Réunion d’équipe dans 3 semaines

Des réunions d’équipe, au bureau ou ailleurs, et de l’alpinisme sur papier.

Augustiner Strasse, Mainz

Ah au fait, ma chérie, le 25 septembre j’ai une réunion d’équipe au bureau.

Mon mari face à l’évier lave des courgettes sous le filet d’eau du robinet. Il ôte leur duvet rêche avec les doigts. Une planche à découper à la main, je m’apprête à écraser quelques gousses d’ail (rose, français, import direct du Sud-Ouest par nos soins). Nous préparons le dîner.

J’éclate de rire, un bon vrai fou rire, qui vient du ventre et ne s’arrête plus.

Il se retourne pour me regarder, penche un peu la tête. Son sourcil gauche se relève en point d’interrogation.

C’est drôle ?

Oui c’est à mourir de rire !

-…

Ça ne te frappe pas ? Avant, tu me prévenais plusieurs semaines à l’avance de tes voyages. Une semaine à Barcelone, deux semaines à Atlanta ou à Shangaï. Pour me préparer à l’idée de gérer seule la famille pendant une longue période. Et là, tu pars au bureau quelques heures, à 10 kilomètres de la maison, dans trois semaines, et tu me préviens déjà.

Il sourit, une courgette dans la main gauche, le grand couteau au manche de bois dans l’autre.

C’est pour se voir en direct, pour la première fois depuis six mois.

Ça va te faire tout drôle dis-moi de quitter ton bureau-chambre après tout ce temps !

Je ne peux plus m’arrêter de rire. Ah comme ça fait du bien !

Une de nos filles descend quatre à quatre les escaliers.

Tout va bien ?

Oui, oui !

Hi hi !

Qu’est-ce qui se passe ?

Rien.

Attends quelques jours, tu verras, ce sera dans un article de maman.

C’est drôle comme on peut rester coincés dans une ornière de sérieux pendant plusieurs jours quand on est adulte. Pourtant j’essaie souvent de trouver le petit détail comique dans la journée, de placer une blague ou un jeu de mot vaseux, des paroles de chansons qui collent avec ce que quelqu’un vient de dire. Histoire de se rappeler que la vie est une pièce de théâtre et que si nous n’en maîtrisons pas grand-chose, on peut quand même tâcher de voir le scénario dans lequel nous sommes lâchés avec des lunettes-à-rire (les jours de bonne humeur au moins).

J’ai beaucoup fait rire mes enfants – à mes dépens – cet été. J’agrémentais mes récits de courses au marché chez le poissonnier d’un petit air musical. Vous verriez tous ces coquillages et crustacés ! Quel bonheur ces étalages marins quand on vit au pays des Bratwurst ! Ils ne connaissent toujours pas la chanson de Bardot. Mais si j’aborde le sujet je suis quitte pour entendre à nouveau le refrain, à trois voix, sur une tonalité de fausset.

Donc réunion d’équipe dans trois semaines. Qu’à cela ne tienne. Préparons-nous.

Moi aujourd’hui je suis seule au pied de mon Everest, l’essai sur lequel je travaille. Je cherche à étalonner ma boussole. Lui proposer un Nord, qui colle avec mes ébauches de cartes. Tracer des azimuts. J’ai jeté sur le papier des idées, des scènes, une matière première que je pourrai froisser, trier, jeter. Aujourd’hui je ressens le besoin de retravailler en amont de ces premiers mots, pour trouver un sens qui fasse sens pour les lecteurs. Alors je tourne le dos à la paroi. Rebroussons chemin le long des petits cailloux déjà semés. Reprenons en sens inverse. Dans quelle direction dois-je me tourner ? Où se cache le bout du fil de la pelote, celui qui vous entrainerait dans une histoire et m’aiderait à sortir de mon labyrinthe ?

C’est un peu solitaire et frustrant comme recherche. Une réunion d’équipe c’est une bonne idée. Et si moi aussi j’en faisais une ?

Je prendrais le train, et je ferais un tour de France et d’Angleterre pour voir les personnes qui m’inspirent. Je prendrais l’avion pour la côte Est des Etats-Unis. Mes mentors vivent loin. Ils me nourrissent de leurs textes et leurs sourires, leurs coups de gueule et l’aveu de leurs coups de blues. Leurs tronches mal lunées ou lumineuses. Leur authenticité et leur sincérité.

Pour l’instant je me contente de réunions de papier, de mots écrits, d’échanges sur écran. J’empile des bouquins, des témoignages et modes d’emplois, des conseils et des exemples. Je suis des cours en ligne avec des journalistes ou des écrivains anglais et américains. Ce n’est pas un fait exprès cet environnement anglo-saxon. J’ai suivi les conseils de mon mari et mon intuition. Je me sens bien auprès de ces personnalités qui partagent leur parcours, leur apprentissage, leurs doutes et leur talent.

Donc imaginons une réunion d’équipe avec des gens, plus ou moins vivants, de différentes cultures. Tous pertinents, ne se prenant pas au sérieux, éprouvant le besoin de comprendre et de partager. On sauterait sur les occasions de jeux de mots vaseux et de blagues. Aucun participant ne serait blessé, intimidé ou moqué. On pourrait chanter nos échanges, si par hasard nos paroles coïncidaient avec celle d’une chanson. On aurait le droit d’éclater de rire.

On se programmerait une nouvelle date de rencontre, pas trop éloignée. Mais en se laissant le temps de savourer et digérer les échanges dont nous sommes sevrés depuis trop longtemps.

Il est cinq heures, Paris s’éveille… je dois y aller.

Dans trois semaines ça vous va ?

“I want to do fun things that make me happy (…). You might call me a child, good, for if adults had even the slightest ‘in the moment joy’ of a child, then frankly the world would be a better place!” Miranda Hart

(Je veux faire des choses sympa qui me rendent heureuse. Vous pouvez me traiter d’enfant, très bien. Mais si les adultes savaient, ne serait-ce que parfois, trouver de ‘la joie dans l’instant’, franchement, le monde serait bien plus agréable !)

Toucher avec tact

Comment témoigner son affection quand on n’a plus de droit de toucher ni d’embrasser ?

Une fenêtre sur la place du marché à Mainz

L’autre matin mon fils est reparti en France.

Mon mari les a emmenés à la gare, lui et sa copine, avec leurs sacs à dos et leur valise, leurs livres et leurs ordinateurs. Je suis restée à la maison avec ma benjamine à peine de retour d’une pyjama-party. Elle avait suivi le programme à la lettre : mis le pyjama et fait la folle une grande partie de la nuit. Epuisée, à peine rentrée, elle s’était échouée sur le canapé.

Ça m’arrangeait de ne pas descendre en ville. Les adieux en gare dans les courants d’air gris sont deux fois tristes. Je souffre de voir mon grand garçon repartir, sans savoir quand nous allons nous revoir. Et je me mords la langue pour ne pas laisser couler les larmes toutes prêtes. Je ne vais pas lui infliger une maman humide en public.

Les séparations sont douloureuses alors autant s’en affranchir dans un souffle, comme un sparadrap qu’on arrache. A bientôt, bon voyage. Un signe de la main ou deux, un sourire des lèvres à défaut du regard, et on tourne les talons.

Avant de voir la mine pâle de ma fêtarde de 9 ans, j’étais prête à y aller pourtant. Même en tram s’il n’y avait pas eu assez de place dans la voiture. Mais les trois branches de sauge cassées ce matin par un ballon maladroit m’avait mises en colère. Ça fait deux ans que je l’ai plantée, et elle s’était enfin décidée à pousser. La colère ça distrait de la tristesse, c’est très pratique.

Au moment du départ je me suis autorisée à faire un bisou à mon fils, COVID ou pas. Par politesse, j’ai respecté les consignes pour sa copine. Avec mon père cet été – groupe d’âge à risque – j’avais aussi renoncé à la bise. Les mesures d’hygiène nous obligent à une distanciation sociale extrême.

Ce sevrage des contacts physiques avec mes amis me pèse. Je suis une tactile, je mendie des gâtés à mes enfants qui n’en veulent plus vraiment. Ma plus jeune parfois me tend à contrecœur et à reculons le sommet de son crâne pour que je puisse y déposer un bisou rapide. Prièrer de se dépêcher et de limiter le contact au strict nécessaire.

Mais si j’apprécie le contact choisi et sélectif, je me hérisse à l’idée de toucher un corps que je n’estime pas. En France le rituel de la bise d’office me pèse et je m’y résous seulement pour ne pas passer pour une pimbêche, et quand je n’ai pas de rhume (réel ou opportun). J’apprécie la coutume allemande de faire un petit câlin à ses amis pour leur dire bonjour et aurevoir. Une accolade aux proches, un sourire aux autres. On fait le plein de contact rassérénant, et on garde ses joues pour ses très proches.

Depuis mars finalement, les seuls contacts physiques hors famille que j’ai eus sont ceux, expéditifs et impersonnels, du coiffeur et de la masseuse thaïlandaise (où je n’étais pas trop détendue : j’avais peur qu’elle me fasse un tour de reins). De l’infirmière qui m’a fait une prise de sang de contrôle en racontant ses vacances à sa copine. Elle aurait pu me regarder et me parler à moi, ça lui aurait évité de me piquer les deux bras, me faire un bleu douloureux et à moitié tourner de l’œil.

Cache-Cache, ébauche
de ma dernière sculpture

Faute de contact humain, je me replie sur le toucher végétal. Dans mes promenades, je frôle du bout des doigts les écorces rugueuses des pins rouges, j’enveloppe de la paume la peau lisse et tendue des hêtres, laisse glisser mes mains sous le parchemin des bouleaux. Quand personne ne regarde, je serre les gros troncs lisses entre mes bras. L’arbre choisi est frais et doux contre ma joue. Je ferme les yeux quelques secondes.

