Deux ans déjà en expatriation

~ Mainzalors.com a un an : 100.000 mots, 200 pages ! ~

Happy birthday dearest blog !

Les cours reprennent, je retrouve du temps pour écrire au calme. Et me retourne sur les deux ans écoulés.

Je savoure.

A peine 10 heures et déjà moite, je m’assois à mon bureau. Il est calé dans un coin vitré, au dernier étage et donc sous le toit. Tant pis. La porte fenêtre est ouverte sur la terrasse de poche, dont le béton rayonne encore de la chaleur d’hier. Tant que les rayons du soleil ne passent pas par-dessus le toit, directement sur moi, je la laisserai ouverte pour faire semblant de prendre l’air. Cet air qui refuse de bouger, ce plomb de Sahara estival. Il fait un temps de plaines de sable, silencieuses à rendre sourd, éblouissantes.

Je savoure.

L’éblouissement viendra tout à l’heure et malgré mon envie je ne pourrai rester assise ici. Quelques oiseaux chantent dehors. La guêpe fidèle (est-ce la même que celle de l’an dernier ?) grignote les tiges des canisses de la terrasse. Des coups de marteau résonnent.

J’accueille ce moment avec toute l’attention que je peux lui donner. Pour la première fois depuis 5 mois (5 mois ! presque une demi-année !), mes deux filles sont à l’école ensemble pour la matinée. Et si mon cher et tendre qui bosse dans une chambre en dessous veut bien jouer le jeu, je dispose de quelques heures SEULE. Le bonheur !

Quand on a besoin comme moi de temps de solitude, de silence et de pénombre pour recharger ses batteries, les conditions de vie qui se sont abattues sur le monde ont eu un effet dévastateur. Comme un nuage de criquets elles ont tout grignoté.

Alors je savoure ce temps offert.

C’était une rentrée pour de faux ce matin. Un échauffement, pour se rappeler comment écrire en allemand avant le retour à l’école lundi prochain. Nous avons sauté sur l’opportunité proposée par la ville de Mainz en compensation des cours annulés au printemps pour cause de corona. Une rentrée pour rire mais ma grande faisait la gueule.

Elle s’inquiète de se retrouver dans un groupe où elle ne connait personne (sa grande amie a participé la semaine dernière), où elle devra peut-être s’exprimer à l’oral et expliquer son cas particulier. Je lui ai fait remarquer qu’elle avait passé un long moment au téléphone hier avec cette amie à papoter en allemand. La langue n’est plus un obstacle. Mais les souvenirs de la période d’adaptation restent vivaces. Ça et puis la peur d’être mélangée à des ados qui viennent d’autres types de collèges (Realschule, Gesamtschule…)… l’inconnu inquiète.

Mais moi je jubile !

Ce matin j’ai accompagné ma benjamine à ses cours, dans l’école voisine de la sienne (elles se touchent). Elle a voulu y aller à pied, pour bien qu’on comprenne que son vélo est trop petit (c’est bon, le message est passé !). J’ai mis mes pas dans nos traces d’il y a deux ans. Quand nous étions paumées, sous la canicule de début août, noyées sous les feuilles grillées, les formulaires administratifs, les fournitures scolaires inconnues. Avec en plus, la pression temporelle de faire, quelques jours avant la rentrée, ce que les autres familles avaient réglé en juin.

Et là on est dans les clous (sourire tout fier).

Le nouveau cartable est choisi. Grâce aux conseils de ma voisine adorable, nous avons acheté la Rolls Royce allemande des cours de Gymnasium mais à un prix correct. C’est pas comme si y’avait beaucoup de choix dans les boutiques locales. Nous avons découvert que l’achat du cartable pour la 5. Klasse (CM2, début du collège) est une affaire très sérieuse. Le rayon est situé à l’entrée de la maroquinerie. Une vendeuse a d’emblée fait essayer à ma collégienne deux modèles lestés. Charge à elle de choisir le plus confortable. Allez hop un p’tit tout du magasin, avec le masque, le cartable lourd, en suivant les scotchs, les parois de plexiglas. Ensuite elle a pu choisir les couleurs qui lui plaisaient – dans le rayon en promo steuplait hein ?

A la caisse, la vendeuse nous a fait une démonstration pour adapter la hauteur des bretelles à la croissance de ma fille. C’est sûr elle pourrait le garder jusqu’à l’université ce sac vu sa robustesse. Mais ses goûts vont changer. Je parie que lors du retour en France il faudra la convaincre de le garder. La mode du collège ne sera pas la même qu’ici. Petite chance de se fondre dans le groupe si elle rejoint une école internationale avec des enfants allemands…

Quand les profs nous l’aurons donnée, nous irons confier la liste de fournitures à la buraliste du coin – elle a un rayon papeterie et se charge parait-il de tout préparer. Oh voisine, si je t’avais connue en arrivant comme ma vie aurait été simplifiée ! Il y a deux ans, les gens à qui j’avais demandé conseil m’avaient tous orientés vers un grand magasin en ville près de la cathédrale. Pratique quand ça prend une heure d’y descendre dans la touffeur de l’été et la foule, et qu’on doit y aller à plusieurs reprises !

On m’avait dit la première année à l’étranger, tu trouves tes repères. (J’ajouterai qu’il faut aussi perdre les anciens réflexes, ce qui est loin d’être évident). La deuxième année est plus confortable puisque les étapes déjà vécues se répètent. La troisième année devient vraiment agréable, tu profites de tout cet investissement. Je veux bien le croire. Car c’est seulement après deux ans finis (et l’arrivée de ma deuxième fille dans le collège de sa sœur) que je ressens le bénéfice de nos tâtonnements. Bientôt nous serons en mesure de donner des conseils, même à des locaux.

La cathédrale de Mainz – der Mainzer Dom


J’ai rajouté ‘’déjà’’ au titre : Deux ans, déjà.

Pourtant ces deux ans nous les avons senti passer, comme en témoignent tous ces mots que je sème, cailloux du Petit Poucet, pour trouver mon chemin jusqu’à vous (et moi). Dès notre arrivée, les idées, remarques, réflexions, coups de gueule ont fusé comme des feux d’artifice. Je les ai stockés pétillants dans ma mémoire vivante. Après les mois d’adaptation, quand j’ai pu m’asseoir et me retourner,  j’ai commencé à écrire.

Ce blog a un an. Joyeux anniversaire à toi ! 100.000 mots. 200 pages. Tellement d’émotions et d’échanges ici et là-bas. De nouvelles activités. Des liens d’avant se sont raffermis, d’autres ont fondus. De nouveaux se sont créés pour l’instant, ou pour le futur. On verra.

La guêpe grignote. Un bébé en promenade pleure. Les nuages attrapent les rayons de soleil et me laissent un peu de répit à mon bureau. Tant mieux, je vais pouvoir rester plus longtemps à travailler.

A vous je veux bien le dire, mais chut c’est un secret : j’ai commencé à écrire un livre, un essai. Ça fait longtemps que les idées et le projet me trottent dans la cervelle. Je suis très intimidée.

Je me suis fixé comme objectif de poser mon postérieur sur cette chaise tous les jours. Ensuite, comme dans les lignes de ce blog, j’avancerai un mot après l’autre.

Le soleil vient d’arriver sur mon clavier. Je referme la porte.

Il est temps de souffler les bougies de Mainzalors.com !

“L’art c’est beau, mais c’est beaucoup de travail” Karl Valentin

La reprise (coulisses)

Retour de vacances en France, la rentrée au Gymnasium s’annonce, le travail a repris. Journées de transition.

Houhou !

Grands signes de la main.

Oh ça faisait longtemps que nous ne nous étions vus. C’est chouette de te croiser là.

Attends, je reviens, je vais juste rincer la terre de mes mains dans mon arrosoir.

Alors ces vacances ? ça se passe bien ? Contents de vous retrouver – ou de vous séparer après ces mois de vies superposées ? De quitter les quatre murs qui nous ont tous engoncés ?

Oui, oui nous ça s’est très bien passé merci. Nous venons juste de rentrer. De France oui. Une cure d’arbres et de reliefs, de paysages variés. Beaucoup de kilomètres, oui. Et le plaisir du parler-facile. Du laisser aller au fil de l’eau de journées tissées par les marées et les méandres de rivières, les bouillons blancs ou noirs des torrents (avant / après la pluie), les orages de montagne.

Nous avons retrouvé un jardin croustillant, comme au sortir du four, alors que la canicule frappe au thermomètre. Je pensais devoir traverser une jungle et sortir la tondeuse (manuelle, pour nos quelques mètres carrés), et bien non. Juillet a été très chaud et sec à Mainz.

J’avais planté comme une forcenée au printemps, dans un élan d’activité sur place, pour fleurir notre coin de planète, celui que par la force des choses, nous ne pouvions guère quitter. Je me doutais bien que tout ne résisterait pas à l’été. Les cosmos chocolat ont cramé comme beaucoup de leurs copains de massif tout plat. Donc je déterre, je ratisse les feuilles sèches, je taille ce qui pourrait être sauvé. J’arrose. Le lilas qui pendouillait, le cerisier qui jaunit, le gazon… Dans les pots abrités au nord d’un mur c’est la jungle. Le papyrus prend des allures arborescentes, l’arbuste que je ne connais que de vue, enfle et gonfle ses boutons en fines grappes coniques. L’environnement, hein, les conditions de vie… C’est important, faut faire attention où on plante, où on s’enracine. Si on veut que ça prenne…

A défaut de prendre racine, moi j’ai pris une résolution, tu sais : ne pas lutter contre la nature (une terre de remblai, sèche et récalcitrante, encore plusieurs semaines de grosses chaleurs), ni contre ma nature. Je vais planter tout de même, mais peu et dans du terreau de qualité. Je les placerai dans des coins qui se sont révélés propices à la vie végétale malgré le délaissement. Je chouchouterai ces quelques pots, comme le plant de kiwi que m’a confié une amie-artiste-voisine avant de partir en Suède pour un an (snif, elle va me manquer ; je lui enverrai des photos de ses 4 kiwis à maturité). Faire avec les conditions, accepter de ne pas toujours réussir, ne pas toujours accepter, se laisser porter par le courant…

Le courant du moment, c’est la fin des vacances qui chahute avec le flot du quotidien. C’est la reprise. Celle de la couturière qui raccommode des vies actives par-dessus la parenthèse des congés, le quotidien allemand de part et d’autre de congés en France. Nous entamons la 5ème semaine sur les 6 que comptent les vacances d’été allemandes. La semaine prochaine les filles rattaqueront en douceur avec des cours de maths et d’allemand proposés en matinée – sur la base du volontariat – par la ville de Mainz. Une forme de compensation des semaines d’abstinence scolaire confinées. Le ministère de l’éducation de Rhénanie-Palatinat s’en félicite sur des panneaux publicitaires 4x3m.

Et moi aussi. Quelle initiative opportune ! Les enfants vont pouvoir reprendre le rythme tranquillement, et libérer les lieux ensemble CINQ MATINEES D’AFFILEE ! Ce n’est pas arrivé depuis début mars…. Si j’enferme mon mari sur ses téléconfs, je m’octroie quelques heures de paix et de silence ! Inespéré après avoir eu l’impression d’être de garde 24/7 pendant 4 mois.

Lors de notre dernière étape, à la montagne en Haute-Savoie (au bout du monde littéralement), mon regard a été attiré sur la porte d’un buraliste-bibliothèque-bureau de poste-salle d’expositions par la une de Marianne : « Confinement + vacances : Libérez-moi de mes gosses ! ». On les aime plus que tout hein, nos enfants, mais on prie tous les dieux (et ministres) de l’éducation que les cours reprennent normalement mi-août. Matins ET après-midis avec les AG siouplait.

