n’ai rencontré que des gens qui rêvaient d’y avoir accès. J’ai failli reprendre un touriste au petit déjeuner qui allait au buffet sans masque. Ma réaction m’a fait peur. Suis-je en train de devenir allemande ? En croquant dans un mini croissant, je me surprends à penser que décidément les Français sont ingouvernables.

Oui et heureusement. L’ordre est beaucoup plus effrayant que le fouillis.

Strasbourg

Vous serez ravis d’apprendre que la chienne n’a bouffé aucun jogger, ni aucune rame de tram. Pourtant elle a essayé. Ma fille ne trouvait pas les Flammekuchen sur la carte du restau ; il était écrit tarte flambée. Nous avons dévalisé deux librairies. Monoprix est resté inaccessible : contrairement à la mention sur internet, le magasin était fermé le dimanche matin. Bon sang mais c’est bien sûr ! On aurait dû y penser ! Le droit local alsacien est calé sur l’allemand : tout est fermé le dimanche ! Hélas. (Par chance on a quand même trouvé une supérette alimentaire pour les madeleines, les galettes bretonnes et les sardines).

A la boulangerie (quel bonheur de pouvoir y payer sans contact), j’ai craqué pour une superbe part de gâteau au fromage blanc. Ma fille m’a demandé : “pourquoi tu prends ça ? Y’en a en Allemagne.” Parce que c’est super bon. Une pâte brisée croquante et fondante, une garniture épaisse aérienne et peu sucrée, dans laquelle on enfonce tout le visage.

En attendant le rendez-vous pour le vaccin, nous avons, sur l’insistance de notre capitaine de 10 ans, loué un bateau électrique sur l’Ill. Petit tour bucolique, sous le pont couvert et entre des rives vertes où il doit être doux de vivre, et s’imaginer en Amazonie.

Et (suspense insoutenable) OUI OUI OUI ma fille et moi avons eu notre première dose de vaccin, au vaccinodrome de Strasbourg, installé dans l’Hôtel de Département au bord de la Petite France. Inspirées par la campagne de pubs de Rheinland-Pfalz, on avait mis des manches courtes. Finalement nous étions dans l’intimité d’un box avec une madame-pompier très sympa. C’était hyper bien organisé, efficace et rapide, avec des BLAGUES ! Le médecin des pompiers nous a demandé d’apporter un gâteau au chocolat pour la deuxième dose !!! Quand je pousse la porte d’un cabinet médical allemand, j’ai toujours peur de me faire engueuler. Pourtant certaines infirmières, parfois, sourient.

Retour à Mainz dans une ambiance douce-amère. Ravie du sparadrap sur mon épaule. Mais vague cafard. C’était court et bousculé ces retrouvailles avec la France. Pourtant en Alsace, comme un bout d’Allemagne où on parle aussi français, la transition est douce.

Je trouve d’ailleurs curieux que ce soit la région retenue comme exemple dans le livre de français de ma plus jeune édité par notre Land. Certes c’est la région limitrophe de Rheinland-Pfalz. Mais pour les collégiens, quel dépaysement apportent les photos de maisons à colombages et les noms de villages aux kilos de consonnes ? Sans tomber dans la caricature franchouillarde (Paris et la côte d’Azur), ne serait-ce pas plus intéressant de présenter le Nord, la Bretagne ou le Sud-ouest (ou l’Ardèche) ? Les Allemands aiment voyager et n’ont pas peur des kilomètres mais peu s’arrêtent en Alsace sur la route de leurs vacances. L’argument de la région proche ne tient pas vraiment.

Nous avons repris notre routine.

Quelques jours plus tard j’ai reçu un un mail avec les dates de mes deux rendez-vous vaccins à Mainz (fin juillet et fin aout). Comme quoi quand on ne l’attend plus…. C’était une convocation impossible à modifier (sauf à produire un certificat d’hospitalisation ou de quarantaine) ou à honorer. J’ai reçu la confirmation par courrier : quatre pages A4. QUATRE ! Je l’ai annulée en ligne avec un pincement au cœur. Et si jamais ça ne marchait pas mon rendez-vous en France ? Il faudrait refaire l’inscription à zéro. Ma généraliste n’a toujours pas éclusé les groupes prioritaires.