Le masque n’aide pas à compenser les manques d’échanges amicaux proches. Il dissimule notre humanité : un sourire, une grimace, des grognements, le rire. Il étouffe nos élans et endosse le rôle de son nom. Nous sortons protégés, mais surtout cachés.

Je parle dans une langue étrangère avec sans doute un accent français, et j’ai hélas l’ouïe qui baisse. Avec les masques j’ai été surprise de voir à quel point la mobilité du bas du visage, pas seulement des lèvres, enrichit nos échanges et leur compréhension. Ces jours-ci les conversations avec la boulangère ou le caissier de part et d’autre de plusieurs couches de tissus et d’un écran de plexiglas tiennent du surréalisme.

– Je voudrais deux pains complets

-Une baguette ?

-Deux pains complets s’il vous plait.

-Un pain complet ?

-Deux.

-Quoi d’autre ?

-Rien merci.

-Une baguette ?

C’est curieux cette étymologie commune entre tact et tactile . Comme si le « sentiment délicat de la mesure, des nuances, des convenances » (Larousse) avait un point commun avec le fait de toucher. Pour respecter les convenances, il faudrait entrer en contact physique, du bout des doigts certes mais toucher quand même.

Jusqu’à voilà peu, pour être poli, il fallait mettre en contact nos épidermes. Prouver que nous n’avions pas de poignard caché dans la manche. Que nous n’étions pas une pimbêche.

Aujourd’hui pour être poli, c’est le contraire. Ne nous touchons plus, n’échangeons pas nos microbes. Je te respecte donc je reste loin de toi. Sauf si tu es ma fille (mon fils). Là tant pis pour la politesse et le tact. Je te respecte et je t’aime donc je te ferai un petit bisou quand tu partiras, et un gros câlin quand tu reviendras.

Si tu le veux bien.

Et si tu ne fais pas ta pimbêche (ton crâneur).

Vous nagez avec un masque, vous ?

Le mode d’accès à la piscine a changé. Je me suis fait rappeler à l’Ordre. Ça faisait longtemps…

„DA LANG UND DAS ZÄHLT NICHT ALS MUNDSCHUTZ !“

(Par là et ça n’est pas un masque valide !).

Tétanisée je suis des yeux l’index accusateur qui m’indique que je devrais me trouver à 1 mètre à ma gauche. Et que ma capuche tirée de côté ne compte pas pour me couvrir le visage.

Il est 8h15 ce lundi matin. Je suis dans l’entrée de la piscine. Seule.

Je reconnais la jolie jeune femme qui m’accueille ainsi. Les cheveux blonds aux épaules, un léger maquillage, quelques taches de rousseur, des lunettes trendy. Elle a déjà encaissé plusieurs fois mon paiement pas plus tard que la semaine dernière. Je l’avais trouvée sympa. Elle m’avait même surprise en me disant aurevoir vendredi alors que je quittais les lieux : la sortie est assez éloignée de son guichet.

Depuis que la piscine a réouvert fin juin en mode Corona, je suis toujours passée par la caisse pour les bassins extérieurs. J’y présente mes cinq euros (oui avec les aménagements, les prix ont doublé), le formulaire avec mes coordonnées, dûment rempli et signé. Comme beaucoup de clients autour de moi, je n’ai pas de masque pour cette transaction rapide, qui se déroule de part et d’autre d’un écran de plexiglas, avec une caissière naturiste du museau. La caisse passée, plus personne ne porte de masque nulle part. Dans les vestiaires, sur les pelouses et dans l’eau, la distanciation sociale devient un concept très théorique.

Ce matin il fait frais. Mais j’ai décidé d’aller à la piscine, malgré la perspective de passer une demi-heure dans l’eau froide, avant et après une douche (extérieure) glacée. Je travaille beaucoup à mon projet de livre. Assise à mon bureau mais aussi tout le reste du temps. Mon esprit continue à mon su et mon insu à avancer et à triturer les sujets (merci à lui, mais parfois faudrait savoir faire des pauses). Ce matin il était important que je profite de mon corps pour mettre l’analyse en veilleuse. J’avais besoin de nager.

J’ai donc enfilé mon maillot sous mes habits, préparé mes cinq euros et rempli mon formulaire. Mis un gros sweat à capuche en prévision des frissons à la sortie. Je suis partie à pied à la piscine.

En arrivant je suis surprise de voir que les grilles rouges et blanches du Freibad (les bassins extérieurs) sont fermées. Comment faire ? Peut-on tout de même nager dehors ? (Je ne languis pas de devoir retourner dans la piscine couverte, 25 mètres seulement, bondée).

Je suis la seule cliente (je vous l’ai dit, il fait froid). Je me rapproche de l’autre entrée, celle du Hallenbad (bassin couvert) et essaie de comprendre la logique des panneaux temporaires. Par où faut-il passer ?

Les quelques marches pour entrer sont divisées en deux par des barrières. Des flèches indiquent l’entrée vers la gauche. Je me dirige donc vers la gauche. Ça fait faire un détour par la rampe. Il n’y a personne et je trouve cela absurde, mais mon monologue intérieur m’informe que « ils sont bien capables d’exiger les zig-zags même s’il n’y a que moi, donc vaudrait mieux suivre la consigne ». Je m’apprête donc à emprunter la rampe. Mais de nouveaux panneaux précisent qu’il s’agit de l’« entrée pour la seule piscine couverte ». Bon, moi je voudrais bien nager dehors. Je sais que l’accès pour l’extérieur, après la caisse est à droite. Mon raisonnement in petto en déduit : « Ah ok les gens qui nagent dedans on les fait entrer par la gauche, et les gens qui nagent dehors entrent par la droite. Logique. Je sais que tout le monde peut sortir par le tourniquet extérieur. » Donc je rebrousse chemin (quelques pas) pour emprunter les marches par la droite.

En montant, comme je n’ai pas emporté de masque (ce n’est pas un oubli, je ne pensais pas en avoir besoin) j’attrape ma grosse capuche par le côté et je fourre mon nez dedans (une intuition qu’il faut se couvrir puisque la caisse est à l’intérieur). Le supermarché d’en face accepte pour la durée des courses toute couverture de visage (foulard, écharpe…) : ils le mentionnent par écrit sur les murs et dans leurs annonces sonores. Pour les deux mètres à faire et les 20 secondes de transaction de part et d’autre de l’écran de plexiglas, il ne devrait pas y avoir de problème.

la capuche

Je grimpe l’escalier. Un sourire s’amorce derrière ma capuche bleu ciel. Je m’apprête à dire bonjour, un mot gentil (j’essaie toujours de placer un petit rien sympa). De ma main droite je commence à tirer sur la fermeture Eclair de mon sac pour attraper mon billet et mon formulaire. Je me demande si je vais pouvoir nager dehors, tant pis pour le froid. J’aime tellement sentir l’air et l’eau fraîche et voir et entendre les grands platanes, sentir l’herbe des pelouses. Regarder le ciel et les nuages. Je m’y sens déjà.

J’ai à peine fait un pas à l’intérieur que je m’arrête tétanisée par l’accueil incisif.

„DA LANG UND DAS ZÄHLT NICHT ALS MUNDSCHUTZ !“

Pendant quelques secondes, je n’ose plus bouger ni parler.
J’ai l’impression d’être une écolière indisciplinée, grondée par la directrice de l’école qui lui a déjà demandé 20 fois de ne pas laisser trainer ses affaires en plein milieu de l’entrée. Une sale tricheuse prise en flagrant délit de fraude minable.

Je réprime un garde-à-vous.

Prise de cours je ne sais comment réagir.

Ma bouche dit : « Merci. Je ne peux donc pas venir

Mes talons se tournent. Je sors, par n’importe quel côté. Le plus proche. (Oh tiens on dirait que c’est le bon ! si j’en crois les flèches en Scotch par terre que je découvre).

Je suis déçue, frustrée et en colère. Mon esprit rumine et ronchonne. Je me sens chauffer et les larmes monter.

J’allais écrire que j’ai un seuil de tolérance très bas pour les incohérences. En fait il est inexistant. Si je ne comprends pas la logique, j’ai du mal à suivre des règles que je considère absurdes.

Je me souviens de ma première visite au musée des Confluences à Lyon. J’étais seule dans le hall et me suis dirigée droit vers les caisses. Un gardien m’a interpelée et intimé l’ordre de retourner emprunter les zigzags de cordes. Il faisait son boulot (où commence l’excès de zèle ?). J’ai eu beaucoup de mal à obtempérer silencieusement. J’avais envie de lui expliquer ce qui était pour moi une évidence et aussi de lui demander s’il était complètement idiot. Je sais d’expérience qu’avec des gens qui appliquent les règles sans réfléchir, il vaut mieux faire profil bas et ne pas discuter. Mais la confrontation à ces murs de béton me coûte. Surtout que ces rappels sont rarement faits poliment.

La caissière ne faisait sans doute que son travail. C’est peut-être la 20ème fois qu’elle répète la même chose aujourd’hui. Je ne suis probablement pas la seule à avoir pris des habitudes à l’autre caisse, et à être perplexe devant leur organisation qui – à mes yeux au moins – est nouvelle.

Je suis rentrée à la maison quitter mon maillot sec.

En chemin j’ai trouvé ce que j’aurais dû lui dire :

Bonjour.

Et peut-être aussi :

Pourquoi n’en portez-vous pas un de masque ?

La fontaine des fous de carnaval à Mainz. Avec et sans masques.