Les AG, ces clubs organisés par les collèges, proposent des activités variées aux élèves. En CM2 (5. Klasse), ma benjamine en aura deux par semaine, en 4ème (8. Klasse) ma grande, une seule. Elles ont émis leurs vœux en juin choisis dans un catalogue de plusieurs dizaines de possibilités (couture, danse acrobatique, arts plastiques, basket…) et attendent les affectations. Si elles ont toutes les deux danse, elles pourront faire partie du même spectacle (avec une centaine de jeunes, une chorégraphie travaillée, des acrobaties impressionnantes : grand écart porté, pyramides de minettes…). La prof est extra, la représentation de l’an dernier formidable ! On verra.

En attendant, la logistique de la rentrée se précise. La reprise donc, mais pas celle de la musicienne, qui rejoue le même passage à l’identique.

Lors de notre arrivée ici voilà deux ans, nous avions dû plonger tête la première dans le grand bain de paperasses alors incompréhensibles pour une rentrée le 6 aout. Cette année, on souffle : la rentrée scolaire de notre Land est plus tardive (elle est décalée d’une semaine chaque année, pour alterner les périodes entre les Länder). Ensuite pour commander les livres maintenant ON SAIT : pas de commande en ligne au petit bonheur grinçant avec récupération à perpette en ville. Non. Je suis allée hier avec plaisir à la librairie pour enfants du quartier, j’ai tendu ma liste à la libraire. J’irai chercher le paquet demain. Et voilà. Un truc de rayé sur la liste (sauf le bouquin de physique, pour lui faudra retourner).

Côté administratif c’est pareil : on a compris le pourquoi du comment, les comptes en ligne (pour les divers prestataires : casiers, cantine, livres loués par la ville) sont déjà ouverts avec nos références bancaires. Ça devrait être plus rapide. Le badge de cantine est arrivé, celui que nous avions attendu si longtemps il y a deux ans (et qui avait condamné notre fille aux sandwiches plusieurs semaines).

Il restera à acheter un cartable pour ma plus jeune. Elle a été ravie de donner l’ancien en fin d’année scolaire (et d’école primaire) pour une opération caritative à destination d’une école du Malawi. Elle avait rempli le cartable de fournitures, et écrit une lettre pour l’enfant qui recevra son sac à dos. Et hop une bonne action (et le droit d’avoir un cartable neuf pour le collège, hein ?).

Nous descendrons donc en ville acheter le cartable. Nous y retournerons pour les fournitures quand les profs auront donné leurs listes. Rien trouvé de plus simple (les supermarchés du coin n’ont pas de papeterie scolaire, et je préfère acheter local). Mais au moins cette année, on sait où aller, à quel article correspond chaque mot et où manger une glace en sortant.

Si tu veux tu pourras nous y retrouver.

C’était sympa de te croiser. Prends soin de toi et de ton été.

Ah et tu sais, j’ai trouvé des groseilles ce matin au marché. Cet après-midi, ce sera confitures. Je t’en ferai passer un pot.

PS : Tu sens ? Y’a une odeur bizarre dans la cuisine. Ma grande fille fait cuire au four des branches de bois. Elle les désinfecte avant de fabriquer des jeux pour sa gerbille et les nouvelles qu’elle va adopter. Elle est en affaires par mail avec une famille dans les environs de Mainz. Ils lui ont demandé une photo de la cage. Ils ne vont pas être déçus, avec le palace qu’elle a fabriqué.

Douce France

Cheeeeer pays de mon enfaaaaance (et de mon adolescence, vie adulte) …

Ah le retour dans un environnement familier ! Les petites choses prennent une saveur nouvelle, celles qui nous ont manqué comme celles qu’on avait oubliées.

La question des vacances est un sujet sensible pour qui habite à l’étranger. Faut-il partir à l’aventure dans un pays tiers ? Découvrir son pays d’accueil ? Rentrer dans son pays d’origine (et là pour nous la question se pose : en France ou en Angleterre ?). Bon l’Allemagne on avait déjà donné cette année, avec ou sans choix (Berlin à la Toussaint, et Mainz-à-la-maison à Pâques pour cause de coronassignation à résidence). Là nous aspirions à l’évasion. Comme Edouard Dutour l’a écrit dans un article humoristique sur les destinations de vacances (magazine Elle du 10 juillet 2020 – Ah lire Elle en été …) : « Folie, on envisageait parfois Bayreuth, jusqu’à convenir que passer des vacances en Allemagne, c’était franchir un drôle de cap. »

Donc nous le cap on ne l’a pas franchi et on l’a mis sur le Sud-Ouest. Objectif : tour de France des régions avec l’accent du midi, celles où on a des petits bouts de cœur accrochés. Un retour à nos sources, l’océan et l’Ardèche, et si possible une entrevue des sommets alpins.

A peine passée la frontière, mes filles ont ouvert la fenêtre de la voiture et crié à qui voulait entendre (personne en fait) : « ON EST FRANÇAIS ! ON N’EST PAS DES ALLEMANDS ! » (en référence à notre plaque minéralogique, qui pouvait prêter à confusion.)

Réadaptation aux conditions de vie d’avant – et aux nouvelles liées au corona.

Trop chouette de boire mon café du matin dans un bol, comme en Ardèche. A la maison nous n’avons que des mugs, exprès. Pour mieux savourer ces changements minuscules quand nous rentrons.

Entendre « Pardon madame » de la part d’un cycliste passé trop près de moi sur le trottoir. Je réponds « Ce n’est pas grave » – puisque je le pense. Mais je suis surprise par cette politesse (rare sous toutes les latitudes je suppose), mais surtout car ça fait bien longtemps que quelqu’un ne s’est pas excusé auprès de moi dans la rue. En Germanie, je reste sur mes gardes dans tous mes déplacements. Et si personne ne me dit rien, c’est que tout s’est bien passé.

D’ailleurs ici aussi mon fils et moi nous sommes pris une remarque de la part d’un automobiliste : « DE RIEN ! » Il s’était arrêté au passage piéton pour nous laisser traverser. D’habitude je fais un signe de la main – ne serait-ce que pour être sûre de son renoncement à me faire la peau. Mais là nous discutions et nous avons oublié ce salut sympathique. Le Français s’attend à des remerciements lorsqu’il daigne suivre le code de la route. L’Allemand s’insurge contre celui qui ne suit pas les règles par défaut, mais ne s’attend pas à un remerciement au passage piéton puisque c’est la norme.

Quel bonheur d’être en France ! De redécouvrir toutes ces petits choses tenues pour acquises et qui nous manquent tant quand on en est privé (à part la prise de risque inconsidérée quand on traverse). L’à peu-près. La douceur, la souplesse, la spontanéité, la tolérance pour les erreurs, les oublis. Bon ça ira pour cette fois, hein… Être dépaysé par le français entendu partout, dans la rue, sur la plage, les magasins. Surtout avec l’accent chantant du Sud-ouest.

Côté corona, des affiches collées partout montrent que l’information au moins est obligatoire. Pas de masque systématique à notre arrivée (jusqu’à lundi où la règle a changé – pourquoi cette interruption dans la protection ?), et pas de traçabilité. En Allemagne, du moins en Rhénanie-Palatinat, tous les lieux de ‘’séjour’’ (restaus, coiffeurs, piscines…) enregistrent sur des petits flyers les coordonnées des visiteurs. Et ce dans un pays très à cheval sur la conservation des données personnelles.

Nous on s’est un peu laissé aller au début. On s’est permis d’oublier le masque une ou deux fois pour les courses. Pas longtemps, juste dans l’élan du relâchement.

Avant d’arriver sur la côte atlantique une halte paisible de quelques jours en Dordogne nous a permis de couper la route et donner le la à nos vacances. Se reposer au vert, bien manger et faire du sport. Une auberge perdue dans les charmes, à l’aplomb d’une rivière paresseuse, au bout d’une route étroite nous attendait. Les yeux dans la canopée du vallon en contre-bas. Un p’tit coin de paradis tenu par un Anglais et une Française et leur fille. Des bâtiments en pierre blondes, des fleurs partout, un nid de rouge-queue dans le creux d’un chapeau accroché au mur en décoration, du gâteau aux noix du Périgord pour le petit déjeuner. Une chambre pour les trois enfants, de l’autre côté du jardin. Hé hé !

Nous avons descendu la Vézère en canoë pour certains et en kayak pour moi. Quelques heures de liberté relative. J’adore le kayak et les occasions d’en faire sont rares. Nous sommes partis avec notre pique-nique en bidons étanches. Ravis de découvrir ce paysage par un chemin d’eau. Un château élégant avec sa tour unique sur un éperon rocheux. Là dans la falaise, des campements préhistoriques, utilisés jusqu’au Moyen âge. Tiens une île de galets, juste en dessous de notre auberge dont on aperçoit un pan de mur dans la mer de feuillages. Et si on mangeait là ? on accoste, et se jette dans l’eau pour une baignade dans un semblant de rapide (j’veux pas me la jouer parce que je suis ardéchoise, surtout que les rapides de l’Ardèche par rapport aux torrents des Alpes c’est de la gnognote avec leurs trois kilomètres de plat après chaque escalier, mais là c’est franchement calme.). Alerte ! Une famille Bidochon a trouvé notre emplacement sympathique et a forcé ses canoës entre les nôtres. Se seraient-ils arrêtés là si nos bateaux ne leur en avaient suggéré la possibilité ? S’ils n’avaient pas eu besoin d’un public pour crier sur leurs gosses ? Ah l’instinct grégaire…  Donc cap sur le virage suivant pour déguster un premier melon estival et des rillettes de canard.

A l’arrivée de la descente, de petits groupes attendent déjà le prochain minibus pour remonter au lieu de départ. Une famille, un couple ou deux, trainent là fatigués…. Le mini bus arrive et nous nous faufilons avec tout notre barda pour trouver un siège. Tous, sauf une dame étrangère qui s’interrompt sur le point de poser un pied dans le véhicule :

Vous ne mettez pas de masque ? mais c’est TRES DANGEREUX !

Elle s’adresse à la collectivité, en français. Le petit couple vers la porte marmonne un « Ben nous on est comme ça » en haussant les épaules. Nous sommes tous ‘’comme ça’’, c’est-à-dire sans masque et dans un l’accoutrement approximatif de personnes qui ont passé la journée sur l’eau à pagayer, engoncés sous nos bidons étanches, sur un siège qui démange le postérieur humide. Et le “comme ça” nous va très bien. Nous sommes lâchement soulagés d’être assis au fond, moins concernés par la remarque car vaguement planqués. Et là je ressens un petit plaisir coupable : ça fait tellement de bien de ne plus être celle dont le comportement est minoritaire ! Yes ! Ici je peux la regarder avec la supériorité du nombre (à défaut d’une autre) la rabat-joie masquée !

Un monsieur québécois est plus malin que moi. Il intervient :

 –Vous avez un masque vous.

Oui

Alors pour vous il n’y a pas de problème, vous êtes en sécurité.
– ….

Elle monte.

Ce monsieur s’était déjà montré efficace et serviable lors du chargement des embarcations sur la remorque. Il nous avait aussi sauvé la vie en resserrant rapidement le frein à main du minibus qui commençait à glisser.

En quelques minutes, le comportement d’un seul individu nous avait donné un a priori très favorable sur tout une province. Comme celui de l’emmerdeuse (qui avait déjà interdit à son mari d’aider pour porter les canoés, alors que lui était volontaire – elle lui avait rappelé qu’il avait mal au dos, au fait) nous avait enlevé toute envie de connaître son peuple (non identifié).

A partir d’un échantillon de taille ”un”, on se fabrique toute une mythologie.

Nous plongeons avec délices dans celle que nous construisons sur la France sur les fondations de notre regard neuf. C’est la première fois que nous revenons aussi longtemps depuis deux ans.