Restons optimiste. Et comptons les jours avant les vacances avec le sourire. Plus de manuels scolaires, plus de notes. Les cours vont être plus décontractés d’ici la remise des bulletins en grande pompe. Pour leurs sorties de classe le 14 juillet, j’ai suggéré à mes filles de s’habiller en bleu-blanc-rouge.

Chers amis de France, d’Allemagne et d’ailleurs,

je vous souhaite un bel été, 

avec assez de changement d’air pour recharger les batteries !

La Moselle au fil des vignes

Quelques jours de vacances sur les rives de la Moselle. Vignobles escarpés, villages de contes de fées. Un petit air de liberté au goût de glace à la fraise.

Avant la Moselle pour moi c’était un coin indécis du nord-est de la France : département ? région ? rivière ? Je n’y avais jamais mis les pieds et n’en avais pas envie. Même après trente ans à Lyon, mes vacances en France c’était partout sauf dans le nord-est et je situe le début du nord entre Valence et Vienne.

Maintenant que j’habite encore plus au nord, et que l’ancienne Moselle est au sud (vous suivez ?) je sais que c’est une rivière (ouf, et un département, oui). Elle prend sa source en France, traverse le Luxembourg et sillonne l’Allemagne jusqu’au Deutsches Eck à Koblenz où elle se jette dans le Rhin. Le décompte à rebours des 195 kilomètres depuis Trier (Trêves) est affiché sur la rive de ce cours d’eau international.

Nous l’avons aperçue la première fois lors de notre excursion au château d’Eltz (voir article : Burg Eltz). Même sous le soleil de mars, la vallée dégageait une impression sombre avec l’eau et le sol bruns, les arbres nus, les rochers de schiste et les toits d’ardoise.

La découverte de ses rives vantées par les guides touristiques faisait partie de nos plans de week-end depuis notre installation à Mainz. Notre première tentative était tombée à l’eau faute de place dans les hôtels convoités (ah cette manie de vouloir réserver deux semaines avant la date… ). Une maman de l’école m’avait raconté leur escapade familiale de quelques jours. Ça m’avait fait envie. Partis de Mainz en train avec leurs vélos à bord, ils avaient fait une rando itinérante entre les villages. Maintenant avec le chien, ça devient compliqué. Hélas.

Pour les vacances de Pentecôte, après la colo de cheval de nos filles nous avons décidé de partir au vert en famille. Pour assurer notre départ juste après la fin du confinement, et donc ne passer aucune frontière, nous avons mis le cap sur la Moselle. C’est le coin qui nous proposait le plus de dépaysement sans quitter le Rheinland-Pfalz. Nous sommes donc partis avec des tonnes de sacs (pourquoi ?), de quoi nous faire à manger pour 10 jours (au cas où les restaus restent inaccessibles) et la niche du chien (pliable) pour un gîte loué à Trittenheim, en amont de la partie touristique.

Beilstein

Après un pique-nique improvisé dans une forêt (où le muguet est sur la fin mais où un ravissant petit nid tombé nous a accueillis), nous nous garons à Beilstein. Ce petit village moyenâgeux préservé est niché au pied de parois de vignobles sous une ruine de château. Il fait beau et très chaud. (Le changement de météo a été soudain : quelques jours plus tôt c’était encore écharpe et blouson). Le parking le long de la route est presque plein. Nous grimpons à travers des vignes escarpées. On a pris par mégarde le chemin étroit des vignerons dans la terre et le schiste friable : la vue est plus dégagée que dans les ruelles, mais j’ai besoin de me concentrer sur mes pas pour ne pas céder au vertige.

La Moselle, le monorail

Un monorail digne du Space mountain serpente entre les ceps. Nous découvrirons le soir qu’il sert à tracter un chariot de type bobsleigh-de-fret pour descendre le raisin. Pas de terrasses comme en Ardèche. Les rangées de vignes parallèles plongent tout droit sur des pistes noires. Les vins de Moselle chers à Jacques Brel poussent sur des vignobles tout schuss.

Dans la cour intérieure de ce qui reste du château de Metternich (qui est une propriété privée) nous découvrons avec surprise que pour la première fois depuis des millions d’années, la terrasse du café est accessible sans test corona. Bonheur de se faire servir une eau gazeuse fraiche et un petit Apfelstrudel.