Une histoire de nid

« Ils ont quitté le nid, sans le savoir vraiment, petit à petit vêtement par vêtement.» Bénabar dans sa chanson Quatre murs et un toit

Cette semaine nous avons le plaisir d’accueillir mon aîné et sa copine, pour quelques jours de vacances studieuses.

Il a quitté son domicile familial maternel (le nôtre) pour débuter ses études. Cela coïncidait avec notre départ en Allemagne. Après des années de garde alternée, il a pris pied dans un logement à lui, unique et permanent.

Nous avons emporté dans notre nouvelle maison les affaires qu’il n’avait pas choisies pour son studio : des cahiers de l’école primaire, des dessins, un télescope. Peu d’objets en somme. Les meubles, les livres, les vêtements sont presque tous restés à Lyon pour accompagner notre étudiant dans sa nouvelle vie.

Nous avons emballé dans des cartons les traces fugaces qu’il nous a laissées. Des souvenirs d’un passé révolu, comme tous les passés, du petit garçon qu’il n’était plus depuis longtemps. A Mainz, nous lui avons aménagé une chambre : de nouveaux meubles dans de nouveaux murs.

Brutalement nous n’avons plus eu le plaisir de le retrouver une semaine sur deux, ni de l’accueillir de temps en temps pour un déjeuner, une lessive, un week-end (trop loin Mainz pour un court séjour). Nous ne pouvions pas non plus nous recueillir dans son ancienne chambre pour une bulle de nostalgie.

Vacances de Toussaint par-ci, d’hiver par-là : chaque séjour à Mainz crée des souvenirs communs dans notre maison allemande. Sa chambre s’anime (autrement que pour servir de bureau depuis mars).

L’avantage d’avoir des enfants d’âges différents, c’est que leur départ de la maison familiale sera échelonné. On aura le temps de se préparer, de voir s’en aller chaque week-end, un livre ou un pull de plus.

On l’a vécu nous aussi au même âge. Partir avec un sac de voyage trop lourd, des affaires pour la quinzaine. Avec ses premiers sous s’acheter une machine à laver, une table et quelques chaises, un lit. Récupérer de vieux fauteuils et une télé en noir et blanc. Rentrer moins souvent.

Repères stables, à cette époque, nos grands-parents étaient ancrés dans une vie depuis des dizaines d’années. Une grand-mère à Avignon, des grands parents en Ardèche. Noël par-ci, Pâques par-là. Le festival, les rôties de châtaignes. On savait où on en était.

Aujourd’hui, pour cause de départ prématuré des grands-mères, les grands-pères refont leur vie. Ils changent de lieu de vie, sans vraiment déménager, sans le savoir vraiment, vêtement par vêtement. Et pourtant rien n’est plus pareil. Les maisons où leurs enfants ont fait leurs premiers pas, où leurs petits-enfants ont joué à cache-cache se taisent, se replient, s’assoupissent.

Nos repères côté ascendants s’effilochent pour nous comme pour nos enfants. A quoi tient l’âme d’une famille ? d’une maison ?

Aux pas dans le couloir du petit matin dans l’odeur des ficelles craquantes, au grincement de la poignée, au refus entêté du portail quand il pleut. A la porte entr’ouverte sur un courant d’air pour permettre à la flambée de prendre.

Le départ d’un être aimé impose un changement brutal. Avec les matins qui s’entassent sur les objets et les lieux, les transitions de celui qui reste, s’infiltre un changement plus insidieux, à peine perceptible. D’autant moins quand on vit à l’étranger. Les autres, ceux que l’on a quittés, avancent. Quand nous les retrouvons, notre absence est décuplée. La maison de Londres, celle d’Ardèche crépitantes de souvenirs abritent de moins en moins de vie. Chaque retour est un choc.

C’est une des raisons pour lesquelles nous avons pris la décision (avec le recul d’un séjour en France) de rentrer l’an prochain. Nous avons envie de nous ancrer quelque part, de nous enraciner, au sens littéral. Planter notre famille, entre quatre murs et sous un toit.

En déménageant en Allemagne nous nous sommes toujours dit que ce serait au moins pour 2-3 ans, tant que ça nous plairait. Nous ne sommes pas d’ici, ni l’un ni l’autre. Nous nous sentons en transition. Dans une famille où l’un des parents est de culture locale, l’enracinement pour l’autre se fait tout naturellement. Nous sommes habitués à notre environnement, mais nous nous restons tous les deux (tous les cinq) étrangers.

J’en ai discuté avec une amie la semaine dernière, de retour de la piscine. Elle aussi a vécu à l’étranger, au Japon, avec son mari. Au bout de quelques temps ils ont éprouvé un besoin de rentrer pour s’enraciner. Elle a employé le même mot.

Nous avons envie et besoin de construire un nid, pour nous et nos enfants avant qu’ils ne le quittent tous, vêtement par vêtement. De créer un jardin-refuge où gratter et creuser la terre et planter des fleurs entre nos racines.

(PS : Je n’allais tout de même pas vous mettre des photos de chaussettes !?)

Taille-crayons, jardins et nouveaux-venus

Une première semaine d’école entre fournitures scolaires, retrouvailles et rencontres.

Terre blanche chamottée émaillée

Des cahiers et des livres éparpillés sur le tapis du salon, celui qui sert d’habitude de praticable pour les acrobaties. Des rouleaux de Scotch (pardon, Tesa film), un arc en ciel de protège-cahiers. La nouvelle boite de peinture, avec son gobelet emballé… Les filles viennent de recevoir leurs listes de fournitures (pourquoi ne pas les envoyer plus tôt ?). Nous avons suivi les conseils de la voisine pour éviter les grandes surfaces lointaines et bondées et soutenir le commerce local. Nous sommes allées au tabac-papeterie du coin.

La voisine a dû partager son truc avec beaucoup de copains. Nous avons fait la queue, à l’extérieur sur le trottoir, à 1,5 mètre des autres clients (ou à peu près. En France c’est 1 mètre, en Allemagne, c’est 1.5 – 2 mètres). La vendeuse prend les demandes à la porte, une par une. Comme elle n’a que des protège-livres individuels, nous lui avons remis nos kilos de manuels pour qu’elle puisse choisir le format adéquat.

Depuis la première rentrée de mon aîné, je dois avoir acheté 2510 taille-crayons, 40.543 effaceurs et le double de cartouches d’encre. Une ribambelle de trousses…. Des françaises, des allemandes (trousses-plumiers où chaque stylo est glissé dans un élastique) – parce que bon, faut ranger ses crayons comme les copains. (Tu comprends maman, la mienne elle est cassée / perdue / mangée…) Et une galaxie de gommes de toutes les couleurs. Pourtant quand on en a besoin, on n’en trouve jamais. Hop dans un trou de l’espace-temps avec les chaussettes orphelines !

Notre benjamine a fait son entrée au collège. Fière et sérieuse sur le vélo encore un peu haut hérité de sa sœur. Son cartable (oui ici aussi les cartables sont beaucoup trop chargés) la déséquilibre presque. Elle semble avoir déjà des copines et des repères. La reprise se fait en douceur. Les journées complètes commenceront la semaine prochaine. Dans ce collège, la semaine de rentrée, se fait sans cantine (‘’pour des raisons d’organisation’’ : ah ?), ni cours l’après-midi.

C’est une étape pour notre famille, puisque c’est la dernière fois qu’un de nos enfants entre dans un nouvel établissement – en théorie, parce que si nous rentrons en France l’an prochain, cette même demoiselle aura droit à une deuxième entrée au collège, en 6ème cette fois.

La réunion de rentrée pour les parents a eu lieu hier. Dans la cantine et non dans la salle de classe des enfants, pour cause de distanciation sociale. Disciplinés, avons avons porté un masque pour entrer et nous sommes assis en quinconce. Personne ou presque ne se connaît encore.

Nous avons ouvert tout grand nos oreilles. La classe verte d’intégration pour les 5. Klasse est annulée pour cause de corona. Elle sera remplacée par des journées de randonnée. C’est déjà ça ! Le masque est obligatoire pour tous les déplacements, mais pas une fois assis au bureau (ni en cours de sport, où la distanciation n’est pas non plus exigée…). Une grande chance par rapport à nos amis de Cologne en Nordrhein-Westfalen : pour eux depuis la rentrée le masque est obligatoire à l’école TOUTE la journée.

L’ordre du jour prévoyait les élections des parents délégués. Puis des représentants auprès du conseil de parents. On a d’abord voté à main levée pour choisir de voter à main levée. C’est un truc très sérieux ces élections. Déjà en arrivant la première année, ça m’avait surpris. Deux candidates sortantes pour deux postes. Nous avions quand même suivi à la lettre les formalités officielles. A chaque annonce de résultat, les parents ‘’applaudissent’’ en tapant sur la table (des phalanges, comme pour frapper à une porte).

Lors d’un tour de table (disons d’un saute-mouton de table en table), chaque parent s’est présenté à tour de rôle (je n’ai pas jugé utile de donner mon âge, et ai renoncé à mentionner ma pointure de chaussures). Les enfants sont ensemble pour au moins quatre ans donc leurs parents aussi. Après cette séance de près de 3 heures dans une cantine trop chaude, je suis soulagée que la réunion de ma grande soit la semaine prochaine.

Surprise le premier soir : nos filles nous ont annoncé qu’une famille française est arrivée dans le quartier. Leurs enfants sont dans leurs classes.

Ils ont de la chance de vous avoir les nouveaux arrivants, vous allez pouvoir les aiguiller !

Oui oui, mais moi aussi j’ai de la chance ! ça fait trop du bien de pouvoir parler français !

Ah c’est sûr oui.