Non mais t’as vu comme les gens sont sympas ! Ils blaguent (au sens méridional du terme) ! T’as vu comme c’est beau la France, comme c’est varié ! Au prochain confinement c’est sûr je veux être ici hein ! Coincée sous les pins à moins d’un kilomètre de l’océan.

Nous voyons tout avec des yeux d’amoureux éperdus, et lorsque nous parlons de notre vie à Mainz, les références à notre pays d’accueil sont masquées de biiiip pudiques.  Y’a pas à dire, c’est plus simple quand on se sent à l’aise dans les codes sociaux (et qu’on occulte sciemment que nous sommes dans des conditions de vacances).

A nous les coquillages et crustacés (ce qui me vaut de chantonner le refrain de la chanson de Bardot, au grand dam des oreilles des miens), le poisson tout frais, les cigales, les Gervita, et le piment d’Espelette. Le gâteau basque et les chocolats fins, puisque Bayonne est parait-il la capitale du chocolat depuis 400 ans. Les petites culottes de Monoprix et quelques T-shirts sportifs-chics, une robe rouge et un short vert.

Et surtout, des livres, des livres, des livres. Des kilos de livres. On a dévalisé la librairie de la rue en pente de Bayonne, au nom si charmant et aux critiques argumentées et sans ambiguïté (du type, pour un roman en vitrine : vous avez économisé 18,50 euros). Et aussi la librairie plus bas, vers les quais de la Nive. Et celle d’Hossegor. Les articles de papeterie mignons pour la rentrée, on s’en occupera en Ardèche (mon mari aussi achetait ses fournitures scolaires en France avant de rentrer en Angleterre). On n’oubliera ni saucisson ni crème de marrons.

Des kilos d’objets transitionnels pour survivre en terre étrangère : gastronomie, culture, mode. Les trois piliers de notre franchitude à transporter depuis le Sud. Car même la France de la lisière nord-est (la ‘’fausse France’’ comme dit ma fille) ne nous procure pas tout cela.

Nous rapporterons à Mainz les pots de confiture de cerises noires vides. Pourvu que le primeur ait toujours des groseilles et des cassis pour nos productions maison.

Je ne vous quitte pas sans vous annoncer une grande nouvelle. La discussion en famille d’hier (à la faveur de la prise de recul du voyage) a conclu : nous rentrons en France l’été prochain. Notre expérience allemande était prévue pour 2 ou 3 ans. Nous revoilà avec un nouveau projet où tout est à construire.

La France restera-t-elle aussi douce lorsqu’on y reposera nos meubles ?

La lutte avec l’ange*

Des adieux soudains au cœur de la lumière de l’été. La simultanéité du blanc et du noir, comme le yin et le yang enlacés, ou la difficulté de vivre ces émotions contraires.

Je lutte avec l’ange.

Je suis en lutte contre lui, avec lui. J’aimerais baisser les bras et capituler, m’avouer vaincue. Lui donner mes poignets joints en signe de soumission. Pour connaître enfin, quelques minutes de paix.

L’ange de la vie, l’ange de la mort.

J’accuse le coup des six derniers mois-corona, des deux ans en Allemagne, des 47 dernières années. De tout ce temps passé à refuser de m’accepter puisqu’il me fallait trouver une place dans la société et que je pensais que c’était à ce prix, un prix que je ne connaissais pas. Toutes ces années à tenter d’apprendre à me connaitre.

Je n’y suis toujours pas, il parait qu’il faut toute une vie. C’est bon signe, signe qu’elle n’est peut-être pas finie.

Nous sommes partis en vacances avec un petit bandeau noir au bras. Le ruban minuscule de la mort soudaine d’une petite gerbille. Une des deux sœurs hébergées dans la chambre de ma grande fille, dans une cage olympique fabriquée en un week end à partir d’une vitrine IKEA, de planches et de grillage. « Combien de temps ça vit une gerbille ? » a demandé une copine la veille en jouant avec elles. « Oh deux ans et demi, trois ans ». 24 heures. Combien pèse l’âme d’un petit rongeur dans le cœur d’une ado qui lui a consacré tant de projets de bricolage créatif, tant d’heures de jeu ? Assez lourd pour se frayer un passage jusque dans ces lignes.

Recours éperdu aux textes essentiels : « Ma chérie, c’est le temps perdu pour ta gerbille qui l’a rendue si importante à tes yeux. Tiens lis le Petit Prince ! » (On va y arriver oui ?). Et par procuration, à mes yeux à moi. Comme j’ai été attendrie de te voir faire sécher des rondelles de carottes pour elles, construire des jeux en bâtons de glace et rouleaux de papier toilette, en papier (toilette) maché et farine mouillée (même aux temps de la disette) !

La mort a fait irruption soudaine dans nos vies la veille de notre départ. Décision à prendre chez le vétérinaire (cette décision tellement humaine que les médecins nous refusent). Ma fille a été exemplaire de maturité et de dignité. Dans la voiture, les gorges sont longtemps restées nouées.

Escale en Bourgogne. Restau (ça fait si longtemps qu’on rêve de manger français). Texto : « Marie est très malade ». Oh non….. Quelques jours plus tard : « C’est allé très vite, Marie est partie ». Marie c’est une amie de la famille depuis toujours. (C’est pour elle que j’ai simplifié le mode d’abonnement à ce blog. ) Vue de l’extérieur c’est une dame âgée dont l’heure est venue comme elle vient toujours à un moment quand on vieillit. Vu de près, de l’intérieur d’une affection, c’est une étoile qui s’éteint, une fée qui s’envole. Un pilier de nos cœurs qui nous laisse tous un peu orphelins. Surtout qu’elle était une grande amie de ma maman. Vous voyez ce que je veux dire, non ? Si je vous faisais un dessin ce serait un sourire et son reflet.

Aujourd’hui c’est son enterrement. Elle était très croyante alors, c’est son à-Dieu. Je pense à elle et aux siens. Je regarde le ciel, parce que peut-être, sait-on jamais… On ne se trompe jamais à regarder le ciel. L’infini autour de nos vies, ça fait lever le menton et redresser les épaules et des éclaboussures de bleu c’est toujours bon à prendre.

Comme si souvent, mon esprit me dit d’accepter ce départ et mon corps s’y refuse. Alors je lutte avec l’ange.

Je suis désolée de vous écrire ce billet sombre comme les pins noirs au-dessus de ma tête dans le contre-jour. Pourtant je suis assise sur un transat, les pieds sur la mousse sèche, l’ordinateur sur les genoux. Je commence à avoir un peu chaud, je vais quitter mon sweat.

Peut-être que quelqu’un quelque part, en lisant cela, se sentira moins seul (e). Je le / la salue.

L’été est une saison cruelle, hautaine. Elle glorifie des corps toniques bronzés et en bonne santé. La vie jeune, grégaire et sans souci. Elle élude les isolés, les esseulés, les malades et les endeuillés, les accidentés. Comment trouvez-vous ma nouvelle tristesse ? Me va-t-elle bien au teint avec ce début de hâle ? Et mes nerfs à fleurs de peau ? C’est comment avec les tongs ?

J’apprécie la météo de ce coin des Landes que lapent les pelouses si vertes du Pays Basque. Le soleil va et vient comme les vagues, comme les marées. Comme les averses et les orages. Restent les pins et le sable, sur la dune le parfum des immortelles.

La tristesse est plus supportable dans un sweat douillet, sous un ciel menaçant, quand il tombe quelques gouttes. Quand on frissonne aussi de froid. J’aime quand l’extérieur s’accorde avec mon intérieur, et de plus en plus j’apprécie la pluie, le temps mobile, variable, indécis. Il y a quelques années je râlais de devoir mettre un jean au mois de juillet… Aujourd’hui je m’y blottis avec délectation.

Je lutte avec l’ange et je me rends compte au fil des mots, en vous écrivant, que cet ange en ce moment, s’appelle tristesse. Je ne le savais pas en commençant ce billet.

Je me sentais en colère, survoltée, à bouts de nerfs, éreintée par tous ces mois de confinement au sens large, d’exil de ma vie et de moi-même imposé depuis tous ces mois. Privée d’amitié d’enfance et d’en France, de famille, d’eau où nager pour me défouler vraiment et me resourcer, de la possibilité d’une évasion. Les échanges cœur à cœur avec mes amies allemandes, artistes, m’ont apporté beaucoup, comme les promenades sauvages, et la chasse au trésor quotidienne des nouvelles floraisons. J’ai envie de tenir un journal de ces jalons en jupons de pétales et d’étamines. Mais la camisole de la quarantaine, même tissée dans la transparence de la raison et de l’universalité gêne aux entournures.

Depuis que nous avons enfin pu nous évader de notre quotidien pénitentiaire, nous avons traversé la frontière vers le sud. Avant de partir, j’ai pris soin d’écrire une lettre au stress accumulé en moi, en lui souhaitant une belle vie. AILLEURS. Bien sûr la pandémie et ses paniques nous ont suivies, mais avec un autre accent – c’est toujours ça. Et j’ai décidé de m’accorder des vacances. Comme si une mère pouvait connaître une vacance, sans parler de plusieurs…. Enfin, on ne risque rien à essayer.

J’ai donc lâché le clavier et beaucoup d’autres activités (du genre vouloir contrôler mes enfants). Embrassé la mission de regarder le vent dans les feuilles et le sentir sur ma peau et dans mes cheveux, me mouiller le plus souvent possible, faire du sport dans l’espoir de renouer avec mon corps et de ramener mon esprit à mes bons et loyaux services – ou en tous cas plus près de moi et de mes besoins.

En effet, dans ce no man’s land sans repères ni projets dans lequel nous vivons tous depuis quelques temps, j’ai bien peur de m’être égarée. Pourtant je continue d’écrire beaucoup, avec mon stylo-boussole, dans des cahiers de toutes les tailles et de toutes les couleurs. (Je ne sais pas vraiment les utiliser : j’en ai des tas, neufs et entamés. Aucun n’est fini, les pages blanches s’éparpillent dans chacun).  J’ai rempli des tas de lignes sans avoir envie de publier sur ce site. Des bouts d’idées, des morceaux de paragraphes, des bouquets de mots et d’émotions.

Je voulais juste glaner ce qui me passait par la tête comme épingler les nuages de mon ciel sur une toile blanche avant qu’ils ne s’effilochent. Pour dépouiller mon méli-mélo silencieux, m’en souvenir lorsque j’aurais à nouveau envie de vous écrire et de partager.
Plusieurs sujets s’entre-mêlaient. Et je ne pouvais me décider pour l’un ou l’autre. Alors ils avançaient chacun tranquillement de leur côté. Pendant que je triais les calmars, ou désablais les tellines. Pendant que j’étendais le linge le long des doigts-de-sorcières rampant dans les aiguilles de pins. Pendant mes longueurs de piscine. Des petits germes, des graines de textes et d’échange.

Mais je refusais de m’approcher de mon ordinateur ou de mon téléphone. Un ras le bol violent des écrans et des réseaux (si peu) sociaux. Un besoin de couper, de me recentrer sur la vie réelle, de profiter de cette évasion tant désirée.

Hier je me suis dit, ça y est ! je sais comment je vais assembler mes petits bouts de puzzle. Je devine la forme qu’ils vont prendre. J’ai écrit une ébauche d’article dans mon carnet bleu turquoise.

Cet après-midi, j’ai fini mon roman après le déjeuner (délicieux les calamars, merci ! le roman aussi d’ailleurs), sur mon transat les pieds dans l’herbe et la mousse sèches. Je me suis levée, et suis allée chercher mon ordinateur dans l’armoire. J’avais éprouvé soudain le besoin de vous écrire.