Les ruelles étroites de maisons à colombages serpentent autour de terrasses de café. La Marktplatz, place du marché, date du début du XIVème siècle. Partout les enseignes de vignerons proposent des dégustations. Nous préférons visiter l’église baroque de l’ancien couvent de carmélites, claire et fraîche. Les murs sont blancs, les hautes fenêtres sans vitraux et les décorations peintes de couleurs douces. Une bulle de lumière gaie. Devant nous, une pélerine de Saint-Jacques, sa coquille pendue au sac, se recueille à genoux. J’adore les églises vides. J’y fais le plein de paix. Là je dois garder un œil sur ma fille qui tente d’ouvrir la porte d’un confessionnal (pourquoi y’en a-t-il cinq ?). Mon mari garde le chien dehors. Nous visitons en alternance.

Redescente vers la voiture. La pélerine et une copine attendent le bac pour l’autre rive. Il coulisse le long d’un câble, comme celui que j’avais pris à Bâle avec Susanne mon amie allemande d’enfance (voir article : L’amitié franco-allemande prend sa source en Espagne). Nous rembarquons pour descendre à Tritterheim, en amont de la rivière (oui, encore une qui coule vers le nord).

Notre gite est au deuxième étage d’une maison au bord de la route (ça ne se voyait pas sur les photos), dans une exploitation viticole. Juste en face se dresse une arche construite en pierres et caisses de bouteilles de vin où le village salue ses visiteurs. Willkommen / Bis bald (bienvenue / à bientôt). Sur un des poteaux est affichée la photo d’une jeune femme élégante avec une couronne et un verre de blanc à la main : la dernière reine locale.  Elles sont choisies tous les deux ans semble-t-il à la fête du vin du village.

L’appartement bien équipé est extrêmement propre. Je mets la pression sur ma famille : il ne s’agit pas de rendre le logement en piteux état. On fait toujours attention, mais là, où nous louons pour la première fois en Allemagne chez l’habitant, il en va de notre honneur franco-anglais. Ma fille trépigne, avec un grand sourire elle demande à la propriétaire :

-On peut se baigner dans la Moselle ?

-Oh non. Y’a des algues qui grattent et des bateaux dangereux.

Elle fait la grimace. Comme nous tous. Zut ! Tant pis pour les maillots.

Péniche (si, si, au fond)

Par moment on aperçoit une péniche de marchandises qui navigue sur la rivière (moins imposantes que celles qui croisent sur le Rhin). Dans certains villages, de longs quais ont été bâtis pour les accueillir. Ce trait de béton droit sur la rive d’un cours d’eau tout en courbes, le contraste entre industrie et paysage bucolique sont insolites. L’extérieur des virages, érodé par le courant est escarpé, l’intérieur tout en douceur. Pas de canoé ni de kayak sauf dans un ou deux coins touristiques. Personne ne se baigne. Difficile de voir dans quel sens le courant coule, l’eau marron entre des rives vertes semble immobile, domptée par des barrages et écluses. La Moselle est un décor à ne pas toucher.

Je discute avec la propriétaire du gîte dans la cour, à bonne distance. Elle et son mari exploitent 3 ha de vignes autour de chez eux et un peu en face dans les pentes. Ils ont vendu les endroits les plus escarpés. Le travail en dévers est trop dur pour leurs articulations. C’est la raison pour laquelle leurs enfants ont renoncé à prendre la suite. Je ne sais pas comment ils font. Dans plusieurs vignobles j’aurais refusé de descendre autrement que sur les fesses. J’aurais même choisi de faire le tour. Elle me pose des questions sur notre famille polyglotte, me dit qu’elle ne pourrait pas travailler dans un bureau et me demande ce que je fais dans la vie. Je lui parle de mon écriture et lui donne l’adresse de mon blog. Elle le consultera grâce une application de traduction.

