Lignes bleues

Vacances d’automne dans les Vosges, exercice spontané de la diplomatie internationale autour d’un coq en pâte.

J’ai posté ce matin à Mainz une carte postale que je n’ai pas écrite et dont je ne connais pas le destinataire. Elle représente une ville au bord du Rhin où je n’ai jamais mis les pieds. Les lignes au stylo bleu sont signées Jutta.

Jutta je l’ai rencontrée avec son mari, couple au sud de la retraite, dans une auberge aux fins fonds des Vosges. Cheveux blonds et courts, gestes assurés, elle me rappelle une amie américaine. Son mari sous-titre ses blagues d’un clin d’œil. Eux et nous résidons dans les deux chambres occupées, nous nous croisons au petit déjeuner.

Ils ne parlent pas un mot de français, les serveuses pas un mot d’allemand. Personne n’a essayé l’anglais. Au grand dam de mon ado (arrête maman tu me fais honte !), j’ai mis mon grain de sel pour faciliter les échanges internationaux. Ei ? un œuf ? non. (Dommage, les petits déj français, avec baguette beurre et confiture, même maison, même enrichis de charcuterie et fromage local sont bien décevants quand on a besoin de protéines et de pain complet noir – dense, à l’allemande – pour ne pas sentir ses jambes flageoler, son cerveau s’embrumer et l’impatience enfler vers 11 heures. Surtout en randonnée.)

Quand l’occasion s’est présentée, j’ai aidé aux traductions.

Un matin, faute de serveuse visible, l’Allemande m’interpelle :

– Faut-il réserver pour manger ce soir ?

– Je suppose que c’est mieux, oui, si vous prévenez.

L’après-midi, je lis dans la chambre, mes filles et mon mari jouent à Mario Cart dans la bibliothèque (elles ne connaissaient pas, c’est bien, elles ont découvert à peu de frais / risque d’addiction et de bruit à la maison). Quand je les ai rejoints (ils avaient emportés les biscuits du gouter), mon mari me dit : “la dame allemande est passée, elle était en colère, il parait qu’on lui a dit qu’ils ne pouvaient pas manger ici ce soir”. Ça nous semble bizarre… La veille nous avions dîné seuls, face au poêle de faïence, la cheminée comme ils disent en Lorraine, avec un accent que je ne connaissais pas.

Le soir-même en descendant au restaurant, deux tables étaient dressées. Une de quatre, une de deux. Hmmm. Y aurait-il eu un malentendu ? Je partage mon doute avec l’aubergiste.

-Ah mais ils m’ont dit qu’ils voulaient déjeuner à midi. Je leur ai dit qu’on était complets. Oups…Vous pourriez leur expliquer demain matin… ?

Oui je peux. Je l’ai fait. La dame allemande est surprise et déçue.

Au diner, la serveuse qui compte sur mon relais linguistique pour simplifier son boulot me demande :

-J’installe les Allemands à votre table ?

Hein ? (ça va pas la tête ? on est sympa mais bon)

-Non, non, ça va aller.

Quelques minutes plus tard ma fille me dit :

-Merci maman, on va quand même pas parler allemand pendant les vacances.

La serveuse présente le menu du jour et tend vers moi un menton inquiet. Vous pourriez traduire ? Mais oui bien sûr. Coq en pâte. Allons-y pour une explication détaillée. Comment dit-on morilles ? Je ne savais même pas que ça existait comme plat (délicieux). Au dessert, la dame allemande voudrait bien la recette de la tarte au fromage blanc (nous aussi). Je la demande. Personne ne l’aura : c’est un secret.

Jutta m’explique qu’elle a écrit une carte pour souhaiter un bon anniversaire à une personne âgée et a oublié de la poster avant de passer la frontière. Vous pourriez la jeter dans une boite ? Oui, sans problème.

Le matin de notre départ, je le lui rappelle.

-Et la carte ?

-Je l’ai mise sur votre pare-brise.

(Dans un sachet plastique anti-humidité.)

C’est donc fait.

J’ai rempli ma mission de diplomate affectée aux relations franco-allemandes gastronomiques. Quand je pense que ma mère (qui n’avait aucune idée de ce que cela représentait) me voyait avocatinternationale. C’est fait.

Le dernier soir, l’aubergiste est venue nous offrir un pot de confiture maison, en sachet cristal. Aux quetsches, délicieuse. (Je savais que ça vous manquerait si je ne vous mettais pas une petite anecdote de confiote).