J’ai ouvert mon fichier et j’ai commencé. Sans rien écrire de ce que j’avais prévu hier. Le carnet bleu turquoise est resté fermé. Les autres aussi.

Malgré l’intermédiaire de l’écran que je refusais, je ressens beaucoup de joie et un peu de cette paix fugace que je cherche depuis tant de jours avec ma natation et mon yoga quotidiens, grâce à ce partage avec vous.

Je vous en remercie.

Je vous souhaite un été dont les mélodies suivent parfois votre météo interne.

PS : Je vous prépare l’article dont je voulais vous parler hier. Il y sera question d’une huppe et de yoga sur la plage, en zone interdite. Et aussi du gâteau basque.

*En référence au livre de Jean-Paul Kauffmann sur le tableau de Delacroix, à l’église Saint-Sulpice à Paris.

Ah, et le roman que je viens de finir avec le sourire est Bienvenue au motel des pins perdus de Katarina Bivald.

En passant

Une exposition de sculpture impressionniste au musée Städel de Francfort, un autoportrait au radiateur. L’art comme miroir de nos vies.

Goethe, par Tischbein 1787.
(Avec deux pieds gauches ! hi hi)

Elle me regarde. Assise de trois quarts, dans une bergère de bois blanc tendue de soie claire et fleurie. Sa robe longue tout aussi blanche et soyeuse a les manches bouffantes transparentes. Un volant flotte sur le décolleté où se niche un pendentif, une ceinture de soie ou de taffetas mauve lui ceint la taille et rappelle les rubans noués à ses manches.

Sa peau claire, presque nacrée se fond dans un camaïeu pastel, mis en valeur par la soie de Chine bleu canard tendue sur le mur et ses cheveux sombres attachés en arrière. Une peau blanche comme la neige, des cheveux noirs comme l’ébène…

Tout semble doux et lisse, fuyant et frais au toucher. Glissant. Un cocon de soies et de soieries.

Elle a l’air fatiguée, lasse, une main posée sur les genoux croisés dans une port à la fois alangui et noble. Un bras qui embrasse l’accoudoir de la bergère, dans une velléité d’évasion du cocon. Un soupçon d’abandon étudié.

Elle pose son regard sur moi, avec un demi sourire. Dans un mimétisme réflexe, je ne peux m’empêcher de pincer légèrement les lèvres. Je regarde sa main et sens dans la mienne la forme sculptée de l’ossature en bois de la bergère. Tout est calme autour de nous. Peut-être va-t-elle me confier ses pensées.

Elle est plus jeune que moi, peut-être 20 ans de moins. Mais aussi 130 ans de plus. Et pourtant nous sommes pareilles. Des femmes, vivantes.

Lady Agnew of Lochnaw, par John Singer Sargent – 1893

Changez-lui ses habits (comme je faisais jadis avec des petites poupées découpées dans du papier), et asseyez-la dans un canapé de velours bleu canard, posez-lui un smartphone dans la main droite. Hop vous avez franchi d’un coup le gros siècle qui ne nous sépare pas.

Elle, Lady Agnew of Lochnaw, une Ecossaise, est en visite à Francfort en ce moment, sous la forme d’un portrait peint à l’huile par John Singer Sargent. La taille de l’œuvre (grandeur nature ou presque), la fraicheur du trait et des couleurs attirent le regard dès qu’on pénètre dans la salle. Ma fille s’est postée d’emblée, aimantée, devant.

Je l’emporte dans mon coeur, et dans une salle voisine, je m’arrête devant une nature morte aux pensées. Des pots de fleurs fraîches depuis près de deux siècles. Les sœurs jumelles de celles que j’ai plantées dans mon jardin ce printemps. Deux cents ans plus tard, je ne les ai jamais vues et pourtant je les connais déjà.

Plus loin, je m’attarde devant une sculpture de la maternité : une jeune femme tient sa petite fille dans les bras. Je lui tourne autour, pour l’observer sous tous ses reliefs, tous ses reflets. Je connais bien sa position, je l’ai encore dans les bras (comme on dit ‘’je l’ai dans les doigts’’ d’un morceau de piano), dans la même position que j’ai utilisée longtemps, souvent, le plus possible, avec mes enfants petits. Si peu de choix finalement dans nos gestes. Des corps qui s’emboitent comme des morceaux de puzzle, les bras de la mère, le corps souple abandonné de l’enfant. Hier, aujourd’hui, demain.

Pour l’une de nos toutes premières évasions post-confinement, nous avons choisi une excursion au musée Städel de Francfort. Ce musée des beaux-arts se situe sur le bord du Main (un affluent du Rhin qui s’y jette au niveau de Mainz) sur la Museumufer – le quai des musées. Le bâtiment sérieux, classique, symétrique, intimide un peu, lorsque on gravit ses marches. Ou peut-être est-ce le gardien masqué qui nous contrôle à l’entrée. Derrière nous, en face, de l’autre côté de l’eau et d’une passerelle, les tours de la City allemande se dessinent sur un ciel nuageux.

L’exposition temporaire qui nous a attirés s’appelle : En passant (en français). Elle porte sur l’impressionnisme dans la sculpture, et présente des œuvres de Degas, Rodin, Rosso, Troubetzkoy et Bugatti (les trois derniers je n’en avais jamais entendu parler, mais ils valent le détour comme leurs confrères). Elle étudie le rendu en pierre et en bronze de la lumière et de l’atmosphère de l’impressionnisme. La matière en relief, libérée, émouvante et lumineuse. Sculptures, dessins, peinture, mises en regard. Superbe ! L’expo est prolongée jusqu’au 25 octobre. Courez-y vite ! https://www.staedelmuseum.de/en/exhibitions/en-passant (avec le masque, le plus tôt possible dans la journée).

J’ai eu le coup de foudre pour Eve, un dessin de Jacques-Ernest Bulloz, d’après une sculpture de Rodin. Dès le mercredi suivant, c’est elle que j’ai modelée en argile, elle qui a été sous mes doigts si conciliante et inspirée.

L’art nous tend le miroir d’autres vies, d’autres émotions et sensibilités – qui nous parlent par-delà les années, les siècles. C’est troublant ce chemin similaire de découverte du monde et de soi, au fil de nos âges, quelle que soit l’époque. Penchez-vous, écoutez… tous les secrets sont là. Rien de bien nouveau en somme.

J’arrive à l’âge où je ressens l’envie et le besoin de lire des biographies. Celui où on a compris qu’il est utile de rebondir sur les découvertes d’autres vies, pour mieux comprendre la sienne. Comme un raccourci vers plus de conscience, une occasion de prendre de la graine (de la graine : je le savais bien que les plantes sont pleines de sagesse). Entendre ces vies qui me parlent au-delà des années, des siècles. Les similitudes, tellement, avec ma vie à moi. On se croit unique, plus malin, différent. Et on l’est. Comme les autres, comme tout le monde. Tous ceux qui nous ont précédés, nos contemporains, ceux qui nous suivront.

Une biographie pour amplifier encore le bonheur de la lecture, redécouvrir des choses que l’on sait, sent, suspecte déjà dans un autre contexte, pour apprendre grâce au décalage combien nous avons en commun nous autres humains. Un autre temps. Une autre vie. Tellement proches des miens.

J’ai lu récemment une biographie de Colette, peut-être mon écrivain préféré. Je m’identifie à elle, pour nos 100 ans d’écart tout pile ou presque et notre amour des violettes dans les chemins creux, notre passion des végétaux et des êtres. Ses mots me font vibrer.

Si j’arrive à mettre la main dessus cet été, dans la maison de mon père, la bibliothèque de ma mère, je lirai peut-être le journal de Delacroix. Je prendrai mon temps, comme si le temps était à moi, pour relire des livres qui me parlent. A chaque passage dans leurs pages, ils me confient des secrets nouveaux.

Tenez, par exemple, j’ai ressorti un livre de Christian Bobin : Autoportrait au radiateur. Il m’a été offert voici 20 ans par une amie ardéchoise, parisienne pour cause d’études. Je l’avais lu dans le TGV du retour, d’une traite, buvant les mots de ce poète que je découvrais. Je le chéris doublement depuis et le lis régulièrement. J’ai dévoré avec gourmandise tous les livres de Bobin qui ont croisé ma route.

A la première lecture j’avais souligné certains passages au feutre noir. J’ai souri ce matin, curieuse de voir combien aujourd’hui j’ai envie d’en distinguer de tout autres. La période de ma vie a changé. Au mois de janvier 2000 ma vie était en transition. Ma mère était partie depuis quelques mois et j’allais bientôt tomber enceinte de mon premier enfant. Ce livre qui parle beaucoup de la mort d’un être cher, m’avait aidé sur ce plan-là. Aujourd’hui je dois avoir à peu près l’âge de l’auteur au moment de son écriture. Ce sont ses intuitions, ses pensées sur la vie qui me parlent le plus. Attraper un peu de maturité et de sagesse avec le filet à papillons de la lecture.

Le miroir tendu par l’art est un miroir magique. Il reflète ce que nous sommes prêts à voir et à entendre. S’il a d’autres secrets à nous révéler, il reviendra c’est sûr. Au moment adéquat.

Alors aujourd’hui, miroir, miroir sur le mur (de ma bibliothèque), quel secret vas-tu me confier ?

Apprivoiser

L’année scolaire se termine avec son précipité de rituels.

-Qu’est-ce que signifie « apprivoiser » ?
-C’est une chose trop oubliée, dit le renard. Ça signifie « créer des liens ».
Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry.

Ce matin au petit jour je suis descendue dans le séjour. Ma cadette déjeunait déjà d’un muesli. La dernière dormait encore (les horaires de l’école-à-la-maison se décalent chaque jour). J’ai pris une tasse de café et suis sortie marcher pied nus dans l’herbe fraîche. Pour m’éveiller avec le jardin et les arbres, sentir le vent se lever avec le soleil.

Mon mari faisait du sport en écoutant un podcast. L’interview d’une dame américaine dont je n’ai aucune idée de l’identité. Je l’ai juste entendue en passant dire qu’elle relisait chaque année le Petit Prince et que chaque fois elle y découvrait de nouveaux trésors, et des réponses aux étapes qu’elle traversait à ce moment-là de sa vie.

Le Petit Prince, je viens de le racheter, en édition de poche et en français, dans la librairie du quartier. C’est une librairie jeunesse avec une sélection de livres pour adultes très intéressante http://nimmerland-mainz.com/. J’adore y aller, chercher des idées de lecture, des cadeaux. Le commerce du livre allemand est très bien organisé. N’importe quelle librairie peut vous commander le titre recherché pour le lendemain matin. Comme les médicaments dans les pharmacies. Mais ça en arrivant à Mainz voilà deux ans, je ne le savais pas encore.

Pour préparer notre première rentrée scolaire allemande, il s’agissait en quelques jours d’acheter les fournitures, réaliser différentes inscriptions, et commander les manuels. Ici en Rheinland-Pfalz, les livres scolaires doivent être achetés. Certains le sont neufs, mais d’autres peuvent être commandés à la ville de Mainz pour le tiers du prix. Ils seront utilisés trois ans de suite par des enfants différents : le manuel scolaire en copro. Une fois acquittée la commande en ligne auprès de la ville, je me demandais donc où acheter les livres complémentaires.

Me basant sur mon expérience française, j’ai commandé les titres demandés sur le site de la plus grosse librairie de Mainz – celle où j’étais déjà passée une fois, la seule dont je me souvenais vaguement du nom. Nous sommes allés les chercher quelques jours plus tard, en râlant de devoir descendre en ville dans la canicule. La vendeuse n’avait pas dû avoir envie de venir non plus :

-Je ne trouve pas votre commande.

-Essayez peut-être cet autre nom…

Nein, toujours rien.