Trittenheim (à droite)

Rapide tour dans le village. Il s’étale à l’intérieur d’une ample boucle de la Moselle, à l’écart des destinations touristiques. Sur la plupart des maisons des enseignes invitent à acheter du vin (Weingut, Weinprobe, Winzer, Weinverkauf …) et presque toutes proposent des chambres à louer. 1000 habitants, 800 lits d’accueil, 50 exploitants (150 il y a quelques années). Le vignoble est très morcelé. Presque aucun magasin. Une poignée de restaurants dont un étoilé.

Notre premier jour est un jour férié (jeudi de Fronleichnam). La seule activité se concentre auprès de la mairie pour les tests du corona. La boulangerie est fermée. L’office de tourisme aussi. Nous achetons nos Brötchen frais à la station-service en face de chez nous, qui les cuit sur place.

Au départ en balade, nous longeons la Moselle et la prairie d’accueil des campings cars. Tout le long de la rivière s’égrènent des villages et autant de pelouses à camping-cars. Aucune tente. Les véhicules sont garés comme des œufs dans une boite, parallèles et assez serrés. Sous l’auvent, une table et des chaises. Sur le toit une parabole. Vue imprenable sur le camion du voisin. C’est parti pour les vacances au bord d’une rivière où on ne peut pas se baigner. Certains s’installent pour toute la belle saison. Nous n’avons encore trouvé aucun endroit où planter notre tente en Allemagne ailleurs que sur un parking. Moi qui pensais que le camping était un loisir de pleine nature. Faudra qu’on m’explique.

La tour de l’ancien passeur du bac

Deux tours carrées blanches de part et d’autre de l’eau m’intriguent. J’apprendrai qu’elles hébergeaient les passeurs du bac. Sur le pont, les filles portent Gaïa ; elle a la pétoche, voudrait s’éloigner des bords, et marcher au milieu de la route. Dans les vignes sur un rocher, un cadran solaire, et en grandes lettres Trittenheimer Apotheke (pharmacie de Trittenheim). Je me dis que ce doit être le sponsor du carré. Mon mari me dit que non. Il a lu que c’était une appellation du vin local.

Grimpette sur le chemin vers la Grillhütte.

A louer pour barbecues

C’est formidable ça. En Rheinland-Pfalz (et peut-être partout en Allemagne), chaque ville ou village dispose dans la forêt d’une cabane à barbecue et la loue à qui veut. En décembre 2019, la fête de Noël de la classe de ma benjamine avait été organisée dans celle de notre quartier, en pleine forêt, dans la nuit et sous la pluie. Extra ! Celle de Trittenheim est luxueuse. Longues tables et bancs sous des bouleaux, cabane fermée en cas de pluie, barbecue abrité un peu à l’écart. Toboggan, cage de football et toilettes. Le tout sur un grand pré calé contre la forêt, accessible en voiture pour apporter le matériel. Les troncs d’arbre portent des traces d’escalade.

Ça râle un peu dans notre sillage. Trop chaud, mal à la tête, quand est-ce qu’on rentre ? On mange une glace ? Ok une glace à la pizzeria au retour (on commandera derrière un monsieur qui prend 6 boules dans un pot, pour lui tout seul). A condition de pousser un peu pour aller voir la chapelle Saint-Laurent sur la crête dans les vignes. Toute blanche, elle est visible depuis la route. La grande croix, mémorial aux morts des deux guerres mondiales me met mal à l’aise. Il n’y a pas de hiérarchie dans les morts bien sûr. Mais je ne peux m’empêcher de penser : si certains avaient foutu la paix au monde… L’orage menace puis s’éloigne. Le dîner en terrasse s’approche.

Le restaurant où ma fille et mon mari ont réservé est charmant. Dans un village un peu en amont du nôtre, à une poignée de kilomètres de l’autre côté de la boucle de la Moselle. Il occupe le rez-de chaussée surélevé d’une grosse maison en bordure de rivière, avec vue sur les vignobles et la petite chapelle blanche. La serveuse nous explique qu’elle est lituanienne et que leur établissement rouvre le jour-même post confinement. Le chef est son mari et a gagné le championnat du monde de cuisine en Afrique du Sud.

Dans cette contrée viticole, nous devons être des clients décevants : je ne bois pas de vin et mon mari un verre. Par contre on mange. Gaspacho au poulpe, veau aux pommes de terre violettes et dessert glacé au pamplemousse. Le Flammkuchen de ma plus jeune est craquant et fondant comme il faut. Un délice. Premier repas en terrasse depuis fin août dans la lumière douce près de tilleuls aux fleurs non écloses. Partout du vert. Le bonheur.