-Tu te rends compte ça fait juste qu’une semaine qu’ils sont arrivés en Allemagne !

Oui, oui, je me rends bien compte…

Chouette des nouveaux copains pour papoter et se comprendre facilement, des voisins avec des références communes.  Avec qui échanger nos trouvailles.

Alors tout d’abord, leur indiquer le marché de Gonsenheim, les mercredis et samedis matin, redéployé depuis mars le long du petit parc. Avec son fromager, son boulanger, ses trois primeurs, son poissonnier (le seul à des kilomètres à la ronde) et son boucher. Son fleuriste sympa qui vend les tomates de son jardin et des bouquets de fleurs du quartier. Ses reines-marguerites violettes, les tournesols et les sédums en bouton me tiennent compagnie.

Chez Frau Schmidt : les fleurs à couper

Après le marché, prendre le temps d’un café dans l’adorable boutique de créations du Sonntagskind, https://de-de.facebook.com/Sonntagskind.Cafe

Ensuite leur proposer de choisir quelques légumes frétillants, un sécateur et un seau d’eau pour se cueillir des fleurs chez Frau Schmidt et son mari. Ils doivent avoir 165 ans à eux deux et cultivent toujours une exploitation maraîchère fleurie.

Leur chuchoter d’aller au jardin d’Odile (http://www.landragin.de/) un paradis secret, dissimulé de la rue par la rangée de maisons. Un jardin en longueur, avec des coins et des recoins, des serres anciennes, des antiques bassins, des alcôves de verdure. Quelques sculptures éparpillées. Une amie m’y a emmenée au printemps. On se dirigeait presque au parfum des rosiers et des jasmins, des pittosporums… extraordinaire ! A chaque passage entre les arbres et les grappes de roses, le fond du jardin se dérobait, ouvert sur un coin repos avec un banc, un potager, une pelouse couronnée de marguerites sauvages. Odile est une française installée ici depuis toutes les années qu’il a fallu pour créer cet univers, planter, tailler, couper. Elle vend des plantes et loue son jardin pour une fête ou un concert à la belle étoile. Bien guetter l’inscription manuscrite sur son portail pour repérer l’entrée. Vaut les tours et les détours.

Leur conseiller les promenades le long du Gonsbach, ce tout petit ruisseau chantant. Le chemin entre les saules et les aulnes est bien marqué. Il longe de charmants jardins ‘’ouvriers’’, des Schrebergärten (jardins de Schreber), comme on dit ici, du nom du médecin qui les a mis en place au 19ème siècle. Résister à l’envie de fourrer des poignées de terre noire fertile dans ses poches. Fermer un peu les yeux pour humer les rangées de fenouil et de coriandre du maraîcher. Laisser trainer son nez du côté des roses hissées sur les barrières de bois.

Arpenter les steppes du Mainzer Sand, (le grand sable de Mainz) qui fleurissent après la pluie. Chercher le troupeau d’ânes qui y broute en ce moment. Tâcher d’oublier le ronronnement entêté de l’autoroute qui coupe la forêt en plein milieu.

Ah et chez le boulanger, pour le petit déjeuner du week end, acheter des Brötchen bien sûr, ces petits pains ronds variés et des Quarktasche, des viennoiseries au fromage blanc.

Voilà pour les découvertes urgentes. Pour le reste, la ville, l’administratif, on aura le temps d’en reparler.

Hein, qu’est-ce que tu dis mon chéri ? L’échéance de la déclaration d’impôts approche ? Mais on ne vient pas juste d’en faire une de déclaration d’impôts ?

Oui mais c’était la française.

Je vous laisse, va falloir s’y coller.

Ça on ne leur dira pas hein, le casse-tête d’être à cheval sur deux systèmes administratifs.

Deux ans déjà en expatriation

~ Mainzalors.com a un an : 100.000 mots, 200 pages ! ~

Happy birthday dearest blog !

Les cours reprennent, je retrouve du temps pour écrire au calme. Et me retourne sur les deux ans écoulés.

Je savoure.

A peine 10 heures et déjà moite, je m’assois à mon bureau. Il est calé dans un coin vitré, au dernier étage et donc sous le toit. Tant pis. La porte fenêtre est ouverte sur la terrasse de poche, dont le béton rayonne encore de la chaleur d’hier. Tant que les rayons du soleil ne passent pas par-dessus le toit, directement sur moi, je la laisserai ouverte pour faire semblant de prendre l’air. Cet air qui refuse de bouger, ce plomb de Sahara estival. Il fait un temps de plaines de sable, silencieuses à rendre sourd, éblouissantes.

Je savoure.

L’éblouissement viendra tout à l’heure et malgré mon envie je ne pourrai rester assise ici. Quelques oiseaux chantent dehors. La guêpe fidèle (est-ce la même que celle de l’an dernier ?) grignote les tiges des canisses de la terrasse. Des coups de marteau résonnent.

J’accueille ce moment avec toute l’attention que je peux lui donner. Pour la première fois depuis 5 mois (5 mois ! presque une demi-année !), mes deux filles sont à l’école ensemble pour la matinée. Et si mon cher et tendre qui bosse dans une chambre en dessous veut bien jouer le jeu, je dispose de quelques heures SEULE. Le bonheur !

Quand on a besoin comme moi de temps de solitude, de silence et de pénombre pour recharger ses batteries, les conditions de vie qui se sont abattues sur le monde ont eu un effet dévastateur. Comme un nuage de criquets elles ont tout grignoté.

Alors je savoure ce temps offert.

C’était une rentrée pour de faux ce matin. Un échauffement, pour se rappeler comment écrire en allemand avant le retour à l’école lundi prochain. Nous avons sauté sur l’opportunité proposée par la ville de Mainz en compensation des cours annulés au printemps pour cause de corona. Une rentrée pour rire mais ma grande faisait la gueule.

Elle s’inquiète de se retrouver dans un groupe où elle ne connait personne (sa grande amie a participé la semaine dernière), où elle devra peut-être s’exprimer à l’oral et expliquer son cas particulier. Je lui ai fait remarquer qu’elle avait passé un long moment au téléphone hier avec cette amie à papoter en allemand. La langue n’est plus un obstacle. Mais les souvenirs de la période d’adaptation restent vivaces. Ça et puis la peur d’être mélangée à des ados qui viennent d’autres types de collèges (Realschule, Gesamtschule…)… l’inconnu inquiète.

Mais moi je jubile !

Ce matin j’ai accompagné ma benjamine à ses cours, dans l’école voisine de la sienne (elles se touchent). Elle a voulu y aller à pied, pour bien qu’on comprenne que son vélo est trop petit (c’est bon, le message est passé !). J’ai mis mes pas dans nos traces d’il y a deux ans. Quand nous étions paumées, sous la canicule de début août, noyées sous les feuilles grillées, les formulaires administratifs, les fournitures scolaires inconnues. Avec en plus, la pression temporelle de faire, quelques jours avant la rentrée, ce que les autres familles avaient réglé en juin.

Et là on est dans les clous (sourire tout fier).

Le nouveau cartable est choisi. Grâce aux conseils de ma voisine adorable, nous avons acheté la Rolls Royce allemande des cours de Gymnasium mais à un prix correct. C’est pas comme si y’avait beaucoup de choix dans les boutiques locales. Nous avons découvert que l’achat du cartable pour la 5. Klasse (CM2, début du collège) est une affaire très sérieuse. Le rayon est situé à l’entrée de la maroquinerie. Une vendeuse a d’emblée fait essayer à ma collégienne deux modèles lestés. Charge à elle de choisir le plus confortable. Allez hop un p’tit tout du magasin, avec le masque, le cartable lourd, en suivant les scotchs, les parois de plexiglas. Ensuite elle a pu choisir les couleurs qui lui plaisaient – dans le rayon en promo steuplait hein ?

A la caisse, la vendeuse nous a fait une démonstration pour adapter la hauteur des bretelles à la croissance de ma fille. C’est sûr elle pourrait le garder jusqu’à l’université ce sac vu sa robustesse. Mais ses goûts vont changer. Je parie que lors du retour en France il faudra la convaincre de le garder. La mode du collège ne sera pas la même qu’ici. Petite chance de se fondre dans le groupe si elle rejoint une école internationale avec des enfants allemands…

Quand les profs nous l’aurons donnée, nous irons confier la liste de fournitures à la buraliste du coin – elle a un rayon papeterie et se charge parait-il de tout préparer. Oh voisine, si je t’avais connue en arrivant comme ma vie aurait été simplifiée ! Il y a deux ans, les gens à qui j’avais demandé conseil m’avaient tous orientés vers un grand magasin en ville près de la cathédrale. Pratique quand ça prend une heure d’y descendre dans la touffeur de l’été et la foule, et qu’on doit y aller à plusieurs reprises !

On m’avait dit la première année à l’étranger, tu trouves tes repères. (J’ajouterai qu’il faut aussi perdre les anciens réflexes, ce qui est loin d’être évident). La deuxième année est plus confortable puisque les étapes déjà vécues se répètent. La troisième année devient vraiment agréable, tu profites de tout cet investissement. Je veux bien le croire. Car c’est seulement après deux ans finis (et l’arrivée de ma deuxième fille dans le collège de sa sœur) que je ressens le bénéfice de nos tâtonnements. Bientôt nous serons en mesure de donner des conseils, même à des locaux.

La cathédrale de Mainz – der Mainzer Dom


J’ai rajouté ‘’déjà’’ au titre : Deux ans, déjà.