J’ai commandé sur internet…

Ach so sur internet ! Fallait le dire.

Regard réprobateur par-dessus les lunettes.

Euh je pensais l’avoir (mal ?) dit.

Nous avons reçu nos livres au prix de gros efforts et en s’étonnant du manque de connexion des boutiques allemandes. En fait nous n’avions pas encore appris le mode d’emploi de l’achat de livres. Cette année je sais.

Hier j’ai commandé auprès de la ville une partie des manuels scolaires. En août, j’apporterai les listes complémentaires à ma librairie de quartier. Les charmantes libraires me les commanderont avec le sourire. Et j’irai le chercher le lendemain. Voilà. (Pour ce genre d’achats il ne me semble pas que l’on doive trop anticiper. La semaine dernière, chez le coiffeur, une dame a appelé pour prendre rendez vous pour fin août…. Fin août ? Deux mois d’avance ? Sérieusement ? comme dirait ma fille).

Donc le Petit Prince….

Je l’ai racheté pour pouvoir le lire à mes filles puisque notre édition familiale est – je l’espère – chez leur grand frère à Lyon. A certains moments de la vie le lire, le relire, est une priorité. Il me semble aujourd’hui que c’est le cas. Je les envie d’avoir à le découvrir.

Le livre de poche est posé sur le canapé. Un marque page en dépasse. Il n’avance pas trop.

Quand son humeur y consent, je lis quelques chapitres à ma benjamine. Elle apprécie en situation mais a du mal à s’y mettre. Elle préfère nettement lire des petits romans rigolos. C’est un peu le brocoli de la lecture : excellent pour la santé, mais apprécié plutôt par les enfants devenus grands. Je le lui ai expliqué, avec le renard : pour aimer quelque chose, quelqu’un, il faut le/la connaître, lui consacrer du temps. Renoncer à une découverte juste parce que c’est nouveau, c’est passer à côté de grands plaisirs, et perdre une occasion de grandir. Donc allez encore un chapitre ?

En lisant avec elle, je me rends compte à quel point son vocabulaire français, basé sur nos seuls échanges quotidiens, est limité. C’est ça aussi de grandir avec trois langues. La richesse de l’ouverture de la pensée et de l’expression se fait (au moins au début – croisons les doigts) aux dépens de la variété du vocabulaire.

Ma grande fille a adoré la dédicace de Saint-Exupéry que je lui ai lue à haute voix (vous savez : toutes les grandes personnes ont d’abord été des enfants mais bien peu s’en souviennent). Elle a aussi pour mission de lire le livre cet été. Collectivement, au soleil, nous allons apprivoiser le petit Prince.

Comme nous nous sommes laissé apprivoiser par notre environnement. Cela nous semble plus évident ces derniers temps.

Peu à peu, accepter d’apprendre le nom des fleurs en allemand. Se réjouir de passer un week end dans la forêt même si on y mange et parle teuton. S’abonner à des comptes Instagram (très peu et sélectionnés) en allemand. Bon nous n’avons pas encore envie de passer nos vacances ici tout de même ! (clin d’œil appuyé). Nous avons toujours tous les quatre besoin d’une pause, car même après deux ans le quotidien demande des efforts.

Heureusement les frontières viennent de rouvrir ! Nous quitterons pour les vacances le confort et la propreté allemands pour le charme et le bazar français. Ça nous fera du bien (c’est ce que l’on imagine aujourd’hui…on verra sur place). Nous retrouverons mon étudiant de fils, que nous n’avons pas vu depuis Fastnacht (carnaval), et qui vient de commencer ses concours (décalés de plus de deux mois, et privés d’oraux).

Avant les congés, deux étapes importantes auront lieu : la remise des bulletins, et le départ définitif de l’école primaire.

Les écoles nous envoient de nombreux mails. Chaque message nous explique un truc qui est repris en détails dans une pièce jointe. Je sais donc précisément quand seront remis les bulletins à chaque classe de chaque niveau… Un seul mail me suffirait (avec pièce jointe pour le coup : ledit bulletin). Mais ici c’est toute une affaire : une cérémonie officielle. Dans la classe, dirigée par la maitresse, et en présence de l’ensemble des enfants (pourtant séparés en deux groupes depuis le déconfinement). Chaque écolier est appelé au tableau pour recevoir son bulletin, et applaudi par tous.

Une page se tourne (cf. Billet d’humeur : La dernière fois, 23 février 2020) : la fin de l’école primaire pour le dernier de mes enfants. Ma plus jeune entre en 5ème classe (CM2) donc au Gymnasium (collège). Après quatre ans passés ensemble, les écoliers vont quitter leur maîtresse, se répartir dans les différents collèges de la ville. Fiesta corona-compatible, cadeaux. Offrande symbolique du cartable de l’école primaire à une école du Malawi. Un peu de tristesse et de nostalgie mêlées au soulagement d’en avoir fini avec les trajets scolaires.

Pourvu que le collège lui convienne. Elle a déjà changé régulièrement d’école et s’en est bien sorti. Elle semble savoir s’acclimater, créer des liens et se faire une place. Mais s’adapter n’est pas s’épanouir. On oublie parfois à quel point l’environnement compte pour cela, la nourriture (au sens large) pour se développer. Et que survivre n’est pas vivre.

Nous avons beaucoup jardiné récemment. Une anémone du Japon et un jeune arbuste (dont j’ai oublié le nom) végétaient côté soleil. Leur gros pot importé de Lyon a été mis côté ombre. Et nous leur avons donné de l’engrais (oui parfois on oublie de nourrir nos plantes). Elles prospèrent comme jamais.  L’arbuste s’est enfin décidé à pousser et lance de nouvelles branches feuillues vers le ciel. L’anémone du Japon emporte dans son élan naïf les branches de ses voisins, l’azalée et le papyrus.

J’observe aussi mes capucines poivrées que j’ai semé dans tous les petits trous. J’adore la rondeur sympathique de leurs feuilles. Certaines enflent, généreuses, toutes en feuilles et en fleurs orangées. Une autre dans le coin d’un petit pot sec dresse une unique fleur rabougrie au-dessus de feuilles miniatures. Un pense-bête, comme un post-it sur le frigo : pense à te nourrir, et à privilégier les environnements favorables !

J’écris dehors, à l’ombre de l’après-midi, à l’heure de l’été.

La Saint-Jean est passée. Mais, circonstances 2020 obligent, la grande fête annuelle n’a pas eu lieu à Mainz (elle est proposée de façon virtuelle https://www.mainzer-johannisnacht.de/). Celle qui célèbre le solstice d’été et le fils de la ville, Johannes Gutenberg, père de l’imprimerie.

Gutenberg masqué
Mainz garde ses distances sociales

En ce moment l’environnement conjoncturel râpe. Ras le bol de la paperasse administrative en allemand, du lave-linge qui fuit toujours mais par un autre trou (serait-il temps de passer à la qualité made in Germany ?), des déclarations d’impôts dans deux pays, de deux façons différentes (à l’aide).

J’ai besoin d’une pause et de rire. Je vais aller voir des amies et respirer les tilleuls verts de la promenade. On est trop sérieux quand on a 47 ans.

Energie en fuite

Après trois mois de collectivité forcée et de contraintes, difficile de recharger ses batteries. Comment réparer les fuites ?

Un lave-linge qui fuit, goutte à goutte. L’occasion de rencontrer un artisan allemand. De découvrir le vocabulaire de la plomberie et lui expliquer tous les programmes d’une machine qui parle français.

De l’eau en fuite, qui pleure, s’étale sur le sol carrelé. Des serpillères grises et crème. Des françaises et des allemandes, détrempées, essorées.

Un peu comme mon système nerveux en ce moment. Grignoté par le goutte à goutte des irritants d’un quotidien concassé, des informations violentes sur l’état du monde qui franchissent tous les barrages mis en place. La baignoire de mes émotions déborde. L’eau s’échappe et s’infiltre sous toutes les portes. Mon équilibre prend l’eau.

La tension et le stress m’intiment le réflexe animal de fuir une situation désagréable – sans pouvoir le faire. J’ai le cœur qui joue du djembé. Ma patience s’est carapatée en vacances. Elle en avait ras le bol du jour sans fin, des 1,5 mètres de distance (impossibles) à conserver avec mes amis humains, des masques qui étouffent et cachent les sourires.

Mon sommeil joue à cache-cache. Cette nuit il a gagné. Il m’a dit qu’il reviendrait quand je prendrai soin de moi. Si si reviens, je te promets je vais faire attention.

Où va l’énergie saine qui fout le camp ?

Armée d’un filet à papillons je la poursuis, Sisyphe moderne, dans une course perpétuelle vers un équilibre fragile dans un monde à vau-l’eau. Entre panique et abattement, ennui et inquiétude hyperactive.

Comment prendre soin de soi quand tellement de choses échappent à notre contrôle et nous privent de ce qui nous ferait du bien ?

Comme la possibilité d’aller chez le coiffeur (en France !), de retrouver sa famille ou des amies d’autrefois (en France!), de s’échapper pour un week-end dépaysant à la montagne ou à la mer (trop loin), de se nicher n’importe où au vert (tout est complet partout où on cherche). De passer quelques jours SANS les enfants (personne pour les garder).

Quelques jours sans personne.

Pour vivre à son propre rythme, répondre à ses besoins oubliés et piétinés par des mois de quarantaine. Laisser la pression s’échapper, goutte à goutte comme le filet d’eau de la machine.

Comment faire quand nos besoins impératifs sont difficilement compatibles avec une vie recluse et en communauté forcée ?

Du calme, du silence, de la solitude dans une maison pleine à son corps défendant relève de la mascarade. Les ondes et les sons passent à travers la porte, les tensions s’infiltrent, comme l’eau de la baignoire saturée …. Pourtant ces pauses-là me sont indispensables pour digérer la sur-stimulation de la vie courante. Sans même parler de circonstances exceptionnelles.

Donc rester sur le fil de l’équilibre et le remettre à jour dès que les circonstances le bouleversent. Avec patience. Euh, et quand elle est partie ?

Vous avez peut-être remarqué que depuis l’article sur la situation américaine, je n’ai rien publié. Cet article m’a couté cher en énergie, en colère, en révolte. L’expression d’émotions est à la fois salvatrice et douloureuse. Loin d’être un geste anodin ça creuse dans le capital énergétique. Mais y faire face, parce qu’il le faut. Parce que la goutte d’eau de l’expression dans un océan des mots est un droit et un devoir inaliénables. Parce que le besoin de dire est plus fort que l’appréhension de la dépense nerveuse.  

Le problème c’est qu’en ce moment chaque jour creuse un peu plus dans ce même stock que je n’arrive pas à reconstituer. Et les fissures s’écartent. Le filet d’eau grossit.

Pratiquement aucun moment de solitude à la maison pour me reposer, pour couper avec les stimulations continues. Pas vraiment de refuge : « Ah pardon tu dormais ? je cherche l’iPad ». Une fois, deux fois…. 100 fois… 3 mois, tant d’années….

Des enfants très créatives dont les idées débordantes envahissent l’espace commun. Non non laisse tous ces seaux dans le jardin c’est pour récupérer l’eau de pluie. Pour arroser mes plantes à air. Celles qui sèchent dans la salle de bains ou dans le salon. Tant pis si on trébuche tous les jours sur ces saladiers plein d’eau. Ou si le rouge cru du seau sur le vert du gazon m’agresse comme un cri dans la nuit.

Une ado et une pré-ado à la maison. Avec chacune leurs idées bien arrêtées. Leurs imaginations et leurs besoins impérieux. Des gamines confinées, en conserve au vinaigre depuis trois mois.