Trier, Porta Nigra

Le troisième jour, nous avons décidé de visiter Trier (Trêves). Mon unique passage date d’il y a plus de trente ans. A dix-sept ans, j’étais alors en stage pour l’été chez Ikea à Cologne. Je logeais chez une amie américaine musicienne mariée à un Allemand. Un samedi nous avions pris le train pour découvrir la cité romaine, plus ancienne ville d’Allemagne. Je me souviens avoir eu très chaud et soif et de m’être ennuyée à arpenter de longues rues inintéressantes. La pause dans l’ombre de l’imposante Porta Nigra, vestige des remparts romains et symbole de la ville m’avait sauvée. Je ne le dis pas à mes filles. Peut-être que ça me plaira plus cette fois ?

Après une grosse demi-heure de route, nous arrivons dans la zone commerciale de Trier. Sur la droite on aperçoit les falaises rouge brique de la Moselle. Un panneau mentionne le jumelage avec Metz, à 100 km. On se gare dans un parking en étage. Direction la place du marché charmante avec ses maisons à colombages. Le centre piéton est bondé, les points de dépistage rapide du corona se signalent par de longues queues. Direction la cathédrale. Mon mari et moi visitons à tour de rôle, il faut garder Gaïa (Grrrr). Lorsque les cloches sonnent au-dessus de sa tête, elle se met à hurler comme un loup.

Trier, cathédrale

J’entre seule. Les styles sont variés, plutôt chargés. Les deux chœurs, un à chaque bout, désorientent un peu. Au fond, un escalier monte vers une chapelle réputée héberger la tunique du Christ. La foule s’agglutine devant un porche. Je me hâte. Une porte latérale s’ouvre sur un cloître gothique presque désert pour ma dose de paix du jour. Il donne sur la Liebfrauenkirche, (l’église Notre-Dame) elle aussi classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle est inaccessible car une messe est en cours. Dommage.

Les filles en ont déjà marre. Elles ont repéré sur notre carte la pub d’un restau mexicain. Nous nous installons pour croquer dans des fajitas brûlantes et dégoulinantes en terrasse. On sursaute chaque fois que Gaïa aboie, au passage d’un deux-roues. Lorsque le monsieur à quelques tables de nous allume son cigare et nous empeste, je me dis que pour une fois nous aussi on dérange le monde. Hé, hé. N’empêche, j’en suis fort gênée. Je préfère l’anonymat.

Trier, pont romain

Pas de musée, non la patience collective s’effiloche. On va tenter de voir les vestiges romains éparpillés, dont plusieurs sont aussi classés au patrimoine mondial. On serpente dans la foule jusqu’à des rues plus calmes, non piétonnes, et sans intérêt. Nous passons par hasard devant la maison natale de Karl Marx (belle maison bourgeoise…). Nous rasons les murs côté trottoir à l’ombre. Une allée couverte de marronniers en fleurs nous rafraichit. La chaleur et la lassitude me rappellent ma visite précédente. Arrivés au quai, la route à traverser a beaucoup de trop de voies. Les voitures filent sur le pont. T’es sûr que c’est ça le pont romain ? Quelques pas de côté pour en découvrir le profil. Sous le tablier de goudron, les piliers en pierres noires et briques rouges ont l’air antique. Respectable certes, mais peu respecté avec toute cette circulation. Décevant.

Maison natale de Karl Marx

Allons voir les thermes.

En quittant le quai, nous passons à côté d’une zone de fouilles archéologiques sans nous arrêter, avant de nous rendre compte qu’il s’agit des Barbarathermen (thermes de Sainte-Barbe). Retour sur nos pas pour emprunter la passerelle au-dessus des ruines. Beaucoup de murs de pierres sont couverts d’un toit au ras de leur hauteur (pour les protéger de l’érosion ? pour abriter les archéologues ?). Du coup, depuis la passerelle on ne voit pas grand-chose. Pas de vue d’ensemble : on est trop bas. Pas de compréhension de l’architecture : trop haut. Des panneaux expliquent qu’il y a deux piscines, dont une sous une des maisons voisines. On veut bien les croire. La photo aérienne de la sortie est plus claire. J’en connais qui préfèreraient se baigner dans une piscine avec de l’eau dedans (moi).