Pourtant ces deux ans nous les avons senti passer, comme en témoignent tous ces mots que je sème, cailloux du Petit Poucet, pour trouver mon chemin jusqu’à vous (et moi). Dès notre arrivée, les idées, remarques, réflexions, coups de gueule ont fusé comme des feux d’artifice. Je les ai stockés pétillants dans ma mémoire vivante. Après les mois d’adaptation, quand j’ai pu m’asseoir et me retourner,  j’ai commencé à écrire.

Ce blog a un an. Joyeux anniversaire à toi ! 100.000 mots. 200 pages. Tellement d’émotions et d’échanges ici et là-bas. De nouvelles activités. Des liens d’avant se sont raffermis, d’autres ont fondus. De nouveaux se sont créés pour l’instant, ou pour le futur. On verra.

La guêpe grignote. Un bébé en promenade pleure. Les nuages attrapent les rayons de soleil et me laissent un peu de répit à mon bureau. Tant mieux, je vais pouvoir rester plus longtemps à travailler.

A vous je veux bien le dire, mais chut c’est un secret : j’ai commencé à écrire un livre, un essai. Ça fait longtemps que les idées et le projet me trottent dans la cervelle. Je suis très intimidée.

Je me suis fixé comme objectif de poser mon postérieur sur cette chaise tous les jours. Ensuite, comme dans les lignes de ce blog, j’avancerai un mot après l’autre.

Le soleil vient d’arriver sur mon clavier. Je referme la porte.

Il est temps de souffler les bougies de Mainzalors.com !

“L’art c’est beau, mais c’est beaucoup de travail” Karl Valentin

La reprise (coulisses)

Retour de vacances en France, la rentrée au Gymnasium s’annonce, le travail a repris. Journées de transition.

Houhou !

Grands signes de la main.

Oh ça faisait longtemps que nous ne nous étions vus. C’est chouette de te croiser là.

Attends, je reviens, je vais juste rincer la terre de mes mains dans mon arrosoir.

Alors ces vacances ? ça se passe bien ? Contents de vous retrouver – ou de vous séparer après ces mois de vies superposées ? De quitter les quatre murs qui nous ont tous engoncés ?

Oui, oui nous ça s’est très bien passé merci. Nous venons juste de rentrer. De France oui. Une cure d’arbres et de reliefs, de paysages variés. Beaucoup de kilomètres, oui. Et le plaisir du parler-facile. Du laisser aller au fil de l’eau de journées tissées par les marées et les méandres de rivières, les bouillons blancs ou noirs des torrents (avant / après la pluie), les orages de montagne.

Nous avons retrouvé un jardin croustillant, comme au sortir du four, alors que la canicule frappe au thermomètre. Je pensais devoir traverser une jungle et sortir la tondeuse (manuelle, pour nos quelques mètres carrés), et bien non. Juillet a été très chaud et sec à Mainz.

J’avais planté comme une forcenée au printemps, dans un élan d’activité sur place, pour fleurir notre coin de planète, celui que par la force des choses, nous ne pouvions guère quitter. Je me doutais bien que tout ne résisterait pas à l’été. Les cosmos chocolat ont cramé comme beaucoup de leurs copains de massif tout plat. Donc je déterre, je ratisse les feuilles sèches, je taille ce qui pourrait être sauvé. J’arrose. Le lilas qui pendouillait, le cerisier qui jaunit, le gazon… Dans les pots abrités au nord d’un mur c’est la jungle. Le papyrus prend des allures arborescentes, l’arbuste que je ne connais que de vue, enfle et gonfle ses boutons en fines grappes coniques. L’environnement, hein, les conditions de vie… C’est important, faut faire attention où on plante, où on s’enracine. Si on veut que ça prenne…

A défaut de prendre racine, moi j’ai pris une résolution, tu sais : ne pas lutter contre la nature (une terre de remblai, sèche et récalcitrante, encore plusieurs semaines de grosses chaleurs), ni contre ma nature. Je vais planter tout de même, mais peu et dans du terreau de qualité. Je les placerai dans des coins qui se sont révélés propices à la vie végétale malgré le délaissement. Je chouchouterai ces quelques pots, comme le plant de kiwi que m’a confié une amie-artiste-voisine avant de partir en Suède pour un an (snif, elle va me manquer ; je lui enverrai des photos de ses 4 kiwis à maturité). Faire avec les conditions, accepter de ne pas toujours réussir, ne pas toujours accepter, se laisser porter par le courant…

Le courant du moment, c’est la fin des vacances qui chahute avec le flot du quotidien. C’est la reprise. Celle de la couturière qui raccommode des vies actives par-dessus la parenthèse des congés, le quotidien allemand de part et d’autre de congés en France. Nous entamons la 5ème semaine sur les 6 que comptent les vacances d’été allemandes. La semaine prochaine les filles rattaqueront en douceur avec des cours de maths et d’allemand proposés en matinée – sur la base du volontariat – par la ville de Mainz. Une forme de compensation des semaines d’abstinence scolaire confinées. Le ministère de l’éducation de Rhénanie-Palatinat s’en félicite sur des panneaux publicitaires 4x3m.

Et moi aussi. Quelle initiative opportune ! Les enfants vont pouvoir reprendre le rythme tranquillement, et libérer les lieux ensemble CINQ MATINEES D’AFFILEE ! Ce n’est pas arrivé depuis début mars…. Si j’enferme mon mari sur ses téléconfs, je m’octroie quelques heures de paix et de silence ! Inespéré après avoir eu l’impression d’être de garde 24/7 pendant 4 mois.

Lors de notre dernière étape, à la montagne en Haute-Savoie (au bout du monde littéralement), mon regard a été attiré sur la porte d’un buraliste-bibliothèque-bureau de poste-salle d’expositions par la une de Marianne : « Confinement + vacances : Libérez-moi de mes gosses ! ». On les aime plus que tout hein, nos enfants, mais on prie tous les dieux (et ministres) de l’éducation que les cours reprennent normalement mi-août. Matins ET après-midis avec les AG siouplait.

Les AG, ces clubs organisés par les collèges, proposent des activités variées aux élèves. En CM2 (5. Klasse), ma benjamine en aura deux par semaine, en 4ème (8. Klasse) ma grande, une seule. Elles ont émis leurs vœux en juin choisis dans un catalogue de plusieurs dizaines de possibilités (couture, danse acrobatique, arts plastiques, basket…) et attendent les affectations. Si elles ont toutes les deux danse, elles pourront faire partie du même spectacle (avec une centaine de jeunes, une chorégraphie travaillée, des acrobaties impressionnantes : grand écart porté, pyramides de minettes…). La prof est extra, la représentation de l’an dernier formidable ! On verra.

En attendant, la logistique de la rentrée se précise. La reprise donc, mais pas celle de la musicienne, qui rejoue le même passage à l’identique.

Lors de notre arrivée ici voilà deux ans, nous avions dû plonger tête la première dans le grand bain de paperasses alors incompréhensibles pour une rentrée le 6 aout. Cette année, on souffle : la rentrée scolaire de notre Land est plus tardive (elle est décalée d’une semaine chaque année, pour alterner les périodes entre les Länder). Ensuite pour commander les livres maintenant ON SAIT : pas de commande en ligne au petit bonheur grinçant avec récupération à perpette en ville. Non. Je suis allée hier avec plaisir à la librairie pour enfants du quartier, j’ai tendu ma liste à la libraire. J’irai chercher le paquet demain. Et voilà. Un truc de rayé sur la liste (sauf le bouquin de physique, pour lui faudra retourner).

Côté administratif c’est pareil : on a compris le pourquoi du comment, les comptes en ligne (pour les divers prestataires : casiers, cantine, livres loués par la ville) sont déjà ouverts avec nos références bancaires. Ça devrait être plus rapide. Le badge de cantine est arrivé, celui que nous avions attendu si longtemps il y a deux ans (et qui avait condamné notre fille aux sandwiches plusieurs semaines).

Il restera à acheter un cartable pour ma plus jeune. Elle a été ravie de donner l’ancien en fin d’année scolaire (et d’école primaire) pour une opération caritative à destination d’une école du Malawi. Elle avait rempli le cartable de fournitures, et écrit une lettre pour l’enfant qui recevra son sac à dos. Et hop une bonne action (et le droit d’avoir un cartable neuf pour le collège, hein ?).

Nous descendrons donc en ville acheter le cartable. Nous y retournerons pour les fournitures quand les profs auront donné leurs listes. Rien trouvé de plus simple (les supermarchés du coin n’ont pas de papeterie scolaire, et je préfère acheter local). Mais au moins cette année, on sait où aller, à quel article correspond chaque mot et où manger une glace en sortant.

Si tu veux tu pourras nous y retrouver.

C’était sympa de te croiser. Prends soin de toi et de ton été.

Ah et tu sais, j’ai trouvé des groseilles ce matin au marché. Cet après-midi, ce sera confitures. Je t’en ferai passer un pot.

PS : Tu sens ? Y’a une odeur bizarre dans la cuisine. Ma grande fille fait cuire au four des branches de bois. Elle les désinfecte avant de fabriquer des jeux pour sa gerbille et les nouvelles qu’elle va adopter. Elle est en affaires par mail avec une famille dans les environs de Mainz. Ils lui ont demandé une photo de la cage. Ils ne vont pas être déçus, avec le palace qu’elle a fabriqué.

Douce France

Cheeeeer pays de mon enfaaaaance (et de mon adolescence, vie adulte) …

Ah le retour dans un environnement familier ! Les petites choses prennent une saveur nouvelle, celles qui nous ont manqué comme celles qu’on avait oubliées.