Moi qui fais souvent des petits cadeaux spontanés pour remercier des étrangers, ça m’a touché d’être du côté de la réception. Merci madame. Les filles ont eu droit à des barres chocolatées joliment emballées. « Comme elles ont été sages… C’est signe que les parents les ont bien élevées. » Hi, hi… on joue volontiers le jeu de la flatterie. Parfois on doute, hein…

Randonnées dans la forêt, sur les sentiers qui montent derrière l’auberge. GR, un jour vers la droite, un jour vers la gauche. Ou un peu plus loin, par la route qui s’appelle la rue et le chemin de goutte-froide, jusqu’à un sommet et une roche proéminente (j’ai un faible pour les panneaux poétiques). Sandwiches de fromage qui ramollit de jour en jour, carottes qui sèchent, thon qui dégouline. Vertige (pour moi) pour franchir un passage étroit en hauteur.

Entre sapins, bouleaux, mousses et fougères j’ai sauté les pieds joints dans un livre de contes. Allons-nous croiser la cabane des trois ours ?

Dans la queue de la boulangerie, un type m’accoste. “C’est quoi votre appareil photo ? Vous partez en balade ? Vous êtes touriste ?” Euh oui. J’adore papoter à l’improviste, mais quand je ne suis pas à l’initiative de l’échange, j’ai toujours un moment d’hésitation. Il a l’air inoffensif.

-Vous aussi, en vacances ?

– Oh non, nous on habite ici. On a vécu trente ans en Allemagne. On est revenu pour la famille.

J’ai pas osé lui demander la durée initiale prévue pour leur expatriation.

Tendez l’oreille…

L’auberge en demi-pension c’était le calcul pour éviter de faire bouffer à ma famille ma charge mentale. On restera moins longtemps que dans un gite mais pas de corvées courses ou cuisine. Bilan : personne ne peut plus voir ni pain, ni repas riches comme des dimanches midi. (J’ai fait de la soupe de légumes d’urgence.) Et les courses faut bien les faire quand même (rappelez-vous mon obsession avec le vinaigre blanc français, le savon noir, les bonnes sardines, le chocolat à cuire de qualité). Les filles se sont offert Dragibus et Carambars, Paille d’Or et madeleines, pour leurs anniversaires au collège. French touch autorisée, pourvu que les produits soient emballés individuellement.

Le premier gel de l’année s’est posé dans la nuit. Les dahlias du voisin ont cuit. J’ai tendu la main par le Velux pour toucher le givre et laisser une empreinte mouillée sur les tuiles rouges.

Balade en amoureux autour du village pendant que les filles sautent sur le trampoline. Mon mari et moi croisons un petit jeune homme, en short et K-way. Bonjour ! il nous lance avec un sourire qui mange tout son visage.

Je photographie un bassin en pierre où chante une source, puis on rebrousse chemin. On le croise à nouveau. Il entre et ressort aussitôt d’un jardin. Celui aux dahlias cuits.

-Re-bonjour !

-Re-bonjour !

Sans s’arrêter, il indique de la main le jardin dont il sort.

-Ma tata n’est pas là. Je suis d’ici c’est pour ça que je connais tout le monde.

Sourires.

-Vous logez à l’auberge ou au gîte ?

-A l’auberge.

-Y’en a qui disent que le village ici c’est naze. Mais y’a la nature, alors c’est joli.

Bien d’accord.

– C’est la première fois que vous venez ?

-Oui.

-Et ça vous plait ?

-Oui.

-Alors, vous reviendrez !

Simple comme re-bonjour.

Comme un parfum en noir et blanc de Guerre des boutons.

Une leçon de vie pour moi que les devoirs hypnotisent. Refaire si ça me plait. Un médecin me l’avait conseillé. Il faut privilégier les satisfactions comme un devoir. Je lui avais demandé de l’écrire sur une ordonnance. Un mantra pour les jours où la main de l’anxiété m’attrape à la gorge.

Les feuilles commencent juste à tourner. Dans la forêt tapissée de mousses, au milieu des sapins, les chênes rouges d’Amérique sont les premiers à passer du vert au vermeil. Ses glands trapus sont irrésistibles. J’en glisse dans mes poches. Comment est-il arrivé là cet expatrié naturalisé ?

L’Amérique : nous venons d’apprendre que son baptême a eu lieu à Saint-Dié-des Vosges.

Après les expéditions vers les Indes de Christophe Colomb en 1492, Amerigo Vespucci comprend qu’il s’agit d’un nouveau continent. Le Duc de Lorraine passionné de géographie, obtient du roi du Portugal, commanditaire des expéditions, cartes et récit de voyage de Vespucci. Il les confie au Gymnase Vosgien, un groupe d’érudits occupé à redessiner le monde. Sur la Cosmographie universelle (ça jette plus en latin), pour la première fois, le nouveau continent esquissé par la ligne bleue de l’océan Atlantique est appelé America. Féminin comme les autres, et en hommage à Amerigo.