Allez courage les filles, par là on va voir d’autres thermes et l’amphithéâtre. Oui, oui, oui, on ira prendre une glace après. Pause pour boire sous les tilleuls verts de la promenade. Hydratation canine. Ça râle et ça traine. Avec mon mari on garde le cap. Nous essayons de montrer l’exemple et de motiver notre descendance à l’Histoire mais au fond on en a ras le bol aussi. Nous suivons une avenue sans charme hormis les arbres.

Nouveaux thermes, ceux de l’empereur. De l’extérieur, un vestige de grand mur. Pour entrer il faudrait contourner l’espace extérieur. On va faire l’impasse. Pareil sur l’amphithéâtre : il est encore trop loin le long de routes à forte circulation pour notre état de fatigue et la chaleur.

Sur le retour vers le centre-ville, nous reparlons de notre visite aux thermes romains de Bath en Angleterre. Rien à voir. D’abord ils sont très bien conservés (ceux de Trier ont été récupérés après un détournement d’usage et des destructions), mais ensuite leur pierre blonde est gaie. Ici les blocs semblent grossiers, la pierre triste. Rien à voir non plus avec ceux des vestiges romains du sud de la France aux pierres claires.

Cap sur le glacier. Ma grande fille a cessé de parler depuis un moment et tient la chienne en faisant son boulot d’ado (la tronche). Longue queue à la boutique près de la cathédrale pour une boule de glace à la fraise fraiche délicieuse (et une autre au citron, parce que bon…). Allez vite, un p’tit tour à la Porta Nigra et on s’en va.

Retour à la place du marché, toujours aussi charmante mais écrasée de soleil et de foule. Nous suivons une rue commerçante piétonne avant de voir la muraille noire en blocs grossiers. Son appellation date du XIème siècle : la noirceur n’est pas due à la pollution moderne. On lève la tête pour contempler. On passe sous les arcades dans une ambiance d’oubliettes en guettant les odeurs fétides. Non ça va. Là dans son ombre j’aperçois l’Estelle de 17 ans, lasse d’ennui et de chaleur. Mes impressions du jour sont les mêmes. Eh, copine d’il y a longtemps, tu me fais une petite place ?

Sans doute faudrait-il prendre le temps d’entrer dans les musées. Mais au niveau du tourisme familial rapide (avec un chien), c’est décevant. Ce que j’ai goûté ne me donne, à nouveau, pas envie de revenir.

Rentrés au gite, l’orage gronde. Ça me va bien j’adore les orages et à Mainz il n’y en a presque jamais, ils sont détournés par le coude du Rhin et le massif du Taunus. Sous la pluie torrentielle, nous allons commander des pizzas. Les boites en carton chaudes réchauffent les doigts mouillés.

Bernkastel

Le lendemain, quatrième jour, la motivation des troupes pour des excursions étant au plus bas, mon mari et moi partons seuls. Sans enfants, sans chien !!!  Direction un double village plus bas sur la rivière : Bernkastel-Kues. Heureusement que grâce au corona, les parkings à cars sont vides.

Kues, ancienne gare

Le centre du village tout en ruelles étroites, maisons à colombages antiques penchées les unes vers les autres pourrait être charmant. Mais les peintures trop neuves et clinquantes, les magasins de souvenirs trop nombreux agacent. Les façades blanches brillent, les colombages rouges reluisent. Nous apprécions de pouvoir marcher sans laisse au propre comme au figuré. On connaît la musique. Traversée du village, montée aux ruines du château, photos, descente. Il fait gris et frais. Les acacias dans la montée sentent bon et les marguerites sourient de partout.

Bernkastel

Au bout d’une ruelle on se trouve une place pour déjeuner dans un restau touristique mais correct. Steak de porc, crudités (soyons raisonnables, j’ai repéré dans la boulangerie un gâteau au fromage pour le gouter). Peu après, dans une rue plus haut, un macaron Michelin signale un établissement au nom français (La rôtisserie royale). Le menu sur l’ardoise est au même prix raisonnable que ce que nous venons de payer. Ce sera pour la prochaine fois.