La question des vacances est un sujet sensible pour qui habite à l’étranger. Faut-il partir à l’aventure dans un pays tiers ? Découvrir son pays d’accueil ? Rentrer dans son pays d’origine (et là pour nous la question se pose : en France ou en Angleterre ?). Bon l’Allemagne on avait déjà donné cette année, avec ou sans choix (Berlin à la Toussaint, et Mainz-à-la-maison à Pâques pour cause de coronassignation à résidence). Là nous aspirions à l’évasion. Comme Edouard Dutour l’a écrit dans un article humoristique sur les destinations de vacances (magazine Elle du 10 juillet 2020 – Ah lire Elle en été …) : « Folie, on envisageait parfois Bayreuth, jusqu’à convenir que passer des vacances en Allemagne, c’était franchir un drôle de cap. »

Donc nous le cap on ne l’a pas franchi et on l’a mis sur le Sud-Ouest. Objectif : tour de France des régions avec l’accent du midi, celles où on a des petits bouts de cœur accrochés. Un retour à nos sources, l’océan et l’Ardèche, et si possible une entrevue des sommets alpins.

A peine passée la frontière, mes filles ont ouvert la fenêtre de la voiture et crié à qui voulait entendre (personne en fait) : « ON EST FRANÇAIS ! ON N’EST PAS DES ALLEMANDS ! » (en référence à notre plaque minéralogique, qui pouvait prêter à confusion.)

Réadaptation aux conditions de vie d’avant – et aux nouvelles liées au corona.

Trop chouette de boire mon café du matin dans un bol, comme en Ardèche. A la maison nous n’avons que des mugs, exprès. Pour mieux savourer ces changements minuscules quand nous rentrons.

Entendre « Pardon madame » de la part d’un cycliste passé trop près de moi sur le trottoir. Je réponds « Ce n’est pas grave » – puisque je le pense. Mais je suis surprise par cette politesse (rare sous toutes les latitudes je suppose), mais surtout car ça fait bien longtemps que quelqu’un ne s’est pas excusé auprès de moi dans la rue. En Germanie, je reste sur mes gardes dans tous mes déplacements. Et si personne ne me dit rien, c’est que tout s’est bien passé.

D’ailleurs ici aussi mon fils et moi nous sommes pris une remarque de la part d’un automobiliste : « DE RIEN ! » Il s’était arrêté au passage piéton pour nous laisser traverser. D’habitude je fais un signe de la main – ne serait-ce que pour être sûre de son renoncement à me faire la peau. Mais là nous discutions et nous avons oublié ce salut sympathique. Le Français s’attend à des remerciements lorsqu’il daigne suivre le code de la route. L’Allemand s’insurge contre celui qui ne suit pas les règles par défaut, mais ne s’attend pas à un remerciement au passage piéton puisque c’est la norme.

Quel bonheur d’être en France ! De redécouvrir toutes ces petits choses tenues pour acquises et qui nous manquent tant quand on en est privé (à part la prise de risque inconsidérée quand on traverse). L’à peu-près. La douceur, la souplesse, la spontanéité, la tolérance pour les erreurs, les oublis. Bon ça ira pour cette fois, hein… Être dépaysé par le français entendu partout, dans la rue, sur la plage, les magasins. Surtout avec l’accent chantant du Sud-ouest.

Côté corona, des affiches collées partout montrent que l’information au moins est obligatoire. Pas de masque systématique à notre arrivée (jusqu’à lundi où la règle a changé – pourquoi cette interruption dans la protection ?), et pas de traçabilité. En Allemagne, du moins en Rhénanie-Palatinat, tous les lieux de ‘’séjour’’ (restaus, coiffeurs, piscines…) enregistrent sur des petits flyers les coordonnées des visiteurs. Et ce dans un pays très à cheval sur la conservation des données personnelles.

Nous on s’est un peu laissé aller au début. On s’est permis d’oublier le masque une ou deux fois pour les courses. Pas longtemps, juste dans l’élan du relâchement.

Avant d’arriver sur la côte atlantique une halte paisible de quelques jours en Dordogne nous a permis de couper la route et donner le la à nos vacances. Se reposer au vert, bien manger et faire du sport. Une auberge perdue dans les charmes, à l’aplomb d’une rivière paresseuse, au bout d’une route étroite nous attendait. Les yeux dans la canopée du vallon en contre-bas. Un p’tit coin de paradis tenu par un Anglais et une Française et leur fille. Des bâtiments en pierre blondes, des fleurs partout, un nid de rouge-queue dans le creux d’un chapeau accroché au mur en décoration, du gâteau aux noix du Périgord pour le petit déjeuner. Une chambre pour les trois enfants, de l’autre côté du jardin. Hé hé !

Nous avons descendu la Vézère en canoë pour certains et en kayak pour moi. Quelques heures de liberté relative. J’adore le kayak et les occasions d’en faire sont rares. Nous sommes partis avec notre pique-nique en bidons étanches. Ravis de découvrir ce paysage par un chemin d’eau. Un château élégant avec sa tour unique sur un éperon rocheux. Là dans la falaise, des campements préhistoriques, utilisés jusqu’au Moyen âge. Tiens une île de galets, juste en dessous de notre auberge dont on aperçoit un pan de mur dans la mer de feuillages. Et si on mangeait là ? on accoste, et se jette dans l’eau pour une baignade dans un semblant de rapide (j’veux pas me la jouer parce que je suis ardéchoise, surtout que les rapides de l’Ardèche par rapport aux torrents des Alpes c’est de la gnognote avec leurs trois kilomètres de plat après chaque escalier, mais là c’est franchement calme.). Alerte ! Une famille Bidochon a trouvé notre emplacement sympathique et a forcé ses canoës entre les nôtres. Se seraient-ils arrêtés là si nos bateaux ne leur en avaient suggéré la possibilité ? S’ils n’avaient pas eu besoin d’un public pour crier sur leurs gosses ? Ah l’instinct grégaire…  Donc cap sur le virage suivant pour déguster un premier melon estival et des rillettes de canard.

A l’arrivée de la descente, de petits groupes attendent déjà le prochain minibus pour remonter au lieu de départ. Une famille, un couple ou deux, trainent là fatigués…. Le mini bus arrive et nous nous faufilons avec tout notre barda pour trouver un siège. Tous, sauf une dame étrangère qui s’interrompt sur le point de poser un pied dans le véhicule :

Vous ne mettez pas de masque ? mais c’est TRES DANGEREUX !

Elle s’adresse à la collectivité, en français. Le petit couple vers la porte marmonne un « Ben nous on est comme ça » en haussant les épaules. Nous sommes tous ‘’comme ça’’, c’est-à-dire sans masque et dans un l’accoutrement approximatif de personnes qui ont passé la journée sur l’eau à pagayer, engoncés sous nos bidons étanches, sur un siège qui démange le postérieur humide. Et le “comme ça” nous va très bien. Nous sommes lâchement soulagés d’être assis au fond, moins concernés par la remarque car vaguement planqués. Et là je ressens un petit plaisir coupable : ça fait tellement de bien de ne plus être celle dont le comportement est minoritaire ! Yes ! Ici je peux la regarder avec la supériorité du nombre (à défaut d’une autre) la rabat-joie masquée !

Un monsieur québécois est plus malin que moi. Il intervient :

 –Vous avez un masque vous.

Oui

Alors pour vous il n’y a pas de problème, vous êtes en sécurité.
– ….

Elle monte.

Ce monsieur s’était déjà montré efficace et serviable lors du chargement des embarcations sur la remorque. Il nous avait aussi sauvé la vie en resserrant rapidement le frein à main du minibus qui commençait à glisser.

En quelques minutes, le comportement d’un seul individu nous avait donné un a priori très favorable sur tout une province. Comme celui de l’emmerdeuse (qui avait déjà interdit à son mari d’aider pour porter les canoés, alors que lui était volontaire – elle lui avait rappelé qu’il avait mal au dos, au fait) nous avait enlevé toute envie de connaître son peuple (non identifié).

A partir d’un échantillon de taille ”un”, on se fabrique toute une mythologie.

Nous plongeons avec délices dans celle que nous construisons sur la France sur les fondations de notre regard neuf. C’est la première fois que nous revenons aussi longtemps depuis deux ans.

Non mais t’as vu comme les gens sont sympas ! Ils blaguent (au sens méridional du terme) ! T’as vu comme c’est beau la France, comme c’est varié ! Au prochain confinement c’est sûr je veux être ici hein ! Coincée sous les pins à moins d’un kilomètre de l’océan.

Nous voyons tout avec des yeux d’amoureux éperdus, et lorsque nous parlons de notre vie à Mainz, les références à notre pays d’accueil sont masquées de biiiip pudiques.  Y’a pas à dire, c’est plus simple quand on se sent à l’aise dans les codes sociaux (et qu’on occulte sciemment que nous sommes dans des conditions de vacances).

A nous les coquillages et crustacés (ce qui me vaut de chantonner le refrain de la chanson de Bardot, au grand dam des oreilles des miens), le poisson tout frais, les cigales, les Gervita, et le piment d’Espelette. Le gâteau basque et les chocolats fins, puisque Bayonne est parait-il la capitale du chocolat depuis 400 ans. Les petites culottes de Monoprix et quelques T-shirts sportifs-chics, une robe rouge et un short vert.

Et surtout, des livres, des livres, des livres. Des kilos de livres. On a dévalisé la librairie de la rue en pente de Bayonne, au nom si charmant et aux critiques argumentées et sans ambiguïté (du type, pour un roman en vitrine : vous avez économisé 18,50 euros). Et aussi la librairie plus bas, vers les quais de la Nive. Et celle d’Hossegor. Les articles de papeterie mignons pour la rentrée, on s’en occupera en Ardèche (mon mari aussi achetait ses fournitures scolaires en France avant de rentrer en Angleterre). On n’oubliera ni saucisson ni crème de marrons.