La benjamine a retrouvé l’école (en pointillés espacés) et les copines depuis près d’un mois. L’ado, elle, ne retournera au collège que demain. Après trois mois de ce qui ressemble à une punition. Elle a bossé dur et a acquis une grande autonomie de travail. En 5ème c’est chouette. Mais le sevrage de copines pèse lourd. Côté ambiance, je suis sûre que vous voyez ce que je veux dire….

Je vous fais grâce aussi des contraintes domestiques d’un quotidien qui bégaie. De l’apnée de ne pouvoir faire de projets. Là aussi vous connaissez.

Donc des ressources sollicitées au-delà de leur disponibilité. Et pas ou peu d’occasion de refaire le plein. Je suis dans le rouge. Cramoisi.

Trop peu de sport malgré les cours en ligne de yoga, et même si la piscine a rouvert. J’y suis allée et j’y retournerai. Une fois trop froide (les nageurs allemands avaient des combinaisons en néoprène) une fois trop saturée de gamins qui sautaient sur les nageurs et mangeaient une barquette de frites dans l’eau (?). Heureusement les maitres-nageurs circulaient : un vaporisateur dans une main, un chiffon dans l’autre. Très concentrés sur leur nouvelle mission, ils désinfectaient les rampes des échelles. Plus le temps de veiller à la sécurité des bassins. Alerte à Malibu pour les maisons de retraite.

Pas de relations de toujours, où se poser sans parler, puisque l’on se comprend du bout des yeux. Les promenades avec les copines sont littéralement des bouffées d’air et de nature, d’amitié. Et parfois je peux même parler en français ou en anglais. Mais l’expression d’idées, d’émotions, de pensées dans sa troisième langue est un défi épuisant et frustrant.

Beaucoup de nature, c’est vrai. A dix minutes à pied, je me trouve et me retrouve dans des espaces naturels protégés et différents. De quoi satisfaire mon envie de verts, de troncs, de parfums, de fleurs sauvages. De chants de ruisseaux et d’oiseaux inconnus. Et je sème, je plante, toujours je plante… malgré le peu de place et la terre ingrate de notre jardin, un remblai sec et caillouteux, réticent. J’ai invité un cosmos chocolat. Approchez, vous sentez ?

L’art est revenu.

Sous la forme d’une terre conciliante et humide. De l’argile. Mercredi à l’atelier j’ai vécu un bonheur créatif comme jamais. Un bonheur tout court.

Depuis la reprise des cours post-quarantaine, les séances se sont suivies sans se ressembler. La première fois j’ai été très frustrée en essayant de copier une sculpture cubiste des années 40. Mauvaises proportions. Ma prof m’a dit : « Ca ne va pas recommence. Et fais-la à la plaque ». J’écrase tout. Je bats ma terre (ça défoule mais ce n’est pas une vengeance punitive, c’est pour chasser les bulles d’air). J’étale une plaque avec un rouleau. Je râle in petto. J’aime modeler avec les doigts. La régularité se refuse à mon geste. Je construis tant bien que mal un tube. La terre trop molle s’affaisse à l’emballage. J’écrase à nouveau tout. Je rebats la terre, frustrée. Non, non à la rentrée, je ne me m’inscrirai pas.

Deuxième cours : je recommence ma sculpture en taillant dans la masse. Mais je la prends différemment. Par moitiés. Et là ça fonctionne. J’efface du creux des paumes le mauvais souvenir de la semaine précédente. La dame allongée (L’automne de Henri Laurens, 1948) en terre chocolat me plait. Je repars avec le sourire.

Mercredi dernier, j’avais une création à émailler. Certains pétales de ma femme-fleur s’étaient détachés à la cuisson. Pour cacher les cicatrices j’ai passé au pinceau de l’émail, une substance liquide comme de la peinture. Le vrai travail se fait à 1000°C quand les particules fondent comme du verre : le résultat est toujours une surprise. Mais la précision du geste, la régularité, la préparation de la matière sont essentielles et leur rigueur austère me rendent cette étape très difficile. Donc j’ai émaillé longtemps. Et il ne me restait qu’une heure pour enfin toucher l’argile. Récompense dans la récompense.

J’ai retrouvé un morceau d’argile blanche. Et je me suis inspirée d’un dessin exposé au musée de Francfort (Eve de Jacques-Ernest Bulloz, 1903). J’ai modelé avec les mains. Sans outils. La terre a répondu. Elastique, fraîche, malléable. Conciliante. Enfin une matière qui répond quand je la sollicite. Qui ne m’agresse pas. Paisible. En quelques minutes j’ai senti entre mes doigts un corps de femme, déjà presque plus qu’une ébauche. Son attitude me plaisait. Un vrai moment fluide d’élan créatif. Une étincelle de divin.

La création est mystérieuse.

Pourquoi cette fois-là ?

En tous cas merci, j’en avais grandement besoin. De cette bulle d’énergie offerte par un après-midi seule, sans ma famille que j’adore (mais comme m’a dit une copine du cours : la tarte à la crème oui, mais pas tous les jours). De ce contact frais et plastique. De cette complicité avec la matière. De cette bouffée de joie dans un processus créatif inspiré. Et du carré de chocolat partagé.

J’en ai été rechargée pour la soirée.

Reste à recommencer. Encore et encore pour repasser à l’orange puis au vert. Pour apprivoiser un système nerveux mis à mal par les circonstances. Et affronter un autre défi de taille.

Le départ en vacances.

Colère noire

Contre l’arrogance, la bêtise et la violence érigées en mode de gouvernement.

Une bible.

Une bible brandie comme une mitraillette, comme un pavé arraché à la route de la démocratie, à la voie de la spiritualité. Un livre lourd qui perd par ce geste menaçant toute symbolique religieuse et acquiert toute la violence d’un projectile.

Non.

Saint Albert (Camus) aidez-moi !

Je ne peux pas voir cela.

Je n’arrive pas à regarder les simagrées d’un personnage que même Stephen King n’a pas osé créer.

Une église vide avec deux personnages grimaçants. Une mise en scène de la bêtise et de la méchanceté. Qui vont souvent ensemble, hélas, comme disait ma mère. Et surtout, en négatif, du vide. Du vide.

Parce que les gens, le peuple, leur peuple, le peuple dont il est responsable est dehors à s’insurger, à réclamer ce que la constitution américaine leur promet et leur doit. Ce que nous nous devons tous les uns aux autres : l’égalité.

Le pouvoir et l’argent, le pouvoir de l’argent pour éblouir et sidérer, au service de l’égoïsme et de l’arrogance.

Je ne trouve pas de mot pour exprimer le mépris que j’ai de personnages de ce type.  Qui se croient importants et malins, quand leur petit jeu mesquin et pitoyable saute aux yeux effrayés de ceux qui veulent bien se donner la peine de les fermer pour éviter la sidération et suivre leur intuition.

Comment ressentir autre chose que du mépris à l’égard de ces êtres dont la bêtise insondable leur permet d’oublier que, comme les pates instantanées, ils ne sont que de la poussière et de l’eau ? Nous sommes tous égaux à cet égard. Tout l’argent du monde n’y changera rien. Ni les caprices.

Comme dirait le Petit Prince « Ce n’est pas un homme c’est un champignon ! » Et encore, tous ne sont pas toxiques.

Un gros monsieur cramoisi (orange disons) qui ne sait faire que des additions (enfin pas sûr).

Je viens de regarder les informations. D’habitude j’évite toute la journée pour me protéger, et rattrapée par ma curiosité j’y jette un regard rapide le soir. Mais là sur mon compte Instagram, un post de Trevor Noah (@thedailyshow) m’a intriguée.

Avec sa pertinence habituelle, il a dénoncé avec humour : FoxNews était la seule chaine du câble aux US à ne pas retransmettre le discours délivré par Barack Obama. ‘’FoxNews didn’t run the Obama speech because they were worried their viewers might call the cops out of habit’’ (FoxNews n’a pas retransmis le discours d’Obama car ils craignaient que leurs téléspectateurs n’appellent la police, par habitude).

Alors vous imaginez bien, j’ai regardé le discours d’Obama.

J’en avais les larmes aux yeux.

Tant d’intelligence, de compassion, d’optimisme et d’espoir, d’encouragement et de force calme, apaisante, fédératrice. Ah ça fait longtemps qu’on n’a pas vu ça de l’autre côté de l’Atlantique ! Comme ça fait du bien !

Un homme en fait. Un vrai.

J’ai remarqué que j’ai du mal à appeler ‘’homme’’ les adultes mâles. Je dis type, mec, gars… Je ne dis ‘’homme’’ que lorsque la personnalité m’autorise à y mettre une majuscule.

Donc, Barack Obama, un Homme. Enfin.

L’Amérique capable du meilleur comme du pire. Les drames qui se jouent actuellement prendraient une bien autre tournure si le gouvernement fédéral fédérait.

Je ne peux plus la voir la tête de l’autre.

Ce n’est pas une façon de parler. Littéralement, je ne peux plus la regarder.

Quand il apparaît dans mon champ de vision, par réflexe de protection, j’évite de croiser son regard. Son visage me met mal à l’aise. Il m’a toujours mise mal à l’aise. Son regard, ses traits me donnent la chair de poule. Je sens la violence, la cruauté, le mépris, la bêtise, le mensonge.

Et là ce matin, sa photo devant l’église au garde à vous avec la bible brandie comme une bombe armée…. Après avoir demandé aux sbires de tirer sur des manifestants pacifistes. Je réprime une nausée.

Je pense à Tex Avery et j’ai envie de la voir exploser cette bombe, dans les mains du gros méchant coyote.

Une muraille de soldats en armure travestis en mercenaires sur les marches du mémorial de Lincoln. Etait-ce cela le rêve dont a parlé Martin Luther King Jr au même endroit ?

Une bible.

Une bible comme un sceptre, dans un simulacre de sacre.

Une église.

La légitimité divine n’était-ce pas ce qui permettait aux rois de transmettre le pouvoir avec leurs gênes ? Et l’appel à l’armée sur un coup de tête, la violence des paroles, ne sont-ils pas ceux d’un dictateur ?

La folie des grandeurs. Des grandeurs ? Vraiment ?

La folie dégradante pour ceux qui la subissent.

J’ai l’impression de voir un enfant de 3 ans dans toute sa monstruosité égoïste et ses caprices impérieux – des bouderies, des scènes, le pied qui tape par terre, qui détruit un jouet déchu, la main excédée qui jette le robot démantibulé qui ne marche plus. Ou un ministre. Les colères d’un gamin né dans le luxe et qui l’est resté. Protégé par le respect aveugle que la société donne à l’argent – au-delà des valeurs humaines.
Sauf que là, les crises de rage, les exigences, ne sont pas à l’échelle d’une chambre ou d’une tour. Ni même d’un pays. Elles ont des impacts sur la terre entière. Rien que ça. Les Américains qui ont élu un gamin odieux déguisé en empereur qui crache au visage de tous ceux qui l’approchent l’ont imposé à la terre entière.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on voit presque autant sa bobine que le coronavirus aux informations. Deux pandémies mondiales pour le prix d’une. J’en connais une qui s’amuse là-haut. Vous l’avez voulu….

Sauf que tout le monde ne l’a pas élu.

Quand j’étais petite je ne comprenais pas pourquoi personne n’avait éliminé Hitler pour sauver des millions de vies.  Une vie contre des millions franchement le calcul est vite fait. Aujourd’hui j’ai grandi, on me dit que les choses ne sont pas aussi simples. Mais je n’en crois rien. Je ne veux rien en croire. Je suis toujours révoltée de voir que des gens visiblement instables et dangereux soient investis de pouvoirs aussi grands. Je ne comprends toujours pas que quelqu’un soit au-dessus des autres pour quelque raison autre que sa valeur humaine personnelle. Alors que penser quand elle disparait dans les abysses ?