A notre retour, l’appartement est vide et les clefs accrochées à l’entrée. Les filles sont parties se balader au bord de la rivière avec Gaïa en oubliant de les prendre. Elles ont dû râler… Tiens, une bosse sur un lit. Je soulève la couette : quelques sacs installés en longueur comme une personne endormie… Ah, ah. Personne sous les lits. Surprise : elles sortent toutes les deux de l’armoire, la chienne muette dans les bras.

Comme elles n’ont pas bougé de la journée elles réclament une sortie. Identification à la dernière minute d’un restau avec des places de libres. Il pleut ce sera donc dedans sous condition de réaliser un test Corona fourni par l’établissement. Soit. On procède aux gestes demandés (voir article : Je rêve d’avoir mal à l’épaule gauche). Wiener Schnitzel et truite meunière. (Ça se dit pareil en allemand : les meunières attrapaient-elles les truites dans le ruisseau de leur moulin ?). Dernière soirée, bon d’accord, on regarde un puis deux épisodes de Miranda calés sous la couette tous les quatre, Gaïa dans le bras de la grande. Le chef chez nous a dix ans.

Au moment du départ (gite bien rangé, oui, oui), nous échangeons à nouveau avec la propriétaire. Elle me parle de ses quatre niveaux de TVA et de la nécessité d’être digitalisé. Je lui pose quelques questions. Ça veut dire quoi Strausswirtschaft ? Ce sont les ‘‘troquets-bouquet’’, des vignerons qui ont le droit trois mois par an de vendre des bricoles à manger : fromage, charcuterie, pain. Ils étaient signalés avant par un bouquet (Strauss) devant la porte. En Bade-Wurtemberg ça se dit Besenwirtschaft, où c’était repéré par un balai.

Sur le chemin du retour nous avons encore deux étapes.

Bremm, au fond les vignobles à 65° de pente

Direction Bremm, dans une autre boucle de la Moselle, bourg endormi au pied de vignobles à 65° les plus pentus d’Europe. Le ciel est blanc. Les rochers et les toits sombres. Ma fille dit : « on dirait un village dans un livre d’histoires, là où vivent les enfants malheureux ». Au bout du chemin après l’église, la vue est superbe. Je m’en contente. Au-delà part un escalier pour une via ferrata à travers les vignes de Bremmer Calmont. Un panneau précise que c’est interdit aux personnes sujettes au vertige. Déjà au milieu de l’escalier la tête me tourne… 

Wiener Schnitzel et truite meunière en terrasse, au son d’une petite fontaine.

Cochem

Dernière étape Cochem, gros bourg touristique. Plus gros bourg que Bernkastel-Kues, avec collège et lycée et même une librairie au milieu des boutiques de vin et de souvenirs. Château de conte de fées en pierres noires sur un sommet de colline reconstruit au XIXème, maisons colorées en bord de rivière, rues étroites et maisons antiques à colombages. Devinez ? Glace, oui glace (fraise-rhubarbe). Montée au château. Photos, difficiles à prendre sur fond de ciel blanc.

Cochem, Marktplatz

Nostalgie de fin de vacances et de dimanche soir cumulées. Soudain on se souvient des devoirs à faire pour le lendemain, faudrait pas trainer. « T’inquiète maman c’est juste des révisions». Retour sous un ciel toujours blanc. Il fait presque froid.

La route est aussi belle qu’à l’aller. Dans les jardins, les rhododendrons sont en fleur, magnifiques. La terre doit être acide (terre de bruyère se dit Rhododendronerde, terre de rhododendron). Dans les bas-côtés le bleu des ancolies et lupins sauvages attire l’œil. Après quelques lacets très serrés pour quitter la vallée, nous retrouvons des champs, puis l’autoroute et des forêts d’éoliennes immobiles.

On écoute un CD de Cabin pressure qu’on connait par cœur mais qui nous fait toujours autant rire. Gaïa s’est habituée à la voiture. C’est de bon augure pour nos dizaines d’heures de route de cet été, quand nous pourrons enfin franchir des frontières.

Vous aussi maintenant vous avez envie d’une petite glace non ?