Voilà pour la digression culturelle. De rien.

A part les vitraux de la cathédrale – modernes, liquides et graphiques, Saint-Dié ne nous a pas séduits. Une fois approvisionnés en munster (sous-vide !) au marché, on n’a pas trainé. L’architecture toute d’angles droits gris fait écho aux trop nombreuses nécropoles.

Fuite vers la nature jolie.

Enième tentative pour se faire un thé avec la machine de notre chambre. Elles sont rares en France et en Allemagne, les tea and coffee making facilities, que l’Angleterre met à disposition de ses hôtes. Pourtant c’est bien agréable d’appuyer sur le bouton de la bouilloire pour une boisson chaude, avachie sur le lit. Leur présence ou non dans une chambre d’hôtel est devenue une blague familiale.

Elle marche pas cette fichue machine à capsules (j’ai même pas essayé, j’ai laissé faire mes colocs, je ne parle pas le langage des machines qui font les malignes). Mon mari prospecte dans les autres chambres. Vu le calme, on se sent partout chez nous. Les portes sont ouvertes pour répartir la chaleur. Il revient avec trois gobelets de carton pleins de thé (dans deux ça ne rentrait pas). AIlleurs ça marche ! Il les pose où il peut sur ma table de nuit.

Bouquins, lunettes, stylo, cahier, téléphone en vrac. Je tâche de faire un peu de place, faudrait pas que ça se renverse. Geste maladroit. Pof je cogne un premier gobelet. EH M*** ! Je retire brusquement les objets qui craignent l’eau. Paf les autres basculent. Le thé est par terre, une flaque à mes pieds.

Euh…. Il en reste une gorgée au fond de ce gobelet, tu le veux ?

Dans le mystère de la dernière nuit à l’orée de la forêt, un cerf nous offre son brame guttural.

Retour par Strasbourg.

Devinez ? Missions librairie et coiffeur. J’ai pris deux rendez-vous. Un pour moi et un pour ma plus jeune. Elle souhaite corriger la coupe réalisée par se mère cet été. (T’as vu c’est plus long derrière que devant. On dirait une coupe de garçon.)

Certes.

Miracle, je ressors avec une coupe, une vraie. Comme avant. J’avais fini par renoncer. Me dire que non, ce n’était pas une histoire de style français ou allemand. Que mes cheveux s’émancipaient sans grâce. Que la seule personne qui arrivait à en faire quelque chose je l’avais laissée à Lyon. Eh bien non !

-La coiffeuse égalise et me dit : Voilà, c’est plus moderne hein !

Oui et plus dynamique.

Je hasarde :

-En Allemagne, c’est plus classique les coupes de cheveux…

– Oui y’en a beaucoup qui viennent se faire coiffer ici.

Ah tiens. Je ne précise pas que mes deux dernières coupes étaient françaises. L’une d’elle avec sa collègue lors de l’expédition vaccin.

– C’est quoi votre prénom madame ?

Je note. Je reviendrai. Tous les deux mois – ou disons, quand c’est possible, prévoir l’aller-retour à Strasbourg pour la coupe.

(J’ai demandé : le carré droit est la coupe la plus dure à réaliser même pour un professionnel. Il ne pardonne rien. Et toc.)

Avant de mettre le cap au nord, nous croisons la locomotive-jouet d’un monsieur qui grille des marrons. Impossible de résister. Nous lui achetons un cornet de papier, le plus gros format. Les premières châtaignes grillées mangées vite, trop chaudes, en s’étouffant un peu, brûlent la langue et laissent le bout des doigts charbonneux.

Je les laverai le plus tard possible.

Vivement qu’on en trouve au marché de Mainz, des châtaignes. Provenance indiquée : France. D’où en France Monsieur ? De l’Ardèche ?

Au prochain passage de frontière je complèterai mon stock de bouquins. J’ai apprivoisé les librairies de Metz et Strasbourg. Je sais où aller pour être en phase avec les avis des libraires. C’est tellement bon de flâner dans le parfum des livres et rassurant de repartir avec des promesses de bonheur en papier. Je me shoote bien un peu ici, mais je lis plus volontiers en français et en anglais.

J’ai une question pour vous.

J’ai envie de créer une rubrique lectures dans ce blog, histoire de partager mes coups de coeur et les vôtres.

Qu’en pensez-vous ?

(réponses bienvenues en commentaire)

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