Je me souviens dans ma vie d’avant d’un directeur tyrannique. Qui maltraitait gravement ses subordonnés. Leur mettait même à l’occasion des coups de pieds. Les envoyait tous en arrêt maladie. C’était le règne de la terreur. Tout simplement. Et tout le monde, toutes les pièces, les rouages du système courbaient l’échine. Sidérés.

Pourquoi ?

Parce que la terreur et l’emprise sont des phénomènes délétères, paralysants. La division un outil puissant de domination. C’était d’ailleurs le cri de ralliement des Nazis.

Hein Coluche, pourquoi existe-t-il des ‘’milieux autorisés’’ sur le plan de l’humanité ? Pourquoi l’argent et/ou le pouvoir donneraient-ils tous les droits ?

Ca doit bien exister la faute pour inaptitude professionnelle quand on est président d’une démocratie ? Il doit bien y avoir des outils démocratiques pour la sauver quand elle dérape, des gens humains et respectueux qui osent s’unir pour y avoir recours, par delà les étiquettes politiques.

Le roi est nu.

Tous les gens qui se donnent la peine de réfléchir et de sentir le savent. Les comédiens intelligents ont plus de matière qu’il n’en faut. Mais dans les milieux politiques peu osent le dire. Je suis soulagée de voir que son ancien Minsitre de la défense se soit autorisé à sortir de sa réserve.

Lueur d’espoir de ce côté-là.

Non ce n’est pas simple. Mais quand même. Ce doit être possible. De parler, d’agir. D’élire un gouvernement qui aide au changement vers plus d’égalité, de fraternité, de solidarité. Un président respectueux des êtres humains. S’il vous plait, Messieurs et Mesdames les Américains qui allez voter bientôt, ne nous imposez pas un deuxième mandat comme ça. Please, vote him out !

L’autre jour je regardais une conférence de presse de l’autre. Pas pour le plaisir, hein, ni pour m’informer. L’écouter parler, le voir agir sont des insultes à notre intelligence, à notre humanité – enfin pas à celle de ces électeurs, eux n’ont rien à craindre de ces côtés-là. C’était dans le cadre d’une émission humoristico-très sérieuse de John Oliver (HBO Max) sur le décryptage de l’actualité.

Un journaliste a posé une question (je ne me souviens plus laquelle) raisonnable et polie. La réponse est tombée comme un couperet : « You’re a fake ! » (Vous êtes un imposteur !)

Quand on sculpte un visage en terre, plusieurs fois je l’ai remarqué et entendu (et pour le coup c’est la même chose en France et en Allemagne) : en général il nous ressemble. Nous modelons les traits que l’on voit le plus souvent, même si on n’a pas l’habitude de s’attarder devant la glace de la salle de bains (ou si on n’y a pas ses lunettes). Alors par défaut, même sans modèle, bien malgré soi, avec l’argile on se lance dans un autoportrait.

De la même façon j’ai remarqué que certaines personnes accusent les autres de ce qu’eux-mêmes sont précisément en train de faire (peut-être faisons nous tous cela, mais cela est plus évident avec un certain type de personnalité). Cela est fort utile pour décoder les mauvaises intentions.

« You’re a fake ! »

Une interpellation, qui par un effet de miroir en dit beaucoup plus long sur celui qui la prononce que sur celui qui la reçoit. Un mode d’emploi individuel offert au public. Voilà ce que je vous accuse d’être, utilisez-le pour vous rassurer : c’est de moi que je parle avec ces mots odieux et agressifs. Je traite de mensonges ”Fake news ! ” les vérités qui m’encombrent. Doute et discorde.

Je ressens beaucoup de colère à l’égard d’un système qui croit plus en la police qu’en l’éducation, la culture ou en un système de santé universel (comme c’est le cas criant dans le budget de la ville de New York). Et qui donne les clefs de la Maison Blanche à un prétentieux immature. La répression et l’arrogance, la bêtise et la méchanceté comme mode de gouvernement. Pourquoi ? Pour quoi ? Encore ? Ne comprendrons-nous donc jamais ?

We can do better.

Je voudrais dire tout mon soutien à ces gens qui manifestent aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde pour aider les femmes et les hommes de toutes les couleurs. L’égalité il n’y a pas d’autre solution : nous finirons tous au même endroit.

Alors tendons nous la main.

Et agissons.

“All that is necessary for evil to succeed is that good men do nothing.” Edmund Burke

(Pour que le mal triomphe il suffit que les bonnes gens ne fassent rien)

PS : Un des gros problèmes avec la violence en Amérique est liée au fait que les gens soient armés (je sais, pensée puissante s’il en est). Certains pensent que le port d’armes est un droit constitutionnel inaliénable. C’est oublier de façon bien opportune le texte complet de la Constitution et le contexte de sa rédaction, n’en déplaise aux fanatiques. Permettez-moi de citer Bill Bryson dans Made in America, que je suis en train de relire.

“At the risk of exciting correspondence from the National Rifle Association, the much vaunted right of people to keep and bear arms was never intended as a carte blanche, semi-divine injunction to invest in a private arsenal for purposes of sport and personal defence, as the full sentence makes clear : “A well-regulated militia being necessary to the security of a free State, the right of the people to keep and bear Arms shall not be infringed”. The framers had in mind only the necessity of raising a defence force at short notice. If they did favour the idea of keeping guns for shooting animals and households intruders, they never said so.’’*

Oui à l’époque, il n’y avait pas encore de police professionnelle. La défense collective reposait sur le peuple directement.

*Traduction : Au risque de susciter des courriers de la part de la NRA (association américaine militant pour le droit au port d’armes), le droit au port d’armes, tant glorifié, n’a jamais été pensé comme un droit d’injonction semi-divine d’investir dans un arsenal pour faire du sport ou sa protection personnelle. ” Une milice (réserve) bien règlementée est nécessaire pour la sécurité d’un Etat indépendant, le droit du peuple d’avoir des armes ne sera pas enfreint.” Les fondateurs avaient à l’esprit la seule nécessité de pouvoir organiser une force défensive dans de brefs délais. S’ils étaient favorables à la possession d’armes pour tirer sur des animaux ou des cambrioleurs, ils ne l’ont jamais dit.

Reprises

Les écoles reprennent en pointillés, la piscine rouvre avec conditions. Période floue où les repères sont à reconstruire sur la seule base de notre intuition.

Le théâtre de Mainz – avec une sculpture éphémère (printemps 2018)

8h15 il y a une semaine, je reçois un mail de la maîtresse.

Tiens, c’est curieux. La classe est censée avoir commencé depuis 25 minutes, or elle n’écrit pas aux parents sur le temps de cours. Faute d’objet d’indiqué, je soupçonne être la seule destinataire de ce message. Ma fille aurait-elle oublié quelque chose d’essentiel ? Serait-elle malade ? Non ils auraient téléphoné. Aurais-je fait un truc de travers ?

« Chère madame, à compter d’aujourd’hui la classe commence à 9 heures, en raison de la reprise d’un autre niveau. Vous avez dû mal lire les informations envoyées la semaine dernière. Votre fille a été prise en charge par la garderie d’urgence. »

Mainz alors !

C’est peu de dire que j’ai mal lu les infos. Je reçois des mails tous les deux jours de la part des deux écoles de mes filles. De loooooongs mails avec des pièces jointes tout aussi loooongues. Et tous les sujets sont traités avec la même exhaustivité bavarde (les changements d’horaires comme un erratum sur l’impact santé du gel hydroalcoolique fournit par le Land). Le tout en police 10, en allemand administratif (youpi !) sur des pages et des pages… Alors oui, je survole les infos pour éviter de me cogner la tête contre les murs. Je rêve d’informations synthétiques et d’une hiérarchisation des thèmes (un truc simple du type : pour info / important).

L’école a repris en pointillé depuis bientôt un mois pour ma plus jeune. Elle s’y rend deux matinées par semaine. Pour limiter au maximum les croisements d’enfants, leurs horaires sont décalés. Les trois premières semaines elle commençait à 7h50. Désormais, avec le retour des 3. Klasse (CE2) c’est 9 heures. J’ai raté ce changement important. J’en connais une qui va être furieuse. Elle aurait pu dormir une heure de plus.

Je m’excuse platement auprès de la maîtresse, en mettant ma bévue sur le compte d’une lecture rapide, d’un texte trop allemand pour ma bonne compréhension. Elle ne m’en veut pas, ouf ! Je tâcherai de faire mieux, c’est promis.

Ce matin j’ai reçu un mail du collège. La classe de ma grande va reprendre en demi-groupes, les matins, en alternant les semaines entre les groupes. Du coup ma fille n’ira que deux semaines avant les vacances scolaires. (Tiens pas de nouvelles du sondage qui avait été fait pour un éventuel raccourcissement des vacances d’été). Et là non plus je n’ai pas envie de lire le message jusqu’au bout. Quels escaliers les enfants vont devoir utiliser pour monter, pour descendre ? Quels bâtiments sont autorisés et pour quoi faire ? Je n’ai pas envie de savoir mais pourvu que je ne rate rien d’essentiel !

Heureusement ma fille a reçu les mêmes informations. Je compte sur elle et sur les scotches collés partout dans les couloirs pour qu’elle se dépatouille. Je tâcherai de lui mettre à disposition un masque propre le matin (car les masques c’est comme les chaussettes, ça a tendance à disparaitre dans un trou noir). Je crains de devoir recommander de l’élastique. Autre reprise : la couture.

Pendant encore deux semaines, ma fille continuera les cours à la maison. Au total ça fera trois mois. Trois mois sans voir les profs ni les copains. Juste séparément et brièvement quelques amies (et leur chien !) pour une balade depuis que c’est à nouveau autorisé. A son âge, sans copine pendant si longtemps….  Pas drôle, non.

Avec l’école à domicile, on a perdu l’habitude des devoirs et des interros. Hier soir à 20h25, ma plus jeune qui a passé un week end de trois jours très détendu à construire une cabane dans le salon et à y faire sa petite vie à coup de popcorn, de limonades maison, de BD et d’un film de Bollywood (!), me rappelle qu’elle a une interro de maths le lendemain.

-QUOI ?????

-Mais je te l’avais dit ! Je t’avais dit que j’avais un Arbeit en Deutsch et en Mathe.

Oui c’est vrai, mais moi j’ai oublié, et franchement avec le suivi quotidien du travail à la maison, je suis soulagée quand ça s’arrête un peu. Donc je n’ai pas creusé le sujet. Et puis cette minette-là elle trompe son monde : elle est tellement organisée et fiable qu’on compte sur elle… sans doute un peu trop. Le Deutsch c’est fait – les révisions et l’interro – avec des exercices sur les déclinaisons (accusatif et datif…help ! comment expliquer ces concepts si abstraits ?). Mais les maths j’avais oublié (hop, dans le trou noir avec les chaussettes et les masques).

-Je me sens très très prête ! c’est bon !

Soit.

Je me fends du petit couplet pour rappeler à son bon souvenir les vertus des révisions, même quand on se sent très très prête. Surtout quand on a la fâcheuse tendance d’aller très très vite en interro et de ne pas se relire. Ce serait dommage de se planter sur les divisions ! Avec le temps qu’on a passé elle et moi à comprendre comment les faire en allemand. (Oui là aussi ce n’est pas tout à fait pareil qu’en France ; ça m’a moyennement gêné car ma technique de l’école primaire est oubliée depuis belle lurette).

-Alors si tu es très très prête il faut que tu aies au moins un 2 hein ?

– Oui, oui

(Les notes vont du 1 au 6, 1 étant la meilleure, avec les nuances +/- pour chacune.)

Elle est partie à l’école, on verra bien ce qu’elle nous en dira au déjeuner.