Des kilos d’objets transitionnels pour survivre en terre étrangère : gastronomie, culture, mode. Les trois piliers de notre franchitude à transporter depuis le Sud. Car même la France de la lisière nord-est (la ‘’fausse France’’ comme dit ma fille) ne nous procure pas tout cela.

Nous rapporterons à Mainz les pots de confiture de cerises noires vides. Pourvu que le primeur ait toujours des groseilles et des cassis pour nos productions maison.

Je ne vous quitte pas sans vous annoncer une grande nouvelle. La discussion en famille d’hier (à la faveur de la prise de recul du voyage) a conclu : nous rentrons en France l’été prochain. Notre expérience allemande était prévue pour 2 ou 3 ans. Nous revoilà avec un nouveau projet où tout est à construire.

La France restera-t-elle aussi douce lorsqu’on y reposera nos meubles ?

La lutte avec l’ange*

Des adieux soudains au cœur de la lumière de l’été. La simultanéité du blanc et du noir, comme le yin et le yang enlacés, ou la difficulté de vivre ces émotions contraires.

Je lutte avec l’ange.

Je suis en lutte contre lui, avec lui. J’aimerais baisser les bras et capituler, m’avouer vaincue. Lui donner mes poignets joints en signe de soumission. Pour connaître enfin, quelques minutes de paix.

L’ange de la vie, l’ange de la mort.

J’accuse le coup des six derniers mois-corona, des deux ans en Allemagne, des 47 dernières années. De tout ce temps passé à refuser de m’accepter puisqu’il me fallait trouver une place dans la société et que je pensais que c’était à ce prix, un prix que je ne connaissais pas. Toutes ces années à tenter d’apprendre à me connaitre.

Je n’y suis toujours pas, il parait qu’il faut toute une vie. C’est bon signe, signe qu’elle n’est peut-être pas finie.

Nous sommes partis en vacances avec un petit bandeau noir au bras. Le ruban minuscule de la mort soudaine d’une petite gerbille. Une des deux sœurs hébergées dans la chambre de ma grande fille, dans une cage olympique fabriquée en un week end à partir d’une vitrine IKEA, de planches et de grillage. « Combien de temps ça vit une gerbille ? » a demandé une copine la veille en jouant avec elles. « Oh deux ans et demi, trois ans ». 24 heures. Combien pèse l’âme d’un petit rongeur dans le cœur d’une ado qui lui a consacré tant de projets de bricolage créatif, tant d’heures de jeu ? Assez lourd pour se frayer un passage jusque dans ces lignes.

Recours éperdu aux textes essentiels : « Ma chérie, c’est le temps perdu pour ta gerbille qui l’a rendue si importante à tes yeux. Tiens lis le Petit Prince ! » (On va y arriver oui ?). Et par procuration, à mes yeux à moi. Comme j’ai été attendrie de te voir faire sécher des rondelles de carottes pour elles, construire des jeux en bâtons de glace et rouleaux de papier toilette, en papier (toilette) maché et farine mouillée (même aux temps de la disette) !

La mort a fait irruption soudaine dans nos vies la veille de notre départ. Décision à prendre chez le vétérinaire (cette décision tellement humaine que les médecins nous refusent). Ma fille a été exemplaire de maturité et de dignité. Dans la voiture, les gorges sont longtemps restées nouées.

Escale en Bourgogne. Restau (ça fait si longtemps qu’on rêve de manger français). Texto : « Marie est très malade ». Oh non….. Quelques jours plus tard : « C’est allé très vite, Marie est partie ». Marie c’est une amie de la famille depuis toujours. (C’est pour elle que j’ai simplifié le mode d’abonnement à ce blog. ) Vue de l’extérieur c’est une dame âgée dont l’heure est venue comme elle vient toujours à un moment quand on vieillit. Vu de près, de l’intérieur d’une affection, c’est une étoile qui s’éteint, une fée qui s’envole. Un pilier de nos cœurs qui nous laisse tous un peu orphelins. Surtout qu’elle était une grande amie de ma maman. Vous voyez ce que je veux dire, non ? Si je vous faisais un dessin ce serait un sourire et son reflet.

Aujourd’hui c’est son enterrement. Elle était très croyante alors, c’est son à-Dieu. Je pense à elle et aux siens. Je regarde le ciel, parce que peut-être, sait-on jamais… On ne se trompe jamais à regarder le ciel. L’infini autour de nos vies, ça fait lever le menton et redresser les épaules et des éclaboussures de bleu c’est toujours bon à prendre.

Comme si souvent, mon esprit me dit d’accepter ce départ et mon corps s’y refuse. Alors je lutte avec l’ange.

Je suis désolée de vous écrire ce billet sombre comme les pins noirs au-dessus de ma tête dans le contre-jour. Pourtant je suis assise sur un transat, les pieds sur la mousse sèche, l’ordinateur sur les genoux. Je commence à avoir un peu chaud, je vais quitter mon sweat.

Peut-être que quelqu’un quelque part, en lisant cela, se sentira moins seul (e). Je le / la salue.

L’été est une saison cruelle, hautaine. Elle glorifie des corps toniques bronzés et en bonne santé. La vie jeune, grégaire et sans souci. Elle élude les isolés, les esseulés, les malades et les endeuillés, les accidentés. Comment trouvez-vous ma nouvelle tristesse ? Me va-t-elle bien au teint avec ce début de hâle ? Et mes nerfs à fleurs de peau ? C’est comment avec les tongs ?

J’apprécie la météo de ce coin des Landes que lapent les pelouses si vertes du Pays Basque. Le soleil va et vient comme les vagues, comme les marées. Comme les averses et les orages. Restent les pins et le sable, sur la dune le parfum des immortelles.

La tristesse est plus supportable dans un sweat douillet, sous un ciel menaçant, quand il tombe quelques gouttes. Quand on frissonne aussi de froid. J’aime quand l’extérieur s’accorde avec mon intérieur, et de plus en plus j’apprécie la pluie, le temps mobile, variable, indécis. Il y a quelques années je râlais de devoir mettre un jean au mois de juillet… Aujourd’hui je m’y blottis avec délectation.

Je lutte avec l’ange et je me rends compte au fil des mots, en vous écrivant, que cet ange en ce moment, s’appelle tristesse. Je ne le savais pas en commençant ce billet.

Je me sentais en colère, survoltée, à bouts de nerfs, éreintée par tous ces mois de confinement au sens large, d’exil de ma vie et de moi-même imposé depuis tous ces mois. Privée d’amitié d’enfance et d’en France, de famille, d’eau où nager pour me défouler vraiment et me resourcer, de la possibilité d’une évasion. Les échanges cœur à cœur avec mes amies allemandes, artistes, m’ont apporté beaucoup, comme les promenades sauvages, et la chasse au trésor quotidienne des nouvelles floraisons. J’ai envie de tenir un journal de ces jalons en jupons de pétales et d’étamines. Mais la camisole de la quarantaine, même tissée dans la transparence de la raison et de l’universalité gêne aux entournures.

Depuis que nous avons enfin pu nous évader de notre quotidien pénitentiaire, nous avons traversé la frontière vers le sud. Avant de partir, j’ai pris soin d’écrire une lettre au stress accumulé en moi, en lui souhaitant une belle vie. AILLEURS. Bien sûr la pandémie et ses paniques nous ont suivies, mais avec un autre accent – c’est toujours ça. Et j’ai décidé de m’accorder des vacances. Comme si une mère pouvait connaître une vacance, sans parler de plusieurs…. Enfin, on ne risque rien à essayer.

J’ai donc lâché le clavier et beaucoup d’autres activités (du genre vouloir contrôler mes enfants). Embrassé la mission de regarder le vent dans les feuilles et le sentir sur ma peau et dans mes cheveux, me mouiller le plus souvent possible, faire du sport dans l’espoir de renouer avec mon corps et de ramener mon esprit à mes bons et loyaux services – ou en tous cas plus près de moi et de mes besoins.

En effet, dans ce no man’s land sans repères ni projets dans lequel nous vivons tous depuis quelques temps, j’ai bien peur de m’être égarée. Pourtant je continue d’écrire beaucoup, avec mon stylo-boussole, dans des cahiers de toutes les tailles et de toutes les couleurs. (Je ne sais pas vraiment les utiliser : j’en ai des tas, neufs et entamés. Aucun n’est fini, les pages blanches s’éparpillent dans chacun).  J’ai rempli des tas de lignes sans avoir envie de publier sur ce site. Des bouts d’idées, des morceaux de paragraphes, des bouquets de mots et d’émotions.

Je voulais juste glaner ce qui me passait par la tête comme épingler les nuages de mon ciel sur une toile blanche avant qu’ils ne s’effilochent. Pour dépouiller mon méli-mélo silencieux, m’en souvenir lorsque j’aurais à nouveau envie de vous écrire et de partager.
Plusieurs sujets s’entre-mêlaient. Et je ne pouvais me décider pour l’un ou l’autre. Alors ils avançaient chacun tranquillement de leur côté. Pendant que je triais les calmars, ou désablais les tellines. Pendant que j’étendais le linge le long des doigts-de-sorcières rampant dans les aiguilles de pins. Pendant mes longueurs de piscine. Des petits germes, des graines de textes et d’échange.

Mais je refusais de m’approcher de mon ordinateur ou de mon téléphone. Un ras le bol violent des écrans et des réseaux (si peu) sociaux. Un besoin de couper, de me recentrer sur la vie réelle, de profiter de cette évasion tant désirée.

Hier je me suis dit, ça y est ! je sais comment je vais assembler mes petits bouts de puzzle. Je devine la forme qu’ils vont prendre. J’ai écrit une ébauche d’article dans mon carnet bleu turquoise.