Ce matin on a rempli en 4ème vitesse le document qu’elle devait préparer pour aujourd’hui et qu’elle et sa mère avaient – aussi – oublié (oups). Des repères sur sa naissance (son poids, sa taille, des souvenirs). Heureusement, nous avions bien imprimé la photo du bébé qu’elle était.

En ce moment, en Sachunterricht (de mon temps, on disait, en Eveil), ils travaillent sur l’éducation sexuelle. Au début ça m’a surpris que ce soit traité dès le CM1. Mais avec le recul, je trouve drôlement pertinent de parler de la puberté à un moment où les enfants ne sont pas encore directement concernés. Ils ne sont pas encore ‘’bêtes’’ et gênés par le sujet. Ils comprendront mieux ce qui se passe dans leur corps si on le leur explique avant les feux d’artifice hormonaux. Depuis ma benjamine m’explique en secret les réactions de sa grande sœur et ses émotions imprévisibles.

TRAU DICH ! OSE !

En matière de cours drôlement malins dispensés à l’école primaire nous avons découvert les cours d’auto-défense. Ils sont proposés chaque année par notre école primaire, hors du temps scolaire mais dans le gymnase de l’établissement. On avait raté celui de l’an dernier, concentrés (et débordés) que nous étions sur les tâches obligatoires. Juste avant le hold-up du corona, ma fille y a passé la majeure partie d’un samedi, en tenue de sport avec son casse-croute et sa gourde (les enfants allemands ne vont nulle part sans leur gourde et leur Brotdose – littéralement, la boite à pain par extension, la boite à sandwich, une petite boite en plastique avec couvercle).

Je l’ai récupérée ravie, avec les flyers sur le mode de comportement en cas de harcèlement et une planche de bois de 2 cm d’épaisseur coupée en deux. Par la seule main d’une petite fille de 9 ans.

Elle a bien compris le principe de l’auto-défense et de la protection individuelle. D’ailleurs mes deux filles filtrent aujourd’hui les sorties par rapport à leur risque potentiel. Elles ont hurlé quand je suis allée à mon cours de terre en bus et tram.

Ce matin je consultais les conditions d’accès à la piscine qui vient de rouvrir ; l’une m’a prévenu qu’elle n’irait pas et l’autre m’a intimé l’ordre de ne pas rapporter le virus à la maison.

C’est assez décourageant la piscine : il faut remplir un formulaire que l’on aura pris soin d’imprimer (donc, là patience, l’imprimante n’a plus d’encre) et indiquer le créneau que l’on souhaite (matin ou après-midi). Comment sait-on quel créneau nous est attribué et pour quand ? Mystère. En revanche la limite en nombre de nageurs est claire : 1500 personnes par demi-journée. 1500. Certes les créneaux ont 6 /7 heures…. Mais 1500 ?! Peut-on encore parler de limitation à ce niveau-là ?

Que penser ? Et surtout que faire ?

Ce n’est pas parce que les activités sont désormais autorisées qu’il est malin de s’y précipiter. En même temps c’est pratique, le dépistage du corona se fait dans le gymnase à côté de la piscine (là où l’an dernier on avait assisté au magnifique spectacle accrobatique de danse du collège. Autres temps…)

Nous nageons dans le flou scientifique et politique.

Les repères d’avant ont disparu et ceux de la retraite forcée aussi. Je trouve cette période presque plus dure que le confinement. Tout y était interdit : pénible à vivre mais clair.

Aujourd’hui les nouveaux repères sont au four sur une recette maison, avec intuition intime et contradictions toutes fraîches.

Nager ou ne pas nager ? Verdict après mijotage.

L’Ampelmann de Mainz (qui a l’air de me donner le feu vert pour y aller)

Nager dans le sable

Quand on est privé de piscine, la marche peut-elle remplacer la natation pour se ressourcer ?

DE L’EAU ! DONNEZ-MOI DE L’EAU !

J’en suis sevrée depuis presque trois mois. Et je n’en peux plus.

Ma piscine est fermée. Toutes les piscines sont fermées. Or c’est là que je fais du sport, que je me détends. Que je me ressource… Tiens ce n’est pas un hasard ce mot-là. De l’eau pour remonter à sa source, pour se rassembler, se rasséréner.

L’élément fondamental, me fait défaut. Je me ressource aussi dans la terre humide du jardin, dans l’argile de l’atelier retrouvé depuis une semaine (en tout petit comité).  Mais dans les deux cas il me faut aussi de l’eau. Un tuyau, un arrosoir, un vaporisateur.

C’est pas terrible une piscine couverte, on est bien d’accord. C’est humide, ça sent le chlore (au mieux), parfois les pieds pas lavés et le moisi. Tout y est détrempé, délavé et ramolli. Comme les pâtes de la semaine dernière dans un Tupperware oublié.  Mais quand on a besoin d’eau en hiver, et que la douche ne suffit plus, on s’en accommode. Parce qu’on se sent sourire malgré soi après avoir nagé. Même après un slalom entre mamies et papys au ralenti.

L’autre jour je n’en pouvais plus. De cette survie qui se traine comme un disque noir à la mauvaise vitesse (moins de 30 ans ? vous ne pouvez pas comprendre). De cette cohabitation permanente forcée, avec ma famille que j’adore certes, mais où je n’ai jamais de pause vraie, de moment seule à seule, avec moi-même et surtout avec personne.  J’en ai vraiment besoin pour recharger mes batteries. Être à nouveau disponible pour les autres, pour des activités et des échanges. Sinon je deviens grognon – planquez-vous – je referme ma coquille et je sors mes piquants, et surtout, je souffre.

Tout me hérisse : la porte qui claque (encore), la voix de stentor du voisin qui téléphone depuis son jardin, les gosses en trottinette dehors, les chantonnements pourtant chuchotés de ma grande, la lumière du matin dans le salon, du midi partout, du soir dans la salle à manger, les 50 allers-retours à la salle de bains de mes filles à l’heure où je voudrais qu’elles soient dans leurs pénates, pour me laisser de l’espace dans les miennes.

Je voulais vous parler d’eau et me voilà à écrire sur l’espace.

Peut-être que c’est ça mon besoin aquatique en fait : un besoin d’espace visible, sensible, palpable.

Et là j’en suis complètement privée.

D’autant qu’il n’a pas plu depuis au moins trois générations (de moustiques). La météo nous promet un orage dans dix jours. Mais je sais ce que ça veut dire un orage à Mainz. On ne me la fait plus. Ça veut dire trois gouttes de pluie, un p’tit coup de vent, et au loin sur le (bas) relief du Taunus, un éclair ou deux. L’arnaque !

Cet autre jour donc, j’avais besoin de me défouler. Courir pour des raisons de lombalgies mal à propos, ça ne m’est pas indiqué. Taper sur quelqu’un ça ne se fait pas. En d’autres temps j’aurais sauté sur mon vélo avec mon sac de natation sous le bras et je me serais précipitée à la piscine. Du coup ce matin-là, furieuse, j’ai enfourché mes baskets et mon chapeau, et suis partie marcher sur le Grosse Sand (les grands sables).

Je me suis défoulée en grandes enjambées sur la terre tassée et le sable meuble. J’ai fermé les yeux pour avoir l’impression de marcher sur la plage, pour sentir le vent sur mes bras, mes jambes et mon visage. J’ai levé les bras très haut pour faire semblant de nager le crawl. J’ai inspiré les pins. J’ai marché pieds nus – comme j’avais vu d’autres le faire ici – pour sentir le sable couler entre mes orteils.

Au fur à mesure de mes pas, j’ai laissé tomber derrière moi, comme les cailloux du Petit Poucet, des écailles de colère. J’ai pu lever les yeux vers le ciel immense. Sur cette étendue plane, il prend sa vraie dimension. De gros nuages blancs joufflus chahutaient dans le bleu. On ne peut guère faire moins humide que cette steppe aride. Pourtant de l’eau il y en avait plein, partout là-haut. Il suffit de regarder vers le ciel quand les piscines sont fermées.

Ouais.

Presque.

N’empêche.

En rentrant mon monde avait compris (sac de pique-nique à l’appui) mon besoin viscéral et urgent de sortir de la ville et de se promener le long d’une rivière. Pour s’approcher d’un courant moins intimidant que celui du Rhin. D’une eau mobile que l’on peut sentir, traverser, écouter, renifler. Tant pis si l’on ne peut pas s’y baigner vraiment (c’est quoi cette mousse trop dense à la sortie du rapide ?). C’est déjà chouette de quitter ses chaussures et ses chaussettes, et de se tremper les pieds, de s’asseoir sur des galets (bon, pas trop longtemps à mon âge…). Presque comme en Ardèche… Si seulement…

Un virage à l’ombre, au bord du soleil, a accueilli notre pique-nique. L’éclair bleu d’un martin-pêcheur nous a ébloui, remontant le courant au ras de l’eau. Nous avons croisé des libellules de toutes les couleurs, un pic vert et un pic moins vert (épeiche ?), des grenouilles toutes petites mais très sonores. Hé on dirait que je ne suis pas la seule à rechercher l’eau !

La Lahn

Dès que je le peux je m’approche d’une eau vivante et libre : un torrent, une rivière, la mer, l’océan, ou sinon un lac. Un lac ça peut faire l’affaire, même sans vague ni écume, sans courant ou sans échappée. Surtout si on peut le frôler, pagayer, s’y baigner.

Visiter un pays d’eau par les chemins liquides c’est magique. Je me souviens de mes stages de kayaks dans les torrents glacés des Hautes-Alpes, et de mon regard curieux et émerveillé sur les montagnes que je longeais. L’été dernier nous avons fait une excursion en canoé sur une rivière du coin, la Lahn. Fort sympa aussi, surtout le passage d’une écluse. Mais quand on a grandi en Ardèche, qu’on a descendu les gorges des dizaines de fois, au milieu de touristes de toutes les couleurs (surtout rouge écrevisse), et même (surtout) dans le calme du hors-saison, ces rivières plates et sans falaises laissent sur notre soif.

Par défaut, en ville, un hammam c’est bien aussi. C’est même formidable un hammam en hiver . Pour retrouver son corps dans la chaleur moite, pour papoter avec son amie en sentant glisser le savon noir sur sa peau. Qui l’eut cru, qu’en Allemagne, pays d’immigration turque, je n’ai pas encore trouvé de hammam ?

Ce matin j’ai fait ma petite promenade le long du ruisseau avec mon amie simultanée. Une balade fraîche, même en pleine canicule. (J’y consacrerai un article à ce vallon caché, pour vous le présenter avec le respect qu’il mérite.)

Pour cet été je rêve de mer méditerranée dorée, d’océan gris et de rivières ardéchoises d’un vert noir là où elles sont profondes – sauf l’Ibie, une rivière farceuse, intermittente, en partie souterraine (par endroit des galets et des rochers blancs et secs, et à d’autres une eau turquoise). Je pense à la piscine de mon oncle (qui nous avait accueilli juste avant notre émigration outre-Rhin), couleur rivière, au ras de la garrigue cévenole écrasée de soleil et au gout de sel.

Dis, tu crois qu’on pourra y aller ?

PS : Je viens de lire que la piscine du quartier va rouvrir bientôt. C’est autorisé depuis hier, mais comme ils l’ont appris l’avant-veille, il leur faut le temps d’adapter les mesures d’hygiène. Autrement dit, celui de coller des affiches et des scotchs de partout.

PPS : La question reste entière. Après tous ces mois sédentaires, vais-je encore rentrer dans mon maillot de bain ?

PPPS : Hier soir les voisins se sont attelés à gonfler et installer un jacuzzi dans leur micro-jardin…. Ça promet des splashes et des bulles… nous allons baver d’envie. Et riposter avec notre tourniquet-qui-ne-tourne-pas et beaucoup arroser le gazon, pour se rafraichir à domicile, sans masques ni scotches.