Cet après-midi, j’ai fini mon roman après le déjeuner (délicieux les calamars, merci ! le roman aussi d’ailleurs), sur mon transat les pieds dans l’herbe et la mousse sèches. Je me suis levée, et suis allée chercher mon ordinateur dans l’armoire. J’avais éprouvé soudain le besoin de vous écrire.

J’ai ouvert mon fichier et j’ai commencé. Sans rien écrire de ce que j’avais prévu hier. Le carnet bleu turquoise est resté fermé. Les autres aussi.

Malgré l’intermédiaire de l’écran que je refusais, je ressens beaucoup de joie et un peu de cette paix fugace que je cherche depuis tant de jours avec ma natation et mon yoga quotidiens, grâce à ce partage avec vous.

Je vous en remercie.

Je vous souhaite un été dont les mélodies suivent parfois votre météo interne.

PS : Je vous prépare l’article dont je voulais vous parler hier. Il y sera question d’une huppe et de yoga sur la plage, en zone interdite. Et aussi du gâteau basque.

*En référence au livre de Jean-Paul Kauffmann sur le tableau de Delacroix, à l’église Saint-Sulpice à Paris.

Ah, et le roman que je viens de finir avec le sourire est Bienvenue au motel des pins perdus de Katarina Bivald.

En passant

Une exposition de sculpture impressionniste au musée Städel de Francfort, un autoportrait au radiateur. L’art comme miroir de nos vies.

Goethe, par Tischbein 1787.
(Avec deux pieds gauches ! hi hi)

Elle me regarde. Assise de trois quarts, dans une bergère de bois blanc tendue de soie claire et fleurie. Sa robe longue tout aussi blanche et soyeuse a les manches bouffantes transparentes. Un volant flotte sur le décolleté où se niche un pendentif, une ceinture de soie ou de taffetas mauve lui ceint la taille et rappelle les rubans noués à ses manches.

Sa peau claire, presque nacrée se fond dans un camaïeu pastel, mis en valeur par la soie de Chine bleu canard tendue sur le mur et ses cheveux sombres attachés en arrière. Une peau blanche comme la neige, des cheveux noirs comme l’ébène…

Tout semble doux et lisse, fuyant et frais au toucher. Glissant. Un cocon de soies et de soieries.

Elle a l’air fatiguée, lasse, une main posée sur les genoux croisés dans une port à la fois alangui et noble. Un bras qui embrasse l’accoudoir de la bergère, dans une velléité d’évasion du cocon. Un soupçon d’abandon étudié.

Elle pose son regard sur moi, avec un demi sourire. Dans un mimétisme réflexe, je ne peux m’empêcher de pincer légèrement les lèvres. Je regarde sa main et sens dans la mienne la forme sculptée de l’ossature en bois de la bergère. Tout est calme autour de nous. Peut-être va-t-elle me confier ses pensées.

Elle est plus jeune que moi, peut-être 20 ans de moins. Mais aussi 130 ans de plus. Et pourtant nous sommes pareilles. Des femmes, vivantes.

Lady Agnew of Lochnaw, par John Singer Sargent – 1893

Changez-lui ses habits (comme je faisais jadis avec des petites poupées découpées dans du papier), et asseyez-la dans un canapé de velours bleu canard, posez-lui un smartphone dans la main droite. Hop vous avez franchi d’un coup le gros siècle qui ne nous sépare pas.

Elle, Lady Agnew of Lochnaw, une Ecossaise, est en visite à Francfort en ce moment, sous la forme d’un portrait peint à l’huile par John Singer Sargent. La taille de l’œuvre (grandeur nature ou presque), la fraicheur du trait et des couleurs attirent le regard dès qu’on pénètre dans la salle. Ma fille s’est postée d’emblée, aimantée, devant.

Je l’emporte dans mon coeur, et dans une salle voisine, je m’arrête devant une nature morte aux pensées. Des pots de fleurs fraîches depuis près de deux siècles. Les sœurs jumelles de celles que j’ai plantées dans mon jardin ce printemps. Deux cents ans plus tard, je ne les ai jamais vues et pourtant je les connais déjà.

Plus loin, je m’attarde devant une sculpture de la maternité : une jeune femme tient sa petite fille dans les bras. Je lui tourne autour, pour l’observer sous tous ses reliefs, tous ses reflets. Je connais bien sa position, je l’ai encore dans les bras (comme on dit ‘’je l’ai dans les doigts’’ d’un morceau de piano), dans la même position que j’ai utilisée longtemps, souvent, le plus possible, avec mes enfants petits. Si peu de choix finalement dans nos gestes. Des corps qui s’emboitent comme des morceaux de puzzle, les bras de la mère, le corps souple abandonné de l’enfant. Hier, aujourd’hui, demain.

Pour l’une de nos toutes premières évasions post-confinement, nous avons choisi une excursion au musée Städel de Francfort. Ce musée des beaux-arts se situe sur le bord du Main (un affluent du Rhin qui s’y jette au niveau de Mainz) sur la Museumufer – le quai des musées. Le bâtiment sérieux, classique, symétrique, intimide un peu, lorsque on gravit ses marches. Ou peut-être est-ce le gardien masqué qui nous contrôle à l’entrée. Derrière nous, en face, de l’autre côté de l’eau et d’une passerelle, les tours de la City allemande se dessinent sur un ciel nuageux.

L’exposition temporaire qui nous a attirés s’appelle : En passant (en français). Elle porte sur l’impressionnisme dans la sculpture, et présente des œuvres de Degas, Rodin, Rosso, Troubetzkoy et Bugatti (les trois derniers je n’en avais jamais entendu parler, mais ils valent le détour comme leurs confrères). Elle étudie le rendu en pierre et en bronze de la lumière et de l’atmosphère de l’impressionnisme. La matière en relief, libérée, émouvante et lumineuse. Sculptures, dessins, peinture, mises en regard. Superbe ! L’expo est prolongée jusqu’au 25 octobre. Courez-y vite ! https://www.staedelmuseum.de/en/exhibitions/en-passant (avec le masque, le plus tôt possible dans la journée).

J’ai eu le coup de foudre pour Eve, un dessin de Jacques-Ernest Bulloz, d’après une sculpture de Rodin. Dès le mercredi suivant, c’est elle que j’ai modelée en argile, elle qui a été sous mes doigts si conciliante et inspirée.

L’art nous tend le miroir d’autres vies, d’autres émotions et sensibilités – qui nous parlent par-delà les années, les siècles. C’est troublant ce chemin similaire de découverte du monde et de soi, au fil de nos âges, quelle que soit l’époque. Penchez-vous, écoutez… tous les secrets sont là. Rien de bien nouveau en somme.

J’arrive à l’âge où je ressens l’envie et le besoin de lire des biographies. Celui où on a compris qu’il est utile de rebondir sur les découvertes d’autres vies, pour mieux comprendre la sienne. Comme un raccourci vers plus de conscience, une occasion de prendre de la graine (de la graine : je le savais bien que les plantes sont pleines de sagesse). Entendre ces vies qui me parlent au-delà des années, des siècles. Les similitudes, tellement, avec ma vie à moi. On se croit unique, plus malin, différent. Et on l’est. Comme les autres, comme tout le monde. Tous ceux qui nous ont précédés, nos contemporains, ceux qui nous suivront.

Une biographie pour amplifier encore le bonheur de la lecture, redécouvrir des choses que l’on sait, sent, suspecte déjà dans un autre contexte, pour apprendre grâce au décalage combien nous avons en commun nous autres humains. Un autre temps. Une autre vie. Tellement proches des miens.

J’ai lu récemment une biographie de Colette, peut-être mon écrivain préféré. Je m’identifie à elle, pour nos 100 ans d’écart tout pile ou presque et notre amour des violettes dans les chemins creux, notre passion des végétaux et des êtres. Ses mots me font vibrer.

Si j’arrive à mettre la main dessus cet été, dans la maison de mon père, la bibliothèque de ma mère, je lirai peut-être le journal de Delacroix. Je prendrai mon temps, comme si le temps était à moi, pour relire des livres qui me parlent. A chaque passage dans leurs pages, ils me confient des secrets nouveaux.

Tenez, par exemple, j’ai ressorti un livre de Christian Bobin : Autoportrait au radiateur. Il m’a été offert voici 20 ans par une amie ardéchoise, parisienne pour cause d’études. Je l’avais lu dans le TGV du retour, d’une traite, buvant les mots de ce poète que je découvrais. Je le chéris doublement depuis et le lis régulièrement. J’ai dévoré avec gourmandise tous les livres de Bobin qui ont croisé ma route.

A la première lecture j’avais souligné certains passages au feutre noir. J’ai souri ce matin, curieuse de voir combien aujourd’hui j’ai envie d’en distinguer de tout autres. La période de ma vie a changé. Au mois de janvier 2000 ma vie était en transition. Ma mère était partie depuis quelques mois et j’allais bientôt tomber enceinte de mon premier enfant. Ce livre qui parle beaucoup de la mort d’un être cher, m’avait aidé sur ce plan-là. Aujourd’hui je dois avoir à peu près l’âge de l’auteur au moment de son écriture. Ce sont ses intuitions, ses pensées sur la vie qui me parlent le plus. Attraper un peu de maturité et de sagesse avec le filet à papillons de la lecture.

Le miroir tendu par l’art est un miroir magique. Il reflète ce que nous sommes prêts à voir et à entendre. S’il a d’autres secrets à nous révéler, il reviendra c’est sûr. Au moment adéquat.

Alors aujourd’hui, miroir, miroir sur le mur (de ma bibliothèque), quel secret vas-tu me confier ?